Carnet, 2015

Carnet 2015

 

 

 

1 janvier

Un premier message de Cathy. Une photo d’elle, sous la lame de lumière de cette matinée du premier janvier. Belle et tragique, dans le regard et les rides d’expression qu’elle m’envoie, comme un reproche de n’être pas ensemble…

3 janvier

La douceur s’est provisoirement installée. Du monde, beaucoup d’italiens sur la Promenade ; je scrute les fenêtres à l’angle de la Rue Lenval, la plage et les rochers où elle a l’habitude de rêver. Cathy reste à distance, elle soigne très difficilement son anémie et la plaie qui lui tient encore au ventre; je reçois ce matin une longue lettre d’affection (<3<3X2014X2015 = JTM, en en-tête…) ; je la reverrais bientôt. Laisser le temps…

Encore ce matin, elle m’envoie de superbes lettres d’amour…

 

9 janvier

Ma relation à Cathy est désormais entrée dans une phase critique qui semble sans retour possible à ce que nous avions connu au printemps dernier. C’est la chute dans un dialogue qui n’en est plus un ; sa jalousie morbide a la violence de la surdité. J’essaierai de ne plus répondre à ses multiples provocations; je reste avec  beaucoup  de mort dans l’âme, ce goût amer de l’échec lorsqu’une relation s’achève…

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Depuis deux jours, la France entière, et une grande partie du monde, est focalisée sur l’attentat de Charlie Hebdo, avec ses douze victimes, dont cinq ou six des plus représentatifs de la caricature dans son extrême principe d’irrévérence. Bien que je n’ai jamais été un adepte de Charlie et d’Hara-Kiri, nous constatons  une forme de guerre  terroriste internationale qui ne peut laisser insensible. Mais que peut faire la France qui a déjà vue plus d’un millier de ses ressortissants, pour ne parler que de ceux-là, nouvellement engagés sur les espaces de la terreur au Moyen Orient ? Quelque part, n’est-il pas déjà tard ? …..deux prises d’otages dans la région parisienne, qui demanderont presque dix heures aux GIGN et au RAID, pourraient être la réponse….

Des manifs monstrueuses ont eu lieu dans toutes les villes de France ; les chiffres sont difficiles à établir, surtout ceux de la dernière, à Paris, où le chef de l’Etat reçut une cinquantaine de chefs étrangers, en début de cortège, mais derrière les parents des victimes. Les slogans, je suis Charlie voisinaient avec ceux préconisant la laïcité et ceux appelant à ne pas faire d’amalgame entre les barbaries terroristes et les musulmans vivant sur le terroire. La surprise a été tout de même, dans une Marche qui se voulait, malgré tout, d’une coloration fortement dégagée, et dénuée de récupération religieuse, de voir que le Président de la République, flanqué du Premier Ministre, coiffés d’une kippa, attendant sagement sous le sourire des dignitaires de la grande synagogue des Victoires, Netanyaou, arrivant le dernier, comme si c’était lui l’organisateur et le lien incontournable des évènements de la journée. Certains disent que sa sécurité personnelle étant assurée par ses propres services, le protocole habituel s’en est vu un peu émaillé. Se voulant tous Charlie, on nous a fait croire que seule la mobilisation contre la liberté de pensée justifiait tant de descentes dans les rues. En sous-œuvre, et bien que beaucoup de français, voire d’étranger reçurent ce message en toute bonne foi, la récupération, avec l’aval des deux premiers dignitaires de l’Etat, s’est soumise à la manœuvre de l’Etat d’Israël, où les images de la synagogue montraient Hollande et Valls bien isolés et bien silencieux, tandis que le Premier politique d’Israël semblait triompher, et qu’il était réellement venu à Paris à condition que cela se passe ainsi. Si les messages musulmans insistèrent durant ces deux jours sur le risque dangeureux d’amalgames, les autorités Chrétiennes et Catholiques semblaient, elles, s’être fondues simplement dans le silence assourdissant de la seule défense des Droits de l’Homme et de la liberté d’expression… Encore une fois l’Eglise se sécularise.

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15 janvier

Déjà des rumeurs feraient entendre que dans certaines communautés nous ne serions pas tous Charlie. Qui en avait douté ?

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16 janvier

La lontananza nolstalgica utopica futura

Venise aurait peut-être cet attrait qui en ferait, et à certains égard elle peut y prétendre, cette prévalence de cité unique sur la couronne sertie des plus belles villes du monde. Emergeant de l’eau et ayant grandie comme une fleur de pierres ciselées, elle ne donne le meilleur d’elle même, comme une femme mue par le bonheur, que dans la pleine lumière ou dans les brumes glacées, à la tombée du jour d’hiver, pour devenir enchanteresse masquée, sous les ors des palais. Mais comme dans la chanson, quelque chose de fragile et de triste émerge à l’heure où les goélands attendent les premiers étals des marchés, dans la lumière poudreuse et les senteurs de vases. Là, Venise est sans masque, comme dépoudrée, défaite de ses illusions nocturnes, loin des fards diurnes qui lui donnent cette épaisseur de matière crue qui faisait le relief des Carpaccio et des verts Veronese. C’est à l’émergence de l’aube, où depuis l’île de la Giudecca et ses bâtiments austères, d’usines rougies, que Luigi Nono pouvait suivre les filets fantômatiques des brumes jusqu’au rivage de la Cité paraissant un vaisseau immobile, comme il imaginait par les trainées diffuses de ses sons électroniques et les trouées de leurs plages de silence, toute la face voilée de la ville qui ne se serait pas encore apprêtée.

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J’ai revu Cathy avant hier à la Dégus. Après les premières effusions bien compréhensibles depuis qu’on ne s’était vu, elle s’est à nouveau embrasée d’un incendie de jalousie qui se déclare maintenant à distance de plus en plus proche… Nous ne sommes pas heureux.

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17 janvier

Voilé, vaporeux et pourtant anguleux, le Quatuor Prazac, Janacek, la « sonate à Kreutzer ». La nuit sonne…

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19 janvier

Stef faisait des imitations vocales de Johnny Winter sur les rues pavées du vieux Zurich, vers 1971. Dix ans déjà, quelque part vers la fin janvier, qu’il nous a quitté…

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21 janvier

Encore le froid; les journées passent du plus lumineux à la froidure de saison, bien sûr. Une carte postale de Francis…silencieux depuis un coup de téléphone cet été en Juillet, lorsque Cathy et moi prenions un verre au col de Braus, avant la descente vers Sospel ; je ne pouvais trop lui parler… Carte postale de Potosi, Bolivie. Il écrit : « ici, près de la mine, des mamies, chapeau haut de forme, vendent, à côté de sacs de riz, des bâtons de dynamite ou de nitrate d’amonium, et les indiens chantent et dancent à 4000 m pour faire avancer le temps et le calendrier. » En hiver 2012 nous avions prévu de « faire » ce Pérou/Bolivie, qui est resté en suspens…

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27 janvier

Dans les années 70, nous fréquentions, sur le boulevard Carlone, un bistro populaire, « Chez Jacques », divisé en trois salles, et une terrasse avec quelques tables circulaires, d’un méchant métal, éternellement crasseuses, et au sol en terre battue recouverte de gravillons. Nous passions , soit par l ‘entrée du Boulevard où se trouvait immédiatement le zinc, boulevard large et très commerçant, avec son flux d’autobus et ses bouchons aux heures d’affluence, soit par la descente abrupte et étroite du Boulevard de Magnan, lequel ressemble plus à une rue quelconque, sinon qu’elle est très pentue, et que même du temps où j’étais étudiant, nous arrivions au sommet qui débouche sur le plateau universitaire, passablement essoufflés, parvenant à l’autre antre de ce temps-là, le Pub Carlone.

Le bistro s’était toujours appelé « Chez Jacques, Bar Billard » parce que c’était, le plus loin qu’on puisse remonter dans le passé, le père Dalbera qui officiait alors, mais nous, Henri, moi, et tous ceux qui fréquentaient le lieu disaient « on va chez Gaston ». Parce que le père Jacques, nous n’en avions qu’un vague souvenir ; probablement que la clientèle ouvrière des magnanais de ce temps-là, qui avait écumé les matins aux casses croûtes qui tenaient ferme à l’estomac, dans le genre gras double ou purée à l’huile d’olive, les tripes à la niçoise, avait bien connu les parents de Gaston. Pour nous, chez Jacques, c’était chez Gaston, puisque le fils a régné dans ce lieu tout le temps de notre passage universitaire, et plus longtemps encore, dans les années 80. Gaston Dalbera a pris sa retraite en Août 88, et j’étais absent de Nice, tout au moins j’étais absent de l’évènement du départ de ceux qui avaient été, Gaston, sa femme Anna, et Eliane la sœur de Gaston, les gardiens fidèles de l’entreprise bistrotière de notre jeunesse. J’ai entendu les fidèles, dispersant ce jour-là une partie de nos souvenirs, de nos éclats, de nos havres buissonniers, nos rencontres et nos amours de fin d’adolescence, comme d’une cérémonie des adieux, car en effet, ce jour de départ laissait vide ce que furent nos présences permanentes, où le monde se faisait et se révolutionnait chaque jour, où les plats du jour arrosés jusqu’ à quatre heure de l’après-midi se conjuguaient avec les élans d’un monde qui se devait de changer.

Certains profs, descendus à la fin de leurs cours, profitaient de l’agitation et de l’effervescence des lieux pour montrer un aspect différent d’eux-mêmes, en participant à la vie plus intime et plus personnelle de certains de leurs élèves, ce qui rapprochait forcément ces élites de l’enseignement et les groupes  (c’était après 68, et l’appartenance à des courants d’idées, des identifications à des mouvements d’idées), quoique souvent proches sur le fond, se dessinaient en de multiples nuances de sensibilité, au point de ne plus savoir ce qui  faisait leur différences, seules les appellations désignaient un socle sur lequel revendiquer une identité politique, sociale et syndicale, ou artistique. Parmi les plus rigolards de ces potaches, il restait en fin d’après-midi, les longues concentrations autour du flipper, ou les défis, deux contre deux, au baby-foot, où chaque but était accompagné d’une rasade de bière ou de pastis.

C’était le temps où la venue de François Mitterrand constituait, avec les radios libres, les promesses fécondes dans les esprits, une espérance indépassable jusqu’à la fin du siècle, ou plus encore… C’était l’insouciance des pensées faussement engagées, puisque ces pensées pouvaient s’inverser (nous le verrons bientôt), ou tout au moins évoluer et se teinter de nuances, avec l’âge qui avançait.

Ce jour d’Août 88 restera donc, parce que je n’y étais pas, un mythe de la disparition d’un lieu de culte de la rencontre et de la fratenité. La boisson et les éclats de voix durent  être particulièrement intenses en fin de journée, car je n’ose croire que la fermeture se soit faite avant la complète tombée de la nuit. 

Depuis, Gaston, qui avait été cycliste semi professionnel, avant de reprendre l’entreprise du père, s’est installé à Châteauneuf-de-Contes, jusqu’à sa mort, début des années deux mille. J’ai assisté à la dernière blessure de Gaston, qui s’est cassé le col du fémur une seconde fois, en chutant avec tout un plateau plein de verres de bière. Sa claudication s’est encore accentuée, et c’est cet événement qui aura peut-être précipité sa décision de partir dans son arrière-pays.

Nous avions émigré dans d’autres quartiers, parfois même vers d’autres bistros provisoires, (« l’Aviatic » …) disparus eux aussi.

« Chez  Jacques » est devenu en un premier temps, un resto libanais, très respectable et sans passion, aseptisé, comme dans beaucoup de commerce de bouche à Nice, puis aujourd’hui, la Ribote II, une affaire qui marche auprès d’une clientèle d’avocats et de gens très bien, la déco moderniste a remplacé les vieux rideaux vichy aux fenêtres, et les nappes lourdes de tissu épais qui ne craignaient pas les débordements du vin de midi, par la nappe de papier jetable… La nostalgie demeure, l’âme Dalbera qui nous gardait sous son aile reste aussi ; l’immeuble, à Magnan, qui porte le même nom, appartient toujours à la famille, à Eliane…. la sœur, qui était la serveuse aux rires tonitruants.

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Des textos de Cathy qui font suite à ces dix derniers jours de silence et de violence amoureuse…

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29 janvier

Depuis elle, aujourd’hui c’est la mort promise. La mort de tout ; la peur des griffes… de celles  de la médiocrité, voire de l’anéantissement de ce que nous avons vécu. Je cesse.

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3 février

Hélène m’apprends que je serai grand-père fin Juillet… la joie, bien compréhensible, est étonnamment atténuée par l’ombre encore présente de cet enfant que Cathy n’a pas pu avoir.

Je vis assez mal. Entre dépression, déprime, malgré un avenir de vieil homme qui se doit d’être radieux.

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J’entends d’assez loin qu’on parle de Comiso (Sicile), « tombe la neige », l’année où Salvatore Adamo accompagnait ce départ du Maroc … 1964…. « delle spalle alle stelle »

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la force des femmes pour initier une relation amoureuse est réellemnt une force d’initiation; elle choisit, elle commande, elle vous prépare à entrer dans ses rails, avec cette candeur fausse d’être dans une âme qui cherche celui qu’elle désirerait faire sien, dans ces même rails de l’avenir sans lesquels elle ne serait qu’au-dessous de l’idée qu’elle peut se faire d’elle même, de l’aimantation de la féminité dans sa supériorité. Pour rompre le charme, une même amoureuse transie, à la fin, vous rend la monnaie de la relation comme un quincaillère vous reproche un rendu de fausse facture.

Ce que les femmes, en fin de relation, reprochent à leurs hommes, c’est l’absence à venir de cet érotisme qu’elles ont déjà condamné. Pour être ailleurs.

Et puis, trop de respect pour une femme tue l’érotisme…

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Henri disait, concernant ce gouffre de nos relations de Juillet dernier, qu’il y aurait des « séquelles », suite à l’épisode de mes amours du « Jean Bart », parce que je ne rendais pas l’appartement en temps voulu…. La vie n’est-elle pas faite chaque jour de petites morts, de séquelles, de silence et d’absence sans retour ?… de séquelles….

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10 février ?

Les Tragédies d’Echyle, Milhaud, en novembre dernier, où ma vie était en bascule, où je pouvais vivre une détermination de mes dernierès saisons, sans que je les eusse voulues ainsi, me mènent, comme un convalescent aujourd’hui, après quarante jours de cet avenir semblant ne plus être entre mes mains, à ces tragédies, et de Milhaud, et de Claudel. Quelle traduction, (que je me soumets), est la meilleure de deux classiques de ce triptyque ? (évidemment sur les premiers vers, les premières impressions…) :

Emile Chambry :

« Le guetteur : je prie les dieux de mettre un terme à mes fatigues, à cette longue garde que je fais depuis un an. Couché ici, sur le toit des Atrides, à l’écart, comme un chien, j’ai appris à connaître à fond l’assemblée des étoiles nocturnes »

Paul Claudel :

« le guetteur : je prie les dieux qu’ils mettent fin à ces fatigues, la longueur de la veille d’un an que je prolonge au plus haut toit des Atrides, sur les coudes comme un chien apprenant des astres nocturnes à connaître l’assemblée… »

Horrible sort que celui de la traduction.

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11 février

La Dégustation est vendue. Georges Gombert va partir. Le gérant à venir va-t-il laisser l’âme des lieux ?… Nous proposons un livre d’or pour les témoins de la toute dernière génération des viveurs et des buveurs, des artistes, des aristocrates et des gueux contemporains, et des témoins d’un bistro qui va mourir, qui va vivre peut-être, dans les anthologies littéraires des lieux d’âme qui meurent où reste signifiée la vie traversée, plus essentielle que celle des Musées, par quelques dernières phrases, quelques photos, et peut-être un album idéalisable de nos années de soleil facile, de ce soleil qui revient toujours, par cette impatience de notre rencontre avec lui, et qui nous fit connaître d’exceptionnelles rencontres d’amour….

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14 février, saint Valentin

Cathy, 6h 43 sur la messagerie : loin des yeux, dans mon cœur tu restes

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De Niedermeyer, de Le Corbusier, ces architectes d’avenir ? Que reste-t-il de l’utopie des années d’urbanisme théorique ? Et ce Stade de Brasilia qui n’arrange rien (2014). Ville symbole, ville couloir. Seul le « pont ricochet » et les quartiers chics…

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Le « Shakespeare » de Hugo est un véritable essai sur le romantisme ; il donne  envie de revoir cette écriture neuve et concise, relire Quatre Vingt Treize, mais aussi les vers, la Légende des Siècles etc. Ce livre résume les merveilleux dessins d’encre de chine, les châteaux et les ombres vertigineuses qui restent encore d’une grande modernité ; une parfaite adéquation entre la folle poésie romantique de Hugo et les chimères nocturnes, peuplés d’oiseaux et de sorcières.

Pour mesurer l’ignorance, rien de plus édifiant que de demander un renseignement à un agent de la circulation. En 1974, un ami  de ce temps-là, cherchait, dans le quartier Châteauneuf à Nice, une adresse d’agence pour l’emploi qui se situait dans ce périmètre que je connaissais parfaitement. Ne la trouvant pas, l’agent de police que nous avons interrogé nous assure que cette agence se situe Rue Saquespar. Nous avons arpenté mille fois toutes les rues, les traverses, en long et en large, avant de tomber, incrédules, pour la mille et unième fois, devant le petit rectangle de pierre indiquant, en effet, la Rue Shakespeare…

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Casbah des Oudaïas. Je ne l’avais jamais traversée étant enfant. Peut-être en ce temps-là, l’étroitesse des ruelles de ce qui  définit l’espace même de la ville arabe, représentait l’envers de notre ville moderne et européenne, pragmatique et demesurément plus vaste, et faisait que nos parents ne s’ aventuraient que très rarement dans cette ville d’ombre et de lumière qui symbolisait bien dans les années 50 le parfait coupe-gorge. Je viens d’en découvrir les beautés au travers d’images de voyageurs. Brigitte Magrino m’en avait même envoyé des vues lors de son voyage au printemps dernier. Je ne sais, si lorsque j’habitais Rabat, la qualité des restaurations était déjà présente, ou si depuis, ce travail sur les blancs et les bleus est venu boulverser une cité qui mériterait d’être classée au rang des vieilles villes les plus poétiques. La Casbah d’Alger, qui fit beaucoup parler d’elle lors de la Guerre d’Algérie, ou en décor parfait de  Pepe le Moko, n’est que délabrement et ruine en comparaison.

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17 février

Les oiseaux , pour la première fois de l’hiver…dans de belles tonalités. Vers sept heures. Le printemps n’est pas loin, les mimosas ont surgi. En une nuit. Peut-être n’avais-je pas remarqué le début de leur floraison…

Depuis le 12 la maison est vide. Cécilia et Hélène sont en Colombie, parties tôt. Hélène vient m’embrasser, elle a peur de l’avion ; nous n’avons le temps que de croiser furtivement nos regards. Le printemps crisse, depuis quelques matins, sous le chant et l’élan des oiseaux. Depuis la St Valentin K. ne laisse plus aucun message ; nous avons installé un grand silence. Douloureux. C’est préférable à la violence et à l’incompréhension.

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20 février

21 décapités coptes en Lybie. Les djihadistes avec un doigt pointé sur Rome…

Peu de commentaires en Occident.

Sviatoslav Richter dans le silence à la nuit tombante : « les Harmonies poétiques et religieuses », Pensée des Morts, Funéraille, Andante Lacrimoso….

………………………………  j’ai longtemps dormi avec l’Enfer de Dante sur la table de nuit, attendant Matteo Belli pour le lire.

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25 février

Ce que j’aime le plus de cette fin d’hiver qui n’est pas encore le printemps et encore moins le début de l’été, ce que j’aime, c’est cette anticipation de Mars, à cheval entre les morsures de l’hiver et les fausses perspectives de l’année à son zénith ; ce début de floraison, cette ascension progressive de la lumière, la sève revenue mais encore dans l’ombre. J’ai aimé Cathy dans ce temps propice de la fin d’un hiver (celui de l’automne de ma vie ?), dans la floraison de nos épousailles de lumière avant l’évidence du temps zénital si proche de toutes les fins de ceux qui s’aiment de ne pas s’aimer autrement, de ne pas s’aimer plus longtemps…

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26 février

Cathy envoie des photos, des baisers, des larmes, et de la colère érotique.

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28 février

Le William Shakespeare de Victor Hugo réserve, décidemment, bien des surprises. Non seulement il énonce la vie de l’auteur avant le temps de la renommée de celui qui sera l’homme océan, mais il évoque déjà la grandeur des autres prophètes de l’humanité, Job, Isaïe, de Jéremie, d’Ezechiel, avant celle d’Eschyle… Il y a, dans cet essai, une forme de Légende des siècles condensée, traçant d’un trait fort les jalons successifs,  non pas de faits héroïques spécifiques aux légendes, mais à ce qui tient lieu d’Histoire sacrée de la pensée humaine.

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….le méridien d’Arago avait précédé celui que les impérialistes anglais vont imposer avec Greenwich. On peut voir à St Sulpice, un obélisque intérieur traversé dans sa verticale d’une ligne de laiton marquant le méridien. 13h 43, 21 septembre, équinoxe d’autome ; 13h 43, 21 mars, équinoxe de printemps.

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7 mars

Un message de Cathy, 6h 28 ; cette fois, probablement le dernier. J’ai passé une dernière nuit avec elle, au « Bellevue ». C’était dans la journée du mercredi 4 que nous nous sommes retrouvés, Place du Palais, il faisait assez froid ; nous nous sommes aimés aux Hameaux, dans l’après-midi, puis finalement cette dernière nuit que je quitte vers cinq heures trente, au matin du 5 ; la jalousie, une tristesse maintenant permanente s’étaient installées… elle m’accompagne jusqu’à l’ascenseur ; je ne me retourne pas sur son dernier baiser.

Ce 8 Mars, comme toujours en Mars, le goût amer qui claque, la solitude provisoire, et cette lumière que j’aime, depuis mes lucarnes, qui va durer jusqu’à Juin. Ce temps de l’année ascendante.

« Douloureuse joie » disait un madrigal de Gesualdo

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Je sais que K avait aimé, en Juillet dernier, la « Nuit Sacrée » de Tahar Ben Jelloun, à en espérer qu’elle continue

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14 mars

PETIT ELOGE DE LA NOSTALGIE

« Nous ne vivons pas dans le passé… le futur viendra ; ce qui nous intéresse, c’est le seul présent… ». Il n’y a pas plus fuyant constat de l’insaisissable regard que nous portons sur le vecteur du temporel. Comment imaginer vivre, en élevant notre niveau de conscience se regardant vivre dans ce continuum, ne fixant notre seule attention, si cela était possible, sur les seuls évènements présents, comme en une sorte de dédoublement de soi, dont une partie consisterait à voir vivre l’autre ? Excluant les qualités primordiales de l’intelligence qui, en fait, sont les seules à déterminer ce présent, à lui donner émergence, que sont ces portions de temps qui, soit sont passées, soit à venir. Les deux seules dimensions accédant à la conscience se trouvent, paradoxalement, l’une, appartenant à un phénomène passé, révolu, l’autre,  n’existe pas encore, et n’est qu’une projection envisageable dans un champ de possibilités. Seul, entre les deux extrémités de la chaîne, le présent que nous croyons maîtriser, « vivre », à l’exclusion d’un passé maintenant mort, et d’un avenir qui n’a pas encore son existence, se trouve lui aussi hors de portée de notre saisie immédiate, comme une image qui disparaîtrait sitôt apparue. Ceux qui disent ne vouloir vivre que le présent pensent, en fait, à la notion du vivre au jour le jour (carpe diem) dans un refus de conséquences possibles pour le futur et dans l’effacement féroce des expériences du passé. Nous n’avons, en fait, que le passé comme objet d’expérience, de bilan sur toutes les dimensions du champ temporel. On pourrait dire de lui qu’il est le seul facteur d’expérience qui pourrait corriger, déterminer par avance ou infléchir  un futur désiré. Tous ceux qui, généralement, n’attachent d’importance qu’au présent, sont souvent insensible à la nostalgie, à toute forme de repli vers un passé idéalisé (avant c’était mieux), comme si, par une pudeur ou une inavouable sensibilité, ils se refusaient à revenir sur les traces d’un temps qui est bel et bien mort, et à encourager par là la complaisance de l’impossible et inutile retour d’un fragment de soi. La nostalgie part d’un arrêt sur image, une coupe dans le temps, d’une situation, d’un vécu, d’une période dont les clés sont à présent perdues ; parce que la vie change, qu’elle est mouvante, parce que les conditions qui les ont vues naître ne sont plus représentées (un boulversement sensible ou progressif de conditions sociales, une révolution technologique…), et qu’il ne reste que la confrontation d’une époque fonctionnant avec ses propres règles passées, et celles, nouvelles, qui s’imposent aujourd’hui.

Stéphane disait avoir en horreur cette nostalgie qui lui paraissait ressembler à une assemblée d’anciens combattants (ceux de 14-18 etc., mais aussi ceux qui parlant de Woodstock, ou d’un passé proche de la jeunesse idéalisée) qui disaient : « nous y étions »… Peut-être, la nostalgie non acceptée se défie-t-elle par là de toute tentative de faire revivre une tranche glorieuse de passé, se prémunissant, en y installant une distance, d’une vérité qui n’aurait pas la patine que certains veulent bien accorder à des vérités trop bien reconstituées.

 Patrick, à l’opposé, s’est toujours complu, depuis ses heures de gloires de séducteur, à faire revivre, chaque fois que l’occasion se présentait, les chansons, les récits d’adolescence devenus légendaires, et pas une fois il ne manquait de les rappeler, jusqu’à encadrer certaines photos et, pour nous plaire, nous recevoir avec une musique qui devait nous plonger dans les heures bénies du passé. Et de dire : « c’était le bon temps »…

Etymo de nostalgie : douleur du retour

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Cécilia revient de Colombie après un mois d’absence. Hélène m’avait téléphoné depuis l’escale de Madrid.

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15 mars

Dernier message de K. Le dernier cette fois. L’histoire s’achève.

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Ce matin, pour la première fois, l’arbre a fait éclore ses petites fleurs blanches ; j’ai la mémoire cyclique. L’an dernier, à même époque, nous préparions le séjour vers la Provence, l’igloo imaginaire… le début de ma relation tumultueuse, dans ce nœud printanier encore bien proche de la nuit hivernale.

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20 mars

Peut-être est-ce la tournure d’un printemps annonciateur de fécondité et d’une vague de mélancolie bien compréhensible depuis ce début d’année nouvelle, que sans être particulièrement numérophile, les années finissant en 4 ont souvent eu, depuis cinquante ans, un relief marquant dans ma vie…… 1964, mon arrivée à Nice. Ce seul événement suffirait à en faire une année exceptionnelle; elle marque le cassure d’une vie qui n’aura connu que deux villes. Le Rabat de ma naissance, des premières lueurs sur le monde, des perceptions essentielles à l’ouverture de ce monde, ses parfums, ses sensations qui ont valeur absolue comme sont absolues les premières choses vécues. Puis Nice, où j’aurai tout connu ; les amours et le temps nécessaire à tous les apprentissages, les découvertes, l’adolescence, la maturité, les chances qui font que la vie a un sens, et enfin, jusqu’à ces premiers jours de cet âge du déclin…….. 1974, année de transition, entre le glorieux temps pivot des vingt ans et du chemin qui s’en va déjà, déterminé, dans sa marche imperceptible. C’était l’année de Michelle Pellet, des dérives nocturnes, l’année de Mi………1984, les voyages avec Cécilia que j’épousais en fin d’année, et avec elle, la Provence comme cadre d’épousailles, comme on épouse des lieux charnellement attachés aux pas de l’existence……1994 n’a pas laissé de traces particulières, sinon que, dans la seule plénitude du milieu de la vie, elle ne retient rien d’autre que la certitude que les meilleurs germes ont déjà donné leurs fruits……..2004, le tourbillon des années Dalila, trop long tourbillon, initié dans un temps de doutes et d’incertitude, de premier rideau automnal, qui s’en vient mourir lentement d’épuisement vers la fin de la décennie……..Enfin 2014, la parenthèse aussi inattendue que résumant ce retour fertile d’un homme dans son automne, comblé de se voir vivre encore dans toutes les dimensions du sentiment et de la sensualité partagés. L’année de Cathy Coulon…

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Nous attendons la marée la plus « grande du siècle »…. Bernard la verra en Normandie.

Je viens de finir le texte de « naissance de l’ange ». J’y ai accordé un soin particulier, une sorte de mélange de l’événement vécu avec K, et une vision idéalisée d’un cœur comprimé dans une ville de verre et de métal.

21 mars          

Je revois Barbarin à la Dégus. Il y vient pour un projet d’interview sur mes vitraux. Je crains que son humeur devenue bien amère, ne saisisse pas bien la lumière des images que je lui ai transmises. Lorsqu’il parle maintenant, il semble s’adresser à lui seul, à voix basse, et ne fait aucun effort pour se faire entendre. Avec le bruit de la Place du Palais et la musique de fond qu’impose le bistro, je n’essaie plus même de lui faire répéter les phrases que je n’ai pas saisies. Il y a donc comme des blancs dans la conversation. Ses sujets vont toujours vers les articles qu’il écrit pour différents théâtres ou pour son blog, pour des actrices dont il croit tomber amoureux, mais Barbarin se lasse vite, et après son café crème qu’il boit froid, met son chapeau et s’en va de son pas de vieillard.

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25 mars

Pierre Boulez, quatre vingt dix ans demain…longtemps les biographes, ou du moins ceux qui recopient les biographies, ont hésité entre le 25 et le 26 mars (suivant les dictionnaires). Debussy est mort un 26 mars 1918, entendant probablement les derniers bombardements de la Première guerre. L’un meurt, l’autre arrive…Il y  a presque dix ans, en Avril,  Boulez avait donné une série de concerts de ses œuvres et une soirée consacrée aux Viennois et à quelques créations isolées au Sporting de Monte Carlo. Après le concert de « Répons », je pensais qu’il y avait ceux qui, un jour, avaient assisté à cet éblouissant enrobement acoustique dans lequel nous étions plongé une heure durant, et ceux qui n’avaient pas connu cette expérience… Et cette expérience ne peut être vécue qu’en concert. Pour principe de l’œuvre, le public est pris dans un cercle de percussions métalliques alternant avec des pianos percussifs et le chef au centre d’un ensemble instrumental dialoguant en temps réel avec un dispositif électronique (4 x). Aucun enregisrement ne pouvant rendre l’immersion inouïe dans laquelle le public se trouve environné. Ces soirées d’Avril 2006 étaient d’autant plus extraordinaires qu’elles donnèrent lieu à des scènes assez inattendues, comme le soliste de la création du concerto pour violoncelle d’Elliott Carter qui fit tomber, d’un coup d’archet malvenu, sa lourde masse de partitions, tant l’oeuvre demandait de concentration et de virtuosité, obligeant Pierre Boulez (après bien des excuses du soliste), à reprendre du début la création de l’œuvre. Une autre des soirées consacrées aux œuvres du maître devait faire apparaître le clarinettiste de «  Dialogue de l’ombre double » depuis la coulisse, dans le noir le plus parfait. Celui-ci chutait dans l’obscurité au pied de l’estrade, dès les premiers pas, ce qui fit tout interrompre, dès le début de la première mesure, au milieu de couinement de clarinette fêlée et des lumières rallumées. On aurait pu croire, l’espace d’un instant, à un gag ou à un détournement d’œuvre à la John Cage…

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26 mars

Prendre la parole est un acte de foi.

Ecrire est un acte de ferveur…

Marcher vers l’avenir est un acte de fureur

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Le prunius est soudainement devenu rouge, la floraison a été plus courte que l’an dernier…

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En cette fin Mars, nous revenions de nos retrouvailles avec les hauts pays de Provence ; en Mars 2014. L’année semblait plus féconde, et comme présageant une belle floraison pour les mois à venir, lesquels ne manquèrent pas de mêler d’une manière éperdue ces préludes provençaux à la fécondité amoureuse d’avril, mai et juin que je ne manquerais pas de vivre. Et Giono reste encore celui vers qui je reviens toujours, l’homme des grandes tragédies, des ciels de ces pays de rocailles. Un jour que j’achetais chez une bouquiniste une édition « anthologique » de ses œuvres, elle me dit « vous devez aimer la Nature ! »… Mais qui n’aime pas la Nature ? Qu’est ce qu’on entend par Nature ? L’amour des papillons, des fleurs, l’harmonie d’une vie à jarniner son plant de tomates et à voir pousser ses herbiers saisonniers ? Une existence de chasseur sauvage ? La Nature de Giono c’est aussi ça, accessoirement, mais le cœur de l’affaire de sa Povence est qu’elle est à la nature ce que la Tragédie est à la Grèce Antique, loin des tartarinades (mais nous adorons aussi Daudet…), des pittoresques, du seul chant des cigales (qui en soi peut être un prélude au plus silencieux des tragiques), et de la baignade au bord de mer. La Provence comme un espace de sieste… ? Une sorte de site aménagé pour les besoins saisonniers des gens du Nord avec leurs autoroutes d’accès ?  La Nature y est plutôt une âme sombre sous la parure insolente des ses harmonies de terres, de pierres et de ciels. Il me revient en mémoire un des derniers ouvrages que j’ai lu de Giono, dans les années quatre vingt : Batailles dans le montagne où se mêlent , dans le final de cette odyssée, la joie des protagonistes d’avoir vaincu les forces de la montagne, le glacier des tragédies (nous sommes déjà dans la Drôme), la dynamite du sacrifice, l’amour tenu au secret au profond de la poitrine, le cœur chargé, attaché, le cœur lourd, la poitrine qui explose, et le secret qui s’emporte avec la mort, visages dessinés à la serpe d’ici, théâtre d’ombre et d’azur, de sources glacées jaillissantes comme la lame vive d’un couteau. Celle qui m’envoyait, il y a bientôt un an, une lettre d’anniversaire, connaît bien la rudesse des couloirs venteux de Sisteron, la ligne de partage de la Provence se diluant dans les courants glacés du Dauphiné. Cette lettre trouve naturellement sa place dans le Giono de la bouquiniste, secrètement glissée entre les pages de garde, dans les plis serrés du volume, « une pensée que j’avais cueillie et faite séchée, puis envoyée…ma mère me disait, jamais du lilas….pensée dans un courrier, je pense à toi, mais si tu glisses du lilas, je te laisse là …j’entends cela depuis enfant… » ; La légende des pensées et du lilas…
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Du fond des âges peut-être, de Bizerte où elle est née, la Nonina me faisant sauter sur les genoux, chantait un vieux rythme de  tarentelle « tchitchitchiti tu mi mette nel pasticci, la tua bocca tanta bel al sapor di caramel… », puis on se donnait un baiser en riant…

Le patronyme de mes grands -mères, Pane, pour celle du côté maternelle, la Nonina.

Taurines, pour celle paternelle, originaire du Tarn, que j’ai peu connue, en pointillé. Elle vivait à la ferme d’Aïn el Aouda, je n’y venais que certains week-ends de l’année, et après 1964, elle vécut dans le Nord, à Maubeuge, avec sa fille Henriette, la sœur de mon père, mariée à Jo, le frère de ma mère.

