Carnet, 2016

Carnet 2016

 

 

 

 

1 janvier

 

« Pli selon pli », dans l’après-midi de ce premier de l’an 16. Brumeux, d’un jaune qui donne des envies de robe de chambre. On donne « Autant en emporte le vent », et déjà ce premier va finir.

Hier les douze coups de minuit sont passés sur la 11 de Chostakovitch, dans la version Mravinsky de 61. Que pouvait-on faire entre la mort d’une année, plutôt cruelle, le souhait de bonne année de Cécilia, l’absence de nouvelles de Katy, et l’avenir qui arrive, chaque fois plus pesant…

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2 janvier

 

La pluie. Les arbres sont tout marrons et luisants. Je ne sortirais pas faire ma tournée de bonne année sur la Place du Palais ou chez Sauveur. Dernier jour avant de reprendre la sobriété, triste comme un dimanche, mais dimanche ce n’est que demain.

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3 janvier

 

L’après-midi se traîne. La Tribune des Critiques de disques, aujourd’hui les 4 derniers lieder de Strauss. Incomparable musique crépusculaire, malgré le Printemps initial et cette inquiétude de le voir passer si vite. L’Im Abendrot qui clôt le cycle, est toujours aussi monumental. Les choix portaient sur les versions de ces quarante dernières années. On oubliera donc les modèles de toujours, Jurinac, Della Casa, Flagstad la créatrice en 48 et quelques autres qui restent dans les cœurs. Gundula Janovitz est vite éliminée. Celle qui a été élue, c’était presque attendu, c’est Jesse Norman, stature de déesse. Puis Kiri te Kanawa et enfin Lucia Popp. Beaucoup de vague à l’âme. Le jour tombe vite, demain je rentre au Conservatoire. Je suis devenu comme un combattant qui se relève de moins en moins facilement à mesure que j’arrive au terme de ce chemin professionnel. J’ai toujours aimé ces activités de Médiations et de conférences culturelles, mais le ressort est bien usé.

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4 janvier

 

Réécoutant Schwartzkopf dans le même programme qu’hier, je sais maintenant pourquoi je n’aime pas trop cette magnifique artiste lyrique. Comparée à sa sublime rivale Della Casa, ou à d’autres de générations plus proche de nous, ce n’est pas sa couleur vocale qui me gêne, c’est que dans un même mot, il peut y avoir trois couleurs différentes, avec des intentions toujours plus accusées des paroles, le défaut s’aggravant dans ses versions les plus tardives. Cet excès de compréhension du texte, appuyé sur chaque mot, voire chaque syllabe, est un exercice de haute intelligence (souvent minaudante, comme ses coiffures aujourd’hui terriblement datées), mais qui peut, et je fais partie de ceux qui n’entre pas dans cette orientation trop marquée, donner un sentiment de lassitude assez rapidement. Dans ce manque de spontanéité, il n’est qu’à entendre dans les mêmes rôles, (La Maréchale du Chevalier à la Rose par exemple), ou dans n’importe quel lied de Strauss, ses contemporaines, Jurinac,  Rysanek ou hier encore, Lucia Popp. Et évidemment Della Casa, qui paraît auprès de Schwartzkopf, une source éternellement juvénile dans l’expression, dans la ligne de chant naturelle et l’extrême musicalité. Dans la même génération que Schwarzkopf, ayant beaucoup chanté avec elle, le ton et le style de Christa Ludwig reste par contre, encore un modèle de chant applicable aux jeunes générations.

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Passant devant une couverture de magazine, je voyais s’afficher les prénoms de la seconde ( ?) fille de William d’Angleterre, et je n’ai pu m’empêcher de sourire en voyant, Charlotte Elizabeth Diana… Elizabeth entre la fille et la mère. Cela ne tient plus de la revanche contre une bru un peu trop moderne, c’est simplement le visage de l’Angleterre toute entière…

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6 janvier

 

La France oscille entre 1789, 1793, et le désarroi. Sans plus de racines et sans  avenir. Pauvre d’aile …

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L’année avait commencé par un pressentiment. J’écoutais dimanche le Pli selon Pli de Boulez. Il s’est éteint hier à quatre vingt dix ans. C’était le dernier de cette fameuse génération  de 1925. Certains l’avaient devancé depuis longtemps, comme Nono en 90. C’est sous la direction de Boulez que j’ai entendu, sans comprendre encore, la Mer de Debussy. C’était je crois, en Mai 71. C’est donc une page, la dernière, de la seconde moitié du XX° siècle qui se tourne, celle de la musique contemporaine, (il reste tout de même Ivo Malec) avec le plus versatile, le plus complet peut-être, des animateurs de la vie musicale depuis soixante ans, celui dont la palette multiple faisait rayonner la France dans le monde, à l’insu même de ce pays qui sait si bien rendre des hommages disproportionnés dans certains cas, et qui ne sait, la plupart du temps, reconnaître ses vraies valeurs. Chef d’orchestre évidemment, pour le monde de la musique, ce qui me touchait le plus chez lui, c’était le maître à penser, (rare dans la profession, où la technicité des musiciens les éloignent trop souvent d’avoir à faire des synthèses cognitives) et  l’œuvre de création. Celle du compositeur. Celui qui, en simplifiant, faisait figure de Webern français ou de Debussy allemand. En demeurant Pierre Boulez. Ce qui n’est pas peu. Je regretterais, décidément, qu’il n’ait pas laissé, (dans un domaine où une suavité et une sensualité à peine voilée aurait fait merveille), une œuvre lyrique vocale plus étendue. Un opéra. Il se devait de succéder à Pélléas ; à Wozzeck ou Moïse et Aaron. Ce qui a du longtemps le hanter. Le temps des hommages va commencer, des dithyrambes, des honneurs officiels (mais seulement dans les milieux spécialisés, et post mortem, comme toujours, après les rudes batailles engagées durant toute cette seconde moitié du siècle). C’était une sensibilité raffinée et pudique (on a souvent pensé à sa vie privée toute ravélienne, dans le sens où on ne la connaît pas), équilibrant la plus belle et la plus intimidante intelligence analytique. Malheureusement sa disparition coïncide avec la commémoration de l’an I  (puisque j’ai l’impression que cela ne fait que commencer) des évènements, certes tragiques, mais mille fois ressassés, de je suis Charlie. La France restera donc à côté de l’évènement… Classique de son vivant, et depuis bien longtemps, son rayonnement ne fera que continuer.

   

J’ai donc revu les images merveilleuses du compositeur au-dessus des rives du lac de Lucerne, et celles de sa maison, du moins je crois qu’il s’agit bien de celle de Baden Baden, où la superposition d’extraits de Pli selon Pli et des chants d’oiseaux du grand parc, sur fond d’arbres de Forêt Noire, étaient d’un heureux tissage.

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9 janvier

 

Pluie sur la ville. Henri est à Nice. Je mesure maintenant cette lumière d’octobre dernier, sur les routes d’Aix, les platanes jaunies , les fontaines et la beauté de l’automne. Nous sortons bientôt de l’hiver qui n’a pas encore eu lieu. J’ai rapporté de la Dégus une table de bar à pieds torsadés et à plateau circulaire, la plus belle de celles où s’entrechoquaient tant de verres. Elle a sa place maintenant sur la terrasse, côté nord, beaucoup plus solitaire qu’elle n’aurait jamais pu imaginer.

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11 janvier

 

Pluie et solitude. A midi je m’installe à la terrasse du Pastrouil. Il y fait un petit vent aigre, malgré la douceur anormale de la saison. On voit des femmes aux bras nus comme vers la fin d’avril. Le matin, partant avec la nuit encore noire, il fait presque bon. Pierre Henry vient de sortir deux nouveautés, « Continuo » et « Capriccio », de longs tunnels de sons sans silence, des percussions lancinantes sans beaucoup d’écarts de dynamique. Comme un voyage en train.

 

Ian de Gaetani, merveilleuse dans Pierrot Lunaire et le Livre des Jardins Suspendus, vers 1970. En écoutant intégralement ces deux œuvres, il devient difficile de trouver de la saveur à d’autres musiques…

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13 janvier

 

Les mimosas ont un mois d’avance. Ils en sont déjà à leur fin, les branches sont lourdes, les jaunes commencent à virer au gris. Il n’y en aura probablement pas cette année pour les batailles de fleurs de Carnaval.

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Que de morts ! Galabru, David Bowie, David Wilcox, la mort ne tient pas compte de leurs différences .

Et puis (le 12 ?), Elisa Pegreffi, second violon du Quartetto Italiano à 93 ans.

On peut ajouter Ettore Scola et René Saorgin, un des héros de l’enseignement de l’orgue à Nice et tout alentour. Toute les vallées baroques des Alpes Maritimes sont dans le deuil. Saorge aussi.

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18 janvier

 

Platon disait : « Ce qui est beau est bon » ; peut-être que ce n’est pas vrai, mais dans l’écriture poétique la forme des mots sait valoriser le sens, peut-être aussi la saveur…

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19 janvier

 

Katy m’écrit depuis Briançon. Elle y a été hospitalisée. La neige est arrivée. J’aurais de ses nouvelles depuis Banon. Ces lettres sont toujours empreintes de fièvre…

 

Je peux lire la densité de l’air au relief du clocher de Saint Paul. A sa lumière. Je me confectionne des Chagall nocturnes.

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20 janvier

 

je regardais le dernier volet de la trilogie marseillaise de Pagnol. Sur la devanture du bistro, Cap Corse, Mattei en caractères énormes. Ce fameux moulin Mattei que j’ai connu , surplombant les deux versant du Cap, plongeant sur la marine de Centuri. Aujourd’hui le moulin est en ruine, c’est peut-être pour ça que nous en avons fait une photo au début de ce siècle…

 

J’ai déjeuné avec Francis à « Taca d’Oli ». Le Domaine Foncreuse n’était pas le millésime 2007, mais nous avons passé un grand moment, et fait passer deux bouteilles avec le stockfish. Faire de Brantôme une sorte de Principauté fictive, surréaliste, dont les membres d’honneur seraient, comme la Dronne qui enlace le village, les protecteurs spirituels… Et si l’année commençait par du rêve ?

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23 janvier

 

Déjeuner chez Alex, sur la Place Wilson, avec Fabrice, Giorgio, l’Allemand et Serge, non sans avoir rempli le verre de l’amitié au Sauveur où l’on se retrouve de plus en plus souvent, et de plus en plus nombreux. Un peu comme des migrants de la Dégustation. L’hiver est presque fini. J’ai des messages et des baisers depuis la Haute Provence… Je viens de découvrir la 4° symphonie de Gorecki. Ce matin, j’ai mis la dernière touche au livre (4 de couverture, bio, présentation) avant l’envoi aux éditions de l’Harmattan.

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25 janvier

 

La Révolution française a été une affaire d’avocats, renversant les socles d’une civilisation millénaire, accouchant d’une Déclaration de grands Principes. Révolution, qui progressivement, a haussé ses vues, non pas dans le sens de l’amélioration et la transformation radicale de la nation française, mais porteuse d’ambitions humanistes universelles, modèles pour les générations. Des avocats, donc, ont fait émerger le triptyque de Liberté Egalité Fraternité en horizon indépassable au fronton de nos villages, de nos écoles et de nos mairies. Parfois face à l’église, en contrepoids d’un monde ancien, parfois trônant seul. L’ égalité est une absurdité. L’inégalité, au singulier comme au pluriel est la chose la mieux partagée du monde. C’est ce que l’humanité connaît le mieux.

 

La Révolution nous mène vers le déracinement. Les valeurs de la Révolution mène à déraciner pour mieux rendre mobile sur l’échelle de la planète. En rendant égaux et équivalent. L’ancien esclavage du monde paysan, celui des manants (manere, « rester » en latin), s’est inversé pour un monde ouvert et aveugle, où la mobilité devient une possibilité de survie, quand vient à manquer la stabilité dans l’ordre économique, le déplacement  devenant la nouvelle condition de l’esclavage contemporain. On quitte l’appartenance à un terroir pour devenir un citoyen du monde sans racines et sans identité. La perte de l’identité est essentielle aux nouveaux maîtres à des fins d’interchangeabilité facile. Hier la classe ouvrière, aujourd’hui la délocalisation, l’appel de main d’œuvre économiquement rentable, demain la dilution dans l’homme unidimensionnel. Nous perdons notre visage, nos repères et par là même, ce qui fait notre typicité, notre identité.

 

L’absence de racine permet l’interchangeabilité des êtres sur l’échelle des besoins. L’uniformisation, la négation des différences spécifiques des régions, des modes de vie, des cultures d’origine. La grisaille. Le consumérisme en zone industrielle pour tout horizon. De Tokyo à Los Angeles. De Stockholm à la Namibie. Et pourtant même les oiseaux ont un territoire.

 

Accepter un travail salarié à trois cent kilomètres, s’expatrier, immigrer pour améliorer sa vie matérielle, ou tout simplement survivre. Un bonheur toujours plus loin dans le temps, (nous n’avons pas le temps…), dans l’espace… Un Français à Londres, à New-York, un Tunisien à Paris etc. Loin des modèles culturels d’origines. Adaptation. Les Capétiens avaient refusé l’Empire pour mieux se recentrer sur les affaires et l’édification structurelle de la nation naissante. Les maître du monde d’aujourd’hui, issus de rien, dirigent, imposent l’uniformité des besoins dans le monde, le totem du profit, la culture du Veau d’Or.

 

Egaux en Droit, libres et fraternels. Nous penchons vers. C’est un idéal issu de la Révolution. Mirage qui se heurte au principe de réalité. Donc faire entrer la réalité dans le principe…

 

Les juristes peuvent agir contre un déni de liberté ou d’égalité (ils l’imposent souvent, au détriment de ce qu’Aristote nomme la justice distributive ), mais comment imposer la fraternité ? Ce serait aussi absurde que de vouloir poursuivre ceux qui observeraient un manquement aux enseignements du Sermon sur la montagne où aux prêches de Saint François aux oiseaux.

 

Nous choisissons ceux qui nous sont frères. On ne peut nous imposer une abstraction de fraternité, même si chacun se reconnaît dans l’autre comme un humain du même monde. La culture , la sensibilité d’une appartenance à une entité supérieure à laquelle nous appartenons ici, n’est pas celle où vivent d’autres sur d’autres territoires, avec leur sensibilité, leur croyance et leur destinée différente.

 

Nous construisons le monde, nous sommes citoyen du monde, et pourtant déjà, et encore, des village corses, flamand ou wallons, continuent de se haïr pour des raisons enfouies dans l’hérédité d’une sensibilité locale différente, ou par intérêt, suivant la force des inégalités, acquises ou d’origine. Des cultures millénaires, des religions se haïssent aux Moyen-Orient. Luttent pour le territoire, pour la terre, pour leur différence. Les clochers (ou les minarets), les clochemerles, fussent-ils laïcs n’ont pas rendu les armes. Nous sommes dans le même monde, mais nous le voyons depuis une facette de prisme différente, suivant qu’on est d’ici ou d’ailleurs.

 

La Liberté guidée par la Raison. En ne désespérant pas que le chemin ouvert par cette flûte enchantée ne soit celle du magicien d’Haarlem guidant les rats par les séductions toujours plus imposantes de la Science issue de Raison, pour nous mener vers les abîmes déjà entrevus, pour de nouveaux, plus mortels encore.

 

La Révolution française consacre son dernier article (17) :

« la propriété privée étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique , légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Ce que toutes les Révolutions, russes, chinoises, algériennes etc. (issues de nos principes) s’empressèrent de faire, fut la saisie et la redistribution des terres. Au nom de l’Egalité. Et pour la misère de tous.

 

Ce que les révolutions sociales modernes ont toujours eu en commun est la redistribution systématique, jusqu’à nos pourtant exsangues partis socialistes contemporains qui continuent de suivre ce chemin aveugle du redéploiement continuel de nos ressources sans créer de conditions moteurs au plan national. Solidarité disent-ils. Toujours plus large, plus grande…

 

Donc au départ, une affaire d’avocats, de Droit, de juristes voyant  l’humanité avec la conception héroïque d’un être n’existant que dans l’abstraction, (le fameux homme tel qu’il devrait être de Corneille), dans laquelle toutes les révolutions du XX°siècle ont voulu monstrueusement couler, comme dans un entonnoir, le réel.

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27 janvier

 

Denise Duval, l’interprète égérie de Poulenc a disparue, très âgée. Elle reste pour les Dialogues des Carmélites, l’inoubliable Sœur Blanche, et l’interprète féminine indéfectible des mélodies de Poulenc.

 

Et puis Dutilleux, que j’écoute dans sa dernière œuvre, qui aurait fêté son centième anniversaire le 22. Je découvre avec ravissement le Nocturne pour violon et orchestre  « sur le seul accord », sorte de second concerto qui est dédié à Anne Sophie Mutter.

 

Ces jours-ci j’admire de plus en plus fréquemment les nues de Cranach, entre Vierges, Eve, femmes bibliques et la très fameuse Lucrèce au poignard. Il est étonnant que dans toute cette série de Lucrèce au suicide, la symbolique fait que jamais la pointe de la lame sur le flanc ou la poitrine ne va jusqu’à la goutte de sang. Ce qui est fascinant, et que toutes ces femmes révèlent , c’est cet érotisme violent dans la blancheur de la peau à peine vêtue d’un voile transparent, ou de chapeaux très lourds, ce qui contraste et accentue, comme chez Manet, le caractère suggestif. Cranach n’a du avoir que deux modèles pour tous ces nus féminins, et malgré leur rigidité toute gothique, les attitudes esquissées, les regards à peine appuyés, leur érotisme rivalise sans difficulté, sans chercher la séduction facile des postures, avec les peintures italiennes, malgré une conception du peintre allemand qui paraît paradoxalement plus ancré dans le monde médiéval que dans l’univers commençant de la Renaissance. L’une d’elle fait étrangement penser à Célia que j’ai connue dans les années 70, et qui avait le très jeune âge que devait avoir ces modèles. C’est certainement le désir de voir cette exposition du Prince de Lichtenstein dont j’avais aperçu l’annonce lors de ma promenade à Aix, qui me fait m’attarder à tous ces Cranach.

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Exemple de large oxymore : « Brutti, sporcchi e cattivi » d’Ettore Scola est un très beau film.

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31 janvier

 

Rousseau est inutile. « L ‘homme est bon à la naissance, c’est la société qui le rend mauvais ». Outre que la société est constituée d’humains à part entière, peut-on vivre hors de ce monde social ? Donc l’idéalité d’une humanité hors contexte devient inutile. Autant prononcer des hypothèses sur les poissons rouges hors de leur bocal.

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2 février

 

Le Livre des Répons  est enfin parti à midi de la grande Poste Wilson… le contrat signé, en attendant des nouvelles des éditeurs.

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Rousseau encore, qui écrit des centaines de pages sur l’éducation, et qui abandonne son épouse à Genève et six enfants aux quatre vents  pour aller conquérir Paris et imaginer que le génie musical du « Devin du Village » surpassait celui de Rameau. Le plus alarmant c’est qu’il trouva des défenseurs. Pourquoi faut-il que les intellectuels perdent souvent toute lucidité ? Comment Jean-Paul Sartre, cet astre indépassable du monde de la pensée parisienne a-t-il pu commettre cet énorme l’Etre et le Néant, pour finir à la Cause du Peuple maoïste ? Pour faire une réponse facile à cette équation, je dirais que tout se résume déjà dans le titre de son ouvrage.

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4 février

 

Ce qui distingue, entre autres distinctions , la poésie des autres domaines de l’art, c’est qu’elle ne caresse jamais le domaine de la virtuosité.  La poésie ne reçoit d’existence que de la grâce. Même dans ses manifestations les plus héroïques, épiques, ou dans les chuchotements  de l’ordre de l’intimité , il n’est aucune technique  permettant, par la seule volonté,  l’accession ou l’apparition du poétique. Il s’agit d’un vent inattendu, une manifestation insoupçonnée issue du verbe, de la parole fragilisée devant la multiplicité des possibles, qui peut faire surgir miraculeusement la chair même et le souffle d’une image ou d’une contorsion de sens poétique. Le poète ne peut être que la médiation attentive devant ce moment de grâce qui lui est prêté lorsque le verbe se manifeste et lui demande d’ordonner cet instant encore non crée (dans le sens de la Création, lorsque Dieu a soufflé sur le néant, pour créer la matière et tout le vivant rendu à l’existence).

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10 février

 

Wotan trace un cercle de feu autour de Brünnehilde à la fin de la Walkyrie. Marcel Journet, dans la traduction française, comme il était d’usage en ces temps du début du XX°, fait dire à Wotan, préfigurant Siegfried, « … viendra un homme libre, plus fort qu’un dieu ». La musique de Wagner, même si on n’en comprend pas les paroles, et c’est mon cas, se suffit souvent à elle seule comme un long fleuve sonore, mais aurait un impact encore plus grand si le sens du texte nous était accessible. C’est bien sûr vrai pour d’autres, mais quand Journet articule cette épilogue lyrique, on est parcouru de frissons.

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J’ai revu « L’aveu » de Costa-Gavras.  A donner froid dans le dos.

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Je crois que nous avons finalement adopté « Chez  Sauveur ». Je m’ y rends maintenant régulièrement ; la petite cohorte de la Place du Palais commence à se reformer…

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St Valentin

 

Promenade en Bretagne, de très belles images, comme toujours dans les Racines… Les forteresses de Josselin et de Fougères. Durant les guerres d’indépendance, à St Aubin le Cormier subsiste une ruine d’une tour de garde qui fait face au territoire de Bretagne, et qui est présentée creuse du côté français. Donc du côté protecteur.

A Rennes, de magnifiques maisons à pans de bois en croisillons, comme souvent dans la France du Centre, en Normandie et dans le Nord. La merveille vient de Charles Erard pour le plafond à caisson du Parlement de Bretagne. Et dans beaucoup d’endroits, des mosaïques de style Art Déco ornant les boutiques, les façades d’immeuble, les halls d’entrée. La piscine St Georges et l’immeuble Poirier. Les maîtres d’œuvre venaient d’Italie, le plus célèbre du clan Odorico, Isidore, dont on peut voir la maison, a laissé une salle de bain comme sortie d’un décor orientaliste. Et puis la forêt de Brocéliande et le calvaire de Guimillau en lumière nocturne.

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Katy me donne de ses nouvelles depuis un cybercafé, la foudre ayant perturbé l’ordi. Ce dimanche de la St Valentin, elle a fait huit kilomètres depuis son logement de Banon, pour me faire un petit message d’amour, les pieds dans la neige… Comment la faire venir ?

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15 février

 

Dans l’Histoire des rayures et des tissus rayés, Michel Pastoureau voit une signalétique infamante et ancestrale des vêtements de prisonniers, de la pègre, des lieux dangereux et de ceux du jeu, de l’hygiène et de la plage, des marins. Et que penser de tous les  drapeaux de nos pays, rayés de bleu, blanc, rouge, de jaune, d’azur et d’or… seul peut-être le Japon a mis un point rouge sur une blancheur immaculée. La Corée aussi, un peu. Mais aussi la Chine, et l’Union soviétique rouge de plein sang , avec un peu de jaune sur  rouge. Rouge et jaune du feu et du sang. Maintenant l’Europe récente se veut étoilée de jaune, sur ce bleu unanimement aimé. Sans rayure.

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16 février.

 

Des images furtives, de vieilles images des années soixante- dix… Jean-Paul II, le plus fascinant des papes d’aujourd’hui , mais jeune évêque, un de ceux ayant activement construit et participé à Vatican II, à l’idée apparemment inoffensive de liberté religieuse, ce qui, en d’autres termes, reconnaissait l’équivalence de toutes les religions dans le monde, revenant à considérer le catholicisme religion comme une autre. Etait-ce au Vatican de lancer ce pavé humanitaire ? Et ce, durant le temps de la Guerre froide, le Concile, inauguré comme un simple débat Pastoral, s’est progressivement dirigé vers une sorte de dilution de toutes les croyances, inaugurant la fin de notre socle occidental, et sa vocation universaliste.

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17 février

 

Regardant les paysages de la Limagne (« les racines …»), il est frappant de voir de telles mosaïques blondes et vertes de cultures agricoles, grasses et riches, me faisant immédiatement penser au tableau de Paul Klee comme d’une vue du ciel, « chemin principal et chemins secondaires ». J’ai le plaisir , près de Prades où j’avais campé dans les années de vadrouille, de revoir la chapelle granitique de Ste Marie des Chazes qui se fond complètement dans le paysage minéral, puis d’autres villages qui refont sentir la madeleine de Proust, comme ces noms qui chantent l’Auvergne loin des chemins principaux, Chanteuges, Chilhac, St Ilpize sur un effrayant promontoire au dessus de l’Allier. Partout la main humaine façonne sans faute de goût l’harmonie des paysages naturels. Et puis Saint Julien de Brioude qui défie le temps, en polyphonie de grès rose et de basalte, avec d’extraordinaires vitraux contemporains d’un moine coréen (Kim En Joong). Aujourd’hui Brioude est une œuvre d’art total. Plus loin Issoire, au plan le plus typé de la région comme St Saturnin ou N.D du Port à Clermont. La polyphonie de l’ocre clair et l’ocre rouge couvre intégralement les surfaces et le chœur aux douze colonnes sculptées en chapiteaux. Puis une œuvre rarissime que je n’aurais jamais pu voir quand j’avais visité l’édifice, un Jugement dernier en peinture murale dans les combles.

Vichy, malgré cette réputation que lui a value la Seconde Guerre mondiale, est une des très belles villes de France, aux harmonies de parcs, de villas et d’eau. Celle-ci vient presque surprendre le visiteur au coin d’une rue ou d’une avenue. De nombreux éléments du décor ou de l’architecture en rappelle la présence. La source des Célestins est toujours d’accès libre. Le grand établissement thermal à coupole orientale byzantine et Art Nouveau, aux fleurs aquatiques, aux algues décoratives des salles de bains, se mêlant aux édifices vénitiens, au Riad du Maroc, aux maisons néogothiques, fait que la ville dans son apparente anarchie, est une des plus folles et des plus libres dans son architecture et son écrin d’arbres et de parcs. C’est Napoléon III qui en fait la première ville d’eau de France. En 1902, son Opéra à l’acoustique exceptionnelle, au décor art Nouveau est crée sur des dominantes de blanc cassé et de vert amande. Du plus chic qui ne doit rien au style napolitain si fréquent dans nos cités. Tout ça avant 1940. On comprend pourquoi cette ville si belle fut élue capitale tragique et momentanée durant la guerre, d’autant qu’elle était pourvue, avant bien d’autres, d’une centrale téléphonique qui communique avec le monde.

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Le contrat des Editions l’Harmattan est revenu, signé… Voilà, le Livre des Répons, va vivre en papier et en illusion électronique….

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19 février

 

Katy ne viendra peut-être pas pour cette fin de vacances. Elle a attendu le dernier week-end. Il fait très froid, c’est Carnaval. Pour se loger, si elle vient, ce ne sera pas facile. Comme d’habitude. Je suis assez déçu. On ne fait que s’envoyer des messages brûlants, mais on ne se voit pas depuis décembre.

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22 février

 

Présentation de Thierry Muller, nouveau Directeur général du Conservatoire. Cela rajeunit apparemment le rôle du nouveau maître des lieux. Il est apparu en jean et chemise blanche, sa présentation simple et sans style oratoire, assez lapidaire,  contrairement aux contorsions de l’élu local, représentant le Maire, et du Directeur général adjoint à la Culture, engoncés dans leurs cravates et leur discours sans saveur et sans surprise, soucieux de leur seules prestations de circonstance. Nous demandons maintenant à en savoir plus sur les orientations de ce grand navire.

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Emil Gilels, dans une 3° sonate de Scriabine comme je n’en ai jamais entendue d’autres (Sofronitsky…), puis la 8° de Prokofiev, la plus belle, où il a toujours brillé, et dont il avait été le créateur.  Enfin la deuxième sonate de Chostakovitch,, composé juste avant le cyclone de la huitième symphonie, comme un calme avant le tremblement de terre. Un très grand enregistrement de concerts captés entre 1965 et 1984. New-York, Leningrad. La soirée passe dans le calme de cet hiver printanier.

 

 Cecilia a cassé sa voiture, heureusement sans dommage pour elle.

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23 février

 

Michel Serres, je l’ai connu quand j’étais étudiant en philo. La première fois, c’était lors d’une conférence sur le monde des atomes, sur le clinamen (c’est la première fois que ce phénomène de la physique antique m’apparut dans tout l’éblouissement que ne manquait pas de m’apporter la lecture qui s’ensuivit de Démocrite, de ce décrochement des atomes dans leur courbe, et puis surtout Lucrèce, et les philosophes matérialistes de l’Antiquité dont Clément Rosset n’allait pas tarder à confirmer l’importance). Serres était alors un philosophe spécialiste des sciences, et puis le temps a passé, et bien des années plus tard j’eus en main un livre de lui sur les fondations de Rome. Le style et le centre d’intérêt avait passablement changé et m’avait ennuyé. Plus rien depuis. Mais hier je découvrais le nouveau visage du vieux sage, bien loin des enseignements universitaires, dans un petit livre qu’on aurait pu croire destiné aux enfants tant la naïveté du format, les couleurs assez peu sobres, le brochage, semblaient éloignés du nom de leur auteur. « Du bonheur ». On y découvre un penseur qui a décanté cinquante années de technique philosophique pour répondre dans ce petit volume, sous forme de question-réponse , au journaliste Michel Polacco, des thématiques éternelles du bonheur, de l’arbre (qui est un lien entre la terre, de par ses racines, et l’épanouissement des branches qui est une quête de notre ciel), de réflexions simples sur l’art, sur la bonté humaine et bien d’autres pensées n’excédant pas une page ou deux. Michel Serres fait tant penser aujourd’hui à une sorte de Krishnamurti prodiguant les bonnes formules d’un prêt au bonheur avec mode d’emploi pour en faire bon usage, que je me suis dit qu’il avait probablement raison, après avoir traversé toutes les vaines dialectiques, de s’en remettre en fin de course à des réflexions d’une très grande humilité. Bien qu’il ne soit pas loin de penser dans son grand âge, que le mal sur terre serait une illusion que peut sauver le sourire d’un enfant, et que l’homme est à son sommet de bonheur et de maturité à soixante cinq ans…

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24 février

 

Aux « Victoires de la Musique » de la presse spécialisée, Menahem Pressler,  quatre vingt treize ans, pour une mazurka de Chopin solitaire et lunaire , jeune parmi les jeunes en lice de cette nuit, c’est un amoureux de Toulouse et des Jacobins. Il y avait donné un concert avec son Beaux Art Trio il y a plus de cinquante ans. Il est resté fidèle à cette ville. Victoire dans la catégorie très prisée des jeunes solistes, de Lucienne Renaudin, merveilleuse  artiste de dix sept ans, malgré un parterre très encombré de violonistes et d’altiste. Elle rejoindra sûrement Maurice André dans la légende des trompettistes. Bertrand Chamayou gagne aussi, chez lui, à Toulouse, dans la catégorie des artistes confirmés. Il y a fait entendre ce soir un premier concerto de Liszt qui confirme ses merveilleuses Années de Pèlerinage. Pour finir une très belle basse russe, Hildar Abrazakov. Dans la catégorie lyrique, Karine Deshayes et Stéphane Degout étaient au sommet.

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25 février

 

On parle beaucoup de Gérard Fromanger ces temps-ci. Le peintre de la couleur pure, aux personnages silhouettés, un des représentants en France de la figuration narrative, du pop art à la française aux couleurs sans fard et sans mélange (le rouge surtout. Stockhausen lui avait dit il y longtemps, à son grand étonnement, « il n’y a pas que le rouge »). Ce n’est pas une découverte. Il était déjà dans la course en 68 (les affiches, les coulées de rouge sang sur les drapeaux du monde), avec les thématiques sur l’Histoire des blessures et des luttes aux quatre coins de la planète contemporaine, et notamment une espèce de Guernica, peinte autour de la première guerre du Golfe. Il anthologise tous les évènements , les violences de ces vingt dernières années.

Je reçois un courrier de l’attaché de presse d’Allain Gaussin. Il  exporte sa musique en Allemagne, après des tournées au Japon, aux Etats-Unis et ailleurs ; j’apprends aussi qu’il donne une conférence sur ses dernières œuvres ( l’Harmonie des sphères en particulier) en compagnie de Fromanger. Quand je pense qu’André Peyrègne, à qui je l’avais présenté, lui avait refusé une Master Class…

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Ce soir, pour faire plaisir à Cathy Bes, je vais au Théâtre de l’Eau Vive, où elle joue dans ce minuscule théâtre qui tient plutôt du garage emménagé. Nous étions une petite douzaine sur les quelques banquettes rouges, tranchant sur le noir des murs, d’un lieu qui ne peut contenir plus de cinquante places. Je fus pris d’un certain malaise au début de la pièce sans savoir pourquoi, et j’ai compris progressivement que cela tenait au fait de la proximité extrême avec la scène qu’on peut presque toucher les acteurs et qu’ il devient difficile de délimiter l’espace de l’action de celui du spectateur passivement réduit, comme derrière une glace sans tain, à une attitude de voyeurisme, sentiment qui se dissipe jusqu’à se diluer dans les grands espaces, sans parler de l’écran tranchant du cinéma qui délimite et sécurise définitivement les deux univers. Les fameuses salles obscures du plaisir. Il en résulte que chaque imperfection saisie chez le comédien occasionne une gêne violente ou inversement une réelle empathie dans les bons moments.

A 23 h la douceur de la ville est complètement au printemps.

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28 février -Dimanche

 

Ce matin, après les pluies d’hier et de cette nuit, le versant du Baou est décoré de grands ciels à la Boudin, gris et perlés de bleu pâle.

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John Adams , une grande fresque symphonique, un granit de timbres proche de l’Ascension de Messiaen : Harmonielehre.

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Je finis, avec ce mois de Février, ce Poème de la Durance, qui concerne ces deux premiers mois de l’année. Jamais aucun poème, inspiré par un lieu, une personne ou un événement n’aura été aussi développé. On pourrait en faire un livre, détachable de tout le contexte habituel de mes livres annuels. Peut-être est-ce  la proximité, tout en même temps que l’absence, de Katy…

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Monumentale Cantate de Chostakovitch, l’Exécution de Stepan Razin. La légende d’un officier cosaque du 17° siècle, qui défie le seigneur local, avant son arrestation et son exécution en place publique. Avec des accents proches de Boris dans la partie de basse soliste, des chœurs sublimes et un maîtrise orchestrale qui va s’approcher en ses années 60 de l’écriture dodécaphonique. Ici on reste encore, malgré tout, proche des longues tenues sourdes des cordes et du frissonnement des cordes de la 11° symphonie. Et c’est beau comme le Chant des Forêts.

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L’Harmattan m’envoie les premières corrections à apporter au texte et à la mise en page. Du travail pour Bernard, hélas …

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6 Mars

 

Décès de Nikolaus Harnoncourt, de son vrai nom, Nikolaus de la Fontaine d’Harnoncourt. Cette année frappe particulièrement l’univers musical et culturel. Maquisard de la première heure de la musique baroque, il a mis à son répertoire jusqu’à Schumann et les derniers romantiques. Sa dernière parution est la quatrième et la cinquième de Beethoven qui venaient de paraître. Nous n’oublierons pas ses Cantates de Bach qu’il aura mis vingt ans à sculpter avec Gustav Leonhardt.

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7 Mars

 

Sunset Boulevard. Le crépuscule des étoiles existe donc. Le palais est la véritable star du film. Les décors incomparables rehaussent, par le noir et blanc, le relief de la luxuriance et du décadent . Et pourtant ce palais est un tombeau. Von Stroheim, hiératique et désespéré n’y sourit toujours pas.

