Carnet, 2021

Carnet 2021



1 Janvier


Les feux d’artifice ont continué longtemps après minuit, malgré le couvre-feu de dix-huit heures. Les rues de Villeneuve devaient être désertes dans le jauni de ses éclairages ; le village déjà endormi. Cette nouvelle année commence sous le froid, la pluie glacée. La neige ne doit pas être loin. Les traditionnelles valses de Vienne qui tournent simultanément autour de la terre sont décidemment bien tristes. Je ne m’y fais pas. Cette année le maître d’œuvre est Riccardo Muti. C’est aussi la valse des bons vœux qui s’échangent. Claude de chez Sauveur me parle d’une voix d’ailleurs, presque fantomatique. Est-il plus mal qu’il ne le pense ? Bernard est en Normandie. Yves et Concetta sont toujours à la frontière italienne. Cela fait des années qu’on ne les voit pas. Dans les années quatre-vingt, nos filles sont nées à une semaine d’intervalle. Ils nous ont appelé ce soir. On a vu réciproquement nos cheveux blancs. Leurs voix n’ont pas changé. On se promet de se voir bientôt.


Rien de tel, ces premiers de l’an, que de prendre quelques-unes de ces fusées d’esprit prises au hasard des « Brèves de comptoirs » de Jean-Marie Gourio. Le génie de la France y est d’autant plus imprégné de sève qu’on se devrait d’ériger un monument à ces auteurs anonymes dans leur oralité instinctive et sans conscience de composer un projet littéraire, dans les racines communes d’une même langue, d’un éclat qu’on ne pourrait situer que dans les voisinages de Céline et de Rabelais.


 22 heures

Dans l’esthétique des Grecs anciens, le beau idéal ne serait qu’une seconde nature. Il n’est pas et n’a jamais été recherché pour lui-même. Et d’ailleurs quel serait-il ? Lorsque l’effort des sculpteurs accapare l’univers des formes c’est pour en mesurer les moments du corps à leur apogée. Leur aisance, la grâce qui émane des gestes les plus innocents ou la force dans sa sage sérénité. Le beau ne venant que comme conséquence de ces mouvements qui sont les mouvements de la vie idéalisée dans la phase de celle-ci la plus conforme à l’idée qu’on se fait de cette grâce, de cette force ou de cette élégance.

L’esthétique des Grecs est un défi au temps, aux balafres du temps, au dépérissement de toute chose. La sculpture aboutie est celle qui défie les rides et les cicatrices de la condition humaine. Comme l’image des moments à préserver, un lieu de perfection des forces vitales.

Au-delà de la beauté, ce n’est pas en soi le beau, c’est l’arrêt du temps qui importe. L’impossible arrêt. Comme ne s’arrêtera pas la flèche de Zénon. On a fait de la perfection issue de l’adéquation reproduite des mouvements, des muscles saillants et de la grâce des gestes, le canon esthétique et idéal du beau en soi, alors que l’image qui nous est rendue est celle des forces de vie prise dans l’instantané d’un mouvement ou d’une grâce qui n’aurait pas de fin. Un éternel moment d’une vie figée dans ce qu’elle donne de meilleur.

C’est seulement lorsque la coexistence des deux phénomènes se superposera (formes adéquates au réel et temps idéalisé dans la forme) que l’on dira que c’est beau.

Les concepts du beau qu’on applique aujourd’hui sont des notions préromantiques issues de Shaftsbury, de Kant, qui tentent de codifier et d’idéaliser en l’isolant sur un vecteur de haut en bas, la beauté de ce qui ne l’est pas. L’Histoire de l’Art montrera que la subjectivité, déjà notée chez Kant, plus tard chez Hegel, rendra la notion du beau toute relative suivant les mouvements et les moments de l’Idée esthétique. Le beau chez Poussin ne sera pas celui de Picasso.

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2 Janvier


Le brouillard s’installe dans l’après-midi. On ne voit guère, au Nord, au-delà de la première rangée d’arbres. C’est bleu comme le saphir. Les cheminées fument vers Saint-Paul.

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PREMIERE LETTRE DE BERNARD :


« …HARARI KIRI doit être intéressant, mais méfiance, c’est un auteur américain, cherchant le bestseller, analyses simples et brillantes, juste paradoxales ce qu’il faut. Pas d’hystérie avec les GAFAM. On peut présenter les choses de beaucoup de manières différentes, parce que la réalité est complexe et la situation évolue vite. Après, c’est affaire de ressenti : ceux qui s’inquiètent, ceux qui s’en foutent, ceux qui pensent avoir compris, …

19 : Tu me rappelles Baudelaire, se disant athée, mais trouvant les églises si divines. La même contradiction, acceptée. Je comprends la position poétique, avec son paradoxe humoristique, chez Baudelaire, mais moins bien chez toi, ou alors nostalgie ?

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3 Janvier


A Bernard :

Voilà 2020 parti. Je ne suis pas sûr qu’à chaque changement de chiffre sur le calendrier, les vœux de fin d’année suivent aussi sec.

Tu auras remarqué qu’un carnet, un journal, est une sorte de géographie mentale qui permet au lecteur de parcourir de l’intérieur, le relief où habite l’auteur du dudit journal. Je m’en rends compte d’autant plus qu’à chaque livraison, j’ai le commentaire à des dates sur lesquelles tu t’arrêtes. Je ne retiendrai que deux de ces dates qui méritent explication.

-HARARI KIRI : je ne pouvais faire moins que, d’une part le jeu de mot, d’autre part citer un auteur qui diffuse à la norme quantitative Bill Gate : De manière galactique. Troisième raison, les thématiques qu’il soulève sont celles qui agitent le monde de demain. Qu’il ait fait un bestseller, je crois qu’en étant de la galaxie susnommée, il ne pouvait en être autrement. J’ai profité d’une émission de la grande Librairie, m’évitant ainsi de parcourir 600 pages qui ne doivent par ailleurs pas être de la grande littérature. Quant au fond, on verra. Le cynisme des conclusions donne quelques pistes.

– Baudelaire. C’est la deuxième fois que tu le cites dans mon voisinage et chaque fois sur le thème « se disant athée, mais trouvant les églises si divines ». La seule différence d’avec moi, serait l’humour, la distance avec lesquels il parle de ces choses. Après tout qu’y a-t-il de si étrange à considérer divines les architecture de Chartres Amiens ou Vézelay ? D’autre part, je revendique, et ce n’est qu’une honnêteté qui explique des considérations qui peuvent t’irriter, une réelle culture catholique. J’ai baigné dedans. Comme dirait Renan, on quitte la foi, mais elle ne vous laisse pas sur le bord du chemin. Je ne tiens pas cette culture de mes parents, mais de ma marraine. Et d’une sensibilité personnelle me semble-t-il.

Je finirai sur ce thème par Pessoa, que je résume grossièrement, qui débute ainsi sa fameuse Intranquillité : « Avant les gens croyaient tous sans savoir pourquoi, de même qu’aujourd’hui plus personne ne croit sans qu’on sache dans un cas comme dans l’autre pourquoi ». Ce n’est pas fortuit que le livre commence ainsi. L’exégèse de ces paroles demanderait beaucoup de pages.

Et puis pour finir tout à fait là-dessus : tout le monde ne peut pas avoir naturellement la fibre de l’athéisme scientifique, le goût du vide et de la vérité du vide. Sinon j’en aurais été.

Et puis comme dit très bien Jean-Claude Michéa, Les Lumières nous ont donné une autre religion, celle du Progrès.

Tu ris jaune du confinement ? je trouve que c’est une caricature de confinement. On en aura eu les inconvénients, sans les avantages. On traîne maintenant pour les vaccins. Mais nos dirigeants attendent. Ils n’ont aucune logistique, aucune planification sur le sujet.

(Parenthèse) : rave party en temps de confinement, 2500 participants. Intervention des forces de l’ordre. 25 policiers blessés. Les raveurs sont tous en bonne santé…

Ma mère est maintenant dans le jardin. Elle aurait pu y être depuis longtemps. C’est marrant que tu me parles d’Hundertwasser parce que j’ai connu la maison de son enfance, dans une cambrousse perdue de Haute-Autriche. J’ai peut-être marché sur ses cendres, comme on marche à Florence sur les tombes de prélats, de notables anonymes, à chaque foulée dans les églises.

J’écrirai peut-être quelque chose sur le lien fondamental que la poésie et l’art lyrique allemand entretiennent avec le Rhin, tournée toujours vers le cours sombre des forêts et les méandres de ses mystères, mais jamais par la mer.

Qu’-est-ce que wordpress ? Denis, un site ?

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Ce carnet, à défaut de prédire l’avenir, commence à éclairer tout un pan de passé qui restait dans l’ombre. Voilà qu’apparaissent les ombres d’ancêtres dont l’écho est très lointain. Les noms sonnent pour les avoir entendu de la bouche des tantes, de la grand-mère Deydier, de tous ceux qui parlaient de leurs contemporains, cousins, oncles ou relations de la famille du temps de ce lointain Maroc. Le 31 de l’année qui finit, j’ai donc reçu un courrier d’une Mireille, cousine germaine de mon père qui est née en 47, donc plus proche de ma génération que de celle de mon père.

J’y répondais ce matin :


Bonjour Mireille,

Votre message est tombé en plein 31 décembre et ce fut pour moi une bien agréable surprise !

Je suis effectivement le fils de Victor Deydier, fils de Paul et Marguerite. Papa est décédé il y a déjà bien longtemps, en 78…

La championne de la généalogie dans la famille a toujours été Henriette (femme de Joseph Salemi), et j’avoue que quand j’ai reçu votre message, je me suis trouvé dans une certaine confusion.

Si j’ai bien compris, vous êtes de la génération de mes parents.

Si j’ai sauté une génération (ou mal saisi le degré de lignée), vous seriez plutôt de ma génération. Auquel cas, j’aurai peut-être passé des vacances chez vos parents à Khemisset où il y avait une Mireille et une de ses soeurs, Christiane (mais je crois bien qu’il y en avait une troisième) …

Etablissant la généalogie familiale vous dépêtrerez mes probables confusions.

Des Sol Dourdin, j’ai en mémoire les prénoms de Guy et de Germain. Odette doit être leur soeur ? Leur ferme se trouvait voisine de celle du grand-père Paul (sur la longue ligne droite à la sortie d’Aïn el Aouda).

Ces souvenirs sont bien anciens ; de plus nous avons quitté le Maroc en 64. J’avais 12 ans.

Je dois avoir conservé une photo aérienne où figurent les 2 fermes.

Voilà.

J’espère que vous m’entretiendrez de tous ces liens qui ont fait l’histoire de nos familles.

Louis Deydier


Bonjour Louis,

En premier, je vous souhaite une année 2021 de toute beauté, à 360 degrés !

Je reviendrai vers vous à propos de nos liens familiaux.

Je suis la cousine germaine de votre père Victor.

Mon père Victor, né en 1899 en Algérie, était le frère de Paul.

Peu de temps après l’arrivée des Deydier (Eugène et sa famille) au Maroc, à Casa, puis Rabat et Ain- El – Aouda, mon père alors encore " jeune homme " a vécu avec Paul et Marguerite. Plus garçons de ferme que gérants sur une ferme du Gharb.

Votre père Victor est né dans un baraquement, au toit en tôle, terrible sous un tel climat.

Mon père était son parrain, d’où le prénom commun…

Cela a dû se passer vers 1926 ?

Je suis la dernière de ma fratrie, née en 1947.

Ma sœur aînée, Régine, née en 1927, épouse de Yves Robic, très amie de Henriette et Jo.

Régine a eu 3 enfants : jean- Yves (1948) Christiane et Danielle.

Vous êtes de leur génération.

Je garde aussi un souvenir ému d’Angéline, à la beauté fragile d’un petit Saxe.

Je ne manquerai pas ultérieurement de me tourner vers vous, si ma démarche vous agrée. Par E- mail. Au gré du temps, et de nos contraintes. Cool.

Je vis à Montauban depuis 2018. 74 ans, invalide de " chez invalide ", sous assistance respiratoire continue. Mais la tête demeure.

Je vis entourée de chers livres, un peu comme vous je crois.

PS il fut un moment où la maladie d ‘ Aran-Duchesnes a été évoquée dans mon cas. Songeant à votre papa.

Soyez heureux, joyeux, tout au long de l’année nouvelle.

Je crois que vous avez aussi un rayon de soleil, Y. ?

Le mien se prénomme Rosa, bientôt 4 ans, et dans les yeux, le bleu des Deydier ?

C ‘est grandement à son intention que je fais ces recherches généalogiques.

Chaleureusement.

Mireille

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Il fut un temps où le vin jaune du Jura recevait son label après une mise au tonneau certifiée de vingt ans. Faire un tel vin était souvent une expérience marginale pour le vigneron et relevait d’un défi à la nature. La mise en tonneau pour une vingtaine d’année, sans l’assurance que le vin prît ce si particulier goût du jaune, cette note de noisette si caractéristique, était un risque : un investissement sans garantie. La législation, sous la pression des artisans viticoles se plaignant, suivant les millésimes, que leur vin finisse au ruisseau, en vin ordinaire, autorisa l’appellation après une mise au tonneau de dix années seulement. On ne sait par quel miracle, le prestige et la qualité de ce vin particulier a perduré. Mais peut-être qu’il ne reste que très peu de témoins qui sauraient dire la différence gustative dans ce traitement radical d’un temps divisé par deux. J’ai eu le plaisir de boire deux ou trois fois de ce vin magnifique, dont le mythique Château Chalons, mais je ne saurais dire ce qu’il en était des vins jaunes d’antan. Les amateurs de champagnes qui connurent celui d’avant le phylloxéra de 1911 comprendront. La législation, pour les mêmes raisons, considérant que la pression des vignerons n’avait entamé le prestige de ce miracle jurassien, autorisa l’appellation après sept ans ! Ce qui pourrait paraître encore long aux jeunes générations de producteurs. Mais s’agissant là d’un processus qui a porté ses fruits dans le respect d’un développement naturel et seulement lui, nul vigneron n’est dans l’obligeance de sacrifier à ce miracle.

On fait pourtant donc aujourd’hui du vin jaune comme on fait des vaccins. En volant le temps habituel dont la nature a besoin, en survolant l’observation et l’expérience dans la compréhension de ses lois. Mais peut-être que, comme on modifie du vin en laboratoire, obtenant ainsi chimiquement des goûts que le temps seul permettait autrefois, les scientifiques outrepassent ce moment de nature et maîtrise les processus de vieillissement. Donnant aussi, par les mêmes tours de passe-passe, un caractère plus ou moins proche du modèle d’origine recherché. Tendance château bordelais ou clos bourguignon, à partir de n’importe quel territoire viticole de la planète.

Peut-on, avec les vaccins qui nous sont promis en un an, se substituer avec une confiance égale, à ce que les développements de la matière demandaient de contraintes temporelles ? Tel semble le défi scientifique d’aujourd’hui. Puisse ces miracles d’accélération des processus ne pas aller au ruisseau.

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6 Janvier


La musique contemporaine n’est pas présente dans notre univers urbain, et exceptionnellement sur les ondes radios de la Culture. La seule contemporanéité admise est en général dans l’univers de la « rock culture » et son romantisme de bazar que la nécessité de vivre la soumission à l’ordre marchand comme une révolte sans concession (le mythe fondateur de James Dean, Elvis) produit ses effets les plus caricaturaux et les plus faciles à manipuler. C’est pourquoi, de « Libération », « Skyrock », des « Inrockuptibles » à « Fun Radio », des armées d’éducateurs s’emploient, avec une patience infinie à convertir la rage improductive de l’adolescence œdipienne en énergie utilisable par l’industrie culturelle. « Impasse Adam Smith »)

La musique contemporaine n’est donc diffusée que comme un vrai underground devenant par-là même élitiste (et c’est le paradoxe) échappant à une existence qui se devrait d’être le miroir du monde d’aujourd’hui. La musique scientifique, celle qui s’écrit, qui se transmet de chaînons en chaînons, celle se situant sur le vecteur de l’Histoire des sons, n’est donc diffusé qu’exceptionnellement ou à des heures de lépreux.

On n’aime pas cette musique parce que depuis la génération de ceux qui eurent vingt ans en 45, la violence en miroir nous est renvoyée dans un langage souvent torturé et sans concession. Elle s’est pourtant imposée dans les institutions et dans le tissu culturel après bien des agitations dans les années cinquante. Mais n’étant pas dans les clous, et représentant une frange marginale de l’industrie vomissant surtout les instincts les plus bas, sous couvert de légitime opposition à un ordre établi (rock indépendant, raps revendicateurs -à l’abri des contrats de féroces maison d’édition- ou à l’opposé, les toujours resucées en tous genres de l’amour/toujours). L’industrie étant l’argent et le pouvoir de l’argent, la rentabilité exige que le plomb se transforme en or immédiatement en vendant un plaisir immédiat dans une société de spectacle. Du déjà ressenti et du déjà entendu à chaque fois progressivement maquillé.

La culture n’est pourtant pas contre l’expression des arts contemporains. Il n’est qu’à compter le nombre de Musées d’Art Moderne ou d’Art Contemporain, y compris dans les villes les plus assoupies de province. C’est là que s’explique et s’opère le secret de l’exclusion des arts du son.

« De la musique, nous n’en n’avons pas en rayon… »

Malgré les trônes d’aisance de Marcel Duchamp, les pathétiques performances de Ben Vautier ou les subversives dérives des Signes du Dollar de Warhol, la sensibilité au visuel transite par l’intellect, et celui-ci, devant les dérives du bon sens et de la dérision bien comprise, ne manque de faire la part des choses. N’étant jamais touché au cœur, mais saisi dans sa compréhension conceptuelle, l’intellect reste de marbre, ou il s’épanche à distance, à froid. Il se drape dans son bon sens. Dans le meilleur des cas, il avalera la couleuvre et fera bonne figure dans les cocktails des galeries d’art. L’œil s’adresse à l’intelligence, à la cohésion des formes. Froidement et conceptuellement. L’oreille diffuse, par contre, la vibration des sons par toutes les fibres du corps pénétré tout à la fois des différentes vagues dynamiques des ondes, comme le ferait la lumière pénétrant au plus abyssal de soi. Dans son plus incarnant réceptacle, la danse.

On a refoulé la musique contemporaine aux portes de la cité parce que le corps est tributaire de ses sensations. Il subit le risque de se voir traversé par des vibrations déstabilisantes (les dissonances, les frictions harmoniques autrement plus redoutables que les plus audacieuses provocations visuelles). C’est tout un grand corps qui vibre comme une table d’harmonie de violoncelle. Le corps traversé prend le risque de ne plus contrôler ses dispositifs émotionnels. Et justement la société qui est la nôtre est basée sur le binôme de l’émotionnel et de son refoulement.

La musique de Boulez, celle de Stockhausen, l’électroacoustique dérangent d’autant plus qu’elles sont perçues comme un écho du monde, le nôtre, celui de la violence. On a donc refoulé le contemporain de notre univers, mais on a paradoxalement anesthésié notre sensibilité à la violence réelle à laquelle nous nous accoutumons, dans une grande schizophrénie sociale, à la violence du monde où nous vivons.

Le pervers Jacques Attali savait bien déjà dans les années 70, le rôle tenu par les « Bruits » que secrétaient la société. Il n’y avait qu’à tendre l’oreille.

Si le bruit est toujours violence, la musique est prophétie. Elle peut accompagner ou anticiper le devenir des sociétés ou en faire l’état des lieux.

La liturgie de la musique renaissante était la métaphore du sacrifice rituel, le ménestrel traduisait le monde médiéval et le concert du XIX° siècle annonçait depuis le salon bourgeois et l’opéra, la société et ses histoires, ses intrigues, ses passions, après avoir auréolé de ses fastes les palais royaux. La musique enregistrée annonçait la société de consommation, le jazz et le rock la révolte contre la famille.

La musique contemporaine est écartelée entre deux guerres mondiales, des camps de concentration, Tchernobyl, la mort ordinaire qui rejaillit solitaire, après n’avoir été qu’un passage vers l’au-delà, et demain peut-être l’enfer bactériologique.


C’est le baroque qui triomphe depuis les années 70 comme la frilosité qu’on ne dérange pas, comme un constat tout dépérruqué, qui dit que dans notre lignage, dans une nostalgie sans risque, nous n’avons pas complètement quitté l’Ancien Régime.