De ce pain et de ce monde quelque peu taurin, ce quelque chose d’un peu arlésien, Picasso aurait aimé le vibrant contraste…

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Avril

La corne du Cervin est un témoignage de l’Afrique qui s’engouffre au cœur de l’Europe, des millions de millions avant…

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Pâques

Dans les premiers temps de l’amour les défauts d’un homme se perçoivent comme des qualités, vers la fin, même les qualités deviennent des faiblesses.

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A Noël, nous avions un plein beau soleil, nous allions vers les Hauts de Cagnes, sans chaleur, désertique. Aujourd’hui, c’est Pâques au tison, puisque la pluie tombe ; les oiseaux chantent mezzo voce… K  m’envoie des extraits, les plus tristes de mes poésies 2015, de janvier, ceux de la fin de notre relation, où il est question d’oublier. Comme un appel et un refus de l’oubli… je ne sortirais pas. Les branches véhémentes des arbres, depuis la fenêtre, tendent des bras qui se nouent comme des cœurs en éveil.

……………………………. Malgré la menace d’une vengeance à cros de boucher, (c’est de plus en plus une modalité dans les mœurs politiques d’aujourd’hui), Dominique de Villepin a réalisé le texte et l’étude d’un Zao Wou Ki superlatif, ce que ne saurait se rendre capable, dans sa grande ignorance, l’auteur de la phrase de menace….

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11 Avril

Giono écrivait la plume entre deux doigts –index et majeur, sur le poing fermé comme on calligraphie…

En politique, François I, Charles Quint ; « Je t’aime » c’est « J’aime ce que tu as » (dans le Désastre de Pavie)

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Notre ami Michel Fourrier, de la Dégustation, est mort hier. Il s’est pendu… Il me restera de lui, puisque je devais les lui rendre, un recueil de Nouvelles, « Comment voyager avec un saumon » de Umberto Eco, un beau livre sur l’Atlantide, « Mu »,  et un périodique sur la poésie, maintenant rare, de la « Voix des autres ». Il laisse derrière lui une petite fille de quelques mois.

Dans une des Nouvelles d’Eco, je retiens « Comment répondre à la question  Comment ça va ? », entre autres réponses d’Icare, Dante, Shakespeare, Noé, Gorgias, Démosthène etc. la réponse de Lucifer : « ça va Dieu sait comment »…Une pensée qui ira vers Michel.

Et puis, que n’ai-je fait pour lui faire entendre « la Nuit Transfigurée » ; on s’en amusait  …C’était un jeu entre nous que de parler de Schoenberg…

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15 Avril

Pâques en général c’est un peu Paris-Roubaix. Et au- delà, dans ces lieux, ce cœur, (une sorte de Calvaire le jour de l’épreuve…) ces entrailles de la tranchée d’Arenberg, cette désolation que j’imagine avec Papa, le dimanche peut-être, si cela avait été possible, de cheminer à pas d’homme, dans ces forêts maigres, aux arbres encore frissonnant de l’hiver pas encore mort, sans parler, doucement, vivants de ces ciels bas et comme avec la maigreur de la saison, le long des cheminements de boyaux de pavés, avec pour seules brisures, ces talus sous le pas, ces bordures, découpant ces longues et interminables plaines d’herbes vertes sur la route des méditations matinales, des paroles non dites, et de la solitude solaire.

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Je viens de terminer une série d’enluminures qui servira à illustrer le début de chaque mois poétique ou le Carnet à chaque début d’année.

 La fille de Laurence a semé dans notre petit jardin. Cette année, il y aura un citronnier supplémentaire, des fleurs grimpantes, des tomates de Crimée, des courgettes et toujours beaucoup de basilic, de persil et des herbes de Provence. En fermant les yeux, je suis dans le Vaucluse…

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 Nous ne savons pas même ce qui a été décidé après la mort de Michel…

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J’ai  récupéré le livre d’or de la Dégustation, initié par Denis. Michel avait été un des premiers à y inscrire quelques vers généreux, il est un des rares à avoir lu des textes de moi à la Cave Romagnan. Les Leçons de ténèbres… il les gardait avec lui.

18 Avril

Anne–Marie Peysson est morte. Nous l’avions bien oubliée… On apprend la nouvelle comme en incise, entre deux nouvelles plus lourdes. Elle était sur l’écran de nos adolescences, entre Zorro, Thierry la Fronde, les Rois Maudits et les débats naissants, « Cinq colonnes à la une ». Elle fut veuve assez jeune, son mari disparut dans un crash aérien ; nous l’avions tellement oublié.

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Barbarin a fait mon interview ce matin, dans un bistro près de Notre-Dame. Il faisait gris. Nous avons parlé de la création des « vitraux », de peinture numérique et d’abstraction lyrique. Ce quartier est décidément en voie de paupérisation totale.

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Pierre Boulez encore, son anniversaire ne passe pas inaperçu ; il aura décidement tout réussi dans sa vie, sauf peut-être de n’avoir jamais composé d’opéra. Mais il a si bien écrit pour la voix. Il demeure le dernier de la génération 1925 (avec Ivo Malec). Les images le montrent serein, dans son environnement de Lucerne, sur les hauteurs où on aperçoit le lac ; la maison est sur plusieurs niveaux, au milieu de sapins gigantesques, d’essences rares, d’oiseaux, là où sa musique peux s’élever et rivaliser hors du temps. Il a aussi reçu la distinction japonaise la plus haute, le Kyoto Prize.

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Je rêve de partir en un lieu isolé, pétrifié, rien que pour lire des nouvelles, celles que j’entasse depuis quelques temps, dans une série de volumes qui ne dépassent jamais les quatre vingt pages, et qu’il faudra bien lire. Il y a des Flaubert, Pavese, Caillois, des contes japonais, des histoires asiatiques, Eco, Erri de Luca, et même un récit peu connu de Proust, une histoire de diamantaire, l’affaire Lemoine. J’aimerais déjà sortir de cette année douloureuse.

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40 jours comme le temps du Déluge

40 jours comme le Christ au désert

40 jours du 23 octobre au 2 décembre  de l’an dernier…

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Richard Anthony aussi est parti ; 77 ans. « Et j’entends siffler le train… »

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A  la Dégustation, des nouveaux, comme Jean-François Corrieri qui aime le théâtre, des figures nouvelles, d’autres qu’on ne voit plus ; toujours ces micros évènements qui régissent le croisement des humains autour d’un axe fixe, sans qu’on sache la profondeur qui fait que l’attraction fonctionne ou non. Barbarin est passé ce matin, avec un peu plus de voix et d’enthousiasme, il me parle de Dumontet qui serait mal en point…

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27 Avril

Peut-être n’aurais-je plus besoin de voyager, de prendre cette ivresse d’un avenir qu’on veut maîtriser jusqu’à le précéder. Je relirais ce qui se dit dans « Colline », « Le Serpent d’Etoiles » ; comment ne pas aimer Avril ? Il y a dans Giono une hauteur d’aigle qui transperce comme la lumière sur les oliveraies de l’Antique. Je vais commencer « Le Bonheur Fou ».

Je vis ce printemps d’avril comme dans une convalescence lente, hantée…

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28 Avril

De très lourds nuages sur le Baou de St Jeannet, et la perspective au premier plan de St Paul ; le soleil frappe sur nos végétaux, sur la forêt des Hameaux, je compose une soupe colombienne de manioc, de banane plantin et de coriandre. La lumière est infinie, les nuages en fin d’après-midi découpent le décor.

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Katmandou a tremblé très fort; ville de couleurs, avec comme des étagements de gâteaux roses et verts. Des temples sont détruits, une nouvelle mort de ce bout du monde qui nous attirait, fin des années soixante, au pied des Everest de l’esprit.

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1 Mai

 Envoyé à K :

je t‘envoie 40 petits grelots de muguet pour qu’ils t’embrassent…

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« Prélude de Pan » commence comme ça : « Ceci arriva le 4 de septembre, l’an de ces gros orages, cet an où il y eut du malheur pour tous sur notre terre »…

…la flûte, c’est le nez « du milieu du front, s’élargissant aux narines jusqu’à la bouche », le souffle, l’ordre et les désordres des mouvements de la nature, de la danse à l’orgie, du vent… Ce « prélude » fait étrangement penser au « Parfum » de Patrick Süsskind dans la bacchanale de la grande scène de séduction collective dans ce village de Provence où le maître de l’olfactif, comme Pan, mène le bal des tragiques transformations, et aux boulversements du vivant, venant/venu d’un jeteur de dé sur nos certitudes catégorielles. Le parfum, étant la séduction des anges, et le souffle du vent, la force et la férocité tsunamique des dieux, de la métamorphose, du chaos.

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Santa Capellina sous les nuages ; deux origines païennes de cette fête : elle se situe toujours le 1 Mai, à Roba Capeu, ce qui signifie déjà une explication qui se suffirait, « envole chapeau », la fête du chapeau, l’endroit étant , en effet, le couloir le plus venté du bord de mer ; l’autre origine étant que les vieilles filles s’endimanchaient ce jour là, et faisaient savoir en mettant leurs plus beaux vêtements, dont une coiffe très voyante, qu’elles étaient à marier. Les heureuses élues se voyaient probablement dérober symboliquement leur chapeau, promesse de ce qu’elles avaient de plus précieux à offrir…Deux, trois cent personnes peut-être aujourd’hui; la soupe de poissons, excellente cette année, avec des crabes vivants, (si nous n’avons pas attrapé de virus, du moins nous sommes sûrs d’avoir mangé sain…)  des fenouils en grand nombre, de l’anis, des tomates, de l’ail, un bon demi litre de pastis, et toutes les variétés possibles de poissons de mer. Nous nous sommes bien amusés à la préparation ; les chapeaux des belles sont toujours aussi surprenants de créativité. Et par un étrange paradoxe, les femmes qui participent à cette fête aujourd’hui sont rarement à marier… Nous n’avons pas manqué de vin de Cahors ; les danses de folklore ont duré longtemps, les photos hautes en couleurs, grâce à quelques retouches, contrastent avec la grisaille métallique du ciel, la pluie nous a bruiné un bon moment, avant de cingler plus fort en milieu d’après-midi, où je rentre trempé et triste, à l’image de cette saison, radieuse l’an passé à même date, pleine de promesses, houleuse aujourd’hui.

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2 Mai

Texto de Bernard : il arrive de Grenoble, où Mickey l’a rejoint ; ils descendent des Alpes en moto. Je ne tarderai pas à le voir.

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NOUVELLE 5

 

Il était venu on ne savait comment. Mais c’est venu un matin de tristesse. De gros nuages comme des pommes géantes, noircies d’impatience, arrivaient. Les bulbes d’orchidées naissaient, danseuses, de toute la grâce pourpre des naissances, avant les tragédies de l’eau. Les flamands, roses et blancs, flammes et oriflammes à la proue des voyages, connaissaient l’instinct des chemins.

Il était venu on ne sait comment.

Frappant aux portes, cognant la nuit. Il inspirait cette crainte qu’on ressent comme une brûlure de certitude, cette fatalité d’une nécessité.

Il venait en fait comme un invité qu’on s’attend à voir venir. Ce qu’on ne pouvait jamais évaluer c’était la force de sa main qui écrase, de sa poitrine de forge à la voix âcre, à laquelle on ne peut qu’accorder sa voix.

Ce matin-là, était-ce peut-être à la lisière de la nuit finissante, les nuages crevèrent la purulence des vieilles nausées du ciel.

Alors le monde prit cette couleur de la douleur qui respire, tapie dans le creux des failles comme autant de volutes s’extirpant d’immémoriales carcérations.

Il était venu.

Et le monde était une sorte de halètement large et violet, fait de houle dans la bigarrure du temps.

Quand je lui ai parlé de ce matin de poix noire, de ces voilures comme des draps de ciel qui étaient autant d’angoisse que chacun pouvait entendre le silence de ce rideau de jour qui montait, elle me dit :

 

“ -plus rien demain ne sera pareil”

 

Les quarante jours qui suivirent ce fut la pluie. Lourde, mortelle.

Des déracinements, des coeurs qui s’entrechoquaient, cassant l’écorce vive des certitudes, étaient venus s’abattre.

Il se vivait comme une apocalypse d’eau, là-même où le ciel n’en était pas habituellement prodigue.

 

“-Plus rien ne sera demain pareil”.

 

Il était là, comme un maître des désastres qui s’invitait, invisible et terriblement mouvant.

 

Durant ces quarante jours les habitants des bords de mer restaient aux aguets, les vagues léchant tous les littoraux du pays, avec une ampleur rarement rencontrée. Même les habitations qui se trouvaient très loin de la mer ne laissaient apparaître que des volets clos, un  mélange d’humidité, de sel et de sable brûlait la peau de ceux qui s’aventuraient plus que de raison dans ces engouffrements de vent hululant dès le soir tombé. Les nuits étaient sans étoiles, et la solitude des villages, si elle avait pu être perçue par un improbable promeneur, semblait faite de nuits repliées de mort et de fantômes.

 

Et maintenant la terre est prise de jaunisse; son manteau craquèle comme une peau de vieille fille. Après quarante jours, les cataractes du ciel ont saturé ce monde sans l’épuiser. Dans les méandres de la géologie, l’eau avait saisi les failles de sous terre, et pareille aux serpents, s’évanouissait aux tréfonds des veines accueillantes de celle-ci. La soudaineté du repli de ces gigantesques désordres contrastait avec le trop plein de leur bouillonnement. La peau des arbres présentait des cicatrices d’aridité, et les branches ouvraient leurs plaies sur le ciel comme de petites mains maladives et sans force, en une manière de calcination. Le lit des rivières, à l’assise grave dans leurs débits, pleins et réguliers, en une polyphonie large, trainait douloureusement un maigre filet aigu et argentin, un frisotis grêle se mêlant aux herbes, comme si un été prolongé avait assoiffé son cours. L’eau des cascades qui jaillissait en gerbes perdit rapidement de la voix, et pareil au lit des rivières, comme un corps mort qui tente désespéremment de s’accrocher en glissant inexorablement dans sa chute, léchait la pierre, lentement, et presque en silence.

Le monde était aujourd’hui une pellicule fragile. Ce qui finit de nous alarmer, ce furent les bulletins météo. Un commentaire particulièrement étonnant nous apprit qu’en peu de temps, peut-être deux ou trois hivers, les neiges du Kilimandjaro ont perdu leur blanc manteau. Et on pouvait voir sur les écrans, un méchant cône , tout noir, comme un radis de Silvacane, torturé et posé sur sa savane, avec les arbres à singes et la terre rabougrie, les buissons et les épineux maigres, ce qui donnaient un portrait de désolation de cette contrée de chasse , de paradis d’avant la venue des humains, où rien n’avait bougé d’un pouce, ni les éléphants,  ni les panthères, ni les vautours et les hippopotames, les flamands et les hérons, les nuées d’oiseaux à la fin du jour, et toute cette paix du paysage avec la montagne sereine posée  là depuis toujours, avec la coulée blanche de sa note aigue de neige inviolable. Au moins, pensa-t-on chez les météorologues, nous pourrons enfin retrouver l’homme qui dormait sous les neiges du Kilimandjaro. L’élan de curiosité passé, il fallut admettre que la forme des choses et les décors habituels subissaient une mutation aussi rapide qu’inattendue. Et pour les humains de ce temps là, une nuit de servitude.

 

Les sables semblaient gagner des territoires à l’intérieur des terres.  Et à d’autres endroits, les populations inquiètes se préoccupaient de mesurer les bandes de sables qui s’étendaient auparavant très loin vers l’horizon. Longtemps avant, les marées qui descendaient rendaient les formes humaines à l’état de fourmi, tant la mer s’éloignait, et laissait les hommes ramasser les crabes et les coquillages, les algues odorantes tapissant le fond des paniers. Les pêcheurs revenaient de très loin avec le parfum de la mer qui remue, comme si ses entrailles lâchaient le secret de l’origine de la vie, mêlée aux cris rauques et gutturaux des goélands.

Et puis, il avait bien fallu se rendre à l’évidence. Les hommes n’allaient plus vers ces horizons qui se perdaient avec le ciel, dans les gris de perle, mêlés du ciel et de la mer. Les nuages à l’horizon venaient presque buter les rivages dans des entrelacs de cotons lourds et torsadés, le lait des ciels pouvait se toucher du bout des doigts, et les landes sableuses s’amoindrire. La mer avançait en léchant toujours plus loin son glissando de marée montante.

Comme pour les évolutions sociales, certains voyaient là un signe de changement du monde, d’autres, un caprice de la nature avant le retour à la norme. 

 

« L’homme du Kilimandjaro sera demain un peu comme Lucy, un repère… »

 

…Et puis une fois, un oiseau a frappé un cri dans la nuit ; c’était le début de la norme, des millions d’années avant, balayant le mutisme et le silence nocturne. L’oiseau inventait le monde diurne, la cantate des volières s’en vint à déchirer la lisière du jour. La norme, au départ, est un acte scandaleux, révolutionnaire. Eve et le fruit défendu, il a suffi d’une première fois ; le péché, on ne s’en est pas dépétré depuis. L’invention du temps, pareil ;  il suit son cours, la trajectoire toute lisse sans qu’on s’en offusque aujourd’hui. Et la disparition des mammouths, le ventre plein de feuilles de bananier, quelque part vers la Sibérie, les dinosaures devenus mille fois plus petits, et mille fois plus agiles petits lézards…parce que la norme va aussi dans le sens des choses qui apparaissent, surgissantes, mais aussi de celles qu’on s’habitue à ne plus voir, de celles qui se volatilisent, le coup du bonneteau… La norme c’est la rupture initiale qui pénètre dans le cœur des choses, et qui s’installe, une fois passée la stupeur. Et la première mort humaine ? On a du attendre longtemps qu’elle s’extirpe du sommeil, on a du sacrémment secouer le bonhomme, on a cru tout d’abord à une blague, à un sommeil tenace et bien imité…

 

La nouveauté aujourd’hui, c’était ce Kilimandjaro tout noir, ces glaciers qui perdaient leur croûte, comme mus par une sorte de démangeaison estivale, avec un fracas théophanique épouvantable, du Xenakis sur les banquises bleues, les ours blancs un peu consternés de tant d’agitation, de dérives intempestives. Nous en venions à penser que décidémment, rien ne sera jamais plus comme avant.

Les météorologues encore, en venait à mesurer le débit de l’eau dans les rivières, les sables qui gagnaient à d’autres endroits, les champs devenus chauves. Les météorologues mesuraient, analysaient. Les nuages avaient perdu la densité de chou-fleur qu’on leur connaissait sur la toile uniforme de l’azur, la sérénité de leur masse compacte s’était comme éffilochée en un voile sans épaisseur, dilué dans le ciel, rendant flou et brumeux le disque solaire.

 

Il y avait non loin du rivage, à peu de lieues, mais aujourd’hui cela nous paraît bien loin, une sculpture de granit érigée par un solitaire. Elle émergeait au gré des marées, et disparaissait dans son rythme de va et vient, comme la ville de la légende d’Ys. Elle jouait , dans l’imagination des habitants, le rôle d’un phare imaginaire, une borne avant l’aventure des grands larges. Aujourd’hui, on ne la voit plus guère. Petite sirène sur son rocher, elle a rejoint les profondeurs.

 

Les flamands, roses et blancs, ne revenaient plus sur ces chemins de l’instinct, les routes avaient dévié, les camargues, comme la sirène, rejoindraient les eaux basses sur des milliers d’hectares, avec les orchidées, les espèces florales ancestrales, et les algues des lagunes, n’apparaîtraient que sur le miroir à peine ridé de la surface. Des maisons disparaîtraient sous les flots comme les villages du Verdon avaient cédé la place à une petite mer intérieure, fantômes. La cathédrale de Chartres se verrait bientôt, dans son nouveau pittoresque, sur des cartes postales à venir, entourée de ces flamands blancs et roses qui avaient dévié, de palmiers géants et de cocotiers qui s’accommodaient des températures ; on y proposait déjà des régimes de bananes aux lieux même où s’étendait à l’infini, l’immense mer des blés.

La nouvelle norme, le bouleversement de la nouvelle norme, indéfinissable encore, avançait.

Comme autrefois pour les lézards préhistoriques, le monde se métamorphosait, rendait ses anciens oripeaux. Nous mesurions la surface des mers, les météorologues n’en doutaient plus, les pluies, contenues dans les pommes grossies du ciel, déverseraient encore leurs nausées infinies.

Et l’on vit son visage.

Et sur tout son empire, de son trident luisant de mort, ses cheveux  de varechs et sa cuirasse d’écailles, lentement et monumental, il se dressait.

 

 

 Début Mai

 

L’arbre que je photographie est, sans que je l’aie voulu initialement, comme celui de Mondrian…. il connait les mêmes  métamorphoses successives, jusqu’à s’extraire abstraitement de son existence d’origine, et donner naissance à  d’infinies variations chromatiques qui pourraient se décliner sans fin.

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Paris est grise. Je n’y vais plus depuis tant d’années; de ce gris qui sature qui est la couleur du désuni. Nous pourrions y mourir plus, sous des ciels sans coeurs.

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Bernard est venu, en trombe. Cette fois il ne reste  que peu à Nice. Nous avons déjeuné à la “Mama”, Place de la Tour, nous prélassant longtemps à l’ombre des grands pins, à grands coups de verres de vin noir…

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On a dit le Gerbier de Jonc comme source de la Loire. Plusieurs d’entre elles, à quelques  15 kilomètres nourrissent aussi cette origine. Souvent deux mètres d’épaisseur pour les maisons qui bordent leurs rives, et ce, depuis le 14° siècle. Et la lutte entre le tuffeau et le feu volcanique, le Colorado de la Haute Loire qui creuse le calcaire. J’ai souvenir des méandres calmes et ridés à St Benoit-sur-Loire (Fleury), où le cours paresseux du fleuve réserve des plages sablonneuses, jalonnées de parterre de roseaux. Les chapiteaux de l’abbaye, ceux du porche notamment, paraissent aussi durs à la découpe du ciseau médiéval, que le granit breton. Et le tuffeau est si tendre pourtant.

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14 Mai

 

“Roi, c’est beau. De France, c’est mieux…” (Le Désastre de Pavie)

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L’Atacama… ce qu’il y a de plus proche de Mars. Un petit coin d’enfer, comme déjà hors de notre monde. Lors de notre voyage au Chili, Francis et moi avons longtemps hésité entre la partie Nord du pays, et celle du Sud. L’attrait des volcans de la région du Villarica nous a séduits, puis le nord de la Patagonie avec l’île de Chiloé et ses froidures aux petits matins. L’Isla Negra aux abords de Valparaiso étant une fin de voyage en soi….

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Dans la Drôme provençale, je regardais Mirmande. Un de ces villages qui mérite cette appellation, si généreusement et justement méritée en France, de plus beaux villages de l’hexagone. Il n’y a pas si longtemps, il aurait pu mourir; la légende veut que si André Lhote n’était tombé en panne d’essence à proximité, le village n’aurait pas connu cette extraordinaire résurrection au coeur de la Drôme. Bien des célébrités parisiennes y vécurent ou y séjournèrent, comme Régis Debray et Costa-Gavras, comme beaucoup d’autres ont choisi le Lubéron, ou André Breton Saint Cirq la Popie. Paris pour la vie publique et le coeur de la France pour la vie tout court…

Dans cette Drôme aussi, la Garde-Adhémar, dont l’église, dans sa simplicité, présente la rare merveille  d’une abside occidentale, et dans la mousse, à l’ombre et au silence, à quelques distances, le Val des Nymphes, ruine épousant l’ombragement des lieux, où un serpent sortait sensuellement et lentement de la pierre, comme mise en scène d’un tableau de Poussin.

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18 Mai

 

Tristesse. Le disque dur de l’ordi a cassé hier. J’espère récupérer les écrits que je n’avais malheureusement pas sauvegardés depuis le départ de Cécilia  en février…. Le Grand Baou participe de cette grisaille du coeur et de celle des paysages à l’horizon. J’écoute le Magnificat de Penderecki, de 73. Il n’a pas vieilli, grand, gothique.

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Mai arrive maintenant à son point enchanteur de lumière, dans la douceur; ce sont quelques jours comme pour les coquelicots, un équilibre qui n’appartient qu’à ce peu de journées parfaites de printemps. L’ombre même y caresse la peau, et le vin rouge à la terrasse…

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21 Mai

 

Je retrouve “ La Vérité sur la vie du Douanier Rousseau” d’Henry Certigny, comme sorti de la poussière. Livre rare, polémique et classique. C’est en allant au Musée Jakovsky, à la villa Coty, à la fin de l’été dernier, où les végétaux m’avaient semblé regorger de leur pleine maturité que je me suis décidé de retrouver le volume sur la biographie du Douanier. Un livre de la veine du Mallarmé de Henry Mondor.

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Chateaubriand a écrit justement, citant Bossuet, sur la vanité d’entraver le chemin inexorable de la mort,  de ceux, comme des pharaons, qui voudraient habiller et même habiter cette mort et y survivre d’une certaine manière, ce presque oximore : …”pour jouir du sépulcre”…

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Wang Chong, “ De la Mort “ ; les esprits subtils montent vers le ciel, tandis que les os retournent à la terre. Il vécut entre 27 et 97 après J.C. Mais quel  autre point commun avec ce que nous disons sur la mort, de la séparation du corps et de l’esprit ? Peut-être, comme nous, d’ignorer la réincarnation.

 

Depuis ce début Mai, et pour quelque peu de temps encore, les coquelicots tapissent les prairies, les bas-côtés près des Hameaux, peut-être les collines où nous n’allons pas… Ils sont, comme avec la nuit, ces autres papillons mouchetant qui se jettent, avec pour toute frénésie, quelques battements d’ailes, éphémères d’un jour, de quelques heures, et pour les fleurs, au vent frissonnant, de couleurs sublimes, qui iront rarement jusqu’en Juin.

Dans l’allée des Hameaux, aujourd’hui, les iris aussi… Mai, le mois de Van Gogh… de la rue Trachel aussi, qui paraît si loin maintenant.

 

22 Mai

 

La nuit du parking des anges, c’est loin…Aujourd’hui, je cherche l’ombre de mes affections.

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Pourra-t-on sauver Palmyre ? Va-t-on même voler les ruines d’un temps de civilisation qui n’en est plus qu’un miroir  fragile ? Palmyre à la croisée des chemins de deux empires, la Perse et Byzance… L’Homme de maintenant se déconstruit.

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C’est le temps de Faulkner depuis quelques jours; des nouvelles, Coucher de soleil, Jalousie, le royaume des cieux, et puis grand format, Lumière d’Août qui m’était tombé des mains en 74… De noirceur pétrifiante, comme ce Sud des Etats-Unis.

Cette fin Mai à la terrasse, quelle plus belle lumière ? Pour y trôner, sentir tous ces fantômes qui disparaissent et ceux qui pourraient revenir; Et les morts aussi…

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23 Mai

 

Le Colorado se meurt pour les piscines privées sur plusieurs  Etats américains, et pour les fontaines de Las Vegas

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Comment dire qu’après Auschwitz il n’y a plus de ciel, qu’il ne peut plus y avoir de poésie ?? 

Et l’Eternel retour de tout ce qui a jamais été un jour ?

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Juin

 

Des lieder de Richard Strauss à la radio… Je pensais entendre une réplique de Gerhard Husch ou de Charles Panzera. Puis Les Chansons Madécasses… Il s’agissait bien de la synthèse des deux mélodistes stylistes des années 30, Stéphane Degout.

Le Pélléas de ce début de siècle.

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Pélléas et Mélisande, il y a quarante ans, sous le ciel de la mansarde de la rue Dante,  je découvrais le trésor lyrique qui ne m’aura jamais quitté. Chaque soir, dans la nuit, sous les étoiles ou sous la pluie, dans l’obscurité, avec Danièle Prost, nous en écoutions un acte, avant de sombrer dans le sommeil, à l’image de ces harmonies sombres et ténébreuses  qui conviennent si bien à la nuit onirique;  ainsi, durant toute cette année 1975. L’enregistrement de Roger Désormière y a, depuis toujours, culminé au panthéon des interprétations. Jacques Jansen, le Pélléas idéal disait lors d’une entrevue à Opéra International : “… trouver un bon Pélléas, c’est possible, une Mélisande qui s’y accorde est chose rare, avec un  bon Golaud en plus, cela devient exceptionnel. Mais si on a un immense Arkel, (il s’agit ici de Paul Cabanel), on assiste à un miracle ! “

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4 Juin

 

Est-ce le bout du chemin qui se profile qui me rend proche de mon jardin, des concombres  et des fraises qui poussent si vite, des fleurs, elles aussi, qui, comme des signes de la vie, s’épanouissent en flambée, surtout en Mars, Avril et Mai, avant de marquer un temps de repli , et comme une forme de silence avec la terre chaude de Juin, ou comme les oiseaux, après avoir chanté au réveil, posent un silence, avant les cris qui indiquent la grande migration du jour, ces fleurs qui disparaissent aussi en une nuit, avec la senteur des herbes qui rappellent que l’essence de leur existence est un règne de l’éphémère ? Les géorgiques de l’humain se situent—elles  dans des automnes mûris de la vie ?

 

7 Juin

 

Certains anniversaires ne sont fêtés que pour soi même. Ce sont évidemment les plus secrets, et se sitent aux antipodes de tous les fastes habituels; ce sont des anniversaires du coeur, et ceux de la solitude, mais d’une solitude douce de la mémoire, comme une musique de chambre que l’on fait émerger dans le silence, pour soi même, comme une jubilation. 7 Juin 1969. Stéphane a disparu aujourd’hui, témoin de ce jour là, Josiane Roche aussi (je la souhaite vivante !), mais aucun des deux n’aurait eu le souvenir de ce matin si poignant où, sur les galets de la plage des Voiliers, j’abordais Jo, pour cet été de la métamorphose. Les rues étaient dans l’ombre des platanes  et le long des boulevards, je remontais avec elle, silencieux, criblés de la lumière de mon exultation intérieure.

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Ornette Colemean, mort lui aussi… ce vieux jazz…

 

Glenn Gould aimait le gris, je le comprend mieux aujourd’hui, devant le spectacle de ces nuances pâles quand elles se fondent  aux multiples dégradés des verts avant l’orage et dans le mouillé de ses végétaux après la dissipation des pluies. Depuis les rideaux de la fenêtre, ce théâtre chromatique, sans avoir l’insolence des plénitudes de l’azur, travaille une profondeur que ne peuvent saisir que les solitaires. J’aime moins Gould dans ses aberrations de jugement concernant la musique française.

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19 Juin

 

Notre connaissance des astres, de la matière, de l’univers, dans chaque supplément de savoir, nous fait comprendre que ces connaissances ne sont pas forcémment en lieu et place d’un progrès de savoir qui s’ajouterait à un autre progrès, mais une distorsion de la connaissance elle-même. Elle n’a aucune assise linéaire. Nous sommes dans l’obscurité théorique.

Nous ignorons 95% des composants de l’univers (matière noire 28%, et 72% de l’énergie nous est inconnue, 5% seulement relevant des atomes). On peut continuer de poser cette triple question, D’où venons nous, qui sommes nous, où allons nous ?

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20 Juin

 

Ecrire est comme un labour, une trace fertile, ou un sillon.

 

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“ma conception de la poésie c’est l’art de rêver “. Charles Trenet.

Si, dans l’emportement et l’affirmation d’une certaine puissance, Brel  est Beethoven, Trenet est Mozart, et même le Mozart des grands adagios…

 

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De très belles images. Les danses de ces femmes Edé, femmes des hauts plateaux du Viet-Nam, en cercle, lentement, en mouvements de bras de la plus naturelle sensualité, au soleil couchant…

 

les oiseaux dans le ciel

les poissons dans la mer

les Edé dans la montagnes sans jamais la quitter

 

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Cathy me hait (mais me hait-elle vraiment ?) comme elle m’a aimé. Intensément…

 

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22 Juin

 

Parmi les enregistrements légendaires des concertos de Beethoven, comment départager, soustraire au jugement universel, les 4° et 5° par Gieseking/Karajan et Fischer/Furtwangler ? Peut-être Kempff/Van Kampen (et Berlin) parce qu’ils ont enregistré les cinq… il me vient à l’esprit que parmi les plus beaux et les plus grands témoignages que la musique a pu nous léguer, il se trouve aussi le Chant de la Terre de Kathleen Ferrier et Bruno Walter, 1952. Horenstein et la 3° de Mahler avec le LSO, le Pélléas et Mélisande de Désormière, enregistré à Paris, sous l’Occupation en 41, quelques Wagner avec Lauritz Melchior, Lotte Lehmann, Hans Hotter et Friederich Schorr, Flagstad… Ce pur quintette à deux violoncelles de Schubert par les Vegh et Casals. Le quatuor Busch, de Fritz et Adolf Busch, dans les années 50, et d’incomparables derniers quatuors de Beethoven. Le piano, intégrale de Gieseking pour Debussy, Marcelle Meyer, pour les Préludes… Toujours pour Debussy, la Mer par Celibidache, en 92 avec Munich, en public, qui remettait toute l’ancienne discographie en cause. Samson François avec Cluytens dans les deux concertos de Ravel, Perlemutter aussi.  Glenn Gould et les Variations Goldberg, la version 1981, la définitive, juste avant qu’il nous quitte. Cortot et Chopin, près de cent ans après, gravé pour toujours, pour toutes les générations… Deller dans la troisième Leçon de Ténèbres de Couperin, qui m’a révélé le Baroque, puis l’Orfeo  de Jurgen Jurgens… Et Mravinsky, et Jochum, et Karel Ancerl… Mais je commence à rêver, et je ne saurais être exhaustif ; je risque de devenir injuste, et tout ceci ressemble à un inventaire qui perdrait une grande partie de son précieux mobilier… Mais encore,  que ne donnerait-on pour avoir le Tristan de 1939, avec Germaine Lubin et Max Lorenz dirigé par Sabata ? Il n’en reste aucun témoignage, pas une seule mesure.   Et ce n’est pas faute d’archiver à Bayreuth. Nous avons le tout premier Tristan de l’Age d’Or, en 1928, chaque acte, de chaque ouvrage lyrique faisant l’objet de minutages précis et d’analyses statistiques; on peut observer, par exemple, que Boulez, qu’on avait critiqué quand Wieland Wagner l’avait choisi, dirige son Parsifal de 1966 sur un tempo très proche de Hermann Lévi, créateur de l’oeuvre, que Knappertsbusch est, à l’opposé, infiniment plus lent. Mais de ce Bayreuth 39, du 3 septembre, rien. Un monde ancien disparaissait. Comme si on se devait de ne plus rien conserver de ce temps qui allait tout changer définitivement.  De Sabata, parait-il, avait demandé à Lubin de multiplier les pianissimi dans les aigus, qu’il ponctuait , dos au public, de baisers qu’il envoyait en remerciments, à la cantatrice. Et elle ne faisait que des pianissimi…. Comme avec les 4 derniers lieder de Strauss, 1944, un monde ancien disparaissait.