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9 Mars

 

N’y a-t-il pas une incidence dans la mort, suivant qu’elle se produit un lundi, un mardi ou tout autre jour de la semaine , comme on dit de la naissance qu’elle est marquée par l’influence des astres, lesquels se trouvent en conjonction d’éléments favorables ou en disharmonie de planètes sur la future existence ? La vie est tellement rythmée par le retour de certains évènements que nous en percevons les temps forts et les temps faibles , au simple rythme hebdomadaire. Sur une plus grande durée, la lisibilité de ces reliefs est moins perceptible, si on songe à l’écart existant entre un événement particulièrement heureux et une profonde douleur occasionnée dans certaines circonstances sur l’échelle des possibles. C’est le principe même de la vie et des conditions qu’elle impose. Mais sur une petite durée, et plus encore sur un biorythme hebdomadaire marqué par les nuances successives de la Lune, de Mars, Mercure , Jupiter, Vénus , Saturne, la fréquence de leur retour à période si rapprochée, l’individu se voit ancrée dans son propre microcosme circulaire avec des vagues qui se situeraient parfois à la crête, parfois au creux, ou en position intermédiaire, sur un mode de sentir de type éternel retour. J’ai toujours détesté le lundi, synonyme de commencement douloureux, de mise en marche d’une activité qui, lorsqu’on est enfant signifie la déchirure, le départ, le chemin de l’école etc. Mais je suis né un Dimanche, et un dimanche le premier de Juin. Je ne sais pas qu’elle est le rapport des deux, mais ma  date de naissance m’est toujours apparue comme remplie de cette lumière ascendante de l’année, comme une sérénité ou une force intérieure qui est revenue chaque fois, sans jamais se démentir, que je ne peux penser ma vie dans sa globalité que sous un signe favorable. J’attends donc le jour de la mort. Peut-être que pour compenser ce désagrément du lundi sur la durée de la vie, il serait intéressant d’en partir ce jour-là, comme s’il se pouvait qu’on amortisse l’évènement ?

Le lundi est à la semaine ce que janvier est à l’année. Avec l’âge venu, la liesse de passer le cap d’une année supplémentaire, la souhaitant meilleure, est largement amoindrie qu’elle ne l’était dans le jeune âge, où toute perspective relevait d’une curiosité et d’un dynamisme toujours croissants. Jeune, on se réjouit de ce qu’on n’a pas encore vécu, plus vieux, on s’inquiète de ce qu’on ne revivra peut-être plus.

 

Lundi : gâché mon Dimanche à l’idée de reprendre demain…

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10 Mars

 

Katy m’envoie un message. Très bref. Elle a été malade. Je n’en sais pas plus. Elle semble avoir perdu beaucoup d’énergie.

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12 Mars

 

Je ne résiste pas à la tentation de citer Boulez dans ses entretiens avec Michel Archimbaud :

« quel intérêt portez-vous au jazz » ?

un intérêt très limité dans la mesure où cette musique dépend de formes établies. Le jazz, c’est un peu comme du préfabriqué : on n’invente rien, on reprend les vieux airs et les bonnes recettes d’antan… il y  a toujours un cadre à l’improvisation, et j’avoue que je préfère le cadre de la musique indienne, qui est, pour moi , une musique beaucoup plus riche. Curieusement, ce que je reproche au jazz, c’est sa pauvreté rythmique. On reste fondamentalement dans une musique à quatre temps. Il y a des syncopes, des déhanchements, mais c’est toujours à l’intérieur d’un carcan et il est très rare que ça se déhanche au point que l’on oublie le cadre du temps. Le langage harmonique n’est pas non plus particulièrement riche : c’est un vocabulaire très entropique par rapport à la musique du XX° siècle. Néanmoins, si l’improvisation est géniale, ce peut être magnifique. Au tournant des années 70, le free jazz est sorti des sentiers battus harmoniques et rythmiques du jazz traditionnel…  Le jazz est une musique très liée à l’époque. On le découvrait et je comprend que Ravel et Stravinsky aient voulu l’intégrer à leur univers respectif »

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-« N’encouragez pas les trombones, ils vont avaler leur coulisse… »

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Dans le même entretien , j’apprends qu’Yvonne Loriot a pleuré lorsqu’elle a lu pour la première fois le Deuxième sonate de Boulez. Qui peut avoir, comme elle, cette hauteur de vue et s’émouvoir autant devant l’aridité d’une telle œuvre ?

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C’était devant le grand jardin et le boulingrin de la Place Arson. Je m’apprêtais à entrer à l’école Pierre Merle pour mon cours sur le lyrique, quand j’ai reçu ce message de Katy, venu de je ne sais où, Sisteron, Nice…( ?) qui m’en disait plus en une phrase que ces logorrhées de l’an passé à la même époque, trahissant seulement un désarroi et une haine qui avait remplacé cette lave en fusion qu’était devenue notre intimité. Le calme est revenu en automne, beau comme le premier printemps d’il y a deux ans, et puis ce jeudi dernier, cette simple phrase qui parlait au passé… «  je t’ai beaucoup aimé… point trahi » sonnant comme un lien qui se défait.

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17-19 Mars

 

Elle passe deux jours avec moi, sous la pluie, sous le soleil…

Ce n’est pas sans penser que notre histoire a commencé en Mars

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Churchill : « les Anglais s’écroulent dans l’ordre, les Français se lèvent dans le désordre »

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21 Mars

 

Mort de Jean Prodromidès. J’ai le souvenir de ces images en noirs et blancs de l’INA qui donnaient une représentation des Perses , avec de grands chœurs hiératiques, la force et la primitivité échylienne. Puis La Noche triste. Puis Goya. Dans le paysage musical il a toujours été d’une vraie probité et ses créations accouchaient dans la plus grande discrétion. Il est parti comme il avait traversé son parcours. Noblement.

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Nous coulons des après-midi plus sereins, Katy et moi. Ce 23 Mars, nous déjeunons au Petit Lascaris. On y mange comme à la maison, cuisine de mamy. La terrasse est minuscule, elle donne sur la rue Droite, et nous abrite à peine d’une petite ondée qui nous fraîchit durant le navarin d’agneau. De belles journées, depuis une semaine, comme en 2014. Elle est installée quelques jours à Bellevue, peut-être même qu’elle trouvera du travail, de façon à ne pas être trop loin de moi, ce qui n’est pas évident.

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26 mars 16

 

Anniversaire de Claude Debussy et Pierre Boulez. Pour l’un, jour de la disparition, pour l’autre de la naissance. Aucun biographe ou musicologue n’aurait jamais fait ce lien des départs et des chaînons relevants… ?

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27 Mars

 

Dimanche de Pâques, déjeuner chez Régine sur la route poudreuse et ventée de l’Escarène. Je ne m’y étais jamais arrêté du temps où Maman était aux Feuillantines, mais le lieu m’intriguait, comme un îlot dans cette zone industrielle, désolée et aujourd’hui plongée dans le gris du ciel. On y mange l’agneau de Sisteron avec un Château Belleruche. Puis, jusqu’à la nuit tombée, chez Sauveur. L’orage tombe toute la nuit.

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Lundi de Pâques. Le beau grand soleil est revenu. Nous déjeunons à Balico, en face de la Bibliothèque Nucera. La télévision française, croyant respecter ce jour férié religieux, nous fait un C.B. de Mille à la gloire de Moïse, les Dix commandements. Les Tables de la Loi, le Passage de la Mer rouge, les plaies de l’Egypte etc… Elle aurait pu faire un effort supplémentaire avec certain Zeffirelli , Pasolini, les films sur la Passion du Christ étant légions. Probablement que le choix a été fait par simple désir de ne froisser personne, et par souci d’oecuménisme…

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29 Mars

 

D’une civilisation l’autre… Georgette Lemaire, chanteuse de variétés, prise dans la dépression de l’oubli, promue à un siège au Conseil Constitutionnel par la grâce de François Mitterrand, du temps de l’arrogance de ces années 80, me fait penser à Caligula, hissant son cheval au rôle de conseiller personnel du tyran.

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30 Mars

 

« Belle de jour », toujours la poésie des fantasmes, le Bunuel de l’Espagne de Dieu, du sexe et de la mort. Arrabal, Anselme Boix-Vives. Le thème est à rapprocher de la Femme et le Pantin.

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31 Mars

 

Mravinsky dessine son orchestre, privilégiant peut-être moins la couleur que les abîmes du relief C’est lui que j’aime le plus entendre dans des confrontations d’œuvres, c’est une sorte de référent dans bon nombre de compositeurs, même dans l’eau et les havres volcaniques de Sibelius.

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PROVENCE      

 

1  –  3  Avril

 

Comme il y a deux ans , la pluie dès le départ. Elle ne nous quittera pas durant ces trois jours. Avec plus ou moins de répit. Hélène, comme pour l’année de l’igloo, nous a offert une nuit dans un très beau Mas à cinq kilomètres de Gordes, l’Acropole de Provence… Le Mas de la Sénancole aux Imberts, aux pierres blondes et chaudes, même dans le gris de ce milieu d’après-midi. Sénanque n’est pas loin. Et ici le cyprès est un cri jailli du sol vers le ciel, une langue noire qui habille le paysage, inconcevable sans lui. En bordure des routes, des chemins, délimitant les espaces et protégeant des vents, marquant de sa hiératique austérité la gravité des sols des pays de Provence. Pays d’Arles, de Saint Rémy, mais aussi de Gordes, et de tout le Vaucluse, jusqu’aux limites du littoral. Il n’y aurait de pastorale provençale sans lui. La brebis et le cyprès, la pierre sèche, le vêtement romain dans son classicisme rural. Nous prenons la route d’Oppède-le-Vieux, situé dans un écrin de brouillard d’où n’émergent , à distance, comme un repaire d’aigle, que l’église et les ruines d’anciennes fortifications. C’est un temps d’Ecosse pour la lumière, mais avec une fine pluie chaude qui nous dit que nous sommes au printemps. Le village fait une boucle ascendante pour redescendre après le sommet où se situe l’église et un cul de sac menant probablement au-delà, vers les grosses ruines. Les pierres, de la plus belle noblesse, sont mêlées, enchevêtrées souvent, dans le vert de gris du végétal, réemployées, en manière de mosaïques, d’un édifice plus ancien à une plus récente construction, ce qui permet à l’ancien de vivre à nouveau et au plus récent de trouver un matériau inespéré pour un nouvel élan. Le village est ainsi, dans sa partie supérieure et historique, un souvenir d’un monde d’antiquité disparue, élégiaque. N’en reste que des lambeaux, épars ou plus compacts, dont un pan de mur, le long du chemin, qui devait être du XVI° siècle, et qui paraît , dans sa fragilité, devoir encore de tenir en place de par la seule grâce du silence de ce village aux reflets d’abandons et de fantômes. Depuis le sommet, depuis l’église, la vue plonge sur les larges vallées entre Gordes, Lacoste sur un flanc de plaine, et plus au sud, vers Cavaillon. Le pavement de l’étroit chemin est si aigu que les pieds semblent marcher tous nus. Le cœur d’Oppède, sur la placette à l’orée du village, nous accueille au Petit Café pour un vin de Luberon, dans la quiétude de ce milieu d’après-midi. En dehors du café où se réfugient quelques promeneurs (ce qui saturent très vite le petit endroit…), nous n’avons rencontré personne dans les dédales du village. Volets clos. L’harmonie du gris et du vert humide donne un charme rare dans un pays habitué à la lumière crue et tranchante. C’est donc un privilège aujourd’hui de cheminer sous cette grisaille.

 

L’Ile –sur-la Sorgue. Cela faisait bien trente ans que je ne revenais pas sur les traces de ce qui, à l’époque, était un projet de Musée René Char, projet n’ayant abouti pour des raisons, comme souvent en France, d’obstruction politique entre les différents décideurs du moment. Aujourd’hui c’est le Musée Pétrarque. Il faut dire que les environs sont riches… L’Ile à changé aussi. Elle mérite bien son nom, enserrée qu’elle est de tout un tas de bras d’eau, de cette Sorgue limpide et de tonalités d’émeraude dans les nuances les plus sombres. Ce qui frappe en arrivant c’est le dynamisme de la ville, ces lumières, ces commerces aux devantures vives et soignées, (la Librairie (bibliothèque ?) Frédéric Mistral toute de bleu d’aquarelle), pour déboucher sur la place de l’église, où dominent en face, le Café du Commerce et le Café de France, sous l’ombres des platanes géants, café tout repeint en vert amande, aux décorations ornées de torsades et aux boiseries d’intérieur au large miroir, qui paraissent du siècle qui a vu l’édification de ces bistros. Pénétrant dans l’église, les travées présentent l’originalité d’un luxe de bleu sombre presque noir, allié à des motifs dorés du plus bel effet. L’ensemble manquant  quand même d’homogénéité.  Le vin de Luberon est bon, il y a beaucoup de bars à vin. Et la jeunesse est sur les quais, sur les terrasses à la tombée de la nuit, et plus loin encore dans la nuit. Ce qui est rare dans nos provinces. Nous traversons plusieurs fois des canaux maintenant éclairés, enjambant les morcellements du centre de la ville, comme une petite Venise improvisée, près de ses célèbres roues chargées de vase et de ses cohortes navigantes de canards sur tous les bras de la Sorgue. Nous dînons au « Chineur » d’un excellent magret et de ce toujours vin facile de Luberon. Les pieds des tables sur lesquelles nous mangeons sont d’anciennes et magnifiques machines à coudre Singer. L’Ile est jumelée avec la ville d’Anagni, ce qui me rappelle ce fameux ouvrage du Duc Lévis de Mirepoix traitant de l’attentat d’Anagni dont la noblesse française du XIV° siècle s’était rendue coupable d’un soufflet sur la personne du Pape. Nous rentrons à la nuit noire, traversant les campagnes isolées et silencieuses.

 

2 Avril

Le Mas, au petit matin, est plongé dans le plus grand silence, on y entend que le battement d’ailes des grands oiseaux des plaines.

Le gris du ciel toujours. Nous sommes à quelques kilomètres de Gordes, sur la routes des bories, qui s’impose de sa masse compacte de gris brun sous la lumière de ces ciels bouchés. Nous plongeons (jamais l’expression n’aura été si vraie) dans le dédale de ses rues pavées qui meurtrissent encore les pieds vers une vue exceptionnellement dégagée sur l’immense plaine alentour. Puis nous nous dirigeons vers le sud, en direction de Cavaillon, traversant Robion, très animée à cette heure, avec ses devantures, ses bistros, sa boulangerie bleue, le carmin de sa coopérative agricole gorgée de fruits et légumes, les glycines serpentant le long des murs et des balcons, avant d’entrer dans Cavaillon où au bout de la longue rue principale, à l’angle d’une rue, discrètement protégée, une merveilleuse façade baroque dont je n’aurais pas retenu le nom. Sur la route, toujours plus au sud, les rangées de platanes encadrent les longues lignes droites, comme aboutissant à des ogives refermées sur le ciel. La pluie est plus intense sur le pare-brise, l’humidité environne tous les paysages, la visibilité est maintenant moindre dans ces campagnes faussement endormies.

 

Enfin St Rémy luisante d’eau aujourd’hui , mais qu’on imagine au cœur de ses activités sous la lumière qu’aura connu Van Gogh, ses parfums, ses lavandes, et la vivacité tranchante de ses ruelles secrètes et jalousement à l’ombre de la maison de Nostradamus, Michel de Notre Dame, Astrologue, rue Hoche, demeure émouvante dont il ne reste que l’encadrement de la fenêtre à l’étage, à la pierre poreuse et percluse, et une porte reconstituée sur une ruelle si étroite qu’il faut bien lever les yeux vers le ciel pour embrasser l’ensemble du petit édifice. L’église, sise sur une place très ouverte, est d’autant plus émouvante, non pour son réel intérêt architectural, que parce que l’intérieur menace malheureusement de ruines, très visibles dans les travées latérales où le bleu nuit des peintures est recouvert aux endroits les plus fragilisés, d’un simple plâtre blanc négligemment à découvert, et où les fissures ne peuvent plus cacher leurs plaies béantes.

Sur le chemin des Antiques, dans le périphérique de la ville, nous faisons halte dans un bar à vin, aux boiseries et aux décorations échevelées, pour nuancer la gamme de ces décidément petit rubis de vin rouge qui seront les seuls soleils de la journée.  L’espace Van Gogh ne présentant pas de tableaux du peintre, nous ne visitons pas le pourtant bien cossu Hôtel Estrine. Puis Glanum et l’Arc de Constantin au bout d’une longue ligne droite , insensiblement, à la sortie de la ville, toujours dans la brume et la tonalité des gris de la pierre. Pays de cyprès, aujourd’hui dressés comme des lames sombres vers le ciel.

 

Les Baux. Malgré le temps, les files de touristes cherchent à se garer, loin avant l’entrée du village. Comme bon nombre de ces perles à l’appellation « plus beaux villages de France », victimes de leur attraction, la circulation devient impossible, et comme à St Paul, traverser la cité est devenu interdit. Nous poursuivons, non loin de là, vers les Carrières de Lumières, volume grandiose, englouti dans le cœur même de la pierre. D’immenses cubes, des piliers trapus laissent tout un espace de circulation sous une voûte qui simule le ciel à découvert, et c’est sur toutes les surfaces de ces carrières creusées sur des milliers de mètres cubes que sont projetées des images d’œuvres d’art. Cette année l’exposition est consacrée à l’œuvre de Marc Chagall. Dans ce gouffre de pierre s’impriment les amoureux en apesanteur, les anges descendus du ciel, les fées et les violonistes, les gens du cirque flottant dans la lumière saturée et les naïfs tourbillons oniriques, les mariées en blanc sur les fonds roses signalant un orient proche et tous les thèmes du Message Biblique, et les figures circulaires de l’Opéra de Paris. Durant une heure défile, en plans fixes ou par superposition de plusieurs images mouvantes, l’essentiel de l’œuvre du peintre. On en ressort, dans l’air saturé de grisaille, comme étourdi de couleurs et de lumière spirituelle.

Retour à l’Ile sur la Sorgue. Nous avons laissé le Mas de la Sénancole dans son écrin de rêve, pour une seconde nuit dans la petite cité traversée d’eaux et d’émeraude. Il est temps de sortir le parapluie. Il semble que les hôtels soient difficilement accessibles dans le centre ville. On y rencontre apposée sur une plaque de pierre un ancien hôtel du duc de Chartres où Laure et Pétrarque aurait été abrité. Avec la petite pluie, l’eau paraît déboucher de tous les coins des canaux et de la rivière, il y a même quelque remous du côté des écluses ; Au môle où la Sorgue est bien large, l’hôtel des Terrasse du Bassin a en effet une terrasse donnant directement sur le flux de la rivière et des parasols qui attendront des jours meilleurs. Mais pas une chambre de disponible. L’hôtesse  qui nous accueille nous prend en telle considération qu’on croirait qu’elle nous loue la plus belle chambre de l’établissement. Elle ne fait que nous donner toute sa sympathie et s’emploie à réserver pour nous une chambre à l’Hôtel des Nevons , sur l’avenue René Char. La maison familiale du poète existe-t-elle toujours ? La chambre est vaste comme une suite, avec une large terrasse, et une vue sur un canal de la Sorgue, les canards familiers, et un gigantesque saule pleureur.

Nous passons la soirée au Bistronomic Grill  que tous les habitués de l’Ile semblent fréquenter tant le lieu ne désemplit pas. La cuisine de brasserie, comme hier soir, y est excellente. Jamais je n’avais mangé une telle tête de veau avec le petit Luberon qui va avec. En rentrant aux Nevons il n’y a que le bruit de la Sorgue sur la nuit tombée.

 

3 Avril

Fontaine de Vaucluse, très tôt. Peu de monde encore, ce sont les meilleurs moment pour goûter ce lieu de couleurs et d’eaux sauvages. La résurgence est à quelques centaines de mètres de l’église massive et austère, une vraie romane, plus sombre encore sous ce décor de gris-vert et son ciel bas, ce matin. La roue du moulin ne tourne pas, ce qui désole Cécilia, et la fabrication du papier selon les méthodes du XV° siècle semble s’être arrêtée. Plus loin une magnifique enfilade de peupliers séculaires longent la rivière, dans une merveilleuse harmonie de tonalités froides, au dessous d’algues, vertes et bleues, émeraude sombre toujours, de rochers moussus qui coupent le flux du torrent en gerbes d’écume. Je comprend l’enchantement qui a dû saisir Pétrarque dans ces lieux qui n’ont pas été pervertis depuis. C’est la quintessence de la poésie éternelle qui coule ici, l’écrin de nature hissé dans une transposition d’âme qui ne peut s’apprécier que dans le silence du matin, ou le soir, bien tard , lorsque aucune trépidation de flux touristique ne vient troubler le chant des eaux et les harmonies sombres des infinies nuances brunes, des bleus et des verts minéraux.

L’église du Thor nous fait prendre un chemin de traverse. Massive et austère. C’est dimanche et le rythme du village est à l’image d’un midi ensommeillé. Le portail est large et festonné de motifs décoratifs. Le clocher domine tout l’espace alentour.

 

Pernes les Fontaines en début d’après midi. (Perno li Font). Sur la place, en haut du village, une façade de bureau de tabac sur fond ocre a gardé tout le charme des petits commerces comme on en trouve encore dans la France d’aujourd’hui, qui nous parle d’hier et de la patine prise avec l’usure, avant de devenir de quelconques lieux rénovés d’insignifiance. C’est la sortie de l’église, et à l’angle du seul bistro rencontré, un pont pavé qui enjambe une rivière paresseuse et sombre, douves encadrées de deux magnifiques tours crénelées médiévales entourées de beaux saules pleureurs. Nous prenons le petit rouge du pays sur la terrasse où nous sommes les seuls, avec ces quelques vestiges d’architecture comme décor. Le silence s’installe sur la petite place.

 

Il est impossible d’approcher St Symphorien au cœur des monts de Luberon. Auparavant nous pouvions l’apercevoir d’assez loin et apparaissait le clocher dépourvu de son toit de tuiles, très haut dans le paysage. Par la route empruntée aujourd’hui, nous passons devant l’édifice, mais il est désormais propriété de ceux qui ont réalisé les restauration, et clôturé. Je ne sais si c’est avant ou après ce passage à St Symphorien, mais nous nous retrouvons à Cadenet, et j’y aperçois cette enseigne Hotchkiss sur fond bleu, qui m’avait fait tant plaisir il y a deux ans, par la surprise de ce  vestige publicitaire, et qui, comme le petit tabac de Pernes, parlait d’un autre temps.

 

Bonnieux dominent de larges horizons verts de plaines et de croisements de routes. Nous l’avions toujours côtoyé ou traversé sous le soleil ou sous les premiers rayons lorsque les brumes fumantes du matins sont encore suspendues à la terre; aujourd’hui c’est sa face humide et grise qui nous accueille. Un verre de Luberon, peut-être le dernier du périple, au seul endroit encore ouvert et fréquenté à cette heure par ceux qui se réfugient à une table pour le repas de ce dimanche maussade. Depuis le promontoire, presque au sommet, la vue sur la plaine a des accents symphoniques. Les toits des maisons courbées en escargot et le dédale des rues serrées auraient bien reçu le Hussard sur le toit. Il y a de belles rues dallées et pentues, encadrées de portes voûtées aux extrémités, une noble façade abritant la Mairie, avec au premier plan, un délicat encadrement  de pierre d’un ancien édifice, et une rugueuse église au sommet du village, entourée de gigantesques cèdres du Liban.

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Pierre Gervasoni a fait un énorme ouvrage sur Dutilleux, qui aurait eu cent ans cette année. 1700 pages… Quand le compositeur a eu le Prix de Rome, dans les années trente, on ne peut imaginer aujourd’hui l’hommage qui lui fut rendu par la ville de Douai, où il a été reçu au cœur des citoyens, sur plusieurs rangs, en carrosse attelé , en uniformes et avec un programme local digne d’un chef d’état. Maria Cebotari, morte jeune , princesse lyrique de Vienne, reçut l’hommage de quarante mille viennois lors de son enterrement. Comment en moins de quatre vingt ans, lorsque le même Dutilleux est mort , le Président de la République d’aujourd’hui n’a pas su rendre le millième d’une telle reconnaissance, alors que depuis longtemps ce  compositeur a été reconnu dans le monde, pour l’ensemble de son œuvre. La raison se trouvant être que ce même jour disparaissait Georges Moustaki . Dans les ascenseurs du Conservatoire les secrétariats répandaient la triste nouvelle. Et de même, dans les sphères d’Etat, la France officielle n’a su bredouiller qu’un triste communiqué concernant la disparition d’une des vraies gloires de la composition musicale du siècle, les ondes télévisuelles s’étant mobilisées pour l’hommage au pâtre grec ….. Ignorance de la France pour ses vraies valeurs. Disproportion.

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12 Avril

 

Les Variations de Schumann sur un thème de Beethoven (la septième symphonie), les Ghosts Variations de la fin de sa vie, les fantômes de son âme qui devenaient obsessionnels, rarement jouées, ont une beauté vénéneuses qui me touchent peut-être plus que d’autres.

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L’Allemand Stephan va souvent à la pêche, il ne ramène que rarement du petit poisson. Mais on sourit encore à la fameuse blague de la sardine qui a bloqué le port de Marseille. Plus sérieusement, il me montre ses appâts, les vers qu’il utilise pour ses petits hameçons. Sur la boîte d’asticots, en plusieurs langues : Made in China… Même là.

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(des racines…), en vrac :

La Provence calcaire était sous la mer il y a quelque 150 millions d’années. L’étang de Berre, le lac salé le plus grand d’Europe. La Durance se jetait directement dans la Méditerranée. La Sainte Baume au sanctuaire de Marie Madeleine était déjà habitée au néolithique. Marie Madeleine apparaît beaucoup en Provence, depuis les Sainte-Marie, la Baume, Saint Maximin… Le Cap Canaille , la falaise la plus haute d’Europe. « Plus les pinces d’un scorpion sont minces, plus le venin est puissant ». En contrepoint de mon séjour vauclusien, en pays d’Arles, l’aqueduc de Barbegal, et celui de Roquefavour, plus grand ouvrage d’art européen. François Zola, père d’Emile, était ingénieur et édifia un barrage de 37m. dans la région. Les campaniles provençaux sont  à ciel ouvert pour se faire entendre puissamment depuis les villages et les vallées voisines. Luberon, l’abondance de sa terre, les coquelicots infinis des jachères. On ne cesse de rêver dans cette Provence plus riante qu’une Toscane.

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14 Avril

 

L’interview du Président de la République sur un presque bilan de quinquennat :

Sur le terrorisme : « nous lutterons contre des français qui tuent des français parce qu’ils sont français… ». Tout est dit.

Mais qui sont ces français qui tuent d’autres français dans la République française ?

Surréalisme jusqu’aux larmes !

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M’endormirais-je ? Mes vacances se passent comme un préambule de ce que sera ma vie demain, après 2017. La cessation des mes activités publiques. J’irais au Sauveur  dans un rythme inchangé, une coulée de convivialité avec Stephan l’Allemand qui ne parle que des variations de températures, d’un soleil qui n’est jamais assez soleil ? Les Allemands, comme Brahms ou Schumann ont une féroce attirance pour ne pas épuiser une thématique avant d’en avoir fait mille fois le tour . C’est une conquête et un charme de l’esprit de variations , si peu dans l’âme française.

La limpidité et la vivacité de nos échanges dans les conversations en France, partant d’un propos anodin  (comme les Variations Diabelli peuvent être anodines avant le grand déballage variationnel chez Beethoven) tiennent à la seule légèreté et à la finesse de la conscience qu’on peut avoir de la relativité de nos propos, d’où le sourire moucheté des conversations de comptoir, sachant que jamais un sérieux conclusif ne viendra clore ces salves aiguës de palabres d’ivresse ou de probables absences évidentes de convictions. Le Français a la profondeur de ne jamais espérer épuiser la matière discursive.

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Les éditions l’Harmattan m’ont renvoyé le pdf définitif et corrigé, ainsi que la première de couverture (qui malheureusement n’est pas celle que j’avais prévue initialement). Je n’ai plus qu’à donner le bon à clicher. L’aventure du Livre des Répons entre dans une nouvelle dimension…

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15 Avril

 

Quand je relis Aragon, j’ai une évidente admiration pour la grandeur formelle de son style, la noblesse des sentiments. Ce fou d’Elsa n’a pas de rival en terme de beauté et de clarté plastique. J’ai fui l’Ode à Staline. Comment a-t-on pu se fourvoyer dans ce XX°siècle de si lourde manière ? L’amour d’Elsa a habité chaque page , chaque mot d’un poète qui une fois veuf est devenu un discret vieil homosexuel.

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Dans un grenier on a retrouvé un Caravage. Les heureux défricheurs ont dû être retournés (s’ils aiment la peinture), mais l’évaluation spontanée de sa valeur marchande laisse penser qu’ils l’aimeront… Vu de loin il est magnifique. Est-il authentique ? D’une densité à mordre la matière. Judith et Holopherne, du sang , de la douleur, un cri de la couleur.

Je m’en vais faire de l’ordre dans mon grenier.

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17 Avril

 

« Nuit debout ». Depuis plusieurs semaines, le phénomène se généralise un peu partout en France et en Europe. En réaction au projet de loi El Khomry sur le travail , la Place de la République est investie pour de longues soirées et parfois jusqu’au bout de la nuit où les divers sittings, forums, prises de paroles, (démocratie participative dit-on), se terminent de plus en plus souvent par les inévitables caillassages de mobiliers urbains et de commerces, une fois la nuit venue. C’est un goût de Mai 68, où la prise de pouvoir par la rue et les interminables dialogues au travers desquels le monde se refait, mais où pas un participant sur dix ne  sait pourquoi il est là. Ils sont contre, il sont comme toujours, dans le bêlement. Quelques slogans, quelques vagues intransigeances sur l’avenir de leur place dans le monde du travail font que la nuit est à eux. Les plus jeunes en profitent simplement pour échapper un peu à leurs parents, c’est la fête, et en France aucun événement d’ampleur et de sérieux n’échappe à la fête. Les nuits d’Avril n’inspirent aucune inquiétude, les nuit sont douces. Finkelkraut a été jugé indésirable et a été sommé de quitter les lieux, par l’insulte et par la force. Le dialogue est affaire de personnes autorisées. Le sectarisme, l’invective est déjà installé au cœur de la jeunesse. Elle en est encore au peuple de gauche (dans la République ?). Les véritables mobilisations de la jeunesse, véritable bras armée de syndicats en perte d’autorité, pour des enjeux autrement périlleux, sont pour bientôt. La guerre est aux portes.

 

L’Occidental ne croit  plus en rien depuis longtemps. Devant le danger réel, les anticorps sont épuisés. Le dernier refuge pour beaucoup est la cause animale. Le chat, le chien, l’éléphant, l’ours blanc. Selon.

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20 Avril

 

Verrocchio pouvait-il être autre que peintre, sculpteur ?

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Un arbre est planté toutes les trente secondes en France…

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24 Avril

 

Dans « Tout comptes fait », dernière partie autobiographique ( 69- 72) de Simone de Beauvoir, je tombe au hasard sur un long chapitre de promenades dans les campagnes françaises, tout le long des étoiles terrestres que sont ces joyaux de chapelles rurales, ces longs serpentins posés comme autant d’écrins de peintures murales romanes à Brinay, Nohant-Vic, Montoire, Lavardin, St Jacques des Guérets, discrètes et rendues muettes au fil des âges, refuges de quiétude pour le pèlerin qui partage un moment d’ombre et de fraîcheur à l’écart des grandes campagnes, avec en point d’orgue Saint Savin, qui résume sur ses voûtes , ses piliers et son narthex, la somme de la création du monde.

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Ce soir le clocher de Saint Paul est comme un cierge jaune dans le ciel uniformément gris.

L’orage n’est pas loin. Et puis « Vertigo »…

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25 Avril

 

Katy a été hospitalisé à Gap. Quatre jours de coma. J’ai reçu un message d’une grande tendresse. Je suis inquiet, ces séjours sont maintenant très rapprochés. Elle m’envoie des tonnes de messages d’amour. Le soleil est dans l’Avril.

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L’Harmattan a envoyé les cinq premiers volumes du Livre des Répons. Le livre est beau, il tient bien dans la main, j’ai envoyé  des messages à ceux qui pourraient avoir envie de le lire (par amitié, ou par ferveur du poétique ? ). J’ai cru ne pas reconnaître que j’en étais l’auteur… De la version papier ou de l’électronique il est évident que dans la galaxie Gutemberg où nous avons vécu, la première reste la plus émouvante, la plus parlante pour le public. Mais il ne pourrait plus être question de vivre sans l’œuvre complet qui est dans le site entré dans sa neuvième année.

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J’ai parcouru la colline de Saint Roman de Bellet, où je donnais un cours. Le ciel était limpide, le silence à l’image du tranchant du ciel, les vraies beautés de Nice étant dans ces hauteurs, où la splendeur de la campagne s’installe à proportion des terres qui prennent de l’altitude, et où aujourd’hui les flambées de coquelicots sur les bordures de la route, comme en rafales,  avaient plusieurs semaines d’avance.

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Chez Sauveur, le printemps se fait à l’image de l’étroitesse de la rue du Collet, timide et frais. Pour voir le ciel il faut lever les yeux bien haut. Mais le cœur y est comme dans les bistros de village. Bernard vient en Mai ou en Juin.

 

Dans la nuit, Fisher-Diskau, Gerald Moore, (1955), la dixième version du Voyage d’hiver par le même … la plénitude des moyens, le timbre, la facilité élocutive… La meilleure ? Certainement. Mais je reste ému, et seulement par elle, celle des années quatre vingt, avec Brendel, où la dramaturgie, la fragilité et l’instabilité vocale (mais de quelle émotion !) compensent le grain d’airain et l’aisance prussienne devenus plus rares.

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27 Avril

 

… j’ai vu Katy, et Frédérique, de passage à Nice. K doit consulter à l’Archet pour une excroissance à la hanche. La soirée se termine dans la grisaille du Pub Magnan.

 

(racines…) Les beautés de la Sarthe gardent la mémoire des demeures et des châteaux les plus discrets et les plus merveilleusement authentiques. Une des merveilles du Mans est l’enceinte polychrome des remparts romains, puis ses maisons médiévales et la « forêt » d’arc-boutant de la Cathédrale, les croix de pierre du X° siècle le long des routes. L’église de St Léonard des Bois inscrit dans sa pierre toute la géologie de la terre sarthoise depuis des millions d’années. Puis Bazouge sur le Loir. Puis la Mayenne qui possède le plus de châteaux privés en France où on vit caché et heureux. La promenade se termine par Laval aux maisons à colombage.

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30 Avril

 

Avec Katy et Fred nous déjeunons à la Ville de Sienne. Prenons un dernier verre à la Civette Garibaldi, et raccompagnons Fred à l’aéroport. Demain Katy fait son anniversaire.

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Ce premier Mai j’attendais Katy au Square Carlone. Les arbres y sont magnifiques, encore dans la maigreur de leur jeune âge, (des poivriers, des noisetiers ?…), et dans une allée donnant au sud de la placette, les arbres symboles de la Méditerranée. Trois palmiers côtoyant deux cyprès géants et un énorme olivier séculaire. Celui-ci vivait là avant même l’expansion du quartier Magnan, ce qui était la pleine campagne. Le vent nous faisant parvenir ce midi

des parfums de printemps les plus délicieux.

Pour son anniversaire, elle a eu droit à un minuscule brin de muguet placé à la page de la dédicace du Livre des Répons. Je pense qu’elle y aura été sensible. Pour Santa Cappelina, trop de vent des montagnes cette année. Nous prenons quelques verres au Sauveur puis déjeunons de façon quelconque, mais sur la terrasse ensoleillée et abritée du Pastrouil. L’après midi coule le plus tranquillement jusque vers dix sept heures.

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4 Mai

 

Triste nuit, hasard rompu. Au moment d’écrire « éternité » dans cette nuit du 4 au 5, l’encre sur le papier s’est rétracté et a donné des signes de mort…

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Le Livre des Répons est enfin accessible, en vitrine, en librairie, et chez tous les grands distributeurs. Presque malgré moi.

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La vie se déroule comme une arche entre deux pôles. Ce que j’ai aimé dans les débuts de ma vie, va revenir pareillement aimé dans la fin de celle-ci. Entre les deux pôles, le travail de la métanoïa me fera aimer d’autres choses au milieu de la vie, qui viendront s’ajouter à celles précédemment  aimées qui paraissaient incompatibles, avec peut-être une force amoindrie pour les premières aimées. Ce que j’ai aimé trouve un amour contraire, inversé, en une mathématique de la vie et de la sensibilité, une sorte de spirale de part et d’autre de ces deux pôles. En retrouvant les premières amours : Giono de ma sortie de l’enfance, Giono de mes automnes avancées.

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Revu il y a quelques jours « Pierrot le fou ». En vrac, parce que je ne développerais pas sur Godard.