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7 Janvier


Le jour où la Gauche a adopté le libre échange mondial, elle a abandonné le peuple qu’elle considère aujourd’hui comme populiste avec ce que cela sous-entend de méprisable. Elle se trouve arasée jusqu’à sa base, avec douze millions d’électeurs dans son dos comme des baïonnettes. Elle s’est hissée sur une plateforme élitiste d’où elle définit la pensée bonne qui serait la nouvelle aristocratie pensante d’un Occident dont elle ne voit pas encore la décomposition. Je crois qu’on peut souhaiter « bon anniversaire Monsieur Mitterrand. »

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A Bernard :


L’autre fois, tu as choisi de très beaux vers, j’en suis content : buvons la malvoisie la lune ronde etc. C’est vrai que si tu les avais cités dans six mois, j’aurais jalousé l’auteur, me disant qu’il y a un peu de ma veine dans ces vers-là !

Comment les appeler ? Il y a ceux qui penchent parfois vers le haïku, parfois c’est la portée aphoristique qui prévaut, parfois c’est le texte court sans définition. Dans le site, on aime la liberté.

Question froid on est servi pour un petit pays comme le nôtre, toujours sous l’azur et le soleil. Depuis la fenêtre de la chambre qui donne sur la forêt, il y a une pellicule de givre qui se maintient jusque vers midi. C’est exposé au Nord bien sûr, mais nous sommes depuis plusieurs jour à flirter avec la neige qui nous fait signe depuis le Baou et le col de Vence rendu à sa calvitie blanche.

Chez Sauveur on peut boire le vin chaud sous une bâche (le vin est sous la bâche), et on va s’installer quelques minutes devant la façade des deux restos fermés, comme pour installer un petit forum improvisé. J’y ai sacrifié hier avec un ancien du lieu, après deux jours de gris et de pluie. Je ne venais plus depuis longtemps.

Je t’envoie un lien de toute une poésie aux alentours de chaque station de métro. Un peu de rêve pour ceux qui sont loin de Paris.

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Mireille bonjour ! et bien évidemment, bonne nouvelle année !

Votre dernier message a mis plus de clarté dans mes souvenirs qui allaient un peu dans tous les sens. Mais tout cela est si loin, bien que certains détails, certaines impressions resteront indélébiles.

Je ne sais si vous avez accès à mon site internet, mais par coïncidence, cette année 2020 j’ai écrit 2 textes qui sont directement liés au Rabat et à Aïn el Aouda de mon enfance. (Rubrique Voyages)

Il s’agit bien sûr d’une vision depuis le prisme d’un enfant de cinq à 10, 11 ans. Vous pouvez y accéder par louispoesie@free.fr

Mon père est né en 1922 à Kénitra. Il a disparu une dizaine d’année après son arrivée en France, en 78. Il avait ce qu’on nomme aujourd’hui une maladie orpheline. Une sclérose amyotrophique.

Lorsque je vois nos dates de naissances respectives, vous êtes finalement d’une génération qui est presque à mi-chemin entre celle qui m’a précédé et la mienne.

Benjamine de la vôtre, quasi contemporaine de la mienne. Mon cousin Georges, seule personne avec laquelle j’ai des contacts écrits ou téléphoniques (il est parrain de ma fille) est de 1949…

Sur la photo de votre petite fille, Rosa, il n’y a aucun doute, je crois voir le regard de mon grand-père Paul, bien que je fus âgé de sept ou huit ans quand il est mort. Comme ma tante Pauline disparue à 33 ans, je n’ai que de fugitifs souvenirs.

La tante Angéline, partie d’Algérie (Tirment ?) a fait le tour de la boucle, c’est la seule. Puisqu’elle est rentrée en France avec Jo et Henriette dans les années 60. Je ne sais pas quand elle nous a quitté. C’est vrai qu’elle avait une peau très fine et très blanche. Elle éduquait les enfants que nous étions, à l’ancienne. Elle nous proposait des problèmes d’arithmétique, en incluant toujours dans les calculs à effectuer, des perdreaux, des poules ou d’autres animaux de la basse-cour. Il ne fallait pas perdre des sous dans les comptes du marché !

J’espère avec vous avoir bientôt une vision plus précise de tout ce puzzle familial, parce que ce ne sont pas les cases manquantes qui manquent !

Je vous embrasse

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Mireille Deydier :


Dans l’immédiat, cher Louis, le carnet militaire de votre grand- père Paul. Le site Anohm est très utile.
L’histoire des Deydier en Algérie tourne , en Oranie, aux alentours du Telagh, Lamtar et Tirman.
Les filles Taurines , Tirman, copines d’enfance des enfants Deydier. Les taurines très impliquées dans la vie de Tirman. J’étais sous le charme d’Angéline ( je l’ai connue quand elle habitait Meknes chez ma sœur Régine ). Toute petite, elle tenait tête à mon père, dit Tonin. Mon père l’aimait beaucoup. Il la taquinait en la traitant de " bonne du curé ", de façon qq peu égrillarde…d’où les protestations d’Angéline…
Angéline m’avait envoyé la photocopie d’une photo CPA de Tirman mettant en scène les jeunes de Tirman durant la guerre de 14-18 ( historienne de formation, maîtrise décolonisation, je m’intéressais aux villages de colonisation en Algérie , liés à l’histoire de mes familles paternelles et maternelles, avec recueil de témoignages et docs ..ect).
Groupe important. Au centre, Marguerite Taurines, votre grand- mère, en costume alsacien !!! (Elle qui était tarnaise je crois). Pour la symbolique, la coiffe alsacienne, à l’époque, c ‘est parlant !
PS, à propos des Taurines, une fille Eychenne ( petite- fille de Maria ? ) a publié sur internet leur généalogie.
Les Deydier, Nous sommes alsaciens par les Kussi, la grand-mère Deydier. Je vous enverrai leur histoire établie par un cousin.
J’ai perdu la CPA au cours de mes tribulations après mon départ pour la préfecture de Guyane en 2003. Garde- meubles indélicat. Je n’ai que les noms de ceux qui apparaissent sur la CPA.
Le cœur serré à l’idée des diaspora successives qui ont été le lot de ces jeunes gens , tristesse.
Georges a peut- être accès à cette CPA ?
J ‘ai revu Georges , à saint – Brieux, chez Michel et Irène Sol Dourdin , juste avant le décès de Michel.
Incroyable : le sosie de Jo !!! Magique J’en ai été perturbée d’être ainsi ramenée à une figure familière de mon enfance , à un tempo oublié.
– Je vous envoie aussi le remariage de l’arrière grand- père Deydier en Algérie. Très utile pour les ascendances. Il s ‘agit du grand- père de Paul, Victor, Louisette..ect.
Je vous enverrai un récapitulatif.
PS je garde le contact avec Germain sol Dourdin, Bretagne, le plus jeune des Deydier.

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Mireille m’apprend que Tirment ? c’est Tirman en Algérie où est né la tante Angéline.

Louis Tirman est le nom d’un des principaux gouverneurs de l’Algérie au XIX° siècle. Son nom est resté jusqu’en 62.

………………………………………………………………………………………………………………………Avec les masques, nous avons le visage qui semble coupé en deux. Dans les rues, les gens vont à l’essentiel. Ce sont les regards, les yeux qu’on voit. Fugitivement. Et plus appuyés qu’à l’ordinaire, comme si le masque pesait plus et les regards devenaient moins innocemment furtifs.

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C’est une après-midi calfeutrée à l’abri du froid. Ce sont les commémorations de ceux qui ont, de près ou de loin, un rapport avec 21, l’année ou le jour de naissance. Caruso et Mario Lanza, que certains voient comme son égal (Elvis Presley l’admirait…). Je lui trouve un style horriblement racoleur. Et puis tous les trois sont morts de leurs excès respectifs. Di Stefano est de la commémoration. C’est le modèle de Pavarotti. Celui-ci prit un jour une gifle de son père qui lui préférait Gigli. Sena Jurinac aurait eu cent ans. Les chanteuses italiennes ont surtout des rôles de mères. On ne dénombre aucune Isolde parmi elles. Puis Madame Dietrich Fisher-Diskau, Julia Varady, délicieuse princesse du Danube dans les Strauss d’opérette et immense interprète du grand Strauss de Munich.

… vient ensuite Diana Damrau qui cherche à se hisser à la hauteur des noms cités ci-dessus. J’apprends que Zarzuela vient du mot ronceraie, du palais de la Ronceraie, palais des rois d’Espagne. Placido Domingo y excelle. Les critiques le voient comme le ténor du siècle, ou pas loin. C’est être amnésique.

Puis Yoncheva, altière, suave handélienne et mozartienne. Et le plus sympathique des hommes, Ruggero Raimondi, indispensable nulle part, très loin de ses modèles Pinza ou Siepi. Mais je l’adore quand même. Il est venu le plus simplement du monde au Conservatoire, non pour une représentation mais comme spectateur. Je l’ai surpris sur scène, avant le concert, cherchant le meilleur angle pour une projection optimale du son. Et quel comédien ! Plus loin, c’est le grand calibre, avec Pauline Viardot, fille de Manuel Garcia, et sœur de la Malibran.

J’apprends que le père de Claudio Arrau est mort d’une chute d’échelle comme Ernest Chausson d’une chute de vélo. C’est une après-midi presque épique.

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9 janvier :

 

A Bernard :

Depuis 2 jours le froid est inhabituel. Le col de Vence est aussi blanc que le Ventoux est pelé à son sommet.

Je reste de longues après-midi à lire et le soir arrive vite. On sent les journées qui rallongent dès le 5, 6 janvier.

Et les lectures du début d’année sont studieuses. J’ai bien aimé "Impasse Adam Smith", essai sur les mutations actuelles du libéralisme de Jean-Claude Michéa (Il a écrit plusieurs livres sur Orwell).

Puis m’attend en complément, "la culture du narcissisme" autre essai, sur la société de l’atomisation individuelle et les diverses mutations du monde, de Christopher Lasch, un classique paraît-il, qui m’aurait échappé.

Et le soir c’est "Venise à double tour", récit de voyage/enquête de Jean-Paul Kauffmann, qui cherche au travers de la ville, les trésors cachés derrière les portes définitivement closes de certaines églises.

La cousine de mon père, Mireille, m’a envoyé les fiches d’état civil où j’apprends que par le côté maternel de ma branche paternelle, j’aurais aussi une ascendance alsacienne (Küssi).

C’est assez troublant de voir le parcours ancestral au travers de documents, de dates qui parlent plus que de longs discours. L’écriture même des employés municipaux avec les pleins et les déliés à la plume me paraissent aussi éloignés que les signes égyptiens.

Il me semble que le site est lu. Quelques personnes ont dû faire circuler le lien. C’est bon signe.

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10 Janvier


Jacques Douai, si frais, si oublié. Voilà une injustice, dans ce monde qui se bouscule pour défendre ladite justice. Dans un pays normal, il n’aurait pas été donné aux orties.

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Twitter et Facebook ont pris la décision inouïe de bannir de leurs réseaux le président Trump, s’érigeant en dépositaires de la morale publique alors qu’elles ne sont que des entreprises privées. Des millions d’Américains basculant, en réaction, sur le réseau Parler fondé en 2018. Amazon, qui abritait les serveurs de Parler, va clore le compte de Parler, tandis qu’Apple et Google ont chassé ce nouveau réseau social de leurs applications, rendant difficile son accès. Cette discrimination scandaleuse ne repose que sur le ressenti des bienpensants. La démocratie est foulée aux pieds. Le monde de demain fait peur :  on veut rééduquer les citoyens, réformer leur pensée par le biais des réseaux sociaux et des médias purgés de toute opinion dissidente. Un maccartisme de gauche ?

Et si ce journal était épluché par le nuage ?

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LE SILENCE DU TEMPS LE SILENCE DES PIERRES


Dans un Carnet de 2012 je m’étais risqué à parler du silence, de cette impossibilité d’en saisir pleinement la mesure. J’avais omis la nature si particulière de certaines formes que le silence peut revêtir dans ces lieux clos que sont les cathédrales, ou parfois même de simples chapelles dénudées et sans aucun faste. Il ne s’agit pas d’ailleurs d’une absence de bruit qui est souvent la définition du silence, mais d’une sorte de zone franche à l’intérieur de laquelle le rythme propre du lieu vient envelopper l’espace délimité par les murs et les portes enrobant un territoire fertile de pulsations et de martèlement du temps différent de ceux qui précédaient avant le franchissement des enceintes de l’édifice. Il m’est arrivé dernièrement à Florence, de gravir la colline inspirée jusqu’à San Miniato tout là-haut d’où Florence se dresse dans son écrin de cyprès et de dômes, de pierres vénérables dans la cuvette de sa large plaine, creusée en son centre par le fleuve impassible. L’intérieur de l’église, sans être assailli par les foules (nous avions passé la mi-septembre), recevait son lot de visiteurs d’après-midi, venus sentir le temps se figer, s’abstraire de sa course habituelle, ou tout simplement du cours régulier des cadrans qui en indique le débit uniforme. Ce rythme si particulier, dès une fois franchi le seuil, semble habité de cet ancien droit de protection qui faisait que le voleur ou le criminel avait droit d’asile une fois franchi le périmètre du lieu sacré. Une sorte de zone ne reconnaissant pas les lois communes au commun des humains. Il semble que ce silence particulier qui est silence enveloppant, silence des pierres est aussi le silence que fait le temps qui a longtemps enserré un espace rendu non pas seulement à sa dimension horizontale de franchissement pas à pas d’une course inexorable, mais telle que la verticalité en est rendue dans toute la flexibilité embrassant ces limites définies comme hors du monde. Et c’est un silence apaisant qui souligne la réalité de notre présence. Un silence qui transcende la volatilité des paroles résonnant ici ou là dans les allées et aux voisinage des chapelles intérieures de l’édifice. Comme dans une principauté enserrée d’un monde différent par les lois et les règlementations, la mesure du temps, et conséquemment de ce silence si singulier, habite les limites de l’architecture religieuse. A San Miniato, je me suis fait l’effet d’un archéologue qui pénètre dans une salle vierge de toute présence depuis l’origine, et d’avoir adopté, sans qu’une interdiction ou obligation ne l’ait exigée, le ton de voix adéquat qu’adopte généralement tout visiteur. Comme si la spiritualité du lieu exerçait une force de non-dit ayant valeur de mise en conformité des lieux. Un îlot émergé dans un océan de bruit et de frénésie. Ce que communément nous nommons la paix retrouvée à l’ombre fraîche d’une église. C’est un sentiment qui n’est jamais démenti, fusse dans l’édifice le plus modeste au fond des campagnes. Ce qu’on pourrait nommer aussi le temps façonné. N’est-ce pas d’une certaine manière retrouver ici la relativité du temps ?  Et puis il y a l’odeur du silence. Elle peut se révéler immédiatement, après que la porte se fut refermée derrière soi, soit elle peut émerger progressivement, lorsque l’imprégnation de la pénombre se glisse sur nous. Odeur de cire ancienne, encore vierge de n’avoir servi de repère lumineux à l’âme anxieuse, ou parfum fictif des saturations de couleurs de certains tableaux qui respirent et palpitent secrètement, laissant l’illusion d’une émanation d’esprit qui suinterait une sécrétion de fleurs coupées ou de roses fanées et contrites comme d’avoir languies à l’ombre de passions secrètes. Ce sont toujours des parfums de paix inexplicablement, des baumes d’apaisement qu’aucun bedeau ni curé de paroisse n’aura cherché à imprégner par l’artifice de parfums, sinon de vieux encens lorsque les lieux sont encore consacrés et vivants dans l’activité paroissiale. Mais même dans les plus petits sanctuaires, comme certains que j’ai visité dans ces campagnes bourguignonnes, quasiment abandonnés, visités selon l’auréole du prestige d’un ensemble de peintures murales, ou le quasi anonymat de celles qui ont peu à offrir, mais où tous les cinq kilomètres ces havres de repos développent des parfums propres ne ressemblant pas à celui de l’église voisine. Je me suis longtemps demandé si le corpus même des édifices n’épousait pas l’intégralité de la vie immobile traversée par une lumière plus ou moins abondante, sur des murs plus ou moins épais, si les souffles des vents sur les champs environnants ainsi que la qualité ou la variété même des blés ou des fleurs, s’engouffrant comme dans une grotte, ne donneraient pas, avec le temps, une exceptionnelle patine et une fragrance propre à chacune comme on porte un prénom et qui, dans une enveloppe unique,  leur attribuerait des caractéristiques à aucune autre pareille.

J’ai toujours cherché lors de visites de villages ou de villes traversées parfois tambour battant, la tranquillité même d’un instant de curiosité brève, à pénétrer dans la coquille isolée, repliée sur le temps comme si sous les voûtes avaient enserrées un monde qui semblait dire « mon silence est le silence du temps qui est et qui a toujours été ». Une sorte de hiatus d’avec l’acharnement du temps qui accélère et que nous voulons maîtriser à l’image d’une vie qu’on cherche à dominer. (Ne pas perdre de temps comme ne pas perdre l’eau du désert : en demander plus à la vie : la folie de l’engrangement).

Bien vite la « névrose paroissiale » s’est installée dans ma vie, à mesure que je cherchais le cliché le plus pathétique, le plus original à tirer d’un vaisseau gothique ou d’un ensemble de peintures murales roman. Trouver l’essence, l’âme de l’arabesque ou de la nervure à rendre dans sa lumière diffuse ou sous le trait vigoureux et coupant d’une arête ou d’une montée ogivale.

Et j’avoue que ces visites improvisées ou parfois préparées de longues dates n’ont que rarement été décevantes. Il a fallu parfois lire la carte Michelin jusqu’à la froisser au point d’en perdre la lisibilité ne sachant plus si la départementale X croisait bien la Y à l’intersection du premier croisement à la sortie du village. Des égarées de temps sur le temps qui passait, sous les nuages parfois changeant et menaçant. Et puis au détour de la X et de la Y, bien plus loin, sous les blés courbés, le clocher enfin dressé dans les lointains, dans la nudité de l’isolement comme le naufragé éternel des campagnes, plus que l’appel des cloches, l’érection de pierre dans le fond de paysage signale que nous ne nous sommes pas égarés. Trouver une église naufragée dans le paysage de nos campagnes est aussi jouissif sur le plan esthétique que de résoudre une énigme pour le fin limier. L’approche même est mêlée tout à la fois d’impatience et de cette volupté particulière de se projeter déjà sur l’objet de la recherche et de saisir l’édifice sous des angles différents au hasard des derniers lacets menant au pied de celui-ci. Et puis l’édifice se dresse à nos pied, solitaire et silencieux de ce silence de sa certitude plus que de celui de l’isolement. Comme une sainteté dans l’anonymat de la houle des blés. Un jalon sur les marches de l’esprit.

Nohant-Vicq, le manoir de George Sand. Non loin dans la pierraille usée, les fenêtres en forme de meurtrières opaques, la vétuste chapelle à l’écart des chemins vicinaux, loin des bourbiers et comme posée à la croisée de routes secrètement tracées, au pied d’un immense chêne, l’oratoire aux peintures camaïeux. Une sorte de petite chapelle Sixtine à deux pas des poules et des bâillements du coq de la ferme. Le baiser de Judas entraînant dans les plis de leurs toges en un mouvement d’emportement polyphonique, la soldatesque et le Christ étreint de cette suée froide de la trahison comme une vague ondulante des personnages dans le fracas et le cliquetis des armes qu’on croirait les entendre réellement. Dans ce silence descendu de rayons pâles et obliques d’après-midi émergeant, les fresques sont, à certains endroits écaillés, sur les surfaces usées et gondolées des murs badigeonnés. Sur ces murs que l’ombre libère à mesure que les yeux pénètrent le silence du temps, se dressent l’Annonciation, la Fuite en Egypte coulées dans le bronze immobile des bruns et des ocres chauds, à l’abri séculaires de la pierre. C’est tout le paradoxe dans ces enquêtes rurales que de voir surgir dans les lieux les plus humbles, les plus inattendus, des trésors à peine protégés de l’érosion du temps et de hommes, les paroles retentissantes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Que de constater le voisinage des poulaillers, des étables (pas trop éloignées dans ce cas précis des Nativités) ou des nuisances sonores du tracteur se débattant dans les sillons à proximité d’une quelconque Traversée de la Mer Rouge. Messages oubliés, mis entre parenthèses des activités des humains comme de vieilles légendes que ne connaitraient plus que les derniers curieux d’un temps que ne découvrent plus qu’un silence de respect ceux qui s’aventurent à leur rencontre.