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24 Juin

 

Cette nuit de tristesse, loin de Pâques. L’eau sur les plantes du jardin donne la fraîcheur dans ces nuits de canicule. Résonnent les Ténèbres de Michel-Richard de Lalande. Un des sommets du baroque doloriste avec les « Leçons » de Couperin. Dans des vallées de larmes, de rectitude spirituelle et d’encolure noire, « Jerusalem convertere ad Dominum meum tuum »… Grandioses paroles sous les volutes de cette petite flamme dans la ténèbre…

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Encore une poignée de ces villages à la venue de l’été. Très belle sélection encore cette année… Centuri, Corse, Mussy-sur-Seine, Champagne-Ardenne, Lods dans le Doubs, Lyons la Fôret, Normandie, Fenetrange, Lorraine, Saint Nectaire, Auvergne, Trentemoult, val de Loire, Saint Ceneri-le- Gerei, Normandie, Solutre-Poully, Bourgogne,Tourtour, Var,  Ars en Ré, Poitou, Saint Emilion, Aquitaine, Moutier d’Ahun, Limousin, Ault, Picardie, Ferrette, Alsace, Castelnou, Roussillon, Bonneval sur Arc, Alpes, Terdeghem, Nord, pas de Calais, Barbizon, Ile de France, Saint Antonin Noble Val, Pyrénnées, Montrésor, Touraine, et Ploumanac’h, Bretagne, élu de l’année…

 

La sensiblilité japonaise peut parfois se débrailler. L’empereur Hiro Hito disait :

« S’il faut sortir du pays et voir une curiosité dans le monde, c’est Barbizon »…

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25 Juin

 

Pourquoi tant de pommes dans l’œuvre de Cézanne ? L’homme aimait la solitude des chemins de la Sainte Victoire, la paix des paysages de Provence, comme ceux d’Ile de France. Sa rugosité de caractère le menait naturellement à préférer les pommes comme modèles que l’agitation des humains. Cette explication vient bien sûr à l’esprit quand on pense à ces beaux équilibres dans le silence de l’atelier, entre la table, les fleurs, les vases et les pommes qui jalonnent son catalogue. Il est une autre explication, plus réellement attaché à l’enfance. Il a connu Zola très tôt à Aix, et celui-ci était souvent l’objet de moqueries ou de provocations physiques de la part de ses camarades. Plusieurs fois, Cézanne, plus rude et plus à même de répondre à ces attaques, l’a défendu. Une longue amitié a du naître dans ces cours de récréation de l’enfance, et Zola, pour remercier son protecteur ne manquait pas de lui amener des pommes du jardin familial…

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Raoul et Jean Dufy, frères en peinture. C’est le titre d’une exposition qui réunit, et c’est assez rare, les œuvres des deux frères qui naissent à un an d’intervalle, à la fin du XIX°. Œuvres jumelles, où il y a du Raoul dans celles de Jean, sans que la personnalité du cadet n’en souffre. Le trait est souvent très acéré, le souci de la minutie et du détail, plus marqué, la composition parfaite, quand l’art de l’ellipse, du raccourci et de l’épure, plus présent dans les œuvres de l’aîné. J’aurai peut-être une préférence pour la peinture de Jean Dufy, que je ne connaissais pas. Chez l’un comme l’autre, l’attraction de Matisse, de la lumière fauve, n’est jamais absente.

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27 Juin

 

Commencent aujourd’hui les commémorations du Centenaire du Conservatoire de Nice. Nous y avons travaillé tous ces derniers mois, dans l’urgence, la contradiction et un état mental assez proche de la dépression. Aujourd’hui donc, l’inauguration débutera par un défilé de voitures anciennes, dont une Rolls ayant appartenue à Coco Chanel ( ?), plus quelques autres beaux specimens des années trente et cinquante, deux belles Hotchkiss et deux Delage d’exception. De belles dames descendront devant le parvis d’entrée, saluées au tapis rouge par un ensemble de cuivres, celui des pompiers ! (si toutefois le protocole n’est pas encore modifié en dernière minute). Suivra l’hymne composé pour l’occasion par Jean-Louis Luzignant, puis la chaîne des pianistes, anciennes gloires internationales, et celles actuelles, jusqu’à la benjamine de quatre ans qui se produira ensuite à quatre mains avec un glorieux aîné… dans l’après-midi j’irai prendre Marie-Josèphe Jude à l’aéroport. Elle jouera dans les concertos pour trois et quatre pianos de  Bach, avec Gabriel Tacchino et Philippe Bianconi, tous anciens du Conservatoire. J’ai eu la responsabilité de la diffusion sur les écrans de l’auditorium, et dans le grand hall, de toute l’iconographie qui accompagne ces festivités durant les dix journées et nuits qui vont venir. Un hommage particulier sera donné à Pierre Cochereau lors de la soirée consacrée à l’orgue. Par contre, Samson François sera à peine évoqué aujourd’hui.

 

Le défilé de voitures anciennes a été très réussi. Une Delage des années trente pour commencer, deux Hotchkiss superbes, comme promis (il doit y avoir une association des amis de la marque, puisque en Avril 2014 une exposition de plus de trente modèle a  eu lieu sur la Promenade des Anglais), quelques voitures de moindre importance des années cinquante, mais toute de même une Mustang, et pour finir une autre Delage, la plus belle. La soirée fut interminable, bien que de qualité; plus de trois heures de concert, et malgré la présence très médiatique de Eve Ruggieri, ancienne élève, et fil conducteur du programme de la soirée, une partie du public a laissé de nombreuses rangées de fauteuils vides. Je suis rentré vers 23h…

Ces festivités vont durer une dizaine de jours…

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 Emmy Bettendorf, voix immense que je ne connaissais pas. Probablement le grand gabarit wagnérien, grave, chaude, qui aurait certainement chanté le Chant de la Terre dans les années trente. Fait-elle penser à Thorborg ? La voix est plus charnue ; moins angélique que Ferrier, mais d’une sensualité rare. La radio passait simplement une valse de Waldsteufel ou de Lanner, mais la voix allait bien au-delà.

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28 Juin

 

Darius Milhaud, plus de cinq cent n° d’opus. Aussi prolixe que Bohuslav Martinu, qui disait faire des quatuors à cordes quand il pleuvait, derrière ses fenêtres parisiennes, pour tuer le temps, en beauté… Compositeur du bonheur d’écrire. Peut-être que seul un compositeur provençal, Milhaud, comme Giono en littérature, pouvait absorber la force primitive de cette autre face de la Méditérranée (de Constantinople à Buenos-Aires !) qu’est la Grèce de la Tragédie. L’Orestie. L’enthousiasme pour le monde latin des amériques dans son Bolivar le rapproche du Nostromo de Joseph Conrad, dans cet imaginaire d’un monde nouveau. Primitif comme Cézanne, de clarté lyrique et universelle comme Giono.

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A la tribune des critiques de disques, la  8° de Chostachovitch, musique contre les oppressions. Musiques de cris contenus, en longues tenues de cordes, de stridences, de cuivres macabres, aux harmonies houleuses. Mravinsky toujours, s’impose.

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29 Juin

 

Dans cette nuit ombrée du Rhin, romantique, palpable dans la «  Rhénane » de Schumann, je découvre un vieil enregistrement de Paul Paray vers 1975, avec la Philarmonie d’Israël, en public à Tel Aviv,, les ombres du vieux Dusseldorf, les ponts de bois, les maisons médiévales. Cette nuit aussi, dans la solitude de la canicule, Emil Gilels, les Ballades de Brahms. Les vraies douleurs, l’héroïsme d’une vie qui disait déjà tout à vingt cinq ans. Dans les accords forte, dès la première, en ré M, comme dans d’autres d’ailleurs, conquérir un Steinway ou un Yamaha d’aujourd’hui équivaut à dompter un animal inconnu… Dans ce concert Guilels de Prague (78 ?), la résonnance de son Brahms égrène des douleurs calmes dans des images de Holstein qu’on imagine aux profondeurs félines.

L’opus 116 aussi… la musique de mes vieilles douleurs disait-il. Pensait-il à Clara, à leur vie toujours parallèle ? …

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Marc Lazzari… Août 1979. Préparation du concours d’entrée aux Médiations musicales, où je suis toujours… J’y ai fait mon chemin, lui n’a passé que le temps de cette épreuve. Qu’est-il devenu ? Il était  hier soir sur la scène de l’auditorium, comme ancien élève des classes à horaires aménagées, la première, en 1970, mais je n’ai pas osé lui parler, (le temps a passé, m’aurait-il reconnu ? ) … Seule la trompette lui reste attachée au delà de ce temps… On a fait une photo de ces anciens, dans la même position, au même rang, que ceux qui inauguraient ces classes à l’âge de 9 ans…

Ce soir au « centenaire », une pièce d’une heure de Nathalie Sarraute, avec Olivier Sitruk et Dominique Guillo. Je n’ai fait que les croiser durant les répétitions, avant le filage, souriants. Madame la sœur, et la nièce de Jacques Toja aussi, à l’heure du goûter, sous les tentes fraîches et ventées prévues à l’usage des personnalités. Et Jean Corso. Il  tourne avec Téchiné, Catherine Deneuve. Il a été élève  ici. Il dirige le théâtre de la Semeuse, là-haut, vers la colline du Château. Je le verrai bientôt… Ce soir, comme depuis trois jours, c’est la canicule et l’épuisement.

Et Franck Ferrari est mort il y a quelques jours. Il était le Golaud que nous avions entendu avec Evguenia, dans ce Pélléas de 2013, avec Sandrine Piau. Il devait participer sur scène à la soirée consacrée à l’art lyrique. Il sera de l’autre côté, celui de l’écran des commémorations où l’on ne meurt plus jamais d’aucun rôle…

« Relevés d’apprenti », série de textes de Pierre Boulez. Aurai-je la force d’en venir à bout avec cette chaleur ?  C’est là qu’on trouve les perles polémiques, telles Schönberg est mort, Stravinsky demeure, le Boulez vert des années de conquête contre tous les moulins de la surdité, avant qu’il n’installe définitivement son empire ; les années avant l’IRCAM. C’est cette seule attirance, dans  l’amour de la musique et de la musicologie, qui m’extirpe un peu de cette veine mauvaise de ce millésime 2015. Ma fille m’a offert un coffret de merveilleux crus bourgeois du bordelais, de 8 ans d’âge, pour la Fête des Pères. Je ne la vois pas souvent. J’ai touché son ventre qui bouge ; c’était pour le 1 Juin. Le jardin était très fleuri.

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Les mots, chez Faulkner, on croirait qu’ils  mangent l’impression…Ils ont ce souffle qui peut choisir entre la narration classique (où il est comme Dostoïevsky), et le « procédé » du grand polar. Chez lui, aucun personnage n’est aimable. Aucun n’a de charpente physique, ni d’état psychique dessiné. (Byron, peut-être, trop prévisible.. je parle de « Lumière d’Août »). J’en reste à Salammbô, où le plus beau livre de mensonges historiques m’a ému autant que je l’ai admiré, comme jamais aucun autre, de même que  la «  Mort à Crédit », que je lisais avec retard dans ma vie, à plus de trente ans, mais est-ce avec retard, ou en prenant un mur définitif dans les angles qui définissent la nuit qui nous accompagne ?

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2 Juillet

 

L’après-midi consacré à l’électroacoustique, nous a donné le plaisir d’entendre pour la seconde fois, en moins de deux ans, les « Violostries » de Parmegiani, ce qui n’est plus une surprise, mais surtout, cette commande d’Etat à Michel Pascal, « Never die A », qui se hisse au plus haut parmi les réussites de la musique acousmatique, tout près de François Bayle, et de la « Création du Monde » de Parmegiani. C’était hier un des évènements de ce Centenaire, bien épuisant par ailleurs, par ce temps de canicule. Dans l’auditorium on n’avait pas plus de 25 auditeurs…

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 3 Juillet de chaleur, le moindre geste nécessitant un gros effort de tout le corps. Les cigales commencent tôt. Les plantes du jardin s’épuisent. C’était aussi la journée des instruments à vents. Tout y est passé. Cuivres sonores, flûtes diaphanes, saxophones historiques, clarinettes interminables, mais tout en fin de programme, Hélios Azoulay. Un numéro raffraîchissant de clown musicien, dans la grande tradition de Grock ou de Cage. Je le salue en coulisse. Je connaissais son père et sa mère (il est le portrait d’Isabelle). Je ne connaissais de lui que ce méchant petit livre qu’il avait commis en 2012, que j’avais jugé nombriliste. Je bats ma coulpe quant à la personne ; l’homme est chaleureux, spontané,  vivant, comme son numéro de clarinette, sonnant dans des échelles  très méditérranéennes, et une respiration, une attitude très théâtrale, ce qui restera pour moi de plus émouvant dans cette nuit des vents, où tout était bien trop convenu par ailleurs (répertoire Gerschwin, Hollywood, jazzy, et un brin Las Vegas). Je ne lui ai pas donné mon nom, mais j’ai pris un réel plaisir (et je crois que ce fut réciproque) à lui parler de ce temps où je connaissais Dan Azoulay, du côté de Châteauneuf…

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4 Juillet

 

Nous touchons à la fin des célébrations. Demain dimanche, le final, avec l’album de toutes les photos sur l’écran géant qui égrènent les grands moments de cet événement. Mais ce soir, l’invité était l’immense Marcel Péres. Et il n’était pas dans la journée consacrée aux cordes, mais venu par simple amitié, et sans son ensemble organum. Seul, devant le piano, il avait préalablement demandé une lumière minimale, un presque noir, il fit entendre en moins de dix minutes, une trajectoire de l’histoire des grandes mutations de la musique, mais à l’envers. Partant des conquêtes sérielles et de la musique contemporaine, il descendait vers Debussy, puis Schumann, l’équilibre classique de Haydn, Bach, et enfin une succession de ses musiques qu’il distille depuis plus de trente années avec son ensemble, les modes écclésiastiques de l’âge d’or de la polyphonie, Palestrina, Lassus, Morales, Josquin, les modes antérieurs, médiévaux, Ecole de Notre Dame, Léonin, Pérotin,  et ainsi jusqu’au Haut Moyen Age, et aux polyphonies primitives des Eglises du milanais ,  et de Rome, supposées aux temps des premières musiques savantes. Dix minutes d’une concentration extrême, où pas un instant cette extraordinaire improvisation n’a laissé paraître les coutures d’un mode d’écriture à un autre. Ce fut l’événement au cœur de cette nuit chaude, une  fraîcheur discrète, un diamand tranchant. Tout le reste de la soirée, comme durant la nuit consacrée aux vents, me parut bien fade, et comme un simple défilé du savoir bien appris et ronronnant dans une grande école, le choix des musiques ne devant pas troubler ce public débordant, à qui on se devait de donner ce qu’il attendait, des flonflons classiques, swinguant et finalement bien rassurants (jamais Piazzola n’a été  si fréquemment à l’honneur…). Pour Michel Pascal et les Violostries, seulement 25 personnes….

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5 Juillet

 

J’ai quitté la dernière soirée festive avant la tombée de la nuit. Dans le grand hall on avait entonné sur l’écran géant le début d’un concerto de Bach avec Richard Galliano. J’ai fui avant le coktail de clôture. J’aurai bientôt le temps de sentir que l’été commence, que l’air manque et que je suis au bord de l’épuisement. Certains marchent  à la cocaïne, à la peur, et à un dynamisme étroit.

Dans la nuit de Rabat, mon père m’apprenait à voir passer les spoutniks. Les étoiles filantes aussi. Etait-ce son imagination ? Mais le ciel était tellement moins encombré qu’aujourd’hui. Je regarde cette nuit, du côté des plantes, le ciel qui tombe, où il n’y a aucune étoile. Je reste avec le parfum de la menthe, du rosier meurtri, et de lectures que je ne peux commencer, espérant m’écrouler du seul bonheur de dormir. Je préfère le livre de la nuit lorsque je ne bouge plus, que le sommeil m’éventre de son silex irruptible, à la fin des angoisses.

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Brigitte m’a offert, suite au décès de la mère de Pierre Gabrieli, et d’un grand chantier de débarras, un très beau volume d’André Gide, le Journal de 19171949, suivi de Feuillet d’automne, et des Jeux sont faits. Il s’agit d’une belle édition illustrée de 1952, chez NRF. Un autre volume aux éditions La Crémille sur la Vie des Douze Césars, histoires suffocantes, pleines de fièvres, de sang et de trahisons. Et le William Prescott sur la mort de l’empire Aztèque. De grands classiques.

Je parcours le Gide au hasard des pages, cherchant les illustrations correspondant aux textes, tant je n’ai plus l’habitude des vieux livres, comme les livres d’enfant, larges et bien toilés. Celui-ci a donc mon âge, et je prend plaisir à y plonger sans retenue, alors que je n’aime pas trop ouvrir une Pléiade, que je trouve toujours trop élégante, froissable et incommode à conserver longtemps dans son état de neuf, car j’aime que mes livres restent le plus longtemps possible neufs ( et si c’était possible, je garderais l’odeur délicate de la colle et du papier vierge), de même que je me sens mal à l’aise dans des étoffes de pantalon trop bien fini, donc je ne les porte pas… De livres comme les Pléiades, j’en ai perdu l’usage pragmatique. Je les considère comme des objets digne d’exemplarité, de collection, à mettre sous verre ou en vitrine. Dans l’esprit du collectionneur, et c’est de lui dont il s’agit, , ce rapport avec la reliure, l’enveloppe des choses en général, je l’entretiens depuis l’enfance, et cela contredit ce que je disais sur la vanité à conserver dans l’état toute chose mortelle. Il s’agit, non pas de penser que nous pouvons pérenniser les choses jusqu’à les faire paraître douées de vie éternelle, mais nous faisons comme si, en les maintenant le plus possible dans un état de sauvagerie, nous participons à l’arrêt du temps sur toute chose, à la mort de la mort… Est-ce que cette jouvence, cette virginité, oserai-je dire, se pourrait appliquer aussi aux objets les plus usuels (alors même qu’ils sont par nature à prendre en main, utilisés, tordus, pliés…) ? De même qu’une jeune mariée se doit d’être neuve pour son futur époux, comme promise pour un seul (sous verre), vierge de tout compromis, de tout partage, éternisée comme dans un état de vie sauvage, robinsonnienne, protégée des atteintes d’autrui, et par-delà, du temps, de l’altérité…

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6 Juillet

 

Je me sens comme si j’avais 90 ans…. Le moindre effort m’est insupportable.  J’ai envie de pluie, d’une averse limpide et violente. Sortir de la moiteur. Dalila m’envoie des messages… Il y a quelques années j’aurai prévu ma journée à lui donner tous les plaisirs qui passaient sur notre vie.

 

J’écoute la Messe de Notre Dame de Machaut, version Marcel Péres des années  90. Il a choisi comme solistes les Corses  de Corbara, (les Casalonga, Lanfranchi, Langianni ), au-delà de l’Ile Rousse, un village d’instituteurs, le soir venu, la main sur l’oreille, le cœur dans les cordes vocales…. Des chanteurs qui ne lisent pas les notes. Comme les Champenoix de 1365, à la création du sacre de Charles V…

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7 Juillet

 

« Amarus » de Janacek, une prière, un fleuve coulant, une langue qui roule, une miniature d’opéra….

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Messages de Cathy, après seize jours de silence… Je pensais que c’était bien fini ; ses messages sont plus calmes. Elle dit être de passage à Nice, je sens qu’elle aimerait me voir… Est-elle repartie pour la Haute Provence ? J’espère que sa vindicte ne me poursuivra plus. Ce serait trop triste.

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9 Juillet

 

…Les cigales, tard, jusqu’à la nuit. « Les Hauts de Hurle-Vent » de Bernard Herrmann. Il avait composé pour tout Hollywood, fait la musique de Psycho, Mort au trousses, de presque tout Hitchcock, des centaines de films des plus grands, et puis là, en 1947, l’année où il écrit pour Mankiewicz « L’Aventure de Madame Muir », il compose un opéra dans la plus pure tradition. La musique balance beaucoup du côté de Debussy, peut-être de Vaughan Williams…

 Heathcliff tuerait pour posséder Cathy, et ne chercherait aucun autre mobile à son crime, il ne chercherait pas à se soustraire à la loi des humains ; il tuerait, un point, c’est tout. C’est comme ça que commence « l’Homme Révolté » de Camus. A la fin des années 60, je faisais, en une page, la connaissance du Camus essayiste, du crime passionnel littéraire, en plongeant aussi, au travers du livre d’Emily Brontë, dans les landes furieuses et orageuses de la campagne anglaise, de toutes les passions universelles, amoureuses et érotique. Cathy, Heathcliff…

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10 Juillet

 

C’est Alphonse Karr qui a découvert, popularisé Etretat (en avait-elle besoin ?), avec l’éléphant au pied des falaises, sa plage de galets… Je ne connaissais pas jusqu’à maintenant celui qui a donné son nom à une rue très centrale à Nice. Le Tour passe par la Normandie  aujourd’hui. Il pleut.

Nous avons des tomates en pyramides, tant elles sont abondantes, jamais si belles ; celles de Crimée commencent à cramoisir…

Cet été passe par les angoisses bien compréhensibles que m’inflige Cathy, par ses textos, les horreurs de ses menaces. Je ne sais pas me défendre, tant ses fantasmes viennent loin, loin de toutes réalités.

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Pourquoi les pauvres doivent-ils vivre dans des architectures d’horreur ?  Pourquoi les voitures doivent-elles être sans esthétiques pour coûter moins chers ?

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11 Juillet

 

Petitbreton gagne le Tour en 1907/1908. Il s’appelait autrement. Un certain Breton était déjà dans le peloton, donc il change de patronyme…la légende…

Papa le savait-il ?

Le Tour va vers le sud aujourd’hui. Ici, très grosse chaleur, le peloton est sous la pluie.

Je garde depuis deux soirs, ce coin de jardin, après arrosage, pour y lire, ou rêver, jusqu’à m’imprégner de ce goût de la terre, entendre les rumeurs voisines, jusqu’aux cris des enfants qui se font plus rares…

Hélène en est bientôt au terme de sa grossesse, j’ai fait une photo de son ventre…

Isabelle Lambert-Reynaud (de la Dégus), vient de publier un petit livre aux éditions du Net, « Visions terrestres ». Une ouverture pour mes textes en éditions papiers ?

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Quelle plus belle mort que celle de Corleone, dans ses plants de tomates, le cœur éclaté, son petit fils dans les bras ?….

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12 Juillet

 

Les cigales comme les couteaux qui s’aiguisent. Le temps s’arrête sur le métal de la chaleur.

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Le pharmacien Homais, dans Bovary est le troisième larron de la bêtise de Bouvard et Pécuchet. Irrésistible.

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Les voisins en font. Ce n’est pas agréable quand on n’y est pas. Barbequiou n’existe pas, du moins ne veut rien dire … Puisque nous sommes en temps de pique-nique et de fantaisies de plein vent, l’expression exacte vient de France, « Barbe et cul », cette logique de l’embrochement d’une viande qu’on fait cuire comme chacun sait…

Encore les Anglais sont passés…

Je vois chez Petitrenaud, avec beaucoup d’émotion, ces Pyrénées du côté d’Argelès. Le cochon noir, les brebis sur la panoramique immense de la Bigorre ; Et puis l’église de Saint Savin (15°) sur sa colline.

 

Derrière les haies de cyprès, j’entendais l’éternelle question qu’on pose en France, en terre de banquets, de bons vivants : Bordeaux, non ! Bourgogne ! et inversement… devant une table où on ne boit probablement qu’une méchante piquette, venue d’on ne sait où.

Variante : C’est chez nous qu’on fait le meilleur vin ! (qu’on ne boit jamais)

Variante : qu’on ne peut se payer…

En Grèce, c’est sur le thème : nous avons inventé la Culture… etc

Et dans tous les stades du monde : … « On a gagné !… »

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Je vois le pape François, bonhomme. Est-il meilleur que d’autres ? ( puisqu’on voit moins Mélanchon ? ) La fibre sociale de François ravit le monde, mais je le répète depuis longtemps, fait-on encore une distinction entre le monde de l’esprit, le sacré, l’eschatologique, et le ventre terrestre du Vatican ? Dieu qui descend vers l’Homme pour s’incarner dans les colonies de fourmis sociales,à l’orée de leur bonheur à venir !? L’Eglise ne sait plus se hisser, quand les yeux se ferment, à hauteur d’inspiration de Palestrina. Pourquoi le Pape deviendrait ce que même les dirigeants du PC ne réussisent à obtenir d’adhésion dans ce monde des pauvres ? Pour survivre ? La dernière carte de l’Eglise ? Ne devrait-on plus sauver que l’âme des pauvres (on est déjà assuré d’avoir une large majorité d’intéréssés) ? Et les messes descendent à hauteur de bêlements accompagnées de guitares, et de bons sentiments de colonies de vacance.

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Ce soir, « The Big Sleep », Howard Hawks, en version française. Je l’ai vu des quantités de fois. L’intrigue est serrée. Il y pleut tout le temps, les femmes sont sublimes, les orages aussi ; la taximan aussi… Est-ce un polar ; une comédie ? Laureen Bacall et Bogart s’y aiment beaucoup, malgré la pluie, et même en noir et blanc, ils ne peuvent s’aimer qu’en Avril… suis-je sûr d’avoir un jour compris l’intrigue ?

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13 Juillet

 

Ce que nous entendons de plus absurde en France, d’une certaine ignorance noire, concerne le domaine du vin, de la musique, et plus loin encore, les considérations sur les femmes…

Donc des bêtises sont proférées sur les sujets les plus délicats, les plus essentiels sur lesquels on ne peut qu’en dire. Reste le silence. ……………………………………………………………

16 Juillet

 

Cinquante et un ans à Nice, arrivée rue Pauliani, le repas chez les Llorens, huit ou dix à table, l’euphorie passagère d’être en famille avec Jo, Henriette… mes parents se sentant accueillis, avec chaleur, l’ivresse de ce court moment d’étourdissement et de retrouvailles, avant la première grande solitude dans ce monde nouveau… Chaque fois que je passe dans cette rue, ou derrière, où donne l’immeuble, Avenue des Arènes, j’ai cette pensée de ce premier jour dans ma ville d’adoption. L’immeuble est-il encore habité ? Décaties, les façades ne présentent que des lèpres de pierres, des vitres brisées, des badigeons d’ocres ternis, l’abandon ; j’entends encore nos cris d’enfants dans les étages, avec la joie bruyante que nous avions, Georges, Anne-Marie, et moi, de nous retrouver, si loin des lieux habituels de notre passé d’enfants si proche, où l’on ne reviendra plus. Mais ça, nous le savions, sans le sentir vraiment, ce 16 Juillet 64. Nous quittions le Maroc (je me souviens, la Caravelle s’appelaient l’Orléanais, il faisait chaud sur Nice à presque midi), Jacques Anquetil gagnait son dernier Tour de France, deux jours avant, et la famille s’accrochait à cet événement durant le repas mêlé d’enthousiasme, de sieste pour les plus épuisés, et des premières plages pour mes cousins et moi, à Beau-Rivage. En ce temps-là l’eau était claire, on y trouvait encore des coquillages, des tout petits tessons de bouteilles, verts, oranges et bleus, polis par les temps et l’usure des rivages.

La première nuit, nous la passions 80 Avenue des Arènes, au « Prieuré », dans l’appartement de Lucia et Laurent Rio. Nous les y précédions de deux jours, pour des raisons de vacances qu’avaient prises les Rio ; et ils nous avaient laissé la clé… Nous étions donc pour quelques mois chez la sœur de Maman. J’ai aimé cet immeuble, cossu et sécurisant, accueillant, cette rue montante vers Cimiez, ce premier refuge, le long balcon circulaire où j’inscrivais à la salive, sur les fers forgés de couleur verte, comme en inscriptions de Une de journeaux imaginaires et éphémères, rien que pour moi, dans cette solitude joyeuse d’enfant de douze ans, les  performances chronométriques que faisaient durant ces mois de Juillet et d’Août, les futurs gloires de ces moments de rêves, les JO de Tokyo à venir, qui nous parviendraient en noir et blanc, avec un décalage de plusieurs heures, ces Jeux de Jazy, Gottvallès, de beaucoup d’autres, maintenant oubliés, mais qui meublaient mon premier été ici, avec la plage où j’allais, seul aussi… avant la Rue des Potiers, vers novembre… En ce presque milieu des années soixante, ce premier été des Beatles que je découvrais… I’ll Get you, She Loves You

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22h…

 Ce soir, « La Nuit du Ramadan », sur Antenne 2…chaîne publique, « laïque » (.. et militante… ?)

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18 Juillet

 

Philippe Jaccottet a donc traduit les deux mille, trois mille pages de « L’homme sans qualité ». Quel sacerdoce ! Cela doit altérer… Je crois qu’il y a quelques années, un de ses recueils de poésie était au programme des classes préparatoires ; sur la terrasse de la Dégus, les jeunes filles semblaient alanguies et recueillies…

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Marcel Journet a une rue à Grasse ; pas même un buste au torse bombé et fier, bien visible, sur une place dégagée (du côté du kiosque, cela serait idéal). Seulement une méchante rue tortueuse et ombrée, où personne ne sait qu’il fut la plus grande et la plus belle basse du XX° siècle « Mein Herr und Gott… » Il y a aussi, bien sûr, Tancredi Pasero, Mark Reisen, Kipnis, mais Journet, avec le parfum des roses, y est chez lui, et quand je vais à Grasse, je sens comme une injure par omission.

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 Ce soir, je ne manque pas le Aghata Christie. On donne la série entière, donc elle s’installe chez nous jusqu’à la fin de l’été, au moins.  Quand on a vu David Suchet, on ne peut plus voir d’autres Hercule Poirot, pas même Ustinov, que je n’ai jamais aimé. Les manoirs, les jardins mouillés, les gris métalliques des paysages, les décors de l’époque reconstituée n’auront jamais été si bien rendus que dans cette série. Que dire du génie, des stratégies de pieuvre d’Agatha !? Elle est le pendant d’Hitchcock. Tous deux ont le sang de ces campagnes anglaises, où les jours de pluie rendent patiemment, au puzzle des motivations et des actions humaines embrouillées sous leurs écrin de noirceur, ce pouvoir de reconstruire des mondes microscopiques et secrets, dans des cachettes de l’âme, qui éclatent de toutes les vérités qu’on aurait dissimulées en forme d’énigmes ou de mosaïques à recomposer, le temps des pluies immobilisantes, comme une forme de jeu de société, jusqu’à revoir, et dévoiler enfin, la sérénité du bleu des évidences.

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20 Juillet

 

Encore de magnifiques paysages  du Tarn dans  cette traversée de la France aérienne (le Tour). L’Ardèche, les gorges, les Cévennes. Le lit du Tarn a de petites allures des Canyons américains, mais plus à dominante grises et vertes. J’imagine, à flancs de montagnes, les chemins de mules des voyages de Stevenson, plus bas, la géologie serpentine, paresseuse et ivre de fureur aux saisons de pluie. Entraygues, Aubenas, Jean Ferrat…

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Mon petit fils Y est né ce soir soir vers 20h. La veille de la Saint Victor, à la clinique St Jean, de Cagnes. J’ai vu une première photo. Il est magnifique et ne semble pas marqué par l’arrivée dans ce monde. Le visage à l’air bien reposé, la tête dans son petit bonnet. Nous irons les voir dès demain matin ; hier soir Hélène dormait déjà…

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21 Juillet

 

Il est fragile. Dans les bras, on a l’impression qu’il va se casser. C’est la génération qui avance. Hier, c’était Hélène, à la clinique Ste Geneviève, à Nice. Cette clinique a disparu. Le temps de cligner les yeux, j’ai l’impression que c’était elle que je tenais ce matin dans les bras…

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24 Juillet

 

Je ne peux m’empêcher de noter cette sagesse de E.E  Cummings : « quand dieu décida de tout inventer, il prit une respiration plus grande qu’une tente de cirque, et tout commença… »

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C’est la théologie des fleurs qu’ont inventé les sapiens. Les néandertaliens, les premiers, ont inventé le don des fleurs, après le miracle renaissant du printemps. De cette peur que cette renaissance ne se produise plus, ils inventèrent aussi le don des fleurs pour ceux qui meurent, sur la pierre des défunts, cette espérance de les revoir comme reviennent les printemps, et pour espérer que ce qui disparaît dans la nuit de l’hiver revienne avec l’émergence nouvelle des nouvelles floraisons. Le miracle de la fleur, sa symbolique était inventée…  En définitive, la fleur contre la barbarie, à Prague, à Tien an Men, à Paris 68, contre les canons et les forces obscures. Et que disaient d’autres ces fleurs du peace and love dans leur grande sagesse ?…

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Pélléas et Mélisande, Acte V, Golaud veut savoir, comme tous les hommes qui, un jour, ont connu la trahison, ou ressenti cette ombre de doute dans une liaison amoureuse : « Avez-vous été coupables ?… »

Il y a eu une relation tristanesque évidente, dans cet opéra du sous entendu et du diaphane, entre les deux amants de cœur, mais ils avaient certainement l’intention de se donner l’un à l’autre, et beaucoup moins platoniquement que dans Wagner (« mes longs cheveux vous attendent tout le long de la tour ». Seul le temps leur aura manqué. Golaud était perdant de toute façon…

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26 Juillet

 

Hélène m’a fait la surprise de passer ce matin, avec Y dans son landeau. Nous sommes restés dans le jardin, le petit, tout nu à l’ombre de l’arbre. Il avait l’air de sourire dans son sommeil. Il y avait une petite brise qui rompait l’accablement de la chaleur matinale. Nous étions au milieu des quelques tomates et des fleurs qui résistent encore.

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Eugène Christophe, l’homme marteau, l’homme enclume de 1919… bien des années plus tard, s’est fait enterré avec son maillot jaune. La légende, l’Histoire….

 

Passage dans la banlieue parisienne, le cortège du Tour s’achève aujourd’hui. Vue du ciel, à Issy-les-Moulineaux, « la Tour aux Figures », de Dubuffet, monumentale, dans un jardin verdoyant sous un ciel bas et gris.

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Fin Juillet

 

PETITE EXTASE LINGUISTIQUE

 

Lorsqu’on demandait à un enfant ce qu’il voulait faire plus tard, on se voyait répondre, étonnament, par une série de métiers qui montrait que le prestige de l’uniforme n’était pas réservé qu’aux seules femmes, et que, pompier, infirmier (e), docteur (pour la blouse blanche), cosmonaute ou même conducteur de camion venaient en bonne place. Aujourd’hui, il est une profession qui balaie toutes les autres par l’exposition publique qu’elle réserve aux élus qui la pratique, marquant les esprit, elle pénètre au cœur même de l’enceinte de nos vies privées, à heures régulières, contribuant à familiariser tout le monde avec l’univers extérieur, à 13h ou à 20h, comme un rituel extrêmement pratiqué de grande messe laïque, c’est la profession de journaliste. J’entends, le journaliste de la presse parisienne, la plus élevée dans la hiérarchie, le must étant les news du prime time. Quels parents ne rêveraient et ne souhaiteraient que leur enfant fasse carrière dans un métier aussi exposé à l’admiration de tous. Le journaliste, le reporter, est la preuve vivante d’une caste, d’une aristocratie démocratique réservée à l’élite pensante et à tous ceux qui en découlent. Et que nous disent ces journalistes, ces hommes de radio, de télévision, ces communiquant d’un monde d’initiés, ces jeunes et moins jeunes qui emboitent le pas par snobisme?

 

Florilège :

Ce trader est un winner qui a créé sa propre start up.

Un fast food à big burger ou cheese burger, avant d’aller au drive in, milk shake et pop corn, pas même payés en dollars, ce qui prouve la valeur de l’euro et les vertus de notre Europe…

Ce soir, on fait un barbequiou….

On dit souvent que la langue française ne peut parvenir à traduire ces trop subtiles nuances que l’anglais seul peut exprimer. Mais alors pourquoi low cost et non pas bas coût, ou avec plus d’humour encore, coût bas, ce qui est pourtant au moins aussi incisif….