Jean-Luc Godard est aussi sensible qu’un bottin ; ça donnera plus tard le modèle parfait de diction monocorde et atone  d’un Jean-Pierre Léaud qui a fait pâmer toutes les générations d’amateurs de François Truffaut. Je n’ai pas dépassé le milieu du film cette fois-ci. Des propos faussement légers se voulant d’une profondeur pudique. Aussi insensible qu’une partition à première lecture. Le plus lourd c’est la chansonnette et la citation qui traversent  l’image, les références entendues d’intellectuel parisien, mais pas trop.

Les jeux de mots façon Almanach Vermot qui auraient découragé les plus pauvres lettrés :

«  – votre mari est mexicain ?

non !

j’ai jamais vu un mec si con ! »

Drôle, non ?

On a l’impression que la signification du film passe par un épisode manquant d’un autre, tant le rythme est échevelé sur des décors et des voix off glaciales, hésitant entre la banalité feinte et la profondeur littéraire, un infantilisme sur faux fond de Kant, une mosaïque brisée de paroles jonglant entre ces deux hémisphères. (Belmondo lisant dans la baignoire, chapeau sur la tête, s’adressant à une petite fille, un chapitre d’Elie Faure sur Velasquez, résume bien le pontifiant soporifique de la situation).

Je résume avec une mauvaise sortie de mon cru : la mère thune et l’amer, propos qu’aurait pu avoir Barbarin dans ses meilleurs jours.

Enfin, Godard n’est pas Kurosawa…

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Les Nuits debout continuent. J’entends le Premier Ministre, à propos de la loi sur le travail, amendée cinq mille fois, « nous allons débattre… ». Est-ce que ça va prendre du temps ?

 

Petite éthique spinoziste de la France :

Axiome : première maladie de l’impuissance dans le pays : le débat.

Corollaire : seconde maladie de l’impuissance : la réunion.

Perspective : l’égalité ; comment être encore plus égaux et trancher tout ce qui dépasse ?

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Hier soir, une rétrospective de Gaulle. On sait qu’il a parlé faux, avec traîtrise. 1958 : victoire de Charly Gaul, victoire du Général de Gaulle. Où est le dopage ? En ces fins d’années 60, j’ai bien aimé la fièvre des murs de la Sorbonne. Qu’en reste-t-il après presque cinquante ans ? Les samedi de Mai 68, Nonina faisait les meilleurs soufflés au fromage que j’ai jamais mangé.

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7 Mai

 

Les fourmis du jardin apparaissent avec la chaleur, se croisent, sur une ligne de démarcation invisible mais quasi tangible dont elles ne dévient pas comme un trait noir mouvant vu d’en haut, se touchent des antennes, s’arrêtent dans leur course, se transmettent des fardeaux, continuent leur course, celles perdant force sont laissées à l’écart ou on leur donne un coup dans le train arrière. Les fourmis se parlent, elles font partie d’un grand programme collectif de société absolue. Elles seraient un vrai bonheur d’observation pour Francis Ponge, comme jadis elles le furent pour Maeterlink.

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8 Mai

 

Une après-midi sans nuages avec Katy, au Sauveur et à la Coulée verte. Nous nous installons dans les bambous…

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10 mai 2016

 

La Toscane a pris une décision d’une sagesse qui semble donner matière à  réflexion aux pays de traditions, au premier rang desquels la France, qui plus que d’autres, parce que plus riche en la matière, va devoir se pencher sérieusement sur le problème de ses traditions culinaires et la défense de sa gastronomie. Florence va proposer dans les mois qui viennent, une loi interdisant l’installation de plus de trente pour cent de lieux de restaurations non locales. L’asiatique (dont la japonaise qui a envahi avec agressivité depuis seulement une quinzaine d’année), les points Mac Do, les restaurations rapides de tous horizons, et enfin les kebabs, derniers venus sur les commerces de bouche en Europe. Leur prise de conscience est sage, parce qu’au delà de l’installation intempestive, souvent au détriment, à qualité égale, d’une restauration locale, l’identité même sur le long terme, d’une pratique culinaire mondialisée abusivement, et en de telles proportions chez nous, se voit menacée, qu’on a souvent du mal à constater que nous sommes en France, fleuron d’une culture du bien manger.

Le phénomène des modes est particulièrement sensible chez les jeunes pas encore forcément éduqués dans leur propre pays, qui se laissent entraîner par les fastes de nouvelles tendances, pourvu qu’elles viennent de loin, et se laissent plutôt guider dans ces endroits sans âme et peu onéreux où l’on se retrouve entre jeunes de la même génération, et peu importe en fait ce que l’on mange. L’Italie, qui pendant longtemps est restée dans l’ombre de la gastronomie française, revendique pourtant aujourd’hui une défense de ses intérêts culinaires facilement concurrencés par les pratiques de cuisine de rue. Même un rien d’ail, de l’huile d’olive, une senteur de basilique dans la tomate, et l’Italien se voit le plus grand gastronome ! La France, qui a toujours eu des arguments autrement plus scientifiques en la matière, pense toujours que son prestige, sa superbe et sa supériorité sont toujours au beau fixe, n’a qu’à regarder ce qu’il en est !… La défense et l’illustration de la Musique française, chère aux compositeurs du XVII° siècle, se prévalant d’une démarcation par rapport aux compositeurs italiens, (et aujourd’hui face à l’ordre du monde nouveau en matière de cuisine), ne saurait être plus urgemment conseillée à ceux qui ont charge de respecter, d’entretenir et de sauvegarder nos traditions de gastronomie les plus précieuses. Je crois que les toscans, plus que nous, trouvent nécessaire d’intervenir et de protéger les productions et la tradition, des dérives dues à l’établissement d’une sorte de Babel de la cuisine. Qui connaît (et saurait faire !)vraiment encore la blanquette de veau à l’ancienne ? Mais plus triste encore, quel restaurant propose aujourd’hui dans les villes, cette blanquette à la carte ?…  Donc, quand commencera-t-on aussi en France à donner du frein al dente à l’infatigable étalage toutes catégories confondues de la cuisine italienne et de ses pizzas à l’infini ?…  Dans notre pays, le temps de Raymond Dumay paraît bien éloigné.

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11 mai 16

 

j’ai envoyé une anthologie, des extraits très courts, d’une vingtaine de lignes pour l’Harmattan, et un nombre forcément limité de librairies sur Nice. La promotion paraît bien légère. La bouteille à la mer est lancée. L’édition électronique est également à la vente.

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Ce soir, Pli selon Pli, réédité  avec Phillis Bryn Julson. Dès le premier vers, « je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée », Boulez se hisse au plus brûlant lyrisme… Et dire que son nom est synonyme d’absence de mélodie !

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Dans la voiture j’écoutais le quinzième quatuor à cordes de Beethoven, au soleil couchant, le passage lent, un fleuve inépuisable de lyrisme, chant de reconnaissance d’un guéri à la divinité dans le mode lydien, et  à la fin de ce monument, je fus très étonné que, pour suivre, un mouvement adagio dont je n’ai pas retenu de quel quatuor de l’ensemble « quatuors du Soleil » de Haydn il s’agissait, une grandeur aussi élevée, avec peut–être des moyens plus économes encore dans le développement, puisse être comparée à cet opus 132. J’ai toujours eu confiance en Haydn. Mozart peut me décevoir, peut être par trop de grâce (comment peut-on en avoir trop ?), ou d’une élégance attendue, alors que Haydn se projette là, depuis l’univers du pur classicisme pour rejoindre les gouffres de lyrisme tendu d’un adagio extraordinairement proche du monde de Beethoven. Mozart y accède aussi évidemment, souvent, presque toujours, avec une voix plus féminine. Mais ma surprise de cette après-midi vient certainement de l’enchaînement inattendu, et à hauteur égale, de ces deux mouvement lents.

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12 mai

 

« …lorsque le monde a surabondance d’habitants, lorsque la terre ne peut les nourrir, quand la malice et la fausseté des humains sont à leur comble, la nature, pour se purger, se sert de l’un de ces trois fléaux, afin que les hommes, ainsi réduits à un petit nombre et abattus par le malheur, trouvent plus facilement leur subsistance et deviennent meilleurs. »

 

Machiavel  (Tite-Live, II chap. 5)

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L’après-midi passe comme un sentiment gris et venteux, d’une absence de quelqu’un qui n’est pas venu à un rendez-vous. Je vais me concentrer sur la poésie de la figue, l’or de la figue  et l’éternité des figuiers, ce qui est une consolation que m’apporte Ponge.

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Le vent a tellement traversé le ciel avec violence, que depuis la fenêtre, les gerbes de nuages en masses, sorties de l’arrière fond de Saint Paul, au pied du Baou,  donnent à celles-là l’impression d’avoir été rejetées de la bouche d’un volcan, un petit enfer adorable aux regards, laissant au centre de cette vision, le village dans un écrin décoratif de pierre, à la manière de l’apparition d’Ys.

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Philippe Beaussant, une âme du Baroque s’en est allé. On m’avait offert son Lully pour mes cinquante ans.

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J’entreprends un long poème avec le même gimmick qu’ André Breton dans l’Union Libre, Ma femme … j’y exclu pourtant le pronom possessif pour donner plus de neutralité et de distance (d’universalité à la femme ?), bien que l’inspiratrice en question ne fasse aucun doute sur son identité. Il s’agit d’une variation de ce texte qui a tant compté dans mon adolescence, et trouvé à ce jour l’incarnation révélée, pour qu’il soit évident que le modèle saute aux yeux. Il fallait qu’un jour je trouve le profond rythme de cette union libre, comme d’ailleurs l’est celui du Howl de Ginsberg qui use du même procédé binaire, avec son retour systématique en début de vers, d’un cri, d’un temps fort impulsé, qui laisse ensuite couler la parole jaillissante.

Ce texte sera un hommage à Breton, pour ce poème qui m’a hanté  tout le temps de mon passage au Parc Impérial.

Et je me souviens aussi d’un certain 11 Mai 70, où nous déclamions, Dan Belmonte et moi, dans l’éclosion de ce printemps de notre première maturité, du côté du tombeau de Nicolas II, boulevard Tzarevitch  « ce que j’ai connu de plus beau c’est le vertige ». Dans « Signe Ascendant »…

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J’ai enfin mis l’oreille sur un Madrigal de Luzzascho Luzzaschi « quivi sospiri », le prédécesseur de Gesualdo. Moins vertigineux. Bien moins.

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Moscou quartier des cerises, Tchériomouchky, Comédie Musicale du début des années 60. Si la technique du film de Rappaport, et surtout la chorégraphie, ne sont pas à cette époque aussi vertigineuses que ce qui se faisait à Hollywood, il n’y a aucune musique américaine dans le genre qui ait été à la hauteur de ce vrai chef d’œuvre , de bout en bout, de Chostakovitch.

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Vers la voûte étoilée de Charles Koechlin, aussi beau que du Roussel ou un Ravel retrouvé sous une pyramide maya…

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13 Mai

 

La France a chaud. Le débat sur la loi Travail a abouti une fois de plus  à un passage en force avec le 49.3. La France est dans la violence. Elle confond son gouvernement avec les forces de l’ordre dans la rue. Comme au bon vieux temps de l’illusion, où casser du flic équivalait à tordre le pouvoir.

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14 Mai

 

Chez Sauveur, ce midi, Katy et Lison ne se sont pas vraiment appréciées…

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17 mai 2016

 

« ….Il fait bon vivre aujourd’hui à notre époque. C’est vrai, quel chemin depuis le Moyen-Age, voyez-vous, vous me faites entendre cette musique, ça doit être du Moyen-Age, c’est tourmenté, on comprend pas les paroles, c’est sûr ils devaient vivre autrement, ça donne pas envie, cette tristesse. Aujourd’hui on a fait des progrès…

Lesquels ?

Je peux divorcer quand j’en ai envie, j’ai que vingt cinq ans, mais je me sens pleinement libre (rires), oui, j’ai un peu picolé hier (rires), je peux faire l’amour avec qui je veux, et je peux avorter. On est plus au Moyen-Age, on a gagné des combats. Oui, je pense qu’on a vraiment de la chance ici et maintenant. (un jeu de France-Musique, où l’on tend un micro à quelqu’un, lui propose d’écouter un morceau de musique et tente de faire parler la personne.)

La musique était une chanson de Dufay à plusieurs voix, et ce fameux Moyen-Age ne connaissait pas, dans ce printemps de notre Occident, toutes ces merveilleuses avancées d’ici et maintenant…

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Merveilles que toutes ces mélodies de Chostakovitch. A la fois tonales, atonales, supérieurement lyriques, libres de toute préoccupation formelle, laissant ce sentiment d’un espace infini de steppe, de nostalgie et de dépouillement, du monde infiniment dur qui les a vues naître, et de ce même monde révolu. Comme Richard Strauss qui laissait un monde ancien, une sorte de XIX° siècle dans ces derniers tremblements, qui ne reviendra jamais.

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19 mai 2016

 

Dans la Logique d’Aristote, les catégories sont rangées en Genre et en Espèce. L’Homme et l’Animal relèvent respectivement de l’espèce humaine et de l’espèce animale. L’homme se décline ensuite en Blanc, en Noir, ou en Asiatique etc. De même l’animal se divise dans les genres du chat, du chien et ainsi de suite. (Sous divisés ensuite en Labrador, Cocker, chat persan ou Angora). D’où vient que des élites aussi informées que celles qui nous parlent habituellement, lors de débats sur l’humain, les destinées de l’humanité et sur tout ce qui touche aux problèmes de société en général, conçoivent aujourd’hui, dans une belle unanimité de discours, cette appellation de race humaine ? Aristote est-il revisité, abrégé, nié, rendu caduc, ou ce concept nouveau répond-il plutôt à une nécessité idéologique qui anticipe la dilution « nécessaire » de l’humanité dans le creuset d’un moule unique, dans ce besoin d’y faire entrer l’Homme Mondial, sans spécificité ni différence, sans racine et sans passé ? L’Homme Nu.

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J’aime si peu les dentistes que je me calme en marchant dans les allées du cimetière de Caucade. J’ai photographié la tombe avec l’épitaphe sur la stèle de Jean Planel, le chanteur. « Il vécut pour la Vérité, la Musique et l’Amour »

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Dorothea Röschmann, de plus en plus indispensable interprète dans le grand répertoire du Lied allemand. Venue du baroque, elle s’installe de plus en plus dans ce domaine romantique, très proche de ses aînées, Jurinac, Seefried et Grümmer. Ce qui n’est pas peu.

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20 Mai

 

Après-midi avec Katy. Nous allons au Café de Turin pour les fruits de mer. Il fait un temps radieux.

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21 Mai

 

Près du Lycée Masséna, à hauteur du tram, j’entends quelqu’un qui me hèle. C’est Weugy que je ne voyais pas depuis longtemps. Il est papa d’une petite de huit mois, et il continue son apprentissage de l’Art Lyrique à Cagnes sur Mer. Nous prenons un verre au Sauveur.

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24 mai 2016

 

La Fontaine a publié ses premiers livres à quarante sept ans, se cachant dans l’Administration des Eaux et Forêts, ce que j’ai toujours su depuis ma naissance, ou peut-être même avant. C’était pour moi comme une façon de me dire que je ne deviendrais un homme d’écriture que le plus tard possible. J’ai toujours écrit depuis l’âge de seize ans, après avoir rencontré Jo. C’était comme exorciser un amour impossible. Ce qui fut le cas. Et j’ai donc poursuivi le chemin, avec une belle irrégularité, une nonchalance et une désinvolture qui tenait  du désespoir de cause. J’écrivais avec une fécondité que je me plaisais à comparer, pour me justifier, à la production maigre de l’œuvre définitif d’Anton Webern. Une production poétique de diamantaire. Et je me souvenais de l’exemple de La Fontaine  qui avait bien pris son temps, et pour moi quarante sept ans c’était le bout du monde que j’en oubliais d’être saisi par ce démon d’écrire comme on respire. C’était pour masquer cette absence de volonté d’entreprendre le cours inflexible d’une destinée d’encre, de ratures et de composition d’un univers que je désirais prendre dans toute la dimension de ma subjectivité, que s’opposait l’insouciance qui m’a habitée de prendre le monde de mes jours successifs comme une eau qui va à la mer, sans autre préoccupation que de vivre sans me retourner et sans poser les jalons formels de ma vie qui coulait avec la plus grande des désinvoltures et des plus vivantes félicités.

Et aujourd’hui, une journée, sans que je laisse des traces de cette vie qui avance, me semble pareille à une journée ensoleillée perdue à l’ombre d’un quelconque gâchis de l’esprit.

J’avance dans ce poème sur la Femme qui sera le centre de ce mois de Mai poétique. J’avance comme dans la hantise de perdre cette source productive de poésie qui ne cesse de couler depuis un certain 29 septembre 2005. Le Livre des Répons est une étape, un jalon et une première réponse à cette fructification de l’écriture.

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25 Mai

 

Avec Katy nous passons l’après-midi sous un beau soleil, nous déjeunons sous les grands arbres de la Place de la Tour, puis à la « Brasserie Alex », pour un vin de soif. ……………………………………………………………………………………………

26 Mai

 

Les enquêtes sur les attentats du 13 Novembre 2015 montrent qu’aux abords du Bataclan, des forces de l’ordre, dont des militaires de l’Armée Française, se trouvaient présentes la nuit de la boucherie islamiste, mais ne sont intervenues en aucun cas. Quoi d’étonnant, dans un pays où il y a bien longtemps que l’antimilitarisme est une véritable culture, dans un pays où Aragon « conchie » l’Armée française (pas l’Armée Rouge), et où aujourd’hui encore, des casseurs organisés semblent avoir la sympathie des médias et des plus hautes autorités, que de voir des rescapés ou des parents de victimes déplorer les coupables faiblesses de nos gouvernants (de gauche), coutumiers de ce vieux réflexe d’inertie devant une décision de défense par la force armée ou policière qu’ils abhorrent.

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29 Mai

 

Ces hauts et ces bas avec Katy, qui fatiguent jusqu’à ne plus savoir comment est l’essentiel de mon cœur et de mes jours, de ce moindre équilibre dans les verres à boire chez Sauveur. Aujourd’hui, venue avec Frédérique, nous chavirons.

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Flaubert encore, classique, grandiose : « l’amour serait-il plus que l’orgueil ? … », dans un texte de jeunesse.

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31 Mai

 

Chant 176 du Canzoniere de Pétrarque, on n’y chante pas seulement le Vaucluse, mais la beauté des bois des Ardennes. La limpidité des vers, en quelques mots, fait jaillir le soleil pâle au travers des arbres maigres de ces forêts que j’aime beaucoup.

Dante va de cercles concentriques à chaque fois élargis jusqu’à monter pour finir le Paradis jusqu’aux mouvements infinis des étoiles. Chez Pétrarque, le chemin est inverse. Depuis l’immensité de son amour pour Laure qui n’a d’égal que Dieu en infini, les cercles de la souffrance et de la solitude le pourfendent au cœur de lui-même.

Dans le Chant 180, on y voit le Pô s’opposer à la course du soleil, dans des images pleines de lumière.

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1 Juin

 

Katy me fait parvenir par texto un magnifique bouquet de roses. Cécilia m’embrasse à la première heure. Elle part bientôt en Colombie où sa mère est très affaiblie et quasiment aveugle. Hélène m’offre un coupon pour  deux personnes au Château de Rochegude, un merveilleux Relais et Châteaux au coeur de la Drôme Provençale. Nous avons jusqu’à la fin de l’année pour nous y rendre.

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Je vais enfin mettre la main sur la musique de Martin Matalon qui a illustré la dernière version du Métropolis de F. Lang

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Bernard me rappelle que j’ai passé le chiffre 64, de mes années qui correspondent au nombre de cases sur l’échiquier. La partie reste dans la plus grande énigme.

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3 Juin

 

De belles après-midi avec Katy. La vieille ville, quelques verres au Sauveur, jusqu’au bord de la nuit.

Mickey est le premier à m’avoir acheté le Livre des Répons

Moret-sur le-Loing, Chatou, la désolation des pluies diluviennes et des inondations dans ces villages de peintres.

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4 Juin

 

Festival du Livre de Nice aujourd’hui et demain. J’achète « la Longue Nuit du Loup » de Lucien Nasarre dont j’avais déjà acquis « la Galère de T’chois » il y a quelques années sur la Place Rossetti , à l’occasion d’une manifestation d’écrivains locaux. Ce roman est enregistré dans la rubrique irrésistible du Policier Fantastique. Et puis je crois que je me suis laissé embarqué dans cette attirance pour la nuit, pour les loups, les Garous. Le petit Monsieur était élégamment habillé, et rien que pour son sourire, ses yeux de malice, ses dédicaces et son amabilité j’achèterais ses livres sans même les lire.

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Les œuvres pour piano de Takemitsu. La grande lignée. La sensibilité japonaise. Parfois proche de Messiaen dans les grandes rêveries. Et Charles Koechlin, « le Docteur Fabricius » et « Vers la Nuit étoilée ». Il peut même pleuvoir aujourd’hui, c’est sans importance…

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Dans un tableau très connu d’Eugène Boudin, « sur la plage à Deauville », la lumière et les ciels , comme toujours, exceptionnels, des personnages au crépuscule, les longues robes, des voilettes, les messieurs à chapeaux et moustaches, tout le Proust de ce temps là, avec un petit chien noir et blanc, au bas et au centre, ce qui est une hérésie de composition que surmonte largement le peintre.

J’en ai fait ma page d’accueil du moment.

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5 Juin

 

Lectures de femmes écrivains, au hasard des pages, Simone de Beauvoir, son dernier tome de Mémoires « Tout compte fait », Marguerite Duras, « la Douleur » où le ton tranché et la phrase courte, qui peuvent agacer, ne laissent jamais distraire par de fastidieuses descriptions. Avec Fred et Katy, nous évoquions il y a peu, « L’œuvre au noir », le grand passage, ici beaucoup plus contourné du ton classique, vers la transmutation des métaux, comme du verbe de Yourcenar.

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J’ai montré à Y les pastels de Marchand des Raux qui sont dans ma chambre. Il a gardé un long silence dans mes bras, il n’ y avait que les yeux qui parlaient tout ronds, une sorte de surprise et d’amusement devant les portraits hauts et vifs en couleurs. Il comprenait déjà qu’il s’agissait d’humains comme nous,  mais pas tout à fait quand même.

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Muhammad Ali est mort, (et comment se nommait-il avant la gloire possible de Cassius Clay), un nom comment, d’Afrique ? Cassius est une identification romaine (qui l’obligeait ?), qui l’aurait servi s’il avait du mettre genou à terre, (une sorte d’identité possible et reconductible). Cassius est mort. Muhammad a vaincu, avec le premier KO infligé sur le ring en 64, comme un chèque permettant une perspective sur l’avenir, sur le véritable enjeu d’une vie…, la première  comme objecteur de conscience durant la guerre du Viet-Nam, et au-delà de son talent (fût-il le meilleur dans son genre) il a haï ce qui n’était pas Noir, dans une fureur mégalomaniaque qui est allé jusqu’ à son terme. Quel beau tyran africain il aurait fait. L’Occident dans son ensemble, par souci d’un monde sans couleur, et sans discrimination, l’a adulé au delà de son talent, comme savent le faire les repentants de toujours. Dans le tremblement d’une  maladie atroce, Muhammad Ali , comme Miles Davis, est protégé par le racisme  positif, celui qu’on nous inflige parce que nous sommes blancs, toujours et encore coupables par hérédité, que certains crachats sont tolérés et sont même miroirs de l’image que nous avons de nous dans le dernier refuge d’un toujours plus profond mea culpa. ……………………………………………………………………………………………

7 Juin

 

Parcourant un vieux magazine spécialisé (Diapason ?), je tombe, à la rubrique nécrologique, sur le décès, il y a déjà deux ans, de Magda Olivero, à l’âge de 104 ans. Passée totalement inaperçue. Sa grande rivale, qui l’a toujours été de façon parallèle, fêtera avec d’autres pompes, la quarantième année de sa disparition l’année prochaine.

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Stockhausen avait conscience que tout ce qui pouvait enrichir les parties du cerveau et les maintenir dans le meilleur état durant le temps de la vie passait par des expériences chaque fois nouvelles, inédites, parce que non encore enregistrées, venant se greffer sur l’ensemble des souvenirs des objets de connaissances antérieurs dans l’énigme chaque fois renouvelée d’expériences encore restées secrètes. L’ensemble venant à enrichir et entretenir les mécanisme de la mémoire et des multiples connexions du cerveau.

Le secret de la jouvence (pas le seul) passe par la mobilité de l’esprit, dans le fait de découvrir de nouveaux sentiers.

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Sublime partition de Matalon pour « Metropolis » de F. Lang. L’illustration de l’image et la plongée sonore due au soin de Martin Matalon deviendront indissociables dans les années à venir.

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…Hier encore (Aznavour)… En cherchant avec Nonza, Arbois, Candes-Saint- Martin, Rocamadour, parmi les treize villages sélectionnés parmi les plus beaux de France cette année, c’est Rochefort en terre (Bretagne) qui est le bienheureux lauréat.

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8 Juin

 

Se rendant très tôt ce matin à l’aéroport pour ce voyage qu’elle avait promis à sa mère, Cécilia vécut une expérience très douloureuse. Sur le parking, un homme assis, affalé, qu’elle s’est efforcée de remettre debout, et qui savait qu’il allait succomber probablement à une attaque cardiaque. Rien n’y fit avec l’intervention des pompiers et de la police. L’homme mourut dans les bras de Cécilia, ayant pris soin de lui demander d’avertir son fils. Les tracasseries administratives furent telles que le début d’enquête à laquelle le témoignage de Cécilia était essentiel, ont fait que l’avion a été manqué et qu’elle est rentrée à la maison dans une état de nervosité et d’abattement assez compréhensible. Hier soir Hélène était au comble de l’angoisse.

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9 Juin

 

Milan Kundera citant Hermann Broch et  Robert Musil, en fait les écrivains pour lesquels la vérité du roman est l’absolu de la littérature, et notamment « Les Somnambules ». J’ai toujours du mal à entrer dans les infinis dédales du roman germanique depuis Thomas Mann, et j’avoue que j’ai laissé « L’Homme sans qualité » au tiers de son premier volume. Il semble qu’il soit recommandé de prendre le livre au hasard et de poursuivre, là même où l’auteur donne des versions multiples et donc permet la fragmentation de la lecture. Mais pourquoi Kundera oppose-t-il le roman, considéré comme le genre permettant la recréation d’un univers sans cesse innovant, à la poésie ?

Celle-ci pourrait tout aussi bien être confrontée à la peinture ou à la sculpture. Certains trouvent de la poésie à certaines parties d’échec, à la création d’un modèle mathématique ou à un paysage. On ne peut s’opposer à ce qui constitue le dénominateur commun à toutes formes d’expression, à moins de déconsidérer la dimension poétique et lui préférer une approche de l’art comme une toute commune mathématique théorique, dans le sens où souvent on entend dire de la musique de Bach qu’elle développe un esprit de variations jusqu’à entrevoir des sphères infinies se suffisant à elles mêmes, dans le seul jeu de leurs myriades de développement. Encore faut-il admettre que ces créations de fugues et de variations chez Bach ne soient exemptes de quelque grâce. La poésie, et il faut considérer celle-ci, non comme un jeu de versification codé (combien y a-t-il  de poèmes en vers sans poésie, et combien y a-t-il de poésie dans un tableau de Corot !), mais justement, comme ce moment, cette apparition miraculeuse de la grâce, dans la forme ou le mouvement (dans le sens où la danse symbolise la grâce par exemple). Ne voir dans le roman, et seulement dans lui, la forme forclose d’un univers issu de la pensée du romancier opposée à ce qui n’est pas elle, c’est aussi ne pas admettre qu’un roman puisse être lui aussi touché par cette grâce, dans la forme et le développement du roman. Le roman ne peut se dispenser, par contre, de ce tapis roulant narratif dont est forcément  constituée la dimension temporelle dans laquelle l’auteur aura choisi d’enclore son univers. La poésie, elle, échappera à la dimension du temps si le caprice du poète le désire. Et ce qui est le plus révolutionnaire chez les Surréalistes d’entre les deux guerres, c’est qu’il faisaient de leur vie, de leur comportement (du moins tendaient-ils vers cet absolu), un acte transcendant. La vie considérée comme un jeu poétique au-delà de la signification accordée habituellement à une situation ou à un comportement. La poésie est donc l’infiltration de ce mouvement descendu du ciel sur nos écrits, nos actes et nos intentions. Plus peut-être que le roman, la loi poétique déborde son propre cadre, pour pénétrer les méandres d’un tissu créatif, mais sans l’absolue certitude que l’auteur d’une œuvre d’art aura sur la teneur poétique d’un écrit ou d’une peinture. Je dirais même que la bonne volonté du créateur n’est pas une garantie de toucher la dimension poétique. Et si cette grâce poétique arrive à habiter le projet créatif, alors la multidimensionnalité  de l’objet crée aura largement rempli sa fonction d’œuvre d’art. On peut admirer le Sacre de Napoléon, s’incliner devant la technique de David, mais on ne lui accordera peut-être pas cette si forte présence poétique jaillissant dans le moindre des Corot de Ville d’Avray. De même, Cent ans de Solitude est-il le prototype parfait du roman poétique que toute l’œuvre de Zola ne saurait soupçonner.

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Ce soir, après l’orage , sur le Baou et St Paul de Vence, de gros nuages gris dont un énorme en forme de Zeppelin .

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10 Juin

 

Cinq heure ce matin, Cécilia part à nouveau vers la Colombie…

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Une video d’Hélène : Y marche levant les bras bien hauts comme un signe de victoire. Quand il est en bout de course et que les jambes ont du mal, il ferme les yeux ne voulant trop savoir où sa chute peut le mener. C’est toute l’image de la vie…

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12 Juin

 

La colocation est très à la mode, (à faire contre mauvaise fortune, bon cœur), par nécessité évidemment, bien qu’on puisse y trouver des cas où l’harmonie règne entre les occupants des lieux. Ca fait forcément jeune, mais, malgré tout, dans la France de François Hollande cela donne un vieux goût  de l’ancienne URSS., des plans d’urbanisation du temps de Kroutchev (Moscou, Quartier des Cerises…) où les familles étaient obligées de partager un même appartement. Par devoir économique. Aujourd’hui on en sourit, se disant que c’est une colocation consentie. En toute liberté

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13 Juin

 

J’ai eu Cécilia au téléphone cet après-midi. Il est neuf heures à Pereira.

Sa mère doit être contente d’avoir enfin sa fille. Est-elle opérable des yeux ? A quatre vingt treize ans ?

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15 Juin

 

Déjeuner avec Bernard au Bar de la Bourse où on y mange très bien, et après-midi agréable à la terrasse du Sauveur.

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16 Juin

 

Je vois les premiers pas de Y …

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Chez Christo, quelque soit la qualité des habillements névrotiques de l’artiste, des ponts de Paris, des déserts et des lagunes qu’il met en scène et qu’il enrobe, cette monumentalité a quelque chose de gênant par le détournement opéré sur les sites initiaux, parce qu’ainsi distraits et détournés, ces enrobements ne trouvent pas le chemin d’une nouvelle fonction et d’un nouvel usage. L’œuvre accouche d’une coque vide et décalée dans l’urbanisme environnant. On assiste à une idéologie de l’emballage, un peu comme au supermarché. Christo est l’apologue de l’illusion consumériste capitaliste. Comme ceux qui décident de la boîte et du ruban qui serviront à emballer le parfum de chez Dior. Bernar Venet, avec moins d’ambition et non moins de propension à l’occupation de l’espace, est l’artiste incontournable de nombreuses municipalités qui le chargent d’investir le tissu urbain, où les jardins, les fontaines et les places principales des villes devraient se suffire à eux-mêmes.

Avec lui, ce qui agresse le regard, hormis le gigantisme mégalomaniaque et également névrotique, est que la matière, généralement du métal brut, vire très rapidement à la rouille. Quand Cézanne change le monde avec un pinceau et un regard.

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Et si les mélodies avec orchestre (très grand orchestre) de Charles Koechlin étaient l’équivalent français des cycles mélodiques de Mahler ? Il faudra des décennies pour que ce rapprochement trouve un écho favorable (en France) dans le public mélomane.

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Dans « le Mimosa » de Ponge (La rage de l’expression), je suis surpris par l’esprit de Variations qui anime le poème (variante, autre I, autre II…). Déjà dans les textes sur la Figue, cinquante pages sur une thématique qui circule avec les même mots, les mêmes cercles fermés sur eux-mêmes…

Mais ce qui est sublime,  c’est qu’il fait (comment n’y avais-je pas pensé !?) de l’or du mimosa une thématique qui aurait pu être source d’inspiration chez Debussy !

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20 Juin

 

Hélène m’envoie une petite video, très courte. Y est dans sa petite baignoire plastique, il est ravi, il bat des mains sur l’eau, il vient de découvrir qu’il est de sexe masculin… Chez Sauveur, je vois Katy, nous déjeunons au Pnohm-Pen. Surtout pour passer un moment. Il fait si beau. Le vent est tombé. La ville est belle… Plein soleil. Elle aimerait faire un chemin de Compostelle. Le Camino depuis Toulouse. Une folie pour ses jambes. Je me souviens du Guide du Pèlerin de Jeanne Vielliard. Ce sont des paroles, des projets qui n’engagent à rien. J’ai les images de Conques qui me viennent dans le cœur. Nos cœurs sont dans la paix.

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Winchester 73 , Anthony Mann, une sorte de Durandal, de Bouclier de Brennus, de Graal, le goût du rare, de l’unique, l’arc d’Ulysse dans son pouvoir salvateur, la rareté de l’or qui passe de mains en mains, la folie des humains…

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La nuit silencieuse. Je n’ose me pencher sur les énormes symphonies de Scriabine (les murs pourraient trembler).

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21 Juin

 

Je vois régulièrement Katy ces jours-ci. Passant par le bord de mer, je la prends à hauteur de Lenval et elle m’accompagne jusqu’en ville. Nous déjeunons au Bar de la Bourse.

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23 Juin

 

Triste après-midi. Accident. La voiture heurte un feu rouge. Même sentiment que ce fameux 25 Mars 2005. j’ai le sentiment que mon cerveau s’est déplacé. Tributaire, durant ces quelques jours qui vont suivre, de toute la sphère émotionnelle et affective qui m’empêche de mettre en place un quelconque raisonnement. Je reste dans l’ébranlement et la fragilité…

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24 Juin

 

Ce vendredi Katy a été très compréhensive. Nous nous sommes vus quelques moments au Sauveur. Je ne pouvais rester seul aujourd’hui. La chaleur est arrivée sans prévenir, la lumière est saturée. Nous prenons chacun notre autocar sur la Promenade, comme de parfaits touristes.

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25 Juin

 

J’ai toujours été indifférents aux récits de rêves (et cela ne date pas de mes lectures anciennes et fastidieuses de l’Interprétation des Rêves de Freud), par la vanité qu’il y a de vouloir donner une rationalisation à ceux-ci, alors même que le phénomène du rêve est d’échapper à la logique d’un sens. Et dès que quelqu’un commence  par « j’ai fais un rêve… », je m’attends inévitablement à passer un moment d’ennui toujours confirmé au récit qui ne manquera pas de suivre… Si le rêve est d’échapper à tout sens, son seul intérêt serait, comme le concevaient certains surréalistes, par la poésie affranchie de la logique narrative, de révéler un univers qui se crée et s’invente pour lui-même, sa beauté et sa sensibilité, hors de notre logique rationnelle, et loin de la prétention d’en détenir des clés. Et le rêve devient là, réalité, par l’écriture ou la création d’un objet d’art. Dans Freud, et en particulier dans son « Interprétations des rêves », c’est l’interprétation qui me gène. Dans ma lecture du Simone de Beauvoir (Tout compte fait), que je lis par ailleurs avec une réelle sympathie, bien qu’à la fois curieux d’y voir ses déballages humanistes et irrité pour les mêmes raisons, je reste un peu ennuyé par cette quantité de descriptions de personnages récurrents, ce catalogue de rêves qu’elle a consigné de manière assez vaine, de situations sans issues qu’elle a pris soin de noter, et qui se délayent sur des quantités de pages qui auraient pu ne pas figurer dans la fin de son premier chapitre. Encore a-t-elle la délicatesse de ne donner que le descriptif de tant de rêves épars, notés soigneusement, sans souci de nous en infliger de supposées significations. Les seuls rêves que j’ai en considération sont les rêves (comment appeler autrement  ces moments de grâce) que je fais, ou plutôt que je réalise, dans certaines circonstance à l’état de veille. On peut parler aussi d’accomplissements. Ce sont les seuls qui portent les marges délicates et miraculeuses que nous offre parfois la vie. Les rêves réalisés.