C’est ainsi à Brinay où les verts, sans être des Veronese, exaltent et rivalisent avec les plus beaux des blés de printemps. Où les chevaux furieux et fiers des rois mages cheminent en une harmonie de couleurs qui serait donc à Veronese ce que peut être de la glaise façonnée par les mains gelées d’un artiste brûlé par la seule foi. Mais si pétri de cette force silencieuse et patiente de la certitude.

J’y ai même rencontré un hollandais sentencieusement furieux (aux regards injectés de reproches) de voir la paix de sa contemplation troublée par mon arrivée dans la nef perçue comme une intrusion.

J’ai traversé les campagnes profondes, les villes modestes et même les plus grandes, où il est bien rare de ne pas pouvoir aller à la rencontre de ces lieux de pierre et de repli du monde. Il est d’ailleurs étonnant de penser que les espaces occupés sur tout le territoire national par ces îlots (le fameux manteau d’église dont parlait Raoul le Glabre vers l’an  mil), dans l’immensité plane des campagnes, retentissent en quantité innombrables et souvent insoupçonnées, comme en une stratégie militante, d’un silence grandiose au beau milieu des agitations de notre monde. Mais d’une présence permanente qui parle « du temps qui est et a toujours été ».

Et puis il y a des silences ornés, des ciselures du temps. J’y pensais à Florence lorsque méditant sur l’existence des édifices sacrés, je convenais que leur raison d’être était d’y enclore l’expression la plus pure des polyphonies. Que cette incarnation symbolique du silence et de ses mélismes n’auraient pu prendre leur essor dans des espaces naturels fussent-ils les plus idylliques. L’esprit est ainsi disposé qu’il se replie sur ce vide de lui-même qu’il ne rencontre que dans l’espace clos du recueillement. Le plus beau des concerts de musique sacrées auquel j’ai assisté fut vers Avril, durant la semaine pascale de 87. A l’église de la Visitation de Monaco. C’était un concert du plus grand dépouillement puisque, outre la voix haute et désincarné de René Jacobs, le clavecin seul et une basse continue servaient d’accompagnement. Durant une heure entière la résonnance du chant portait la fragilité des misères humaines, emplissant le vaisseau baroque de volutes sonores que la seule voix modelait en effusions et en nuances infimes les replis douloureux de la condition des hommes. Un pont dressé vers le ciel.

Dans le livre de Kauffmann, est-ce le silence des églises closes qui est l’objet de ses recherches ou les raisons qui les ont vues se refermer ? Le prétexte d’enquêter sur les églises vénitiennes closes et abandonnées semble le mener plutôt vers la dialectique du manque, de l’absence et du désir. Les citations à tout propos des traces de voyages de Jacques Lacan sur les mêmes lieux inclinerait plutôt à penser qu’il se situe dans une symbolique du trouble personnel refusant de ne voir dans ces églises fermées autre chose que d’anciens vestiges d’un temps fastueux devenus maintenant des vaisseaux échoués comme autant de bois flottés sur la Sérénissime.

Bossuet : « le bonheur est fait de tant de pièces qu’il en manque toujours une ».

… Jacques Lacan, qui fréquentait avec assiduité Venise avait raison : le catholicisme dans sa capacité à donner un sens à peu près à tout, détient des ressources infinies…La transfiguration esthétique à laquelle est parvenue cette ville relève de l’importance accordée aux sensations, aux textures, à tout ce qui procède du toucher, des sons, de la vue, de l’odorat. L’essence du catholicisme ne réside-t-elle pas dans cette ardeur à ressentir, à mettre le corps à contribution, quitte aussi à le mater ?…

… Ce Lacan qui voulait se faire ouvrir les églises fermées justifie le bien fondé de ma démarche, et figurez-vous la conférence avait lieu dans une église et en italien. Et Dieu sait si la pensée de Lacan est déjà difficile en français. Il s’est produit quelque chose d’étrange, il y a des moments où j’arrivais à suivre des phrases entières.

… L’approche du divin dans sa part la plus sensuelle, la plus jubilante dans ce pouvoir de symbolisation fascinait tant Lacan. Ces églises fermées en sont la quintessence. Elle porte très haut ce qu’il y a de plus occulte et de spirituel sans doute dans la transmission du temps.

…Le matin Saint Marc est rempli. On y fait la queue pour y pénétrer. L’après-midi il n’y a plus personne. Lacan disait de Saint Marc que c’était « quelque chose » d’organisé autour du vide… les églises fermées obéissent à ce flux et ce reflux…

Je me demande si Lacan n’a pas tambouriné sur la porte des Mendicati pour se faire ouvrir. A condition qu’il ait eu connaissances de ses fonctions funèbres, lui qui affirmait que la MORT C’EST L’AUTRE.

… Le mort est bien vivant. On ne s’en débarrasse pas si facilement. Il est parmi nous et en nous. Il continue d’exister et ne cesse, affirme Lacan, de s’adresser à nous en tant que futurs morts.

Lacan avait raison : avec un tel pouvoir de symbolisation, la puissance de séduction du catholicisme est inépuisable.

Lacan, dernier avatar du génie catholique ?

L’enfer c’est les autres, la Mort c’est les autres. C’est la surenchère de la formule. Ça commence à prendre des allures de fané. On est loin du toujours jeune « aimez-vous les uns les autres », mais peut-être que Sartre et Lacan anticipaient le si séduisant vivre ensemble d’aujourd’hui.

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15 Janvier


Péteris Vasks. Je découvre un compositeur enfoui dans des forêts de Lettonie (de Lituanie ?) d’où il semble n’être jamais sorti. Sa musique est la sidération des silences. C’est haut, c’est compact comme la force de la pensée dans le froid des sidérations. Ce n’est pas loin de la morphologie des formulations symptomatiques des quatuors de Beethoven.

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Il y a les livres qui nous ont servi, qui nous ont suivi et appris la vie, la vie dans les livres, et il y a ceux qui nous ont fait plaisir.

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Les murs à pourfendre.

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Lorsque j’étais enfants le soleil était jaune. Rond. Et ses rayons venaient jusqu’à nous. Depuis il a perdu ses rayons, il est blanc, diffus. On ne peut plus le regarder en face ne serait-ce qu’une fraction de seconde.  Peut-être que mes yeux ont vieilli.

On dit qu’il y a des tempêtes de soleil. Ce doit être ça.

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Mobius Arch, un défi aux lois de la physique, de la mathématique.

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A Bernard :


Trouver un disquaire est une presque utopie. Il peut y en avoir à Paris : ce qui veut dire qu’il n’y en pratiquement pas ailleurs. J’en ai rencontré un à Florence. En vitrine, Good-bye Cream 1969, pochette d’origine ! C’est dire si les vinyles et les revivals en tous genres reviennent à la mode. Les disquaires reviendront. Les cd reviendront. Sinon c’est à désespérer. L’interaction plateforme de vente / la poste est un scandale. Après avoir détruit les magasins de culture, ils contraignent à la vente à distance. Quant à la Fnac de Nice c’est devenu l’équivalent des nuggets d’il y a trente ans. A la Fnac, en fait de vendeurs ce sont de simples magasiniers qui s’agitent aux rangements. On est de plus en plus obligé de faire gymkana entre les caisses de livres à moitié pleines et à moitié vides. On a l’impression qu’on navigue dans une vague réserve de bouquins. Bientôt on les gênera dans leur gesticulation. Si tu n’es pas collé complètement contre une rangée de livres, ils passent devant toi sans te calculer comme de tristes fantômes entre le livre et toi pour continuer de ranger. En prime ils sont impolis. Déjà, il y a trente ans, un vendeur m’avait dit : "je vous réponds, parce que je veux bien, mais vous savez, j’ai d’autres choses à faire". Ce vendeur est toujours à la Fnac.

Maintenant ils vendent des casseroles, ce qui est plus conforme à un destin vacillant.

J’ai une belle grogne ça doit se sentir. Le séjour à Barcelone est annulé. Ils font faire des quarantaines jusqu’en Mai. On devait partir le 9 avril. On perd les billets d’avion par la même occasion.

Je suis prêt à faire le vaccin, je suis prêt à devenir un petit homme bleu, je suis prêt à me voir pousser des dents neuves etc. mais qu’on en finisse.

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Ecrit de Bernard :


Claude Debussy a composé l’œuvre « Jardins sous la pluie » inspiré par le jardin, entraperçu de l’hôtel de Croisy, situé rue Grande, non loin de l’église Notre-Dame d’Orbec.

Je te passe l’article wikipedia qui en dit plus long sur Orbec, mais qui n’est pas indispensable.

On y est allé parce qu’on voulait se promener et qu’il devait y avoir un marché. Mais point de marché, sans doute seulement en été. La ville est en train de disparaître doucement, gardant un charme timide. On a pique-niqué à la source de l’orbiquet, bucolique.

Le soleil accompagne cette fin de journée, et vive la Normandie.

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A Bernard :


Mon ami je note. Merci. C’est encore confus dans mes connaissances de la vie de Debussy, mais c’est un élément à noter. Monique Ariello m’avait offert un "jardin sous la pluie" avec des diagonales sombres qui tombent en pluie à l’encre de Chine. Puis des princesses bleues (aux lèvres bleues, des touaregs ?)  Je les ai mises au mur encadrées.

C’est un plaisir immense que tu ais noté ce fait d’histoire dans une promenade. Comme quoi on pense l’un à l’autre.

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« Il n’arrive peut-être pas d’évènements inutiles » Maeterlinck (Pélléas)

« Il dit qu’il sait exactement je jour où la mort doit venir » Maeterlinck (Pélléas)

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C’est « La Vague » de Courbet. C’est le sentiment qui me vient aujourd’hui.

S’il y a un Journal qui n’est jamais spontané, c’est bien celui de Jules Renard. Et puis quel fiel !

« La Mer » d’Ansermet est la mieux articulée de toutes. L’enregistrement n’est hélas pas à la hauteur des intentions. La vague finale déferle comme aucune autre.

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19 Janvier


J’ai échappé, dans la perspective globale d’un siècle, avec tous ceux de ma génération, ceux du baby boom, à la Seconde Guerre Mondiale, à la Guerre d’Algérie (qu’Edgar Morin propose avec insistance comme le temps des yéyé heureux et insouciant -que dans un sens nous avons vécu ainsi –nous avions dix ans…), à la première vague de chômage de masse, à la violence généralisée. L’avenir et notre passé proche, comme un incendie évité de justesse, firent de notre jeunesse et des perspectives qui se présentaient un univers béni fait de légèreté sur fond de cheveux longs, de contestation de pacotille comme d’une poussée d’hormones bien compréhensible, d’amour et de paix sociale. Comme une vie n’est pas faite entièrement d’un lit de roses, l’avenir vu depuis aujourd’hui, profilé depuis bien longtemps déjà, sera à coup sûr le pain noir du décor, de la dernière ligne droite de ma génération. Le prix à payer. La nonchalance de ceux qui eurent successivement les rênes du pouvoir, d’erreurs en errances nous menèrent au mur bien réel de nos impuissances actuelles. On le paiera au travers de nos enfants. Peut-être que personnellement nous ne verrons pas le pire. L’effondrement d’une civilisation, son remplacement par une nouvelle partition politique et religieuse, lentement et démographiquement édifiée depuis les années soixante-dix, au pic de forme justement de nos insouciances générationnelles. Demain, c’est au tour de la génération de mes petits-enfants d’affronter l’enfer que peu encore voit venir dans les temps qui arrivent. Pouvons-nous placer notre seule confiance dans la rassurante activité du consumérisme tous azimuts ? Je finissais hier les dernières pages languissantes de Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann, et ce ne sont pas seulement les églises vénitiennes qui meurent d’écroulement et d’inactivité sous le ciel de Venise, c’est tout un monde qui a changé peu à peu de face, que le décor en semble soudain inapproprié et relevant d’une pratique disparue : les signes de la mort à Venise, un symptôme. Il n’est pas plus sensible que cette ville où les multiples strates du temps qui a soufflé sur la lagune pour percevoir ce qui est encore vivant de ce qui va périr. Elle est la ville concentrée du temps qui a accumulé son histoire spirituelle et culturelle. Les portes fermées des églises de Venise en sont le symptôme le plus criant. Il reste les Tintoret les Veronese dans leurs écrins d’architecture et d’urbanisme triomphant. Il reste la splendeur byzantine et comme résumant la gloire de la cité symbolisée par la Place Saint Marc, comme il reste nos Champs-Elysées qui résument la Révolution française en partant de la Concorde qui marque les prémisses de celle-ci avec l’acte des décapitations en remontant à l’apogée de celle-ci avec l’Arc de triomphe et le point d’orgue de l’Empire napoléonien. L’histoire écrite, dans la pierre et sa symbolique. Mais personne n’a vu ou voulu voir depuis la fenêtre ouverte sur le temps de demain et moins encore avoir évité ce que ce temps nous réserve. Certains pourraient penser que ma vision relève du simple pessimisme et de données qui seraient fausses. D’un vieillissement tout simplement.  Mais qui peux dire alors ce que nous avons laissé de certitude aux générations qui viennent ? C’est malheureusement cette absence de legs et cette absence d’héritage que nous constatons dans cette béance qui siffle aux oreilles de nos enfants et petits-enfants du XXI° siècle.


Nous n’avons pas connu de guerres. Mais la fin d’un monde. La différence : dans le premier cas, on avait toutes les chances de reconstruire sur un même socle.

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Dans la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, une chose est à peu près sûre, c’est que l’ouvrage est illisible. Clément Rosset m’avait dit un jour : « pour lire Kant, il suffit d’être à peu près intelligent. Pour la Phénoménologie c’est autre chose. Il n’y a que les hégéliens qui peuvent comprendre ».

J’ai rouvert l’ouvrage il y a peu, et j’ai retenu une page, la 367 et les quelques suivantes qui me parurent lisibles. « Chacun doit dire la Vérité ». Comme une chanson de Guy Béart. Puis, « aimez-vous les uns les autres » où il s’agit d’un souhait, d’un penchant qu’on aurait pour son prochain, d’une volonté subjective d’un a priori pré peace and love ou post Jésus Christ. Sauf que la plus belle expression de ce penchant serait de déléguer cet a priori en un transfert contractuel à l’Etat et à ceux qui détiennent la possibilité de distribuer ce souhaitable à tout un chacun. Nous sommes-nous éloignés de la finalité recherchée par ceux qui nous gouvernent ou Hegel est-il bien ce penseur de la subjectivité la plus absolument débridée ?

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20 Janvier


Nous sommes sortis du confinement depuis plusieurs semaines, et je ne sais pourquoi, j’ai le sentiment d’un étouffement, d’une perte de dynamisme comme on dirait d’un moteur qu’il n’a pas ses pleins régimes. C’est probablement le fait que nous sommes dans cet embourbement permanent entre la contrainte de l’enfermement, le couvre-feu qui a suivi une trajectoire stratégique sensiblement différente, une liberté retrouvée sans vraiment retrouver la même, puis l’enfermement 2 qu’on qualifiera de désabusé puisque la stricte observation des consignes n’a été qu’un gigantesque mouvement d’épaules d’« à quoi bon ? » des populations. L’enthousiasme même, qui accueillait en manière de solidarité les soignants et leur dévouement à vingt heures tous les soirs de Mars/Avril à coup de casseroles, s’est dilué dans l’indifférence et la triste force de l’habitude. Comme si la farce avait assez duré. C’est aujourd’hui chacun pour soi. Enfin, il y a ces vaccins qu’on promet dans la confusion, le scepticisme et l’absence de planification.  Et puis cette désolante désorganisation toute française et une logistique fluctuante désespérante. Comme si le vaccin lui non plus n’arrivait pas à nous faire voir le bout du tunnel. Et puis les masques nous rappellent encore que le virus tue tous les jours. Puis les bistros fermés. Les restaurants. C’est dans cette mélasse d’impératif et de laisser aller que les jours passent, que les élans sont empêchés. Nous avons fait une croix sur le séjour à Barcelone. Il avait déjà été reporté en Mai dernier. Ce n’est pas demain qu’on verra les Miro et les Picasso, ni non plus les Gaudi espérés. Et le reste.


On s’attend à se faire à nouveau enfermer, façon première manière : pas d’enseignement, pas d’université, limitation des déplacements, couvre-feu en plus. La pandémie enfle dans le monde, elle prend des formes hybrides. 


J’entends des plaisanteries science-fictionnelles qui ne manquent pas d’une certaine logique du pire : « Demain, vous retrouverez dans une poche un vieux masque oublié et vous sourirez en pensant qu’il y a trois ans l’année 20 c’était pas si mal. Puis vous prendrez votre masque à gaz, votre machette, et sortirez tuer des zombies comme tous les jours. »

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A Bernard :

…  J’en ai profité pour ranger aussi des livres qui encombraient le guéridon, qui jonchent un peu partout. J’ai fini ce Venise de Kauffmann, et je ne sais pas trop où il a voulu en venir sinon suivre les traces de Sartre, Lacan en se donnant ainsi la caution de ces grands prédécesseurs, et suivre sur leurs pas une Venise qui se vit comme un jeu de piste. On a les grands romans qu’on peut. J’ai presque fini le dernier Onfray (est-ce bien le dernier). Entre temps il a dû en écrire un autre ! et soumettre au chef de comité de la marque Onfray de potasser quelque chose sur le monde après la pandémie. Je reste malgré tout fidèle à cet Onfray qui, dans le paysage médiatique, a une honnêteté qui tranche avec pas mal de "libre" penseurs maastrichiens.

Onfray est le seul auteur qui écrit quatre cent pages en suivant le monde en temps réel.

J’ai découvert un compositeur Letton, tout à fait improbable dans l’univers contemporain, Péteris Vasks (né en 46), à la musique belle comme des paysages d’hiver de papier glacé qui feraient penser à ces espaces de grand Nord, sensibles et lyriques éperdument…

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21 Janvier


Chaque année, ils sont de plus en plus nombreux ceux qui connaissent la date d’aujourd’hui. La décapitation de Capet.


DOUZE DE VENDU

Tout le monde publie des livres. Le monde de l’édition est une hydre froide et multiple et l’armée des auteurs édités innombrable que la banalité saisit ceux-ci comme les personnes qui paraîtraient dans l’univers des écrans de télévision. Il fut un temps où même lors de certains micro-trottoir, des badauds passaient et repassaient devant la caméra espérant être vus et disant à leurs proches « je suis passé à la télévision ».  Aujourd’hui on aurait plutôt tendance à banaliser le passage sur le petit écran sauf ceux qui reçoivent leur chèque. Et on aurait tendance à se méfier de ceux qui y prennent souvent la parole. Dans le monde du livre tout le monde édite sauf moi. J’ai bien publié « Le Livre des répons », mais je n’en ai vendu aucun. Enfin onze. Comment les acquéreurs de ce chef d’œuvre ont-ils choisi cet ouvrage ? Aucune affiche, aucune campagne d’annonce sur les murs de la ville. Lorsqu’il s’agit d’un ouvrage de Marc Lévy, la terre entière s’apprête à lire, des batteries de traducteurs piaffent dans les starting-blocks. Enfin, une fois édité, les murs des Fnac sont tapissés dès avant les premières marches d’escalator. Des murs entiers, avec toujours en une de couverture, le portrait de pied en cap, sourire aux dents blanches, l’auteur et rien que lui, sans décor autour. Aucune suggestion visuelle ou paysages ambiants, seule la concentration sur la photo de l’auteur, le titre et le nom en caractères conséquents. On ne peut manquer de trouver le livre que tout le monde attend.  On prévient chaque jour, en temps réel sur une échelle de valeur de un à dix, les meilleurs ventes. Marc Lévy, et quelques autres comme lui, ne tardent pas à se situer en haut du tableau. Des semaines durant. Je n’ai jamais lu Marc Lévy. Il est passé dans l’(es) émission (s) hebdomadaire (s) réservée (s) au monde de la lecture. Je l’ai entendu, écouté parler des caractères, des personnages et des intrigues, de l’intérêt de ses livres. Je ne suis pas allé au-delà, il défend très bien ses romans, sans ostentations inutiles.  Il ne peut pas en être autrement, les sourires fusent aux quatre coins de l’écran, c’est gagné, les ventes ont augmenté comme le cours de la bourse en moins d’une minute, deux regards et quelques sourires d’admiration. Et puis, il y a au-delà des poneys d’écurie sur lesquels misent les éditions, ceux qui livrent leur vague à l’âme, ceux qui estiment que leur vie vaut d’être donné en lecture. En premier lieu les champions du monde public. Comme dans un jeu de poupées russes, ils apparaissent en vrai une première fois, puis tous les jours à heure ponctuelle, puis sur la une des magazines dans les kiosques, puis en référents sur les sujets de sociétés, la pauvreté dans le monde, la nécessité de sauver la planète, puis enfin ils rassemblent le tout en un livre qui passera dans l’émission en question, et le cycle  des rotatives continue plus loin avec ceux qui eux, déballent simplement un épisode, un pic singulier et sulfureux de leur existence, genre « je vais enfin tout vous dire », comme celui qui remplit toute la vitrine de mon libraire ces jours-ci, « La familia grande ». Un titre qui sent le soufre, le maffieux. C’est excellemment trouvé. Pas besoin de donner de manuscrit à la maison d’édition, on est assez connu comme ça. Un coup de fil suffit. Le livre viendra après, écrit par un pro de l’écriture. Je n’ai donc vendu que onze volume, douze si on compte celui dont je me demande si je n’ai pas quelque part la bosse de la vente en directe.