Avant, c’était déjà des voyages en charters, en discount…

…Après un premier run qui a manqué de feeling, un second run de loser, mais il fera son come back. Il sera bientôt out…il a fait son show…

Le wheel drive engendre le wheel driver, le snow board les snowboarder…Et le wind-surf les wind-surfer sur la Côte Basque…

Cette femme, elle est trop cool, et puis clean en plus, elle est too much quoi !

Et puis le look… Easy woman.

Boire un soft drink, genre coca light, en regardant un porno hard… c’est comme le hard rock, il ne peut pas être clean, les guitares jouent trop dirty…

Il drague les femmes pour le fun…

« Closer », c’est un journal people. Les people sont de partout dans le show-biz.

Ce sont toutes des stars…

Et on connaît des French lovers, ils ne sont pas too british, ni latin lovers.

Thelma et Louise est un road movie qui finit en bad trip…

Entre la France et l’Angleterre, c’est maintenant un nouveau deal…

Il a un  programme de vacances super cheap…

Ils disaient tout autre chose en off…

Le goal avait dévié en corner. Le commentateur ne manque jamais d’ajouter, avec une pointe d’ironie et de condescendance incrédule, que nos amis belges disent « le gardien a dévié en coup de coin… »

Penalty !!!…

Ce n’est pas un night club, à moins que ce soit un dancing, mais déjà dans la boîte à outil des académiciens, on parle depuis longtemps de parkings.

Mais les anglais empruntent aussi à la langue française ! Oui, et très à propos…On a entendu dans un film en V.O., « Chère Comtesse », « Madame, je vous prie », « Votre Honneur ». C’était, au moins, du temps de von Stroheim… la politesse…Certainement une vieille survivance avant la modernisation accélérée de notre français.

Ne plus dire Noir, il est opportun de dire Black, ce qui est moins lié à

la couleur de la peau qu’à l’appartenance à une Culture hip hop ou rap, largement valorisante.

Mais honnir Picasso, évidemment, à cause de l’Art Nègre…

Le design engendre les designers ; ils sont indispensables dans Paris, c’est le must de la créativité. On sait qu’avec eux, on a toutes les ressources de la high tech, quand ils fécondent une Concept Car new look.

Il était dans une mouvance New Age, cool, et toujours en roller.

Et le serial killer sait toujours, comme la star, groover sur le net.

C’est un truc à speeder et pour finir à flipper… C’était trop destroy.

 

Monsieur de Montebourg sera rassuré, les salarié français, ou polonais,  espagnols ou algériens de notre pays, ne seront pas licenciés, ni délocalisés de France, l’essentiel, comme le vocabulaire branché de nos apprentis sorciers, c’est d’être Made In France……

 

Pourquoi les décideurs de langages utilisent-ils systématiquement des mots venus d’outre Manche (ou d’Outre Atlantique) ? Parce que dans leur approximation de la langue française et leur triste maîtrise de l’anglais (qui ferait rire au-delà de quelques brefs balbutiements), ils semblent avoir un coup d’avance en surprenant par le choix d’une expression étrangère, comme si le concept nouveau prenait une coloration destinée à donner plus de poids à leur propos, une forme de contrepied où on ne l’attend pas, un sorte de plus artificiel à concept égal. Au lieu de dire simplement pour s’amuser, ils vont dire c’est pour le fun….

Comme dans la langue des Schtroumffs. On utilise les mots français pour faire deviner le sens global, bien que, évidemment, le paysan de la Lozère ou l’agriculteur de Basse Auvergne ne saisissent pas un mot de fun, start up, bad trip ou du nouveau deal…et la phrase devient pourtant cohérente, malgré tout, parce que ces paysans des middle land françaises, comme pour la langue Schtroumff, ont deviné le  concept de la phrase  derrière l’opacité voulue des castes linguistiques. Au détriment, bien sûr, de la netteté du sens et de la qualité de la communication. Parfois, hélas, l’opacité sera totale, mais qu’importe, le bel élan informatif sera passé. Le formalisme pompeux et navrant de la  technocratie franglaise des décideurs des rives parisiennes n’est pas venu  à bout, malgré tout son mépris, de ceux qui ont appris notre langue dans le vocabulaire et la vivacité d’esprit de Molière.

En prenant congé du Français, les élites au pouvoir avalisent le transfert mondialiste en cours depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ils sont l’aveu même que toute initiative, toute novation, passeront par les décisions et la soumission à un monde anglo-saxon. L’affaiblissement de la langue en est le baromètre. On nous dit qu’il ne faut pas refuser l’évolution, (mais surtout l’inclusion de mots et d’expressions exclusivement anglais, cela va sans dire ! et non pas mexicain, javanais ou bantous). Et ce baromètre était largement en faveur de la langue française aux XVIII° et XIX° siècles… La langue qui impose ses mots et ses expressions reste bien le reflet d’un pouvoir dominant. Au XVII°, déjà, Leibniz écrivait en français son Essai de Théodicée. C’était adopter réellement la langue intellectuelle de l’époque. Du XVII° à la fin du XIX°, c’est toute l’aristocratie d’Europe qui parle français dans les salons littéraires. Nous étions bien loin des approximations abâtardies de nos lecteurs de prompteur (qui sont cencés s’adresser à tous, par la démocratisation de l’information) ou de ceux qui parlent jeune, entre français et anglais technocratique au saupoudrage de mots et d’expressions où la langue anglaise n’en sort pas grandie, la langue française attristée.

 

Question : de ces deux propositions, l’école de journalisme a fait son choix.

« sais-tu ce qui s’est passé ? »

« sais-tu ce qu’il s’est passé ?»

 

Dans 90% des cas, le choix se portera sur la seconde proposition. (On entend ce type de construction grammaticale jusque dans les très prisés prime time de 20h). C’est le niveau réel de leur connaissance du Français. Et ils voudraient se situer à la proue novatrice du vocabulaire et de la grammaire d’usage de la langue française ? C’est oublier que, au-delà des énormités grammaticales qui trahissent souvent le sens d’une pensée, les mots d’origine grecque, latine, arabe, les expressions régionales, l’argot, se sont fondus, progressivement, depuis le haut Moyen Age, où se constituera lentement notre langue, changeant périodiquement de mots ou se superposant au précédent, en intégrant d’autres, dans un creuset à l’usage de tous, et sur un temps long, comme s’il fallait que ces mots reviennent avec fréquences pour avaliser la certitude de les faire notres, à la campagne comme à la ville. Ces mots venaient rouler et s’intégraient dans l’océan des mots et expressions qui prévalaient alors, comme ayant vraiment fait leurs preuves , utilisés par tous, et non dictés par une minorité représentative d’une corporation « élitiste » parisienne et américaniste qui, semble-t-il, ne sait pas ce qui s’est passé…

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Rafraîchissant et éblouissant, « des racines et des ailes »… 2500 lacs en montagne Pyrénéenne… des plus petits, jusqu’à de larges coulées émeraudes.

Quelques images aussi, du côté de l’Espagne, du monastère de la Peña, avec ces chapiteaux sculptés, au cloitre à la belle étoile, bâti sous des milliers de tonnes de roche polie. Du côté de ce fameux vin de Valdepeña.

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Xenakis, Persepolis, Polytope de Cluny, la Légende d’Er … On dit que ce n’est plus de la musique (du bruit ?). Et qui sont ces musiciens qui « disent » et ne se hissent à l’orteil de Xenakis ? … Autant se préserver de l’environnement des cigales. Ces œuvres sont de parfaites peintures sonores, horrifiantes, de vrais voyages auricaulaires, si on se donne la chance de l’immersion.  L’écoulement final du temps, la frayeur primale devant les déchaînements de la Nature, la pureté de la mort, la fonte des glaciers en zoom avant… Xenakis encore plus irrévérencieux que Picasso ?…

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Ce soir, Kurosawa, « les 7 Samouraïs », épique, sensible et grandiose. Je l’ai vu et revu sans jamais me lasser ; j’attendais avec impatience la scène du bâton derrière la porte, où Chrisu Ryu recrute les samouraïs chevronnés… C’est vrai que si l’on a aimé les « 7 Mercenaires » de Sturges, il y a dans le film japonais des dimensions qui ne figurent pas dans le western. Ce n’est pourtant pas le Kurosawa que je préfère. Les plus hauts sommets se situent peut-être dans « Dode’s Kaden », « Barberousse », le film le plus émouvant et le plus humaniste, avec un Toshiro Mifune presque à contre emploi. « Rêves », où les couleurs à l’extrême donnent la pure poésie du printemps et du temps qui passe. Kitano, dans « Dolls » parviendra lui aussi à ce paroxisme de la poésie par la saturation des couleurs décrivant le passage des saisons. Le plus grand film de Kitano.

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31 Juillet

 

L’exergue pour tout le temps qui nous reste :

La parole de Jérémie :

« Ils ont crié Paix ! Paix ! et il n’y a pas de Paix »…

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Première soirée, à la maison, avec Y, Hélène et Rodolphe. On a regardé les photos de la naissance d’Hélène. Le petit lui ressemble beaucoup. La fournaise a laissé place à une légère brise, et la pluie est tombée dans la nuit. Ce matin l’odeur de la terre est répandue avec une telle force qu’on pourrait presque la mâcher.

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Début  Août

 

Entendu ce matin le final du 4° concerto de Beethoven. Je ne sais qui est le chef, je n’ai pas retenu le nom du soliste, mais jamais je n’ai entendu une telle poigne (peut-être seulement les très grands d’avant), une énergie dans les attaques, les fortissimo, et un son très neuf, dans le genre des orchestres aux sons fruités comme celui des Lumières, et un tempo d’enfer. Il s’agissait de l’Orchestre du Minnesota…

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Belle promenade aérienne au dessus du Jura. La Collégiale de Dôle et l’orgue du 18° avec ses 3500 tuyaux, et la maison de Pasteur. La chaleur accablante fait place depuis deux jours, à des températures d’Août, chaudes mais normales. J’ai vu Eugénie à la Dégus. Elle venait de Marseille où elle a un ami. Elle m’apprend en secret que c’est déjà fini… Je devrais déjeuner avec elle ce midi.

 

L’après-midi se poursuit, tard, jusqu’à la nuit. Comme dans un roman de Georges Bataille… Eugénie nue dans la ville….

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Italo Calvino. Si une nuit d’hiver un voyageur. Le roman des débuts de romans inachevés, se poursuivant par d’autres débuts de romans…

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Torquemada, d’ascendance hébraïque… Comme Paul, il fut persécuteur, mais cette fois en sens inverse.

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Je voudrais des livres d’aventure, simples comme des récits pour enfants. Est-ce que Lord Jim, au Coeur des Ténèbres  conviendraient, si ce n’est faire injure à Conrad … ?

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Eugénie est repartie vers Paris, sans qu’on se revoit…

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Les plantes sont abondamment arrosées. Les quelques pluies de ces derniers jours n’ont fait qu’illusion. C’est sûrement l’été le plus accablant que l’on ait connu, et avec cette intensité, depuis le début du Centenaire. Je n’ai pas même la force d’écouter ces deux œuvres de Xenakis, inédites à ce jour, Dammerschein, et la Déesse Athéna.  La première pour grand orchestre, la seconde pour baryton, ensemble instrumental et percussion. Les lectures me tombent des mains. Je pense à Bernard qui est en Norvège et qui porte anorak et lainage le long des fjords , voit des stavkirks et dort dans des cabanes de bois au bord des lacs… La sagesse.

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10 Août

 

J’ai revu Norma, la petite harpiste ; nous avons fait quelques photos à la Dégus, avant son départ pour Strasbourg. Elle a réussi son concours et s’apprête à partir.

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Premières photos de Y avec les yeux ouverts… il y a indéniablement un air de famille…

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12 Août

 

…superposition des cigales et du Schwanengesang de Heinrich Schütz, comme une vendange de l’esprit. Miracle de l’été vers 18heures…

Pas seulement celui de Schubert… Hissé, comme les Psaumes de David, les Chœurs Spirituels, à hauteur de Monteverdi.

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Merveilleuse demeure, que celle de William Christie. Parti de l’Etat de New-York, très jeune, par amour pour le Baroque de M.A. Charpentier, Couperin, (Rameau qu’il interprètera si bien), et toute cette musique française qu’il  contribuera a nous révéler dans ses dimensions réelles de grandeur solaire, d’intimité fragile, de théâtralité unique, il réside aujourd’hui dans une vaste propriété en Vendée, où sa deuxième passion, le jardinage, nous offre un ensemble floral et aquatique exceptionnel. Ce ne sont pas vraiment des jardins à la française, ni toscans, ni même anglais, mais une synthèse, si c’était possible, d’un peu toute l’Europe décorative de ce temps du baroque. Les nuits musicales y sont fécondes, les reflets sur la surface  des bassins (en parfaite symétrie avec le Didon et Enée produit sur scène), seraient à la musique de chambre ce que Versailles étaient au grand déploiement des fastes de Louis XIV. Christie a poussé la fidélité à ce qu’on lui prête de réelle fibre pour les grandeurs royales, à acquérir cette maison au cœur même de cette région de Vendée. Il se dit, d’ailleurs, devenu réellement vendéen…

Plus loin, Clisson, et ses reproductions de maisons toscanes, ses perspectives sur le clocher inspiré peut-être d’un de ceux de San Geminiano ou de Florence. Merveilleuse adaptation d’architecture méditerranéenne au cœur d’un pays de pluie. Mais la Vendée, sous le soleil, tout en nuances maritimes, atlantique, sableuse et odorante sur son littoral, n’a pas son pareil en Toscane.

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13 Août

 

Revoyant une des rares photos récentes où je porte une casquette, (une lucienne ? d’après un connaisseur en coiffe parisienne…) de face, les yeux particulièrement délavés, les rides au front, j’ai été mal à l’aise durant quelques temps, ne sachant pourquoi elle me faisait penser à quelqu’un, comme si je ne me reconnaissais qu’au travers d’un autre. Il a fallu longtemps pour que je découvre que je ressemblais terriblement à mon grand-père paternel, Paul.

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15 Août

 

L’orage du 15 Août n’a pas eu lieu, mais nous avons eu mieux, dans l’étau de chaleur, avec une petite pluie douce, bienfaisante, sur tonalité de jardin, grise et verte, comme pour faire respirer le corps ; lisant la fin du « Cœur des ténèbres », je percevais une bénédiction du ciel en ce jour de la Vierge, sur les senteurs, le massif des rosiers, les fleurs sauvages et éphémères le long de la haie du portail, et les dernières poussées des tomates cerises, avec cette odeur de la terre épaisse, drue, qui prélude un peu la fin des fournaises de l’été.

Dalila n’est pas venue à temps à la Dégus où nous avions rendez-vous pour aller déjeuner. Bien qu’elle ait prévenu d’un retard, je lui ai signifié que j’avais attendu longtemps et que j’étais parti.  Il y a quelques années, j’aurais attendu désespérement…

Fabrice m’a offert un chapeau genre panama comme il avait promis, pour mon anniversaire, et malgré les deux mois de retard, j’en ai été touché et l’ai embrassé gentillement.

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Qu’est-il arrivé à l’Arche de Noë ? Le bois de la croix du Christ

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Le concerto pour piano , la seconde symphonie de Lutoslawski, longs labyrinthes de timbres et de rutillances, où le concerto (pas plus que la symphonie avec piano) n’est plus dialogue, n’est plus opposition entre soliste et masse orchestrale, mais inopportunité de rencontre, aléa, entre les deux…

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Kathy essaie de me joindre, timidement. Elle travaillerait en ce moment…

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19 Août

 

Merveilles de St Honorat (Lérins), ses vignes,  (il faudra se procurer son vin…) ses criques…

Ce sont les vacances encore ; je ne pars pas, mais je voyage du dedans.

Col Saint jean. J’y suis passé tant de fois, pas loin, en allant vers Moulinet, la descente vers Sospel… Je vois les olives de Nice, les fameuses caillettes, les plus belles au sommet des arbres. Ecrasées sur la main, ce sont les seules à donner un jus violacé, presque bordeaux.

Et puis les gamberoni, ces énormes crevettes de San Remo, que les italiens trouvent encore meilleures que les homards…

La Villa Garnier à Bordighera, trente pièces face à la mer, avec une tour élancée comme un minaret tout en dentelles ; maintenant hôtel géré par les sœurs de la Congrégation de St Joseph. Garnier dessine aussi les églises, la Mairie, le Palais de la Reine Marguerite de Savoie. La ville est merveilleuse, nous l’avions traversée avec Giorgio, en Août il y a deux ans, de plein soleil, devinant les jardins, de végétations grasses et opulentes, nonchalemment ventées, sur leurs architectures, comme décoiffées, vers midi, sur la route de Vallebona.

…Monet a peint aussi le pont de Dolceacqua…

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20 Août

 

Denis Chollet me dit que le Pub Valrose est vendu ; que les murs sont maintenant la propriété du supermarché Casino. La famille Menardo a longtemps géré le lieu en même temps que la Brasserie de l’Union où nous allions souvent avec Alain Jacquot. C’est ensuite Daniel Alvarez qui a transformé le Pub, tout en gérant aussi l’Union, en un café adapté parfaitement à la clientète étudiante de la Fac de Valrose. J’y allais vers la fin des années 70, notamment lorsque je préparais le concours de Médiateur . Cela va laisser un vide, comme Chez Gaston, ou comme lorsque la Dégustation deviendra un lieu sans âme.

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Isabelle Lambert-Reynaud est partie ce matin vers la Rochelle, à St Martin de Ré…

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Y a passé sa première nuit à la maison. Il est très beau. Et, entre deux biberons de nuit, on ne l’a pas entendu. Le silence de la maison certainement…

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23 Août

 

L’automne commence ce matin, dimanche. On parle toujours des premiers orages du 15 août, mais ces premières pluies ont déjà rafraîchi, il y a quelques jours. La chaleur violente de cet été ne pouvait durer indéfiniment. La nuit adoucie par une pluie tranquille a fait que ce matin, ce fameux gris mat que prennent toutes choses avec le vert de la forêt, est comme un baume après la brûlure. Déjà se profile le retour vers le Conservatoire. Regardant en arrière, d’un an, je sens avec un léger vertige, que l’épisode du Jean Bart en était déjà au cœur finissant de l’été vécu avec Kathy. Un an a passé…

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25 Août

 

Il y a vingt cinq ans je découvrais Salzbourg (en Juin). Depuis, nous  sommes allés très souvent chez Hermi, en Août, durant le festival, où l’atmosphère y est si pénétré de lyrique, où la ville même semble baignée dans la pétillance d’un air vif et léger, entre la Place du café Tomaselli, la Gedreidegasse, Mirabell, la Place Papageno et la statue de Mozart un peu plus loin. Montant vers Kapuzinerberg, un matin au ciel très dégagé, comme pour accompager en toute légèreté la pente rude qui va vers le panorama du cœur de la ville, sur le chemin Zweig, venait une voix de colorature, dans le dédale encore endormi des rues environnantes, répétant, fenêtre ouverte, un air qu’on entendrait peut-être bientôt sur une des scènes de la ville. Ces épisodes de poésie saisie comme on peut saisir la quintessence même du vent, ne peuvent se vivre avec cette intensité que durant le temps du Festival. Plus loin encore, il y a cinquante cinq ans, c’était l’inauguration du grand Festpielhaus. On y donnait Rosenkavalier avec les inégalables Della Casa et Jurinac. C’était Karajan qui avait voulu Della Casa dans la distribution. Schwarzkopf le ferait au disque, parce que Madame est imposée par Monsieur Legge, le mari, grand faiseur de carrière chez EMI. Ce qui rend d’autant plus magique, à la scène,  l’incarnation symbolique des deux plus belles voix  straussienne de ce temps, dans cette nuit de 1960. J’ai perdu malheureusement toute trace de ce merveilleux livre d’André Tubeuf, qui a su, mieux que personne, parler du Salzbourg légendaire, grâce à Strauss, Hoffmensthal, Zweig, Max Reinhardt et quelques visionnaires, et le temps d’une trève estivale, en faire le centre de l’art lyrique et de l’Europe, croyant, en ce temps des années vingt, à l’édification d’un lieu universel de la paix.

Ces étés-là, il nous arrivait d’aller aussi à la ferme d’Hermi, en Basse Autriche, dans le minuscule hameau de Merzenstein, pas loin de la frontière Tchèque, (ce qui nous permit un jour de découvrir Prague), où les promenades, dans l’infinie densité des forêts, nous menaient vers les variétés les plus délectables de champignons. Hélène était heureuse, avec Bello qui ouvrait la voie.

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La Brasserie de l’Union fait décidemment parler d’elle, puisqu’hier elle était en proie aux flammes. Détruites, complètement. Les fumées pouvaient se voir à plus de cinquante mètres au-dessus des immeubles tout autour. Reconstruira-t-on à l’identique ou  déjà lui promet-on un avenir sans aucune âme ?

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26 Août

 

Je ne voyage pas cet été, mais sur les images des racines et des ailes, je vois du ciel, la Dordogne, dans ses prélassements sinueux et larges, au vert dru de ses rives, de ses grottes profondes, encadrées de ses falaises d’argile. Le nom de la rivière veut dire eau tumultueuse. A la rencontre de la Gironde, il se forme là le plus grand estuaire d’Europe. J’ai souvenir des villages de Beynac, Domme, la Roche Gageac, où la pierre est blonde, et l’harmonie, au soleil couchant, des plus séduisante. Et Souillac, qui semble bien restaurée, avec son trumeau représentant un Jérémie en Lamentations, aux tonalités claires et reconnaissables entre mille, puisqu’elle fait partie de ces quelques églises à coupoles qu’on retrouve également à St Front de Périgueux. C’est la région où habite Francis. Mais à part l’homme de Lascaux, ce qui est déjà beaucoup, et même énorme, la Dordogne n’a pas son Giono…

J’ai bien aimé la vague de Mascaret, qui remonte son cours, formant une charmante onde tsunamique.

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Un 29 Août 1980, sur la route de Conques, pour la première fois, traversant la Provence, puis Rodez et la place de la cathédrale baignée de soleil ; Marcillac qui faisait un épais vin noir, la montée vers le village, trente sept kilomètres plus loin, longeant l’Ouche ou la Dourdou (je ne sais lequel longe la départementale), et l’arrivée, au pied de la rue Charlemagne, à l’heure où le tympan s’embrase. C’était mon premier voyage en voiture, en 4L, avec Danièle Prost. Nous longions la France, les champs de blés moissonés, en rouleaux réguliers, comme des tranches de gâteaux. Nous verrions Moissac et son tympan aux vingt quatre vieillards de l’apocalypse et le lendemain, Auch dans la plaine austère du Gers, Toulouse, dans un hôtel, rue du Poids de l’Huile, avec une chambre au plafond qui n’en finissait pas de s’élever, et une cheminée au manteau  à hauteur de visage, des fenêtres si hautes que les rideaux semblaient des voiles qui gonflaient sur un navire. Nous allions finir cette traversée longitudinale de la France, près de Biarritz, dans une villa immense, à Mouguère, dominant, depuis la terrasse donnant sur les chambres,  des plaines infinies où le son des cloches des vaches annonçaient au loin la rentrée du bétail. Maman et Lucia nous y attendait depuis la veille. Puis c’était des après-midi au bord de mer, défiant le puissant rouleau des vagues.

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dans le n°13 de Feuillets d’Hypnos, Char fait allusion à Etre et Temps où l’image est tout puisque l’image n’est qu’un temps perdu de vue.

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30 Août

 

Bangla Desh. On nous parle d’un continent émergeant, comme on disait en voie de développement. Je suis allé aux Indes il y a quarante cinq ans. Rien n’a changé dans les rues. Les habitants pompent les bouches d’égout, en s’y émergeant de tout leur corps, espérant trouver des miettes d’or chiées dans le quartier des orfèvres de Dacca… Même du temps de la ruée vers l’or on ne descendait pas  si bas dans la misère. Comment aimer les Indes ? Un véritable petit enfer sur le monde. George Harrison avait-il prévu ça ? La sagesse ? Par milliers, des pélerins sur les toits des wagons, autant peut-être qu’à l’intérieur des trains. Ils se rendent  au pèlerinage de Dacca dans des conditions qu’on réserve habituellement aux animaux. Si un voyageur venait à tomber, il ne serait plus que la proie des chiens. L’inde, du moins dans cette partie-là, et en attendant de se répandre à proportion des misères qui s’abattent, est maintenant une terre d’Islam.

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31 Août

 

Revu hier soir, le film sur Jappeloup, ce petit cheval de génie. Avec un bon Guillaume Canet dans le rôle de Pierre Durand. Un des temps fort des JO de Séoul ; le petit cheval qui sautait bien plus haut que les autres… Tous derrière et lui devant…

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Rentrée au Conservatoire demain matin… Ces rentrées, je les abomine chaque année de plus en plus. Cela cessera dans deux ans. Je m’y projette déjà. Ne plus avoir à rendre du temps à autrui. Ne plus subir des contraintes pour lesquelles, évidemment, je n’ai plus le ressort que j’avais il y a quinze ou vingt ans, lorsque ce bout du tunnel semblait encore loin. D’autre part, dans deux ans, j’aurai deux ans de plus au compteur…

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La voie domitienne, des Alpes aux Pyrénéés, passe par Sisteron…

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Je reçois une photo de Katy à la montagne. Elle travaille depuis quelques temps (mois d’Août ?) à Jausiers. Je crois que c’est un des décors de « Bataille dans la montagne ». Et quelques textos qui se veulent plus détachés, plus calmes… J’appréhende de la revoir , éventuellement, comme elle me le propose.

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2 Septembre

 

D’abord, je voyage du dedans… Je n’ai pas même franchi la distance qui traverse le premier village de notre arrière-pays depuis bien des mois. Cet été d’énorme chaleur a glissé entre le jardin et la petite lucarne où je comprend mieux maintenant le nom de l’émission qui me fait voyager depuis mon canapé…

Colette disait que pour connaître un pays, il faut le traverser, le vivre depuis l’intérieur (les  racines). Saint Exupéry, lui, préférait évidemment le survoler (les ailes). Cette différence de perspectives nous était apprise, il y a longtemps sur les bancs de nos écoles. Il y a certainement peu d’observateurs qui connaissent l’origine subtile du titre générique de ces petits films… La géographie de la France m’éblouit toujours (et plus encore que n’importe quel autre contrée du monde) par ses multiples harmonies que j’ai beaucoup de mal a en déduire, si on me le demandait, une hiérarchie du resplendissement des régions traversées, tant la dernière visitée paraît encore plus belle que la précédente. Mais l’inverse est vrai aussi. Ce 2 Septembre c’était le Goût du Limousin. Ca commence par l’enchantement d’un survol du bocage de la Creuse, à l’heure des premières caresses des rayons du matin, quand émergent les bouquets d’arbres enserrés de vapeurs jaunes, impressionnistes. L’Ecole de Crozant est d’ailleurs un lieu où les Impressionnistes d’Europe venaient dans le plein air de la vallée, dite Vallées des Peintres. Monet a peint ici 23 paysages. J’ai aimé aussi Aubusson, la Tapisserie, inscrite au Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO…Ce département, qu’on a longtemps considéré, par les Parisiens surtout, et ceux qui ne peuvent se passer des grands espaces urbains, comme d’un mortel ennui, présente des beautés rares insoupçonnées. Les villages de granit, les châteaux médiévaux à tourelles, dont trois cent sont classés, mais par dessus tous les charmes de la région, ce sont les paysages ruraux, aux vaches rousses, aux harmonies denses, aux herbes drues, aux bocages, souvent mammelonnés, enserrant la pierre ; où il n’est pas rare de trouver l’écho ancien d’un travail sur le bois des portes et sur les linteaux de pierre des édifices ancestraux, des ponts minuscules, ceux de Thaurion et Sénoueix, comme pour des villages de poupées, et sous lesquels chante l’eau des rivières. Il n’y fait jamais silence. La Haute Vienne, sur la Gartempe, Saint Savin. Depuis mon passage, la crypte, dédiée au martyr de St Laurent ( ?) menaçée par un mystérieux champignon, est peut-être sauvée. Les peintures de la nef, du nartex et des murs lattéraux, de la voûte en plein cintre, dans leurs ocres et verts immatériels, dans la paille des jaunes et des roses, sont considérés comme la Chapelle Sixtine du Moyen-Age. Avec peut-être ce petit quelque chose de plus d’esprit, et d’humanité Renaissante en moins….

Plus loin, le viaduc des Roches Noires traversant la Corrèze, puis la gare de Limoges les Bénédictins, merveille d’architecture Art Déco, complètement étrangère à « l’enfer des gares », mais plutôt une invitation au voyage.

L’argile de kaolin donnera la porcelaine, l’or blanc. Des lamelles de porcelaine contemporaine, liée les unes aux autres, livrées au vent, sonnent comme des percussions mélodiques balinaises… Plus loin encore, le plateau de Millevaches, aux dizaines de sources (aux milliers de sources…), aux bruyères mauves et blondes, château d’eau de la France.

Collonges-la-Rouge, que j’avais traversée dans les années 80, éternel village de grès rouge, au clocher cousin de celui de St Léonard de Noblat, et Turenne, qui regarde, depuis le sommet de son promontoire, le Périgord, les Pyrénées, l’Auvergne , et déjà le Sud (deux pins, énormes parasols, quasi romains trônent…), où le village coule, depuis les ruines du château, le long de sa colline. Deux perles…

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Le « Trésor des Contes », de Pourrat, pourrait être une lecture vivifiante dans ces bocages se hissant tout en rondeur, en forme de collines, aux arbres aux sèves démesurées , espérant la venue de quelque chuchotis de fée nocturne. Ces Trésors, dans une éducation où les grands auteurs deviennent de plus en plus intimidants, se devraient de figurer dans toute mémoire collective, non seulement dans les pays d’Auvergne, mais dans la France entière. Comme Grimm en Allemagne… Je lisais à Conques, une de ces années où il était impossible de ne pas nous y rendre, tant l’attraction du lieu était grande alors, les « Amours » de ce même Trésor, sur la terrasse  de l’Hostellerie St Jacques, face à la basilique, un jour de répit ou de fatigue intense, et de gros nuages, incitant à la rêverie livrée aux sortilèges des fées et des amours de ces pays de beautés farouches et nocturnes.

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Restent pour compléter le tableau, le trésor des Chants d’Auvergne de Joseph Canteloube, mélodies qui ont fait le tour des scènes occidentales, où le compositeur se hisse au plus haut, du côté de Chausson, Duparc et Debussy avec ce sommet qu’est leTryptique qui dépasse le cadre de la seule inspiration locale.

 

 

4 septembre

 

Quatre ans que Maman nous a quitté. Un dimanche. Je suis revenu bien des fois, depuis que je l’ai lu, dans les années 80, vers ce prologue au seuil du Gaspard des Montagnes, qui aujourd’hui peut aussi s’appliquer d’une certaine façon au départ de Maman. Cette nostagie d’un temps révolu, cette mémoire, comme le vent, qui vient chuchoter :

Il fait du vent sur la route et ce soir la lune est au ciel

Toute d’argent resplendissant, comme un soir au pays d’Ambert…

L’air sent la fougère et le foin.

Demain c’est dimanche, la fête !

Avec les garçons d’autrefois, traînant les sapins frais coupés,

Je reviens par la route blanche.

On danse déjà dans l’auberge…

Et que ce vent portait d’espoir !

Les lunes passent, les années…

Gaspard et tous sont morts.

Ces trois derniers vers m’ont toujours hanté, de ceux qui parlent le mieux de la nostalgie du temps qui martelle, et d’un bonheur qui n’est plus qu’un lointain écho…

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5 septembre

 

Promenade à la médiathèque. Vers 13 heures il n’y a personne. J’ouvre le Journal de Gide des années 1940. Au hasard, dès l’écartement du volume, vers le milieu, je tombe sur cette analyse célèbre du style de Bossuet pour lequel Gide ne cache pas son admiration. Ce matin même, j’ouvrais avec cette même impression de hasard, sans intention consciente, toute empreinte d’une gestuelle mécanique (parce que le volume était à portée de main et que je n’avais plus visité ce volume depuis longtemps), « le Discours sur l’Histoire Universelle », et me figeais devant une page décrivant les exploits du roi David. Dans une librairie, peu de temps après dans la matinée, je suis attiré par une magnifique édition de l’Ancien Testament illustré par Chagall, où je vois encore, dès l’ouverture du volume, David et le Roi Salomon (ceux du Message biblique de Nice). Ma journée, comme celle du petit Poucet, me fait penser que je me trouve dans un labyrinthe, ou dans une boîte de poupée russe, ou mieux encore, dans un syndrome de Calvino (« si une nuit d’hiver un voyageur »), où l’empilement des traces d’une intention de livre fait suite à d’autres traces d’un même livre enchevêtré dans un autre qui est le même sans être complètement le même… Les mystères de l’amour ne sont pas très loin. Nous venons d’un passé, nous le portons avec nous en rencontrant l’Autre, lequel porte aussi son héritage et sa part de mystère, et nous savons  que la rencontre des deux est le point d’ancrage hasardeux d’un moment d’histoire en fusion, et que, comme l’eau et l’huile, après la secousse violente qui les a fait s’assembler au point de ne faire qu’un, rendra à chacun, après une durée très indéterminée, sa propriété première et que le cours de l’histoire se poursuivra, chacun sur son chemin, vers d’autres rencontres, les yeux ouverts et attentifs sur le déroulement de l’Histoire des humains …

Ainsi les étoiles.

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Brièvement, et autrement, notre approche de l’amour peut se rencontrer à l’image d’une collision violente entre deux véhicules que rien ne prédisposaient à s’entrechoquer, et qui auraient tout fait évidemment pour éviter la désintégration. C’est le coup de foudre. L’autre approche, c’est le véhicule dans l’obscurité, qui vient lentement s’échouer à côté d’un autre, pareillement en panne. L’un et l’autre, solidaires, vont apprendre à se connaître dans cette solidarité de la panne, et peut-être même aller ensemble vers la réparation. C’est l’amitié. Peut-être l’éclosion lente d’un amour.

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Les mélodies, et les mélodies avec Chœurs de Charles Koechlin. Une vraie surprise. Dans le cercle élevé des mélodistes fin de siècle et début XX°. Une personnalité unique, avec beaucoup d’ampleur, des phrases longues, des harmonies aériennes. Souvent Wagner n’est pas loin. « Les étoiles » nous donnent presque dix minutes d’apesanteur…Avec les « Heures Persanes », ces mélodies forment un corpus exceptionnel dans la musique française.

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Lu, toujours à la médiathèque, à la fraîcheur du début d’après-midi, dans le gros volume de Correspondance de la Pléiade, une lettre d’après-guerre de Céline : « … les journalistes ont faim. Pour un repas, il font vingt cinq lignes qui calomnient un homme. Pour deux repas, ils l’envoient à l’échaffaud. Ce sont des chiens, ils ont faim… »

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6 septembre

 

Y était à la maison cette nuit. Je l’ai pris cet après-midi dans les bras. Il m’a souri pour la première fois, un petit sourire qui semblait venir de très loin, comme après la grande lassitude d’un long voyage ….