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26 Juin

 

Roland Barthes : distinction entre « écrivant » et « écrivain ». Les uns seraient plutôt de la catégorie de la Confession ou de l’ordre de  l’écriture instrumentale, les seconds façonneraient un univers de toute pièce où le langage est en jeu, donnant à la parole un fondement d’invention. La frontière reste malgré tout très ténue quand on pense au Journal de Julien Green, aux Promenades dans Rome, aux Voyages en Italie…

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La chaleur est accablante, comme l’an dernier, au seuil du Centenaire avec lequel commença la canicule. J’arrose énormément. Il n’y a qu’une magnifique rose, côté St Paul. Les hortensias, plus habitués à la Bretagne et aux climats plus tempérés baissent un peu la tête. Les tomates abondamment gorgées d’eau donnent plus que l’an passé. Je n’ai pas grand moral depuis jeudi, j’ai encore des angoisses et me sens isolé sans véhicule. Cécilia n’est pas là et je ne peux demander l’impossible à Hélène qui s’occupe déjà, avec Rodolphe, de faire remettre la voiture en état… Demain, à la première heure je serai à l’arrêt du bus 400…

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Cet après-midi, la seconde symphonie de Scriabine a fait enfin trembler les murs. Un œuvre compacte, magnifiquement orchestrée, mais encore tournée vers le dix-neuvième siècle, ce qu’elle est d’ailleurs, si on s’en réfère à sa date de composition.

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27 Juin

 

George Sand, papesse du féminisme comme un îlot solitaire dans les mers du XIX° siècle, détestée de sa fille qu’elle appelait si gentiment « ma grosse ». Couchant avec à peu près tout le monde, se voulant parangon de vérité et éprise de justice, elle n’en trompait pas moins tous ceux qui passèrent dans son lit.

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Pour en finir avec le dernier volume des Mémoires de Simone de Beauvoir, je règle un compte que j’aurais du régler depuis le temps qu’elle me donnait cette idée d’elle, qui s’est finalement avérée la bonne, avant même que je ne la lise. Je pensais lire une longue méditation sur cette tranche de la vie intellectuelle des années 60 et 70 qu’elle aura traversée auprès de Sartre, et à mon grand étonnement, je n’y vois qu’un découpage de chapitres en catalogue thématique des personnes, des lieux aimés , des films ou des livres qui ont eu une importance pour elle, en une sélection établie suivant des critères positifs qui sont péremptoirement ceux d’une classe sociale qui n’a jamais été la sienne.

Pour en finir avec un malentendu concernant cette approche des intellectuels d’après-guerre, où tout ce qui n’est pas de mon parti est contre mon parti. C’est la règle générale dans l’Histoire et l’Histoire de l’Art au sortir de cette guerre, où les vaincus se devaient d’opter, tant qu’il était encore temps, retrouvant une dignité sociale et intellectuelle, pour un camp d’avant garde, à défaut d’avoir été Résistant ou d’avoir eu la lucidité requise à l’orée de la guerre en 40. Peinture abstraite contre peinture figurative, musique dodécaphonique, sérialisme, contre musique tonale. Marxisme-léninisme, communisme, contre exercice du pouvoir en place. La virulence des positions s’est exprimée sur fond de règlement de compte entre ceux qui se sont vite affichés aux côtés des vainqueurs et ceux qui furent stigmatisés comme passéiste, nostalgique d’un ordre ancien, voire Collaborateur durant ces années d’Occupation. Sartre et Beauvoir symbolisent les figures de proue de cette pensée incontournable de l’idéologie progressiste, et bientôt terroriste auprès des jeunes générations, incarnée par le Parti Communiste que le Général de Gaulle contribuera d’ailleurs à faire entrer au gouvernement. Ce qui pourrait être un paradoxe pour les intellectuels opposants comme Sartre. Dans ses Mémoires, la passionaria au chignon n’a pas de mots assez durs pour l’ennemi de classe et pour ceux qui dévient ne serait-ce que d’un pas la ligne dictée par la gauche et l’ultra gauche, jusqu’à écarter (purger ?) d’anciens amis pas assez vertueux (la pureté de la pensée n’a pas de prix). Ce qui n’a eu d’autre effet que de m’en faire tomber des mains ce dernier volume de Mémoires que j’avais cru conçu dans le continuum d’une pensée déliée et visant à une certaine hauteur d’analyse, après une vie bien remplie et avec le recul d’une certaine sagesse, ce qui est le propre des Mémoires, dépouillées de l’ardeur du temps de l’action, pour n’avoir affaire ici qu’à des jugements en blanc et noir selon que les livres, les individus ou les modes de pensée s’inscrivent en positif ou en négatif relativement à la sensibilité idéologique de Madame de Beauvoir. L’ouvrage est une énumération permanente d’objets d’étude dressant inventaire ayant l’aval de l’écrivaine ou inversement la tête tranchée par jugement péremptoire.

Cet enfant de la grande bourgeoisie a choisi délibérément de renier ses origines de classe. Mais qu’a-t-elle fait qui lui autorise de se sentir solidaire autrement que par la plume, l’invective et la haine, de cette classe ouvrière que tout, dans ses manières, ses poses, ses tics intellectuels où ressort toute la gestique de son éducation, ses coiffures et jusque dans ses dégoûts, fait sonner creux ? (Elle n’aime pas aller au cinéma parce qu’elle risque parfois d’y faire la queue, ce que les ouvrières d’origine ont fait toute leur vie pour avoir à manger…) 

J’ai toujours été méfiant des écrivains et des artistes engagés, et celle-ci en est l’exemple le plus parfait de ce qui dicte la conduite morale au sortir de la guerre. La caution démesurée apportée par Sartre n’en rend que plus dérisoire ses agitations d’écriture où tout ce qui n’est pas de son parti est contre son parti. Pêle-mêle, la Guerre d’Algérie (très récurrente dans ses années 60) y est vue sous l’angle de la torture et la dénonciation des exactions menées par la seule armée française, et jamais par le FLN, les patrons, tous odieux, arrogants, tous profiteurs d’un prolétariat angélique, comme est hypocrite l’ensemble de l’Eglise, de ses représentants et de ses fidèles. Don Camillo et Peppone, succès de ces années là….

« Nous ne savions rien de la Révolution Culturelle Chinoise, mais nous étions spontanément pour… Soljenitsyn ne nous a rien appris que nous ne savions déjà dans Pavillon des cancéreux… » Que n’a-t-elle dénoncé les crimes staliniens et ceux qui ont perduré après Staline ? Non, plus encore que l’existentialisme, le communisme est un humanisme. Madame de Beauvoir n’est pas un écrivain vérifiant ses sources, c’est une partisane. Et comme toutes les partisanes, l’aveuglement et la mauvaise foi la saisissent. L’enfumage dans lequel elle s’octroie le droit de nous asséner son amour des humains fait sourire. Son amour est sélectif, et le genre humain lui-même n’y échappe pas, au-delà des considérations partisanes de classe. Parlant des cinéastes qui l’ont intéressée, parmi les plus en vue des années 70, Bergman : « l’intérêt que Bergman porte aux femmes me charme : ce ne sont pas pour lui des objets mais des sujets intelligents et sensibles, il peint avec bonheur leur rapport entre elles : amitié, complicité, haine ; leur seule faiblesse à ses yeux, c’est le penchant qui les pousse vers ces êtres piteux, les hommes ». Toujours l’art de la nuance. Classe contre classe, hommes contre femmes.

Pourquoi ai-je été si long, pourquoi donner tant d’importance à une littérature aujourd’hui terriblement datée sur le fond et pour tout dire, assez médiocrement écrite ? Pour en finir….

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3 Juillet

 

Ce matin nous allons à Nice. Y voit la mer (pour la première fois ?), il est curieux des odeurs, des couleurs, tout l’intéresse. Cécilia fait des photos devant la grande fontaine de la Place Masséna. Le dieu marin est vêtu du maillot de l’OGCN. Le petit découvre beaucoup de choses, et il sent le vent chargé de la mer.

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5 Juillet

 

Des arbres dont je parlais, ceux de l’enfance, ceux de Méditerranée, il est une place à part pour le cyprès. Cet arbre est à la fois la parure, le décor et le metteur en scène des paysages de Provence et de Toscane, pour ne parler que des deux pays où sa présence est comme l’essence même de tout ce qui vient du sol et se projette vers le ciel. C’est un des rares arbres, sous nos latitudes, à cacher ses branches à l’intérieur, s’enveloppant autour de son axe en forme de langue de feu de Pentecôte, comme une pudeur à ne pas montrer ses aspirations, dans le mouvement habituel des autres espèces d’arbres, de déploiement de main qui s’ouvre et s’épanouit dans ce geste même de rendre hommage à cette force souterraine des racines.

Les bouquets de cyprès de Toscane, dans ces espaces où la nature reste vierge, où seules des routes maigres serpentent les vallonnements dénudés des campagnes, jouent une fonction de ponctuation et de verticalité, de noire pointée, de triple ou quadruple croche, de couteaux noirs tendu vers le ciel.

Rompant ainsi la monotonie des étendues herbeuses qui seraient fades sous le vent, et incomplètes sans le rythme imprimé de bouquet en bouquet, jalonnant les campagne avec quelques fermes discrètes l’accompagnant, donnant un relief accru en une splendeur bucolique de paysages intemporels.

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Michel Audiard disait : « Il ne faut jamais quitter Montauban ». Vue du ciel, la ville est merveilleuse.

Dans ma tête il y a toujours un petit cycliste au mois de Juillet. De la canicule à la grêle au dessus d’Andorre….

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7 Juillet

 

Ponge est assez méchant avec Claudel et sa « Connaissance de l’Est ». Pourquoi parler de sa grande lourdeur française. (Le protestant et le catholique ?). J’avais pensé que ses textes relatifs au Japon et à la Chine avaient une emphase et un souci du précieux qui pouvaient laisser penser à un manque de sincérité. Mais Claudel est toujours ainsi, au bord des précipices, comme Bruckner.

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Page 10 de « l’Inconvénient d’être né » : « nous ne courons pas vers la mort. Nous fuyons la catastrophe de la naissance… »

La catastrophe de la naissance serait le drame inaugural de toutes les autres misères de la vie jusqu’à l’ultime, la mort. Cela renvoie étrangement à l’enseignement de Bouddha qui envisage l’Illumination comme l’accession à ce sommital de non désir qui est la libération de toutes les chaînes engendrées par la roue de l’Illusion (désir).

Perte de conscience, fin du désir ? Cioran n’élargit pas le contenu catégoriel et spirituel des différents degrés du karma. Le premier vrai scandale serait la naissance. De cette première chute, le rideau d’illusion va se poursuivre jusqu’à ce que s’accomplisse cette fin du parcours par la mort.

C’est renoncer à donner une chance au vivant, à prendre le risque de jouer cet éphémère et miraculeux moment de non sens qu’est le passage dans cette sphère de la douleur et du tragique quelques soient les masques portés par les conséquences de l’énergie vitale, passage unique et jamais renouvelé, avant la naissance et après la mort. Le néant antérieur serait préférable aux conditions de la vie humaine ? Cioran ne croit en rien, pas même à ce rire énorme qui demande à se répandre dans l’infini de notre méconnaissance, à l’infini de notre nuit. Cioran croit finalement qu’un grand dérèglement a préludé à l’obscurité de notre état de vivant et au-delà de ce nihilisme de la condition humaine, il y a chez lui des traces, et même des pans entiers d’espérances déçues.

La pensée relative à l’inconvénient d’être né mène à préférer être définitivement aveugle plutôt que de voir le spectre infini des couleurs dans la totalité des possibles.

De la lumière à l’obscurité. L’anti-Leibniz.

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La vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie

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La mort moins pire que l ‘éternel retour de la naissance. Cioran bouddhiste ?

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10 Juillet

 

j’ai fait quelques photos  le jour du départ de Cathy Bes, après trente cinq années de vie professionnelle ensembles. Dans le même sillon. En retour de ces photos, elle me laisse un message qui résume bien le temps de ces années : « Merci. C’est fini. Mes années de jeunesse se sont envolées ». Une sorte de fin de partie, ou de fin des travaux.

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La grande fête païenne de l’Euro de football s’est achevée ce soir. La France a perdu.

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En ce temps de villégiature, de déplacement de populations estivales, un guide gastronomique s’étonnait que sur les cartes des restaurants, dans l’anarchie de la restauration des rues piétonnes, des entassements de touristes brûlés de soleil, ne figurait jamais la fameuse blanquette de veau à l’ancienne…

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11-12 Juillet

 

Chaleur de Juillet. Habituel. Peut-être que les étés vont vers encore plus de poussées de mercure. M’enfermer avec quelques lectures, la Potière jalouse de Lévi-Strauss, ou L’autre face de le Lune, écrits sur le Japon. Mais c’est surtout l’ombre et la fraîcheur qui se font rares. Ce soir, justement, un film japonais de Kitano, dans la grande tradition des maîtres d’armes samouraïs, Zatoïchi.

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Cette Potière jalouse, je m’y endors comme avec des contes pour enfants. Ces mythes amérindiens du nord et du sud, décrits par Lévi-Strauss, se lisent comme des affabulations de la plus subtile façon, qu’on en perd la logique même de ce qui est énoncé pour n’en retenir que l’incantation des noms, des sites, lesquels pourraient être imaginaires, et loin des rites que nous avons du mal à approcher, et de la complexité des liaisons structurelles communes à ces différentes cultures où nous mène Lévi-Strauss. On pourrait dire à dormir debout, comme on le dirait de ces trop nombreux nouveaux voyageurs qui nous assènent leurs voyages de vacances au travers de leurs diaporamas. Mon admiration pour l’ethnologue n’en est pas moins ébahissant.

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Je rencontre Cathy Bes sur le Boulevard Félix Faure, avec un chapeau et un ensemble marin 1930, une manière toute neuve de me croiser dans la rue, souriante, mais comme si les univers avaient basculé depuis son départ. Elle, ayant une dimension nouvelle. Nous nous sommes promis de nous revoir.

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Le bonheur n’est-t-il pas un pied de tomates qui pousse ? Y qui grandit ?

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Katy m’envoie des messages apaisants. Mon cœur est dépendant.

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Les après-midi se succèdent chez Sauveur. L’été, malgré l’ombre de la terrasse, est suffocant. Julie est passée ce midi avec son père. …………………………………………………………………………………………..

Ce soir, Pierre Boulez dans un enregistrement avec le Concertgebouw d’Amsterdam, ce qui est rare (surtout en 1966), dans les Jeux de Debussy. La lecture en est d’un relief d’une telle évidence qu’elle paraît venir de Mravinsky… La ponctuation finale est juste ce qu’il faut toujours entendre. Sans raideur.

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14 Juillet

 

La prise de la Bastille et son 14 Juillet réalisent ce que des dimanches séculaires n’arrivent plus à faire : fermer les commerces, respecter, pour d’autres, le signe spirituel du repos hebdomadaire. Même les forces syndicales n’endiguent plus l’inéluctable marche en avant de la consommation. La sécularisation de la France, (mais le mouvement est globalement occidental), mène à la matérialisation intégrale de notre société. Ce que la lutte des classes n’a pas réalisé, la désacralisation de ce pays l’a fait. Il fallait y penser. Du moins, par un mouvement inexorable d’érosion de nos civilisations, ce ne sont pas les affrontements des différentes appartenances catégorielles de classes qui ont réalisé cette prouesse, mais bien l’acceptation rationnelle d’une désacralisation progressive de notre entité spirituelle, dans toutes les zones de valeurs et de croyances qui faisaient jusque là le tissu même de notre cohésion sociale. Les Etats-Unis se sont formées si rapidement que nous avons souvent pensé que sa jeune civilisation était passée trop vite du néant à l’extrême sophistication de la technologie. Mais tant que les mythes de la conquête et les valeurs du western, qui ont contribué à l’image souverainement édifiée d’un pays moral et conquérant, ces Etats-Unis resteront, même dans leur intégral élan matérialiste, cohérents quant à leur foi en l’avenir. Une Bible et un fusil, vieilles valeurs… Même dans la rugosité et la cruauté de son histoire récente, les Américains savent trouver une réelle cohésion quand l’occasion se présente. La désacralisation de l’Europe occidentale, jusque dans ses figures emblématiques, pour ne pas remonter à sa sécularisation par abandon de toute foi religieuse, telles  celles qui ont toujours témoignées dans les manuels d’histoire à l’usage des enfants en âge d’en être imprégné, mène à un abandon de l’avenir, une absence de repère, de projet, et une relativité morale de toutes nos formes d’action. Le seul étendard encore debout, et ultime symbole encore ayant sens pour les Français, qui justifie aujourd’hui que les commerces ferment un 14 juillet, est la Liberté guidant le Peuple de Delacroix. C’est à dire, une Histoire française réduite, non à un millénaire et plus de valeurs communes, mais à un passé fragmentant de deux petits siècles.

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Du Guesclin n’est pas du déclin.

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Marseillaise du 14 : Où est , et de qui est le sang impur  vociféré ?

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Cisailles, tenailles des cigales, dans la moiteur de ce 14 juillet.

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Fête Nationale toujours, (et ce n’est pas Jour de Fête de Tati). Au-delà des biens officielles célébrations du moment dans les défilés militaires, dans le village vacance préludant la retransmission de l’étape, menant les cyclistes au Ventoux, une des animations présentées par de valeureux journalistes en temps normal, consistait aujourd’hui à présenter deux groupes de personnes adverses, devant rentrer dans une malheureuse Renault à la retraite, à l’investir de leurs personnes pourvue qu’elles fussent les plus nombreuses possibles (à l’intérieur, à l’extérieur etc.). Spectacle faisait allusion aux sinistres Intervilles des années 60- 70. La France célébrant chaque années la Révolution vaut bien ça. Mais, apprend-on, ce sont aujourd’hui  des associations luttant contre le cancer, qui s’exprimaient. La France ne s’amuse pas dans la vulgarité, elle se découvre et se vautre dans la morale.

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Nuit du 14-15 Juillet

 

Nice, Promenade des Anglais. Je reçois un texto d’Hervé, vers une heure du matin. Attentat au camion bélier, sur plus d’un kilomètre. Du côté de Lenval, Magnan… déjà presque cent morts. J’ai un long courrier de Katy. Apparemment elle ne sait pas encore.

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Journée du 15. La ville est comme pétrifiée. L’auteur de l’attentat a pu rouler durant deux kilomètres, semant la mort à vive allure. Il est abattu à hauteur du Palais de la Méditerranée. La Promenade des Anglais est clôturée sur tout le périmètre où eut lieu la tuerie. Les chaussées Nord et Sud, ainsi que les rues adjacentes sont interdites. Cette fois il y a aussi des enfants en très bas âges qui sont morts ou qui se retrouvent sans parents. La tonalité principale est celle des sirènes de police. Des motards roulant à vive allure. Plus encore que pour l’attentat du 13 novembre dernier, le massacre en plein ciel et dans une ville de couleurs et de lumière, contraste vivement avec les corps désarticulés et les images de l’enfer.

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16 Juillet

 

Il y a cinquante deux ans j’arrivais à Nice. Sur ce même trajet que je découvrais, dans sa lumière de feu, hier la mort avait semé depuis son chariot, son cortège d’horreur, qui me fait souvenir d’un tableau de  Bruegel, le Triomphe de la Mort.

Je suis passé au petit Mémorial improvisé près du Méridien, cible de toutes les caméras et de tous les satellites venus témoigner que pour cette funeste tuerie Nice était le centre du monde pour d’autres raisons que celles qu’on lui accorde habituellement. L’azur et la lumière étaient au plus fort de leur possible. Mémorial spontané, comme l’avait été celui de Paris l’an dernier, où les peluches, les fleurs, les bougies et les objets d’au revoir étaient d’autant plus dérisoires qu’ils  formaient un simple tableau, éphémère et si fragile, devant la lourde atrocité qui fait toujours face.

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17 Juillet

 

Ce matin les cigales font le bruit que font les ciseaux nerveux des coiffeurs.

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Ma marraine Angela est décédée le 9 Juin, et nous ne l’apprenons qu’aujourd’hui. Le message avait été posé sur le répondeur de Cécilia qui ne l’avait pas ouvert depuis son départ vers la Colombie… Pour la cérémonie d’incinération, seule la famille Toulet était présente. Je n’aurais donc plus jamais revu cette tante qui était la dernière vivante des trois sœurs Salemi. Celle de la Librairie « Horizons », où j’ai dû sentir pour la première fois l’odeur des livres. Une page est tournée, une génération disparaît. Reste l’oncle André, mais nous sommes si peu proches.

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18 Juillet

 

Tout le long de la Promenade, le long cortège des bouquets de fleurs déposées comme autant de corps, isolés ou en ensembles, jalonnant les quelques deux kilomètres parcourus par le camion de la mort. Devant le Méridien, encore les peluches, les fleurs, les messages de soutien, les drapeaux tricolores. Les deux chaussées et les trottoirs de la Promenade sont désormais ouverts à la circulation, mais jamais ils n’auront été tant parsemés de ces vœux de paix, d’amour, et de cette bigarrure de grande tristesse fleurie.

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Puis les déclarations d’impuissance des responsables politiques avant la minute de silence : « nous devons nous habituer au terrorisme ( !!)… restons solidaires… nous renforcerons les surveillances… ». Des paroles vaines et incantatoires, pas même consolatrices. Mais quelles paroles pourraient l’être !? Et cet attentat arrive après huit mois d’état d’urgence ! Quand sera-t-on frappé à nouveau, sans que les responsables de notre pays aient une vue claire de la méthode et des moyens réels de notre protection ? Encore faut-il qu’il y ait une volonté politique ferme de cibler l’ennemi, qui n’est ailleurs qu’à l’intérieur de nos frontières.

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20 Juillet

 

En début d’après midi, devant le kiosque à musique, dans le soleil des poupées et des fleurs, une jeune fille plantée devant les offrandes multiples, proposait, inscrits sur son chemisier, des câlins gratuits .

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Y a un an ! Sa maman m’envoie de très belles photos de son premier gâteau d’anniversaire. Ils se reposent vers Port Grimaud.

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22 Juillet

 

Attentat à Munich. Six ou huit morts…

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23 Juillet

 

Denis Chollet me fait parvenir un long article du bon vieux Tosel, toujours aussi échevelé dialecticien. Ses analyses de l’attentat du 14 Juillet sont dans les toujours mêmes grilles de lectures marxiennes et protestantes, avec pour finir une vue globale géopolitique qui conclue à une théorie, que je dirais, des méchants relatifs. L’horreur paie le prix de nos contradictions en amont. « L’entité politique de Daech n’a rien d’archaïque en ce qu’elle se veut une alternative à la mondialisation identifiée à la domination de l’Occident colonisateur, corrompu, antimusulman et impie. Daech se sait protecteur social de ses membres obéissants. Il sait gérer les compromis avec les forces locales, user de l’arme du pétrole et amasser un capital prédateur… »

Serons-nous donc bientôt musulmans ?

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« L’histoire du western se terminera  avec moi » disait John Ford. Il est vrai qu’en 1964, quand est sorti son dernier chef d’œuvre, « Les Cheyennes », je n’étais pas loin de le penser. John Ford, la somme et la synthèse du western classique, des origines (« le Cheval de fer ») jusqu’à ses dernières créations. Avec Sergio Leone, tout en restant dans le classicisme de l’esprit du genre, le western est perçu comme au ralenti, avec un temps hors du temps, distordu et plaqué sur l’incomparable « accompagnement » de Morricone. Les regards, les divers poncifs des duels au revolver, sont vécus du dedans, et décomposés en ralenti et en gros plan, comme si le spectateur était la balle, qui s’abattait sur l’adversaire. C’est l’introduction du son brut, mat et épais, qui met en relief le silence, comme dans la séquence mythique inaugurale d’ « Il était une fois dans l’Ouest », où on entend simultanément le crissement du moulin à vent, le train qui siffle au loin et la mouche qui sera prise au piège du revolver dont se servira le truand en écoutant le son de la mouche dans le canon du revolver, comme une préfiguration des téléphones portables d’aujourd’hui… On est loin des dialogues cursifs sur fond de noir et blanc qui crépitent de sens comme autant de futurs coups de revolver salvateurs et rédempteurs. Avec Leone, c’est presque Pierre Henry au cinéma, avant le premier coup d’harmonica. Quatre thèmes musicaux, bien précis,  circulent, attachés à un rappel, soit au passé nostalgique et à la femme, au cheminement du temps, celui de la prémonition et celui de la vengeance latente. Il y a quasiment une utilisation motivique wagnérienne du temps et de la réminiscence. Pour le reste, le son sans parole devient signifiant, et dans toute sa sophistication, le « nouveau western » retrouve les vertus du cinéma muet.

– Le western avait trouvé dans les années 70, non seulement un second souffle mais un chaînon nouveau et créatif, comme un hommage au genre, et un juste retour du côté du Vieux Monde. Clint Eastwood, en poncho et dans des paysages abstraits espagnols, est devenu aussi classique que John Wayne dans Monument Valley. Il est tout symbolique que « les Cheyennes » soient sorti en 64, à l’été de mon arrivée à Nice, enjambant sans fracture le passage vers mon nouvel avenir…

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24 Juillet

 

Finissons en avec Le Corbusier. Sa cité radieuse, ses utopies ont terriblement vieillies. Comme celles de Niedermeyer à Brasilia. Xenakis, dans l’entourage de l’architecte, et le pavillon Philips de 1958, sont ce que je retiens de cette époque, qui donnera aussi Métastasis.

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25 Juillet

 

Pierre Perret, classique de notre chanson française, écrivait il y a cinquante ans, cette idiotie des« jolies colonies de vacances »… alors qu’aujourd’hui, bien qu’on n’en ait moins les moyens, les familles françaises et les « assimilées » rêveraient d’avoir ne serait-ce que des centres aérés, des centres de vacances urbaines (de qualité, et non pas ces sinistres garderies entre l’ombre d’un arbre et l’ombre du suivant) … Mes vacances entre Sospel et Turini, à Moulinet, feraient encore rêver, et j’en souhaite d’aussi belles à tous les enfants de la planète. Pierre Perret a probablement le dégoût du populaire, bien que dans ses chansons ça raccole peuple, (argot etc.) ce qui touche beaucoup dans les banlieues  . Et il n’a pas l’excuse de ne pas aimer la langue française. Et puis lui vit en Irlande. Il y aurait moins d’usines… Et puis, même les pyramides d’Egypte se voient aujourd’hui rattraper par la mégalopole du Caire.

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26 Juillet

 

Un prêtre a été égorgé dans une église près de Rouen, à St Etienne de Rouvray. Neuf ou dix personnes se trouvaient à l’office ce jour là. Le pape François est en Pologne pour les Journées Mondiales de la Jeunesse. Elle va pouvoir chanter des chansons.

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Merveille !! l’avion marchant à l’énergie solaire s’est posé pour sa dernière étape à Abbu-Dabhi, pays puissamment pétrolier… Comment, donc, vendre l’énergie solaire (dont l’Arabie regorge aussi), aux pays producteurs de pétrole…

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Par pudeur, par décence on cache le visage et le corps des accidentés, des morts par violence.

 

C’est souvent le Requiem de Verdi qui est cité, jamais ou rarement celui de Berlioz.

 

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29 Juillet

 

Du premier regard, je l’ai reconnu. Assis au Sauveur face à la Rue Droite, je croise des yeux Ernest Pignon-Ernest. Sans un mot, et toujours avec les yeux, je l’invite à venir à notre table. Il est comme on me l’avait dit, d’une simplicité extrême. Nous échangeons quelques mots et l’Allemand fait deux photos de lui et moi… Il ne peut s’attarder davantage, ayant un groupe d’amis à qui il doit présenter son exposition au Mamac. Je m’y rendrais le plus tôt possible. La ville est tapissée de la grande affiche représentant son Jean Genet.

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30 Juillet

 

Peut-être l’énigme de la mort. Reverdy : « il a la tête pleine d’or

les pieds dilatés dans le sable ». Un cousinage poétique du Dormeur du Val.

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« Le long du quai les grands vaisseaux… ». Fauré a plus d’ampleur encore que Schumann, le souffle de la mer contre l’énigme des lacs et du grand Rhin.

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« la seule certitude c’est que rien n’est certain ». Qui a pu dire ça, cette certitude ?

…………………………………………………………………………………………….Les niçoises disent farouchement que les oreillettes sont aussi des ganses…

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Lévi-Strauss se lit souvent au kilomètre, sans qu’on ait besoin de faire de rétention de sens. On peut le lire pour la sophistication phonétique de noms propres qui s’agglomèrent et qui s’entrechoquent… J’avoue ne pas suivre les récits, l’irrationalité des mythes et la diversité des tribus amérindiennes au travers de ce qu’elles ont en commun ou de ce qui les nuancent (la Potière jalouse). Je préfère en sourire doucement.  Proust a le sens du rire, avec Céline. Comme dans l’irrésistible scène où Mme d’Arpajon est arrosée de la tête aux pieds par le jet d’eau d’Hubert Robert, ce qui provoque l’hilarité du grand duc Wladimir… Après que la dame, d’une quarantaine d’années se fut épongée le cou avec son écharpe, le grand Duc, comme au théâtre, se mit à battre des mains, disant fort, qu’il couvrit tout le bruit du jet d’eau : « Bravo la vieille ! »… Sodome et Gomorrhe (chapitre 1, page 69-70, éd. Folio)

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Il y a visiblement du Nietzsche dans l’écriture de Cioran, dans ses aphorismes, son rejet du Christianisme, son goût de la barbarie et du paganisme antique. Mais en a-t-il la pensée continue ? …

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Début Août

 

Katy, fin de partie ? Trop de malentendus, de violences et d’écorchures, comme l’an passé. L’hérédité, l’enfance abandonnée justifient-elles ce monde qui nous a toujours séparé ?

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L’exposition d’Ernest Pignon est tellement foisonnante que même réduite au seul premier étage  du Musée d’Art Moderne, nous ne pouvons en venir à bout en une seule visite. La qualité et la densité des œuvres en font un événement qui est sûrement le plus mémorable depuis la création du lieu. Tous les grands thèmes de la misère, des Pasolini, des Caravage, tous les détournements de dessins classiques transposés dans le monde populaire urbain. Une autre exposition est à voir simultanément à l’Eglise Saint Pons.

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6 Août

 

L’immense fresque inachevée de Scriabine « Préparation au Mystère Final ou l’Acte Préalable » est le chef d’œuvre impressionniste russe. Plus de trois heures de subtilité orchestrale. L’œuvre devait être accompagnée de théâtre, de scènes dansées, de spectacles visuels, une manière de rejoindre toutes ces tentatives qui, depuis Wagner, rêvaient d’un art total.

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9 Août

 

…Et Katy m’envoie un magnifique lever de soleil de Sisteron.

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10 Août

 

J’ai longtemps cru, comme beaucoup dans les années 60 et 70, que l’importance attribuée à une œuvre d’art dépendait de sa position de chaînon dans l’évolution linéaire de l’Histoire. Longtemps j’ai cru que Mallarmé, Cézanne , Debussy étaient des héros parce qu’ils étaient les jalons premiers de la modernité. Les maillons vivants entre le monde ancien du romantisme finissant et le XX° siècle qui s’ouvrait avec ses perspectives de déstructuration des formes préexistantes. Pierre Boulez a poussé la radicalité et la vertu progressiste jusqu’à considérer comme inutile tout compositeur n’ayant pas compris la nécessité  de s’insérer dans le sillage de l’Ecole de Schönberg. Dans les terribles années 50/60, l’idéologie en place voyait le monde dans le sens de l’Histoire. Dans un progrès continu à jets constants et sans regards en arrière. C’était rejeter tous ceux qui ne s’inscrivaient pas dans le sens des conquêtes sans cesse renouvelées des techniques, des matériaux et des visions toujours nouvelles de la table rase. Boulez a ainsi rejeté Chostakovitch, plus peut-être pour se défaire de sa vieille adhésion aux compagnons du communisme, à l’heure où il fallait s’en défaire, que parce que l’œuvre de celui-ci était moins progressiste que celles des Viennois ou du dernier Stravinsky. L’œuvre d’art n’entre décidément pas dans une perspective linéaire mais bien plutôt mue par un moteur circulaire qui, de jalons en jalons, tourne jusqu’à ce que l’évolution des formes et des systèmes de pensée en arrive, comme par l’absurde, à rompre avec un univers formel qui ne peut indéfiniment s’éloigner de certaines lois universelles du monde sensible. D’où, comme pour la mode, ces chemin de la création qui engendrent ces fameux retour à (le Bach de Stravinsky), ces réhabilitations des néos (classiques, romantiques) où des compositeurs comme Martinu, Milhaud et bien d’autres se voient aimer pour eux-même, pour leur mode de sentir plus que pour la projection de leur œuvre sur le futur. C’est le retour de l’en soi. Nous aimons Debussy aussi parce qu’il est l’argonaute de la musique du XX° siècle (Garcia Llorca), mais on ne l’aimerait pas moins s’il n’avait été que lui-même. Cézanne invente la monumentalité et la déstructuration du réel dans la peinture qui mènera à tous les mouvements novateurs du XX°siècle, mais on n’en aime pas moins autant Pissarro ou l’exquise sensibilité de Sisley. La coexistence des deux univers (la projection dans l’inventivité pure porteuse d’avenir, et l’œuvre atemporelle, aimable en soi) est aujourd’hui le seul mouvement qui porte d’un seul tenant ce qui ressemble à un sillon parcouru dans la même contemporanéité, de la radicalité et de la tradition évolutive, parallèlement, dans le chemin de l’Histoire.

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Parmi les projets d’opéra que Debussy aura esquissé, mais rapidement abandonné, un Maîtres du Jouir, de pampres, de mimosas d’or, de palmes et de peaux de soies sombres, d’après les « Immémoriaux » de Victor Segalen, récit de fantaisies ethnologiques en îles polynésiennes, païennes et bacchanales. Après Wozzeck, Lulu, la scène lyrique française aurait pu également avoir eu son moment de sueur et d’érotisme sublimé… Un Orphée–Roi avait été plus sérieusement envisagé, puisqu’un livret nous est parvenu, mais sans plus de succès.

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11 Août

 

Lecture de Casanova, quel style étrange, avec des fautes et des tournures radieuses !

On pourrait dire dissonantes…

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L’été dénude les corps. Je suis ravi de constater que toutes les femmes ne sacrifient pas à l’atelier du tatoueur… Pas encore. De tous les arts, et sous toutes les latitudes, les arts décoratifs, ceux des bijoux et des pendentifs, des traces et des marques, sont attachés aux civilisations barbares. Nous avons déjà tout près de nous des os de poisson, des pièces de métal fichés dans les narines, des coiffures d’iroquois, mais aucun de ces attributs ne correspond à une signification culturelle ou à l’appartenance à une caste, à un ordre social quelconque. Nous sommes dans la parure la plus décorativement barbare. Une sorte de coquetterie pour déclassés. Comme le parfum des cocottes en d’autres lieux. La fin de l’élégance.

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La signature caméléonesque de Stravinsky est donné le plus naturellement dans ces deux œuvres, tout en enjouement, que sont Petrouchka et Pulcinella. Du pur néo-classique, ce qui peut agacer ceux qui ont aimé par dessus tout le Sacre. Il aurait pu composer tout simplement pour faire bonne mesure, un Arlequin… Mais le caméléon finira hanté par les fantômes de Webern, dans Mouvement pour piano et orchestre, Canticum Sacrum etc. et là, il montre bien l’animal libre et à facettes multiples qu’il est resté jusqu’à la fin.