Un soir que nous sortions de chez mon éditeur parisien (je ne l’ai vu qu’une fois), flanqué de Bernard et d’un auteur de chez le même éditeur, on s’est retrouvé à boire un coup et à se remettre de cette réunion des « auteurs publiés dans l’année », et la conversation a commencé à chauffer au point que le garçon de café, très professionnel dans son impeccable tenue noire et blanc , n’a pas tardé  à tourner autour de nous et de la conversation sur le Livres des Répons,  posé sur la table ronde menacé par les éclaboussures et les tâches de vin. En bon professionnel après avoir tourné dix fois autour de la table, entre deux coups de chiffon, entendu tous les mérites qui avaient dû être dit sur le livre, il s’autorisa à le feuilleter tout en tenant par en-dessous son plateau à la manière d’un derviche de bistro, et déclara au bout d’un moment « ça devrait plaire à ma mère ». Yahouda avait surtout remarqué les caractères hébraïques qui figurent dans la dernière partie, les Leçon de Ténèbres, où chacune des lettres initiales est psalmodiée en première ligne des strophes des Lamentations de Jérémie. Il sortit un billet de vingt euros qu’il posa sur la table sans demander la monnaie et me remercia. Et de douze. Parmi les onze autres, je dois dire que Bernard mon éditeur numérique, qui a l’exclusivité de mes œuvres complètes (écrits, dessins peintures, photos/poèmes etc.), a aussi acheté son volume en version papier.

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Tacite est probablement originaire de Vaison la Romaine, capitale des Voconces (peuple celtique), dans la Narbonnaise, donc même pas romain. Je me plonge ce soir dans le début de ses « Histoires », longtemps simplement caressées du regard.

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A Bernard :


Non je ne suis pas mort. Pas encore. Tu verras, dans quelques temps on trouvera dans une poche un masque, on dira en 2020, ce n’était pas si mal, on enfilera un masque à gaz, on sortira avec la machette et on frappera les zombies comme tous les jours…

Ne désespère pas.

J’ai vu Giacometti et Beckett ensembles sur une photo. C’est le désespoir en relief, leur visage à la serpe.

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Le chef d’orchestre invité, le grand chef, s’adressant au grand bassoniste de l’orchestre : « voulez-vous faire votre solo seul, ou que je vous encourage ? »

-Bernstein à Paris, années 70-

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Le cinéma italien court dans ma tête. Ma sensibilité revient vers Fellini. Surtout les Vitelloni, la Dolce Vita… Et Rossellini. Rome toujours. Dans l’antique, Rome aujourd’hui.

1962 ou 63, dans un cinéma de Rabat, la famille avait décidé d’aller faire fête au film de Monicelli, « le Pigeon », tournée quelques années auparavant. C’était plus une sortie familiale de solidarité avec un film sicilien qu’autre chose, et le phénomène se reproduisait à chaque sortie d’un Fellini ou d’un Pietro Germi. Lors de la scène du perçage de coffre-fort et ce qui suivit, j’eus l’impression que la famille entière se forçait de s’étrangler de plaisir et de rire pour mieux étaler une communauté de sensibilité avec cette Italie si lointaine que certains n’avait même jamais approchée.

Depuis notre séjour à Rome, je me sens aujourd’hui proche de ces films des années 50/60.

Mais pas dans le sens où les ressentait ma famille au Maroc.


16 heures

« Children’s Corner ». Debussy à la Tribune pour cet après-midi triste. Encore une fois le choix des critiques ajoute à la tristesse de ces dimanches.

……………………………………………………………………………………………………………………….25 Janvier


A Bernard :


Alors c’est pour quand. Demain, dans deux jours ? L’incertitude qui s’ajoute à la certitude de se voir encore enfermés. Restent les livres, la peinture. Je me suis payé quinze euros, un gros livre sur Fautrier aux édition Georges Pompidou. Ce doit être un catalogue d’expo. Avec la série des otages. Ça tombe à pic. Je vais le tenir mon sous-titre. Reclus 3 ou les otages de Fautrier. Enfin quelque chose comme ça. J’ai commencé "la familia grande" de la fille Kouchner. Je m’en serais voulu de l’avoir acheté. Cécilia a fait des photocopies d’un lien que m’avait passé Scrocco. Je ne lis généralement pas les états d’âme des peoples. Dès le début c’est un ton très bourge qui se veut dégagé avec des mots, des expressions très vulgaires à force de vouloir faire branchés sans en avoir l’air tout en le laissant paraître, genre "nous sommes des gens simples comme tout le monde". Elle appelait sa mère par son prénom. Ce n’est pas émouvant ? Sa mère, une féministe meneuse d’homme. Je crois que je n’irais pas au bout des déballages. C’est une manière d’insondable profondeur de la solitude. En riche. Tout ça entre deux chapitres hyper elliptiques des Histoires de Tacite. Grande profondeur de vue. Je pense toujours à cet auteur quand j’ai affaire à "gravé dans le marbre". Ça lui va vraiment. Figure-toi qu’il n’est même pas romain. Il est né à Vaison la Romaine, sur la longue ligne de la Narbonnaise. Il serait celtique. Étonnant. Et puis je me suis embarqué dans un livre de poésie chinoise : l’Eloge de l’ivresse. Tous les poèmes sont consacrés à la philosophie de l’ivresse, l’idée d’arrêter de boire et de ne finalement pas prendre cette décision scandaleuse. Trois cent pages d’ivresse dès le matin, torché le soir comme "une flaque de boue", dit-il. Sur la voie du Tao (le cours naturel des choses).

J’ai de quoi tenir le troisième round. Sera-t-il long ? Je t’ai parlé de cette photo de Beckett et Giacometti. Un concours de figures à qui serait le plus dramatiquement désespéré. A faire peur. C’est sur la couverture d’un livre d’échange de lettres. En noir et blanc comme il se doit.

Donc Barcelone ce n’est plus que de l’histoire ancienne. Ça fait deux ans qu’on tourne autour. On finira cet été dans le centre, l’Aubrac peut-être, la Bretagne. Mais c’est si loin encore. Moins de culture plus d’espace. On en aura besoin.

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-suite-

Vu ce soir « Pauline à la plage » de Rohmer. Plus vu depuis si longtemps. La fille est à se damner, mille fois plus belle et fraîche que cette Dombasle déjà vieille dans sa jeunesse.

… Ne crois pas que j’attache de l’importance au livre de cette Kouchner. J’ai eu l’opportunité d’avoir ces photocopies. Le style en est si mauvais, comme je te l’ai laissé supposer. Je n’irais pas au bout. Comment peut-on écrire comme ça. Décidément l’argent appelle l’argent.

Tacite c’est bien autre chose. Difficile de monter si haut. Même en traduction. L’air y est rare.

Et puis ces poèmes chinois. Je me suis laissé tenter surtout parce qu’il y a trois cent pages sur l’ivresse, mais la poésie asiatique en générale je n’aime pas trop. Presqu’autant d’ivresse qu’il y a de jours dans l’année. C’est à peu près le tarif d’une bonne addiction …

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La série des Otages de Fautrier. Des œuvres à la pâte épaisse comme une sensualité à malaxer et à fixer la matière. Des fulgurances monumentales malgré les dimensions réduites sur les pages du livre. Ce n’est plus du tout figuré et ce n’est pas abstrait. C’est une poésie de signes, de traces. Ce qui donne à ces monolithes un caractère sobre et monumental (au sens où l’on parlerait de beaux restes), comme révélés d’un passé antique, inachevé ou ressuscité.

Il donne une dimensions (pré)historique à ses totems, il les fait sortir directement de la terre comme un potier donne la vie sur son tour.

Fautrier fait chanter la glaise.

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26 Janvier


Le Président Macron devait intervenir dans les jours qui viennent puis a renoncé. On sent qu’il y a des perspectives, des choix et des décisions à prendre. Puis des orientations contraires sont aussi envisagées. Le flou est complet aujourd’hui. Les Français ne sont plus si sûrs d’accepter de se voir confinés. Le taux de mortalité serait de 0,3% et les hôpitaux négligent depuis trop longtemps d’autres maladies, d’autres opérations importantes. La politique sanitaire ne peut se focaliser sur la seule pandémie. D’autant que l’économie est maintenant à genoux comme le moral de beaucoup.

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Cinquante années bientôt depuis la mort de Stravinsky. J’avais lu l’annonce de son décès sur un quotidien de Genève, peut-être sur la route de Zürich. Un 6 Avril. Je ne sais pourquoi ma mémoire a retenu la date. D’autant que je n’écoutais pas encore beaucoup Stravinsky. Ce séjour helvétique nous avait vu traverser, Stef et moi, les routes plombées de solitude, d’attente en stop et de chaleur étouffante, jusque vers Saint Luc, dans les montagnes. Sur l’autre versant il y avait Gstaad, bien moins poétique et plus encombré. C’était une dernière étape dans un chalet de montagne, chez Yves Rio, le beau-fils de Lucia. Le village était à flanc de montagne en moyenne altitude. Les sapins et les cèdres du Liban géants enserraient les habitations et la vue portait jusqu’aux montagnes au-delà de la vallée.

Un seul bus passait dans ce village vers les cinq heures du matin pour laisser ses voyageurs dans la vallée, vers Martigny. La dernière nuit, n’ayant pas de réveil, on avait donc dormi à tour de rôle, l’un veillant dans le salon pendant que l’autre tentait de dormir dans la chambre. Ce qui fut totalement inutile puisque le bus en question ne passa que vers les dix heures, nous trouvant dans le plus complet abrutissement sous l’auvent de l’arrêt de bus sur le chemin en lacets, loin encore de la grande route vers Genève.

 Dans la tête nous avions quelques rengaines d’Aqualung de Jethro Tull qui venait de paraître. Puis aussi ce Moon in June qu’on n’arrêtait pas de hurler la nuit venue rentrant de quelque taverne sur des chemins étoilés

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27 janvier 21

Bernard :

« La Chair est triste hélas et j’ai lu tous les livres… Fuir là-bas fuir »

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28 Janvier

A Bernard :

« L’azur ! l’azur! l’azur! l’azur! l’azur » (du même). Que ne faut-il faire pour un alexandrin ! Sauf que ce matin c’est la grisaille (mais je sortirais, il fait doux). C’est comme en période d’enfermement, sauf qu’on peut sortir. On ne peut pas voyager, on n’a pas accès aux vaccins, on a pleins de privations mais on est à l’air libre. C’est l’ambiance. Quand on rencontre des gens dans la rue qu’on ne voyait pas depuis un certain temps, c’est comme si on avait été foudroyé : "et toi, ça va, oui et toi tout va bien ?"…Comme si la peste nous avait frôlé ou plus encore… Je crois que je vais finir par m’enfermer le plus simplement du monde. Parce qu’après le vaccin, on dira pareil : "Et toi, tu vas bien ? oui pour l’instant ça va…" J’ai revu avec plaisir Alceste à bicyclette, beaux numéros d’acteurs, beaux paysages et belle leçon de vie

– suite-

Je me suis replongé dans le Misanthrope. Et puis je continue les heures sombres du siècle I de l’empire romain. Galba, Othon, Vitellius… Tacite c’est comme Griffiths, sur toute la largeur de la vision.

Et puis Ludovic Tézier, sûrement le baryton/Verdi sans rival aujourd’hui sur toutes les grandes scènes, vient de sortir un enregistrement/évènement.

Tu vois on peut encore ne pas perdre le goût des choses.

La véranda c’est une bonne idée. Ce n’est pas si cher que ça. Bien sûr, si on n’aime pas les gravats… En 10 ans, j’ai connu l’intrusion dans le vide sanitaire (4 mois de travaux énormes) pour la pose de micro pieux. Nous avions une pelleteuse énorme dans le jardin, l’arbre en porte quelques traces sur l’écorce… Je pouvais voir les fondations de la maison. Cet automne des travaux encore, la pose d’un nouveau revêtement, de nouvelles haies.

Il n’y a que nous qui ne refaisons pas nos cellules, on ralentit seulement leur mort. Pourtant certains chauves vivent bien vieux.

C’est le 28, la fin du mois approche. Les textes aussi. Je m’en irais vers le Loup au premier frémissement de printemps pour de prochains "Reflets".

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29 Janvier


Depuis quelques années, on parle de Gustavo Dudamel pour n’en dire que du bien. Créature de « El sistema » au Vénézuela, créateur de l’Orchestre Simon Bolivar composé de jeunes issus des classes les plus défavorisées récupérés de l’enfer de la délinquance et de la drogue, on entend parler de ce chef d’orchestre qu’en des termes élogieux même si certaines de ses options peuvent être critiquables (la qualité du son qu’il tire des meilleurs orchestres n’est pas forcément meilleure avec lui) mais il a incontestablement la faveur des médias. La philharmonie de Vienne l’a souvent invité, il est actuellement, et ce depuis la fin des années 2000, titulaire de l’orchestre de Los Angeles. L’animal de scène a les dents longues et notre politique française en matière de recrutement ne pouvait que lui être favorable et même plus que favorable. Bien que n’ayant, à ma connaissance, aucune œuvre du répertoire de l’Opéra de Paris, qu’il ne joue en France ni à l’étranger, aucun Ravel, Berlioz ou Debussy, les hautes instances en matière de recrutement le pressentent pourtant pour diriger la vénérable maison. Que pourrait-on refuser à la candidature d’un soutien et ami de Chavez et de Maduro ?

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30 Janvier


A Bernard :

Ce n’est pas l’idéalisme que je condamnerais. C’est plutôt une vertu quand cela ne tourne pas à l’aveuglement. Ce Sureau (nous n’avons pas lu les mêmes ouvrages : tu as entre les mains la face idéologique du bonhomme. J’ai le recueil de poésie : pas mal) vient de l’ENA (promotion Droit de l’Homme), il a été haut fonctionnaire et se trouve académicien. Parcours sans faute dans le monde de la bonne conscience. C’est simplement ça que je déteste.

Sa poésie venant comme un appendice dans son parcours.

Réponse à notre élévation du niveau de vie par rapport à d’autres coin du monde : nous avons mis le cap sur des principes et des valeurs voici des centaines d’années pour atteindre ce niveau, les générations se succédant fructifiant à chaque fois l’héritage. Au risque d’affreuses guerres, mais conservant le cap et protégeant la réalité de cet héritage, façonnant notre sol (modifié au cours des siècles et se stabilisant), notre culture et tout ce qui fait notre socle commun.

Ce que des universalistes post révolution, des juges, des européens universalistes (droits de l’homme) balaient aujourd’hui d’un revers au nom d’un homme mondial identique sous toutes les latitudes ! (La fraternité dit-on). Et c’est, comme tu le dis très justement, parce que l’homme est vil, égoïste et stupide, qu’il peut aussi s’élever extraordinairement, que nous sommes différents suivant d’où nous venons. Que ces différences criantes qu’on observe au sein même de notre pays sont totalement incompatibles. La paix dans le monde ne peut exister que si l’on conserve ces modes culturels sans cette obligation du fameux vivre ensemble que ni les uns ni les autres ne peuvent vraiment partager. Je résume : nous avons fait quarante ans d’effort d’assimilation et de partage avec ces populations venant chercher ce que tu nommes notre "avantage" et ces population grandissantes ne donnent rien en retour. De partout où l’Islam circonscrit un territoire, c’est la loi de l’Islam qui "se doit" de s’imposer. Les énarques et les grands qui nous gouvernent n’ont pas fait monter ces réalités jusqu’à leur cerveau.

Je reçois des nouvelles de la cousine de mon père. Elle est courageuse. Presque tout le temps en insuffisance respiratoire, alitée et capable d’écrire et de continuer de faire ses recherches. Elle m’en apprend toujours plus sur la généalogie de la famille. Nous échangeons des photos, des documents divers. Drôle de relation. Quand je pense qu’enfant j’entendais les noms et les prénoms sur lesquels je ne pourrais mettre de visage, qui aujourd’hui reviennent dans nos échanges. J’ai misérablement égaré (je n’ai pas pu les perdre) des photos aériennes de la ferme de mes grands-parents qui jouxtait celle de cette cousine de mon père ! Tu te rends compte : des photos uniques qui montrent les fermes, la route qui les relie et enfin le chemin dans l’intérieur des terres bordé d’une cinquantaine de cèdres du Liban… J’espère mettre la main dessus. Elles ne peuvent qu’avoir été glissées dans un livre pour les protéger.

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Vous avez fait le Conservatoire de Paris ?

– Oui, j’y ai obtenu un Prix, je suis devenue altiste, j’ai rencontré Hugo le contrebassiste, on s’est marié.

Je faisais du piano, lui aussi du piano, on avait un jeu complémentaire, j’étais pour lui, lui pour moi. Maintenant on fait de la musique de chambre.

Les praticiens de la musique sont une caste dont l’horizon est prédéterminé.

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Entre la Place du Pin et l’entrée de la Place Garibaldi, la chaussée a été badigeonnée de bleu. Et deux magnifiques arcs-en-ciel délimitent cet espace. A l’entré et à la sortie de ce quartier de nuit. Les minoritaires qui fréquentent « le Malabar » s’affichent donc, orchestré par la Municipalité, dans un bel élan de séparatisme. A quand une rue réservée aux seules femmes, aux célibataires, aux misanthropes ?

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Trifonov est-il un homme normal ? Il pleure son Chopin avec des doigts qui défient la génétique.

Argerich dit de lui qu’il sait des choses que Rubinstein ne sait pas.

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Les grands vestiges, les capitales, les mondes comme objet de curiosité, les voyages. Je pourrais m’en passer, m’en éloigner. Mais pas de l’Espagne et de l’Italie. De Salzbourg non plus.

Nous enfermer ? On l’est déjà. Mon corps me lâche doucement, lentement. Ma libido, mes bétabloquants…

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A Jacquot :

… Je dois commencer à faiblir. Dans la maison on n’entend plus que « La Belle Hélène ». J’ai beau aérer, Cécilia doit se douter de quelque chose. Mozart commence à bien faire, c’est bien rangé, mais Chalchas et Ménélas c’est un peu comme le vertige le long des parois qui grimpe vers la cité de Théra à Santorin. La Grèce antique sur trois pattes qui se bonifie et moi qui vieillis. Et puis j’ai l’alibi de mettre en boucle la version de Leibowitz, le coincé de l’équerre sérielle. Il dirige Offenbach comme quelqu’un qui s’en va au lupanar. « Quel plaisir, Vénus, trouves-tu à faire cascader la vertu ? »

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1 Février

Masséna. Librairie Masséna, la seule qui constitue un véritable univers du livre. Y passer au moins un moment tous les jours ou tous les deux jours. A l’étage, au rayon philo je vois toutes les tranches rouges des rééditions des ouvrages de Clément Rosset. Je m’attarde sur la Logique du Pire, un de ses premiers. Ça sent encore l’université. Comme à l’alignement des planètes, j’aperçois un grand jeune homme qui se rue sur le même rayon, et visiblement il cherche son bonheur à la lettre R. Et voici qu’il ne quitte plus les livres de Rosset. Il en ouvre un, puis un autre, puis visiblement il les réserve. Et ainsi sur tous les volumes du rayon. J’ai du mal à replacer ma logique du pire à l’endroit où je l’avais prise, un espace béant s’étant installé sur l’étagère. Nous sommes maintenant côte à côte, ce que je déteste dans une librairie. Il peut y avoir cent ou deux cent mètres carrés, c’est toujours dans le rayon où je consulte un ouvrage qu’une avalanche de personnes s’agglutine au même endroit. Je dépose donc mon livre tant bien que mal dans la béance, tant et si bien que sans un regard et dans la seconde qui suivit le jeune s’en empare sans aucun autre instant d’hésitation. Pour consulter les Rosset, il faudra donc attendre la prochaine commande du libraire. Je me suis vengé un peu plus tard avec les souvenirs de Maximilien Samson François, le fils du pianiste.