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8 septembre

 

Je vais aller voir du côté des romans « durs » de Simenon. Les quelques pages que j’ai parcourues laissent entrevoir une fluidité de récit qui devrait bien aller avec les premières soirées d’automne. Les brumes, les écluses, les bistros…

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Et puis les lettres de Céline, je m’y plonge avec bonheur ! Au hasard, des années 10 aux années 60, dans le désordre, des courtes, des longues, pathétiques, jamais indifférentes. Il y a même les visages inattendus de l’auteur sur le plan intime. Il est vrai qu’à l’origine Céline était médecin. J’ai trouvé, en suivant le dédale d’une correspondance avec Erika Irrgang, une liberté de ton, et une légèreté qui laisse supposer des rapports passablement sensuels : « servez-vous de toutes vos armes, sexe, théâtre, culture , travail. Pas d’amour sans préservatif, ou alors PAR DERRIERE…….. Amusez-vous bien un peu aussi- soyez vicieuse- nous verrons cela ensemble. Mais attention aux maladies. ». On a beau être médecin, la lettre est certainement adressée à une patiente devenue amie et vivant dans une certaine précarité. Elle joue de ses charmes avec la bénédiction de Céline qui trouvait là  de quoi assouvir pas mal de ses désirs. Il est remarquable de constater le retour en force aujourd’hui , comme en 1932, du préservatif et cette incitation, répétée souvent dans d’autres lettres, à être vicieuse. La lecture des lettres est d’autant plus intéressante qu’il ne s’agit pas de fiction romanesque, mais d’un angle de vue sur l’auteur saisi dans les coulisses de sa vie privée.

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Ce soir c’est le Languedoc, avec Sète et le Mont Saint Clair. Le cirque de Navacelles avec ses deux villages en vis à vis, sa solitude et son bout du monde. Le cirque de la Vis et sa résurgence au pied d’un moulin en ruine, qu’on croirait un paysage de la « Belle Meunière » de Schubert… Plus loin Pézenas, ville royale de St Louis et ville de foire médiévale, trésor d’architectre classique et d’hôtels particuliers. St Guilhem le Désert, comme un long serpentin qui mène au joyau roman au fond du village , et sur la petite place, un énorme platane faisant ombre à la façade occidentale de l’édifice. Maguelone, perle des étangs (deuxième église après Rome pour le pape Urbain, c’est dire le rayonnement qu’elle avait au Moyen Age). Une merveilleuse histoire d’amour y a inspiré les troubadours, jusqu’à Brahms et un exceptionnel cycle de mélodies.

On traverse Agde, perle noire de la Méditerrannée avec ses églises basaltiques étonnamment inattendue dans le paysage. Le Château noir de style 1900, hybride, égyptien, décadent. Pour finir, Gruissan, le village escargot et sa « banlieue » de cabanes et de chalets sur pilotis.

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C’est certain maintenant, la France a les moyens, beaucoup de moyens, et on ne le savait pas. Depuis une dizaine de jours, (même si le phénomène est enclenché depuis longtemps), avec une frénésie croissante, on ne parle plus que des « migrants ». Des migrants, et non pas des réfugiés, ou de futurs clandestins, mais des gens au passage forcé par l’Europe Occidentale. Des milliers, certainement des centaines de milliers d’hommes et de femmes fuyant la Syrie, l’Irak ou l’Afganisthan, les territoires où sévissent les organisations islamistes, et les différents régimes totalitaires, se trouvent aux portes de l’Italie, de la France , de l’Allemagne, , de l’Angleterre, franchissant la Hongrie, l’Autriche et tous les territoires qui les séparent des eldorados de l’Ouest.  En attendant des répliques , probablement plus denses encore que les vagues actuelles. Durant des années, le problème des frontières a été considéré sous l’angle d’une régulation, et les accords de Schengen furent mis en place pour que l’Europe constitue son espace autonome, (et non plus seulement l’espace national, mais l’espace plus large de substitution, dernier rempart), contrôlant ainsi les flux migratoires extérieurs à la Communauté nouvellement constituée en Europe. Or, voilà que ce bel édifice abstrait vient à voler en éclats.  De l’intérieur! Michel Rocard, ministre de Mitterrand, disait, dès 1988, que la France ne pouvait accueillir toute la misère du monde. C’est aujourd’hui un virage historique à 180° qui est effectué par les pays concernés par cet accord Schengen. Le chœur des autorités médiatiques, dans une belle unanimité, n’en finit pas  de débattre, sans contradiction, au point que les tables se mettent à tourner dans le vide… Même si 60% de la population est réticente à accueillir ces masses en mouvement, le temps n’est plus à la réflexion, ni au doute, mais aux modalités d’accueil de ces blocs migratoires. Là, où l’on pouvait imaginer auparavant un maintien, un tant soit peu, de notre spécificité française, italienne, européenne, ne reste plus que l’image de l’Homme dans sa misère. Et la misère est intolérable aux yeux de la classe à la caisse de résonnance. La France, l’Europe ont les moyens aujourd’hui qu’elles n’avaient pas hier ? Les Droits de l’Homme décuplent la force et la volonté . Ce sont les Noces de Cana contemporaines. La pauvreté et l’injustice sont intolérables. Qu’à cela ne tienne ! Nous éradiquons la pauvreté et la misère venus de tous les horizons. L’angélisme Humaniste a tranché en faveur de l’humain. Les frontières, les caractéristiques propres à chaque Nation, et au sommet de la hiérarchie des Nations, l’Europe, ne peuvent résister à l’abstraction et à l’artifice de ce qui unit et élargit,  pour le bien de chacun. «  Nous sommes tous des enfants de la planète… ». L’image du petit Eylan trouvé mort  sur une plage des côtes occidentales a ébranlé, je dirais même , a effacé (par des médias qui savent tant jouer sur la sensibilité qu’on ne peut manquer de partager, sous peine de faire partie des ignobles), des siècles de croyance en la spécificité et l’univocité des nations bâties et défendues (parfois au prix du sang) par toutes les générations sur des siècles, qui ont fait ce que nous sommes et ce que nous avons voulu être. Déjà, dans les années 70, les communistes, à l’humanisme facile et d’évidence biblique, ratissant toujours suivant les principes de la III° Internationale, arboraient le slogan : un algérien, un portugais, un malien etc , égal un homme (un bulletin de vote). Imparable. L’humain, voilà l’impératif catégorique moral qui fait accélérer le proccessus mondialiste plus vite que lui même n’aurait su le rêver. Certains affirment déjà : « Nous n’avons pas le choix, l’Europe impose l’option de la venue massive ». Quel aveu ! Nous n’avons pas le choix …(et pour les instances dirigeantes européennes et Monsieur Junker, le choix veut dire le droit) d’envisager une solution qui irait à l’encontre de cet impératif humaniste. Au risque de disparaître, de changer toute caractéristique de notre état actuel , culturel et social, à grande vitesse, ou à vitesse d’une mutation forcée ? Non, envisager une telle possibilité relève de la frilosité et du manque de foi. Une question s’élève dans la mêlée : « Et si les vagues  dépassaient toutes les prévisions.. » il a été répondu «  Ce n’est pas le moment d’avoir peur »… Question de sang froid, voilà.  Nous aurons le droit d’avoir peur en temps voulu. L ‘heure n’est pas à la crainte et aux questions que pourtant 60% des citoyens se posent. Le partage, valeur suprême de notre civilisation que nous avons crue individualiste, enfouie sous les décombres d’un christianisme laminé, ingrate et indifférente à la souffrance d’autrui, offre un démenti devant ces élans individuels de solidarité. Le prisme, au travers duquel nous pensions notre Occident frileux, s’avérait être une fausse perspective. L’Occident ouvre toutes grandes ses frontières (pourquoi d’ailleurs y en avait-il encore ?) et plus aucun obstacle ne contrariera à l’avenir tous ces élans de générosité. D’ailleurs, nous n’avons pas d’autre choix que d’ouvrir tout grand la porte. Nous avons donc les moyens, et de grands moyens, et nous le faisons savoir. Un compétition de générosité se dessine aujourd’hui pour  mesurer, qui, de la France ou de l’Allemagne pourrait prétendre à ce titre honorifique de la plus belle attitude face à la misère. Cela me fait penser, du temps que j’étais enfant, à la fin de la messe, quand arrivait le moment des aumônes, certains faux dévots, qui ostensiblement, montraient que leur geste était de plus de poids que celui des autres… Et dire que tout ceci est paradoxal, dans notre univers férocement individualiste, matérialiste et consumériste, de voir, dès que le signal en a été donné par les maîtres penseurs médiatiques, cette frénésie de dons, d’assistance et de charité spontanée, l’Etat se satisfaisant d’une telle belle maturité citoyenne. Combien ce souffle d’enthousiasme va-t-il durer ? Le temps qu’il faut, comme lors d’un voyage, pour découvrir le visage, le mode de fonctionnement et la vérité propre d’une personne partageant le périple, dont on n’avait jusque là assez peu saisi les contours. Et puis, que n’avons nous aidé cette vague d’avant garde roumaine et bulgare qui pullule, en rang serré, loin de tout signe volontaire d’intégration, et qui vient échouer et mourir comme navire inerte sur les trottoirs de nos grandes villes ? Par manque de moyen ? Par indifférence ? Et que n’avons nous, en amont, trouver , hier encore, tous ces moyens propre à supprimer définitivement ( et cela ne demandait pas un effort aussi colossal quantitativement) la pauvreté existant déjà chez tant de nos ressortissants contemporains ??!!  La pauvreté aurait disparu. Le rêve !… Est-il déjà trop tard ? Mais probablement que la misère hexagonale n’exerce pas auprès de nos dirigeants la séduction des misères géopolitiquent plus attendrissantes dans d’autres parties du monde . (L’herbe est toujours plus verte chez le voisin, les causes sociales et morales aussi). Un bémol dans ce chœur, quant à l’Allemagne. Elle attend 800 000 réfugiés avec des pancartes de bienvenue, jusque dans les stades, ou le support des équipes de football se confond avec celui des nouveaux arrivants. Une générosité qui masque à peine son désir de trouver là une occasion pour le renouvellement des générations qui reste en large déficit. L’angélisme, quand on creuse un peu, fait place à une forme détournée de colonialisme inversé. La nouvelle colonie de peuplement, accueillie avec tant de joie, est simplement une chance pour l’Allemagne de remplir à nouveau le ventre des futures nouvelles allemandes.  La France, elle, a déjà été gavée de natalité , au point de passer en quelques années, sans qu’on ait eu à trop en chercher les raisons ( !!), de 60 millions d’habitants à 65… L’Europe n’exige donc pas d’elle autant de générosité que pour l’Allemagne et se contentera , en un premier élan d’hospitalité, de quelque 24 000 migrants (officiellement). A charge de revanche ?

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11 septembre

 

Missa Pro defunctis  de Joan Cererols, compositeur catalan du XVII° siècle, joyau du baroque, comme sait les exhumer Jordi savall. Un entrelac polyphonique au tissu serré, compact, qui regarde encore vers le Siècle d’Or renaissant hispanique.

Je n’ai pu résisté au petit guide (mais est-ce un guide ?!) d’André Tubeuf sur le Festival de Salzbourg, qui est bien heureusement encore édité. Plus qu’un ouvrage d’approche sur le Festival, c’est un parfum qu’on respire du cœur de la ville, une invitation à humer les collines environnantes. Tubeuf sait faire parler les pierres, les lieux d’histoire, donner le goût de la promenade, faire revenir les fantômes, les âmes de ceux qui y ont vécu un été, et marqué de leur empreinte la scène lyrique, et ceux qui en ont fait la légende… Une auberge du côté de Kaigasse, dans les années 50. Elle témoignait, un soir de trève, de la paix promise par les deux monstres sacrés du festival, Fürtwangler et Karajan qui signèrent ce pacte d’amitié solennel et éternel (violé dès le lendemain…), sur une carte où figurait le menu, et signé par tous les témoins de ce soir mémorable. Bien plus tard, un amateur d’histoire et de légende a voulu acquérir ce document rarissime qui était resté épinglé depuis, à l’entré de l’auberge. Il lui fut répondu qu’il n’était pas à vendre, sinon, peut-être, avec les murs…

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Katy m’écrit de nouveau. Les lettres sont douces. Nous devrions nous revoir.

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Bernard me parle en coup de vent au téléphone. Il promène du côté de Vulaines- sur-Seine ; ça a l’air charmant, étendu, sans construction en hauteur, c’est vert. Mallarmé y a fini ses jours…

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12 septembre

 

Kempff a écrit plusieurs cadences pour la fin du 4° concerto de Beethoven. Entendu ce matin celle de 42 ( ?),  (qu’il écourtera en 53) avec van Kampen et Berlin ; on croit entendre, dans la partie aigue, main droite, du Liszt (jardins dans la Villa d’Este)…

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Je ne bois plus depuis deux semaines, je retrouve le chemin de la lecture. Les nuages et le vent du soir donnent toute la fraîcheur souhaitée ; on ne peut avoir de meilleures nuits.

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13 septembre

 

Pluies torrentielles dans les matinées. On n’aperçoit plus même le Grand Baou, ni St Paul.

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En moins d’une semaine, l’Allemagne, qui exhortait l’Europe à la générosité, et prenait l’initiative de recueillir les flots (incalculables) d’immigrants, ferment aujourd’hui ses frontières internes à l’Espace Schengen, donc elle renégocie non seulement  la frontière avec l’espace extérieur à la Communauté , mais rétablit son espace intérieur face à l’Autriche, la Tchéquie et la Hongrie, qui elles-mêmes ferment également les accès à tous ces flux incontrôlés…

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15 septembre

 

Le Pub carlone a repris des couleurs après tant d’ années d’incertitudes. La jeunesse remplit à nouveau la terrasse et j’ai l’impression de retrouver un peu ce temps où j’étais en philo, où certains après-midi se pronlongeaient jusqu’au soleil déclinant, ce temps où la famille Montiel régnait sur cet îlot de rencontres étudiantines, quand la fermeture ne se faisait jamais avant une heure du matin. Aujourd’hui, ce n’est pas une rencontre qui m’attend mais ma séparation d’avec Katy. C’est moi qui en prend la décision. Notre avenir s’est épuisé et ne pourrait être que douloureux. J’ai le respect de ce qui restera le beau printemps et le bel été 2014. Le ciel est de circonstance, gris. Jamais je n’avais remarqué à quel point la végétation qui enserre la petite cité et le restaurant universitaire avait grandie. Quand nous allions au Pub l’an passé, du temps du Jean Bart, le parvis, vu de là où nous étions, avait des allures africaines, c’était l’été. Aujourd’hui les deux palmiers qui font face à la terrasse sont envahis par les herbes grasses, luisantes, ce soir la pluie n’est pas loin.

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Julien Gracq a écrit sur Nantes évidemment. Je n’ai pas souvenir, mais il a du en parler, de ce merveilleux Passage Pommeraye.

 

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17 septembre

 

« Lorsque les Mongols conquirent la Mésopotamie en 1401, ils érigèrent un monument de triomphe avec les crânes de cent mille habitants de Bagdad qui ne s’étaient pas défendus et qui parfois épousèrent même la cause de ceux qui allaient les vaincre  ».

Une phrase troublante, déjà ancienne. C’est le début d’une réponse de Jacques Soustelle à Raymond Aron en 1957, relativement à la Guerre d’Algérie, avant même le discours d’Alger du Général de Gaulle le 13 Mai 58…

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Liszt, « Après une lecture de Dante ». La saturation du clavier. La mélodie sublime, enclavée dans le magma virtuose …. Brendel inattendu…

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A mesure que l’Histoire avance, que le visage se dessine au-delà de l’image volontaire que nous imposent d’eux-mêmes ces figures de l’Histoire quand la poussière du temps et les passions des engagements retombent, de Gaulle apparaît de plus en plus comme un homme de gauche, et Mitterrand comme un homme de droite.

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18 septembre

 

J’ai envoyé à Henri la Nouvelle IV. Elle le concerne. N’ayant pas d’outils informatiques, ignorant même l’usage de la moindre souris, ce texte imprimé lui donnera une idée de ce que fut mon passage avec K. au Jean Bart, durant l’été 2014…

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20 septembre

 

Dimanche. Je ne sors pas de la journée. Janacek. La Messe Glagolitique par Kubelik et la Radio Bavaroise. Dans le jardin, quatre roses comme le poing  ont éclos dans la nuit.

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22 septembre

 

Les arbres ont toujours été pour moi une vraie source de rêverie. Je dirai même que les arbres représentent une disposition mentale dans leurs différentes arborescences. Dans ma petite enfance, la longue ligne droite menant à la ferme d’Aïn-el-Aouda semblait interminable, berçant souvent  une douce rêverie, faite  d’impatience, et le défilé des platanes séculaires pouvait, à certains endroits, cacher le ciel, jusqu’au moment où la traction avant Citroën ralentissait et tournait sur la droite au panneau discret, éternellement de guingois, indiquant « ferme Paul Deydier », débouchant sur un chemin étroit de terre et de nids de poule, bordé de maigres oliviers durant quelques cent ou deux cent mètres, jusqu’à la bâtisse principale, avec son toit carré et son cône large de tuiles oranges. Durant cette période de ma vie d’enfant je ne savais dire le nom des arbres, mais instinctivement mon imagination leur attribuait une valeur immédiate si j’y voyais une possible construction de cabane, comme un promoteur sachant reconnaître la qualité d’un futur terrain à bâtir. L’arbre avait cette valeur d’enfanter le rêve de la maison sauvage idéale. Comme une matrice, il se devait d’avoir une structure enveloppante, des branches larges et une sorte de plateforme au sommet du tronc pour permettre une assise solide à ce petit habitat. Des couvertures, des rideaux abandonnés, des objets de récupération finissaient d’habiller ce lieu statégique d’où naissaient des aventures qui pouvaient durer jusqu’à la fin du jour. Le vrai bonheur était le moment de s’abriter (c’était certainement le moment le plus intense) , quand la pluie, à condition d’être douce et bienfaisante, s’invitait aux réjouissances de l’imagination.

J’ai donc toujours eu une préférence pour les arbres ayant cette faculté d’accueil symbolique, et ce sont naturellement les châtaigners, les hêtres les noyers ou les frênes (même si je n’ai jamais eu le loisir de construire autant de cabanes qu’il y a d’espèce d’arbres de ce type) qui ont toujours eu ma préférence. Dans un terrain vague à la végétation sauvage et grasse, faisant face à la maison de la Nonina, en plein Rabat, mes amis de ce temps là, et moi-même, avions aménagé une espèce de méchante maison champêtre qui avait l’avantage d’être un refuge permanent où nous poursuivions les épisodes manquants dans les péplums ou les westerns dont nous refaisons les scénarios…  L’arbre a une âme. Sa forme globale, son aspiration vers le ciel peuvent être sereines ou torturées. On peut y lire comme sur un visage. Il y a une humanité dans l’âme, dans la forme des arbres pour ceux qui savent y lire le miroir de nos racines profondes. Je considère comme une sorte de crime la nécessité d’abattre un arbre, quelque soit la raison invoquée par les urbanistes. Nos avenues, bordées de ces grands platanes ou de ces peupliers, (aujourd’hui nous avons des poivriers ou des tilleuls) faisant une allée végétale dans nos univers de béton et de verre carnassiers, se trouvent de plus en plus menacées.  Sur le boulevard Victor Hugo, à Nice, les arbres préservent encore l’ombre tout l’été et habillent les immeubles cossus, en se hissant souvent jusqu’au second étage de ces immeubles, parfois plus encore. Cette avenue fait presque figure d’exception. Les autres rues et avenues ombrées restant souvent plus modestement pourvues. Peut-être le boulevard de Cessole, vers le Nord de la ville, et le Boulevard Gambetta de mon adolescence… Rue des Potiers, vers 1964, depuis le balcon de chez nous, s’étendaient près du boulingrin et des néfliers qui envahissaient le coin de la rue, de gigantesques cèdres du Liban et de non moins immenses sapins, peut-être dix huit ( !) appartenant à une seule et même propriété, enfouie, et comme ivre de son opulence. Ces arbres faisaient le bonheur de Maman. Ils devaient vivre encore jusqu’après notre départ de cette rue, avant de disparaître tous. Le 42 rue des Potiers devenant depuis, méconnaissable. A Vienne, par le génie de Hundertwasser, ce sont maintenant les maisons qui engendrent les arbres ( !). Dans l’immeuble bariolé qui porte son nom, il est prévu de faire pousser des arbres à l’intérieur des appartements, par un système d’oxygénation de la terre, sous les sols, entre les différends étages, et ceux-ci passeraient par la fenêtre pour trouver à s’épanouir !…(peut-être des enfants rêvent-ils de faire des cabanes dans les arbres s’épanouissant dans les immeubles faisant des arbres à cabane, faisant des maisons dans des maisons faisant des arbres, etc… jusqu’au ciel…).

 J’ai aimé aussi, bien que ne répondant pas aux critères de la cabane, les bouleaux infinis des fôrets maigres de Basse Autriche, avec leurs troncs marbrés de gris et de noirs, de branches élancées et sans grandes vigueurs, jetant leur ombre en lame de couteau à l’heure du crépuscule, mais d’une élégance épousant les désolations hivernales. De la plaine du Pô, les mêmes bouleaux sont au printemps, près de Viadana, les pieds dans le fleuve, et ceux du Lac Baïkal dont me parlait Evguenia, sur des espaces laissant la lumière pâle pénétrer, en milliers de clairières rendant plus désolés encore ces horizons de silence et de mélancolie.

Les arbres de Méditerrannée paradoxalement ne m’ont jamais fait rêver. Les cocotiers et les palmiers, qui par ailleurs, ne sont que des plantes, épousent par contre parfaitement les paysages de lumière hors du temps, dans les Antilles ou au Nord de la Colombie, allongeant leurs cous à l’horizontal des sables à la blancheur immaculée, venant presque se tremper aux vaguelettes du rivage. Mais dans nos régions, entre Marseille (et même avant), jusqu’au delà de la Riviera italienne, le palmier semble nu et mal peigné dans son abondante et lourde crinière, s’accordant de force à l’opulence potentielle de ces régions. Il n’est qu’à comparer le relief, coupé au couteau lumineux, d’un paysage méditerranéen lorsqu’il est débarrassé de ces espèces africaines. Les villages de l’arrière-pays ne s’y trompent pas et sont vêtus de platanes souvent séculaires, près des fontaines et des café sur les places et les lieux d’activités. On n’imagine pas au portail Ouest de St Guilhem le Désert (Languedoc), à l’heure du couchant, un pin ou un palmier. Même en fermant les yeux, c’est un énorme platane qui donne l’harmonie à l’ensemble de ce bout du monde. Le palmier atteint son degré de tristesse le plus grand lorsque le temps est à la grisaille et à la pluie. Mais quelle naturelle épousaille du gris des ciels de pluie, et des rythmes de peupliers le long des routes et des chemins ( cette ligne droite allant à Manosque comme une bienvenue ! )… Le palmier, le pin, c’est le hiatus d’une végétation qui semble d’importation. Nous ne pouvons plus dissocier la Promenade des Anglais et tout le littoral de la Côte, de ce vêtement de carte postal depuis plus de cent ans. Et pourtant, avec un peu d’imagination, ces longs chemins de bord de mer seraient si élégants, rythmés par d’autres espèces autrefois plantées sur ces littoraux. La parure absolue, loin évidemment de mes cabanes à rêves, se sont en saison, les amandiers, les pêchers et les cerisiers en fleurs, par tout le Var et le Vaucluse, aussi majestueux et gorgés de poésie que le sont les arbres en fleurs à Kyoto au printemps. Le pin atteint également (outre sa fragilité qui le rend vulnérable à l’incendie), sa pleine nudité, comme amaigri d’une pelade, dans ses troncs monotones et dans leurs alignements désolés, sous leur large couronne de faux parasol. Faible et sans mystère, sans majesté comme un corps adolescent n’ayant plus la force de la maturité. Un arbre sans feuilles, qui n’a que ses aiguilles !… Mais le pin, c’est Rome, c’est la voie Appia, les portes du Colisée, voire les enceintes extérieures, le long des chemins qui quittent la ville. C’est son royaume. Mais sur le littoral, nous rêverions pour nos régions, de noyers, de frênes et de marroniers, ou toujours de ces platanes qui seraient, avec l’olivier souverain, (et ils trônent sur toutes les hauteurs du pays d’ici) ce que le chêne était à Saint Louis.

Et les figuiers ? Les figuiers abattus du Lycée Massena ?…

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25 septembre

 

Katy est repartie vers Sisteron ; elle m’envoie des messages qui disent un peu plus chaque fois le désarroi de ne pas avoir trouvé ce logement, qui depuis juillet de l’an passé, est au cœur de toutes ses difficultés. La Provence, Sisteron, Manosque, restent l’ultime refuge. « Et puis je l’aime ma Provence… ». Mais elle ne s’éloigne pas. Ses lettres lapidaires, écrites dans l’urgence, laissent entendre son désir que l’on se revoit bientôt. «  Ces temps-ci, on s’est trop souvent raté… »

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(Parenthèse) : La modernité passe-t-elle par un mode de pensée inusité jusqu’alors, ou existe-t-il une assise, qui, au-delà de formes neuves d’expressions et d’engagements réalistes contemporains, trouve des sources de sagesse et de conservation dans des savoirs récurrents ? Le savoir, aussi ancestral soit-il, comme une vieille sagesse qui réalise des miracles, lorsqu’on le sollicite, peut bien avoir deux mille ans, n’en demeure pas moins du ressort de la vérité. Il n’est donc pas de modernité qui exclut une conservation de tous les savoirs séculaires opportuns dans la vocation d’une réalisation ou d’une décision à venir.  

…C’est ce que j’ai cru comprendre ce matin, dans les propos de l’Académicien haïtien, Dany Laferrière.

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26 septembre

 

Randonnée avec Stephan l’Allemand ; ça faisait depuis Francis et le Boréon, l’été d’avant le Chili, que je ne partais plus marcher. Après Roubion, sur les hauteurs des gorges de la Tinée, nous empruntons une affreuse piste étroite sur plusieurs kilomètres (quoique charmante sous les sapins géants, mais compromettant la santé du véhicule) . Stephan a du se tromper d’itinéraire… Nous poursuivons vers Beuil, très beau en vue plongeante, puis un sentier qui mène vers le lac de Beuil, la Tête du Garnier et le col de Launes. Le lac n’est qu’une grande mare qui n’a pas 80 m de diamètre, mais placée a un endroit qui invite à la pause, puis nous grimpons vers le sommet où la vue est majestueuse sur la petite pièce d’eau et plus haut un plateau dégagé et une perspective sur toutes les vallées environnantes. L’air est vif et sifflant , le paysage fait un peu penser à l’Aubrac par l’immensité des champs nus et chauves, et les gros cailloux qui émergent de ces océans d’herbes jaunes. Nous redescendons à Valberg vers 14h, le village est déjà plongé dans la morte saison qui ne durera pas longtemps avant le début des neiges. C’est aussi la route des Brea. La lumière était parfaite. Quelques arbres ont déjà pris nettement leurs couleurs d’automne.

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 Chez Petitrenaud, de belles images de Meudon, commune verte. Vins de Montmartre, d’Issy-les-Moulineaux. Les vins de Côteaux de Suresnes assuraient le domaine royal du temps d’henri IV. Un grand roi pour le vin . Jurançon aussi…

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28 septembre

 

Magnifique film de Carol Reed, le troisième homme, revu ce soir avec un  doublage insupportable ; on préfère perdre un peu de l’image en lisant des sous-titres en V.O. que de supporter ce ton qui a vieilli cent fois trop. De même, qui a donc cautionné cette affreuse musique de guitare hawaïenne (en fait une parfaite cithare viennoise) qui ne quitte pratiquement jamais l’image et qui détonne sur un si beau noir et blanc ? Alida Valli méritait mieux…

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29 septembre

 

Dix ans déjà. J’avais acheté un cahier bleu pour moi, un vert pour Dalila. J’ai ouvert et commencé ce cahier bleu, à cette date, qui a donné depuis, tant d’autres cahiers manuscrits, sans jamais faiblir. C’était le début d’une sorte de source qui s’est mise à couler d’un débit régulier que je n’avais jamais connu depuis mes premières années d’écrits sur l’écorce des arbres 

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La septième de Mahler aurait pu être une des plus belles. Le final, bruyant, est assez indigne des trois premiers mouvements. Je ne l’entendais plus depuis une vingtaine d’années et  j’ai eu le même sentiment de malaise ce soir. C’est à Königsee, durant tout le temps de la traversée, que j’ai aimé pour la première fois, et ressenti , en une transposition parfaite dans le premier mouvement de sa troisième symphonie, cette Autriche Romantique de l’eau et de la montagne, l’univers de Mahler. Du côté de Parsch aussi, sur les hauteurs environnantes de Salzbourg, dans les villages, près de Steinbach, la cabane de l’été… Les lacs, les montagnes et l’écho du cor, vers St Bartholomée, me rendaient sa présence manifeste, avec ce sentiment d’espace fragile et infini, de même que vers les quartiers extérieurs à Salzbourg, les rues aux noms de Böhm, Fricsay, Cebotari etc. sont un rappel permanent de l’Opera de Vienne, et donc de Mahler. Paradoxalement Mozart me semble étranger à la ville, malgré la présence entêtante de la maison natale. Peut-être comme du temps de Colloredo et des archevêques qui l’ont réduit à s’exiler à Vienne, et malgré les hommages aujourd’hui par trop ostentatoires, jusque dans les boîte de chocolat, il semble déserter la ville…

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30 septembre

 

Sur des conseils de Bernard, j’enverrai bientôt des textes à éditer aux éditions de l’Harmattan. Qui sait ? J’irai aussi à Coaraze, la vitrine de «  L’Amourier » semble abriter une nonchalance propice à la lecture par un comité amoureux de poésie…

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Ce soir c’est la Durance des Hautes Alpes à la Provence, de Briançon à Avignon. Sisteron c’est la limite de l’olivier. Au-delà c’est le Dauphiné… En retrait de la ville, les gypseries de Volonne (plafonds, ornements de fenêtres et de cheminées, décorés de plâtre) dans de vieilles maisons de maître, attendant leur restauration . Longue traversée de la Vallée de la Clarée, du Vallon de Buffère, vierges de toute atteinte, loin de tout…

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Début octobre

 

Je fais des transformations chromatiques et des recadrages de beaucoup de photos. Entre autres, toute une série, devenue des « Nymphéas », prise au Lac de Beuil qui n’en demandait pas tant…

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« Carnets du grand chemin ». Rien de tel, le soir ou à la nuit venue, que de plonger sur ces parcours à échelle d’homme, lentement, dans les ornières négligées de nos villages, dans la clarté des paysages avec la lucidité fraîche, préludant, comme l’enquêteur à la recherche de la vérité, à un indice en forme de pierre oubliée ou d’arbre expliquant le mystère et l’équilibre d’une beauté éphémère, ayant attendue le regard révèlant et acéré de l’observateur.  Gracq , plus que Proust, avec ce sentiment conscient de relater sur un ton et une esthétique souveraine, dans des phrases sereines, d’une fléxibilité dont la tortuosité même révèlera l’évidence de l’observation, use de la longueur des périodes la juste élasticité qui mène avec souplesse et  hauteur vers des envolées de vision d’aigle tranquille, faisant souvent penser aux plus classiques (c’est-à-dire aux plus libres) de nos auteurs du XVII° siècle, ou plus encore, à quelque Tacite ébroué sur les chemins poussiéreux des routes et des sites de provinces de la France silencieuse, et plus loin encore, aux quatre vents du monde. Ces Carnets, loin d’être le fruit d’un possible brouillonnement spontané d’impression de voyage, sont le parfait exemple de transcription et d’exercice lucide , et comme à froid, de laboratoire.

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4 octobre

 

Manipulation des esprits. Les médias n’ont pas vocation à rendre plus savantes les personnes qui s’en remettent à leur compétence. Une personne, pourtant éduquée plus que celles qu’on nomment habituellement la moyenne de la population, me soutenait que la plus grande chanteuse lyrique du XX° siècle était Maria Callas. Bien. Mais comment le savez-vous ?

Je l’ai entendu dire hier soir aux nouvelles.

Mais dans quel répertoire ? vous a-t-on dit ? Strauss, Puccini, Wagner, la Mélodie française, le Baroque flamboyant ?

Réponse proche du mutisme. Plutôt moment de solitude silencieuse, embarassée.

Mais quelle serait la seconde alors?  (je n’osais demander la troisième élue, pas plus qu’une qui aurait eu sa place parmi les grandes, dans, disons, les dix premières, justifiant l’élection de la Callas…)

Silence .

Je ne sais pas, je n’en connais pas d’autre. ( !!!) ………

Du moins, avons nous là une spontanéité de réponse que le snobisme de certains aurait maquillé en adhésion de fait avec un formatage de pensée qu’on a souvent tendance à diluer dans la pensée dominante, dont les médias se font l’écho dans les domaines les plus variés. Nous aurions préféré que la personne interrogée, soit n’entende jamais parler de Callas, soit qu’elle l’ait découverte au hasard d’une rencontre charmante sur scène ou sur un enregistrement, et au cas où elle l’eut appréciée, qu’elle ne cherchât à savoir qui elle est, et moins encore à la faire entrer dans la catégorie plus grande chanteuse du monde… L’ignorance valant certainement mieux que le faux savoir. Plus triste, et plus grave. Une enquête, diligentée par de très sérieux producteurs de télévision, et de non moins compétents présentateurs omniscients et omniprésents sur les ondes (l’omniscience justifiant l’omniprésence ou l’inverse) , proposaient de demander aux français, en cette fin de XX° siècle, quel était le plus grand d’entre nous, depuis toujours. Le plus grand de tous les temps comme aiment à dire les sportifs… Ce sondage, effectué sur plusieurs semaines, donna un résultat qui sembla distortionné, eut égard à la dimension d’une telle question.  En premier vint le Général de Gaulle, en second , Coluche, et en troisième marche du podium, Michel Drucker. Je pense que les questions sont souvent mal formulées, d’où la surprise. Sans vouloir être malintentionné (penser, par exemple, que la question serait posée de façon à ce qu’on s’oriente vers nos amis de la petite lucarne), les personnes interrogées ont du, tout simplement, confondre avec une autre question, plus en rapport avec leur grand sens de l’observation, et qui serait :  quel est l’homme le plus connu dont vous avez entendu parlé dans votre quartier ?… (nous maintenons… depuis toujours)

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 Sur un triangle compris entre Cannes, Mandelieu et Antibes, et tout autour de la Brague, l’orage de la soirée et de la nuit dernière, a occasionné des déferlements torrentueux apocalyptiques, comme souvent , et en quelques heures seulement. Mais cette nuit il s’agit de quelques dix sept morts, et de plusieurs disparus… Le bétonnement de toute la Côte, le déboisement… Au travers de la fenêtre, je voyais courir l’eau furieuse sur le chemin pentue qui empêche l’eau de stagner à l’entrée de nos maisons…

Ce 4 du mois, c’est aussi le jour où Helenita nous a quitté l’an dernier.

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Les sonates de Scriabine. Longtemps, ces mélodies brisées, ces envolées , vite déjouées, hors des langueurs chopiniennes, tout en relevant de Chopin (où l’on n’oublit pas  l’ombre de Schumann), me faisaient perdre patience. J’ai passé la soirée avec la Sonate-fantaisie, la huitième et la dixième et dernière Sonate. Le lyrisme n’est jamais alangui, aucune sentimentalité dans les thèmes proposés, ce qui permet des phrases abruptes, syncopées et brisées, sans jamais aucun développement, m’ont ravi. Et puis sa maîtrise de l’orchestre (Poème de l’extase) en fait un magicien autrement plus plus essentiel que Rachmaninov  symphoniste, (quoique son concerto…) son plus proche contemporain. Avec Scriabine, on marche dans l’ombre de l’Impressionnisme avec une conception du temps qui est encore, malgré tout, celui des romantiques. Et de Schumann, sa plus proche ressemblance, vu au miroir agrandissant. …………………………………………………………………

5 octobre

 

Emmanuelle Haïm, chef d’orchestre, est invitée, ce matin, de la Matinale de France Musique. Son chœur du Messie de Händel est somptueux, comme capté en large panoramique et avec une perspective toute en profondeur. Elle paraît émue… «  –Vous paraissez émue, le chœur est grandiose ! 