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13 Août

 

Promenades de vacances le matin. Il fait encore un peu frais vers huit heures. J’en profite pour longer l’Avenue Victor Hugo, je remonte jusqu’à la rue des Potiers et tous ses fantômes du passé. Le square Christiné est comme sous cloche, tant les marronniers se sont développés où l’ombre a complètement recouvert la petite place. Ne restent dans l’avenue des Orangers, cachées derrière d’anarchiques végétations, que la Villa si mystérieuse et poétique du « Soleil » (ou Villa des Bengalis) où ont disparu la treille et les plantes grimpantes, mangées par les constructions adjacentes, et à l’autre extrémité de l’avenue, la belle villa de type niçois, jaune orangée qui abrite l’accueil de jour, qu’on a du mal à imaginer qu’un si bel édifice témoigne des souffrances de vieilles personnes en fin de vie. Maman y avait passé quelques après-midi avant le dernier voyage vers l’Escarène. J’évite, durant ces cheminées matinales, l’Avenue Jean Médecin, cœur principal traversant la ville du Sud au Nord, tant s’est paupérisée cette artère jusqu’à la gare ferroviaire. Pas un seul Café, si ce n’est le Café de Lyon, si impersonnel qu’on ne l’imagine autrement que comme lieu de rendez-vous stratégique. Pour le reste, toute la gamme des restaurations à fuir. Depuis qu’on a abattu les gros platanes qui ont longtemps masqué l’absence de charme de l’avenue, la tristesse et la désolation criarde de cette artère centrale n’en sont que plus sensibles. Je rêve d’une ville d’eaux et de fontaines, de Places menant vers des rues et des avenues d’ombres et de senteurs, d’harmonie architecturale, (Nice en est heureusement bien pourvue) et où l’on aimerait à se caler à une table d’amitié et de rencontres comme on pouvait encore le faire dans les trop rares bar de la Dégustation et aujourd’hui chez Sauveur.

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Message de Katy. Message de désir de retrouvailles. Elle travaille pour ce 15 Août au Val d’Allos.

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Le second Michel-Ange c’est le Caravage : Michel Angelo Meresi, bien préférable peintre que le premier.

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Une message d’anniversaire envoyé à Claude Boni ce 16 Août pour ses soixante dix ans. Ca compte. Elle me répond, surprise, mais visiblement contente de ce rappel au souvenir. Je vois Katy chez Sauveur. Toujours très en retard. Les orages du début de mois sont oubliés. Nous prenons des tapas à la nouvelle boutique de gastronomie espagnole juste en face.

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19 Août

 

L’Angleterre, où je ne suis allé qu’une seule fois, quelques jours. En Février. J’y pensais fortement ces jours-ci, sans raisons apparentes ou peut-être un propos de Bernard, une chanson de Dylan…. Je n’y ai connu que le whisky de mes vingt ans, le plus mauvais des whiskies. Le plus triste aussi. J’avais pour cela, dérobé six cent francs dans un tiroir où ma mère gardait quelques billet à une époque où les cartes bancaires n’existaient pas encore. J’avais laissé un message lui expliquant les raisons de cette trahison, non sans avoir versé quelques larmes et lui demandant pardon par avance avant de filer vers Londres. J’avais passé cette veille de départ au Café de la Buffa où j’avais mes habitudes avec Stef, et la rencontre de cette brune avait décidé du voyage vers l’Angleterre. Elle devait rejoindre quelqu’un en Yougoslavie, je n’en sus jamais plus, et je dus être si convaincant, qu’après quantités de bières et que Stef fut parti, nous nous sommes donné rendez-vous pour le lendemain, au plus tôt, au même endroit, invité que j’étais à profiter de son véhicule, en direction de Boulogne ou de Calais, (je ne m’en suis jamais souvenu), vers Douvres. Je la revois encore sur le quai faire de grands mouvements de bras avec son mouchoir agité, et je traversais la Manche jusqu’à Charing Cross. Logé dans un hôtel, tout près de Westminster Abbey, je devais passer tous les jours devant l’imposant édifice. Je passais la nuit de mon départ vers Célia dans un bus qui ne partirait que le lendemain matin, pour raison de grève. Les passagers étant autorisés à dormir dans le véhicule. Le froid et l’incongruité de la situation ont fait que je passais ma seconde nuit blanche. Le trajet vers cette banlieue de Londres où je devais aller, Bickley, me parut interminable, et tellement interminable que je m’aperçus que nous étions déjà en début d’après-midi et que la campagne anglaise, magnifique dans ses verts et gris, ses cottages et ses routes sinueuses, nous menait vers le Sud , tout près des côtes de la Manche. A Bickley, on m’expliqua que le Bickley que je cherchais, était en effet en banlieue de Londres, et qu’ici nous étions très loin de l’endroit homonyme, perdus bien au-delà de Crystal Palace. Après bien des détours et des contretemps, dans mon trois quart bleu à col fourré, mes cheveux perdus dans les eaux de pluie, je me présentais devant une magnifique villa des plus cossues tout en briques sombres, enserrée de lierre et de végétaux grimpants. Je ne me rappelle comment les hôtes qui abritaient Célia, la récente nurse d’un petit Julian de quelques trois ou quatre ans, m’accueillirent. Je vis la surprise, et aussi la gêne de ma belle amie, que j’avais surprise, puisque point prévenue de mon escapade et de mon irrésistible besoin de la rejoindre. Nous nous étions quittés, presque forcés quelques mois plus tôt, la mère de Célia ne voulant plus que je revois sa fille, elle n’avait que quinze ans, l’expédiant travailler au pair dans ce lieu perdu de la banlieue londonienne. Nous logions cette nuit-là dans des chambres séparées, et au matin, les parents de Julian partis, la maison fut à nous, le whisky et les Rolling Stone. Tant de Rolling Stone et de whisky que les propos , depuis le temps que je ne l’avais revue, tournèrent assez vite à l’aigre. J’avais dû lui poser des questions sur ses sorties, ses fréquentations des samedis, et par dessus tout je sentais ce mur qui s’installait depuis le premier regard de nos retrouvailles. Et bientôt des cris, des larmes, des plus jamais, des c’est fini, des Street fightin’ Men et I Can’t get No, sur écran nauséeux de fumée et l’irrémédiable sentiment d’avoir écrouler le château fragile de nos amours de quinze et vingt ans. La dernière image que j’ai retenue de ce sombre début d’après-midi, ce sont nos aux revoirs, trempés de douces larmes, maintenant réconciliés comme se réconcilient ceux qui ne se reverront plus, des signes de la main jusqu’à disparaître au loin dans la campagne à une croisée de chemin. Elle poussait le petit Julian qui ne se doutait qu’il était témoin d’une rupture des plus douloureuses. Rentré à l’hôtel, c’est le whisky qui coulait à flot, jusqu’au désespoir, jusqu’au sanglot et l’oubli dans le mauvais sommeil. Paris enfin, après un chemin de retour où aucune image, aucune sensation ne me troublaient de cette fausse insensibilité qui suit les plus éclatantes défaites. J’ai rejoint l’appartement parisien de cette mystérieuse brune, passeuse inattendue et jamais revue, de ma seule incursion en terre anglaise ; j’avais apporté pour elle et une amie qui la logeait, la Symphonie Fantastique. J’en ai oublié une partie de mon pyjama qui me fut renvoyé, le plus gentiment du monde, par la poste. Dans le train du retour, interminable, entouré de jeunes filles criardes et indifférentes à ma douleur, je tentais d’entamer Rigaudon de Céline. Dans les rues désertées de la nuit d’hiver, depuis la gare ferroviaire à l’arrivée de Nice,  jusqu’à la rue des Potiers, ma tête faisait exploser All along the watchtower, … “outside in the distance, a wild cat did growl, two riders were approaching, the wind begins to howl”…

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C’est Stef qui m’a annoncé, lorsque nous nous sommes retrouvés à Nice, bien des années après que nos vies eussent continuées, lui à Paris et moi ici, que Célia était décédée. Bien avant 1993, donc avant ses trente cinq ans. C’est Bernard qui lui avait appris la triste nouvelle.

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21 Août

 

Les Jeux de Rio sont terminés. Comme un goût, plus marqué que d’habitude, de corruption.

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27 Août

 

L’avenir des plus endurantes chansons passent parfois par de non moins célèbres tubes du classique, et de leurs plus étonnantes métamorphoses, telles « elle avait de tous petits petons », variations sur le thème de l’Héroïque de Beethoven, « Si tu vas à Rio » interprété par l’immense Dario Moreno, issu d’un coup d’archet du Concerto pour violon de Tchaïkovsky ; Jusqu’à Manuel de Falla entendant sur le toit d’un immeuble, un ouvrier sifflant une mélodie de son « l’Amour Sorcier ». Falla disait que l’apothéose pour un créateur, venait dans cette adhésion, comme dans une nuit des temps, de cette vibration d’une mélodie, sans savoir d ‘où elle venait, et de qui elle était. C’est là l’universalité, l’absence de référence de ceux qui rêvent, comme dans l’anonymat et depuis toujours, le tailleur de pierre médiéval, le génie…

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30 Août

 

Premiers gros orages en fin de nuit. C’est la rentrée, fidèle aux promesses de la pluie. Nous avons eu le cousin Georges et Michelle ces deux derniers jours. L’après-midi avec Katy, sans parapluie, et dans les ruelles de la Vieille Ville, la petite montée vers La Treille.

Les dernières tomates sont cueillies, les fenêtres et les portes au Nord et au Sud sont ouvertes aux courants d’air. La maison respire.

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Georges m’apprend que la ferme d’Aïn el Aouda, à vingt huit kilomètres de Rabat a été rasée entièrement, qu’il n’en restait pas même dans le corps principal du bâtiment ce qu’elle avait été ces quelques quarante dernières années, c’est-à-dire une sorte de bergerie, de refuge pour les chèvres et les moutons, en lieu et place où les trésors d’ingéniosités de mes aïeux avaient fait de cette terre désolée, des champs d’agrumes, des vignes, des éoliennes et des espaces cultivés jusqu’à l’horizon de mes yeux d’enfant. Les immeubles et les routes goudronnées sont devenues, depuis, une banlieue de Rabat, espace qui, du temps de mon enfance, était le temps qu’il fallait pour rêver, sur ces routes bordées de platanes et d’eucalyptus, à ces fins de semaines heureuses. L’érosion du rêve se mesure aujourd’hui par la distance qu’il a fallu à dévorer le temps.

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4 septembre

 

Maman est partie voilà cinq ans.

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5 septembre

 

Depuis hier je me promettais de reprendre les « Promenades dans Rome ». Pourquoi doivent-elles commencer sur ces pages de mépris et de haine lancinante au moment de traverser la « belle France », dont Stendhal, qui a tant aveuglément aimé l’Italie, n’aura jamais eu la fibre, et justifie ce qu’on nomme généralement le parti pris. (Voir ces Voyages en France, où rien n’est épargné, et plus encore ce chef d’œuvre de langue de fiel, remarquable par ailleurs, que sont les Mémoires d’un Touriste). Devant combien de beautés, de clartés de paysages et d’équilibre spirituel est-il passé… Dommage pour ce prélude aux « Promenades ». Il ne s’imposait pas, d’autant que l’auteur, durant son long séjour italien y représentait officiellement la France au titre d’ambassadeur. Ingratitude des gloires littéraires…

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Deux opéras –inachevés- de Debussy, émergent dans la surprise des parutions actuelles, « La Chute de la Maison Usher » , déjà connue, entendue dans son climat de moiteur, d’angoisse et avec ce je ne sais quoi de mon été avec Katy au Jean Bart, de beauté trouble et nocturne… Cet ouvrage apparaît immédiatement comme une sorte d’Acte VI de Pélléas, dans ses sombres harmonies, un prolongement de ces âmes impalpables après la mort de Mélisande. Mais l’autre belle surprise aussi, c’est « le Diable dans le Beffroi » , le second ouvrage inspiré de Poe dont je ne savais pas qu’on en avait sauvé presque quarante minutes et qu’on en avait fait une reconstitution orchestrale.

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J’ai écouté quelques minutes de cet enregistrement public venu d’Angleterre. Le climat de l’œuvre (Usher) sent la mort dès les premières mesures, et la date de composition du premier jet est exactement contemporaine du Barbe Bleue de Bartok auquel aucun directeur de théâtre n’a jamais pensé à jumeler l’œuvre en une même soirée…. Mais les bras m’en sont tombés, comme du temps où Rameau, Berlioz, dans les années quatre vingt, étaient chantés dans une bouillie contrite de français, et borborygmée, dans laquelle aucun mot n’était compréhensible. Pareillement, ce torse inachevé de la Maison Usher, qui pourrait être un drame lyrique majeur du dernier Debussy, malade et rongé par les ombres de la mort, n’a jamais trouvé d’interprétation, même passable. La musique française nécessite une prononciation impeccable, et je n’ai jamais compris que, s’agissant d’une dimension majeure épousant l’univers musical, on puisse laisser de tels manquements, là où plus encore qu’au théâtre classique, la fausseté d’un accent détruit la vérité auriculaire d’une oeuvre. Dans Pélléas, la parole, les mots et les diverses  accentuations de ceux-ci participent d’une musicalité équivalente à celle des instruments de l’orchestre,  s’épousant dans un même flux continu. Que penserait-on de Bérénice  à l’Académie française, déclamée avec un accent de la langue de Shakespeare ?

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Revu ce soir « Duel ». Un mythe de 1971. L’homme seul contre la force hostile et aveugle. Et une haute perversion des forces obscures. Je pense à Moby Dick, le Vieil homme et la Mer, les Dents de la Mer, Duel au Soleil, la Bête aveugle…

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Septembre

 

En France, mais est-ce si différent ailleurs, les hommes politiques les plus corrompus sont généralement réélus, du moins ont-ils aux yeux des électeurs des arguments de vécu qui impressionnent favorablement ceux-ci. Et la mode aujourd’hui, quand on ne peut prouver le contraire, est au vol  qui ne touche pas à l’enrichissement du voleur, mais au bénéfice d’un parti (la morale est sauve à bon compte). Les français préfèrent décidément les coquins et les sacrifiés au parti , bien connus sur la branche vermoulue de la vie publique, comme on aime à revoir inlassablement les mêmes cabots bien sympathiques du music-hall.

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9 septembre

 

Katy est à Sisteron pour l’enterrement d’une amie. Partie tôt ce matin dans un doux souffle de messages de tendresse. La nuit est encore étoilée aux premières lueurs tant le vent a soufflé, que l’on distingue très clairement certaines constellations que je ne sais reconnaître. Orion, je crois toujours reconnaître Orion.

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11 septembre

 

L’amiral anglais : – « les français se battent pour l’argent, les anglais pour l’honneur »

Surcouf : – « On se bat toujours pour ce que l’on a pas ».

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Des images de Mars, depuis quatre ans que la technologie nous envoie des roches déchiquetées, de la poussière plâtreuse…Sur certaines falaises, des éclats coupants et hostiles, des désordre comme sur la terre lors des grands bouleversements primitifs, le tranchant de certaines falaises semblaient issu d’un Kaspar Friedrich.

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13 septembre

 

Promenade le long de la Coulée verte. Katy et moi retrouvons le chemin des bambous, odorant. Il fait encore très beau. On annonce des pluies pour demain.

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14 septembre

 

Einojuhani Rautavaara est décédé cet été. Il nous a laissé un Vincent (Van Gogh) et un beau concerto de l’Albatros

 

Les pluie se sont abattues violemment cette nuit, la signature de l’automne…

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15 septembre

 

Devant tant de misères dans nos rues, tant d’errances, je comprends la sainteté de St Martin, soldat romain, partageant son manteau.

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Je regarde les flacons vides des plus beaux parfums que j’ai sous les yeux, dans le salon. Est-ce pour perdre la mortalité, avec ces anges et ces belles hanches de cristal ?

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17 septembre

 

ROME

17 / 20

 

Rome ! je n’y étais plus retourné depuis l’été 67, lorsque ma tante Angela, qui travaillait à la F A O nous avait invité, maman et moi, pour un petit séjour dans le quartier de l’E U R, quartier aux avenues rectilignes, blanches, neuves encore, puisque datant du régime de Mussolini. J’apprends aujourd’hui que beaucoup de rues portent des noms d’artistes français ayant traversé ou aimé d’une certaine manière l’Italie : Rue Stendhal, Berlioz, Bizet, Chateaubriand… Et nous logions tranquillement dans un bâtiment de religieuses tout près du Colisée Carré ou Palazzo del Civiltà. Je passais mon temps à la piscine le long du Tibre, et du lointain de mes quinze ans, je  n’ai que de fugitifs souvenirs de la Rome éternelle, quelques photos …

Cécilia et moi sommes partis ce matin par vol Easyjet vers 10h, après qu’Hélène soit repassée par la maison pour récupérer tout ce que j’avais oublié ! Arrivée à Fiumicino après seulement quarante cinq minutes de vol. Le ciel est chaud, avec de gros nuages plaqués sur un azur rassurant. L’hôtel (Bellambriana) se trouve être bien plus éloigné du centre historique  que nous ne l’avions prévu en commandant notre chambre. Un trajet interminable de bus et plusieurs rames de métro plus tard, que nous referons chaque fois (terminal Battistini, Est de Rome), nous voici dans la foule au pied du Vatican. Je me souviens de l’orgueilleuse basilique qui mesurait au sol et en sa faveur, à l’intérieur de la nef, et en les englobant dans son espace, Notre-Dame de Paris et quelques autres vénérables Cathédrales dans une inutile et vaine mesure de prévalence métrique… De même que quarante neuf ans plus tard, un garde de moralité vaticane signifiait à Cécilia qu’on ne pouvait pénétrer à Saint Pierre les bras découverts. Nous demandons à l’Islam de se découvrir et nous jetons un voile de pudeur sur les corps de nos fidèles, alors que tout, dans notre Occident incite à la nudité des corps. C’est la veille du rassemblement dominical et des barrières sont dressées comme pour l’arrivée de supporters avant une rencontre sportive. La Place est à la fois un espace infini, enserré des colonnades de Bernin et à la fois clos par celles-ci, comme impénétrables. Plus on approche de l’entrée de la basilique , plus la coupole disparaît à nos yeux. Le plus beau est la perspective à l’arrivée de la Via de la Conciliazione. Plus loin, le Castel Sant’Angelo que nous verrons dans sa plus classique perspective de l’autre côté du Tibre, pour suivre, le long du fleuve, la rive ombragée par les platanes dont les branches, en files régulières, se courbent pour faire comme une ogive ou un point d’interrogation se penchant avec délicatesse sur toute la longueur de l’avenue menant à une placette où une église baroque indique que nous poursuivrons plus au Nord. La Via del Corso est très animée, elle nous mène vers la Piazza del Popolo  après que Céci ait troquée ses chaussures qui la martyrisaient déjà. Au delà des éternités de pierre, une boutique toute dévolue à Ferrari. Jamais nous n’avions tant approché une vraie F1, rouge et flamboyante, plus longue qu’une grosse berline avec un habitacle de danseuse…

 La Place est une des premières merveilles d’urbanisme, s’ouvrant sur les escaliers de la colline nord de la ville, ses escaliers abrupts, et ses marches vers le Pincio. Avec un obélisque qui contrepointe l’infinie beauté de la place dans des rues s’ouvrant comme autant de branches d’étoiles dans la mobilité de la lumière. Les nuages ont l’intensité qui tissent le contraste classique de la perfection de la pierre et de la lumière, dans l’après-midi des bleus et des gris, et une matité des couleurs ombrées au passage vif des nuages..

Puis c’est  la Piazza di Spagna, sans l’avoir vue venir. L’escalier de la Trinité des Monts, est empêchée dans sa libre circulation par des échafaudages qui serviront à la pollution sonore d’un concert de fin d’été. La lumière et le clapotis du bassin au dauphin gardent une  sérénité dans la tourmente des badauds, des touristes massés, frénétiques, comme pour la célébration d’un culte de la ville, embrassant du regard cette ascension du double escalier vers l’église de la Trinité. Le bleu du décor donné par le ciel, et en écho la turquoise du bassin, rendent à la l’église dans sa blancheur, des allures virginales. La lumière commence à devenir rase, déclinante, et les ruelles coupent les rayons de soleil en un relief donnant de la densité à l’animation de la fin d’après-midi. Plus loin, le dédale des ruelles mènent dans l’entonnoir de la placette de la Fontaine de Trevi. Autant, la Trinité promettait un espace ouvert vers le ciel, autant la fontaine de Trevi  enserre la foule amassée, que plus aucun balcon donnant sur la fontaine ne peut accueillir de flâneurs et de photographes, et le demi cercle se refermant sur la fontaine donne un sentiment particulier d’étouffement. La tradition veut qu’on lance une pièce de monnaie dans l’eau du bassin, du plus beau turquoise. Les badauds ne sont pas là pour la démesure des sculptures, ses Neptune et ses figures mythologiques, mais parce que la présence d’Anita Eckberg et de Marcello Mastroiani est toujours vive dans la mémoire collective, et dans la nuit romaine. Mais plus personne ne se jette dans l’eau, dans la fureur de la nuit. La Dolce Vita est maintenant colorisée, les dominantes de bleu/vert allègent la saturation de l’espace quasiment clos de ce périmètre en demi cercle, écrasé par la disproportion des figures sculptées au-dessus du plan d’eau.

Viale delle Muratte serpentine, plus au sud, des calèches passent, et sur une toute petite terrasse je goûte le premier verre de rouge du Lazio, et Cécilia, le premier mojito. L’enfilade des ruelles conduit presque naturellement à l’obélisque, et la fontaine du Panthéon, où les foules innombrables s’assoient sur les marches, comme elles le font un peu de partout, qu’on a l’impression à Rome, que tous ces théâtres d’urbanisme et d’antiquités vénérables ont besoin de la mise en scène et de la présence compacte et en perpétuel mouvement des fourmilières humaines. C’est une des explications à la densité des grappes d’acteurs, si ce n’est que Rome concentre dans le cœur de la ville, en un périmètre exceptionnel, toutes les richesses que d’autres capitales distribuent sur des espaces dispersés en arrondissements et en centre d’intérêts excentrés, qui dilue la présences des visiteurs. L’entrée au Panthéon se fait graduellement en groupes qui entrent seulement quand d’autres s’extraient de sous l’immense coupole, laquelle présente l’extraordinaire conception d’un quadrillage de carrés géants sur toute sa surface, en une sorte de nids d’abeilles de la plus belle illusion d’optique. C’était un des monuments que préférait Stendhal dans ses Promenades. Des fresques paléochrétiennes voisinent avec des peintures baroques, des piliers antiques avec des torsades encadrant les peintures, les mosaïques. La lumière commence à baisser, le ciel s’obscurcit légèrement quand nous atteignons la Piazza Navona que nous abordons par l’entrée sud. Elle forme une sorte d’ovale sur plus de deux cent mètres, rythmés par trois fontaines sous le regard d’une basilique de même pierre et de même couleur, les eaux sont toujours du semblable turquoise  sous les contorsions  des Neptune, des dryades et autres faunes de la mer, dans le plus baroque des mouvements de douleur ou de quelque extase païenne. La nuit nous prend sur le chemin au-delà du Tibre, où bien des siècles auparavant, sur cette rive du Trastevere, le monde de Rome s’arrêtait là où commençait celui des Etrusques. Nous l’abordons par la place du Trilussa, grouillante de monde sur les marches et dans les rues qui commencent à devenir étroites et pavées. C’est le vieux Rome , le Rome populaire, où l’on mange sur des tables à même le pavé, dans une succession de restaurants sur lesquels descendent parfois des foisons de végétaux et des gerbes de fleurs sur la pierre des façades. Nous dînons au Montecristo, plus tranquille que d’autres, dans une sorte d’impasse. Les lumières métalliques projetant les ombres dans ces ruelles sans véhicules donnent un rythme feutré et une délicieuse sensation fantomatique à la nuit qui descend. Le Ponte Sisto est enjambé sur le retour avec la perspective du Ponte Garibaldi et de l’île Tiberine dans des trous de lumière à intervalles réguliers au dessus du Tibre. C’est la nuit romaine.

 

18 septembre

 

Et puis je suis si heureux d’être ici. Comment voir toutes les églises de Rome ? Il n’en est d’ailleurs pas question . Ce matin le ciel est encore dans la clémence espérée. Le Colisée, le forum romain, le Palatin. Toute une journée ne peut épuiser les siècles en ruines qui se profilent ce matin. L’arc de Constantin sur une photo de mes quinze ans me paraissait bien plus petit. Il y a des milliers d’inscriptions, des milliers de bas reliefs qui parlent probablement de l’œuvre et du cheminement de l’empereur qui, dans les années 300, consacrera le christianisme religion officielle du monde romain. L’édifice paraît tout de même dans ses proportions, un peu empesé. Il gagne à être vu de loin, de haut, du Palatin. Et il est juste en face des arènes des persécutions ! C’est tout un symbole de cette ville qui entasse la matière de son histoire dans un périmètre révélant toutes les strates contradictoires du temps qui absorbe la ville (le Panthéon et ses œuvres du temps des catacombes et celle du temps baroque au sein d’un même édifice) . Julien Gracq disait que contrairement à Venise, qui efface le temps, Rome est une ville qui remonte le temps, qui le fait défiler.

La pierre tout d’abord. Lorsqu’on voit une image d’ensemble du Colisée, on ne perçoit pas le grain de la pierre, la rugosité des différentes surfaces, allant de la plus altérée dans les couches intérieures du monument, aux plus récents revêtement presque lisses et plus récemment restaurés qui achève en une coupure brutale ce qui fut à l’origine l’enceinte de cette architecture.

La plus belle partie de l’édifice est encore à contre jour, nous reviendrons plus tard, en milieu d’après-midi. Pénétrant dans le Forum romain, apparaît dans une sorte de tout petit Champs-Elysées, l’Arc de Titus, flanqué de Santa Francesca Romana, le plus équilibré des arcs de triomphe que j’ai jamais vu. Un Azay-le-Rideau des arcs antiques. Un arc de triomphe de poche, en forme de portail inaugural de ce qui reste des plus monumentales ruines de la cité antique. Défile sous un ciel d’azur perlé de lourds nuages, plein de feu et de sérénité, l’immense poumon de la ville antique, la merveille urbaine sous le regard de la colline palatine. Puis nous nous laissons couler sur la Via Sacra en pente douce. Des arcs et des colonnes mortes, et si vivantes pourtant dans leur nouvelle existence de paysage. Des fontaines à l’eau glacée jalonnent le chemin du forum. L’équilibre et la sérénité des vestiges sont sous l’azur comme des peintures idéalisées de quelque Poussin dans lequel nous traversons l’espace. Midi passe avec la lenteur des nuages. L’esprit reconstitue par un travail d’imagination les édifices et les allées du forum comme une maquette où des pièces manquantes se reforment sans ôter à ces ruines dans leur majesté tout leur pouvoir de séduction. Tout semble reconstituer à rebours un inventaire de nuages décoratifs, de ruines de théâtre, et d’un vent spirituel saisi dans le corpus des visions calmes de Hubert Robert. Entre les restes de la Basilica Julia et celle d’Emilia, les colonnes à terre, en multiples fûts et piles, les rostres jonchant l’herbe, en désordre harmonieux, faisant premier plan sur de nombreux pans encore debout d’architectures éparses tels le Temple du Divo Giulio, l’arc de Septime Sévère, l’Eglise saint Lucca et Martina et l’extraordinaire enfilades des colonnes du Temple de Saturne. En pente douce, le Palatin se gravit du côté de l’arc de Titus, et nous sommes très vite sur le promontoire, véritable balcon qui propose une vue d’ensemble de tout le forum. L’ extraordinaire vue sur la droite, regardant du côté du Colisée, est de retrouver l’emplacement exact d’où Corot a immortalisé sa fameuse vue aérienne, avec l’arc de Constantin en plan serré comme déjà pris au téléobjectif, collé au Colisée et fondus tous deux dans des massifs d’arbres et de végétaux flous. Le Palatin est un véritable jardin de pins et de cyprès, comme tout ce qui est arboré à Rome, rythmé par de sages ruines de catacombes de cirques et de chemins odorants.

Nous revenons au Colisée en milieu d’après-midi, Colisée véritablement assailli sous les portes d’entrée, mais qui étonnamment, laisse à l’intérieur de l’immense ovale, les différents visiteurs penchés aux multiples balcons donnant sur les arènes, un sentiment d’espace. Les effrayant dédales souterrains, puisque cette partie aujourd’hui à ciel ouvert, étaient la jungle terrible, aux accents étonnamment barbares aujourd’hui, où animaux, gladiateurs et martyrs des jeux romains grouillaient dans ces labyrinthes avant l’exposition à la violence en pleine lumière. Vue en perspective légèrement inclinée, ces tortueux boyaux de pierre rongée semblent des rochers tranchants comme j’en avais connu sur le littoral atlantique marocain à flanc d’océan. La couleur de la pierre y est pour beaucoup certainement. Le temps se couvre légèrement, et nous parvenons, un peu plus au nord, au Fori Imperiali, à la colonne Trajane jouxtant le Mercato di Trajiano et le grand hémicycle, théâtre à découvert. La perspective de la colonne et de l’église à coupole  du Saint Nom de Marie est une des vues les plus romaines qui soient. J’ai souri, voyant sous la magnifique statue de bronze vert de César Auguste, mais c’était plutôt sous celle de Jules César, moins réussie, la signature qui figure en général sur tous les monuments publics de Rome, SPQR, « le Sénat et le peule romain, Senatus populusque romanus ». Dans Astérix, l’expression est comprise comme « sono pazzi questi romani ». Autres variantes, le sigle apparaissant sur les plaques d’égouts également, on l’interprète souvent à Rome comme « sono porci questi romani ». ..

L’immense monument néo-romain de la Piazza Venezia, (réalisation à la gloire de Vittorio Emmanuele) qui fait face, me laisse assez indifférent bien qu’il semble avoir beaucoup attiré l’intérêt de Cécilia. C’est le soir qui descend, nous passons une seconde soirée à Trastevere. Promenades dans les ruelles aux maisons ocre, rouges, aux habillages de végétations de verts soutenus, nous traversons la Viale Cinque et la via Bologna déjà bien animées la veille, et passons à Santa Maria di Trastevere aux mosaïques de façade et sur la place du même nom. C’est l’endroit le plus animé dans la nuit outre Tibre. Les bistrots populaires nous tendent les bras. Nous prenons notre verre de rouge au Caffé Hilda, sur une table de fortune jusqu’à la nuit descendue. L’orage s’abat sur notre petite terrasse au restaurant qui se trouve dix mètres plus haut dans la ruelle. Les lieux où nous avons dîné ne laissent aucun souvenirs culinaires particuliers, ils ont le seul avantage de se trouver dans ce théâtre de rue où la lumière, la chaleur des lieux donnent l’impression d’être des acteurs éphémères de ce quartier tumultueux, et de nous offrir cet air libre que tous romains et visiteurs amoureux de la nuit romaine retrouvent sur les marches des escaliers des places ou aux proximités des églises. Nous sommes loin de l’hôtel et devons affronter cet orage intense, d’autant que nous manquons à l’arrêt d’un bus, la bouche de métro Lepanto, qui devait nous mener près de l’ hôtel. Nous sommes démunis, muets, seuls dans ce déluge romain, sans rencontrer quiconque. Une grande tristesse nous envahit.

 

19 septembre

 

En trois jours, nous avons naturellement évité les Musées, nous avons peu sacrifié aux églises, sauf un salut pour quelques unes, de l’extérieur. Nous avions décidé d’aller à la rencontre de la ville à ciel ouvert. Mais il n’était pourtant pas possible de ne pas aller  à Santa Maria Maggiore, une des quatre majeures de la ville. Ce troisième jour, après le déluge de la veille, nous rend ce matin, un ciel lavé, où seules les quelques grosses traînées de nuages compacts et serpentines tiendront, d’une part, la flatteuse lumière des alternances de rendu mat et lisse des paysages, et d’autre part, la crudité violente des saturations de ciel. La façade de Sainte Marie  Majeure présente une entrée baroque d’une élégance merveilleusement proportionnée, mais le joyau est à l’intérieur. Les caissons du plafond auraient été doré avec le premier or venu du Pérou, et celui-ci ressemble à un gigantesque lingot lumineux. L’ensemble des mosaïques du 5° siècle paléochrétien est d’une vigueur et d’une harmonie de mouvements et de couleurs qu’on ne retrouve pas même à Ravenne que le byzantinisme de l’esthétique rend souvent plat et hiératique. Malheureusement, et c’est la grande déception de cette visite, les panneaux de ces extraordinaires réalisations se trouvent plaqués au-dessus de chaque côté des murs de la nef principale, élevée sur ses hautes colonnes, à intervalles réguliers, loin du regard, et suivant la position du soleil, l’éclairage rend impossible la contemplation de ces panneaux, d’autant que dans l’immensité du vaisseau central, les mosaïques qui ne sont pas en fait de très grandes dimensions, paraissent échappées au regard. Pareillement les  scènes mouvementées des œuvres du chœur sont insaisissables à la contemplation. Les scènes parlent de l’Ancien Testament essentiellement, de la vision d’Abraham, de la remise des Tables de la Loi à Moïse, d’Hérode, et tous les sujets sont traités avec un réalisme  de la mise en espace remarquable et un sens des couleurs dont les dominantes restent extrêmement  chaudes de tonalités.  Restent les immenses chapelles latérales, dont celle de gauche, Chapelle Paolina  (l’église n’est pas orientée), que j’aperçois furtivement, mais interdite de visite, et celle de droite, Chapelle di Sisto Quinto, qui pourraient être des  entités détachées de l’ensemble de la basilique, tant elles se suffisent dans leur ordonnancement, la richesse des ors , des peintures, et la complexité de la perfection architecturale de leur élan baroque tout baigné de lumière.

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Sortant de la basilique, j’aperçois l’enseigne d’un Upim, cet équivalent de nos Monoprix ou Casino, qui est peut-être un de ceux où nous allions avec Maman et Angela, dans la petite Fiat 500 bleue.

Et puis la pastorale.

Après avoir cherché ce chemin sacré, et plus d’une heure de traversée du sud de la ville, le bus nous laisse au carrefour de Cecilia Metella. Le temps va prendre une autre dimension.

Il y a des routes qui disent les mythes du voyage, la 66 ( ?) qui traverse les USA, les Champs-Elysées de la Grèce antique et ceux de Paris, inévitables et symboliques, il y a des routes droites, complexes, des mystiques, et celles de Fjords, celle de Nazca, toutes pleines de la rigueur de leur certitude, de la mathématique de leur nécessité, de leur infinie harmonie géographique.

Et puis il y a la Voie Appia.

Voie intérieure de la grâce poétique, du silence, de la paix d’un chemin si long que même la Grèce antique n’en a pas d’équivalent. La Via Appia finissait son chemin à Brindisi.

La voie des bergers et des chars, des chariots, des milices fracassantes, des martyrs tout au long du parcours, voie de sang et de tumulte. Rendue aujourd’hui à une éternité de quiétude. Dans ma tête résonnent Les pins de Rome de Respighi (j’y entends le long crescendo que Constantin Silvestri, et lui seul ! sait ménager dans l’ultime partie de l’œuvre, les Pins de la Voie Appia), bouleversant de fracas guerrier.

Comme le silence, après qu’aient cessé les trépidantes convulsions de la vie, la voie Appienne nous est donnée maintenant dans l’essence même de ce que fut la Rome d’avant, aujourd’hui rêvée. D’une idéalité à portée de chaussures prêtes à la parcourir.

Après le carrefour de Cecilia Metella, sur la gauche, la pastorale de ce dernier jour à Rome est en marche, comme nous marcherons durant plusieurs heures sur les dalles antiques, grosses comme des dos de tortues et presque des dos d’hippopotames. La Via semble infinie, presque réservée aujourd’hui. Loin des foules de la ville, loin des entassements des jours précédents. J’avais une appréhension avant de parvenir à ce carrefour, et m’apprêtais à continuer de vivre ce mouvement de théâtralité collective comme autant de figuration bonhomme qui entoure avec de tant de ferveur la Ville éternelle, que je fus frappé par le contraste qui nous fut proposé.

D’abord le carrefour, un bistrot, quelques bicyclettes à louer pour la ballade. Des pins et des parasols qui abritent du soleil.. Le lieu est si silencieux qu’on pouvait ouïr des bribes de conversations à bonne distance.

Et la voie qui s’ouvre.

D’abord avec des pavés en joints serrés, sur un chemin qui pénètre comme s’ouvrirait une ruelle, mais à ciel ouvert, limpide et sans désordre ; et dès les premiers pas, la haie des cyprès et des pins, de part et d’autre. On y poursuit la voie dallée comme on entre en paradis. Un jeune curé, le pas hâtif, sans forcer, nous dépasse , comme s’il savait domestiquer sans effort les aspérités du chemin. En peu de temps nous le perdons de vue, tant il semble avoir des ailes…. Quelques bicyclettes presque silencieuses nous dépassent dans les soubresauts des chemins de côté où il est plus commode de chevaucher, quelques promeneurs nous croisent de loin en loin, puis le silence et le rythme de nos pas épousent l’éternité des dalles comme l’herbe drue épouse certains vestiges dont on ne saurait dire s’ils furent des temples ou des morceaux d’aqueduc, des demeures ou des oratoires en travers de la voie principale.