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Il vient de paraître, ce qui me semble un inédit, de Garcia Marquez. Une sorte de biographie un peu ébouriffée, sans trop de rigueur stylistique, sur la vie de Ramon Hoyos, coureur cycliste colombien légendaire dans la mémoire du pays, du temps des tout premiers Tours de Colombie. Je me souviens de ce que Cécilia m’avait dit à propos de l’écrivain dont je louais l’extraordinaire Cent Ans de Solitude, qui m’avait répondu qu’il n’avait pas trop de mérites à ne rapporter que ce qui, somme toute, n’était que des épisodes banals de la vie quotidienne de sa région de naissance. La réalité étant même souvent plus imprévisible et irrationnelle que dans la fiction des Cent Ans de Solitude. Et ce n’est effectivement que lorsque je vécus quelques temps dans ce pays, que je me rendis compte que le surréalisme au quotidien est une dimension propre à la Colombie, mélange de situations burlesque, composites d’Afrique noire, d’imbroglios familiaux, de caisses de résonnances et d’amplifications des faits, de croyances et de mythes invraisemblables comme ce fait qui nous aura suivi jusqu’à la disparition de la mère de Cécilia :

Arrivés un 2 décembre 93 à l’aéroport de Bogota, par le plus grand des hasards, il se trouve que c’est ce jour-là que fut abattu après une longue traque le fameux Pablo Escobar. Comme un chien. Je revois encore les images de sa corpulence lourde baignant dans son sang sur les tuiles défaites de la maison dans laquelle il se terrait, sans qu’aucun trait de son visage ne fut maintenant reconnaissable à la Une des journaux du lendemain. Ma belle-mère évidemment tout à son émoi, nous conta par le menu les dernières heures de la traque et les commentaires qui furent diffusés durant des heures sur les ondes. Par plaisanterie, ou peut-être pour détendre un peu notre arrivée dans ce climat tout à l’émotion, je dis à l’abuela : « ne vous inquiétez plus Mami, Pablo Escobar est mort, NOUS SOMMES LA ». Et bien il n’en a pas fallu plus, malgré le ton de plaisanterie qui ne laissait aucun doute sur mes paroles, pour savoir, et l’avoir entendu répéter par ma belle-sœur, que ma belle-mère a, depuis ce jour, toujours cru que d’une manière ou d’une autre, j’avais été engagé dans l’action qui mit fin aux jours du narcotrafiquant.

Don Julio, mon beau-père m’avait dit quelques années auparavant : « la Colombie vit dans la violence, celle-ci est en nous. ». J’avais rétorqué qu’un peu de bon sens et quelque peu de raison dans la vie des colombiens et les choses seraient vues sous un meilleur jour. Il a simplement souri, incrédule.

Un matin on avait rencontré Fernando, un photographe ami de la famille, près d’un marché de Pereira. Il fut invité à diner le soir même chez ma belle-mère, dona Elena.

Nous l’avons attendu au-delà de vingt et une heure. Voyant qu’il ne viendrait pas, on se mit à table et n’avons plus pensé à lui. Il tint à honorer l’invitation en frappant à la porte vers vingt-deux heures trente alors que nous avions desservi depuis longtemps et que Fernando nous était maintenant sorti de l’esprit. On lui tendit tout de même une chaise mais à aucun moment il ne réussit à avaler plus d’une bouchée. Se confondant en excuses et feignant un vague mal de ventre. Le Fernando avait dû honorer ainsi deux ou trois autres invitations similaires et arrosé d’autant sa présence un peu plus loin. Nous l’avons eu sur les bras quelques bonnes demies-heures encore.

Et puis, il y a les voisins qui s’installent sur le canapé à deux heures de l’après-midi et sont encore là vers vingt-deux heures. Qui s’installent, qui viennent à la cuisine d’où émanent de succulents fumets et qui finalement s’invitent à rester. Ma belle-mère n’a jamais su se faire autorité. Le moindre frappement de porte est ici source d’aventure irrationnelle, de démesure qui échappent à l’échelle et aux normes de notre Europe occidentale. Comme au théâtre, on apparaît, on disparaît, on dramatise, d’autres fois ça donne dans le cocasse.

Parfois personne ne peut plus entrer ou sortir de la maison… C’est « L’Ange Exterminateur » de Buñuel.

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3 Février


La pensée de gauche a délaissé le droit des peuples, a retiré depuis bien longtemps son soutien aux masses populaires, rebaptisées avec mépris en populismes pour revenir à ses bases ancestrales, à savoir les idéaux progressistes des Lumières. C’est depuis toujours sa pente naturelle. Son électorat populaire s’étant évanoui depuis longtemps sous d’autres hospices, le segment qui demeure dans ce qui reste de la gauche professionnelle est le sarclage des minorités quelles fussent LGBT, racialistes ou dangereusement islamistes. Les caisses de résonnance médiatiques suffiront-elles longtemps à compenser le faible poids de voix au fonds des urnes ?

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4 Février


A Bernard :


Cela fait toujours plaisir de voir la mise à jour du carnet dans le site. Je ne suis pas allé voir encore la poésie (janvier).

Quelques retouches à mes pensées du mois au travers de ta lecture /

Le 7, je souris simplement, et c’est un clin d’œil aux mitterrandolâtres quand celui-ci distribuait la poudre aux yeux tout le temps de son ascension au pouvoir. Le "peuple" a bel et bien compris qu’il avait été trahi et s’est dépêché vers d’autres horizons. La gauche a donc fait allégeance (au mépris d’un référendum défavorable de 2005) à la seule Europe de Maastricht -libre échangiste économique- abandonnant notre industrie délocalisée (avec transfert de technologie à la clé le plus souvent). La gauche ne croit plus qu’à ce qui a toujours été son credo : le Progrès issu des Lumières. Aujourd’hui électoralement le Progrès, ce sont les minorités aux caisses de résonance fabuleusement médiatisées (il n’y a plus même besoin de structurer les partis, les médias dictent le programme…) : racialisme qui nous inonde entre 2 confinements, tyrannie des LGBT, féminisme radical, et finalement une gauche qui louche vers les symptômes des maladies internes des E.U. Avec pour paradoxe, une gauche néo communiste ruinée qui n’ayant plus d’électorat ni rien à perdre, joue la carte de la jonction avec l’Islam.

De même qu’avons-nous gagné à cet autre transfert de souveraineté qu’est l’Europe fédérale ? Le libre échange ? Mais on n’a pas attendu cette Europe-là pour échanger librement ! Sauf qu’on le faisait souverainement.

Voilà quelques rectifications ; tu sais, mon carnet n’est pas un traité d’économie ni de psychologie, ni d’esthétique…Il ne peut être exhaustif dans tous les domaines.

Le 12, de ma méditation sur le silence, tu n’auras retenu que cette semi-provoc sur Lacan. (Sais-tu qu’il avait un frère proche qui était entré dans les ordres. Que le même Lacan avait été compagnon de route des surréalistes -une pièce de théâtre les réunissent, avec en guest star, Sartre, Camus et quelques inattendus…)

Seulement des écoles et des hôpitaux ? Tu oublies à chaque fois la dimension spirituelle de l’humain. (Quel que soit les civilisations)

Enfin le 19, tu dis que ta conclusion est le contraire de la mienne. C’est étrange, dans l’effondrement de notre civilisation, je ne fais que poser une question. Et elle pourrait s’avérer positiviste dans l’esprit : QU’AVONS NOUS LAISSE DE CERTITUDES A NOS ENFANTS ?

L’année est belle et bien entamée, et j’ai toujours cette appréhension de la page blanche poétique. Pour le carnet je me laisse porter par tous les courants, toutes les sensations et toutes les réflexions comme tu le constates.

Une illustration pour 2021, Bien sûr. Un titre et des intertitres toujours…

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20 heures

J’ai eu Michèle Cianea au téléphone. Celle qui nous coachait dans les années quatre-vingt-dix. C’est la première de mes connaissances qui a perdu un membre de sa famille. Elle a elle-même contracté la Covid. On espère se voir quand on baissera les masques.

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Aujourd’hui il n’y a plus de patrie, de pays, d’orientation collective de pensée sur les universaux. Il ne reste que la personne, l’individu qui a mal au petit doigt qui se tourne vers l’Etat, vers les juges.

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6 Février


Bernard :


…non je n’oublie pas la dimension spirituelle de l’homme

mais tous ces amas de pierres sont surtout là pour garantir un séjour heureux après la mort, ça n’a rien de spirituel, juste la peur de la mort.

Comme le commerce des indulgences ! Pitoyable. Vive la réforme et les petites églises protestantes en bois, moins chères et beaucoup plus spirituelles.

Bien sûr, quelques-uns ont dû mettre de l’esprit dans toutes ces constructions, et certainement beaucoup d’art, mais les financeurs étaient juste en train de se préparer un lit douillet au paradis, et ils ont été bien déçus. Bien fait.


A Bernard : « SI, TU OUBLIES »


Quel étrange courrier ! Que de contradictions en peu de phrases. La peur de la mort et l’église ? La foi des croyants se veut justement une espérance et un rempart apaisant contre la mort. Et (mais encore ça ne regarde que les gens de foi), une eschatologie qui transgresse la mort (C’est d’ailleurs le mystère des mystères). C’est justement cette "chimère" qui par ailleurs irrite les positivistes, les gens de raison.

Ensuite la magnificence des "grands" édifices de pierre serait contradictoire avec la vraie ferveur. Pourquoi ? La hauteur et la majesté sont certes un orgueil  de la foi de ces temps-là, mais pas plus que la religion du progrès et du dollar dans l’érection des buildings. La foi aime toujours à se manifester. Et l’histoire du catholicisme montre sa foi en l’affichant, sans fausse pudeur. (Un charme ostensible en Espagne)

Ensuite la Réforme et ses petites églises en bois (!?). (Et oui, elles sont essentiellement en bois en Norvège, partout ailleurs avec les matériaux disponibles, et en pierre quand la protestante fait face à une catholique dans des pays de pierre). Les églises protestantes sont franchement laides. Quelles soient par leur air coincé plus ferventes, n’engage que toi. Comment mesurer la foi ? Voilà un problème pour scientifique.

Si tu avais lu, c’est cela qui m’attriste, mon commentaire de janvier sur les silences de la pierre et du temps, il se trouve, dans ce pays, beaucoup plus d’humbles chapelles de campagne (le fameux blanc manteau d’églises qui se forme de partout autour de l’an mil) qu’il n’y a de Chartres ou de Reims. Lesquelles cathédrales respirent la grandeur et jamais n’écrase quiconque. Elles s’élèvent, c’est tout.

Ensuite, mélanger la dimension des églises et le commerce des indulgences est sans rapport. Mais je vois que l’on ne retient que ce que l’on a envie de haïr.

Le protestantisme n’a pas d’église c’est vrai (église veut dire d’une part assemblée des fidèles et par extension, sa hiérarchie dans le domaine du clergé : il a fallu s’organiser avec le temps). Le protestantisme, cette horrible constipation n’a pas d’église mais se montre très vigilant et favorable au progrès du capital en Angleterre au moment du développement de la grande industrie. Le protestantisme est la caution morale à tous les débordements à la naissance de ce capitalisme-là, sa caution (voir Kant et sa transposition quasi laïque de l’imposition de l’impératif catégorique de la loi morale), là où le catholicisme continue d’enseigner le mépris des valeurs matérielles. C’est d’ailleurs un des credo essentiels du catholicisme. Par contre, New-York, la Babylone contemporaine est née protestante, ça a permis pas mal d’indulgence. L’affreux protestantisme est la face hypocrite d’un développement qui justifie la montée de l’Angleterre contre la France qui culminera au 19° et c’est ce que Richelieu déjà voulait éviter en France (un Etat dans l’Etat). Quand on ne singe pas les américains on singe ou on subit la férule anglaise. Ce que nos rois ne voulaient pas.

En peu de phrases, tu as confirmé ce que Pascal Bruckner résume de la situation sociétale actuelle par "l’homme blanc pris pour cible, parce que candidat à sa propre flagellation". L’homme blanc considéré comme chrétien originellement.

Tu pourras par ailleurs lire l’article complet, c’est du Zemmour en jumeau.

Quid de janvier ? je n’ai rien vu sur le site.

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 Mireille Deydier :


http://lmv.uca.fr/eychenne-julia/
Bonjour Louis,
Je ne parviens à retrouver , à votre intention, la généalogie de René Eychennes et de Maria Taurines aperçue il y a longtemps sur internet.
Voici une Julia qui pourrait être la petite- fille ?
Marguerite avait deux sœurs : Angéline, et Maria qui a épousé un Eychennes.
Maria a eu un fils, René né au Maroc à Port – Lyautey le 13 septembre 1921 et décédé le 13 avril 2004 à Clermont-Ferrand.
Ce René a eu trois filles.
Je les avais rencontré vers 1971-1972 à Clermont ou j ‘ai vécu jeune mariée.
Je me remets difficilement d’un nouveau pépin pulmonaire. Cloîtrée dans ma cellule….
Bon dimanche Louis
Mon neveu Jean- Yves me demandait hier si vous vous souveniez de lui.
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à Bernard (suite) :

Bon, une fois encore, je ne vois pas le rapport entre la magnificence d’un lieu de culte qui donnerait une bonne place au paradis. Le bon Dieu n’est pas idiot tout de même. Dans d’autres religion (Moloch, les Egyptiens, les Maya etc, les sacrifices jouaient un rôle dans l’obtention d’une bonne place dans l’au-delà, dans la religion chrétienne, on n’achète pas sa place au ciel avec de l’or ou même de la pierre ciselée). Ce sont des choses qu’à force tu as oublié. As-tu remarqué qu’il n’y a jamais qu’une seule religion qui est publiquement attaqué parce qu’elle ne se défend pas. Pour certaines, la critique est même tabou. J’ai donc noté notre échange sur le carnet, histoire d’avoir à relire ce que nous pensons de tout ça.

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Certains écrivent sur Venise au pluriel, sur une Venise imaginaire ou bien trop charnelle, trop érudites de sa mémoire. Morand voit des Venises comme j’en ai vu avant de l’avoir vue. Tant qu’on n’est pas allé à Venise, on a la liberté de la caresser de tout cet inconscient, de toutes ces imageries collectives qui font qu’on la reconstruit à l’échelle de son imaginaire, sans peur de la trahir. On peut en effet dire de Venise qu’elle est le Lido de la rencontre avec Visconti, qu’elle est le musée imaginaire où chacun y puise la broderie et les masques de ses propres fêtes galantes. Tant qu’on ne la connaît pas, c’est une Venise dont on n’a pas à craindre qu’on en dise des mensonges. Avant d’avoir rencontré la femme de sa vie on a d’abord reconnu celle de ses rêves. J’ai rêvé des heures entières sur une Venise à la tombée du jour, bleue de brumes et de mouettes, une Venise d’hiver froide et cristalline, fragile dans ses profondeurs, comme déjà dans l’état d’engourdissement avant l’engloutissement. Une Venise qui se préserverait dans le fond de sa lagune, vierge s’enfonçant comme Ophélie sur son lit de nénuphars, de vase enfin, à l’abri des hommes.

Depuis Mars Venise est recluse de manière intermittente. Elle a eu son printemps d’épidémie. Ces rues et ses eaux, les berges de ses canaux ont vécu de la vie dépouillée qu’on aurait jamais imaginée plus beau décor de fiction pour le promeneur solitaire. Pas même un prince d’orient n’aurait pu obtenir, puisant à pleine louche l’or de ses trésors, ce qu’a pu réaliser l’épidémie. Le silence, le clapotis des eaux sur le flanc des berges. Les places désertées sous le soleil. La lumière sur les fuyantes de ses perspectives, que pas même dans le plus opulent de ses urbanismes de songe Chirico n’aurait osé cibler Venise.

Et c’est ainsi qu’elle est apparue dans toutes ses fibres réelles à ces quelques privilégiés durant les mois de Mars et d’Avril. Des photographes ont pu planter leurs appareils sur Saint Marc débarrassé des terrasses, des garçons de café,  des flonflons des contrebasses et des violons tristes pour y rencontrer et y concentrer la seule lumière crue sur la pierre et les festons de la basilique en une longue profondeur de champ que plus rien ne trouble. Des Canaletto pour de bon. Des décors de théâtre sur de tortueux coulis d’espaces ponctués d’eaux et de quais somnolents, de palais endormis et de jardinets sur les placettes. Des ocres jaunes rouges et verts à Campo de Gheto Novo, à San Nicolo dei Mendicoli, des silences de vieux fantômes à la Calle « tutto andrà bene ». Avec les vapeurs du matin sur l’île de la Giudecca comme du plomb d’un lourd vaisseau échoué, les nouveaux silences de ces tragédies de l’écoute que Luigi Nono n’aurait jamais pu même imaginer ici. Enfin, une Venise sans le tournis, la rumeur, le charroi des grappes humaines, et des bucentaures. Avec seulement les gondoles à quai et l’ombre du jour tournant sur la pierre.

……………………………………………………………………………………………………………………….j’avais écrit il y a deux ans que je faisais un rêve impossible en imaginant Venise égoïstement vidée de ses habitants pour mon seul plaisir.

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Mireille :


Hello Louis,

Je vais finir par trouver les cousines Eychenne ( ce sont elles qui ont publié l ‘ arbre généalogique sur la toile ).

Il me semble que René habitait le village de Boufekrane, près de Meknes.

Je poserais la question à mes frères Maurice et Gilbert ( 85 ans et plus ).
La jeune femme au chapeau : Nini ?


Elle a raison c’est Boufekrane. La mémoire revient. La mémoire s’appuie sur des certitudes qui restent approximatives. Comme cette certitude que ce voisin (Henri Lo Iacono) de la rue Taillandier, qui devait, de retour définitive en Espagne, vivre à Tolède. Alors qu’un simple détail, une fois moi-même à Tolède, dans une lumière d’évidence, je compris qu’il était parti pour Avila.


La mémoire saisit un élément comme un objet qu’on pose provisoirement, par associations d’éléments, par voisinages d’idées (visuels, phonémiques, temporels) jusqu’à oublier ce provisoire considéré comme une certitude qui s’avère fausse. En l’occurrence la proximité de Tolède et d’Avila. De Khemisset –sur le chemin-et de Boufekrane.


Puis, bien plus tard, à l’occasion d’un retour sur l’évènement, un détail fait réapparaître cette fausse vérité mémorielle qui sert de socle dans le puzzle, et apporte le correctif à la manière de Maigret « Mais bon sang, c’est bien sûr »

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7 Février


A Mireille, avant son dernier courrier :


Ça commence à devenir plus clair pour moi. Je peux déjà poser en rangs les noms du plus haut qu’on remonte (actuellement), puis à la génération des grands-parents et en partie à la vôtre.

Le temps d’assimiler, les rouages vont grincer encore.

Il est étonnant que je n’ai pas souvenir de la troisième soeur Taurines, Maria. Avec ce prénom je l’aurais retenu. Ma mère se prénommait elle-même Annonciade-Maria, mais on disait simplement Nina du côté de sa mère, et Nini du côté d’Henriette. Ça ne mâche pas le travail des généalogistes !

Par contre, je suis sûr maintenant d’avoir passé des vacances à Khemisset

(c’était donc Boufekrane)


dans la famille de René Eychennes. Les trois filles, plus âgées que moi, sont un bon repère.

Et si je ne me trompe, la dernière se prénommait Mireille. C’était une des seules fois où mes parents me laissaient loin de la maison. Je m’en souviens d’autant plus que mon père qui n’avait plus d’auto était venu me chercher en 4CV.

La photo de Julia serait donc celle d’une petite fille de la branche René Eychennes ? Elle paraît encore très jeune. L’âge de ma fille.

Ce serait inespéré d’avoir une photo des trois filles Eychennes ? Peut-être les reconnaîtrais-je ? Je sais qu’en ce peu de temps (vacances de Pâques) je jouais souvent avec la benjamine (Mireille, la plus proche de mon âge) qui me faisait tourner en bourrique.

Julia serait une fille d’une ces trois sœurs.

Quant à votre neveu, je n’en ai pas souvenir. A quelle occasion l’aurai-je rencontré ?

J’ai écrit à Georges Salemi pour le prévenir que je vous donnais son numéro. Comme il ne me répond pas, je vous le transmets avec un peu de retard : 06 80 45 11 45

J’espère que votre santé se remet peu à peu. Nous avons un hiver chaotique. Les éternels étés sur la Côte sont un peu brouillés en ce moment…

Passez un bon dimanche

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La vie n’est pas ce qu’on a vécu, mais ce dont on se souvient.