Oui, ce qui est émouvant dans ce passage, dans les dissonances qui se traduisent par la douleur, c’est la culpabilité de la chrétienté devant la mort du Christ…

Qui savait, au moment de l’agonie du Christ que la chrétienté fut déjà constituée en une entité d’avenir ? La « culpabilité de la chrétienté », le jour de la Cruxifixion, est un total non sens… Emmanuelle Haïm, qui a bien évidemment étudié les contextes de toutes les musiques qu‘elle interprète, comme tous ceux qui connaissent le poids du symbolique et l’historique des textes sacrés, dans une cantate de Bach, ou chez d’autres, et ici, dans ce chœur de Händel, où chaque mot épouse la logique musicale, ne pouvait nous satisfaire d’un tel contresens. D’une rare ignorance, ce propos relève-t-il du lapsus, ou sa réponse était-elle faite consciemment ?

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Palmyre aurait perdu  ses derniers trésors en ruine, mutilés, au-delà des ruines, par la volonté des hommes…

Il ne reste plus même, parfois, le silence des sables…

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6 octobre

 

Katy m’envoie des messages d’affection ; de beaucoup de tendresse, avec comme une lassitude. Malade, de cette maladie qu’on ne nomme plus depuis si longtemps …. Anémie, leucémie… « Mes jours sont comptés, et je t’ai aimé ; je t’aime encore. Ta voix reste sur mon (répondeur) et je l’écoute… en boucle…baisers à l’ange que tu as été… »  

Je n’ose encore croire ce que je lis. J’attendrai encore…

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Ce soir, le voyage me mène à Chambord, dans la forêt domaniale solognote, la plus grande d’Europe. La merveille , au centre du château est l’escalier à double volée de marches, au cœur de l’édifice, comme une colonne vertébrale. Du haut des tourelles, les dentelles de pierre proposent une vue sur l’immense domaine de chasse, et une échappée infinie sur un monde faunesque, aujourd’hui protégé (les chasses y sont abandonnées depuis 2010). Les sangliers abondent, les mouflons de Corse ont trouvé refuge, et depuis la perspective aérienne de la mongolfière sur 24 000 ha, ce qui est l’équivalant de la superficie de Paris, les méandre de l’eau déroulent une petite amazonie, aménagée de trois mille étangs, étendus paresseusement. C’est la Forêt lumière.C’est le domaine de clos multiples, avec le grand mystère de cette chapelle de Maurepas dont on connaît peu les origines, qui pourrait abriter des prières anonymes ou des amours comme à Maguelone, dans sa parure végétale et d’oiseaux. Les espèces animales se développent comme autant d’exemple de modèles pour la France des forêts. Aujourd’hui, l’abeille noire est sauvée, et le cépage romorantin est replanté pour faire le futur vin de Chambord …en 2019. François Ier, entre Marignan et Pavie, avait déjà Versailles, dès 1519…

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7 octobre

 

j’ai repris mes cours , vers le Boulevard de la Madeleine, Chalet des Roses. Comme j’arrive longtemps en avance, je marche vers le quartier arménien de la Madeleine supérieure, il fait chaud, le quartier est affreusement éventré de travaux de voirie et de ravalements de façades. Dans le goulet étroit menant au Nord, longé d’arbustes, près du moulin à huile Alziari, le petit cours d’eau coule toujours, venant des hauteurs, dans un lit de mosaïques, semi cylindrique, maintenant le son argentin de l’écoulement, qui doit donner son frisotis sonore et continu, le soir venu. Cela me fait penser que c’est presque un privilège, dans cette ville entre mer et montagnes, tant Nice manque cruellement de fontaines. On peut traverser des quartiers, des heures durant, marcher à la recherche d’une source ou d’un bassin dans un parc, sans jamais rencontrer de point d’eau. Le seul petit bassin que je connaisse, vers la vieille ville, près de l’Eglise du Vœu où je pensais me désaltérer après les quelques jours de grandes chaleurs de cet été, était asséché… Je n’ai pas la force d’aller (et ce n’est déjà plus l’heure) vers les Vallons obscurs, sortes de failles naturelles creusées à même les flancs du boulevard, où la lumière perce timidement, en forme de gorges profondes, ou de canyons, un Grand Chaco niçois, comme transplantés à la périphérie de la ville. Des promenades à faire rêver sans partir bien loin d’ici.

 

…Bornala, le quartier de l’Université, le virage à l’angle de l’école… Bournala, en Savoie, veut dire petite grotte.

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Ce soir, dans le début de la nuit qui tombe, la voix de Matthias Goerne, avec Alfred brendel, chante Schwanengesang et An die Ferne Geliebte

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10 octobre

 

Ce matin, samedi pourtant, c’est le saut du lit, les idées viennent avec jaillissement. Je dois quitter le noir de la chambre, me lever pour noter les quelques bribes d’idées essentielles qui me viennent pour présenter mes écrits aux éditions l’Harmattan. C’est très simple. Ce « dur désir de durer », durer au sens où l’on échappe aux contingences des réalités du quotidien, c’est faire le choix de graver par la parole écrite le limon de l’existence, ce qui mérite de participer au sens, et surtout à l’interrogaton d’un parcours terrestre. Ecrire, c’est donc archiver une émotion, afin de ne plus y revenir, la mettre en dépôt, comme peau double, à la fixer une fois pour toute, sinon pour la communiquer à un autre, en partage, comme le souffrant qui, par la parole, en nommant la souffrance, ira vers la guérison. La maison dort, Ganesh va jardiner la Normandie durant ce week-end, il est temps de me pencher sur les livres que je vais devoir présenter…

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Les « Shadows » d’Andy Warhol, moins connues que les mythes et les réalités en négatif de la société de consommation, les icônes du quotidien perceptibles hors contexte, comme sous hallucination, comme objet en soi clos dans la loi du cadre, sont proches du travail répétitif et minimaliste de Mark Rothko. Ce désir de se répandre sur toute les surfaces encloses de la salle d’exposition est autant symbole d’images de chapelle contemporaine. Matisse a ressenti ce besoin du sacré à Vence, Rothko tout autant, et Warhol, avec ces ombres, peut-être aussi…

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PRESENTATION AUX EDITIONS DE L’HARMATTAN

« Ecrire de la poésie est moins anodin que de façonner un roman ou un récit de voyage. Les motivations et les racines non apparentes de celle-ci suffiraient à en justifier l’existence.

 

Ma biographie , incluse dans l’envoi que voici, n’apprendra rien. La poésie est ailleurs.

 

La mienne est gravée à coups de piolet (lorsque j’étais adolescent déjà, c’était le couteau qui meurtrissait l’écorce des arbres), parce qu ‘elle participe d’un vertige vers le haut, auquel il est vrai, je suis réellement sensible au sens physiologique.

 

Coups de piolet ascensionnels, nécessairement tendus vers la raréfaction de la matière et des espaces à gravir. Jusqu’au bout du souffle, jusqu’à l’asphyxie.

 

Avec l’inspiration, lente, grave.

 

Dans la somme des sensations qui nous assaillent, il est un tri qu’on s’impose. Pour ne plus avoir  à y revenir, comme pour guérir, en nommant la blessure, écrire , c’est archiver une émotion.

 

Ce « dur désir de durer » du poète, est désir de gravir et de vivre . Un désir granitique, d’où le piolet et l’asphyxiant espace jusqu’au tutoiement. La raréfaction. La poésie taille dans matière à diamant.

 

Le champ d’expérience y est aussi réduit que l’enceinte du combat singulier au corps à corps.

 

La vie et la mort. Eros et Thanatos. Les deux réunies dans le même granit, indissociables.

 

La courbe de la vie tendue de toutes ses forces jusqu’au bout des forces, le point zénithal, l’amour, puis le déclin de la flèche vers la chute obscure, la mort.

 

Tels sont les espaces impartis à la poésie dans son essence. Avec toutes les déclinaisons possibles. La Paix, la Guerre, le Jeu Social, la beauté des nuages, le temps qui passe, l’attente et l’espérance, Dieu…  

 

A coup de piolet donc, l’escalade, comme d’autres ont choisi d’autres sommets, d’autres ascensions.

Pour où ?

 

La lune est en vue

La lune est si proche.

 

A quelques 384 000km seulement, qu’elle pourrait bien dégringoler sur nous.

 

Mais souvent la vie et la mort tournent en rond, comme la géométrie tauromachique.

 

Un ami, qui travaille sur les chantiers, aiguisant d’autres diamants, nullement impressionné, me disait : « mon camion était formidable, avant de rendre l’âme, il avait trois millions de kilomètres au compteur ».

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Cortot et Horowitz ; la « Sérénade for the doll » du Children’s Corner. Comment imaginer interprétations plus opposées… et si complémentaires ? Les journées d’automne s’installent, les lectures sortent des rayonnages, les soirées sont frileuses. La première lettre de Madame de Sévigné, de 1671, à sa fille de Grignan, est un chef- d’œuvre de délicatesse blessée, d’une mère usant de l’éloignement pour oser le sentiment frontalement. «  Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous la dépeindre … »

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13 octobre

 

Michel Onfray édite tant d’ouvrages, il disserte sur tant de sujets dans les domaines les plus variés et souvent à 180°les uns des autres, que je ne doute plus qu’il ait au moins une demie douzaine de très solides nègres à sa disposition. Son Crépuscule d’une idole ne m’avait pas déjà laissé sans un certain doute … Ce qui n’enlève en rien à la cohésion et au charme de ses ouvrages d’une grande limpidité d’écriture, bien que sans réelle souci stylistique, et pour finir, assez fades. La dernière publication en date, La raison des sortilèges, (la raison oxymorant les sortilèges, déjà le philosophe s’installe) est une série d’entretiens, de dialogues avec Jean-Yves Clément sur les thématiques musicales habituellement soulevées et développées dans des publications éparses, ici réunies en un recueil compact et fertile, avec un peu de ce reflèxe philosophique de la catégorisation conceptuelle, mais moins appuyé que chez d’autres philosophes qui usent tant de l’esthétisme métaphysique, à des fins globalisantes, dans les domaines de l’art (Adorno, Jankélevitch etc.). Berlioz et Debussy seraient les deux divergentes ayant engendrées , d’une part, Varese, Scelsi, Xenakis, ceux qui travaille la matière et le magma sonore, l’exubérance de la tempête, et de l’autre, le miel des musicologues, le fluide et le presque silence de Debussy, avec dans le sillage, (et le nourissant), les Viennois de la Seconde Ecole, les minimalistes Feldman, les américains au sens large, souvent en biface des plasticiens, et enfin, la falaise de Cage, finissant dans l’improbable et tragique sans issue du silence, en finale palliative, nourrie par son contraire, l’aléatoire et le son concret («  4’33 ‘’ »). L’idée d’Onfray, de saisir sans trop de nuances, une filiation qui privilégie la surabondance des masses orchestrales à son opposée, la réduction de l’essence de la musique de Debussy, avec sa descendance, à une simple aspiration vers le silence, (comme lorsque la flèche est interrompue et abstraite dans le cours de sa trajectoire, elle donne l’immobilité), cela semble nier, (du moins cela  échappe à Onfray), l’ existence d’un temps musical. Et c’est en cela que Debussy, dans ce nouveau fondement d’un temps hors du temps de la barre de mesure et de la carrure rythmique classique, change le monde et la portée d’une galaxie qui sera la sienne tout le temps du   XX° siècle (Garcia Lorca parlait de lui, dès 1920, comme d’un argonaute de la musique nouvelle), n’étant réductible à la seule dimension du son allant vers son néant (ce que Jankélévtch nomme son géotropisme), ni à la surenchère des sirènes romantiques. A l’autre rive, celle, berliozienne, des grandes extensions de masses orchestrales, on ajoutera les stridences et les vastes fresques de Penderecki, et plus loin encore, les grandes machineries de la seconde moitié du XX°, Xenakis bien sûr, et le dernier héritier vivant de Berlioz, au-delà de Varese, Pierre Henry. Sur des rives voisines, dans un nouvel ordre constellaire, les galaxies Orion et Sirius de Stockhausen, les ambitieuses aventures de la transformation possible des échelles de la conscience par l’organisation des sons et de la lumière chez Gérard Grisey, la rotondité du son chez Scelsi, mais aussi les nouveaux silences du renoncement contemplatif, à la lisière cistercienne et tragique de Luigi Nono (peut-être le plus étrange debussyste cryptique), et les nouvelles Babel technologiques où les capitaines Nemo de la matière sonore, à l’écart, et dans l’ivoire de leur solitude, tracent ce déjà présent XXI° siècle.

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14 octobre

 

Des messages de Katy ce matin. De douleur, entre élan et renoncement. Les braises de la jalousie sans aucun fondement, de nouveau vives, maladives … (où tu es… folle de toi…). Des mensonges ( ?), des contradictions…

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D’un voyage dans le Tarn, ce soir, quelque part où sont une partie de mes racines, du côté Taurines, vue du ciel de St Marcellin en Lozère, creusé à même la falaise de pierre blonde et poreuse, en presque ruine, des compagnons de villages voisins, quelque peu charpentiers et tailleurs de pierres, amoureux des lieux, lui ont redonné ses arches et ses assises, son visage premier. Plus loin, dans les gorges, Hauterives, Peyreleau, nom merveilleux  qui sait allier, à lui seul, ruisselant, et comme s’il les unissait, l’eau et la pierre, et St Chély du Tarn plus loin. Les Causses à l’infini, épousent le ciel, à moins que celui-ci ne vienne se perdre dans les vents froids des hauts plateaux. C’est le Larzac partagé entre sa sauvagerie soumise au désert de vent et de rocaille, et l’architecture de ses parcelles cultivées dans toutes les étendues nuancées de la gamme des verts où les grappes de pierres semblent comme des excroissances venues du dedans de la terre. A Albi, qui me laisse toujours dans une première impression, comme un goût de Venise, l’étau s’est longtemps progressivement resserré contre les murs de l’Eglise St Salvy, au point de l’épouser d’édifices sur presque tout son pourtour, et d’en oublier le plan d’origine. C’est dans la stupeur d’un qui gagne au jeu de hasard, que de retrouver, lors de travaux que faisait le propriétaire dans sa maison, derrière des décombres de chantier, entre cuisine et salon, toute une arche d’entrée d’église avec ses piliers cannelés et une partie de la voûte cintrée menant à un autre vestige d’origine. Le tout, aujourd’hui, inséré en harmonie avec l’espace intérieur de l’appartement, entre salon et salle à manger, comme si les destinées de l’église et de l’édifice civil qui s’y était adossé, se devaient de s’interpénétrer. D’Albi, toujours, que j’avais traversée avec Danielle Prost, et il y a une dizaine d’années avec une autre Dan, de Rabastens, je gardais un souvenir précis de la pierre rouge et de son architecture sévère, de ce gothique de sud, unique en son genre, et militaire, comme une revanche de l’ordre catholique sur des terres cathares au cœur de la cité. L’édifice présente la particularité, là aussi, unique dans la décoration intérieure, de peintures à motifs abstraits sur tous les murs latéraux, et tout le long de la tribune supérieure, et non pas de représentations figuratives d’épisodes bibliques (les foudres du Jugement Dernier sont réservées au fond de la nef, encadrant l’autel, et sous le grand orgue) . Cela donne, par ailleurs, avec le bleu de la pierre de lapis aux voûtes, un air tout à fait Renaissance italienne, un quelque chose de siennois ou de florentin, plutôt que du médiéval gothique de sa construction d’origine.  La merveille demeure dans les quelques 200 sculptures qui enserrent le chœur, et qui ont retrouvé leur vivacités réalistes toutes en couleurs). Du haut du chemin de ronde, la vue s’étend jusqu’à l’horizon, traversant le Tarn, comme les nombreux ponts qui relient les différentes rives de la ville, rouge et rose, d’où qu’on la regarde. Le cours du Tarn vient mourir doucement, jusqu’à épuisement, à Moissac, dernière ville en aval de la rivière, avec l’abbatiale unique en son tympan, et le chasselas pas très loin sur les pentes douces, dans les derniers méandres avant la Garonne.

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Pour ne pas encore quitter complètement le domaine de l’architecture, cette phrase de Christian Bobin… Lui aussi a ses petites musiques de nuit dans ses  contemplations solitaires : « quand les anges jouent devant Dieu, c’est Bach. Quand ils jouent entre eux, c’est Mozart ».

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Premier corpus de mélodies en tant que telles, de Penderecki, au beau titre, « a sea of dream did breathe on me », proche de sa 8° symphonie conçue comme une symphonie avec séquences vocales féminines, en chacune de ses parties.

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16 octobre

 

Les dictateurs ont tous leurs faiblesses. Staline, même si tout devenait très vite suspecté de formalisme, aimait beaucoup la pianiste Maria Yudina , qui ne le lui rendait pas, mais à qui Staline pardonnait même certaines insolences. Hitler aimait Wagner par dessus tout. Il n’aimait pas Schönberg, ni aucun Viennois de la Seconde Ecole. Mais qui aimait Schönberg en ce temps-là ? Double reproche donc , à la fois d’aimer Wagner, antisémite, et de ne pas aimer Schönberg. Et quel était le niveau culturel de nos Etats-Major de 1940 ? Et qui, en France aujourd’hui même, pour aimer l’un et l’autre ? (Ce sera souvent ni l’un ni l’autre…). Peut-on le leur reprocher ? Le seul à ne pas faillir, c’est Mao. Pour lui, toute musique occidentale est fruit du démon capitaliste, création de vipère lubrique. Beethoven étant le modèle même du compositeur bourgeois. Le petit Livre Rouge est truffé de ces profondes et toutes nuancées gentillesses, que les jeunes, autour de Mai 68, considéraient comme paroles absolues. Mao est le seul à n’avoir pas de faiblesse. Il a le tranchant de la guillotine.

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 « En Syrie », petit reportage de 1926. Quelques pages seulement chez cet auteur fécond. L’ouvrage est sur tous les comptoirs de librairie en ce moment, pour les raisons que nous savons. Je cite seulement la première page de Joseph Kessel, qui semble déjà introduire à notre vision de cette Syrie de maintenant.

« La Syrie , que savons-nous d’elle ? Avouons le sans orgueil : quelques réminiscences historiques sur les croisades, les beaux noms de Damas, de Palmyre, de l’Euphrate, voilà tout pour une grande et féconde contrée placée sous mandat français. Qui, à part quelques spécialistes, pourrait tracer la physionomie politique de ce pays ? Qui expliquerait pourquoi on s’y bat et qui se bat ? En vérité, s’il est une excuse à ce manque d’information, on peut la chercher dans l’effroyable complexité qui règne en Syrie.

Ce berceau des civilisations, ce lieu de passage prédestiné, dont la richesse et la beauté ont retenu, sans les mêler, tant de peuples, cette terre où pousse avec une force ardente les croyances et les hérésies, déroute et confond. Les allaouites, les achémites, les maronites, les sunnites, les Grecs orthodoxes, les chiites, le comité syro-palestinien, les bandits, les rebelles, les Druses du désert et ceux du Horan, les Libanais, les Syriens, les Damascains- et j’en passe-comment s’y reconnaître ? Il y a vingt sept religions, chacune d’elles tient lieu de nationalité.Et les influences les plus diverses sollicitent moralement et matériellement ce chaos… la masse islamique informe, patiente, inculte, attend une impulsion venue d’elle ne sait où… ».

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20 octobre 

 

« Poésie pour le bleu », le début d’un poème que j’écris aujourd’hui dans mon journal poétique.

Lorsque je dis bleu, c’est une vague de paupière qui se déploie tout à la fin de la mer, c’est la mer elle-même, répandue par toute la planète vue de la lune, la fameuse orange d’Eluard, la mère virginale drapée à l’arbre de Jéssée et à la Belle Verrière lazzuli, à Chartres où le trou dans le vitrail à la saint Jean vient coïncider avec le rai de lumière qui frappe au sol la pierre de l’équinoxe, c’est la femme sculpture de Matisse sous les ciseaux, aux bras portant la chevelure lourde de bronze et celles de papier découpé, sans ombre dans la blancheur irradiant. Tanizaki dans son éloge, n’imagine pas ce règne bleu de l’ombre, les veinules du dedans et l’iris qui épouse la couleur du ciel dans les regards de l’amante

« Bleu, histoire d’une couleur », dans la durée des civilisations, la signification symbolique qui la différencie d’une autre, c’est ce que nous propose Michel Pastoureau, ce bleu que n’aimaient pas les Grecs ni les Romains, ce bleu qui est la couleur préférée, aujourd’hui, des poètes, des rêveurs, de Delf qui lui donne un nom, et qui, de couleur chaude est devenue froide comme le métal de nos sensibilités urbaines de verre et d’acier, ou ce blues des tristesses musicales, cette note de perle enfin rêvée chez Chopin, bleu d’inexprimable. Pastoureau écrit un petit opuscule presqu’inaperçu, d’une discrétion de violette qui me ravit. Il a récidivé avec l’histoire d’une couleur, Noir…

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Rue de Delf, de Veermer. On aimerait y passer. La traverser. La petite cour qui s’échappe, derrière la maison, est une invite à la rêverie et  à la curiosité…

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22 octobre

 

Cherchant sur un plan de Valparaiso (cinq ans après !) quelques images , j’apprends que la fameuse rue en pente, Templeman, aux maisons jaunes, bleues, rouges (mais sont-elles  différentes dans les autres rues ?) donnant à l’angle de notre petit hôtel, rue Pilcomayo, et que la parallèle, juste au-dessus, ruelle à impasse et à jardins fleuris, aux belles façades bleues se nommait Pierre Loti. (J’en chercherais la raison. Il a beaucoup voyagé, mais me retrouver à quelques dizaines de mètres d’une rue à son nom, dans un si petit quartier, et une si grande ville, est une révélation…). D’autre part, j’ai toujours pensé que notre lieu de séjour était à Cerro Alegre. En fait, nous étions au Cerro Conception. Les deux étant, me semble-t-il, confondus sur un périmètre très réduit, ressemblant plutôt à un merveilleux îlot commun perché sur deux collines.

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En effet, Pierre Loti (de son vrai nom Julien Viaud), fait une courte escale à Valparaiso. Il y embarque en 1871 pour l’île de Pâques, puis Tahiti. C’est la Reine Pomaré qui lui donne ce nom de loti, du nom d’une fleur tropicale, et qui donnera ce roman qui plût à Van gogh, (mais qu’il aurait pu faire aimer par  Gauguin) , le Mariage de Loti. Le titre d’origine était bien plus ensorcellant , Rarahu, idylle polynésienne. Tenu à une obligation de réserve en qualité d’officier de marine, Loti ne fait du nom de cette fleur son nom d’écrivain qu’en 1876…

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23 octobre

 

Longtemps j’ai été réticent à Tchaïkovsky, à sa sensibilité ouverte et fracassante de ballets et de symphonies, lui préférant bien sûr Moussorgsky. Je découvre aujourd’hui le Trio opus 50 en la mineur. Il disait ne pas supporter, même physiquement, l’assemblage contre nature du violon et du piano (opinion que Stravinsky, grand admirateur, partageait), alors qu’il écrit là une œuvre magnifique qui me fait penser, par la lancinance et le relief mélodique très net, l’emportement lyrique quasi héroïque, au meilleur Schubert. J’écoute ce trio, à ma grande surprise, plusieurs fois dans la journée… Stravinsky avait probablement raison quand il disait trouver en lui la part occidentale de l’âme russe.

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27 octobre

 

Une ville parle, elle a une tension artérielle, elle exprime l’âme de ceux qui la vivent . Et tout le monde marche isolé derrière des écouteurs diffusant de la téléphonie ou des musiques à taper dans les mains ou à claquer dans les doigts. Et c’est un festival de personnes qui parlent à des fantômes, à des âmes au bout du fil. On ne prend plus la ville au cœur de ses parfums auriculaires, de sa poésie de métal, de vent, de vagues ou de ses bourrasques de bruits mécaniques. Sans pour autant nous poser sur les traces des odysées urbaines magnifiantes de Pierre Henry, il est  regrettable de sentir ces visages fermés de femmes qui vous croisent et dont à aucun moment vous ne paraissez parcourir le même espace à l’approche du regard. Là où parfois une certaine rougeur venait colorer les joues, tenir une distance dans le refus de croiser les yeux de l’autre, ou, au contraire, un regard était rendu comme un partage de curiosité, il n’est maintenant qu’indifférence et cheminement mécanique tout le long des allées de nos grandes cités…

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Parfois l’admiration et le respect provoque des accès de retenue. Villa-Lobos ne voulant pas dépasser Beethoven (même au catalogue du nombre d’œuvres), a écrit seize quatuors à cordes et demi, ne passant pas les dix sept, chiffre qui aurait paru vouloir défier les dieux. Darius Milhaud n’a pas eu ce scrupule, mais je n’en aime pas moins son corpus de quatuors (18), d’autant que le n°1 de la série est dédié à Cézanne et que je l’ai longtemps écouté comme un parfum tout provençal, d’aridité et de de souplesse toute méditérranéenne.

Les symphonies amérindiennes de Villa-Lobos sont magnifiques, loin des bacchianas et autres rythmes de Carnaval tels quels, bien qu’elles s’en nourrissent.

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28 octobre

 

Du Journal de Julien Green, surtout de la période qui correspondait à mes vingt ans, la bouteille à la mer (72-76), la terre est si belle (76-78), et la lumière du monde (78-81), dans laquelle je revois le défilé des évènements de ce temps, des perles. On y apprend que Proust souffrait de l’asthme produit par les roses et qu’il faillit mourir une nuit d’une de ces crises. Mais dans la chambre, il n’ y avait aucune rose, sauf sur les motifs des tentures ou des papiers peints sur les murs.

Que Swedenborg avait des facilités pour parler aux anges, et prétendait que les morts ne savent pas de suite qu’ils sont morts, ce qui, plus tard, rend la mort plus douloureuse encore… Que Suzanne aurait dû s’abandonner aux Vieillards sans résistance, ce que Bossuet aurait trouvé d’une hypocrisie odieuse.. et que la langue française qui n’a que trente mille mots est d’une économie sans pareille,  fait faire à un mot le travail de six à sept. L’Anglais fournissant les six ou sept.

Le plus piquant est dans un passage de Freud soumis à quelques corrections, sur un livre écrit par un aliéniste de Vienne, où il est question de « guillemettez les alinéas », devenu, corrigé et inserré dans le texte, « guillotinez les aliénés »

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La Normandie est décidement une terre de ruines. Je connaissais la plus belle, Jumièges, St Wandrille, la chapelle St Nicolas, et quelques autres, souvent de pierres blanches, mais pas cette très romantique  abbaye bénédictine de Notre-Dame-du-Bois de St Evremoult, aux pierres rendues échevelées dans leur gangue de lierre, et aux pierres ruinées, harmonieusement proportionnées dans leur beau déclin.

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A Saint Jean d’Angély, sous une petite pluie fine, la gare routière est vide , Katy , qui cette nuit m’envoyait une lettre très douce, comme tous ces derniers jours,  m’annonçant que c’est elle qui viendrait à ma rencontre depuis Eyguians (05), n’était pas au car de 11h 30. Dans l’après-midi, c’est un déluge, un de plus, qui s’est abattu sur la région.

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la peur est l’anticipation réactive au mal     (Aristote)

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29 – 30 octobre

 

« L’Origine du Monde » de Courbet aurait appartenu à Lacan, entendais-je… l’origine du monde ou le tableau… ?

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PROMENADE  A SAINT MAXIMIN ET A AIX-EN-PROVENCE

 

De Mahler on a dit qu’il était composireur d’été. je l’ai toujours senti aussi comme un compositeur du matin, du lever du jour, malgré les cuivres, les échos qui relèveraient de la fin du jour. Du lever, jusqu’au vin blanc de midi sur quelque hauteur d’un lac (pour plagier « De l’aube à midi sur la Mer »).

 

Parti vers quinze heures, pour une escapade, la journée est rayonnante. Je suis à St Maximin à l’heure où la façade de la Basilique est au soleil rougeoyant sur la pierre jaune   . Des enfants jouent sur le parvis, on croirait avoir changé la vitesse du temps, le moindre son est répercuté dans l’espace environnant, comme claquemuré. C’est le rythme des petites villes. L’hôtel de France  est charmant, dans le début de la ligne droite, sur la route d’Aix, à quelques mètres de la Place du village. Je fais un tour à l’intérieur de la basilique, presque seul, le silence est installé en fin de journée et octobre est déjà frais ici.. (J’aperçois dans une petite vitrine, les quatre claviers qui avaient été utilisés du XIX°siècle à 1986, date de la restauration de l’incomparable orgue historique d’Isnard, XVII°.). J’achète l’Orgelbhchlein enregistré dans les lieux même, et vais dîner vers 20h dans un petit resto sur la place, sans chercher plus à compliquer. Je crois y être venu il y a quelques années, mais c’était midi, et le coude à coude des restaurants uniformisait les lieux ; ce soir nous ne sommes que quelques tables, puis c’est la saison creuse ;  j’apprécie le volume très doux de l’accompagnement sonore et la discrétion du service. De manière générale, lorsque j’ai eu à m’adresser à des personnes durant ces quelques 24h, ceux-ci prenaient le temps de m’indiquer mon chemin ou de m’expliquer ce que je venais leur demander. Faisant face , à droite, le « Cercle Philharmonique », que j’ai toujours cru être le siège d’un quelconque cercle musical, mais qui n’a dû l’être qu’il y a bien longtemps (à moins que ce ne soit toujours le siège d’une fanfare locale), car vue l’imposante enseigne en bas relief au-dessus de l’entrée, on a mal à imaginer qu’il s’agisse aujourd’hui d’un bistrot à l’ancienne , aux  tables rondes, lourdes, et aux pieds à la ferronerie torsadée, avec, au fond du bar, un immense miroir comme il arrive encore d’en trouver dans les villages où l’emprise de la folie n’a pas encore agi. C’est devenu le lieu de rendez-vous des jeunes du village, qui s’y tiennent à l’aise, assis ou debout, en groupe, ou par deux enlacés, devant les deux roues qui vont et viennent, prêts pour le début de soirée ou pour la nuit qui arrive. Mais comme le nom de mon petit restaurant « the night fall », la fatigue et le sommeil me prennent.

J’entends avant de sombrer, que même Finkelkrault s’effraie de la proposition du Recteur Boubakeur de transformer les églises (désafectées, pour commencer ( ?)) en mosquées…

En demi-sommeil, peut-être en fin de rêve, à l’heure de l’entre chien et loup du réveil, la limpidité et le compliqué, souvent métaphysique, d’une situation affleure ma conscience. J’entrevois Marx qui considère l’âme comme l’Humanité en exercice. Comme Hegel prenait l’Esprit dans sa réalisation ultime en tous les moments réunis de sa conscience dans l’Histoire (il faut bien rêver), pour  Marx, l’âme est un produit de l’action de tous les humains. En exagérant on pourrait  dire que le travail est le chant de l’âme. Méfions-nous des chants…Chostakovitch avait écrit un Chant des Forêts, à la gloire des grandes réalisations du temps de Staline, qui était autant un gage de sa fidélité (feinte ?) qu’une approbation (feinte) de la  conception du réalisme socialiste.
Là, je suis vraiment réveillé… Je regarde longtemps la ville dormir, au travers de la fenêtre, le jaune éblouissant du révèrbère qui pénètre dans la chambre et que je n’ai pas effacé d’un revers de rideau durant la nuit ; je tenais à ce qu’il sculpte, ou qu’il habille de sa lumière, le relief de la chambre. Mais le meilleur réveil, ce sont les très longs messages que m’envoie Katy vers 4h. Je comprends maintenant son silence de mercredi (l’orage horrible, coupure de l’ordi, le car manqué, le retour vers Sisteron sous la pluie etc.).

La journée sera donc radieuse.

La route vers Aix , rouge et or, le Var de l’automne. Les peupliers se hissant vers l’azur en rangs serrés, les vignes mordus par le froid dans leur robe de transition, mi jaunes et déjà sanguines, avec la Sainte Victoire qui est à main droite, dont la route vers le cœur des paysages cézanniens n’est pas accessible aujourd’hui. Ce sera pour une autre fois, je ne savais pas même qu’il y avait un chemin qui menait tout près du massif…

France Musique : « … comprendre la relation de Brahms à Clara ? Jamais on ne saura. On ne connaît que la correspondance de Robert à Clara. Celle-ci a détruit toutes ses propres lettres… ».  C’est souvent le cas des femmes prudentes. Il est évident que quand on devient personnage public , comme l’a été Mme Schumann, qu’on survit longtemps à la mort de son époux, se séparer de lettres qui pourraient faire ombre à un passé secret d’ une vie intime avec Brahms, s’impose. J’ai toujours penché pour l’hypothèse d’une vraie relation d’amants entre Clara et Brahms, au point d’ailleurs d’en devenir une relation s’alourdissant au fil du temps, celui-ci demandant éperdument la main d’une des filles de Clara au moment où celle-là aurait pu avoir encore plus besoin de lui. L’historiographie romantique aime à cacher ses sources, par pudeur ou par goût d’une certaine sensiblerie féerique, mais un jour la lumière se fera sur le sujet, comme d’ailleurs on ne cache plus (après presque un siècle) que Robert Schumann est mort de la syphilis, et non pas d’un mal beaucoup plus romanesque pour les conventions, qu’est la folie.

 Ma rêverie, la tête enfouie de couleurs, a la densité des chemins rouges, jaunes, sinueux, avec parfois les branches des arbres qui viennent presque frôler, de leur ombre griffue, les véhicules (Pont de Bayeuls, à la longue ligne droite coiffée d’une arche de platanes en fête), avant l’entrée dans Aix.