Et comme ça nous cheminons longtemps, plusieurs heures. J’ai pensé qu’il y avait à la maison, dans la boîte aux souvenirs, une ou deux photos de maman et moi devant un cyprès, d’un noir et blanc soutenu. Peut-être a-t-il tant grandi que je ne le reconnaîtrais pas sur le parcours. Peut-être que lui m’a reconnu, puisque la Voie  est semblable à tous les temps qui l’ont parcourue. Aujourd’hui c’est Cécilia qui est sur les photos, elle marche d’un pas d’éternité sur les photos que je fais, elle est toujours devant, elle avance, elle a de l’éternité. Pour ajouter la pastorale au bucolique du site, nous avons surpris les clochettes des petits moutons en troupeau de l’autre côté d’un talus. Ils s’apprêtaient à traverser la voie.

Nous aurions pu, dans l’enthousiasme, faire les trente kilomètres ou plus que compte encore la voie Appienne, mais c’eût été pire que l’orage de la nuit précédente. Nous avons marché comme sur le chemin d’un paradis sans douleur, dans l’harmonie de la pierre, de la lancinante et attractive voie dallée et des arbres, des bouquets, des fleurs, des pierres, comme déposés et disposés à l’harmonie semblant ne jamais avoir d’horizon, qu’on n’eût été étonné de voir surgir au détour d’un paysage quelque soldat romain en tenue d’époque…

 

J’évoque plus cet épisode de notre parcours romain  parce qu’il a l’intensité supérieur des expériences qu’on peut vivre dans les horizons des cheminements. Monument Valley, les Rocheuses… la Via Appia a largement sa place.

Il fallait bien choisir de revenir. L’infini était au bout du chemin. Nous sommes donc revenus, plus pauvres de n’avoir poursuivi, et plus riches… Pourtant, comme à Nazca, comme dans les chemins qui mènent à la félicité, tout droit, l’Appia perce toujours  indéfectiblement depuis ses dalles et ses pavés vers un paradis certain.

 

Revenus à Cecilia Metella, sous un ciel plus sombre, nous avons fait halte pour un verre, sous l’abri du petit bar du carrefour (Appia Antica Caffé) qui abritait une étonnante bibliothèque. Le vin des Abruzze et celui des Colli Senesi sentaient bon la fin du périple. La lassitude du corps contrastait avec la légèreté de l‘esprit. Nous avions touché de près la félicité. Le vin ne pouvait qu’être bon.

Nous remontons après le carrefour de Cecilia Metella, l’autre chemin à droite, sur ce qui est aussi la Via, vers le Nord de celle-ci. La voie s’est élargie, le rêve est mis dans la poche. L’église St Sébastien possède un beau plafond, aux couleurs presque naïve, avec un martyre percé d’une seule flèche. Les catacombes de je ne sais quel temps et de quel intérêt n’éveillent plus notre volonté de tracer l’esprit de la voie antique. Dans ma tête j’ai la vision  de « l‘Embarquement de Sainte Paule du Port d’Ostie», une marine, un paysage, et tout à la fois un Port d’Ostie  idéal , peint par Le Lorrain et  un Lorrain dans ses plus belles factures. Maintenant la circulation est devenue, dans cette partie de la Via, presque aussi dense que dans le centre historique. Nous prenons un bus qui nous égare, mais qui nous mène aux portes de Cinecitta. Du métro Colli Albani nous sortons à Barberini, au Nord de la Via del Tritone, où sur notre droite, apparaît, toute bordée de gros arbres, la fameuse Via Veneto dont parlait souvent Angela. Une avenue de classe et de caractère. Nous descendons depuis la Place des Tritons jusque dans le cœur historique, par des ruelles et nous traversons à nouveau, saturée de visiteurs, le Panthéon, et remontons jusqu’à Saint Louis de Français. La façade est quelconque, et si ce n’était que celle-ci faisait partie des deux églises pour lesquelles j’avais prévu d’accorder un intérêt plus soutenu, je ne l’aurai pas remarquée. Mais dès l’entrée, la lumière a quelque chose de triomphant. L’architecture y est proche, dans le défilement de ses travées latérales, d’une grande église romane. Les couleurs qui se dégagent nettement , dans une sorte de halo, sont l’or de ses dorures, et les stucs dans les parties supérieures donnent un bleu qui sied parfaitement à Saint Louis. Malgré ses dimensions, nous ressentons une impression d’intimité immédiate, d’autant que dans la travée de gauche, à hauteur du chœur, dans une petite chapelle, parfaitement éclairée, se trouve trois Caravage relatant la vie de Saint Matthieu :

St Matthieu inspiré par l’Ange

La Vocation de St Matthieu et le Martyre de St Matthieu. Les visiteurs sont silencieusement attentifs à ce drame violent de l’esprit que le peintre a donné en une extraordinaire lumière intérieure.

Un peu plus loin, dans une chapelle de la même travée, un portrait de St Louis, dans son habituel vêtement de velours bleu à lys doré, dans une attitude étonnamment vigoureuse et si rarement belliqueuse.

Nous arrivons à quelques dizaines de mètres de St Louis, débouchant à la Piazza Navona, cette fois, à la lumière bien déclinante de ce dernier soir à Rome. Les éclairages sur les bassins aux sculptures des divinités de la mer donnent une impression accrue de contorsions extatiques à celles-ci. Les reflets jaunes y accusent plus le drame que lors de notre première flânerie. La féerie des couleurs de la pierre, l’eau claire et saturée de ce vert que je n’ai rencontré que dans cette ville, des quelques musiques qui commencent à émerger des restaurants nous gagnent, pensant que demain ce sera fini. Il est temps de dîner, non pas sur la Place, mais dans le petit couloir, proche de cette chaude ambiance de Trastevere, au Sud de la Place, chez Cuccagna, chez Cocagne. Le vin du lazio est presque aussi bon qu’un vin de France. Nous traversons une dernière fois, la Place du Panthéon, où les extatiques promeneurs paraissant les mêmes que la veille, continuent leur méditations sur les marches de l’obélisque, et sans nous retourner, nous trouvons instinctivement dans le dédale éclairé des ruelles, le chemin qui nous mène sur le retour. Nous ne sommes donc pas allés, sur les traces de mon premier séjour romain, dans ce quartier de l’E.U.R où est le Palazzo del Civilità.

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(ce jeudi 29 septembre)

ROME P.S.

 

Mais j’ai retrouvé dans la boîte à chaussures qui sert de boîtes aux souvenirs, les vieilles photos de cet été 67, (Angela écrit au dos –9-17 Août 1967 , E.U.R )…le forum romain, où le cliché avec Maman montre bien que je ne suis pas plus intéressé que ça … La Via Appia avec une statue magnifique que nous n’avons pas retrouvé ! – Cécilia dit qu’elle a du être déplacée – c’est bien dans le raisonnement de Céci…) et puis la Place  St Pierre, les gardes Suisse, Maman, Angela et moi, la Piazza Navona où j’ai l’air de m’ennuyer comme on peut s’ennuyer à quinze ans dans la ville à remonter le temps, le pont de l’E.U.R., où je pensais que mes cheveux ne seraient jamais moins courts que sur ce coucher de soleil, avec les reflets des immeubles administratifs qui faisaient une lumière violente, la photo prise dans l’escalier qui mène à la piscine, ces noirs et blancs dans un léger flou, comme sont flous tous les souvenirs quand le temps leur demande de revenir à la mémoire, la blancheur des maisons vues depuis le balcon où nous étions logés et l’ordre tranquille des rues et des avenues environnantes. Le Colisée, mes grimaces d’impatience devant l’Arc de Constantin. Je crois qu’Angela nous avait mené pour des fruits de mer près de l’antique Ostia. Peut-être était-ce sur les hauteurs de Frascati. De vieilles photos…

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Ce long week-end, cette subite décision d’aller à Rome, l’année où elle disparaissait, est finalement comme un au revoir à Angela, ma marraine. Y a-t-il du hasard dans les faits ?

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Plus que le pourpre cardinalesque, les rouges (bordeaux) et les ors surmontés de la louve, dans la dynamique triomphante, rayonnent de fierté et de passion affichée, et peut-être ici plus qu’ailleurs, les couleurs de l’A.S. Roma, et ce, jusque dans les boutiques de bimbeloteries du Trastevere, sur les murs et les couloirs souvent désertés à certaines heures, dans les bouches du métro. Même vieille et craquelée, Rome m’a presque fait aimé sa vie souterraine.

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Dans « sublime », Kant voyait (Critique de la Faculté de Juger) un dépassement du beau pour entrer dans une inexplicable soumission aux forces de la nature qui dépassent le jugement subjectif sur la beauté, dans des déchaînements qui nous engloutissent (c’est d’ailleurs une des définitions de l’esprit Romantique qu’avait déjà pressenti Pascal), comme l’orage, les tremblements multiples de la nature, les forces cosmiques etc.… Devant du sublime nous nous inclinons. C’est l’idée même de cet abandon de notre raison, et dans cette perte que nous entrevoyons au-delà du beau, le sublime, que n’arrive à concevoir rationnellement le jugement. C’est une des clés possibles d’une approche de Dieu. Kant a défini dès le 18° siècle la clé du Romantisme.

« Sublimer », en psychanalyse, garde la même conception de cette acceptation de ce qui nous soumet en nous dépassant.

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24 septembre

 

L’écologie balbutie chez nos politiques autorisés. En Malaisie, il y a des « écouteurs de poissons », qui sans respirer quelque trois à quatre minutes, sentent les bancs de poissons qui se déplacent, jusqu’à retrouver les routes capricieuses ou habituelles et faire mouche sur les lieux de leur rencontre. Un bel exemple d’osmose des humains avec leur environnement, et qui chassent comme dans les temps les plus primitifs, respirant la peau même de la mer. Au risque de choquer, l’écologie est comme les épousailles entre le torero et le taureau dans le plus artistique des enchevêtrements de l’homme et de l’animal. Bien plus que les décrets administratifs de tous ceux qui ne quittent pas les bancs échoués des Assemblés. L’homme, la nature, le combat du « vieil homme et la mer ».

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25 septembre

 

Les Quatre Saisons, mille fois entendues, jamais si belles et si tranchantes… Namendja Radulovic, et un ensemble à lui. Il ne dirige pas ses musiciens, il les oblige à le regarder. Dans une transe communicante. On peut détester son look tendance, mais sur sa musicalité dans ce concerto, mille fois enregistré, rien à dire…

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26 septembre

 

Nous voyons bien aujourd’hui, sur des photos, que dans « L’angélus » de Millet, l’église en fond, a été beaucoup agrandie, pour faire résonner de plus près les cloches de la prière.

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28 septembre

 

Je n’ai jamais aimé la Poste. Nous mettons entre ses mains trop de notre destin, de ce que nous avons de plus précieux parfois. Nous lui offrons des pensées intimes, des objets qui vont voyager loin, des lettres et des communications que nous ne pouvons faire qu’à distance, et tout ceci entre trop de mains anonymes successives.

La carte postale envoyée au Sauveur depuis  la gare de Termini n’est jamais arrivée. Le facteur dit qu’en ces temps de déclaration d’impôts des priorités s’imposent…

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1 octobre

 

Le Prix de l’Arc de Triomphe, la plus grande réunion hippique de galop au monde, la plus élégante aussi, aux dires des amateurs, s’appelle aujourd’hui Quatar Grand Prix de l’Arc… même dans la tradition et le luxe, la France ne s’appartient plus. Quand vendra-t-on la Tour Eiffel, la lavande de Provence, les grandes orgues de Notre Dame ?

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 Le Qatar devrait acheter tous nos hommes politiques pour en faire des statues du désert.

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Près de Castellane, aux portes du Verdon, il est un petit joyau d’architecture romane sur le plateau menant vers Comps sur Artuby, la chapelle St Thyrse qui ressemblait , après restauration en 1980, à un gâteau rose et blanc et qui croule aujourd’hui, et se décolore, sans que l’on s’en inquiète, dans le froid de cette Provence si violente dans ses collines, et ses hauts plateaux de vents aigres. Misère.

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L’homme aux mitaines et au dos voûté n’aimait pas le concerto italien de Bach. Pourquoi ?

Brendel, bouleversant à la Tribune, est l’élu de cette confrontation dans ce même concerto.

Neville Marriner est mort ce 2 octobre. Je l’avais entendu pour la première fois dans les concertos 20 et 23 de Mozart avec ses célèbres St Martin in the Fields, et le même Brendel (un de mes premiers disques Mozart). Je crois être toujours resté fidèle à cette première approche du K. 466…

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3 octobre

 

Le sexe à la carte : la théorie du genre. Notre ministre de l’Education se défend contre les allégations papales d’une telle théorie dans les manuels scolaires français. Il y a pourtant, dans la continuité des victoires législatives relatives aux mariages homosexuels, une circulaire pour le moins cohérente d’un précédent ministre de l’Education (Vincent Peillon), recommandant, comme premier objectif de l’Education Nationale, la lutte contre l’homophobie (premier objectif !). La France est ainsi cohérente. Nature contre Culture. Dans cette théorie, il est dit que c’est la culture dominante de siècles obscurantistes (et aujourd’hui de droite rétrograde), qui a empêché la réalisation (quasi Rousseauiste) d’une Nature que nous n’avons encore su développée, et dans laquelle s’inscrirait le choix de notre genre.

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5 octobre

 

des racines …  Ce soir, c’est Bordeaux jusqu’au Canal du midi. Le miroir d’eau unique sur le Palais Gabriel et la fontaine aux trois Grâces, une infinie variation de reflets, de frémissements d’eau et de mouvances de ciels sur la surface, de jour comme de nuit quand les éclairages jouent avec les couleurs de la nuit. Nous n’avons pas eu droit à une visite de l’orgue de Dom Bedos à l’abbaye de Sainte Croix. C’est pourtant une des merveilles que possède la ville.

 L’estuaire de la Gironde présente 165 km de chemins de vignes et de cultures, de Pauilliac en entre-Deux-Mers, et j’ai noté près d’Agen, en surplomb de la Garonne, Auvillar, un des plus beaux villages de France. Puis Moissac, bien nettoyé depuis les années quatre vingt, devenue devant l’abbaye, une zone protégée, et je revois avec plaisir le cloître unique, le plus ancien historié. Regardant ces racines , je vois que chaque région de France est la plus belle région de France. Que l’ensemble est comme un bouquet dont on ne saurait dire quelle est la plus belle fleur.

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La poule noire de Caussade, semi sauvage serait celle de la poule au pot d’Henri IV.

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Toulouse, parcourue, dans son rose et mauve, ses tuiles et ses briques. Lorsque j’étais au Musée Chagall vers 1977/78, nous avions organisé la plus belles exposition médiévale que Nice ait pu réalisée sur le thème de la sculpture romane toulousaine. Des chapiteaux, des bas reliefs provenant du musée des Augustins et de la Daurade, et du cloître St Etienne, prêtés par Denis Millau, Conservateur des Augustins. C’est Pierre Provoyeur qui avait été l’instigateur de cet énorme échange entre les deux villes. Certaines sculptures pesaient plusieurs quintaux. Je découvrais, dans  l’une de ses formes les plus spirituelles, l’ampleur de cet art languedocien. La Danse de Salomé, le Roi David , la mort de St Jean Baptiste, œuvres de Gilabertus et du Maître de Cabestany (qu’on peut admirer aussi à St Guilhem le Désert), aux plis des drapés et à la sérénité hiératique qui ne sont pas sans rappeler les chef d’œuvres plus nordiques des portails de Chartres.

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Et puis, au cours de cette traversée de ce sud, une des merveilles vivantes , le Canal du Midi, qu’un simple administratif à la volonté inflexible, Pierre Paul Riquet, va génialement inventer, utilisant le débit des eaux de tous les cours descendant vers le lit du canal, et inventant l’écluse moderne, ce que Auguste même, Charlemagne, François I, n’avaient fait que rêver. Le canal permettait, et c’est en cela que les politiques successives de ces monarques entrevoyaient et encourageait le développement d’une route interne, une sorte de canal de Panama avant l’heure, en creusant une voie fluviale depuis l’estuaire de la Gironde, la Garonne, et rejoignant la Méditerranée, évitant la piraterie et la longueur d’un trajet passant par Gibraltar.

C’est donc au siècle de Louis XIV qu’on doit la création d’un des génies civils les plus importants des temps modernes.

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7 octobre

 

« Les Petits Meurtres d’Agatha Christie » n’ont pas la même séduction d’atmosphère et d’authenticité anglaise que j’ai tant aimé dans Poirot. Et puis Samulel Labarthe, bien que de la Comédie française, est toujours dans un jeu monocorde. Jamais souriant, sans nuance, il nous assène son impatience et son antipathie (feinte) pour sa collaboratrice (excellente Blandine Frenck) et pour l’archiviste, à longueur de récit, sans jamais changer de registre, là où David Suchet n’aurait jamais manifesté ses sentiments qu’avec d’infinies circonvolutions de sourires et de sous-entendus, comme on joue de la plus exquise des politesses. Les deux rôles féminins sont hystériquement sauvés par l’abattage de leur jeu.

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8 octobre

 

PETIT DIALOGUE PHONETIQUE d’un samedi matin.

 

L’anecdote n’aurait qu’un intérêt relatif si elle n’était strictement authentique.

 

(L’accueil de la Médiathèque Nucera : une employée de longue date. Je la connaît de vue depuis longtemps, ce que je rapporte est faux sur quelques virgules, quelques exclamations peut-être trop appuyées…)

 

« -Bonjour, je cherche les œuvres complètes de Julien Gracq en Pléiades (il n’y a pas d’autres éditions complètes des œuvres)

Julie qui ?

-Julien. (quelques instants de silence concentrés sur l’écran).

Julien comment ?

Gracq. G,r,a,c,q…

Grec

Non, Julien Gracq. (quelques instants de solitude devant l’écran)

Oui, ce n’est plus dans les rayonnages, ce sont des livres en réserve. On ne les demande plus souvent… (Elles part les chercher en réserve. L’attente me semble longue. De loin je la vois revenir, les mains vides).

Non, je n’ai pas trouvé Julien Gary en Pléiades

 !!! Mais c’est Gracq que je cherche ! Julien Gracq.

Ah !  C’est Grec !?

Oui, Julien Gracq. (Elle repart vers l’antre des ouvrages mystérieusement dérobés à la saisie des lecteurs, revient avec une collègue à l’air triomphant. Je remarque à certains détails qu’il s’agit bien de ce que j’avais demandé (même de loin, la tranche des pages oranges, le vert des auteurs du XX° siècle…). Je respire enfin.

Voilà Monsieur, Julien Grec.

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13 octobre

 

Les palais et les décors, l’opulence de ceux-ci dans les films, sont l’essence même de l’action qui s’y déroule. Depuis les grandioses scènes extérieures, mais qui n’en sont pas moins une enveloppe de la tragédie qui se déploie sur des terrains intérieurs, D.W. Griffith, dans Intolérance ou la Naissance d’une Nation, donne à imaginer le drame intérieur, jusqu’à reconstituer la conscience même et les sentiments des protagonistes. De même avec Ivan le Terrible, d’Eisenstein, mais aussi Alexandre Nevski où les palais et les interminables salles d’audience dans lesquels se déroulent les destins politiques, sont enveloppés de ce décorum à fresques qui est le prolongement de l’expression de l’âme humaine. Plus que dans d’autres films, j’ai été sensible, dans Sunset Boulevard, à la magie du Palais, ce palais de la ruine de Gloria Swanson, et plus elle s’enfonçait dans l’imaginaire de sa gloire passée, plus le Palais ruisselait de relief, de diadèmes, de soieries et de tentures, de mobiliers irréels, comme autant d’éclats qui dédoublaient la réalité présente, le naufrage de l’actrice étant , en contrepoint, inscrit dans la splendeur d’un décor jouant le rôle muet du reflet d’un passé qui fait contraste. Il n’est pas jusque dans Marie Octobre de Duvivier, que je n’avais revu depuis longtemps, où l’immense salle aux boiseries, aux torsades décoratives, à la vaste salle du château nécessaire au déroulement ouvert du drame, sonnant comme un fond indispensable au huis clos mélodramatique, qui ne sautent aux yeux comme l’enveloppe essentielle du drame.

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Bob Dylan Prix Nobel de Littérature… L’achèvement d’un parcours ( ?), où plus que la qualité proprement littéraire, dans le sens où on l’entend chez Proust ou Giono, il s’agirait ici d’un compromis entre l’éclosion des mots qu’on lui connaît depuis toujours à une certaine hauteur de vue, et la portée globale des mélodies qui leur sont indissociables. Dylan, sans la mise en scène musicale aurait une moindre résonance. Comment d’ailleurs, puisqu’il y aura des éditions des textes seuls, va-t-on lire Dylan sans le support indispensable de ce socle qui porte les paroles ? N’oublions pas qu’on a refusé à Trenet, du temps de Jack Lang, un fauteuil à l’Académie française et qu’on lui avait conseillé l’Académie des Arts et des Lettres…

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14 octobre

 

Robert Musil, L’Homme sans qualité. Je prends l’ouvrage au point où je l’avais laissé. Je ne sais plus ce qui précède depuis quatre ans qu’il m’avait échappé, mais je tombe sur une des qualités d’Arnheim, de sa noblesse héréditaire où se confine modestement sa noblesse d’esprit. Un aspect, à ce moment du récit, fait apparaître une distinction et une différence qui ne viendraient jamais dans la littérature française, chez Proust par exemple, cette notion même de Mystère du grand Tout, cette approche d’une réalité derrière un voile, de métaphysique, d’abstraction, et en cherchant un peu, derrière ce voile d’hermétisme, les clés d’un arsenal de brumes dans lesquelles un jeu de mystère, semblable à un conte oriental, comme une énigme à résoudre dans les dédales d’une action secrète à la Parsifal. Ce sont les dénominateurs communs à la littérature germanique de Thomas Mann, et à celle de Broch, aux philosophies allemandes en général qui n’échappent pas à la gangue des thèmes d’abstraction. Là où Proust propose au lecteur une réflexion sans lui fournir la clé thématique, le romancier allemand s’équipe de tout un cortège de poteaux indicateurs accompagnant le récit. On peut ainsi aimer Nietzsche et détester son pire livre, le Zarathoustra à la maniaquerie symboliste.

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DROME PROVENCALE   VAUCLUSE     

 

15 /17 octobre

 

C’est le troisième séjour, la troisième escapade de l’année, vers la Provence une fois de plus, qui se profile avec le Château de Rochegude que nous avait offert Hélène. De lourds brouillards de matin  pèsent sur St Maximin, qu’on a du mal à deviner le vaisseau de la basilique, et Ste Victoire dans une féerie brodée d’une polyphonie de grisaille perlée et ondulante. Puis le soleil est bientôt là dans un ciel serein, et nous longeons après Aix, les premières bordures du pays intérieur, des oliviers et de la terre grasse. Nous quittons progressivement les essences méditerranéennes du pin et du palmier pour le culte du platane, de l’eucalyptus  et du cyprès noir.

Nous quittons les grandes routes pour les départementales, et ce goût quasi charnel que je retrouve sur ces chemins de pays d’or, de vent et d’arbres, à chaque arrivée dans cette Provence haute, me saisit d’une impatience à donner un choix d’orientation vers un village plutôt qu’un autre. J’avais en tête de poursuivre en premier vers Buis-les-Baronnies, plus à l’Est, et déjà dans la Drôme, quand l’indication vers Vaison-la-Romaine m’apparut la plus sensée, étant plus au Sud, et encore dans le Vaucluse. C’est la ville la plus grande que nous traverserons, disons le plus grand village, la modestie des autres n’enlevant rien à la poésie et au charme que nous saurons leur trouver.

Venant de Rome, , il pourrait paraître fade de se glisser dans les méandres de ces campagnes habitées de simples beautés rurales, engoncées dans leur pays, mais le poids indéfinissable et la trace, comme saillante de quelque pierre ou quelque vestige d’un passé médiéval, font surgir au détour d’un paysage une densité d’émotion souvent comparable aux révélations des plus antiques et vénérables ruines romaines. Ce qui relève de l’évidence dans la Ville Eternelle, se dévoile graduellement ou subitement, à l’échelle d’une dimension de la sensibilité et d’une harmonie toute française, dans ces mosaïques de terroirs jamais si parfaitement perçues que par l’œil et le cœur averti des promeneurs patients de ces pays d’olives et de cyprès. La particularité de cet espace provençal du Sud de la Drôme est d’appartenir à la fois au domaine des anciens comtes de Provence, et d’être soudé au Nord du Vaucluse, à ce qui est déjà le Dauphiné. Cela nous a valu de voir très fréquemment le long des routes, des panneaux bleus aux lettrines dorées indiquant bienvenue en Drôme provençale, ou bienvenue dans le Vaucluse, en l’espace de quelques kilomètres, repassant successivement d’un département à l’autre, ouvrant ainsi des portes de campagne comme pourfendue par le morcellement très aigu du découpage administratif. Une anecdote que me rapportait Georges, à la fin de ce mois d’Août, décrit un éleveur d’abeilles payant tout à la fois sa taxe professionnelle dans le Vaucluse , mais aussi dans la Drôme, avec des normes d’exploitation n’étant pas les mêmes suivant que les abeilles se situaient dans l’un ou l’autre département. Il n’y a donc pas que le seul découpage labyrinthique des terres à se trouver ainsi si bien aiguisé.

L’arrivée à Vaison, se fait dans un halo de silence à l’heure de la pause méridienne. Les parkings sont nombreux et faciles d’accès, situés dans le périmètre des sites archéologiques. La rue principale de la vieille Vaison mène à l’Ouvèze, rivière torrentueuse qui fit tant de dégâts dans les années 90. Tout au bout, le pont romain a été reconstruit et probablement consolidé par ailleurs. La lumière saillante fait émerger, depuis la perspective offerte sur le pont, un axe donnant sur la cité médiévale, à flanc de colline, comme ayant eu une de ses deux moitiés écroulée par le temps, et deux bras de rues de maisons basses, de pierre blondes et calleuses. Partant de l’une d’entre elles, nous rejoignons la Place Monfort devenue piétonne depuis notre dernière visite dans les années 80. La fontaine au pied du platane géant coule en silence, l’espace s’ouvre sur une multitude de cafés et de brasseries criblés de soleil, et filtrés par les branches ocres et jaunes partageant le froid de l’ombre et la vigueur sèche de la lumière chaude.

C’est le moment de goûter le vin du Rhône.

Puis c’est la montée en pente douce vers la cité médiévale aux rues pavées qui déséquilibrent le marcheur. Les fameux volets bleus, disons d’azur, qui sont la marque riante de reconnaissance des maisons de Provence, sont d’un autre bleu à mesure qu’on se dirige vers la Drôme, et déjà, dès Vaison, nous voyons des nuances très marquées de ce bleu lavande, qui peut s’intensifier jusqu’à un mauve profond aux façades de certaines demeures, qu’on dirait un jeu de rivalité décorative entre les deux terres limitrophes.

Vaison possède deux cathédrales, ce qui est à peine un paradoxe, puisque depuis deux mille ans, l’Ouvèze sépare la cité ancienne de celle qui va devenir la nouvelle ville et la romaine. Les ruelles montantes, dans la chevelures des végétaux enserrant les pierres, nous mènent vers la ruine du château, hors de tout chemin balisé. De grosses veines de pierres dégageant vaguement un passage jusqu’au sommet venté d’où la vue sur la vallée se perd jusqu’à l’horizon. Ces ruelles labyrinthiques jouent de surprise, et de ce jeu, les perspectives des maisons, encadrées de capillarités de lierre, aujourd’hui rouges et ors, les encadrements de porte, les asymétries des façades, les arcs passant d’une maison à l’autre traversant les ruelles, et les renflements de pierres comme gorgées de leur propre opulence, blonde, brune ou rousse, les débouchés sur fond de jardinets désordonnés, rivalisent de poésie et du charme de cet enracinement apaisé du temps, aux détours de chaque placette et des quelques fontaines aux bouches sculptées de gargouilles murmurant sur la surface sans ride des bassins.

Un sentiment de quiétude coutumière semble ne jamais devoir se départir de ce silence séculaire au flanc de la vieille cité.

Enjambant L’Ouvèze, vers le site antique de Puymin, nous retrouvons Rome. Dans l’enceinte d’une cité antique et provinciale, de ce quartier grouillant autrefois, avec ses rues dallées, le périmètre des boutiques, le « Nymphée », château d’eau constitué de bassins aménagés, « le Sanctuaire des Portiques », monument public encadrant un grand jardin à colonnade et de riches maisons patriciennes et celle à l’Apollon Lauré avec triclinium, thermes privés et péristyle. De cette dynamique fonctionnelle ne reste , comme à Rome, qu’un paysage sublime qu’un peintre pourrait éterniser pour la beauté des équilibres classiques dans les formes et leur alternance avec l’environnement naturel, serein et domestiqué.

Nous accédons au Théâtre, au sommet d’un tertre à ciel ouvert, dont les colonnes en demi cercle rythment la perspective supérieure sur l’ensemble de la vallée avec une vue plongeante sur des gradins accueillants environ 6000 personnes. C’est le cadre actuel des fameuses « Chorégies ». Le bosquet, au dos du théâtre, est une oasis silencieuse d’arbres séculaires, avec son côté et in arcadia ego

Le site antique de la Villasse, comme celui de Puymin, plus émouvant, plus vaste aussi, plus grouillant de colonnades et de maisons privées, longeant le quartier des boutiques, moins aristocratique peut-être que Puymin, regorge de bustes et de parterres fleuris. La Maison du Dauphin montre le passage d’un monde semi rural à une véritable ville gallo-romaine. La Maison du Buste doit son nom a une magnifique statue de Domitien, préservée aujourd’hui au Musée attenant. Je ne me serais pas lassé d’en faire le tour. Dans ce même Musée, deux masques de Comédie et un ensemble de statues grandeurs nature achèvent le puzzle de cette ville dans la ville, qui a comme Rome, avec sa cité médiévale et ses sites antiques, une superposition de témoignages agrégés remontant le temps.

En contrepoint de la cité médiévale, et cette fois sur la rive des sites antiques, il nous fallut marcher, derrière le site de la Villasse, jusqu’à la seconde Cathédrale, plantée sur une vaste esplanade où aucun angle ne perturbe la perspective d’ensemble de l’édifice. La lumière est sur un plan plus inclinée à cette heure de la mi après-midi, et offre déjà des reflets jaunes. La nef dessine un vaisseau en plein cintre des plus classique, et par une petite porte, nous pénétrons dans le cloître carré et au chapiteaux imagés à intervalles réguliers. Sans être Moissac, ce petit espace de paix et de méditation, à la lumière d’or qui envahit maintenant les arcs coiffant les chapiteaux, nous offre une intimité de plénitude dans ce cœur enclos de pierres et d’oliviers.

Et sur la route de notre château drômois, à la sortie de Vaison, une chapelle isolée, Saint-Quenin, à la curieuse abside triangulaire, entourée de vignes d’or et de pourpre.

De plus en plus, dès la sortie de la ville, la lumière prend la tournure colorée de la vigne, entre les verts jaunissants et les rouges recroquevillés des feuilles. Nous sommes sur la route des Côtes du Rhône, l’enfilade des coteaux forme un océan automnal d’où émergent Buisson et ses maisons serrées autour du clocher à ferronnerie forgée et son cadran qui indique que le soir vient.

C’est l’entrée dans Rochegude (Roche rude, Roche aigue), à l’heure où les derniers rayons de soleil brûlent, depuis le parvis et la fontaine muette, les parties supérieures des tours massives. Nous traversons le long couloir vermillon, aux parures blanches, qui mène tout au fond, à la chambre. Feutrée et silencieuse, aux éclairages doux, au plafond démesurément haut, et aux bains de faïence.

Même brève, la visite des parties basses, en forme de U, sur le pourtour de la bâtisse, nous fait traverser les salons de musique, avec épinette et orgue positif, une immense salle de lecture, aux fauteuils de velours mauves et couleur de sable, au pied d’une cheminée où brûle un feu dense crépitant et continu qui pourrait recevoir des sangliers entiers ou de plus gros gibiers encore, des salles d’apparats et de boiseries sombres, propices à la lecture ou à de silencieuses méditations (on aurait, dans un salon, reçu un des Papes d’Avignon), et des couloirs sous verrières abritant des statues de seigneurs locaux de pied en cap, en pierre poreuse, les mains jointes et dans des postures d’humilité, des armures et des meurtrières donnant sur les jardins.

Nous dînons à Ste Cécile des Vignes, à quelques kilomètres, dans un Logis de France, en bordure d’une très belle avenue de platanes où les lierres descendant sur la terrasse du restaurant auraient invité à rester dehors si ce n’était la légère fraîcheur de la saison avancée.

La façade du château est maintenant baignée d’une pleine lune, si jaune, et comme débordant de son propre disque, qu’elle semble gorgée du soleil de la journée.

 

16 octobre

 

Le parc au matin, dans les tonalités grises d’un ciel improbable, moucheté de bouquets verts et jaunes au pied des grands chênes. Les pas feutrés sur les mousses, les feuilles d’automne, et aucun oiseau alentour. Une maison aux volets bleus ensevelie de toute part dans ses lianes de lierre se réveille lentement.

Et nous quittons Rochegude.

Nous longeons le Rhône, en l’apercevant parfois sur quelque balcon de collines, et remontons vers la Drôme du Dauphiné.

St Restitut. C’est le calme des dimanches matin. Quelques villageois à la croisée de certaines rues, montantes et descendantes, et sur la place principale, l’ église du XII° siècle, au portail très romain, avec fronton et colonnades encadrant l’entrée, un peu comme celui de la chapelle St Gabriel en bordure de Tarascon. Face à l’édifice, deux maisons jumelles dirait-on, aux volets bleus (encore de ce bleu d’azur du sud), encapuchonnées chacune d’un platane séculaire et toutes deux ensommeillées dans le doux tintement du filet d’eau de la fontaine. Et il est des moments de grâce inexplicables dans ces rencontres du végétal et des pierres de maison, des entrelacs du lierre et des fers forgés des balcons, sous la tonalité des bleus ou des jaunes, dans les perspectives des rues qui offrent de telles séductions.

Une villageoise nous indique un St Sépulcre octogonal ( ?) à la sortie du village, solitaire.

Plus au Nord, La Garde Adhémar d’où l’on peut presque apercevoir le Rhône. Les maisons ont été restaurées, la pierre paraît plus blonde qu’avant. Le village se présente sur une sorte de promontoire, et l’église du XII° s’expose à la vue, des kilomètres avant la montée vers le cœur du village. Le Val des Nymphes n’est pas loin. La lumière bleue et  froide est encore basse et n’éclaire que très peu les édifices. La Place Georges Perriod en forme circulaire, présente un boulingrin en son centre, et tout autour nous accueillent les volets mauves des bistrots et restaurants à l’heure du petit verre de rouge. Un havre de silence sous les saules pleureurs.

Une superbe Vierge romane en bois, dont les éclats de couleurs s’écaillent  avec le temps, d’une grande humilité, qui est souvent la caractéristique de l’art de ce temps, se niche au bas côté gauche de la grande église. Derrière le chevet, en contrebas, un petit portail auprès duquel un ensemble de carreaux en terre cuite décoré de fleurs, ouvre sur l’entrée d’un jardin botanique. Quelques marche plus bas, des ensembles délicats taillés à la française, comme des petits Villandry, avec des labyrinthes miniatures, des espèces de plantes rares, des tailles géométriques savantes, et ce qui ajoute au charme du lieu, ces jardinets suspendus donnent une vue plongeante toute vaporeuse dans la vallée du Rhône, créant l’illusion que ces assemblages végétaux tiennent en suspension sur un nuage éphémère.

 

Et loin dans la vallée, les larges silos de Pierrelatte fument de leurs paisibles réacteurs nucléaires.

 

Peu après midi, de loin, sur un mamelon en pente douce, avec à son sommet le clocher trapu, le village de Mirmande. Je l’avais découvert au printemps de l’année dernière, pour avoir été en 98, affilié au rang très prisé des « plus beaux villages de France ». Ces villages n’ont jamais démérité l’appellation qui leur est décernée, et c’est sûrement encore plus sensible pour Mirmande pour lequel nous avons fait ce détour dans la Drôme des collines.