Le principe de la bourgeoisie, ce sont les plafonds hauts.

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Ludovic Tézier chante maintenant Verdi comme personne. Il a attendu patiemment, la voix a mûri depuis son rôle de l’Etranger de Vincent d’Indy. Je l’avais entendu dans quelque messe en si de Bach, entouré des meilleurs, dans quelque oratorio ou cantate où sa voix émergeait avec aisance, mais jamais on n’avait osé lui offrir un récital à la mesure de son talent. C’est chose faite. Fallait-il que sa vocalité déborde du cadre habituel pour qu’une firme accepte d’offrir un récital complet à un baryton. Kauffman peut pousser la chansonnette, faire des anthologies de grands airs, les barytons sont beaucoup moins vendables. Tézier a donc d’énormes moyens. La voix, mais aussi l’aisance dans le costume de ses rôles. D’autant qu’avec son physique de mauvais empereur romain, sa présence scénique le pose plus encore dans le drame. Avec lui l’orchestre est à la fête. Je suis allé urgemment aux rôles shakespeariens, à Falstaff et surtout Otello, au Credo. Il s’en dégage la foudre et le venin de Iago : « Je sens la fange originelle en moi … Oui, je crois en un Dieu cruel qui m’a créé semblable à lui… » évocation qui glace le sang dans ce monologue infernal. Il fait la foudre, créé l’horreur, jusqu’à ce que l’orchestre engloutisse la voix dans l’aigu triomphant.
C’est vrai que les barytons Verdi de vraie race se font rares. On n’oublie pas que c’est pour Victor Maurel que furent créés les grands rôles de cette catégorie vocale du vivant de Verdi, et que jusque dans les années 20 une tradition s’est maintenue. L’espace d’un instant j’ai cru au fantôme de Battistini. Mais les enregistrements des années 10 du siècle passé ne conservent que le lambeau des timbres de voix. Sa carrière en grand solitaire de la scène commence seulement maintenant. Ira-t-il jusqu’à Wagner ? Il aurait belle allure à Bayreuth, mais son profil est si bien moulé dans la culture latine qu’on peut en douter. Il m’avait ému, pas seulement par l’ampleur de son chant mais aussi par une intelligence rare lorsque parlant de Georges Thill, il disait qu’à la fin de l’acte I de Werther, celui-ci dépassait ce que le chant peut exprimer pour se hisser vers quelque chose qui relève d’une dimension spirituelle que n’exprime aucun autre dans le rôle. Il ajoutait : « Thill en était-il conscient ? ». Question qu’on pourrait poser à tout artiste hors norme.

Je garde aussi un souvenir de Georges Thill datant de 1977/79. Il signait des autographes au foyer des artistes de l’Opéra de Nice. Quand mon tour arriva, il eut un petit mot comme il a dû en avoir pour chacun des admirateurs ce jour-là : « Les gens sont indisciplinés, les wagnériens sont plus civilisés, ne trouvez-vous pas ? ». Il a dit quelque chose comme ça mais j’ai peur de trahir ses propres paroles.

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LE CREDO DE IAGO

Je crois en un Dieu cruel
qui m’a créé à son image
et que dans la haine je nomme.
D’un germe vil ou d’un atome,
vil je suis né.
Je suis un  scélérat parce que je suis homme,

je sens la fange originelle en moi.
Oui ! Telle est ma foi ;
je crois d’un cœur ferme,
autant que la petite veuve au temple,
que le mal que je pense
et qui de moi procède,
il est mon destin que je l’accomplisse.
Je crois que le juste est un histrion
je crois que sur le visage et dans le cœur,
tout en lui est masque,
larmes, baisers, œillades,
sacrifice et honneur.
Et je crois l’homme jouet du sort inique,
du germe du berceau
au ver du tombeau.
Après une telle dérision vient la mort.
Et ensuite?…ensuite ?…
La mort est le néant,
et le ciel nous trompe encore.

Credo que j’écoutais souvent quand je découvrais les drames shakespeariens de Verdi. Dans le noir de la mansarde d’alors. Et que j’ai toujours considéré comme le comble de l’aparté théâtral à l’égal des plus vives introspections du théâtre de Mozart.

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Dans les souvenirs de Maximilien François, fils de Samson :


« Eric Heidsick qu’on avait bien oublié, dit que la seule leçon que lui ait donné Samson François est dans le « ritornare al tempo », « comme l’inclinaison du corps en avant précédant notre premier pas. Savoir se glisser dans un rythme qui existe avant que vous soyez rythmisés »

Une des premières qualités de pianiste doit être une mémoire tactile. Le toucher doit toujours être amoureux. Les trous de mémoire ça n’existe pas, ce sont des défaillances affectives.

Samson François posant les pouces sur les touches noires ! Tout ce que l’enseignement interdisait »

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10 Février

« Madame de Jonquières » librement adaptée de Diderot, d’un épisode de Jacques le Fataliste : celui de Madame de Pommeray. Merveilleuse fable sur les labyrinthes de l’amour, les paradoxes du désir.

… Un bonheur qui ne dure pas, on appelle ça du plaisir.

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12 Février


A Bernard :


Tu remarqueras qu’il y a beaucoup de notes sur la musique dans le carnet. J’espère que tu ne trouveras pas ça fastidieux. Il commence à y avoir aussi beaucoup de courriers provoqués d’une certaine manière par Mireille Deydier.

D’un autre côté je trouve cet échange passionnant. J’y revois des noms qui émergent, de vieux souvenirs, des phonènes de noms propres qui ne me sont pas étrangers. Peut-être qu’un de ces jours je verrais le tableau généalogique avec plus de clarté. Je n’ai jamais brillé dans ce domaine pour m’y être très peu intéressé. Maintenant que l’occasion se présente et que tous les vivants de cette histoire ont disparu…

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Mireille Deydier :


Louis, quelle chance de voir les beaux mimosas !

Et bonne année ! A la chinoise.

Cette semaine, très agitée, aux urgences (désaturation en oxygène un peu trop prononcée…) Mais suis de retour chez moi. Davantage assistée à l’avenir.

Ma fille Sophie est venue s ‘occuper de ma situation. Je reste chez moi. A mon grand soulagement.

Si vous me donniez votre adresse, je pourrais ainsi vous envoyer ce que j’ai.

Avez- vous l’itinéraire des Kussi établi par un cousin Desguerre ?

– Les parents de votre grand- père Paul : Eugène Deydier né à Sainte – Jalles , Drôme , et Joséphine Kussi née à Oran ( duché de Bade, Alsace ).

C’est ennuyeux, le premier d’une branche Deydier Deydier : prénommé Eugène ou Paul, un coup l’un, un coup l’autre, on en perd son latin.

Il me semble que le livret de famille de Eugène et Joséphine se trouverait, à Roanne, du côté des filles de Guy Sol Dourdin. (deux filles , Valérie , dans l’immobilier (?), la seconde, office notarial. J ‘étais en relation avec Guy jusque à son décès. Mais bon je n’avais pas encore demandé.

Je demanderai à Solange Deydier, la fille d ‘Auguste, en Epadh à Saint- Gaudens de me renseigner,

– et celui des parents d’Eugene ? Dans quelle famille ?

Je demanderai à mon aide- ménagère de m’attraper les classeurs, tout y est rangé par famille. Je suis une recueilleuse de documents et témoignages, sans doute par intérêt familial et de par ma formation d’historienne. Je bute sur les archives départementales de la Drôme, aussi je ne suis pas remontée très haut. Il est possible qu’Henriette ait pu reconstituer plus avant l’arbre des Deydier.

Avez- vous connu les enfants de Roland Batty, le fils de Louisette ? Je suis aussi en relation avec eux.
PS je crois me souvenir que sur le trajet Rabat- Meknès, halte habituelle à Khemisset , connu pour ses brochettes et son marché arabe.

Voilà, cher Louis.

Beau Mimosa !

Ci- dessous, à Moulay- Bousslam, la terrasse de mon très cher frère Francis, mon frère aîné, mon ami fidèle, le confident privilégié de ma vie, hélas décédé l’an dernier au Maroc à 87 ans, et ramené en France.

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A Monique Ariello :


Je suis ravi que ces Lamentations vous inspirent. Entre celles de Jérémie, celles de Couperin, et de Jean Gilles, je suis en bonne compagnie…

J’ai rafraîchi un peu les murs du salon et accroché le "Jardin sous la pluie" et "les princesses bleues" à la meilleure place. C’est d’un très bel effet.

C’est vrai qu’avec les circonstances actuelles il est difficile de programmer quoique ce soit. Nous avions en projet d’aller à Barcelone, c’est annulé.

Je ne perds pas l’idée d’aller dans les années qui viennent à Rabat sur les traces de mon enfance. Je ne voudrais pas avoir le regret que j’ai aujourd’hui

de ne pas y être aller avec maman quand c’était encore possible. Figurez-vous que j’ai été contacté par la cousine germaine de mon père (!) en décembre dernier.

Étonnamment, elle est plus proche de notre génération (47) que celle de mon père, étant de loin la benjamine de la sa génération. Historienne généalogiste de formation, elle m’a fait parvenir des tas de renseignements sur nos arrières-grands- parents et collatéraux depuis leur arrivée au Maroc.

Je ne désespère pas de venir avec Cécilia vous rendre visite dans vos montagnes lorsque les contraintes et le retour à la "normale" reviendra.

Je vous souhaite l’inspiration toutes voiles au vent dans la réalisation de vos leçons de Ténèbres.

………………………………………………………………………………………………………………………Léonie Rysanek n’a-t-elle pas dit à Elisabeth Schwarzkopf : « … de nous deux, la viennoise c’est moi ». Querelle de Maréchale.

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J’étudie la battue de Pierre Boulez.

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Coup de fil de trente minutes à Dan Belmonte. Ça faisait bien dix douze ans qu’on ne se parlait plus. Elle habite maintenant Montreuil. Elle a été bien agréable. On a promis de se rappeler.

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16 Février :


9heures :

Mireille bonjour,


Je reprends votre courrier dans l’ordre de lecture pour ne rien omettre des points qui me sont obscurs.

Comme toujours ce sont les noms qui parlent. Et comme il y a tant de cousins !

– Desguerres ! j’ai encore dans l’oreille le nom d’un Marcel Desguerres.

– Sainte Jalle j’y suis passé voici quelques années, sachant que c’était peut-être le lieu de naissance de Paul, mon grand-père. Vous le confirmez. C’est un tout petit village, avec une grande avenue bordée de platanes.

La curiosité qui mérite le détour, c’est l’église romane. Nous y sommes entrés et je me suis demandé si mon grand-père avait été baptisé là, ce que j’ai voulu croire en voyant le baptistère. Et jusqu’à quel âge a-t-il vécu là.

– C’est finalement Boufekrane où j’ai passé ces vacances avec les filles de René Eychennes. J’étais sûr que c’était Khemisset, finalement vous avez raison. Khemisset est simplement sur la route.

J’aimerais avoir des précisions sur ces soeurs, des photos anciennes peut-être, de la maison. Je me souviens qu’on jouait souvent autour du corps de bâtiment, qu’on organisait des courses.

J’ai en effet deux petits enfants. Mon épouse étant d’origine colombienne, ma fille Hélène leur a donné des prénoms assez exotiques : Y. pour le garçon (sorte de Jason sud-américain) et la petite se prénomme Liweï, ce qui lui va à merveille avec ses yeux légèrement fendus en amandes. On en en fou. Car elle sait déjà charmer à 13 mois. Elle a fait ses premiers pas pour les fêtes.

La famille Batty, on les a d’autant plus connus, que nous avons habité une dépendance de leur villa au quartier de l’Aviation à Rabat. Leur grande villa (quand on est enfant on voit tout en grand) était au centre d’un jardin, et pour parvenir à notre petit pavillon il fallait contourner la maison par un sentier circulaire qui en faisait le tour. C’est dans les parties à l’ombre des grands arbres de clôture que j’ai connu les premières morsures des orties. Je me souviens bien du nom de Louisette. Je n’ai jamais compris quel était le degré de parenté.

Voilà, j’espère que vous continuerez à dévider pour moi les lianes mystérieuses de toutes ces vies qui m’ont croisé et dont j’ai encore un écho quelque part dans ma mémoire.

Les mimosas sont déjà saturés et prennent une vilaine teinte grise. Ils n’auront pas même attendu le carnaval annulé depuis l’an passé.

14 heures :

Mireille Deydier :

Je vais vous envoyer l’arbre complet des Deydier.

Dans l’immédiat :

Votre grand – père avait deux soeurs :

– Louisette mariée à Achilles Batty au Maroc, et Émilie dite Lili mariée à Rabat à Germain Sol Dourdin, la petite dernière.

Il avait aussi deux frères :

– mon père Victor (parrain du votre) né en 1899 en Algérie à Lamtar, marié au Maroc à Émilienne Deydier à Meknes,

– et Auguste , plus jeune, Né en Algérie et marié à Jeannette Hecquet à Casa.
Je pense que votre grand- père Paul a du naître en Algérie lui aussi. A Sidi- bel- Abbès où vivait Joséphine Kussi. A Lamtar ? A Menara ? Etc.…il avait très peu d ‘écart avec mon père Victor.

Les Deydier- Kussi, Ils se sont installés en Oranie, d’abord à Lamtar puis à Tirman.

Les Batty sont de Parmentiers, on trouve les Taurines à Tirman (les femmes Taurines très impliquées dans la vie du village, par ex pour la fête ? Cf articles de journaux de l’époque, je crois que Angélique s’occupait du presbytère).

NB que beaucoup d ‘archives des villages d ‘Algérie ne sont pas sur le site de L.anfom outre-mer Algérie. Ce site permet une interrogation à partir d’une liste de villes pré- définie, de types d ‘actes, d ´année, de patronymes.

Par contre on peut remonter les archives classées par type d’actes (naissance, mariages, décès) par année pour certains, mais bon, c ‘est long…

Et bien sûr les archives de Sainte – Jalles.

Des archives ont disparu où sont encore bloquées par le gouvernement algérien.

Ainsi, demandez à Georges son lieu de naissance. Henriette a dû recueillir le livret de famille.

Je vais continuer les recherches.

Indiquez-moi votre adresse, pour envoi de docs.

Les des Guerres ont bien remonté l’arbre des Kussi. Je l’ai.

Paul est né le 29 janvier 1898 à Lamtar Algérie.
Classe 1918 au regard des matricules militaires.
De Eugene Deydier et Joséphine Kussi

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Réponse à un message de Patrick Scrocco :


On pourrait presque dire que ce clown ne pouvait venir que de Belgique. Je me permets de m’attarder sur ce document que tu m’envoies parce que justement c’est sérieux. Nous pêchons en effet par un absolu vide spirituel dans le monde occidental, et l’Eglise en est particulièrement responsable. Vatican II a permis "l’égalité" des religions c’est à dire "l’équivalence" de toutes. On voit où ça mène avec l’émergence d’une religion qui, elle, n’a pas peur de ne pas être "moderne".

De voir aujourd’hui un jeune prêtre qui n’est même pas conscient qu’il s’abaisse à singer les jeunes de son âge m’attriste. L’Eglise pense que son déficit de modernité est le seul problème qu’elle n’arrive à surmonter.

C’est faux. Ce qui lui manque c’est de ne pas avoir préservé le message christique (pour ceux qui croient) et de l’avoir dénaturé : au lieu de faire monter l’homme vers une part qui en lui serait divine, il fait descendre Dieu vers les humains, ses misères et ses injustices. Dieu n’a pas à descendre sur terre pour régler les tristes tribulations humaines.

« Mon royaume n’est pas de ce monde ».

Je dirais même que l’Eglise se mêle aujourd’hui exclusivement de sociétal alors que ce n’est pas son rôle. Le prêtre, le Pape, confondent souvent leur mission avec celle du secrétaire général du parti communiste. Franchement, entendre parler le Pape François aujourd’hui c’est entendre parler une ONG proche de l’extrême gauche. L’église en meurt. La société occidentale catholique est parvenue à une société à 100% athée.

J’ai fait un tour dans les milieux orthodoxes en Grèce, il faut voir la ferveur des fidèle le jour du 15 Août. Rien à voir avec le comportement niais de boy scouts que se donne les ecclésiastiques catholiques. Sous prétexte de faire "copain", de faire jeune. Comme ce pauvre prêtre, bien dans ses robes ecclésiastiques –il a jugé utile, en forme de clin d’œil au mouvement LGBT probablement, de préciser « qu’un prêtre c’était tendance, ça portait la robe » mais qui n’a rien compris de l’essentiel : « Mon royaume n’est pas de ce monde », une fois encore. Tant que l’église se perdra dans l’action exclusive du monde, s’adaptant au gré des vents terrestres et au dernier son de cloche, (elle sera toujours doublée sur sa gauche), elle verra ses églises vidées encore un peu plus. En un mot, elle est tellement à côté de ses pompes qu’elle en devient ridicule. Comme j’ai trouvé ridicule ce jeune belge qui tient à nous montrer qu’il sait parler "jeune" jusqu’à en faire trop (la coke?). L’église n’a donc pas peur de toujours plus de surenchère. C’est tout ce qui lui reste.

A quand son prochain album de rap ?

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17 Février


Cécilia me précise cette chose qui met tout le monde d’accord : « C’est aujourd’hui le mercredi des Cendres », « Souviens-toi que tu es poussière, que tu retourneras à la poussière ».


Je sentais bien que cette correspondance nouvelle avec Mireille Deydier me mènerait au cœur même des terres de mes aïeux. J’ai toujours été persuadé que cela n’avait pas commencé au Maroc, mais en Algérie. C’est donc dans la région de Sidi-Bel-Abès et de ses environs que le nœud premier s’est formé. Lamtar, Tirman … Le premier Deydier, celui qui a drainé tout à sa suite est donc mon arrière-grand-père parernel, Eugène. Le seul qui en fait ait vu le jour en France métropolitaine. A Sainte-Jalles, où je crus il y a quelques années pour m’y être rendu, que c’était mon propre grand-père Paul qui y était né.

Et c’est tout naturellement que depuis deux mois, est-ce un hasard (?), j’ai sur le guéridon le Tocqueville, « Sur l’Algérie », qui m’attendait…

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18 Février


A Bernard :


Je suis sur trois lectures tout à fait sans rapport. Dont une qui était comme un pressentiment des renseignements que je reçois de Mireille Deydier. : "Sur l’Algérie" de Tocqueville.

Il fut député observateur de l’organisation de la colonie française dès l’origine. A quelques années près, mon aïeul le plus éloigné (mon arrière-grand-père paternel) s’installait cultivateur près de Sidi-bel-Abès.

Mireille m’a envoyé les cartes de la région où se sont formées les alliances de nos ascendants. Fascinant.

Parallèlement le Tocqueville des « Voyages » écrit aussi bien que Chateaubriand.

Le confinement m’inspire une lassitude qui s’alourdit. Ce qui l’an passé n’était qu’une contrainte dans sa logique sanitaire de solidarité, assez bien acceptée, est devenu lourd et paraît aujourd’hui informel.

La longueur de la chose y étant aussi pour beaucoup. Ce qui me désole le plus c’est l’impossibilité des voyages. Cette crise arrive au moment où on a la liberté totale, et encore en pleine santé, de parcourir les grandes capitales comme on avait commencé en 16.

Hier matin c’était orwellien. Il y avait une queue de "vieillards", volontaires pour la vaccination, partant du Casino Ruhl jusqu’au beau milieu du Jardin Albert I. Une centaine de mètres !

Sinon, il y a déjà des baigneurs. Des vieux aussi. Au cuir bien tanné.

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Réponse à Patrick Scrocco, en réaction au rapport attendu de Benjamin Stora sur une tentative de « rapprochement » entre l’Algérie et la France :


Tu as bien fait de m’envoyer ce document. J’attends les autres volets avec impatience. Notre Président est d’une inconséquence absolue. Avoir confié un rapport de "rapprochement" entre l’Algérie et la France à un rapporteur dont tout le monde sait qu’il a toujours été un infâme militant qui n’a d’historien que le masque, c’est comme commander un rapport sur l’alcoolisme à un représentant actionnaire de chez Ricard. Soit Macron est conscient de ce hiatus, et c’est un dangereux cynique, ce que je crois, soit il est conseillé par un cabinet obscur qui lui aura glissé à l’oreille le choix de ce monstrueux historien. Et pour une raison qui saute de plus en plus aux yeux : exposer d’éternelles fautes commises par la France qui nous vaudra à l’avenir de subir l’invasion de fait de tous ces ressortissants algériens exigeant de droit leur présence arrogante dans notre pays.