AIX-EN-PROVENCE. Cours St Louis, je trouve facilement à me garer tout près de St Sauveur où j’arrive cheminant par des rue aux noms évocateurs, Rue du Puits Neuf, Rue Henri, Collège Campra, Rue du même nom, puis Place de l’Archevéché, avec alentour des placettes pavées aux terrasses calmes et des parterres de feuilles mortes, l’Ecole Sciences Po sous l’ombrage d’arbres gigantesques, et si ce n’était les étudiants qui stationnent devant, par grappes, et qu’un panneau indique bien le nom du lieu, on croirait l’entrée de quelque ancienne maison particulière d’aristocrate (qu’elle a dû être un jour). La façade de l’Eglise est dégagée, on y voit aux voussures une Vierge à l’enfant, un peu dans le style de celles de Strasbourg ou d’Amiens. C’est un gothique tardif et régional. Très heureusement proportionné. La merveille, c’est l’orgue, de Jean-Esprit Isnard, de part et d’autre du chœur, car l’instrument a la particularité de se scinder en deux, face à face, avec des jeux de tuyaux séparés en deux consoles, et non disposés dans le sens de la profondeur en un seul instrument. Ici nous avons affaire à des jumeaux…. La couleur, d’un vert amande à reflet jaunes, s’harmonisant à l’argenté vif, et presque luisant des tuyaux en laiton dans leur pénombre, ajoute encore à la beauté de l’ensemble. Un baptistère, d’apparence plus récent, semble sorti d’un tableau orientaliste. L’ensemble de l’édifice est d’un gothique timide qui ne renie pas ses assises romane. La dame qui tient le comptoire de la présentation des sculptures, en descendant quelques marches, est très gentille et me permet de photographier l’original de la Vierge à l’Enfant.  Je continue par les rues de la vieille ville, vers les Thermes de Sextius, Bar Sextius (qui doit regorger d’animation le soir), et j’arrive au Cours Mirabeau (Lou Cour), aux platanes coiffés pour la saison, taillés assez courts (il me semble qu’il y a très longtemps les feuillages des deux côtés de la chaussée se rejoignaient en une vaste ogive, mais peut-être est-ce mon imagination qui l’a longtemps cru).  Aix est la capitale du platane! le Cours Mirabeau le centre mondial du platane! La ville en est pourvue comme le sont, pour leur grand bien, les villages d’ici. Sur le chemin du retour, j’ai noté qu’il fallait attendre Cannes pour voir apparaître le premier palmier. Je remonte tout le Cours, large et monumental, poétique et romain. Une immense façade de Banque me fait penser que probablement Monsieur Cézanne père a travaillé dans cet édifice (il n’y a pas d’autre Banque dans les parages, celle-ci étant singulièrement cossue). L’animation à cette heure avoisinant midi est très dense. Les cafés, brasseries et terrasses ne désemplissent pas. La ville est jeune, il suffit d’une observation même distraite pour savoir que nous sommes dans une cité universitaire. J’ai une pensée pour Christian Massiera et Claude, qu’il venait d’épouser, qui vécurent ici dans le début des années soixante dix. Je remonte le Cours, à l’opposé de la grande fontaine, jusqu’à la croisée de la Rue d’Italie, vers l’Eglise St Jean de Malte, qui donne aussi sur une délicieuse petite place, avec un platane jaune, de très jeune âge, qui apporte sa note chaude d’harmonie entre les pierres environnantes et cette touche automnale sous un ciel saturé d’azur. A l’intérieur , trois cloches imposantes et toutes neuves viennent fièrement d’être fondues pour doter le clocher de l’édifice d’un nouveau jeu de bronze.

L’Eglise jouxte l’imposant édifice du Musée Granet. Il faut attendre midi pour l’ouverture. Luxueux, comme les grands Musées contemporains, je ne serais pas déçu. 1) une Galerie de sculptures dès l’entrée, trop blanches, comme des platres, des bustes, dont un de Cézanne, puis Zola.

2) Peintures du XIV° au XVIII° siècle : Giotto, minuscule, une Annonciation en dyptique avec la Nativité. Une rareté, quand on a vu la basilique d’Assise et les monumentales fresques murales. Mais c’est du meilleur Giotto, bleu, d’humanité hiératique. Une Nativité d’un Primitif  français du 15°, presque baroque par le foisonnement des personnages s’entrechoquant les uns sur les autres en toute sérénité. Dans cette salle, ma préférence est allé immédiatement à cet Antonio Rimpacta da Bologna présentant aussi une Vierge à l’Enfant, dans une composition serrée, aux drapés virginaux d’un vert, déjà Veronese, de  Première Renaissance, avec juste ce qu’il faut de gaucherie délicate et une science parfaite de la composition. J’ai gardé toute la journée l’impression d’unité se dégageant de ce tableau, comme un exercice intellectuel des plus délicats. Puis la série des Sérénades, tout un couloir de portraits de personnages à guitares ou à concert champêtre, ce qui nous approche bien des  galanteries du XVIII°. Un de Jongh domine la série dans un intérieur flamand, le Concert au joueur de Pochette ( ?), plus loin encore, la Série des Amours divines avec un Van Loo. Je ne peux tout décrire, ma visite n’aura excédé une petite heure, ce qui est peu pour la densité d’oeuvres proposée. Peut-être encore, pour cette salle, un Thomas de Keyser (17°) de petit format, dont tout l’intérêt est le drapé de ses noirs dont les caprices et les mises en scènes compliquées de ses étoffes, qu’on pourraient considérées indépendament, amènent dans une œuvre réaliste, en les devançant, les variations infinies des monochromies de Pierre Soulages. Rubens, Rembrandt, Hyacinthe Rigaud défilent, un Guardi, discret, et sa lagune de Venise tourmentée, le Champaigne dont le titre m’a fait sourire, « portrait de pomponne de Bellièvre », un monsieur qui ne porte pas bien son nom.

Salle des guerriers assis d’Entremont, d’époque préromaine, la plus inattendue. Il n’est qu’à contempler cet ensemble aussi surprenant, mais en proportion infime, que les fameux cavaliers chinois découverts enfouis dans les années 80. Voici ce qu’en dit la notice : « la statuaire d’Entremont constitue un ensemble unique d’époque préromaine, écrivait Fernand Benoît l’initiateur des fouilles systématiques en 1946. Les fragments retrouvés de 18 à 20 statues nous renseignent sur ces personnages du second âge de fer méditerranéen dont l’art reste typiquement celtique.

Les sculptures représentent l’aristocratie celto-ligure parmi laquelle on distingue des cavaliers et des guerriers assis, attitude gauloise de dialogue et d’écoute, et plus original, de femmes. ». Restent de merveilleux bustes et torses d’une énigmatique beauté.

A l’étage, le portrait de Madame Cézanne, d’une telle monumentalité dans la petite taille de son cadre, laisse entrevoir déjà toute l’immobilité égyptienne (de Tahiti) que Gauguin y a puisé. Des Bram van velde, des très beaux, de la dernière période, Giacometti , le coup de foudre de Klee, un Mondrian, celui des toiles cirées, qui fait parent pauvre et un peu désolé dans sa minimalité, un Picasso, la femme au balcon. Celui qui m’a séduit, et j’en suis réellement tombé sous le charme, car ma rétine a  réellement été attiré de loin, est un  Boudin pour lequel je me serais volontiers fait Arsène Lupin (c’est le seul pour lequel j’aurais commis ce crime), une Marine Soleil Couchant, aux ciels gris orangés, barbouillés, comme après un orage en mer. Comme pour le portrait de Madame Cézanne, que le tableau ait trente centimètres, ou la dimension du Sacre de Napoléon, la monumentalité ne se mesure pas dans cette ordre de grandeur. Dans cette salle, un peu à l’écart, la tranche de saumon de Chardin. Je ne peux m’empêcher de penser à la Nouvelle d’Eco (« Comment voyager avec un saumon ») et je souris de penser que ce saumon-là est venu faire halte ici… Ensuite, la très grande salle où sont les Granet, dont 24 vues d’Italie de toutes petites dimensions et d’une grande finesse de trait que je les avais noté comme étant des Corot, car à cet endroit on n’a pas jugé utile d’indiquer sur les cartouches le nom du peintre… Il me fallut plusieurs minutes pour me rendre compte que je ne connaissais aucun de ces Corot, et j’ai trouvé ça suspect… Le rendu de la lumière et les lieux peints donnent l’impression qu’il l’ait  suivi à la trace du côté de la campagne romaine… Je comprends que même les spécialistes d’Histoire de l’Art fassent erreur, le cas le plus retentissant étant l’énorme tromperie de spécialistes jamais réalisée avec la célèbre série des faux Vermeer, conçue par le génial faussaire van Meegeren. Il fallut le laisser réaliser un faux, sous contrôle, et en prison, pour admettre qu’il était l’auteur de ce scandale, tant les critiques ne pouvaient croire que l’étude de la pigmentation, les procédés de vieillissement prématurés étaient miraculeusement maîtrisés. Compte tenu des enjeux que prit cette affaire, mon erreur semble plus pardonnable et moins ridicule…

Plus loin, le portrait célébrissime de Granet par Ingres, qu’on s’attend à rencontrer sans plus de surprise à cet endroit ; par contre, celle-ci nous saisit avec le Portrait de l’homme assis, merveilleusement sobre, quasiment romain. Enfin, à l’extrémité de la salle, en gloire, le très grand Jupiter foudre en main, sorte de Jim Morrison barbu, au visage morne qu’il avait quelques temps avant sa mort, au pied duquel une beauté humaine soumise et admirative, à la peau très blanche, inaugure les peintures de grandes dimensions.

Je retrouve la lumière d’automne qui décline à peine, l’heure étant encore peu avancée. Un peu grisé par tant d’artifices colorés, je retrouve ma foison de platanes jaunes dans le dédale des ruelles, avec le soleil blanc qui oblige à plisser les yeux, et l’azur plus dense encore que ce matin, me laissant guider par mes propres pas au plaisir de ne plus poursuivre d’autres découvertes de sites ou de monuments, mais respirant de ce seul air de liberté qu’on éprouve lorsqu’on a du temps et aucune sollicitation particulière en perspective.

Comme mon orientation me dit que je ne suis pas très éloigné de la Cathédrale, je demande où se trouve celle-ci à une jeune fille qui me répond très gentiment: « ça dépend, laquelle ? »…

 Il a fallu également que je sollicite une dizaine de personnes, (au point que je me suis mis à douter qu’il existe), pour qu’on m’indique le Cours St Louis, en fait à une petite centaine de mètres. Passant devant la Montagne Ste Victoire, maintenant en milieu d’après-midi, le relief est très accusé, modelé par le soleil , qu’on en repère les moindres aspérités et les plus sensibles nuances de gris. C’est l’infini terrain d’observation de Cézanne, qui avait le privilège de s’y perdre, sans imaginer qu’un jour, comme une épée de douleur, on puisse traverser, à coup d’autoroute, le massif de ses méditations colorées.

France Musique,  le Paris Concerto karnatique de, et avec Subramanian, intarissable… je chemine vers St Maximin pour une dernière halte à la Basilique (et les Chorals luthérien de la Clavierübung III de Bach, que j’avais hésité à acquérir la veille).  Quinze heures, un enterrement d’une émouvante humilité. On peut y entendre l’orgue murmurer.

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1 Novembre

 

« La foi c’est la preuve des choses invisibles ».  Saint Paul

 

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Un Dimanche des Morts tout ensoleillé. Ce jour là , traditionnellement, était un jour gris et souvent humide.

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 Pourquoi pardonne-t-on tout aux oiseaux ? Pour saint François ? Parce que le plus misérable d’entre nous est capable d’entendre un des chants de l’ancien paradis ? Avant Debussy la musique était cursive et linéaire, avec lui, le temps musical est devenu étoilé, peuplé de ses chants d’un âge perdu comme si des connexions reliaient l’ensemble des systèmes planétaires et au-delà. De même, par instinct humain, nous pardonnons aux oiseaux parce qu’ils sont la liaison transcendante dans le décor mouvant de nos espaces. Messiaen qui les aura beaucoup aimé, aura radicalisé leur chant. Mais tout le monde n’aime pas le Catalogue d’Oiseaux. Seuls les vrais oiseaux, dont nous ne comprenons pas le langage, traversent les mondes , composent une intelligence sonore dans le paysage et les environnements les plus insolites, tissent des polyphonies dont nous ne sommes jamais tenus à l’écart. Sont-ils cet éclat de vitrail qui chante la lumière, les notes perlées que nous comprenons comme l’enfant est fait pour Mozart sans le savoir, et comprend le monde du ventre de sa mère où rien ne lui est étranger ? Paradis perdu pour l’enfant qui vient ensuite à nous. L’oiseau, le plus permanent des musiciens, nous revient-il en souvenir de l’harmonie d’un âge que tous avons traversé ? Les cigales, vagues cousines, plus monotones, à la rythmique hypnotique, partagent ce privilège, que seuls le vent, les pas sonores sur les feuillages d’automne, l’écrasement des vagues sur les rochers, de se mêler  avec la même confiance des humains à l’expression des volières d’oiseaux. Et c’est la plus réaliste des poésies que celle de François Bayle et des acousmaticiens d’aujourd’hui que de se fondre en des langages analogues. Mais, comme pour Messiaen, tout le monde n’en saisira pas forcémment les intentions. En revanche, J’ai souvent remarqué que, lors de certains concerts, à l’heure où les volières battent le rappel du soir, il n’est pas rare, par les fissures du toit d’une église, de voir se joindre aux Nocturnes de Chopin, un récital d’hirondèles comme si leur chœur se joignait naturellement à la partition, sans intrusion, comme en souvenir des récitals du monde avant le monde. L’oiseau, le seul improvisateur sans faillir, même s’il nous ignore, n’y sera jamais disharmonieux. 

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Le Requiem de Verdi est un Opéra. Ce ne peut être en aucun cas une véritable Messe des  Morts. Quel monarque, quel souverain irréprochable oserait se présenter devant la mort sous les accents de cette musique ? Pour un simulacre peut-être. Pharaon probablement. Le distingué républicain Verdi croit-il que l’intercession vers l’au-delà peut prendre ce ton d’insolence, où la lyrique dans ses plus profondes fibres humaines magnifie encore la grandeur de l’homme qui n’a pas  laissé toute espérance ? Et rien dans ce requiem qui soit humilité devant  la condition humaine réduite à l’os même. Cet apparat tout opératique me fait penser à cette Bugatti Royale, commandée par le Roi Karol de Roumanie, dans les années 30, qui voyant l’œuvre achevée, n’osa pas honorer la commande. Trop monumentale. La Bugatti Royale est aussi un chef d’oeuvre d’opéra…

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4 Novembre

 

C’est la paix avec Katy, la paix . Je l’ai revue.

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5 Novembre

 

Lampedusa, le roman. « Le Guépard », la Palme d’or, les années 60. Aujourd’hui, c’est une île de transit, le départ pour la mort.

                                              

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Leipzig. Il n’y a pas que Bach, et la Thomanerchor, les Cantates et les Passions. Il y a la folie aussi. Une association ( ?) voudrait remplacer la Place Wagner, par la Place « Bienvenue aux Immigrants ». Une certaine haine de soi-même…

 

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La parole, la sémantique sont sujettes à l’intention qu’on leur prête. Populaire, populiste, tout dépend comment on serre la pogne des ouvriers…. En tous cas, les intellectuels (eux seuls caressent les nuances), n’aimeraient-ils plus le peuple ?

 

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6 Novembre

 

Les responsables de la désinformation, des idéologies circulantes, ne devraient pas éhontement se tromper systématiquement pour faire rentrer le réel dans leurs abstractions néfastes, l’humanité qu’ils exigent des autres, et le prix qu’il y a, à la payer. Ils devraient être définitivement comdamné à la modestie imposée par leur vue basse.

 

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Les échanges de lettres avec Katy s’intensifient. Je l’ai revue au Bellevue. Amaigrie, amoureuse. Nous avons passé deux heures ensembles, dans l’ombre.

           

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J’écoute beaucoup Chostakovitch ces jours-ci.  Vasily Petrenko  fait une belle, peut être exceptionnelle, intégrale des symphonies avec le Royal Liverpool Philharmonic. Un large corpus, souvent douloureux. Le second concerto pour violoncelle aussi. La Passacaille du premier concerto pour violon. Chostakovitch y est aussi près du ciel que Beethoven peut l’être.

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 Quelle musique laisse pénétrer autant de lumière que le finale des Danses sacrées de Debussy, où durant quelques mesures, la verticalité des accords dresse une texture crescendo de cristal et de lumière d’or ?

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7 Novembre

 

Corse du Sud. La lumière évocatrice de ces dernières vacances passées chez Henri (mais c’était au Nord), à Bastia la noire… Ici, la pierre d’Ajaccio, de Bonifacio, est proche du rose. Ou franchement jaune à Monaccia d’Aulène. On y voit l’habitat primitif de pierres encastrées dans les cavités des grottes, qui forment comme des mèches de cheveux de pierres ondulantes, comme des vagues, qu’un vent cosmique aurait formées et où viennent se bâtir dans le creux, des petites maisons de Schroumpfs. Dans la Corse médiane, le lac de Capitelo, à plus de 2400m et toutes ces poches d’eau extraordinaires, comme d’un paradis retrouvé, à l’intérieur des Aiguilles de Bavella, en cascades et torrents.

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8 Novembre    

 

4h 50

Katy est à Orpierre. Ses lettres du matin sont pleines de douceurs.

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L’Europe nous dilue, nous nous habituons à rétrécir un peu plus chaque jour. Nous avons appris à être complaisant avec l’idée de la France, le jour où nous nous sommes présentés aux yeux du monde comme vainqueur de la Seconde Guerre Mondiale.

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9 Novembre

 

Rarahu de Loti, (dont je garde le titre reproduit en pages intérieurers, tellement plus beau que le Mariage de Loti, qui pourrait laisser penser à un vaudeville ou à une quelconque aventure XIX°), est un vrai petit chef d’œuvre de concision (les développements sont rarissimes), d’une grande fraîcheur lumineuse, à l’image des ciels polynésiens, et beau comme un Gauguin. C’est un des premiers ouvrages, après les récits de voyage de Bougainville à parler de   « l’ île heureuse », remontant aux sources de Rousseau, et du Robinson extirpé du monde civilisé. Les qualificatifs de la nostalgie ne manquent pas , comme « les premiers âges du monde, les époques légendaires, l’âge d’or, la nuit des temps, ou plus conformément au récit, l’île délicieuse ». Il n’y manque que le goût des mangues qui vient à la bouche et le parfum de la vanille. Et nous rêvons, en effet, à la poche d’eau du ruisseau de Fataouas sous les palmes à l’ombre épaisse, où le narrateur se voit entouré de toutes les jeune filles fleurs, elle-mêmes élément nécessaire au décor et aux senteurs de l’île. En cours de récit, j’ai du mal à imaginer que Loti revienne sous les brumes londoniennes (le héros est ici un marin britannique), après avoir goûté le mariage polynésien avec la jeune vierge et sauvage Rarahu, fréquentant les princes et la reine bienveillante. Il est étonnant qu’un tel récit ne trouve aucun écho aujourd’hui auprès des jeunes en mal d’ailleurs et de pureté du monde où l’humain a enfin sa place.

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10 Novembre

 

Clair de Terre de Breton, le plus sensible et sauvage surréalisme qu’on ait écrit. J’y reviens tous les dix, vingt ans, sans y trouver de rides. «… ce que j’ai connu de plus beau, c’est le vertige », mais c’était dans « Signe Ascendant »… « Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens, Ma femme au sexe de miroir… », L’Union Libre, l’indépassable poésie de mes dix sept ans.

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Dans le mythe de Prométhée, celui-ci est puni pour avoir volé le feu sacré.  Cela fut réparable par le supplice encouru. Qu’auraient fait les dieux si Prométhée avait volé la mémoire ? Et au-delà même de la mémoire, quand bien même il n’y aurait plus aucune conscience pour témoigner dans des milliards d’années, d’un fait existant, passé ou présent, rien de ce qui a été ne pourra jamais ne pas avoir été… Quelque soit les dimensions des architecture divines qui nous échappent, c’est la seule qui résistera encore à Dieu. Etre une fois, être toujours. Un Eschyle contemporain  pourrait se pencher sur cette certitude philosophique…

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Ce matin, j’écoutais Véronique Gens. Depuis plusieurs années, elle brille d’un éclat qui n’est pas que dans l’enveloppe physique qui en fait une reine, mais dans le rayonnemnt de son chant porté depuis ses fonds baptismaux baroques avec William Christie, et aujourd’hui sur tous les théâtres du monde, dans les répertoires les plus exposés, où elle se trouve être aussi une reine. Et avec le récital, où elle est chez elle. Elle présentait son dernier enregistrement, et déplorait que seule la France, c’est cruel, mais cela fait quarante années que je fais le même constat, ne sait pas reconnaître la portée universelle de la mélodie française, que par ailleurs, les Anglais, et les Nordiques surpris de notre peu de considération, connaissent et admirent au même titre que le lied Allemand. Avec cette particularité de pudeur et de sensibilité héritées des fins de l’Ancien Régime, drainées par des siècles  d’un lignage, depuis Josquin, et s’incarnant en fin de rivage, dans tout le flux romantique à la fin du XIX° siécle. « … On peut lire sur les lèvres des mélomanes, murmurant au Wigmore Hall, les paroles des mélodies de Duparc ou de Chausson… ».  (Et pas seulement celles de Ravel, Debussy ou Berlioz). Comme l’anonyme mélodie de l’Homme armé chantée dans l’Europe des temps passés. A faire évidemment rougir le plus gros de nos bataillons de la critique spécialisée.

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15h

Je sortais d’un cours cet après-midi, dans ce quartier Saint Sylvestre, où l’ on trouve encore des ruelles fuyantes vers le Nord, bordées d’arbres, d’orangers ou de citronniers, qui se font encore une place parmi les constructions d’aujourd’hui, avec des maisons mauresques construites apparement à la même époque que les villas niçoises fin XIX°. Ce qui fait une harmonie joyeusement anarchique dans tout ce périmètre, où je ne désespère pas de retrouver ces fameux Vallons Obscurs

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11  Novembre de grisaille.

Je ne quitte la maison que pour me dégourdir un peu. J’ai travaillé jusqu’à tard. J’ai fini le Ricercare.

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Pensant à la tauromachie, je me sens comme Dieu le Père durant le grand chantier de la Création :  sans penser à mal. Concentré sur la seule géométrie de la lumière et de ses épousailles de la mort.

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 Je revois les trois images blanches et noires, presqu’enchaînées, de l’encornement de Manolete d’un 28 Août 1947, d’une forme de Stabat Mater spontanément composé, autour du déjà agonisant. En ce temps–là, bien qu’affreusement divisée, l’Espagne a pleuré d’un même sang la disparition du matador.

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La mère du matador s’appellait doña Angustias ( qui veut dire angoisses…)

 

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Pour ceux qui douteraient de l’existence de Dieu à cause du problème du mal, il n’a jamais été dit dans l’Ancien Testament que nous serions épargnés de quelques manières. Dieu présente tout un catalogue de réalisations à notre portée, une sorte de mode d’emploi à notre usage envers lui. Dieu dit qu’il désire être aimé pour lui-même -un père à l’ancienne– (aveuglément et avec soumission pour Abraham), et n’épargne pas celui qui se détourne de Lui et de ses commandements. Dieu de colère, de foudres et d’interdits. Dieu éducateur. Il s’ensuivrait que rien n’entraverait la grande mécanique horlogère enclenchée dans l’ordre de l’univers. L’homme, s’il est habité de quelque sagesse , ne pourrait que se conformer aux lois naturelles pour y trouver sa place. Avec le Nouveau testament, c’est une toute autre histoire.

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Après-midi.

 

On pourrait me reprocher mon goût pour les femmes de chambre, pour les femmes du peuple. J’en ai connu qui manquaient peu d’être des princesses de fantaisie et d’imagination, de cette grande générosité de cœur, à l’enthousiasme simple de celles qui cherchent le bonheur dans un verre de blanc ou qui s’émeuvent d’un méchant bouquet de violettes, au lieu de quoi j’ai connu également des bourgeoises d’éducation, semblables à leur mère, rivalisant d’intelligence avec l’idéologie du faible et du pauvre à défendre, rivalisant de psychologie avec Lacan, et revendicant toutes les égalités possibles, en briseuses  d’homme, mais à la libido et aux jeux érotiques inversement proportionnels à leurs victoires assurées sur le terrain de leurs apparents épanouissements de société. Les petites femmes de chambre aux yeux cernés et aux nuits d’angoisse m’ont toujours parues dignes de cette humanité qu ‘elles savent prodiguer dans la simplicité de leur solitude.

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12 Novembre

 

Lors de mon passage à Aix, le Cours Mirabeau était pavoisé des images de Lucrèce et Judith de Cranach, annonçant l’exposition de ce mois-ci. Sur un beau fond noir, se détachaient les chairs avantageuses des deux femmes bibliques, que je retrouve, en exergue de « L’Age d’Homme » de Michel Leiris, sous titré avec une belle arrière pensée, « De la littérature considérée comme une tauromachie ». Qui, de l’observateur ou des femmes proposées en image, est le taureau ?

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Combien de ciels d’Eugène Boudin auraient pu tenir le rôle « historique » de « Impressions, soleil levant » ?

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L’érotisme de Veronese dans les Noces de cana est à la table des noces, sur la partie gauche, dans la profondeur nous avons tous les convives en plan serré ; un homme lorgne,  la dévorant sans aucune gêne, la poitrine d’une femme vêtue d’une robe blanche, laquelle nous regarde très tranquillement tandis qu’une seconde femme porte, sur le satyre barbu lui donnant le dos, le même regard appuyé. Derrière la femme convoitée, qui ne se départit pas de son indifférence tranquille, une sorte de bouffon ou de Fou du Prince, portant bonnet et clochettes pendantes, se penche si près d’elle, qu’il semble la respirer.

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Il y  a comme une circulation des regards où chacun regarde ou convoite quelqu’un en étant vu par quelqu’un d’autre. Cela me fait penser, (est-ce sacrilège ?) à cette photo prise lors d’un tournage du « Milliardaire » à New-York, où autour d’une table, Yves Montand regarde, avec la douceur qu’on imagine, Maryline Monroe, qui regarde Simone Signoret qui regarde Yves Montand. Comme si chacun portait son regard sur la personne dont elle était dépendante affectivement. Dans le cas de  Marylin Monroe, celle-ci porte son regard sur Signoret plus par jeu, comme pour s’effacer, fuir aussi le regard de Montand, et par une probable neutralité de sentiment, comprenant d’instinct ce jeu-là… Et je crois bien qu’Arthur Miller, d’un peu plus loin, observe bienveillament tout ce monde-là…

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Même jeu avec le Tricheur à l’as de carreau de Georges de la Tour, où seul le niais regarde ses cartes, comme enfermé dans un périmètre limité et exclusif, pendant que se déroule un petit ballet de passe-passe de regards entre les  autres joueurs.

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« L’éternité est l’instant en devenir » dit Cheng.  « La gloire est la création de sa propre vie… dans une ascèse où, par ici, nous passons… La mort n’est pas notre issue… ». Enfin, comme souvent chez lui, des paroles asiatiques, incontestables, d’une couleur laquée et bien séante, qui n’appelle aucune contradiction. C’est à peu près les seules paroles intelligentes données en cadeau à cette soirée morne de la Grande Librairie.

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Hugo, dans son Shakespeare, qui avait bien le sens de la mise en scène portée à sa limite, fait frapper  Dante à la porte de l’Eternité, disant : « …ouvre moi donc, c’est Dante ». Ce qui est extraordinaire, c’est ce donc d’impatience et de familiarité.

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Mravinsky, monumental, toujours.  D’abord Petrushka. Avec le Baiser de la Fée, Stravinsky est loin des  fracas du Sacre, mais il reste Stravinsky en se travestissant le plus naturellement dans les vêtements de Tchaïkovky. Je note tout de même qu’à la fin du ballet, les applaudissements du public paraissent plutôt peu nourris, polis. Nous sommes en 64, il s’agit d’un compositeur adopté par l’Europe occidentale, et nous sommes à Leningrad, à peine au sortir de la  guerre froide.

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Nuit du 13 Novembre. C’est un Vendredi.

 

Nous apprenons que dans plusieurs endroits de l’Est de Paris, des kamikazes à la ceinture de dynamite se sont fait exploser aux abords du Stade de France, qu’une prise d’otage est en  cours dans une discothèque, et qu’il y  a déjà au moins soixante morts et beaucoup plus de bléssés. Le Président, dans une très courte intervention télévisée, vers une heure du matin, décrète l’état d’urgence sur tout le territoire avec fermeture des frontières. Nous sommes dans un épisode parallèle et complémentaire aux évènements du Charlie Hebdo de ce mois de Janvier, sauf que cette nuit la violence n’avait pas de cible privilégiée, et visait aveuglement. C’est donc la France dans son ensemble, et pour ce qu’elle représente, qui est prise pour cible, et d’une manière générale les valeurs de l’Occident. Notre pays est-il plus poreux ? Il y a des raisons de le croire. Ce sont les conséquences de l’intervention de la France en Syrie, mais pas seulement. Notre représentation supplétive  sur les chantiers de guerre du Proche-Orient, pour si peu, fait de la France un terrain de représailles, pour les forces d’en face. Mais au-delà, c’est tout l’Occcident qui est frontalement menacé depuis bien longtemps. Ce sont aussi, nous concernant en propre, les conséquences d’un cheval de Troie permanent qui se fissure à certains moments d’incandescence, et que les différentes générations de nos dirigeants ont contribué à construire. La violence peut venir exploser maintenant au gré des différents jeux et épisodes sur l’échiquier géo-politique. Le feu des banlieues n’était-il pas un signal ? De nouveaux terreaux peuvent croître maintenant. Se frapper la poitrine en invocant les valeurs de la République peut être une incantation morale, qui rassurera autour des tables rondes et des hémicycles, en aucun cas, un rempart contre la barbarie et ce désir de  s’engouffrer dans les brèches de nos faiblessses. L’armée de l’ombre a le choix de la frappe, de la cible, et du moment de la frappe. Et même de la symbolique. C’est là une nouvelle forme de guerre menée de l’intérieur autant que de très loin, où l’ennemi nous frôle en avançant masqué. Guerre singulière d’un ennemi qui nous a rendu aveugle. Sommes-nous, comme dit la chanson après le 11-9-01, colosse aux pieds d’argile ? Poser la question…

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Cela me fait penser à « L’Etoile» de Chabrier, (apparemment bien éloignée de notre guerre), où le roi tyrannique, se rend sous un costume qui le rendra anonyme à l’écoute de ses sujets dans la foule, et demande si il est aimé. Le scénario est un peu le même, avec dans le rôle du roi, l’ennemi à nos portes, qui jaugera et jugera au moment voulu, de l’opportunité d’une action conséquente. On appelle ça tâter le terrain…

 

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Durant la nuit le nombre de décès est passé à plus de cent vingt, après l’assaut…

La Pitié-Salpètrière n’a jamais si bien porté son nom…

Trois jours de deuil national.

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Katy me laisse des messages sur répondeur. Elle est à Sisteron. Des messages d’amour et d’impatience… Le froid est sur ses joues rougies.

J’ai trouvé, après Castagniers, le début du chemin menant aux Vallons obscurs. Impraticable dès le début du sentier, mangé de ronces. La promenade semble plus longue et plus difficile que prévue, toute en descente, jusqu’à rejoindre, bien loin, le crématorium. J’y renonce. Maintenant il faudra attendre le printemps.

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15 Novembre

 

Beaucoup de douleur après les attentats. Les capitales du monde arborent, en hommage et en forme de solidarité, nos couleurs tricolores dans la nuit éclairée des monuments officiels. Jusqu’à l’Opéra de Sydney. La Maison Blanche, le Parlement de Londres, partout des foules silencieuses, des fleurs, des bougies et des messages de soutien et d’amour. Pray for Paris etc.  J’écoutais en me rendant à Nice, la fin de la 3° symphonie de Mahler… qui se fondait parfaitement à l’émotion du moment.   «… O Mensch ! Gib Acht !…. O Homme !  fais attention. Que dit minuit profond ? J’ai dormi, je me suis réveillé d’un rêve profond…la douleur plus grande que la peine de cœur … » . Le final, traînant, nostalgique comme le lac d’Attersee, la voix de contralto.

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Je fais une série de treize photos à partir d’un original, à l’entrée du vallon obscur du Donaréo (Castagniers). Treize, comme ce vendredi 13. Elles sont une série de variations sur le thème de l’arbre d’automne.

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17 Novembre

 

« toutes les catastrophes du monde me font moins mal que la plus petite écorchure à mon doigt. » David Hume. C’est la naissance de ce qui définira la nature humaine…

 Devant tant de larmes, de bougies et de fleurs, je ne ressens rien. Suis-je un monstre ? Je n’ai pas partagé cet élan collectif. Suis-je un monstre ?

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Celui qui a peur meurt tous les jours. Celui qui n’a pas peur ne meurt qu’une fois disait-il.

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Décès de Robert Craft. Ami et confident de Stravinsky.  Ses enregistrements de Schönberg sont également remarquables. C’est par lui que j’ai connu l’opus 5 de Webern.

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19 Novembre

 

Regards sur la Peinture. Pissarro, au hasard des pages. Je tombe sur les Toits Rouges, comme sur une large éclaboussure de chaleur, avant même de saisir la réalité bien connue de cette œuvre que je ne voyais plus depuis de nombreuses années. La densité est telle que la rétine est prise dans le filet des arbres tordus et comme tétanisés, d’où émergent les toits vifs. Pendant des années je suis passé dans le vestibule de l’appartement de Lucia où se trouvait une reproduction de ce tableau, et comme la madeleine de Proust, dans ce Pissarro, je revois toute une pelletée de souvenirs attachés à ce lieu de mon adolescence, aux odeurs de papiers peints des chambres, aux livres de la petite bibliothèque décorative à la porte vitrée, où se trouvaient dans le désordre, des biographies de Raphaël, de Mantegna, des cartes postales nouvellement arrivées, de Paris ou d’ailleurs, une bonbonnière en métal qui faisait , avec le coupe papier, un bruit de cymbale quand je m’amusais à y improviser un rythme sur le couvercle.

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Ce jeudi soir, j’étais de jury pour la classe d’électroacoustique de Michel Pascal. C’était dans le cadre du Forum des Etudiants et du festival MANCA. Cela n’a pas été bien compliqué de situer tout ce petit labeur technologique autour d’un 13 d’encouragement (Nous étions deux avec Pascal Decroupet). On arrive, malgré tout, à dégager, dans des compositions faisant appel à tant de paramètres techniques, les réelles et futures personnalités de compositeurs.  La Création du Monde de Parmegiani demeure un immense chef d’oeuvre même si le grand public ne sait comment le son est produit. C’est comme pour un tableau de maître. Est-il obligatoire de savoir  comment le peintre réalise son œuvre ? Des bleus avant des noirs, des sfumato ou  non, des perspectives exactes ou fausses etc. Est-il besoin de connaître l’atelier et les coulisses du peintre pour aimer la peinture ?

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21 Novembre

 

 Chez les bouquinistes du samedi, le volume 5 dans La Pléiade du Journal de Julien Green, avec des textes autobiographiques. Il m’est d’autant plus précieux qu’il couvre la période de mon enfance et de cette période bénie du Parc Impérial (1956 à 1971). Excellent complément au sixième volume de 72 à 80.

Le temps est couvert, après un été éternel depuis la rentrée de septembre, le vent souffle, Patrick m’a apporté un gros cuissot de sanglier. C’est de saison…

Le matin, très tôt, des messages d’amour de Katy. C’est doux, me donne de l’émotion comme un cadeau de Noël sous le sapin…

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Depuis plusieurs mois, j’observe le coin de village de Saint Paul de Vence qui s’offre depuis  la fenêtre de la cuisine, à des heures différentes du jour et au début du soir, l’heure que j’aime le plus, quand le clocher et les maisons qui l’entourent prennent le relief et les teintes jaunes de l’éclairage électrique, comme une tache colorée et fragile dans la nuit enveloppante qui commence. Je sacrifie tous les jours à ces lumières changeantes, qu’elles soient de gris, de pluies ou de pleins soleils, ou brouillées sous les épaules des nuages. Un regard suffit, comme pour embrasser, à partir de ce seul point de vue, la couleur mentale de toute une journée.

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23 Novembre

 

…Le final de la 7° de Chostakovitch, sans prévenir. C’est encore plus dense, plus héroïque qu’en étant préparé à cette tempête orchestrale. C’était Gergyev au pupitre.