Dès l’entrée où nous avons laissé le véhicule, les rues sont comme pavoisées de ces arches qui traversent en une butée leur pont de pierre d’une maison à une autre. Les cafés et les quelques hôtels sont évidemment massés au bas du village, celui-ci promettant d’être pentu, les terrasses accueillantes, et en ce dimanche, plus animées que d’autres jours.  Des jarres de fleurs encadrent les portes bleues ou les fenêtres jalousement voilées de rideaux de dentelles. Mirmande est un écrin de solitude habitée. Ce qui frappe au regard, c’est le contraste des sobriétés de ces maisons de pierres grises ou jaunes, finement proportionnées et franches dans leur appareil, probablement riches à l’intérieur, à demie ensevelies par une nature qu’on a laissé se développer à l’état de désordre d’avant la renaissance du lieu vers 1926. Ce qui en fait le charme ajouté, est justement cette coquetterie des végétaux s’exprimant en une sauvagerie à peine contenue par la volonté de ses habitants, comme une décision de laisser se développer une anarchie naturelle à laquelle on accordera toute confiance pour habiller d’une harmonie la plus parfaite l’accord entre la pierre et l’échevelé du végétal. Nul autre « plus beaux villages » ne semble avoir à ce point opté pour cette naturelle intrusion du hasard dans le développement de cette harmonie. Ruelles montantes, pavés coupants, traversant des enfilades de figuiers et de jardinets, le village est aussi connu pour avoir le plus bel ensemble tuilé conservé. Des grappes de lierres habillent les façades, les escaliers bifurquent en pentes sévères, semblant livrés à une improvisation de parcours que le curieux se devra d’expérimenter en suivant ses dédales, et au détour d’une rue, après avoir traversé des courbes et des enchaînements d’arbres et de portes jaunies et à l’abandon, attendant une quelconque résurrection d’espaces encore abandonnés, en décor de quelque théâtre idéal et imaginaire, le cimetière est atteint. Le clocher est en effet trapu, et les allées jonchées de pierres tombales poreuses, encadrées de cyprès. Nous sommes en pays de Provence, les harmonie de verts et de végétaux déjà rougis par la saison, se respirent dans la légère brise au sommet de la colline. Mirmande a une âme.

Redescendant par d’autres chemins de grappes de vignes, de portes en arches, nous rencontrons la grande bâtisse où vécut André Lhote, de 1926 à 1962, avec la plaque apposée, sur ce qui est aujourd’hui un hôtel discret et cossu, …« auquel nous devons la renaissance du village ».

 Haroun Tazzieff a été maire du village de 1979 à 1989.

Dans l’encadrement de ce qui constitue l’entrée délimitant réellement la montée vers les tortueuses surprises du village, sur l’un des murs, on peut encore admirer, à la porte Gautier, vestige du XV° siècle, une peinture médiévale dont je n’ai pas su déchiffrer l’énigme. Nous goûtons maintenant le vin du Rhône sur une terrasse avant le retour vers la vallée.

Nous saluons rapidement Valréas et sa belle Cathédrale, mais la torpeur du dimanche, venté ici, et grisâtre, tristissime, nous fait poursuivre. 

Nous entrons dans Nyons, au centre plus animé. Deux grandes belles places, dont l’une enceinte d’arcades, nous accueillent. Elles se prolongent par la rue principale qui mènent , comme à Vaison, au pont roman. Celui-ci a beaucoup souffert en 92, lors de la crue de l’Ouvèze. Aujourd’hui encore, on peut voir les marques sur les deux parties de l’arche. Et de l’autre rive, l’admirable perspective de la rivière, avec une partie du pont et la maison qui abritait le moulin à huile. Paraphrasant un homme historique, on pourrait s’exclamer : « Ici à Nyons, au pied du pont roman, se dressent d’anciens moulins à huiles ». La rivière laisse quelques bandes de plages de galet, et des forêts de roseaux marquent la limite des berges. La grande bâtisse qui abrite le moulin à huile nous accueille sur sa terrasse où nous goûtons le vin de pays et les fameuses olives de Nyons, la tanche, aromatisées aux herbes de Provence et à l’ail. Depuis cet endroit, il n’y a meilleure perspective, juste en dessous, pour admirer le pont sur sa butée d’un seul tenant, de 47 mètres. La rivière est toute en sinuosité, avec un débit nerveux, malgré la marge importante qui la sépare des deux berges. Encore un verre de Vinsobres sur l’une des deux places principales enceintes d’arcades et de vieux commerces à l’abandon, comme une librairie qui dut connaître , il y a longtemps son heure de gloire, et un commerce de confections pour dames et pour fillettes qu’on devine aux traces de lettrines sur la partie supérieure du même édifice. Des enfants jouent au ballon, ce qui est aujourd’hui rarissime dans nos villes, et cette grande enceinte dégage un côté très italien dans sa conception, ne serait-ce que pour ses arcades, son animation de fin de journée, et la succession rapprochée des deux places. L’hôtel Colombet, historique, (puisqu’il affiche tout un assortiment de photos anciennes, et quantité d’objets ayant appartenus aux premières générations d’hôteliers), présente une magnifique terrasse arborée, qu’on croirait que les branches pourraient, à certains endroits, enserrer ceux qui s’y reposent. Nous logerons, malgré le charme de cet hôtel, aux « Oliviers », coquette maison blanche et verte, aux jardinets japonais, adaptés à une sensibilité toute provençale, par les objets et les matériaux choisis pour les décors. (Le patron a séjourné trois années en cuisine au Japon, et tout rappelle ici la méticulosité et la miniaturisation des choses).

 

17 octobre

 

Les volets s’ouvrent sur la pluie. Froide, sans une seule trouée d’espoir. Les flaques d’eau crépitent sur la terrasse, derrière le petit salon à l’heure du café. Nous mettons les Kway pour la visite du moulin à huile. C’est un petit Musée, très bien conçu dans les cavités creusées dans la pierre aux couloirs voûtés, avec un pressoir entier de 1780, prêt à fonctionner, qui apparaît. Dans des vitrines, diverses lampes à huile, certaines venant d’Orient, toutes sortes d’ustensiles et des meules de plusieurs tonnes. Lors de la crue dramatique de 92, des meules de cette dimension ont été emportées par le courant et enfouies à jamais dans les sables.

Et nous quittons Nyons. Le lit de la rivière qui laissait hier des galets à découvert, et les berges dégagées, était complètement rempli, avec un débit furieux à la limite des forêts de roseaux.

Par le col d’Ey nous rejoignons Sainte Jalle, et il pleut suffisamment pour que les gris de la pierre de l’église donnent l’illusion de plus encore de noirceur volcanique. C’est un édifice trapu de l’extérieur. Mais d’une sobriété presque élégante à l’intérieur. Le portail sculpté laisse pénétrer dans un vaisseau simple mais de proportion parfaite. Sans décoration et superflu, c’est une vraie romane provençale. J’avais pensé, autour de cette escapade vers Rochegude, aller revoir ce village qui vit la naissance de mon grand-père Paul Deydier. Je ne sais rien du temps qu’il a pu vivre ici. C’est sur le livret de famille jauni de mes parents que j’ai appris qu’il était né là. A-t-il été baptisé sur ce baptistère tout près de l’entrée ? A-t-il passé une partie de son enfance dans ce tout petit coin de la Drôme avant les grands espaces de la ferme d’Aïn-el-Aouda ? Ce n’est qu’un infime moment d’une vie commencée ici, mais cette église est comme le témoignage d’un passage éphémère, alors que celle-ci était déjà là depuis des siècles et qu’elle a continué bien après que ce grand-père eut disparu. Elle est comme le reflet d’un visage abstrait qui aurait contenu en elle tous les passages de l’enfance de cet aïeul dont on ne saura jamais plus rien. Nous ne rencontrons âme qui vive, et on pourrait croire que ce petit pèlerinage intime a été organisé spécialement pour nous. A la sortie opposée du village, une route rectiligne est bordée de magnifiques platanes aux branches formant de larges coudées mouillées, qu’on croirait des griffures sur toute la perspective de la ligne droite. Nous n’avons pas vu les nombreuses calades et autres passages secrets à l’intérieur du village qui méritait un peu plus de soleil.

Buis-les-Baronnies paraît bien grande en comparaison. La Place des Arcades est le lieu féerique et le cœur de la ville le jour de marché. Aujourd’hui nous sommes seuls sous les exceptionnelles arcades du XV° siècle. On dirait, dans l’enfilade et le rythme de chacune d’elles, la carène d’un vaisseau qu’on aurait retourné. Les maisons sont colorées, bleus de Provence, jaunes et rouges. Une fontaine au milieu de la place sépare les deux rangées d’arcades de chaque côté de la rue, qui prend un relief et une note d’élégance presque inévitable. L’hôtel, qui est une curiosité en soi, qu’on s’y laisse progressivement happé jusqu’au premier étage, est décoré de même, de papiers peints dans les tonalités chaudes de rouge et de jaune, avec des reproductions de Archimboldo et de peintures du XVIII° siècle. Nous déjeunons au « Bistrot des Cigales » avec le dernier vin du Rhône, et passons devant le Collège Barbusse, ce qui laisse supposer qu’il vécut ici, comme Barjavel à Nyons, face à notre « Hôtel des Oliviers ».

Un timide soleil nous accompagne sur la route de Châteauneuf du Pape, élégant dans sa pierre jaune et sa montée majestueuse vers les ruines d’un édifice qui garde encore aristocratiquement ce sentiment de n’avoir pas déchu, d’une grandeur et de la beauté  d’un passé  encore mystérieusement ancrés au sommet de sa colline.

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24 octobre

 

La symétrie d’une vie pliée en deux (qui précède la conscience de la fin de celle-ci) : Rome 67, Rome 2016. Paris 69, Paris 2016. Nice 2016, peut-être Rabat bientôt…

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J’inaugure une nouvelle rubrique au rayon du journal poétique : JE MEURS (10). (il y aura, en forme de compte à rebours, un Je meurs 9, Je Meurs 8 ,etc.) . Ce qui fébrilise, c’est le bon tempo à prendre. Mourir juste à je meurs 1… parfait. A zéro, c’est déjà le cimetière, la bavure.

ILLUSOIRE : si je ne respecte pas les échéances, c’est que je ne suis pas mortel.

Cette rubrique est-elle si naïve ?

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En 1990, la première réaction de certains, après la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’URSS, a été « Mon Dieu ! c’est le retour des Romanov ! »

On aurait rétorqué :

« Mon Dieu ! soixante quinze ans de bonheur éventé ! »

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Comment choisit-on un chef d’orchestre, un chef de grande phalange en France ? Daniele Gatti a été engagé, pour s’en aller après cinq années passées auprès de l’Orchestre National. Sans rien connaître du répertoire français ou presque. Découvrant la Fantastique de Berlioz, il aurait murmuré : « C’est une musique pas mal du tout ». Parle-t-on si légèrement de Brahms à la Philharmonie de Berlin ?

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27 octobre

 

Katy est toujours là, comme le ciel de cet automne, en alternance de bleu et de gris, de disputes chez Sauveur, à m’attendre aussi au passage de huit heures devant Lenval…

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29 octobre

 

Beaucoup de photos de Mirmande et de ce séjour dans la Drôme. En revoyant certaines, modifiées dans le chromatisme, j’ai l’impression (c’est flatteur) d’avoir touché quelque chose des procédés d’images de Kurosawa dans Dodeskaden ou dans Rêves.

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31 octobre

 

En revoyant ces photos de Rome, presque oubliées dans le carton au souvenir, c’est toute la distance d’une existence qui se lit sur mon visage d’aujourd’hui, qui prenait racine dans ces vieux noirs et blancs, légèrement flous d’une Rome de mes quinze ans, également floue dans ma réminiscence.

Ce séjour de septembre dernier n’en prendra que plus de force dans ma mémoire, tant il paraît charnellement lié à celui, parallèlement tracé sur un visage que je reconnais à peine être celui de ce dernier été d’adolescence passée avec maman, dans une ville où j’ai vainement cherché les lieux traversés alors, qui ont le même flou de trait que je leur avais prêtés.

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Début novembre

 

J’ai retrouvé la rue Taillandier de Rabat, blanche, merveilleusement éclairée par un soleil d’après-midi, le soleil du matin étant tellement éclatant qu’il fallait fermer légèrement les paupières sur la fureur des façades, le portail en fer forgé au numéro 6 entrouvert, rongé de rouille et fidèle sur la pénombre ouverte du petit vestibule menant aux escaliers en mosaïques, cinquante années après que nous l’ayons refermé derrière nous.

(Dans les carrés supérieurs de la porte, on peut lire, dans les entrelacs en fer, les deux B de la signature des architectes Boyer et Balois qui signèrent dans ces années 20 de nombreuses réalisations Art Déco à Rabat. Dans cette rue Taillandier les immeubles dataient avec certitude de ces années-là, puisque l’association des deux architectes cessa vers la fin de cette décade). Un autre architecte me revient en mémoire , pour en avoir souvent entendu le nom dans la librairie d’Angela, le fameux Albert Planque à qui elle avait commandé pour mes cinq ans ce petit bureau bleu, épuré de ligne, étincelant dans sa matière lisse et ses pieds en acier mat, que j’ai gardé au travers de mes déménagements successifs  jusque dans les années 80. Lorsque je m’en suis séparé, il était devenu de plus en plus indémodable.

C’est par la grâce d’une recherche d’images sur Rabat, et sans l’avoir directement voulu, qu’apparut une série de clichés de cette petite rue oubliée pour beaucoup, mais parallèle à la vaste Avenue Mohamed V. C’est le lien architectural de ma dernière habitation au pays de ma naissance, et sur quelques unes de ces photos, on peut voir la fenêtre   qui donnait sur le salon et celle au petit balcon donnant sur la chambre de mes parents. Ce qui m’a ému le plus en rouvrant ce couloir aux souvenirs, ce sont les rideaux épais aux fenêtres qui manifestent que depuis qu’on l’a quitté, l’appartement continue de décliner son temps de secret d’une vie toujours présente, que j’ai vainement tenter de traverser du regard.

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4 novembre

 

Ma rhinopharyngite dure depuis plusieurs semaines. Je ne retrouve pas l’usage de ma voix et me sens assez affaibli. Avec Katy nous nous retrouvons dans ce petit bistro du Boulevard Carlone, l’ancien « Chez Denis », déserté depuis ce temps où j’en avais fait mon QG avec Jaffar et ceux qui fréquentaient le quartier de Magnan. L’automne tombe sur nous avec la nuit qui descend vite. Je la raccompagne après un verre au Pub Carlone qui ne désemplit pas d’étudiants.

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MOISE : tout est Loi

JESUS : tout est Amour

MARX : tout est argent

ROCKFELLER : tout est à vendre

FREUD : tout est tête à queue

EINSTEIN : tout est relatif

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8 novembre

 

La poésie nouvelle depuis les débuts du XX° siècle ne cherche pas à véhiculer une narration à sens univoque, mais bien à intégrer un agrégat de paroles qui, au carrefour de toute compréhension, opère une avenue nouvelle dans le paysage des mots, de la syntaxe et des relations entre toutes les composantes de la phrase, donnant un sens transcendant à l’usage habituel de ceux-ci. De l’alchimie issue de la complexion de ces éléments peut naître le miracle d’une réalité ou d’une idéalité que chacun se réapproprie suivant sa sensibilité.

Qui ne comprendrait le jaillissement d’une nouvelle appréhension du réel dans cette proposition poétique : « j’aimais la neige de tes solitudes, ton souffle de nuage sur ma nuque » ?

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10 novembre

 

Un artiste du Nord a réalisé un détournement réussi d’un bunker de 1940, en le recouvrant de milliers d’éclats de miroirs. C’est une véritable œuvre d’art échouée sur la plage de sable de Dunkerque (Leffrinckoucke). Suivant la luminosité du jour, le bunker miroitant prend des tournures chaudes et solaires ou froides et bleuies, léché par les vagues mourantes au pied de ce vaisseau insolite. 

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Gloria Mansions 125, rue de France, Nice. Une merveille architecturale se cache derrière un immense vaisseau art déco, nouvellement ravalé. L’immeuble de face présente, comme souvent à Nice, une sobriété presque sévère, et une épure de lignes qui font qu’on ne le remarque pas, surtout dans cette partie de la rue qui n’est pas la plus riante. Une fois franchi l’imposant portail, il faut pénétrer dans la cour intérieure et sur la droite , l’entrée ornée et massive ouvre sur la merveille qu’on ne soupçonnait pas avant d’avoir atteint le hall, large et immensément élevé, éclairé par une vaste verrière colorée représentant un paysage de rivage méditerranéen, qui invite à se hisser aux premières marches où deux rangs d’escaliers se séparent à droite et à gauche. D’immenses piliers cylindriques de pierre vert amande épousent sur le jaune des murs, la montée et les courbes de même pierre des rampes et des balcons à chaque étage. Du dernier étage, nous penchant vers le vide concentrique, un sentiment de spirale infinie nous saisit, où aucune ligne rigide ne brise l’harmonie des couleurs et la fluidité des courbes des deux élévations d’escaliers. On croirait qu’un tel mouvement, presque sensuel, féminin, a été conçu pour accompagner la descente des marches d’une étoile du cinéma d’avant guerre, déhanchée, féline, la robe en fuseau, et accompagnant nonchalamment la descente vers le hall imposant. Deux très belles verrières éclairent aussi le troisième étage sur fond jaune et aux murs rythmés de piliers de temple égyptien. Enfin, une irréelle lumière douce et flexible nous attend sous la coupole de verre, au sommet de l’édifice. Vaisseau solitaire qui n’a, à ma connaissance, pas d’équivalent, bien qu’on ait vers la Place Franklin une escalier de même type, mais la monumentalité de celui-ci est réellement la plus spectaculaire architecture dissimulée au regard, que ne possèdent pas même le Negresco ou le Palais de la Méditerranée.

Je n’aurais rencontré aucune personne le temps de ma visite, que je m’en suis senti le cœur battant, comme dérobant un secret.

A l’avenir, lorsque je voudrais surprendre une personne croyant bien connaître la ville, c’est là que je la mènerais.

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PARIS

 

12 /15 novembre

 

Enfin ! depuis tant d’années encore … ! Bernard et moi avons placé notre première rencontre à Paris sous l’angle de Dieu et de la mort. Entre nous c’est souvent ainsi par gageure, par défi, et pour une large proportion, par cet humour dévastateur qui ne le quitte jamais.

Je viens à Paris à la demande des éditions Harmattan qui organisent tous les seconds lundi du mois une réunion pour les nouveaux auteurs.

Je vais revoir des lieux universels que je n’ai plus vus ou jamais vus auparavant. Ma dernière visite, en janvier 79, concernait une recherche d’emploi auprès d’un Conservateur du Louvre qui m’avait conseillé tout simplement de passer le concours relatif à la fonction de Conservateur. Je venais de passer mes deux dernières années au Musée Chagall du temps de Pierre Provoyeur qui en avait été le premier grand responsable. Logé chez Robert Sarrut, pour deux jours peut-être, au cœur d’Athis-Mons, qui n’est ni Paris, ni même une terre conçue pour les humains, dans ces banlieues de solitude où sont repoussées les fourmilières laborieuses, les petits hommes gris qui ne voient pas encore le soleil quand ils s’en vont le matin, et qui rentrent sans voir la nuit arriver, la tête appuyée contre la vitre d’un moyen de transport où le sommeil et le harassement de la journée les auront saisis. Ce sont ceux qui, quand on les interroge, disent qu’ils habitent Paris.

J’arrive par un vol Easyjet en début d’après-midi. Bernard me mène à Ville d’Avray sur son énorme moto quand il commence doucement à bruiner sur le parcours. La pluie, puis la grisaille ne quitteront pas les jours que j’aurais à passer ici.

La pluie, la pluie douce, froide et permanente.

En tournant autour de l’Opéra, la première impression est cette hauteur vertigineuse de l’édifice que je n’avais jamais ressentie pareillement, par exemple, à Vienne. Et toutes les architectures qui suivront, comme le corps principal du Louvre et ses impressionnants massifs d’angle, et tant d’autres monuments érigés, parlant de grandeurs royales et impériales mêlées. Le Paris qui émerge encore aujourd’hui est dans ce défi de l’élégance qui transparaît dans la moindre harmonie des courbes et la majesté qui ne laisse répliquer à tant d’autorité, qu’elle semble s’imposer même aux plus récalcitrants des fastes et grandeurs des siècles qui firent la chair même de Paris, portant le sceau des volontés royales au cours des siècles, complétées par celles, plus tardives et définitives, des alternances monarchiques et impériales.

La Capitale Républicaine s’est fondue dans celles qui l’ont précédée, plus qu’elle ne s’y est opposée.

L’urbanisation de la ville, au travers des trouées formant les axes de communication de l’ère Haussmann, porte plus encore la marque nouvelle des grandeurs de l’Ancien Régime, symbolisée par la largeur des avenues, dont par ailleurs les Champs-Elysées sont comme l’hypertrophie d’une capitale qui ne peut se développer que dans l’expression de magnificences de son propre héritage. Même la République Mitterrandienne, dernière période visant à laisser une marque architecturale à la mesure du nouvel hôte souverain, s’est glissée dans de somptueuses réalisations dépassant l’échelle de la République. Bien plus, au monarque s’est ajouté le Pharaon dans la Pyramide du Louvre. Au cœur même de la Capitale, s’est posé comme un sceau ou plus encore, un poinçon de diamant signifiant la griffure vers le ciel tout autant que l’éternité du tombeau dans le cœur géographique et vivant au centre et au ventre grouillant de la ville. De même l’Arche de la Défense se lit d’Est en Ouest comme nouvelle arche d’alliance, rappel d’une promesse qui lie le futur de la ville à la course d’un soleil souverain.

Rome est une ville qui fait émerger la mémoire des siècles, en un chaos harmonieux de fruits hétéroclites, baroques et de sédiments antiques. Paris ne peut se lire d’emblée dans ses multiples strates historiques parce que tout y est comme surgi depuis la naissance des quais de l’attente, des courbes et des harmonies fougueuses du romantisme le plus vibrant, ce qui en fait une ville se renouvelant sans cesse, comme s’inventant dans la foudre de ses tumultes. Si Rome s’inscrit dans la pierre d’un livre ouvert sur le socle de ses siècles, Paris féconde, à l’image de ses pluies, les ruelles pavées et les escaliers tortueux qui disent l’espérance dans le rituel du quotidien, les amours, et comme surgissant, les révoltes à venir.

Nos pas nous mènent rue de la Paix. Feutrée et saisie dans l’humidité d’une après-midi qui fait déjà allure de début de nuit, bleutée et striée de faisceaux de phares. La Place Vendôme débouche comme pour confirmer, dans la nudité de sa perfection carrée, la tonalité du jour, bleue de saphir…

Le jardin des Tuileries est traversé près de l’îlot éclairé du manège pour enfants qui aujourd’hui tourne à vide ; les arbres dépouillés découvrent l’espace déserté qui s’habille dès le printemps de son couvercle de feuilles, et au bout d’une allée, c’est le Louvre et le phare lumineux de la Pyramide sur l’immense esplanade. Les masses sombres et démesurément élevées dans leur pierre noire et austère semblent enserrer le tétraèdre de verre et de métal comme un vaisseau spatial posé au centre de la cour du musée. C’est un peu le cœur de Paris en un raccourci cinglant . La pyramide révèle, par la continuité du verre et du métal, la contemporanéité inventive que vient prendre, comme en l’encerclant, l’accumulation des strates de civilisations successives de galeries, de plafonds et des couloirs d’œuvres d’art du Louvre témoignant d’un rappel sans cesse renouvelé, des accumulations créatrices de la Capitale comme centre du monde.

Nous quittons la légende des siècles accumulés pour l’intimité pavée des quais de Seine, vers le Pont Neuf.

Je comprends mieux maintenant ce qu’on nomme Paris, Ville Lumière. Il y a, comme dans les chansons, la ville phare, celle qui éclaire de ses révolutions, de ce pouvoir qui est donné à peu, d’éclairer l’avenir et la pensée des peuples aux travers de ses grands hommes qui innervent de volonté un destin et celui des autres peuples qui s’y laissent guider. Mais ce soir, c’est depuis ce Pont Neuf, les quais humides de la Seine, ses gros pavés luisants dans l’éclairage des réverbères, à l’heure de la nuit naissante, que la lumière de ce paysage urbain, révèle une magie propre à cette ville, comme il devient évident que l’on reconnaît un paysage ou un être connu à la qualité de sa végétation et la densité de ses nuages ou à la vestimentation habituelle dès le premier regard. Paris est une fête, disait Hemingway. Il faisait certainement plus allusion à l’aspect lampion qu’au désordonné qui caractérise si souvent les mœurs et la légèreté de la nuit parisienne. J’ai eu l’impression devant ce pont de lumière sculptée, ces pavés, puis plus loin la coupole de l’Académie française et les berges où les bistros commencent à vivre de la palpitation de la nuit , qu’une féerie de couleurs détrempées à dominante bleue et liquide se fondait dans les halos jaunes des multiples sources de luminosité qui donnaient à tous ces espaces que nous parcourions, la vraie signature du manteau nocturne de la ville.

Même le petit bistro St Augustin, tout près du cœur tumultueux du Quartier Latin, portait ce sfumato de coloris boisé teinté d’un voile  qui laissait même les sons environnants des tablées voisines dans un amorti d’imprécision. C’est un Paris mouillé et impressionniste qui défile sous la fontaine St Michel et sur la Place St André des Arts. Les chaussures sont crottées de feuilles jaunies qu’elles semblent plus lourdes sur la chaussée. Bernard nous mène vers Notre-Dame. Elle respire et porte en elle toute l’élégance massive, si l’on peut dire, du poids d’avoir été trop admirée, d’être cette image unique portant toutes les autres images de Paris avant la naissance, maintenant à part égale de reconnaissance, de la Tour Eiffel.

Le Paris de la République et le Paris des siècles monastiques et monarchiques.

En guise de musique de chambre, après tant de monumentales symphonies architecturales, au  tournant d’une rue à cheval entre le cinquième et le sixième arrondissement, nous débouchons sur une tourelle d’angle Renaissance, comme un vestige de François I, et le petit restaurant du même nom.

 

13 novembre – dimanche

 

En contrepoint des lumières et de la poésie inhérente à chaque harmonie de rue ou de paysage, même les noms à Paris ont une volonté de marquer d’harmonie et d’un rien de démarqué qui n’existe qu’ici. En m’endormant je voyais défiler tant de plaques bleues aux noms à la fois hermétiques, comme de court poèmes de rue, et frappés du mystère d’une origine, souvent médiévale, dont le sens premier nous échappe.

Rue des quatre Fils, Rue Vieille du Temple, Rue Grégoire de Tours, Rue de l’Estrapade, Rue de la Bûcherie, Impasse des Boeufs ou Cul de Sac des Bœufs, Rue du Chevalier de Saint Georges (au 14 se trouvait l’Hôtel Richepanse près de la Madeleine, où ma grand-mère –Nonina- avait séjourné dans les années 50 !…), Rue de l’Arbalète, Rue des Petits Carreaux, Rue des Fossez Saint Jacques, Rue Sainte Croix de la Bretonnerie, Rue du Cerf Couronné, Cul de Sac du Paon, Rue des Poissonnières, Rue de la Verge d’Or, Rue du Mal de la Mule, Rue Gît-le Cœur, Rue du Chat qui Pêche, Rue Croix des Petits Champs, Rue de la Queue de Vache, Rue Brisemiche, Rue du Cul de Putois, Rue Eugène Poubelle, Rue Basfroi, Rue des Coupes-Gorges…

(Nous sommes loin de l’angle de la 5° et celui de la 247…)

Déjà, le train de banlieue, les stations de métro défilent, et les noms évocateurs de lieux improbables, Bécon-les-Bruyères, (comme dans un film d’Audiard), Asnières etc. jusqu’à la gare Saint Lazare, où ne manquent que les fumées de locomotive pour se croire dans un tableau de Monet.

Montmartre, les vieilles rues. La ville se rétrécit et perd de sa monumentalité creusant dans son passé comme pour s’humaniser, et justement, la première curiosité du matin est le « Mur des je t’aime », fait de carreaux de faïences bleues, où tous les je t’aime du monde se trouvent inscrits à la main comme un prélude à cette percée vers les hauteurs du vieux Montmartre.

Pour atteindre le sommet de la Butte (il ne s’agit pas ici de colline), nous grimpons par l’un des multiples accès d’escaliers (rue Foyatier) qui sont comme la marque de cet îlot de presque ciel qu’est le vieux Paris. Ces longs boyaux grimpants, aux pavés gras de ce jour mouillé, rythmés de réverbères élégants, qu’on irait presque s’y pendre, tant on ne peut s’empêcher d’y retrouver les clichés inévitables et nocturnes de Brassaï ou du Kertèsz de Mon Paris. Parallèlement aux escaliers, le funiculaire, proposant le même accès au sommet, paraît un moyen de transport en commun affreusement dépourvu de la moindre poésie.

Par la petite place nouvellement baptisée Amélie Poullain, depuis  le Sacré Cœur, la ville est offerte, et chacun y retrouve un peu du plan de Paris, vu en perspective cavalière, aujourd’hui noyée dans un flou impressionniste. Je surprend le nom de la rue Steinkerke au bas de notre petite ascension, ce qui me renvoie à d’anciens souvenirs d’une certaine sonate de François Couperin.

La rue Cortot, vieille rue emblématique de l’Ancien Montmartre, appelée rue Saint Jean depuis le XVII°, porte aujourd’hui, non pas comme je l’ai longtemps cru, le nom d’Alfred Cortot (ce qui l’aurait immortalisé vraiment tôt dans sa carrière), mais d’un sculpteur du XIX° siècle, Prix de Rome en son temps. De vieilles cartes postales d’un temps où la Butte était un village silencieux, attestent d’une activité artisanale disparue, et j’ai encore le souvenir, probablement de mon premier passage en 69, d’une blancheur des murs et de la souple sinuosité des ruelles adjacentes, lesquelles semblent toutes mener vers le Tertre. Aujourd’hui la rue est inondée de lierre sur la plupart des façades et la grisaille tranche avec le souvenir de ce que j’en ai gardé de blancheur. La Place est toujours colorée et grouillante, animée par la concentration de son lot de rapins, de ses bistros criards, de ses terrasses à peine désertées et de toute cette effervescence qui, comme à Rome, caractérise les très hauts lieux de la curiosité obligée.

 A proximité d’une petite école, et comme pour inviter à l’imaginaire,

un étonnant mur qu’a illustré Jean Marais pour le Passe muraille de Marcel Aymé, dont la tête, une jambe et une partie du torse sculptées de bronze semblent traverser le mur et se projeter vers nous..

Quelques rues plus bas, un moulin de bois en surplomb d’un café, se prétend Moulin de la Galette, et à la croisée , la Rue Lepic, en pente pavée. Bernard voudrait qu’on prenne un verre au Virage Lepic, ce qui permettrait de replonger dans des souvenirs de Stef, mais l’endroit étant fermé ce dimanche, nous prenons notre rouge un peu plus loin, un vin de Sicile. Ce qui nous conduit à nouveau à nous interroger sur la mort, la notre, celle de Stef, et du déraisonnable de boire un vin de Sicile en pleine rue Lepic…

La Place Furstenberg, d’une certaine manière, est comme l’antithèse de celle du Tertre, de par la conformation discrète et féminine d’une élégance  parisienne dans son essence, et de par ses dimensions enserrées de près par le demi cercle des immeubles. En fait, elle est une illusion de Place, tant la minceur de son centre, très proportionné à l’ensemble, aurait pu être parcourue sans contournement aucun par un segment de rue raccordant directement  la rue suivante. Ce sont les arbres alanguis qui donnent ce petit miracle de romantisme. Il paraît impossible, surtout la nuit venant, de trouver périmètre parlant plus justement que celui-ci le langage de l’amour, qu’on imagine sans peine des confidences proférées à l’heure où les premiers réverbères projettent leurs halos d’intimité.

Après la Place Blanche et le Montmartre populaire d’en bas, le quartier foisonnant des ouvriers et des petits commerces, plus désordonné que celui de la Butte, nous retrouvons les quais, traversant des jardins extrêmement ordonnés et jalonnés de sculptures, jusqu’au Jardin des Plantes.

Débouchant sur Saint Germain, le boulevard me semble démesurément large, tant l’histoire intellectuelle de l’après-guerre est marquée par l’existence feutrée des caveaux de jazz et de rock and roll, de l’intimité feinte des intérieurs des Café de Fore et des Deux Magots où l’Etre et le Néant a dû être conçu, du moins pour la légende, et qui demeurent au travers des noirs et blancs de l’époque, à l’ombre de l’église la plus ancienne de Paris.

Fuyant le sentiment d’ennui dominical du grand boulevard, nous nous engouffrons dans la bonbonnière de la Brasserie Lipp.

A défaut de parcourir indéfiniment les berges de la Seine, que j’aurais pu inlassablement longer, c’est maintenant le Canal Saint Martin, rectiligne sous les marronniers jaunes et rouges, et près d’une écluse, l’Hôtel du Nord. Celui qui n’a jamais existé, comme la légende de                                                                      Sartre et Simone de Beauvoir, il a été dans le seul imaginaire de millions de visiteurs, réellement vécu de sa façade indispensable, et non pas seulement dans des décors de studio de cinéma. On y entend encore, si l’on est attentif, entre l’écluse du canal et la façade de l’hôtel, l’écho de la tirade gouailleuse d’Arletty…Le Café sous l’enseigne de l’hôtel porte le même nom, et en cette fin d’après-midi, l’on peut voir des groupes se former avec des enfants portant des lanternes éclairées, prêts à partir vers la Place de la République en commémoration de l’An I de l’attentat du 13 Novembre. La nuit est maintenant tombée.

Après le Mur des Je t’aime, dans les toilettes de chez Bernard, il y a de quoi méditer. Une magnifique affiche d’un bleu profond décline toutes les définitions à peu près creusées que l’humanité a écrites sur la définition de Dieu. C’est la scène XXXV de la « Chair de l’Homme » de Valère Novarina. Et ça prend tout un pan de mur… Nos échanges sur la mort vont bon train.

 

14 novembre

 

Encore le choix de sortir à Saint Lazare. Une sculpture compressée d’Arman, déclinant le thème du voyage au travers d’un empilage de valises. Comme pour les contrebasses devant l’Acropolis de Nice, ces objets d’art en métal brut vieillissent très mal. Ces valises font l’effet de partir pour une destination qui n’est pas désirée. Ou comme si Arman s’était égaré loin de Saint Paul de Vence…

Boulevard Hausmann, large et  rectiligne. Dès le milieu de la matinée, nous sentons que c’est lundi aux flux de circulation. Les vitrines des grands magasins font écarquiller les yeux des enfants. Dès la mi novembre, tout est là pour Noël. Mon regard se perd plutôt vers les extraordinaires mastodontes que sont les architectures des deux immeubles du Printemps. Puis nous plongeons sous les verrières des grands Passages, avec toutes sortes de librairies, de magasins d’antiquaires, de bimbeloteries, dont un m’a beaucoup plu, à la façade bleu pâle et à la vitrine surchargée, la Boîte à Joujoux, et plus surprenant pour moi, l’adorable entrée du Musée Grévin, discrètement logé au bout d’une de ces galeries, avec son bas relief de personnages d’époque napoléonienne et autres saints d’Epinal, jouxtant l’hôtel Chopin, à la façade aux boiseries sombres, romantique et comme fait pour protéger les amants loin des vacarmes. Nous déjeunons sur une minuscule terrasse avec face à moi, en fond de bistro les rideaux vichy rouges et blancs, qui augurent une cuisine d’Auvergnat, sans manière et le vin de Vacqueyras qui ne nous aura pas déçu.

La longue rue Montorgueil défile, grouillante, piétonne et active, et débouche sur l’énorme chantier des Halles, son futur complexe commercial aux formes hélicoïdales et elliptiques  de vaisseau fluide qui me fait penser aux graphismes des partitions de Xenakis. Puis sur la droite le bouillant chevet de l’église Ste Eustache. La nef est immensément élevée, plus que Notre-Dame, dans un gothique tardif aux décorations peintes de la Renaissance et, à la façade ouest, très haut, le fameux orgue à l’extraordinaire buffet dû à Jean Baltard et dont Jean Guillou a longtemps été titulaire. C’est ici que Lully se maria avec Madeleine Lambert, fille de Michel Lambert, immortalisé par ses Leçons de Ténèbres. L’histoire de la France royale continue de défiler. Rue de Rivoli, deux portes peintes des plus psychédéliques. A l’étage, des d’ateliers d’artistes discrètement fondus dans le paysage architectural, et plus loin, la Samaritaine, qui a laissé son nom au fronton de l’immense bâtisse de type Art Déco et Art Nouveau.