Ce qui explique qu’avant même les présidentielles de 2017, le même Macron soit allé à Alger parler de la colonisation comme d’un "crime contre l’humanité" avec toutes les repentances permanentes qui rythment comme un leitmotiv toutes les vagues non moins permanentes des émigrés venus d’Algérie.

La France a peur, si elle ne poursuit pas dans ce sens, que ce rythme de migration soit encore pire dans une politique qui se cabrerait devant les dirigeants algériens.

Macron a choisi la politique du pire plutôt que la force du droit.

Est-on encore dans un pays indépendant ?

Question entre nous ? Comment se fait-il que la moitié de l’Algérie se vide pour se bousculer sur le territoire de ces infâmes massacreurs et mécréants français ?

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20 février


De l’espace, il manque de l’espace à nos jours. J’envoyais ce matin des photos de la ferme Deydier à Mireille. De vieilles photos de printemps où les noirs étaient noirs, les blancs étaient profonds et le printemps dans sa lumière rase de fin du jour ressemblaient bien à une renaissance. Le genre de photos qui vieillissent longtemps dans de vieilles boîtes de chaussures et qu’on retrouve un jour avec cette distance que porte le regard encore plus grand dans le temps et le fossé élargi de la nostalgie. Il semble même que ce temps n’a pas existé, que les personnages qui y sont fixés revêtent simplement l’existence que pourraient avoir les statues froides d’un décor vaguement et distraitement entrevu. Les évènements les plus anodins se situaient sur des théâtres de plaines infinies. La pose prise avec le cousin, l’oncle ou les vieux grands parents s’étalaient démesurément dans des paysages que notre regard rétrospectif revoie dans une dramaturgie supérieure. Les signes du bonheur sont souvent invisiblement enveloppés de la dramaturgie de l’environnement et de ce qu’on considère à rebours être un trop plein de beauté. Une lumière descendant ses ombres sur la scène du premier plan, un bouquet d’arbres frémissants. Peut-être est-ce ce fameux sublime pascalien sans lequel notre abandon à des forces naturelles supérieures n’engendrerait cet éphémère moment de grâce que les clichés anciens volent au temps.


Autre espace esclave, cet espace de la longue et monotone avenue Jean Médecin à Nice. J’avais remarqué lors d’une promenade que Cagnes-sur-Mer était la ville qui soignait les maux de l’âme. Ville de psychiatres, guérisseurs en tous genres des désordres de l’esprit ayant son complément en vénérologues et autres sexologues soignant le mal à la base. L’Avenue Jean Médecin dans un autre genre est le reflet de la paupérisation de son centre-ville. Et le bazar de la nutrition. Centre-ville qu’on a hardiment déboisée et qui ne compte aucun commerce de luxe. Par contre, les doigts des deux mains ne suffiraient pas pour compter les fast foods, burgers et baraquements asiatiques, croissanteries et libanaiseries en tous genres, alternant avec des pharmacies. Et pour cause.


Les escargots ne font plus partis de nos assiettes. L’écologie est passée par-là. Par contre l’escargot circulaire formé par les véhicules qui font la queue autour du Mc Drive de Cagnes-sur-Mer est bien baveux.

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Les hommes bibliques faisaient huit mètres de taille, dix mètres, vivaient huit cent neuf cents ans. On s’est un peu rabougri depuis. Le règne des géants est passé. Nous connaissons peu leur manière de se nourrir. Mais chez les romains qui nous sont tout de même plus proche, le menu n’est pas mal non plus :

« Faire cuire à l’eau d’une part des blettes blanches émincées, des poireaux, du cèleri, des oignons et des escargots, et d’autre part, des gésiers de poulet, des petits oiseaux et des saucisses. Laisser les oignons entiers ; hacher les saucisses et les escargots avec des prunes de Damas et de petites andouillettes de Lucanie. Mettre les légumes et les viandes sur des feuilles de mauve dans un plat grassement huilé. Mouiller le garum (le nyoc man des Annamites), vin huile et vinaigre. Porter à ébullition. Pendant la cuisson, ajouter du poivre, de la livèche (ache sauvage), du gingembre, et un peu de pyrèthre, le tout bien broyé et lié avec des œufs. Servir avec une sauce de livèche, garum, vin, huile, liée à la fécule. »

A Lyon, capitale de la gastronomie française, le maire écologiste a frappé fort de symbole. Il propose deux fois par semaine, à partir de la rentrée, un art de vivre sans viandes. De menus exclusivement végétariens en attendant les végétaliens, avec aussi des tables séparées pour musulmans et produits hallal, le porc sous toutes ses formes y compris le jambon étant définitivement banni.


Du temps de Mendès-France, la France proposait le verre de vin aux enfants…

-Horresco referens-


On aurait réintroduit par le plus grand des paradoxes, les vertus du Carême. La clique écologique au pouvoir à Lyon, si elle savait, en aurait les cheveux dressés sur la tête.


La nourriture c’est la France. C’est aujourd’hui seulement la faim de la monarchie.

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23 Février


A Bernard :


Bon, je suis rassuré, mon travail n’est pas inutile. C’est vrai que ça fait quelques années que je cherche le bon support. Avec le photo/poème on a l’avantage de la peinture, par l’éclat des lumières et on jongle entre le figuratif et la possible abstraction. Le Loup est source inépuisable de lumière et de méandres aqueux. Sur un périmètre restreint. Je ne m’aventure pas au-delà des limites du village. Mais pourquoi pas aux beaux jours. De toutes façons, je mets au défi quiconque de reconnaître objectivement les lieux où je prends mes clichés. Et puis le but n’est pas de faire un portrait du Loup, mais d’en saisir les lumières, les variantes, comme Cézanne se servait des pommes ou de Madame Cézanne qu’il peignait comme taillée dans de la pierre. Peu importe le sujet. Quant à moi, Il faut simplement rendre la fluidité et l’harmonie de l’insaisissable. De toute manière, je suis à l’aise dans le fluide, l’eau et l’évanescent.

En tous cas, je pense que je fais (sans rien concéder à ce que j’aime vraiment) dans des formes qui peuvent plaire. C’est aussi pour ça que je vais tenter de mettre ces séries de peintures sur un site de vente. Pourquoi pas ? Ça fait le tour du monde. C’est bien le diable si je ne trouve pas quelques amateurs d’images. Tout se vend. Ma fille a mis en ligne des vêtements qu’elle a portés et revendus plus chers que neufs ! Des sacs élimés font fureur, comme les pantalons déchirés qui se vendent plus cher que les normaux…Les arcanes de la mode et des valeurs sont insondables. Cet hiver elle a empoché deux mille euros rien qu’avec des vieilleries.

Donc, l’objectif, c’est une série de reflet sur le Loup. Correspondant à sept promenades. On en est à quatre.

Ce matin c’est la grisaille, je n’essaie pas même d’aller au village.

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24 Février


Une lettre qu’on me fait parvenir. Qui n’est pas sans aller à l’encontre de ce courant de pensée universitaire « décolonial » dans les Universités d’aujourd’hui : lettre adressée très justement au premier magistrat de notre République.


Monsieur le Président,

Ø                                    je vous fais une lettre…

On ne juge pas des évènements du passé avec les critères d’aujourd’hui. De surcroit, le Président de la République se doit de défendre, et non de stigmatiser, notre mémoire historique, surtout à l’étranger, surtout face à l’ennemi d’hier. « Jamais je ne demanderai pardon au nom de la France », a déclaré François Mitterrand lui-même.

Tout d’abord, je dois vous rappeler que la conception de l’épopée coloniale de la France fut l’œuvre de grands Républicains appartenant au Panthéon de votre obédience politique. N’est-ce pas Jules Ferry qui a voulu « porter la civilisation aux races inférieures » ? Albert Sarraut a défini notre « politique indigène comme étant la Déclaration des Droits de l’Homme interprétée par Saint Vincent de Paul » (sic). De son côté, Léon Blum a déclaré en 1925 à la tribune du Palais Bourbon « il est du devoir des races supérieures de venir en aide aux races inférieures ». Et honni soit qui mal y pense de ce vocabulaire !

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Les prestigieux artisans de cette grande œuvre humaniste s’appelèrent Gallieni, Lyautey, Savorgnan de Brazza, Auguste Pavie, Charles de Foucauld et autres docteur Schweitzer, figures de proue d’une nombreuse cohorte de valeureux exécutants plus humbles.

Résumons leur œuvre à l’essentiel. Ils ont d’abord libéré les populations autochtones du joug sanguinaire de ce que l’on a appelé les « rois nègres », à la source de l’immonde chaîne de l’esclavage qu’ils ont aboli. Ils ont mis un terme aux perpétuelles guerres tribales qui saignaient à blanc le continent africain, apportant un siècle de « paix française ». A défaut d’une totale liberté qui n’était pas l’aspiration prioritaire, ils ont apporté l’Ordre et la Justice de nos admirables administrateurs coloniaux. Ils ont éradiqué les épidémies qui anéantissaient des tribus entières. Ils ont fait disparaître les endémiques famines qui aggravaient la dépopulation.

Libre à vous, monsieur Macron, de penser que les conquêtes de la Liberté, de la Paix et de la Santé sont des crimes contre l’humanité !

Il est de notre devoir de Français d’honorer la mémoire de tous ceux qui ont laissé leur vie dans cette grandiose aventure humaine dont nous devons être fiers. J’ai pu me recueillir sur bon nombre de leurs sépultures, qui jalonnent notre épopée coloniale. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour remédier à leur état lamentable, jusqu’à m’attirer les foudres d’une administration lointaine. En ces lieux émouvants, cadres et simples soldats côtoient leurs frères d’armes du service de santé, particulièrement éprouvés par leur place en première ligne des épidémies. Ces Français de condition modeste avaient votre âge, monsieur Macron. Ils avaient quitté courageusement le cocon métropolitain pour servir la France au loin sans esprit de lucre et au mépris des dangers encourus. Alors, de grâce, daignez leur accorder un minimum de respect.

Voilà, monsieur Macron, ce que j’ai eu à cœur de vous dire. Au Tribunal de l’Histoire devant lequel je vous ai fait comparaître, je laisse à votre conscience et au suffrage universel le soin de prononcer le verdict. »

Général de corps d’armée (2s) Michel FRANCESCHI

Monsieur Macron invite rarement dans les ors de son palais ceux qui défendent le droit ou tout simplement le bon sens contre les territoires abandonnés de la République. Il reçoit plutôt avec une gourmandise affichée les groupes de raps qui viennent vomir les valeurs qu’il est censé défendre. Il n’a pas même l’excuse de ne pas comprendre le sens de leurs vomissures que ce soit en français, dans la langue des banques ou dans celle des gestes.

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A Patrick Scrocco :


Ce président est bien le pire connu sous cette République. Même le chafouin et florentin Mitterrand ne tolérait aucune repentance concernant les faits de notre Histoire Nationale.

Mais en l’espace de quelques années on descend vers des gouffres toujours plus profonds. Le fond de ce gouffre, quelques esprits courageux et lucides le disent encore à voix basse, c’est la guerre civile.

……………………………………………………………………………………………………………………….  Dans le pays vençois cet après-midi, les premiers éclats blancs et roses des arbres fruitiers. C’est une flambée éclose en une seule nuit et comme jaillie avec l’impatience d’une nouvelle naissance. Saint Paul apparaît encore endormi dans sa tour de pierre d’hiver. Les mimosas ont viré au gris depuis longtemps. Ils n’auraient pas tenu jusqu’à Carnaval.

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Le séparatisme existe depuis longtemps : classique, jazz, rock etc. Le marché n’ignore pas qu’on ne vend pas les mêmes billets de concert suivant qu’on fréquente tel ou tel temple culturel. Certains poussent la curiosité vers des sensibilités voisines, mais chacun rentre finalement chez soi. Bien sûr, il y a les nomades, les sans domiciles, les sensibilités qui ne creusent pas.

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26 Février

Comment se fait-il que personne, qu’aucun directeur de théâtre n’a songé à faire exécuter dans la même soirée, puisque ce sont des œuvres courtes pour être données seules, le « Château de Barbe-Bleue » et « Le Tombeau de Gilles de Rais » de Canat de Chizy, merveilleux complément.

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Je n’ai jamais lu Jacques Sternberg. Ce matin je tombe sur un livre mal rangé chez le libraire. Il a l’air en piteux état, écorné. « L’Employé ». Je lis la quatrième de couverture. A mon grand étonnement, en quelques lignes, je trouve de bien étranges similitudes avec ma dernière nouvelle « 6 heure 51 ».

Personne n’est plus redoutable que celui qui n’a jamais de doutes (J. Sternberg)

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Histoires. Tacite écrit au rythme de la chevauchée. C’est la fresque antique en panoramique. Dès les premières pages, les noms des sénateurs, des décurions et des procurateurs abondent désespérément, se bousculent avant que le lecteur déjà secoué ne pénètre sur les champs de batailles, que les empereurs éphémères ne s’étripent et que les complots ourdissent des assassinats à l’arme blanche. Tacite présente le règne, au premier siècle de notre ère, du chaos d’un géant qui titube. Rome est lourde de ses pouvoirs, de ses poisons, de ses haines, de ses alliances d’argile et de ses mésalliances d’airain. En l’espace de quelques années, Galba le vieil empereur succombera aux coups d’Othon et de ses affidés félons, lequel se retirant, se percera le sein d’avoir dans sa défaite militaire subi l’emprise de Vitellius. Vitellus, empereur orgiaque, qui refusa toujours le titre de César et qui se proclama Germanicus, gloire militaire qu’il devait à son armée en manœuvre en Germanie. Traversent la scène les ombres de Vespasien et de Titus, puis Valens et Cecina, Mucien, les généraux qui prennent parti, qui commandent les troupes, qui guident les factions, les seconds couteaux, les insignifiants sur la machine de la guerre civile, les horreurs et le ventre fumant de l’Empire. Il n’est aucun décorum dans ces fantastiques fresques, aucun paysage aucun artifice descriptif, aucun temps mort si on peut dire, simplement la chevauchée haletante du destin de l’homme la bave aux lèvres.

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27 Février

A Monique Ariello :

Je vous fais parvenir quelques-uns des Photos/Poèmes que je compte envoyer au LUXEMBOURG ART PRIZE.

Concours ouvert à toutes formes d’images, photos, peintures, sculptures, support électronique, sans aucune restriction réglementaire apparente.

Je vous encourage à y participer. Sur internet vous aurez les modalités d’inscription. Nous avons encore 32 jours avant la clôture.

Les droits d’inscription sont de 50 euros si j’ai bien compris.

Sur le site du concours vous aurez une idée des différents lauréats, finalistes etc. et aussi les œuvres qui auront été sélectionnées et primées ces dernières années.

Ne laissons pas aux héritiers de Duchamp imposer le seul horizon du bidet et des trônes d’aisance. Peut-être que le jury est susceptible cette année de percer ce maigre plafond de verre.

Nous passons notre premier week-end de confinement sous la grisaille qui va avec.

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28 février 21


Réponse :


J’ai regardé, je réfléchis, je me demande si…

J’ai déjà participé à tant de concours…Sélectionnée parfois….primée quelques fois…Si je fais mon auto critique, mon meilleur boulot est d’ordre mystique…et souvent refusé à cause de cela…et pourtant…Matisse, Chagall, Denis et les autres…mais, je reste réaliste…les Princesses bleues que je vous ai offertes par exemple ont été refusées car figurant des femmes voilées…j’ai eu beau argué que c’était une illustration des mémoires de Marco Polo, rien n’y a fait…Il fallait faire une numérotation sur 5 pour participer donc au final…j’ai fait 5 heureux parmi mes amis plus les tirages d’essai qui m’ont servi de papier à lettre…

Croyez-vous que mes « Lamentations » ont une chance quelconque de plaire au jury ? sincèrement, je pense que non…de plus, j’ai du mal à faire de bonnes photos avec ce fond noir, j’ai dû mettre un filtre pour retrouver le noir du fond, les originaux sont cent fois plus beaux…

Mais quant à vous, vos photos sont originales et si elles s’accompagnent de poèmes, vous avez des chances. Et puis, ils donnent un certificat de participation non négligeable.

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J’écoute Khatia Buniatischvili dans le Clair de lune de Debussy. C’est un des morceaux que le monde entier a déjà entendu, un tube. J’évite souvent d’y revenir, mon oreille n’aime pas par nature les redites et les répétitions fussent-elles les plus lyriques. Et puis là, je suis intrigué par le tempo, la durée, presque deux fois plus lente que la plupart des pianistes. Elle caresse avec une extrême légèreté de toucher une mélodie qui pourrait se briser à force de ne tenir qu’à un fil et de perdre l’axe dynamique de la conduite mélodique. Et comme par miracle, l’arche que constitue celle-ci s’étire d’un dessin qui fige le temps en suspens et vient clore ce petit miracle comme je ne l’avais jamais encore appréhendé avec aucun autre pianiste.

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1 Mars


A Bernard :


Le confinement d’hier ressemblait à une sortie dominicale dans les temps anciens. Dans un beau ralenti, les berges du Loup (où je me promenais le matin), recevait le marché italien qui s’installe habituellement pour le week-end, les promeneurs avec ou sans les enfants. Le parc aux balançoires qui jouxte l’école était aussi ouvert et bien sûr les grandes surfaces aux "produits de premières nécessité". Manquaient les calèches et les célibataires croisant du regard les bien aimées au bras de leur papa. Ainsi la journée est passée assez vite. Les confinements à la française doivent faire des envieux en Chine.

Le dessin humoristique que j’ai retenu de cette semaine : Un directeur de théâtre pose la question au premier ministre : pourquoi mon théâtre est-il fermé ? Celui-ci répond "en toute logique" : si vous mettiez votre théâtre sur roulette il n’y aurait aucune interdiction.

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2 Mars


A Bernard :


Pour les Reflets, la dernière série a été whatshapé hier, donc tu n’auras pas trop de mal à les situer. Les premiers Pollock étant déjà dans la box.(Il y en a 6 ou 7)

Si mon compte est bon, en tout il devrait y en avoir 12 dans la totalité. Je fais bien attention à ce qu’il y ait un chiffre pair.

La série sera d’apothéose. J’avoue m’amuser beaucoup avec ses métamorphoses que je fais subir à ces paysages le long des berges.

Bon, avec les Pollock j’ai attaqué de pauvres arbres en fleurs qui ne m’avaient rien fait.

Je suis assez embêté pour le concours, je ne sais pas quoi envoyer. Il y aura de brefs textes poétiques qui accompagneront, c’est la seule certitude.

Connaissant tout de mon travail, tu pourrais avoir un avis, un conseil, une proposition ?

Un peu comme pour les Photos/poème, le texte donne l’impact à une image que celle-ci renvoie au texte. Je suppose que devant la masse des envois de concours il doit y avoir une sorte de griffe, de signature pour accrocher ceux qui sélectionnent.

Si on ne gagne pas, il reste le certificat de participation.

Monique Ariello va m’envoyer le livre de ses Lamentations inspirées de Jérémie et du livre des répons. Elle en a fait manuellement 4. Dont un pour moi. J’en suis un peu gêné. Mais parait-il qu’il est souvent difficile d’obtenir l’accord d’un auteur à illustrer. Sans contrepartie s’entend. Je pense que si on a des conditions normales d’ici le plein été on ira lui rendre une visite le temps de l’expo (1/15 août).

Une demande pour finir :

Pour la dernière série des Reflets : REFLETS VII (METAMORPHOSES DE LA VITRE BRISEE). Appellation définitive et complète pour la dernière série.

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à Monique Ariello :


Je viens de recevoir avec un très grand plaisir les photos de votre travail sur le livre des Lamentations. C’est magnifique (et je n’ai pas encore vu le contenu, ce sera la surprise…)

C’est ce qu’on appelle du travail fait main. Je pense qu’on prendra vraiment le temps de passer au moment de l’exposition. Si, évidemment, les conditions sanitaires, les déplacements etc. le permettent.

Je travaille ces temps-ci à la métamorphose d’arbres de printemps. Les berges du Loup, qui sont à portée de main de chez nous sont sources d’observations et de changements infinis. Ce qui me permet de réaliser des séries de reflets sur l’eau ou maintenant d’arbres en fleurs. Je vous en ferais parvenir quand ce sera tout à fait au point. Ces pauvres arbres qui ne m’ont rien fait ne se reconnaitront plus. Mondrian avait eu la même démarche bien sûr, mais je n’ai pu résisté.