J’ai entendu quelques bribes d’œuvres d’orchestre de Hosokawa, né en 55. Le meilleur de la musique d’aujourd’hui certainement. Il y a une intelligence lisse et une intériorité toute issue du gagaku. Malgré tout, on sent qu’il a travaillé avec de grands maîtres, qu’il a retenu Luigi Nono, peut-être Scelsi si proche de la vacuité du Zen. Hosokawa, un japonais venant se mettre à l’école, et recueillir l’inspiration asiatique des grands contemporains occidentaux…

……………………………………………………………………….. 17 h

La terreur et les mesures de sécurité qui l’accompagne sont en alerte maximale en France et en Belgique. Les frontières sont poreuses, depuis tout ce temps qu’on les avait effacées. Leur rétablissement fait sentir, semble-t-il, toute une ankylose…

La  France, dans sa nouvelle virginité républicaine, se voit neuve, nue et fière, naissant quelque part vers 1793, issue de la Révolution, niant ses assises de toujours, et dix siècles d’Histoire continue, de ciment social et de Civilisation Occidentale. Car le Christianisme a mis des siècles à s’équilibrer, mais il a imposé (dans l’Europe entière) une cohésion, sociale, politique et spirituelle. Les adorateurs de la nouvelle religion laïque laissent béante la place vidée de ces siècles de christianisme, pour une neutralité (de morale republicaine, de droit et d’administration, approximative si l’on en voit les effets sur l’éducation, les mœurs et le naufrage des valeurs vidées de substance dans les faits) qui n’endiguera pas longtemps des millions de musulmans qui  se sont importés, et qui avec eux, ont importé une religion et la conscience de leur différence communautaire dont ils ne comptent en aucun cas se départir. Pour complaire à certaines sensibilités, et dans ce toujours plus grand souci d’égalitarisme (ce qui n’empêche les magnanimes gesticulations  gouvernementales –encourager le citoyen à déployer le drapeau tricolore contre la kalachnikov et la ceinture d’explosif-) nous avons supprimé les crèches de ce prochain Noël. Peut-on faire plus clair et plus efficace dans l’intégrisme laïc ?). Parce que, au delà d’un choix libre et personnel de religion, c’est d’un modèle de civilisation auprès duquel nous aurons à nous définir. Bientôt on ne dira plus « la deuxième religion » de France, mais la nouvelle (dans combien de temps ? c’est la seule réponse encore en suspens, parce que cet avènement semble assuré)… Et l’exemple que nous donnons à ces nouveaux Français de notre vide spirituel (comme institutionnalisé, de peur de déplaire), ne peut les séduire et les encourager à nous suivre sur ce chemin féroce des valeurs du veau d’or. Devant la vacuité à laquelle nous sommes assujettis (à la seule religion de l’Education Nationale -en échec profond-, qui ne présente plus même l’assurance d’une évolution sociale et professionnelle, et refusée par les générations montantes de toutes origines), les pouvoirs laxistes successifs,  devant le risque d’un ennemi invisible et déterminé, sont aujourd’hui vertigineusement responsables devant ces véritables nouveaux enjeux. Les aboiements litaniques, sur le thème opiniâtre et monocorde de la laïcité pour tous, montrent déjà les limites de leurs perspectives d’avenir. Et des notres.

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26 Novembre

 

L’Harmattan a répondu favorablement. Elle me propose un contrat d’édition. Cela me semble le début de complications. Nouvelle mise en page, refus des illustrations prévues, participation aux frais des cinquante premiers volumes etc. Le contrat lui-même stipule une quantité étonnante de contraintes, qui, à la première lecture, laisse l’impression que l’éditeur a la main sur tout.

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Ecrire ma vie est devenu une addiction que je ne cherche pas plus à combattre que je constate qu’il y a un été, un printemps, et toute cette belle évidence qui s’offre à la gravitation universelle des évènements qui se doivent d’arriver.

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Mythologies ? : «  Nous n’irons donc pas en Enfer ?!… Non, nous connaîtrons les enfers ». Cela peut s’appliquer à une partie de notre existence.

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Passant du côté de la Coulée verte, je regardais de loin le David en bronze vert de gris, du plus bel effet de jardin, et je l’ai finalement trouvé plus beau que le même autre David reproduit sur la Place de la Seigneurie de Florence. Bien sûr, celui de Nice reçoit fréquemment une mouette ou un pigeon irrespectueux sur la tête…

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Dimanche 29 Novembre

 

Merveilleux Liederkreis  chantés par Dorothea Röschmann avec Mitsuko Uchida. J’écoute aussi Frauenlieben und Leben. Toutes deux merveilleuses interprètes, elles éclairent ce dimanche. On est proche de Jurinac, de l’âge d’or… Puis la Création de Haydn. Markévitch, Berlin et Seefried. Derrière les carreaux froids de la chambre où j’écris, la vue de St Paul annonce l’hiver, le sommet du Baou rosit, crénelé, et le clocher du village est dans un voile de brume. C’est bien une après-midi pour Schumann. Puis une rareté. De la musique du Yemen. De Sanaa, pour luth et cymbales ; une voix de chanteur, frêle et nasillarde comme du chant asiatique.

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30 Novembre

 

Avec Woody Allen (Annie Hall), Vienne et New-York se rejoignent, à cinquante ans de distance, dans la grande et la petite bourgeoisie de la psychanalyse. La frivolité , l’humour bon marché  en plus. Mais pas une seule image tant soit peu poétique de New-York. On dit que W. Allen aime New-York. Je crois plutôt que c’est un rat de ville qui ne supporterait pas plus que ça la présence d’un arbre dans le périmètre de son studio. Ce New-York manquait d’aération comme la capacité respiratoire de Woody Allen. Le seul moment qui laisse un bon souvenir de week-end aux protagonistes, c’est une virée en voiture (filmée de loin), dans la grisaille de Brooklin. D’où le rythme de la parole, véritable diarrhée et personnage principal du fim. Je comprends pourquoi ce cinéma a beaucoup plu aux étudiants. Se cacher derrière la parole ou disserter à propos de tout et de rien (surtout de tout) à une vitesse où l’on met un maximum de mots et de références dans une phrase (comme un remède à l’acné). Il y a la faconde verbeuse qui donne cette assurance de l’expérience que n’ont pas généralement les étudiants. Le film me semble avoir passablement vieilli, (comme le héros du film qui fait une crise, non pas de la quarantaine, mais plutôt celle de la soixantaine geignarde), comme les analyses de Christian Metz et les Cahiers du Cinéma, années 70.  Mortellement rongées par la plaie d’hermétisme du structuralisme. C’était la logorrhée idéologique du temps où le discours avait valeur à la fois comme pouvoir et comme force d’érotisme, ce qui, quelque part se rejoint. Ca ne donne pas non plus envie de connaître ce New-York-là.

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L’Etude opus 8 n° 12 de Scriabine. Evgueni Kissin, parfait portrait vidéogénique de l’artiste contorsionné sur le clavier, dont les doigts dansent à mesure que la chevelure explicite furieusement les sortilèges au-dessus des touches noires et blanches, qu’on croirait qu’il va les briser, attitude rendue encore plus théâtrale par le costume blanc immaculé, le tout contrastant infiniment, dans cette même étude (sur une autre vidéo), avec le non moins monstrueux Horowitz qui exécute les phrases mélodiques, sans quasiment bouger du buste, impassiblement, comme d’un tronc d’où partiraient avec une violence contrôlée, les branches, (ici les mains, en l’occurrence), posées à plat, presque à l’horizontale de l’angle d’attaque. Le vieil Horowitz n’ayant, pour une sonorité autrement plus sorcière, nulle besoin des gestes enflammés et inutiles des virtuoses qu’on rencontre un peu aux quatre coins du monde des concours de piano. Et quand j’entend Sofronitzky, ce que je fais ce soir, sans aucune image venant troubler la seule vérité du son, dans ce même Scriabine (sonate 2 ou 3 ou 10), c’est comme entendre Cortot dans Chopin, c’est à dire ce diabolique toucher qui sonne au-delà de l’ivoire, dans un délié et un perlé liquide et continu de quelque mystérieux ruisseau.

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Cet après-midi j’ai vu Katy jusqu’à la tombée du jour. Fragile,  écorchée et encore amaigrie. Elle s’est faite surprendre, comme une enfant qu’elle n’est plus, à dérober Ivresse de St Laurent… je lui ai sauvé la mise après qu’elle m’eut téléphoné de venir la secourir. Un an après ce deux décembre, hôpital de l’Archet…

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5 Décembre

 

Bernard m’envoie les premières mises en page suivant les normes de l’Harmattan. Le recueil devrait avoisiner les 170 pages. Il s’agit de Livre des Répons avec en appendice, Leçons des Ténèbres, écrit après le 4 septembre 2011. C’est un texte qui m’a paru justifier, puisqu’il fallait faire un choix, cette sélection d’une poésie sur l’ensemble d’une année (2013), fragment choisi parmi plusieurs décénnies d’écriture, en plus de ce texte de ténèbres, fusionnant avec les répons, pensé après la mort de Maman.

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Rome est devenue ce qu’elle est par la maîtrise de l’eau. Plus que la pierre qui serait comme le jaillissement de sa force, c’est avec l’eau qu’elle a pu grandir. Je n’oublie pas que le i d’Aix-en-Provence, ville thermale, est le symbole du jaillissement de l’eau de ses fontaines. L’aqueduc est la matérialité synthétique des deux composantes d’eau et de pierre qui résument, tout à la fois, l’écoulement de la vie et la canalisation triomphante par la pierre qui rassure.

L’empire inca a pu s’ implanter et s’étendre par la même maîtrise de l’eau dans les territoires qu’il pouvait rendre stérile ou fertile, suivant la stratégie politique. L’actuel Sahel, déjà naturellement désertifié, manquera d’autant plus d’eau à l’avenir, que le réchauffement prévisible de la planète s’élèvera dans cette zone géographique d’au moins quatre degrés. J’entends dire que l’eau profonde, qui demande une technique d’extraction hors norme, technique que l’on met en place pour le forage, se développera dans les temps qui viennent, avec l’énergie nécessaire pour le pétrole d’aujourd’hui.

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Devant une vitrine intempestive d’agence de voyage, je suis tombé sur une affiche représentant les 7 Nouvelles Merveilles du monde. Il est vrai qu’il était temps d’actualiser des lieux de l’esprit qui ne tenaient compte que des Antiquités grecques et égyptiennes, peut-être babyloniennes. Dont des jardins qui ne laissèrent de traces (certes pleines de fièvre), une bibliothèque qui prit feu, un phare disparu etc. Ces merveilles-là, même ensevelies, nous les avons gardées en mémoires parce que nous n’y en avions pas ajoutées d’autres, comme on s’y emploie dans les réactualisations  périodiques que nous faisons dans toutes sortes de domaines (les plus hautes constructions architecturales par exemple), que nous sommes contraint de relativiser la valeur de toute nouveauté. Nous voudrions amalgamer le mouvant, le vivant qui n’ont pas encore donné leur pleine mesure, à l’absolu dans les sphères de la beauté, dans tout ce qu’elle a d’unique pour l’imagination des hommes. C’est vrai que sept merveilles antiques, cela relève de l’arbitraire et nécessitait probablement une vision plus neuve du monde. Mais qui décide de l’inscription de ces nouveautés au palmarès ? Un organisme, une commision d’experts, d’influents politiques, des promoteurs au flair géopolitique, l’UNESCO ? Les Merveilles du Monde de mon enfance, quoique injustement  réduites à sept (mais le 7 est un chiffre magique pour moi), sont toujours restées dans ma mémoire, jamais contestées, jamais revisitées. Elles auraient du continuer de l’être, sans quoi je me demande par quelle injustice le Mont Saint Michel, Versailles ou Chartres, voire la Tour Eiffel (pour simplement rester en France) n’y figureraient pas. Tant qu’à élargir, au-delà de cette impulsion des 7 d’origine, et hors de tout critère, il faudrait des pages entières pour contenir à l’heure de l’électronique, de la connaissance à la vitesse de la lumière, le catalogue des beautés accèdant aujourd’hui au jugement et au choix de chacun. Palmyre ne pourra jamais y figurer. Les paradis blancs des pôles non plus. Ma faiblesse de maintenant irait peut-être, (pour Cézanne, et pour Aix traversée il y a peu), à la Montagne Sainte Victoire…

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Ponge écrivait dans La Rage de l’Expression qu’il ne sacrifierait jamais l’objet de son étude poétique à la seule mise en forme de cet objet à décrire (c’est juste avant de commencer les Berges de la Loire). Par souci de vérité. Pour coller au plus près au réel. Mais la forme de mon souci poétique ne pourrait-elle pas être l’objet même de ma recherche du bien le dire ?

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De mon humeur concernant la laïcité intégriste… : Nous avons, sans broncher, supprimé dans les municipalités, les crèches de Noël. Demain, proposons d’éteindre les étoiles dans le ciel, de façon à ne pas encourager la venue des Rois Mages…

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7 Décembre

 

Lucas Cranach m’a convaincu de lire Michel Leiris. Les titres de ses livres sont très beaux. Ils sont comme une invitation. Bien avant Manet, les femmes gothiques du peintre, habillées plus que de raison, dévoilant en contraste des peaux d’une blancheur et d’une rondeur comme virginales, avec la perversité du regard des démentes et des criminelles, ont-elles soulevé les foudres de l’Eglise et du commun bien pensant  ?.

J’ai bien envie d’aller voir l’expo à Aix. Les oriflammes de ces nus blancs de Lucrèce et de Judith sur fond noir, Cours Mirabeau…

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Anton Dermota, ténor slovène. Le plus beau spécimen de ténor absolu, d’une certaine manière. D’abord parce qu’il est l’incomparable Evangéliste de la St Matthieu de 1951, avec Fürtwangler. Un Evangéliste qui a vraiment la voix des anges, un ténor qui peut, par la nature même de son chant se situer dans la sphère de Tito Schipa. Un ténor à nous faire aimer les ténors. J’ai dans ma chambre, gardé un encadrement d’un portrait du chanteur que m’avait offert Raoul Oreille, un ancien professeur de chant du Conservatoire, avec qui nous avions parlé de lui. Je lui avais dit toute mon admiration, et lors de l’inauguration de la discothèque du Docteur Pougeon à laquelle j’avais participé activement, il est arrivé avec un paquet et le portrait dédicacé. Absolu aussi, parce que d’un timbre au pouvoir érotique évident, dans la clarté de l’émission, par la respiration comme en suspension, et à une nasalité qu’on ne retrouve que chez Koloman von Pataky. Son Ottavio, plus qu’aucun autre, aurait du, hors contexte du Don Giovanni, par les accents que lui prête Mozart, séduire toutes les Elvire, les Anna et peut-être même jusqu’à la coquetterie de Zerlina. Mais encore plus absolu quand il se risqua dans des rôles autrement plus lourds où la voix se perd en s’immolant. Calaf, déjà risqué pour la plastique de son timbre, et surtout Florestan, dévolu non pas à des charmeurs, mais habituellement à des ténors héroïques aux couleurs sombres. Dermota a été, pour Karl Böhm, ce Florestan de légende. D’Ottavio à Florestan, le grand écart. A Narraboth aussi, dans les parfums faisandés du Salomé de Strauss, où je l’entendais pour la première fois. Il crevait l’écran  auriculaire malgré les autres mastodontes de la distribution.  Il a gardé son timbre miraculeux jusqu’au soir avancé de sa carrière. Aujourd’hui nous découvrons le chambriste dans la Belle Meunière, où il frappe ce cycle de mélodies de son génie comme Peter Anders, avec d’autres qualités, l’avait fait avec Winterreisse. Ce portrait du chanteur pris au sommet de son art, avec le turban de Belmonte de l’Enlèvement au Sérail (qui fait dire à Hélène qu’il ressemble à un fakir grotesque), est toujours dans la chambre.

Dans le Livre des Sept Sceaux de Franz Schmidt donné à Salzbourg dans les années 60, Dermota et Wunderlich (quelque temps avant de disparaître), sont les deux ténors conjugués de cet oratorio, fait rarissime de deux stylistes de cette dimension.

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23h…

 

En France, la Justice doit prouver la culpabilité de l’accusé. Dans d’autres pays, elle se doit de prouver son innocence, ce qui paraît bien plus difficile.

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Le long du Loup les arbres jaunes de l’automne sont dans le gris perle des ciels, avec  la douceur du soir qui arrive vite. Le cahier de poésie ne me quitte pas.

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11 Décembre

 

La « Dégustation » devrait fermer le 20 de ce mois. Définitivement. Le soleil d’hiver passera désormais sur cet espace de désoeuvrement, de rencontres et de culture populaire qui va changer d’orientation, sans que rien ne change dans la lumière de la Place du Palais. Une petite mort, comme tous les petits évènements qui détachent des habitudes contractées qu’on n’en imagine jamais que le cours peut en être arrêté. Sera-ce une terrasse d’hôtel, comme la rumeur le laisse entendre, avec son cortège furtif de cafés-croissants, un débit de crèmes glacées pour touristes faisant la pause éclair ? ou une devanture d’agence immobilière ? Les oiseaux légèrement déracinés n’ayant plus leur nid ensoleillé devront trouver un nouvel arbre…

J’ai commandé le Winterreise par Dermota. La livraison est prévue pour le 24 décembre. Parfait cadeau de Noël, ou drôle de cadeau de Noël… ?

 

Bernard arrive comme tous les ans vers le 22.  Nous avons déjà pas mal travaillé pour la mise en page du livre.

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13 Décembre

 

Katy est à Nice, entre deux soins à l’hôpital. Ces lettres sont toujours de fièvre depuis plusieurs semaines. La communication entre nous est assez compliquée, ce qui nous rend irritable, sans téléphone et sans ordinateur permanent…

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Les plus belles natures mortes peintes par Cézanne semblent être les portraits de Madame Cézanne. Aussi monumentales que les vases fleuris ou les corbeilles de fruits, il ajoute à ces portraits, outre la monumentalité de la vision objective qui lui est propre, un regard intime bien compréhensible, pour un rendu plus intériorisé que ne pourraient l’être évidemment un ensemble de pommes ou un bouquet de tulipes. Le portrait de Madame qu’on peut voir au Musée Granet, de petites dimensions, paraît d’autant plus de grandeur granitique. Le visage, le regard , tout ce qui constitue l’humanité de la personne est traitée de semblable manière que l’étoffe de la robe ou les objets qui l’entourent. Madame Cézanne contient dans les représentations qu’en donne son époux la double émergence du portrait peint et de la sculpture sur toile. Ce sont des Vierges romanes  transposées sept siècles plus loin, insérées sans faire de bruit dans le traitement du genre, bien loin de la subjectivité d’un siècle et demi de Romantisme…  Que pensait Madame, était-elle consciente de l’étrangeté de ces visions calmes et comme éternisées de ses propres portraits ?

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15 décembre

 

L’après-midi avec Katy. Je la rejoins au Bellevue… Puis nous allons au soleil, dans la vieille ville et à la Dégus. C’est peut-être la dernière fois avant la fermeture.

 

Extraordinaire 7° Prélude et fugue en la M. A la fois au plus proche du modèle,  Bach, et inventivement, entièrement du Chostakovitch.

 

Le premier concerto pour violon de Haydn avec Gianluca Carmignola  et l’Orchestre des Champs-Elysées, plus martial que n’importe lequel de ceux de Mozart, d’un équilibre souverain.

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17 Décembre

 

Katy dans le soleil de ce midi, au seuil de la plage de Lenval. Nous allons déjeuner au Pub de l’Opéra. Les Brasseries Georges sont tombées en ruine, elles disparaissent. C’est là que j’avais invité Katy pour la première fois, (Mars 14, à peine ?)… Puis nous déambulons dans la lumière de l’après-midi avec des baisers comme des labyrinthes amoureux. Je me sens courbattu de cette étonnante fin d’année. Encore Chostakovitch, la sonate pour violon …

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Winterreise , chanté par Dermota en 1954. Il est arrivé avant Noël …

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Ce 19, au matin, les quelques fidèles de la Dégustation, avant fermeture. Nous buvons les derniers verres d’une période qui tourne la page . Du moins de cet espace tel que nous l’avions fait notre, depuis plusieurs années. Barbarin et moi faisons quelques photos qui auront valeur de nostalgie plus tard. Il y avait sur la terrasse, les fidèles Tarek, Hervé, Dédé, l’Allemand Stefan, Fabrice, Patrick et son éternel Nice-Matin puis quelques autres qui se sont joints à nous, moins historiques. Georges Gombert m’a téléphoné vers 21h. Cela faisait longtemps déjà que j’avais quitté les lieux. La fermeture se fera avec un concert de filles jazzy. Comme pour le Bar chez Jacques, je n’en serai pas….

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20 Décembre

 

Kurt Masur , lui aussi disparu… que reste-t-il de lui ? les concertos de Prokofiev avec Béroff ?  Plus encore, c’est sûr ; Leipzig… Il était de grande taille.

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Edith Piaf, quand elle chante, son regard fixe un point en l’air , loin, loin… et c’est le commencement du frisson.

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Le Père Nöel est invisible, il parle aux cœurs depuis toujours. Hélas, nous l’avons matérialisé.

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22 Décembre

 

L’avalanche de « Voyages d’Hiver »… Celui de Dermota, que je n’aurais jamais imaginé il y a peu encore. J’ai tellement dit ce que j’aimais dans ce chanteur… C’est ce que je m’offre pour cette fin d ‘année. L’autre merveille, depuis le premier Winterreisse de 1948, à Berlin, où le jeune de 23 ans chantant avec insolence ce cycle de voyage vers l’opacité de la vie, jusqu’à ces quelques huit ou dix versions que j’ai entendu de Prades ou d’ailleurs, et conservées, de Fischer-Diskau, celle que je viens d’entendre, de 1986 avec Brendel, m’a comme assommé. Parce que la voix se fait pauvre, glacée, serrée dans l’aigu, comme dédoublée (avec, quand il force le trait, comme un poinçon reconnaissable de son timbre), une théâtralité blanche d’un lion qui veut prouver qu’il peut encore griffer. Est-ce la soixantaine quand il l’a chanté, et que je m’identifie à cette vision de l’œuvre avec mon âge d’aujourd’hui, qu’il est certain que parmi toutes celles que Fischer nous a laissé , celle de 1986 restera la version que j’entendrais pour l’avenir ? Comme un testament, il s’est redit tant de fois dans ces cycles Schubert, que je comprends maintenant Gérard Souzay disant en fin de carrière, du moins lorsqu’il avait encore un peu de voix, « je chante aujourd’hui la tragédie des paroles de mes mélodies que je ne faisais que brillamment chanter auparavant »…  Rameau disait de même, après les « Boréades » , « …maintenant j’ai plus de talent, moins de génie…. »

 

Le Trio avec piano de Albéric Magnard, je viens de l’entendre deux fois de suite… Qu’est ce qui peut, entre 1890 et 1910, à part le trio de Ravel, lui être comparé ? (Oui, Fauré, Pierné, quelques compositeurs français timidement oubliés. Chausson…) . Il n’y a pas que Brahms. Dans cette fin du trio, c’est comme une envolée de joie de Pâques sous le soleil… Magnard est mort en défendant sa maison, à main nue, contre les Allemands qui prenaient possessions chez lui. Chez Saint Paul Roux, l’horreur, c’est que l’ennemi  éparpillait au vent ses textes manuscrits…

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Noël

 

« Fort Alamo », « The Alamo »… 1960. Avec les petits Polizzi, avec qui je rêvais dans les cabanes que nous entretenions  dans le terrain vague, Avenue Mohamed V, nous allions voir les péplums et les westerns, le plus souvent au Royal, au Colisée. Rabat avait bien sept ou huit cinémas. Alamo est resté dans ma mémoire , aujourd’hui comme dans mille ans, comme un évènement que je n’ai pas partagé avec eux, ni avec personne. Ma mère, pour une raison oubliée, m’avait puni, elle qui ne savait jamais que promettre ce genre de foudre, l’avait mise à exécution. J’entends encore mes petits amis dans la cour de récréation parler de John Wayne, cloué à une porte du fort, de la trompette de cavalerie à la charge finale, et des murs effondrés de la façade baroque hispanique ( et n’est-ce peut-être pas de là mon goût pour ces architectures ?).

Maman, pour la seule fois, s’était probablement trompée, et avait manqué une leçon de morale sans pareille, que la punition ne pouvait égaler, quand, dans la bouche d’un mourant, à la fin du film, dans l’assaut final du fort, se murmure le pourquoi de leur sacrifice « … l’honnêteté, le courage et l’amour ». Jamais je n’aurais eu, pour quelques sous, une telle leçon que l’école de la République ne nous aura jamais imprimée avec autant de vigueur et autant d’acuité. Les treize jours de siège de Fort Alamo, la légende… Davy Crockett, premier de mes héros, chanté par Jacques Hélian. Les couleurs délavées du film, aujourd’hui me ramènent à l’Ecole Pierre de Ronsard.

 

En contrepoint, peut-être pas entièrement en phase avec ce drame de faits divers historiques, la chanson la plus bourgeoise dans le domaine du sérieux (quand les chansons prétendent à dire des idées) est celle de Brassens, « Mourir pour des idées » (évidemment nous voudrions mourir le plus tard possible, en bonne santé, sans douleur et de mort lente et le moins con possible). Le lit prêt de toutes les compromissions. Saint Germain des Près… l’intelligence n’est pas loin…

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Noël , comme souvent depuis si longtemps, c’est la fête des jouets. Des commerçants qui travaillent de jour et de nuit. Des pauvres qu’on n’ose encore moins fréquenter et qui nous culpabilisent, pour les moins inconscients d’entre nous. Et puis c’est, pour la distraction dans les programmes télévisuels, (corollaire à ce qui précède), et dans le pire des débordements du luxe, ce foisonnement d’horreur robotique et fétichiste (pour les adultes également), Conan le Barbare ( programmé un 25 décembre 1985), et avec l’anniversaire de la quarantième  du plus haut chef-d’œuvre du marketing, Star Wars. Vivement l’année prochaine…. Joyeux Noël  nous dit-on …

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Selon que l’on parle de réseau ou de faiscau ( à la phonétique pourtant proche ), l’Histoire nous situe aux antipodes

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Depuis la fermeture de la Dégus, c’est un peu d’errance qui s’installe dans la vieille ville. Nous sommes passés quelques fois au Sauveur, aux antipodes de la Place du Palais, où on ne voit le soleil qu’en levant les yeux au ciel. C’est chaleureux, bruyants, peut-être trop à certains moments, et l’espace y est réduit par la grande rue étroite qui traverse du Palais jusqu’à la Place Garibaldi. J’y ai rencontré Bernard la veille de Noël, et nous avons déjeuné ensuite (Fabie nous a accompagné le temps du repas) à laTaca d’Oli. L’espace est assez réduit aussi, mais les deux bouteilles de rouge de Cassis ( Château de Fontcreuse 2007?) extraordinaires. Le rouge gras, charnu et sans aucune acidité, même en la traquant dans les moindres failles du palais. Le vrai vin de Provence. On laisse les rosés à ceux qui viennent de loin… Nous avons beaucoup parlé de la mise en page définitive du livre, des quelques difficultés qui restent à surmonter.

 

Hier soir j’ai eu un message de Francis, revenant d’Equateur, j’ai pu enfin lui parlé et avoir son adresse .

 

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27 Décembre

 

Le dôme de Florence peint par Giorgio Vasari, reflète un Jugement dernier et une Création du Monde qui sont plus beaux que ceux de la Sixtine de Rome. La raison en est , outre que nous ne sommes pas au Vatican, qu’ils sont  très difficiles d’accès, vertigineusement hauts sur toute le circonférence de la rotonde.

Encore une fois, les programmes de fin d’année (La  5 , spécialiste ), nous permettent de n’entendre que des vérités éventrant l’Eglise, et que toutes les vérités de celle-ci ne sont que des illusions de berceuses révolues.

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De même, la France, qui avait auparavant vocation traditionnelle de défendre les minorités chrétiennes moyenne-orientales persécutées, n’a déclaré simplement, lors des exécutions au couteau de ce printemps dernier, qu’ « elle déplorait la mort cruelle de vingt et un citoyens d’Egypte (coptes) »…déplaçant ainsi sur le terrain général des Droits de l’Homme, la défense d’une communauté spirituelle, avec laquelle elle eut dû immédiatement et viscéralement ( ce qu’elle faisait auparavant) se sentir solidaire, et qu’elle ne considère pas plus aujourd’hui, en toute impuissance, par volonté, et avec la plus grande des lâchetés (au sens de lacher quelque chose), que n’importe quel objet ou territoire d’intervention humanitaire. Notre Civilisation Occidentale, au nom de valeurs planétaires et abstraites, serait abandonnée, disons déconsidérée dans le champ politique de notre diplomatie. Par haine. Haine de toutes les racines qui peuvent prendre corps en chacun d’entre nous , à l’identification et à une manière ancestralement et laborieusement innervée. Nos monarques de maintenant ont misé sur la dissolution de toute image au relief de notre identité, de notre Histoire et de notre mode de vivre où s’incarner, lentement et certainement, sur un socle où sont faites nos lois et nos traditions, avec toutes les nuances qui font la beauté de ces terres qui portent notre visage. Et de tous ceux qui ont épousé ces valeurs . Et de tous ceux qui les envient. Et ce n’est plus la France aujourd’hui qui mène le jeu. Dans ces lieux du Moyent-Orient, c’est une église orthodoxe, à côté d’une communauté monastique résistante que Vladimir Poutine a obtenu de faire construire en forme de rempart et de sa symbolique spirituelle, auprès de souverains en terre d’Islam. J’étais triste d’entendre que la France, affaissée et infatuée d’une grandeur qu’elle n’a plus, se trouve maintenant sur cet échiquier où tous les pouvoirs qui la représentent, la diluent, et lui dictent dans son âme cette expansion vers un monde aveugle et uniformisé d’argent vagabond, avec l’édification d’une matérialité généralisée qui nous fait nous demander QUI EST MAITRE DU JEU ?

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Ce sont les mêmes qui aiment le cirque, qui désirent la mort de la tauromachie (parce que spectacles sans mises à mort) – (numéros d’animaux, dompteurs, esclavages en cage, girafes  pour les enfants qui font manger dans les mains, ou humains qui se  hissent à hauteur d’animaux, etc… et rires à hauteur du spectacle…), avec les chohortes de végétariens, végétaliens et leurs caniches sur canapé. Ce qu’on devrait commencer à dire c’est que dans les manades les taureaux sont laissés à l’herbe tout le temps de leur maturité, en pleine lumière, plus que n’en verront jamais les volailles, et autres veaux et bœufs  qui ne seront jamais objet d’un jeu de mort, mais d’un obligation de mort industrielle.  Et nous sommes pourtant omnivovores… A-t-on vu l’angoisse d’une vache à l’abattoir ? C’est plutôt cette mort par couloir de la mort qui serait indigne. Et les parlementaires catalans et ceux du sud de la France plutôt que d’erradiquer le culte de Mithra, devrait réfléchir à de meilleures conditions d’abattage industriel.

 Le taureau est un égal seigneur que le matador qui le défie. D’ailleurs il est choisi, et le public le sait. On lui rend les honneurs dûs à la qualité de sa ronde de mort. On ne rentre pas dans l’arêne pour combattre un vaincu  banal quand on affronte un étalon de chez Miura. Manolete le sait bien, il en est mort

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Chambord, où vient Charles V en vue d’une  expédition de pacification dans les Flandres , entre catholiques et protestants s’arrête là. Lieu de la Salamandre. « Je nourris le bon feu et j’éteins le mauvais »

Globes et croix surmontent les F à la symbolique de François, sur les tuffeaux évoquant Charlemagne et Saint louis, et les aspirations à l’Empire, et sur le plus haut clocheton du château, la fleur de lys qui n’apparaît pour la première qu’avec lui, et qui inaugre ainsi le symbole définitif  de la royauté. Charles V a-t-il apprécié ?

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Je pars peut-être demain vers Sisteron , Orpierre ?  Elle dit qu’elle m’aime.

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Ponge est virgilien. Il a ses propres géorgiques, autant dans l’univers naturel que dans le monde minéral et sidéral. L’objet de sa matière poétique se trouve être la guêpe autant que le fruit, le papillon, une roche sur laquelle coule une eau perpétuelle. Il est dans l’élan du végétal, dans la croissance comparée de la faune et de la flore. Il chante la beauté de l’électricité, comme n’auraient jamais su le faire les meilleures manières du réalisme socialiste dans le domaine de l’art appliqué à des fins éducatives. Ce n’est pourtant pas un lyrique, c’est un entomologiste qui travaille à la loupe. Ponge instruit par une intuition et des déductions de ceux proches de la terre, qui savent nommer, comparer, et plus encore, quand lui se hisse à hauteur de vision poétique, tendre une corde raide sur les mouvements de la nature, ses cruautés, ses facéties, ce qui reste la meilleure manière de continuer à aimer le monde.

 

Le libraire de Jean-Jaurès me disait, sous la grisaille d’une matinée avant Noël, « …un p’tit Ponge pour le week-end… »

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29 Décembre

 

Anniversaire d’Evguenia. Un coup de fil ce matin. Apparement je suis le premier à le lui souhaiter. Je prends un verre au Sauveur vers midi. Un bon moment avec Sofiane.  Ceux de la Dégus sont, comme ces oiseaux dispersés….

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Nous avions oublié le petit arbre à citron, depuis ce début d’hiver. Parmi les feuilles jaunies et les quelques vertes , cachés sous l’amas de couleurs mêlées, ma mains vient toucher trois magnifiques fruits de l’arbre d’une maturité opulente, cueillis à temps…

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De l’autre côté du jardin, au Nord, je préfère un arbre mort, comme celui qui est  à portée de main en ouvrant les fenêtres, qu’un arbre abattu. L’arbre est une silhouette, un visage et un jalon qui a ses racines dans notre monde intérieur.

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30 Décembre

 

Le temps est remis au beau , la lumière du matin transperce les arbres jaunes. J’ai fait une belle provisions de photos d’autome. Une sorte de sonate d’automne…

Henri est à Nice. Katy ne me donne plus de nouvelles de Sisteron depuis trois jours. Impossible à joindre. Je crains qu’elle ne soit plus malade qu’elle ne le dit dans son dernier message du 27, très tôt le matin.

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13h 10, France Culture, Geoffroy de Lagasnerie, dans une salve de diarrhée verbale à flux tendu… je ne trouve pas d’autres mots. De l’inutilité d’ouvrir des tables rondes et des colloques quand on entend de tels psittacismes intellectualisant à mort. On comprend que la gauche extrême soit de plus en plus éloignée des peuples.  Dans son curriculum, il est mentionné un nom d’origine ( va-t-il le changer ?), une date de naissance, et là où dans tout article de wikipédia il est mentionné normalement la nationalité, on ne trouve que langue d’écriture : française.Toute cette bave de paroles sur le thème « les peuples ont-il repris le pouvoir en 2015 », pour entendre  simplement le concept revenu de classe contre classe. Même si la référence déguisée à la III°Internationale ne fait plus, dans les paroles d’aujourd’hui, que débattre sur le terrain verbale, de flux migratoires et de l’humanitaire qui lui est corrolaire. Peut-être sa haine de classe veut-elle faire oublier un si beau nom à particule ?

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31 Décembre

 

Je prends quelques verres avec Henri au Sauveur.  Tarek est là aussi, puis quelques autres…

Je rentre préparer le chapon . Je n’ai pas de nouvelles de Katy…