Nous traversons le Marais et ses hôtels particuliers, le cossu musée Carnavalet, à la façade austère et classique, doyen des musées de Paris, qui retrace l’Histoire de la Ville.

La ballade se poursuit comme une déambulation sous le ciel gris et clair, les yeux souvent levés vers les architectures et les harmonies de la pierre qui trouvent leur élégance dans le fondu des ciels. La rue des Rosiers rejoint la petite rue Malher.

Puis la Place des Vosges. C’est le petit Versailles du XIX° siècle tant les personnalités les plus diverses, du monde politique, artistique et aujourd’hui médiatique, y ont séjourné. Madame de Sévigné y est née au 1bis. Au 11, on y voit encore un des plus vieux graffiti du monde (attribué à Rétif de la Bretonne ?). C’est aussi la plus ancienne place de Paris. On y retrouve Jean-Pierre Cortot pour la création du bassin et la statue équestre de Louis XIII. Comme dans toutes les villes uniques, on ne peut parler d’elles si on ne saisit l’enchevêtrement des zones les plus reculées de leur Histoire et les méandres des temps qui les composent jusqu’à se confondre avec le visage vivant qui reflète l’Histoire d’aujourd’hui.

A l’un des angles, « Ma Bourgogne » où nous nous installons pour un répit et deux carafons d’un fameux vin de Coteau du Mâconnais. Le bel ocre fauve des hôtels privés s’aperçoit d’une galerie à la galerie  opposée, en cette saison où les multiples arbres sont dépouillés et donnent à ce vaste ensemble où trône la statue équestre, plus qu’ailleurs encore, un sentiment d’espace automnal et de temporalité immobile.

Puis le pont Sully ( ?) d’où j’aperçois en fond de décor le chevet du vaisseau de Notre-Dame, avec la Seine qui semble s’engouffrer sous l’arche d’un pont et révéler toute l’harmonie classique du paysage parisien, de saules pleureurs, la tête s’interrogeant, et de peupliers rythmant en perspective profonde, jusqu’à se fondre dans le gris du décor, au plus loin, sur les berges que semblent accompagner les péniches à l’ancrage.

Nous retrouvons la rue des Ecoles, et bien que l’heure ne soit pas encore trop avancée, la Coupole de la Sorbonne, vue de loin est déjà habillée du bleu lumineux de dix sept heures. Les devantures des éditions Harmattan dans leur vert profond semblent régner dans ce périmètre animé.

La librairie Gibert est un vrai tourbillon de parutions en tous genres, sur quatre niveaux. Je ne résiste à la tentation d’un volume de Novarina qui nous a beaucoup occupé durant mon passage ici, et à un volume d’Europe consacré à André du Bouchet.

Nous prenons un verre de rouge dans ce bistrot où Bernard a ses habitudes et où, à travers les vitres du jardin d’hiver, nous apercevons  le square et la statue solitaire et torturé du poète Emanescu.

C’est maintenant mon rendez-vous au 16 de la même rue. L’intérieur de la librairie est un vaste labyrinthe de plusieurs étages où l’empilement des ouvrages manque de crouler au moindre faux pas. Nous parvenons au trente sixième dessous de la maison où une vidéo sera constituée des quelques questions qui me seront posées sur le Livre des Répons.

…les répons sont les chœurs qui commentent et répondent au mélisme du soliste dans le nocturne des Leçons de Ténèbres. C’était, au XVII° siècle un genre musical fortement encouragé par Louis XIV et un office nocturne qui psalmodiait les Lamentations de Jérémie durant la semaine sainte. Soliste et chœur se répondant…Leçons du vendredi saint, Répons du Vendredi etc. J’en ai été inspiré durant l’année 2013 écoutant beaucoup les madrigaux spirituels de Gesualdo… Les Leçons de François Couperin sont les cimes du genre… Mon ouvrage n’est pas une transposition verbale de ces Lamentations, mais une libre interprétation dans l’ esprit des ces Nocturnes sacrés…

Je n’étais donc pas venu à Paris pour rien…

Après une réunion initiée par Denis Pryen, directeur général des éditions et des responsables éditoriaux, nous rencontrons autour d’un vin les auteurs des différents départements de publication. La salle de réunion me fait l’effet d’une sorte de catacombes recevant des fidèles… Bernard et moi faisons la connaissance d’un auteur belge qui écrit des théories sur le cinéma et finissons la soirée ensemble, après quelques échanges d’adresses,  au Café le Lutèce. Le garçon de service est tellement intrigué de tant d’agitation autour de son plateau qu’il finit par s’intéresser à nous et à ce Livre des Répons dont je dois parler avec non moins de mouvement de persuasion. Découvrant le dernier chapitre aux caractères hébraïques qui impulsent le début des mots de  chaque phrase des Ténèbres : « … je reconnais les lettres en Hébreu, ça va plaire à ma mère… ». C’est ainsi que je me suis découvert une vocation commerciale, que Yehouda a pris le seul volume que j’avais apporté avec moi, et déposa un billet de vingt euros sans demander la monnaie.

Un dernier regard sur Paris, un square probablement à l’angle de la rue des Ecole et de la rue Monge ( ?), le buste de Montaigne dans sa nuit, songeur, et l’édicule Guimard du dernier métro.

 

15 novembre

 

C’est encore un peu de bonheur que de s’éveiller à une matinée à Ville d’Avray. L’étang de Corot est derrière la maison, enfoui dans de grands espaces forestiers que nous rejoignons après avoir traversé toute la longue rue de Sèvres, et après l’école, un chemin va tracer tout le pourtour des deux parties de l’étang. Une sculpture à l’orée de la promenade, probablement inspirée du style de Carpeaux, représente   une vision du peintre, dont on ne voit que la tête coiffée de l’éternel béret, enlaçant une nymphe dans sa pensée (le mouvement de la main est comme esquissé et on ne peut dire qu’il la touche, mais plutôt qu’il l’extirpe de la matière brute) comme à Chartres, dans un cordon de voussure de la façade occidentale, on a Dieu voyant Adam dans sa pensée. La grisaille donnera aujourd’hui la lumière parfaite des sous-bois dans le plein épanouissement de l’automne. Le chemin longe un ensemble d’habitation discrètement replié derrière des haies de cyprès d’où émergent des toits et des pans de murs, dont probablement parmi ceux-ci, la demeure du peintre. L’étang présente ses nénuphars, les bras de saules qui se mirent dans l’eau, ses bébés hérons , ses poules d’eau, les libellules et les diverses variétés d’oiseaux vivants dans ce périmètre clos. La terre est grasse. L’étang est bientôt contourné et nous parvenons à une intersection qui va nous mener en pente vers le bois de Chaville, quand en un dernier regard vers l’étang, je vois nettement, (et avec une certitude que seules les proportions dans le cadre de ma vision, la mise en scène des objets que mon œil calcule avec la vitesse d’une intuition), que je me trouve devant les maisons Cabassud. Corot avait donc été à cet endroit précis où nous allons pénétrer plus profond dans le bois, où lui s’était arrêté, avait saisi ce même angle, et éternisé l’étang de Ville d’Avray. Plus d’un siècle sépare peut-être les deux visions. Depuis, des maisons nouvelles se sont fondues dans le paysage, quelques véhicules parasites aussi, et une longue barrière sépare le chemin étroit de l’étang et les lourds massifs d’arbres sur la droite (en suivant le projet du tableau).

Mais la vision d’origine demeure.

Plus loin, au cœur du bois, il me semble maintenant que chaque bouquet d’arbres penchés vers le miroir de l’étang, chaque perspective fuyante sur des horizons perlés de parures automnales parlent en écho le langage du peintre du vent qui bruisse du frisson de l’intime, que des nymphes vont apparaître, entreprendre des danses antiques ou des cérémonies secrètes, où les fleurs, les couronnes, les voiles et la grâce féminine toutes entremêlées tiendraient lieu de mystère et d’initiatique dans ces bois que Bernard me dit ne pas être de Chaville mais de Fausses Reposes. ………………………………………………………………………………………………………………..

Retour  à Nice le 15 vers 17heures

 

Depuis une semaine, Katy est à Gap, il y a la neige. Je reçois une photo prise depuis sa chambre où elle est hospitalisée une fois de plus.

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20 novembre

 

Déjeuner au Bhantaï, resto thaïlandais de la rue Droite. Katy est restée cinq jours à l’hôpital pour traiter son anémie. Dimanche gris mais doux

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23 novembre

 

Jean- Claude Risset est mort. Un des pionniers de l’électroacoustique, un des proches artisans et collaborateurs de l’I.R.CA.M, chercheur au G.R.M. il avait introduit l’informatique dans la composition musicale, et c’est un peu à travers lui et Xenakis que la musique électronique nous est parvenue. Inharmonique et Sud resteront des classiques du genre.

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Rue des Ecoles, à hauteur du Square Paul Painlevé, le buste de Montaigne à été ma dernière vision de Paris à la nuit tombée . Et il est bien dommage que je n’ai pu faire une halte dans ce petit havre en apparence anodin pour avoir appris depuis que ce square discret et romantique est à la croisée des deux capitales que j’ai visitées puisque depuis 1962, la louve romaine se tient discrètement sous des feuillages avec les frères fondateurs. Paul Landowski, lui, a conçu la sculpture de Montaigne, et il est dit que poser sa main sur le pied droit du philosophe porte bonheur avant les examens à la Sorbonne. D’où le sourire énigmatique et bienveillant …

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25 novembre

 

Les lectures de Novarina m’occupent. Dans la « Chair de l’homme », le chapitre XXII, Monsieur de chair et le XXXV Quid est deus, prolongent tout à fait de belles méditations sur Dieu et sur la mort.

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Avec Jean Cras c’est toute la mer auriculaire qui circule dans la maison, tous les mouvements intérieurs de ses navigations sur le Melpomène. Les quintettes (celui avec flûte et harpe surtout) et l’opéra Polyphème rejoignent pleinement ces souffles marins qu’on ne croyait que du ressort de l’autre marin, Roussel.

Et puis Brahms, avec le quatuor de Budapest des années 50. J’écoute cet après-midi les deux quintette à cordes avec Walter Trampler second alto.

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Depuis un mois, ma tension artérielle, après avoir été stabilisée quatorze années, se met à dérailler. J’oscille entre 20 et 17 très souvent. J’ai maintenant un tensiomètre à domicile. Mon cardiologue a doublé les dosages des béta-bloquants sans obtenir encore de stabilité à la baisse. Je vais devoir cesser le vin, faire attention au sel…

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Katy est à Digne pour son dossier de protection sociale. La neige est là, elle redescend dès lundi.

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Dimanche 27 novembre

 

Place Franklin, dès l’abord de l’immeuble Rex, quelqu’un ouvre,  et je pénètre dans la seconde merveille d’escalier  Art Déco après le Gloria Mansions. Plus petit et plus intime, moins aéré et moins ample, il est également de couleur vert amande et ses courbes sont aussi sensuelles. Après le magnifique hall aux miroirs décorés, nous avons l’impression de nous trouver dans un juke-box…

Nice possède des trésors dérobés à la vue de qui ne sait pas chercher. Parfois il n’est qu’à lever les yeux, à ouvrir une porte…

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Luis de Góngora, est contemporain de Gesualdo. A la lisière du monde renaissant et de l’essor du baroque. Difficiles d’accès, ce que l’un dit d’un fleuri hermétique, l’autre l’exprime en dissonances troublantes. L’univers des madrigaux n’est pas si éloigné de la sensualité de la Fable de Polyphème et Galatée. Il y a dans celle-ci une agrégation de la forme condensée et contractée qui ne laisse de place à la respiration. C’est de la plus belle langue agrégative, jaillissante comme un cri. Ce qu’il y a de feutré et de cossu chez Mallarmé, calme et parfaitement maîtrisé, à qui on l’a souvent comparé, se déplie en une torche sonore et brûlante chez Góngora. Lorsque les textes en langues étrangères deviennent si subtils, on se précipite sur la traduction bilingue qui leur fait face. Avec ce Polyphème, c’est l’inverse, je me rends sur l’original pour y entendre, hors de toute intelligibilité première, comme dans une pure musique, se déployer ce qui, pareillement aux traitements madrigalesques du Gesualdo, relève de l’être de marbre de la parole tout autant  que de son grondement sonore.

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30 novembre

 

On avait demandé, dans les années quarante, à Einstein, ce que ça lui faisait d’être l’homme le plus intelligent du monde, il avait répondu : « je n’en sais rien , demandez à Nikola Tesla »

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« Le Mystère de Jérôme Bosch » de Lopez-Linares ne nous apprend pas grand-chose du Jardin des Délices, tant celui-ci est à la fois foisonnant, clos sur lui-même, désespérément englué dans de la chair triste semblable à l’impasse mallarméenne, bien éloignée de délices  communément appréciés comme tels, et par ce mouvement insaisissable du panneau central, comme tournant en rond autour de l’axe de la vie ne permettant pas, dans son chaos, une interprétation cognitive de synthèse des intentions du peintre. La notion de péché relative à la pratique charnelle, vécue jusqu’à l’hallucination animale, est peut-être ce voile de séquelles médiévales (et le tableau est encore triomphalement médiéval !) qui contredit le délice de l’assouvissement sans réserve. Nous sommes certainement face à une somme, comme pourra l’être également le Triomphe de la mort, lui très explicite, aux antipodes de l’Agneau Mystique de van Eyck, qui peut s’analyser sur un plan théologique dans toutes ses dimensions symboliques.

Le seul personnage dans le calme de ce qui serait encore le jardin d’Eden, est Dieu, sous les traits du Christ, qui nous envisage de face d’un regard de miséricorde entre Adam et Eve, dans le panneau de gauche. L’autoportrait semble évident, d’autant que dans le panneau qui lui est opposé, qui clôt le cycle, le regard du peintre, vieilli, sans plus aucune marque christique, paraît redescendu vers de quelconques enfers sans donner plus de clés à l’inexorable chute de notre condition humaine.

De même, « Bruegel, le Moulin et la Croix » de Lech Majewski m’avait bien déçu.

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J’en ai toujours un peu voulu à François Paris de n’avoir jamais rendu hommage à Pierre Henry pour ses quatre vingt ans, ni pour ses quatre vingt cinq, et demain ses 90. Le Festival MANCA aurait bien pu se fendre de cet honneur au plus grand peintre des sons de la musique concrète et de la plus poétique aventure électroacoustique, « …le capitaine Nemo d’un univers sonore dont il aura été, dans l’écriture, le Eisenstein, le Griffith et le Bresson à la fois  » (Michel Chion).

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Entre Katy et moi, toujours des tensions. Je n’arrive pas à surmonter des crises d’orgueil et de susceptibilité. Son amie Fred est passée hier, nous avions rendez vous, et je lui en ai voulu de venir avec elle. Ce n’était pourtant qu’un passage pour la journée. Fred devait remonter à Sisteron. Je leur en ai voulu, en fait, d’être arrivées à l’heure avant moi alors que Katy est désespérément toujours très en retard quand elle vient à mes rendez-vous.

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1 décembre

 

Première séance musicale sur le lyrique avec un groupe Alzheimer dans la grande salle Berlioz. Contrairement aux classes habituelles, les vieux en fin de parcours ne cachent jamais leurs émotions. Certains tombent en larmes, silencieusement, en entendant Vissi d’arte ou Ricondita armonia…

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2 décembre

 

Je retourne à Gloria Mansions, cette fois à l’escalier opposé, moins monumental, si on le compare à celui de la grande verrière, comme en écho de celui-ci, avec un colimaçon plus aigu, et traversant d’un escalier à l’autre le couloir rythmé par les colonnes égyptiennes, je m’attarde à la lumière adoucie de la coupole au sommet de l’édifice, séparée de celle de l’extérieur par une simple et mince paroi de verre ondulée, mais qui transfigure la lumière de l’extérieur comme une cloche qui maintiendrait sous serre l’irréalité et le calme d’une clarté diffuse. En sortant par la rue de France, le portail sur sa face intérieure est encadré par deux magnifiques ibis.

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La rue Beautreillis a abrité le jeune Boulez au commencement de ce qu’il allait devenir, et au n° 17-19, c’est l’adresse où on a retrouvé mort Jim Morrison. J’ai fait une photo de la plaque bleue en bout de rue lors de mon passage à Paris, mais  je ne me souvenais que de ce qu’en disait Antoine Goléa dans un article sur le Marteau sans Maître.

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De plus en plus fréquemment , la jeunesse se tourne vers Bouddha. J’ai reçu, quantité de fois, des encouragements à suivre cette ligne de sagesse, avec des Namasté à tout bout de champs, des mouvements des mains jointes et des courbures du buste ritualisant la paix intérieure, une volonté de joie de vivre et tout un arsenal d’ondes positives, de fluides rendant à la vie sa force initiale, comme  découvrant une réalité qui enfin avait trouvé un sens et une libération auprès desquels notre torture existentielle et nos chagrins de toujours pourraient trouver une cessation définitive. La jeunesse d’aujourd’hui, avec quelques moins jeunes, se précipite au Népal, au Tibet, envoie des photos de rues de Lhassa pavoisées, d’impositions de mains sur des corps souffrant, des paysages d’Himalaya, et de tant de postures mentales relevant de la joie d’un bonheur simple, dans ce présent qui coule du sourire de la béatitude, et quantité de billevesées incitant à une vérité indépassable pour peu qu’on se fraie son chemin dans la dentelle des baumes apaisants de ces croyances.

Enfin, cette vague impression de converser avec des gens qui ont la ferme conviction que mettent les hôtesses dans les salon de soins de beauté.

Contrairement à ceux qui se convertissent à l’Islam, les aspirants bouddhistes représentent une frange nouvelle des classes moyennes élevées. La séduction de l’Orient à toujours été celle de la séduction de l’ailleurs, ce qui n’est pas le cas pour les plus démunis qui cherchent terriblement dans le présent et le maintenant.

Pourtant, ce bouddhisme, qui séduit tant d’esprits désemparés, enseigne que la libération passe par l’extinction du désir, par un non vouloir salvateur, afin d’éviter le cycle des réincarnations et par là, l’enchaînement sans fin des cycles de l’illusion. Et c’est bien là que ces  aspirants à une foi nouvelle ne remettent pas en cause le fondement même de cette croyance qui est la réincarnation. La réincarnation serait un acquis comme allant de soi, et serait le socle dont découle cette spiritualité de la libération. Tout vient de ce présupposé. Depuis longtemps, la vieille lune de la Résurrection a fui du paysage mental occidental, dans le rejet que cette même raison occidentale oppose à la mystique eschatologique chrétienne. Et pourtant, c’est cette absence de raison qui jette les enfants d’aujourd’hui en mal d’une assise spirituelle vers un mode de pensée où la réincarnation ne relève pas d’un présupposé, mais d’une condition essentielle dont il faudra se prémunir dans le fait d’une vie à venir. Les nouveaux convertis, par un glissement, au gré des vagues qui portent le flux et le reflux des sensibilités et des modes de pensée, et surtout à la faveur d’un christianisme moribond, privilégient sans le savoir, la répétition d’une existence comme réalité renouvelable, alors que le christianisme, comme Héraclite et tous les penseurs de l’Occident, considère que nous n’aurons qu’une seule vie, ce qui ne lui donne que plus de prix, et l’apostasie de celle-ci ne peut que déboucher sur le néant ou le Jugement Dernier.

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Il n’y a pas plus de nouvelle lune dans la Réincarnation bouddhique qu’il n’y en a eu avec la Résurrection chrétienne.

Le néant seul…

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4 décembre –dimanche-

 

Renaud Capuçon a enregistré  trois concertos qui lui sont dédiés, de trois compositeurs essentiels en un même enregistrement : Rhim, Dusapin et Mantovani. La nouvelle musique contemporaine, décomplexée, tourne le dos à tous les formalismes d’antan. Ce qui n’empêche pas le grand public de bouder ce qui pourrait renouveler son plaisir…

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Cécilia part avec Hélène et Y en Colombie mardi prochain. L’abuela est sous oxygène, elle a reçu l’extrême onction, mais ne semble pas apaisée depuis. Ceci lui téléphone tous les jours, le matin et le soir, tard. Je serais seul durant tout ce mois. Je suis un peu inquiet, Y me semble encore trop petit pour séjourner dans une région où les moustiques (entre autres) ne l’épargneront pas.

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Haydn, sonate 59 en mi bémol Majeur, à la Tribune. C’est celle de Brendel qui s’est détachée de l’ensemble.  Celle de Gould avait un mouvement lent qui était déjà au-delà d’une déclaration de Haydn à Mme de …

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6 décembre

 

Ce mardi, la maison est vide, d’autant que cette fois, Cécilia part avec Hélène et Y. Je serais seul jusqu’à Noël. Hélène restera avec le petit, deux mois entiers… Je verrais Katy plus souvent. Peut-être ferons-nous quelques escapades dans l’arrière-pays, bien que la saison n’ait rien de plus vivant à nous offrir que le dépouillé des forêts et les givres du matin.

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10 décembre

 

C’est un vrai bonheur que ce Concert de Baumugnes. En fait, il s’agit d’une sorte de concerto pour flûte, clarinette et orchestre à cordes. Marcel Henry Faivre, hors de tout formalisme, y installe le vrai monde de Giono, dans les bruissements du vent, les joies et les danses imaginaires des hauts plateaux, qu’on en entendrait presque l’eau maigre de là-haut et le chuchotement des secrets. Faivre a un point commun avec Saint Pol Roux. Celui-ci, arrêté par les Allemands (en 1917 ?), a subi l’humiliation et l’horreur de voir ses manuscrits éparpillé aux quatre vents. Faivre a connu, à peu de choses près, la même douleur de perdre dans la confusion des évènements d’Algérie toutes les partitions achevées au moment de son départ forcé. Certaines auraient été recomposées de mémoire lors de son installation à Cannes dans les années soixante. Ce qui donne les deux quintettes avec clarinette, dits quintettes de Tipasa et les quatre magnifiques quatuors à cordes.

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C’est en écrivant cette note sur le Concert de Baumugnes que par l’effet diabolique d’une mauvaise manipulation ( ?), j’en suis venu à perdre ou effacer tout mon Carnet 2016 ! –j’espère simplement que Bernard pourra me renvoyer celui-ci depuis la sauvegarde de la dropbox, en date du six décembre– (ce qui est chose faite puisque je continue mes écrits ce matin avec l’intégralité de ce qui précède, et la suite de ce 6 décembre…) . Je me suis senti, l’espace d’un instant, dans le même désespoir que Saint Pol Roux…

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 Depuis le début du mois le tensiomètre m’a rassuré. Je suis rentré dans les normes de mes artères. Je bois même quelques verres ce samedi avec Fabrice.

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La France découvre Place Bellecour, plus vaste place d’Europe, la Fête des Lumières, comme elle redécouvre Noël tous les ans, à condition qu’il s’agisse bien d’une fête pour tous, que celles ci ne soient pas entachées de leurs couleurs d’origine, religieuses et forcément clivantes. En Colombie, la nuit du 7 au 8 décembre c’est la fameuse allumbrado, la fête de la Vierge, qu’on ne nomme pas ici, qui se célèbre, comme j’ai pu le voir hier soir à Lyon, en disposant des bougies, des plus humbles aux plus fastueuses, sur le bord des fenêtres, à l’entrée des maisons, dans les jardins, et parfois ce sont les rues entières qui s’illuminent en pavois. La Cathédrale Saint Jean était enrobée de mille éclairs comme Notre Dame de Fourvière qui semblait lui répondre depuis ses hauteurs.

Fête des Lumières donc, ce qui aurait pu être Fête de la fée électricité, ou de la pile Wonder (ce qui eut été moins hypocrite et plus conforme à la promotion d’un tel événement) ou une quelconque fête pour lesquelles nous sommes tous toujours bienveillants, mais sans jamais repenser ces fêtes dans leur contexte d’origine, dans l’enracinement qui les a vues éclore. Le Père Noël a remplacé depuis longtemps l’enfant de la crèche. La vraie Révolution française n’est pas la naissance de la République ou l’établissement d’un régime de classes sociales libres et égales, (la réalité du monde démocratique montrant bien qu’au fond le pouvoir régalien n’a pas vraiment changé), mais la désacralisation du calendrier.

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Ce dimanche venté et gris. La Tribune propose la Symphonie de Psaumes. Karel Ancerl, à l’aveugle, y est incomparable. Les critiques ont préféré des interprétations plus détaillées, moins monolithique. Cela a suffit à mon après-midi  de solitude. Katy est encore à Sisteron.

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13 décembre

 

Les 5 Roubaïat  de Jean Cras devraient avoir une place particulière dans la mélodie française. Ses autres mélodies aussi.

Quel autre compositeur pourrait se hisser si près de Henri Duparc et de Debussy ?

Son opéra Polyphème a une orchestration dont la richesse le rapproche du seul Pélléas. Ce qui en fait un chef d’œuvre malheureusement inspirée comme une doublure récitative et un long fleuve orchestral trop proche de l’original. Mais on peut l’écouter en soi, ignorant que Debussy est passé par là quelques années plutôt….

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C’est l’épopée des Heiké, vieille légende japonaise du XII° siècle, qui raconte la lutte pour le pouvoir du Japon d’alors, rendue célèbre par les moines musiciens aveugles que réincarne Junko Ueda, par la voix et le satsuma-biwa, énorme luth au plectre géant, narrant le fracas des guerriers dans l’action. Lors des fameux concerts des années 2000, le Musée des Arts Asiatiques avait invité cette élève de Tsuruta Kinshi pour une soirée mémorable où je crus vivre dans le cœur sonore du lieu, une sorte de quintessence de la Tétralogie wagnérienne là où on ne l’attendait pas, un Ring à l’échelle d’une musique de chambre, un fleuve continu et des inflexions de voix qui auraient pu, paradoxalement, par l’économie des moyens, paraître du plus pur Webern.

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14 décembre

 

j’ai compris que mes amours ne seraient jamais aussi fortes que les différentes formes de mon orgueil (susceptibilité etc.). A gâcher des après-midi avec la personne aimée, jusqu’à des paroles définitives, plus pour la posture théâtrale des mots que pour leur contenu, m’en voulant tout autant que haïssant celle qui n’avait pas voulu me retenir, faisant un enfer de certaines de mes soirées, et m’enfermant dans des drapés superficiels et interminables de solitude.

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Quand je regarde certaines rivières, que j’entends le bruissement permanent de l’eau torrentueuse durant des heures, comme les cigales en d’autres lieux, je crois que je me serais rendu heureux de pêcher à la mouche.

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Dans les rues qui ont de longues pentes comme San Francisco, est-il préférable de vivre l’ivresse en les remontant ou en les dévalant ?

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15 décembre

 

Dans le Fabularium ou Premier Mythographe du Vatican des trois qui nous sont parvenus, nous avons les premières traces de la mythologie latine recueillies au Moyen Age.

« Nyctimoné coucha avec son père et s’aperçut ensuite du crime qu’elle avait commis ; elle se cacha alors dans la forêt pour ne plus voir la lumière du jour ; là, par la grâce des dieux elle se transforma en oiseau… »

Comme Oedipe, après le forfait de l’inceste, l’obscurité, la cécité restent le seul châtiment. Et dans la mythologie latine comme dans la grecque, la purification s’accompagne souvent de quelque métamorphose.

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Philippe Hersant réhabilite le basson qu’on croit souvent n’être qu’un instrument secondaire, renforçant les graves dans l’orchestre. Déjà, on aurait dû se douter qu’avec le solo inaugural du Sacre, il pouvait servir à s’exprimer seul. Hersant a écrit des duos basson alto remarquables et des pièces solistes qui valent bien des pièces de hautbois, souvent lassant et nasillard dans l’aigu.

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Chez Sauveur, j’ai eu l’idée de me faire photographier avec de grosses côtes d’un carré de sanglier, comme un hommage à Stravinsky vers 1930, évoquant la lyre d’Orphée avec une calandre de Citroën.

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17 décembre

 

Les bouquinistes sous le soleil. Un catalogue rare de Céline avec une photo d’ Erika Irrgang, l’amie allemande qu’on aurait imaginée blonde  et bien plantée, alors que le portrait montre une frêle brune aux yeux noirs immensément rêveurs.

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Dans un volume de lettres, Thérèse d’Avila se félicite de recevoir si rapidement les sardines qu’elle avait demandées.

Beaucoup de monde chez Sauveur. L’effervescence du dernier mois de l’année.

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18 décembre

 

Dans les médias, Marie-Claire, l’ouvrière, reprend l’entreprise de biscuiterie, les Jeannette, où certains entendent battre le cœur des machines, la vie est belle, la France est dans du Duvivier, la Belle Equipe, le Front Pop, la France du bas triomphe, à défaut de. Hollande s’en va… Mélanchon fera-t-il même quelques 12 %. Dans notre France bourgeoise, ces vieilles velléités communistes… « on lâche rien, on lâche rien… »

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Renaud, le chanteur, revient avec les Fêtes évidemment, il n’y a pas meilleur moment. Les médias et l’intelligentsia se prosternent. Une chanson interminable des années 70:

Français roi des cons… comme il y a cinquante millions de Français, il y a cinquante millions de rois. Et en effet, tous ces amis , et une certaine France d’en haut, salisseuse, raffolent de sa résurrection. Je parle de ce triste sire seulement parce que le sieur investit l’Isle sur la Sorgue,  faisant tristement de cette perle de Vaucluse son studio de vomissures. Ce sont des artistes engagés, dit on…

Le gage de l’asservissement ?

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Katy n’a pas compris le Livre des Répons. L’après-midi du 13 fut long et venteux. Houleux. Son incompréhension, et l’avis de William et de Frédérique, derrière lequel elle se range pour justifier une petite forme de mépris, m’ont rendu amer et déçu. Je préfère l’enthousiasme aveugle d’une certaine jeunesse de chez Sauveur.

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24 décembre

 

je suis donc seul. Depuis quelques jours c’est un peu la fête chez Sauveur, où passe Fabrice, Marco et quelques autres. J’ai appelé Henri. Il devrait se joindre à nous sans tarder. Bernard aussi. Il fait très beau, les pluies violentes nous auront laissé ce répit de la nativité.

Tarek m’a téléphoné hier soir, c’est une occasion pour réécouter dans le silence de la maison le grand Cante Jondo de Pepe de la Matrona, la seguirie du Niño de Almaden, Juan Talega et la Niña de los Peines. Cécilia ne rentre que dans la journée du 27.

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25 décembre

 

L’humidité des matins de Noël, sans soleil aujourd’hui. Très peu d’enfants étrennant leurs jouets sur la Promenade. Je marche sur la chaussée Nord, à peine à l’abri du vent de bord de mer, mais que de beautés architecturales… Je ne les remarque plus depuis plus de cinquante ans que je crois connaître ce que les visiteurs découvrent émerveillés en longeant le bord côtier de notre ville, ou d’autres quartiers singulièrement bien dotés ou essaimés par touches solitaires. Le patrimoine architecturale de Nice, dans sa très grande diversité, présente un des plus beaux ensembles d’Europe. Et pour poursuivre l’inventaire dans ce style des années 20 et 30, après la révélation des Gloria Mansions et du Rex, entre le n° 137 et 139, deux joyaux contrastés, la Villa Monada de style Art déco presque cubique aux lignes épurées, blanche, aux rares fenêtres, l’autre de style Art Nouveau, échevelée, avec son chapeau de tuiles roses et crèmes, ses torsades et ses bas reliefs, flanquée d’un haut palmier qui lui dispute le baroquisme du mouvement. De l’autre côté de l’Hôpital Lenval, qui sépare les deux groupes de constructions, au n° 165 et 167, la Villa Blanche de 1928, œuvre de Dikansky, l’imposant immeuble la Villa Couronne et enfin, toujours plus à l’Ouest, au 167 bis, la Villa Bijou, au balcon en demi cercle et aux faïences de couleurs à l’angle des fenêtres. Remontant bien plus loin sur le même alignement de bord de mer, à l’angle de la petite Place Fabron, la Mascotte (197), et plus loin encore, à hauteur du quartier où vivait Maman, le Palais de la mer (245), autant d’architectures élégantes, brillantes, d’une époque entre deux guerre où le luxe et la liberté de talent s’affichaient et qui restèrent longtemps dans la discrète indifférence de la conscience que j’en avais.

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A la Tribune, « les Vêpres solennelles d’un Confesseur », le Laudate dominum, impossible de souffle, grandiose. J’ai eu un faible pour la longue coulée lyrique d’Edda Moser, (les critiques lui ont préféré Kiri Te Kanawa, (pourquoi pas), où elles furent justement réunies dans le Don Giovanni de Losey). C’est Jochum qui dirigeait et Fisher-Diskau était la basse. On peut aimer une version plutôt qu’une autre, mais dire de Fisher qu’il s’est cherché toute sa vie, montre les limites de la bonne foi, quand on sait l’étendue immense de répertoire que ce chanteur a contribué à révéler tout au long de sa carrière. Je n’ai que ce regret de ne pas m’être plus avancé au Mozarteum de Salzbourg, lors de l’une de ses master classes, faisant interpréter un lied de Hugo Wolf, où j’aurais pu l’entendre mieux que derrière une porte close, comme lui dérobant un secret d’alcôve.

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26 décembre

 

Déjeuner avec Bernard sur la Place de la Tour, à la Mama. Soleil timide.  Bernard s’en donne à cœur joie dans une conversation sur le blues avec Richard Casteu de Bendejun (Blues Gang). Nous avons eu le temps, auparavant, de parler de Nietzsche, Schopenhauer et de sa critique de Kant. Du monde qui nous désespère. Le vin a bien aidé. Quelques verres encore chez Sauveur… Autre sonorité : Miles Davis serait resté médusé de plaisir en entendant le Concerto pour 2 pianos de Poulenc. Il l’écoutait inlassablement. C’est vraiment Noël !

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Mon dernier soir seul dans le silence des Hameaux. Paul Mefano est vraiment à resituer. Ses musiques, bien que proches de Boulez , sont ciselées et fines, lyriques comme du japonais.

Nocturnes. 

… J’ai enfin appris que la mystérieuse appellation de son ensemble instrumental, 2E2M, voulait dire études et expressions des modes musicaux.

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27 décembre

 

Cécilia est rentrée de Colombie vers 18 heures, la nuit est tombée. Hélène reste à Pereira avec le petit jusqu’au 25 prochain, donc nous ne nous verrons pas pour le passage entre les deux années. Y sait dire Papi au téléphone. Sur les images Skype il a déjà bien grandi.

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28 décembre

 

Plein beau temps, froid. L’après-midi chez Sauveur. Tarek installe mon WhatsApp. Henri passe en coup de vent avec son fils et Ma Nini.

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29 décembre

 

Je reçois des messages éplorés depuis Banon où Katy s’est réfugiée. Depuis le 14 et le malentendu concernant le Livre des Répons on ne se voyait plus.

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On a retrouvé le couple amoureux de la pochette de disque de Woodstock, Bobby et Nick Ercoline, photo ayant fait le tour du monde, 47 ans après chauves et grossis. Ils semblent heureux, ont des enfants et des petits enfants…

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ROBESPIERRISME : la diplomatie française reprise par les médias consiste à dire en matière de bon sens politique : rendez-vous compte, la Russie, la Syrie, le Liban, l’Iran, la Turquie etc. osent défendre leurs intérêts contre l’universelle et inamovible démocratie française ouvrant grand ses flancs et plus encore, de rêve et d’angélisme. En Syrie, en Russie et ailleurs, les dirigeants sont fous de pouvoir. En France non. C’est ce que l’on entend en substance par les voies de l’information.

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31 décembre

 

Un message  tôt ce matin, depuis Banon. Les lavandes y sont encore odorantes malgré la saison, la tristesse n’est pas propice à de longues lettres.

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Les musiques s’égrènent dans la dernière nuit de l’année, la

Fantaisie à 4 mains de Schubert, le concerto à sept de Falla, et l’album de notre amie du Sauveur, Dany Dean , la Piaf du quartier…

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Dans « la Chair de l’Homme », l’argile peut-elle dire au potier : « potier je t’ai oublié » ?