Le confinement de fin de semaine n’empêche pas les magasins "de premières nécessités" d’être bondé et les promeneurs de faire tous leur promenade au bords du Loup. A croire que tout le monde sort à la même heure, tant les rives paraissent fréquentées ces jours-ci.

Les chinois ne tarderont pas à regarder avec envie notre mode de confinement.

Voilà, nous ne sommes pas malheureux, le soleil est de retour (mais nous avait-il vraiment quitté ?), et comme je vous laisse imaginer, les arbres et la nature continuent leur belle métamorphose.

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Dans les librairies, il y a encore des tout jeunes qui achètent de la lecture. Derrière moi, les Confessions de Rousseau. Un peu plus loin, un Saint Exupéry dont je n’ai pas vu le titre. On commence tous un peu comme ça.

Et dehors, dans un coin de vitrine, une affiche : « Philippe Jaccottet est mort ce 25 décembre. ». Dans son petit village de la Drôme, à quatre-vingt-quinze ans.

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J’ai rêvé pour Berlioz d’un rêve inutile. J’ai toujours été sûr que Shakespeare qu’il vénérait lui eut allé comme un gant : un livret sur la tragédie de Macbeth. Tous les ingrédients étaient là, les sorcières, la nuit hallucinée, les prédictions, la folie, la forêt de Birnam qui vient jusqu’à défier la colline de Dunsinane, l’ivresse du premier acte, la paranoïa de lady Macbeth, les mains tachées de sang. Autant de scènes qu’aurait coloré Berlioz avec les larges textures orchestrales. Au lieu de ça, il a préféré le climat romain de Benvenutto, et avec lui, le cadre des opéras italiens à numéro, une porte qui s’ouvre l’autre qui se ferme, l’intrigue facile, à la bravoure cadrée, au lieu de larges épanchements qui auraient grossis de mélodies infinies les longs fleuves incandescents d’une action continue. Berlioz sera resté dans son théâtre trop latin, et aura manqué sa vraie rivalité avec Wagner. Il était le seul à pouvoir le faire.

……………………………………………………………………………………………………………………….Mes peintures semblent avoir progressé. Je cherche les moyens de réaliser avec des clichés d’origine, parfois fois même des photos quelconques, des effets qui se rapprocheraient de mes peintures des années deux mille.

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3 Mars


A Bernard :

 

J’aurais aimé avoir ton impression concernant ma nouvelle "manière". Parce que je compte sélectionner, parmi les différentes séries de photos/poèmes, ces dernières expériences pour le concours.

A savoir les images qui succèdent à la série des "pollock". Ton avis me permettrait d’y aller sans plus d’hésitation. Sinon, je réfléchirais à une autre piste.

Je pense orienter ma présentation de ces dernières expériences autour de : PROJET POUR LA PETITE RENARDE RUSEE -opéra de JANACEK

(Revenir aux peintures du temps de paint ne me motive pas trop.)

D’autre part, n’est-il pas préférable, dans le cadre d’un envoi qui sera un parmi des centaines, peut-être des milliers, de réduire le nombre d’envoi ?

J’avais pensé à quelques Reflets (d’une même série) en justifiant ma démarche.

J’avais pensé aussi diversifier mes envois en proposant une autre série (pour augmenter les chances de convaincre) en proposant une série d’un style différent. Puisqu’ apparemment il n’y aucune contrainte quantitative.
Mais j’ai peur que de trop vouloir "expliquer" lasse et atténue l’effet spontané des personnes qui auront à juger.

Voilà, je compte sur ton avis, puisque celui-ci est plus qu’autorisé pour des raisons évidentes.

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4 Mars


Claude Sautet hier soir. « Le Cœur en Hiver ». J’aime Sautet, on ne fait plus de films comme ça. Ce sont les années soixante-dix qui se sont envolées, ces ambiances de bistrots surchauffés, surpeuplés et enfumés, où tout le monde se connaît. On y mange encore de gros sangliers ou peu s’en faut sans que la censure ne s’en mêle. La thématique de l’amitié est évoquée comme souvent, comme toujours, même si l’ambiguïté est ici plus prononcée. Emmanuelle Béart, que d’ordinaire je n’aime pas pour des raisons voisines de celles qui m’ont toujours fait détester Romy Schneider, évolue à ma grande surprise dans une carnation de madone et une sensibilité qui rend bien son reflet au trio de Ravel. Le film est rythmé comme un allegro non troppo de musique de chambre, avec quelques pizzicatti bien dessinés comme autant de griffures sur les sentiments.

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Ce matin, mon premier scanner abdominal. Voir l’intérieur au plus secret de moi-même. Pour ces douleurs qui ne sont apparemment que de petites hernies. Les résultats montent bien que J’ai un ventre qui a la sagesse d’un Bouddha.

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Pour le concours du Luxembourg j’ai de plus en plus d’hésitations. Faut-il proposer une série, fût-elle composée de beaucoup d’images, ou se limiter à un choix strict au risque de ne pas rendre visible la démarche généralement progressive qui est la mienne ?

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5 Mars


Dans ses « Suppléments au voyage de Bougainville » Diderot entreprend la même démarche que Rousseau. Le paradis des îles vierges, les femmes à la gorge offerte, aux rires et aux bonheurs faciles, sont pervertis par les corps porteurs de maladies et plus encore de ces maladies morales que l’homme blanc véhicule avec lui en infestant le monde. On mesure aujourd’hui avec quelle force, et depuis bientôt trois siècles, la haine de soi est entretenue par la pensée mortifère des Lumières, la face cachée de la religion du Progrès. En cela, les philosophes du XVIII° retrouvent le plus vieil écueil sur lequel le premier homme prit conscience de sa faiblesse et dans la description que la Bible fera du péché originel, cette tache de naissance, si on peut dire, qui est la marque même de l’imperfection humaine. Ce que l’Ancien Testament présentait comme un incontournable universel, les humanistes l’ont retourné contre l’homme social, et lui seul. Diderot rejoint malheureusement Rousseau qui verrait bien une société qui n’aurait jamais dépassé le stade de l’innocence primitive (chez les habitants d’îles vivant comme hors du monde) ou celle de l’enfant qui n’aurait jamais à grandir. Diderot comme Rousseau ont une Atlantide sociale en perspective, une cité heureuse faite de lois et d’organisations qui seraient bonnes en soi mais qui se heurteraient à cet homme qui est mauvais pour l’homme. Par extension l’homme blanc conquérant et défricheur du monde, est rendu coupable d’avoir infesté les paradis rencontrés dans ses aventureuses conquêtes des espaces terrestres. L’homme blanc contemporain est opposé à cet humain vivant éternellement dans des espaces vierges de tout mal. Etait-il réellement vierge de tout mal ? Ou n’est-ce que dans l’imaginaire idéalisant de Rousseau et de Diderot ? Le XVIII° siècle a donc démontré l’idée que des humains ne pouvaient vivre aux côtés d’autres humains si des valeurs communes n’étaient partagées. Et par le plus grand des paradoxes les élites lumineuses qui tiennent aujourd’hui la pensée dominante, par la plus grande des perversités nous infligent un obligatoire vivre ensemble, non plus aux confins du monde, mais dans la demeure même dont nous sommes issus. C’est par ces germes de haine de soi que Diderot et Rousseau ont inauguré la pensée qui prédomine dans notre univers occidental. Et par un étrange renversement civilisationnel, le flux des migrations ayant été inversé, cette maladie morale muée en racisme, ce nouveau péché originel nous vaut de supporter, voire de vivre obligatoirement sous le même toit, des populations qui n’eurent pas besoin de nous pour se pervertir.

Trois siècles d’incubation rousseauistes pour accoucher aujourd’hui d’une veulerie occidentale aujourd’hui à son comble. L’idéologie des Droits de l’Homme a paralysé toute pensée saine pour pencher dangereusement en une gravitation spirituelle proche du vide, comme un moulin à prières. La religion a disparu disait Pessoa, comme elle était venue, sans que l’on sache pourquoi. En fait elle a bien été préparé à sortir par la petite porte. Elle est remplacée maintenant par le culte sécularisé des droits de l’homme dont le fond est éminemment chrétien dans tout son paradoxe en cultivant, comme Rousseau sa paranoïa, la seule chose dont on ne pourra jamais lui faire grief, la haine de soi, la relativisation et l’équivalence en toute chose. Le beau et le laid, le juste et l’inique, la grandeur et l’étroitesse de pensée. Bossuet, Fénelon et le street art des banlieues. Vatican II a déblayé ça voici soixante années : toute religion trouve désormais son équivalence dans les autres, signant son arrêt de mort lente et ouvrant la porte à la relativité de nos anciennes croyances prises aujourd’hui sous l’aile bienveillante d’une seule, située au-dessus des autres, celles du Progrès allant jusqu’à la tolérance même des pires crimes trouvant leur absolution si ceux-ci ne heurtent l’esprit de ces droits de l’homme. Ainsi le tribunal sans visage juge-t-il le terroriste dans le sens d’une justification d’une cause qui est celle du droit des minorités à revendiquer un mode d’existence différent du nôtre. Un violeur est récemment relaxé dont l’avocat plaidait pour son client une ignorance des codes culturels en matière de mœurs (!). Et ça marche. Et cette haine de soi s’accompagne d’une paralysie de l’homme occidental devant les pires provocations. L’homme de la rue ne réagit plus. Ou bien il tend cette fameuse joue dont il a gardé au fond de lui le reflexe héréditaire. Ce qui était une attitude de charité a grandi jusqu’à un degré de lâcheté poussé jusqu’au pitoyable. Il n’est plus étonnant de voir les visages se détourner devant la violence. Subir est le dernier refuge de l’homme de la rue. Les défenseurs de la veuve et de l’orphelin ne volent plus au secours que de leur propre peau. Les îles et les paradis se sont dilués dans les grandes villes, dans l’enfer urbain d’un monde sans couleur et uniculturel. Parler de multiculturalisme serait parler de différentes cultures qui se côtoient et s’affirmeraient dans leurs différences : le fameux séparatisme dont on parle aujourd’hui. L’uniculturalisme monstrueux qu’on nous propose en gage de paix pour demain, est celui que prend le visage mondial du métissage uniforme et estampillé conforme de Chicago à Johannesburg, de Tokyo à Vancouver. Le petit homme gris sans couleurs et sans racines. La même musique industrielle imposée au même moment, la même indignation et la même émotion suscitée par un fait divers aux quatre coins de la planète. Monde lisse, incolore et inodore. Le règne de l’égalité parfaite, de l’oubli, du sans mémoire.

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6 Mars

Après ces sombres pensée d’hier, je me ménage quelques promenades le long du Loup. On a beaucoup élagué cet hiver, le ciel est gris et c’est notre second week-end de confinement.

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LA POIRE


Ponge a fait d’une leçon de chose une poésie. Il a parlé des pierres, des insectes, il a joué sur les formes des mots comme celui d’Aix qui signifierait le A des montagnes, le I du jaillissement de ses sources et le X de la croisée de ses chemins. Et des figues. Il a fait tout un long poème sur les figues, jusqu’à l’indigestion. Je pensais à lui hier, en regardant ces poires sur l’étal de mon marché, et je me disais que c’est un fruit qui s’approche par la forme, de la transposition sensuelle de la femme. Par le galbe, la rondeur et la courbure. Certaines ont le ventre rougi qu’on croirait à leur mûrissement alors qu’elles sont encore bien tendres. D’autres gardent leur robe verte jusqu’à l’heure de pourrir.  Pour le connaisseur, il n’est pas plus versatile que la poire. Issues d’un même arbre, pour ne pas mesurer le plus grand écart encore dans une même variété issue de deux parcelles de terres différentes, le goût n’est jamais vraiment le même selon que le fruit a été plus ou moins exposé au soleil que sa voisine d’une autre branche. La poire reste un mystère quant au plaisir qu’il nous donnera jusqu’au moment de la croquer. On a beau sélectionner les plus belles variétés telles les Angelys ou celles qu’on nomme aujourd’hui les Sweet, les Conférence, on ne saura rien d’elles, que la promesse d’avoir sélectionné les plus racées. Sans pour autant tenir pour certain qu’elles ne décevront pas. C’est un fruit millimétré dans ses mystères. Une même poire sera à son plein de saveur à telle température, tel jour à telle heure ; sa petite sœur aura quelque peu de retard et sa verdeur aura quelque peu gâté notre plaisir. Comme une femme la poire réserve sa part d’imprévisible. Et puis c’est le seul fruit à ma connaissance dont le goût varie selon que vous mangez le sommet ou le ventre plus charnue et délicatement opulent. L’orange ne donne pas ces soucis. Peut-être n’ai-je pas suffisamment porté mon intérêt sur elles, mais d’une variété à l’autre, la saveur reste sur une dominante acidulée qui n’ouvre pas sur d’infinies nuances, (en musique on parlerait de tessitures plus ou moins grandes) comme ces fameuses notes meringuées que réservent les Angelys, ces petites tonalités de pain brûlé et de vanille qui enveloppent le palais. Les Conférence sont les classiques parmi le haut de gamme des poires, n’allant que rarement jusqu’à la proue de l’excellence, mais lorsqu’elle y parvient, elle égale les plus parfaites Angelys. Leur constance dans la régularité de leur chair est d’être sinon l’élue, mais la plus fidèle dans l’espérance qu’on met en elles. Et puis le couteau qui tranche. Il y a dans la chair quelque chose qui, d’une variété à l’autre, se reconnaît à la façon dont résiste la texture. Il est rare de rencontrer une poire de race qui ne résiste pas à la lame. Jusqu’au son qu’elle renvoie dans le silence si vous savez observer la noblesse de cette résistance. Et si vous tranchez au centre du fruit c’est comme une décapitation. On a le sentiment que l’on a tranché un cou à l’endroit où apparaissent les pépins. Et puis il y a « la poire williams », celle que Yvette laissait sur la table lorsque nous avions fini de déjeuner. On avait la bouteille qui accompagnait les conversations, les têtes à tête qui ne finissaient que vers les seize heures. Lorsqu’Yvette récupérait sa bouteille, celle-ci avait pris un sacré coup entre les éclats de voix et le feu qui commençait de tapisser le ventre.

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A Patrick Scrocco :


Suite au Rapport de Benjamin Stora –


J’en ai toujours entendu parler, car tu sais que né à Rabat nous n’étions pas étranger à tout ce qui s’est produit en Algérie durant cette atroce guerre qui n’a jamais voulu dire son nom.

On n’en finit d’ailleurs pas de cicatriser une plaie qui ne cautérisera jamais tant que les dirigeants algériens corrompus et islamisés à mort se protègeront derrière la "colonisation" qui a cessé il y a 60 ans…

Si ce n’était que ces corrompus qui profitaient de l’Algérie on se dirait que l’Algérie s’étant donnée son indépendance et qu’elle est "adulte", on s’en lave les mains.

Malheureusement le drame c’est que les jeunes algériens sont élevés dans la haine de la France au travers de leur télévision qui organise une propagande digne des années 50.

La plupart n’ont qu’une envie : venir vomir leur ressentiment en métropole française. Et ce n’est pas le "rapport Stora" qui apaisera cette haine qu’ils ont pour nous.

D’ailleurs personne ne s’est demandé si l’Algérie avait été satisfaite dudit rapport. Non, parce que le rapport Stora ne va pas encore assez loin dans leur volonté de voir la France s’amender et pourquoi pas se voir réclamer "des dettes de guerre". Un premier pas avait été fait par notre président avant même son élection, en proclamant que les actes commis par la France en Algérie étaient un "crime contre l’humanité". Même le chafouin et florentin Mitterrand ne s’était pas autant avili.

La Corée, colonisée à peu près à la même époque, est une puissance économique supérieure à celle de la France d’aujourd’hui.

Est-ce qu’elle se plaint de la colonisation ? Les japonais ont pris 2 bombes atomiques sur la figure, ils n’en ont pas fait leur shoah pour autant. D’autant que l’humiliation suprême pour eux fut que Mac Arthur concocta la nouvelle constitution japonaise au nez et à la barbe de l’Empereur Hiro-Hito. Cela n’a pas empêché le Japon de devenir la seconde puissance économique dès les années 70.

Tu me diras les asiatique ne sont pas les africains…

Tu as, je crois, quelques éléments expliquant pourquoi ces fameux sondages demandés par la LICRA indiquent que 90% des jeunes musulmans en France sont plus proche de l’Islam que des lois de la République. Au grand désespoir de la LICRA…

La lâcheté de nos gouvernants depuis quarante nous mènent, et cela ne s’entend encore qu’à voix basse, vers une inéluctable guerre civile.

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Lettre de Bernard :


Je te lis devant le feu de cheminée, en Normandie. On a eu du mal à l’allumer, le petit bois était un peu trop vert. Dehors il fait 2°; c’est peu.

3 : pensée de gauche. Je crois que le peuple est maintenant entre les mains de Le Pen, qui saura s’en servir comme il faut. D’un autre côté, c’est mon aspect optimiste, je pense que le peuple n’est pas si sot qu’on le pense et saura tirer son épingle du jeu, avec peut-être un peu de casse. C’est la leçon d’un livre que je viens de terminer, de J Scott, L’œil de l’État. Moderniser, uniformiser, détruire. Il y parle des catastrophes produites par l’état au nom de "l’hyper-modernité", la croyance à la rationalité …

4 : … N’empêche, les priorités sont toujours les mêmes : la paix, la nourriture et l’école. Le reste est billevesées.

6 : mais non, pas de contradiction. N’oublie pas que le succès de jésus c’est bien la promesse de paradis pour tout le monde. Une opération publicitaire qui a extraordinairement bien marché (du genre : demain on rase gratis), y compris dans la variante de l’islam. Sans doute la première fois qu’on faisait cette proposition. Dès lors, pour mériter cette merveille, les gens ont travaillé durement, faisant carême ou construisant des églises ou donnant de l’argent … Simple placement. Il reste que les églises ont parfois un charme étrange, grande et haute salle silencieuse, ornée ou pas, racontant le désespoir de l’humanité.

… un gros chapitre sur Lyautey, qui t’intéresserait sans doute, et puis un autre sur les chartreux, qui avait une grosse antenne à Paris, jusqu’à la révolution. Il était de coutume de "fonder" un chartreux (une sorte de bourse). En remerciement, le chartreux était chargé, à sa mort, de dire un mot aimable à dieu, à propos de son mécène. Astucieux, n’est-ce pas.! A propos des chartreux, on vantait leur détachement terrestre par la manière dont ils se faisaient enterrer, dans un trou sans pierre tombale, sans nom. C’est une pratique maintenant bien acquise par beaucoup de gens qui, comme mes beaux-parents par exemple, se font incinérer avec dispersion des cendres. Pouf, le vent l’emporte et plus personne : encore plus fort que les chartreux.

Mireille, le Maroc qui revient après si longtemps. Les Kussi, les Baty, les Taurines, tout un clan, au Maroc et aussi en Algérie.Tu sais que j’y suis passé il y a deux ans, les vallées de l’Atlas et Marrakech, qui a beaucoup changé. Beau pays. J’en ai aussi beaucoup de souvenirs. Nostalgie. J"espère que tu pourras aller voir ta tante, on n’a pas tant de famille, et puis elle a l’air plutôt gentille et intéressante.

12 : à propos des notes sur la musique; je lis tes remarques sans tout comprendre, un peu trop technique: tel alto, tel musicien, telle interprétation, … détails techniques que tu veux conserver, après tout c’est ton journal, tes souvenirs et tes centres d’intérêt. Pour moi c’est anecdotique, mais pas ennuyeux pour autant. J’avoue lire rapidement et prendre plus de temps sur les autres sujets. C’est normal, c’est tout l’intérêt d’un journal

Monique Ariello… Elle a un joli talent et je suis ravi que vous puissiez collaborer, c’est la meilleure motivation pour continuer : la reconnaissance des pairs.

 L’église catholique ou Macron, je n’arrive pas à m’énerver pour si peu. La culture de l’indifférence, ou bien une sorte de taoïsme : laisser le bateau suivre sa voie sans chercher à le diriger. Ce monde m’étonne sans cesse… Je me demande dans quel monde je vis ?

Parfois, dans des moments de lucidité intense, j’ai le sentiment d’avoir une pathologie quasi autistique. Par exemple, je me dis que si j’avais habité Paris en 1789 je n’aurai rien vu, sauf peut-être une difficulté à trouver ma baguette de pain. Sur la décapitation du roi, je n’ai encore aucune opinion, sauf le regret de la violence.

20 : bravo pour la défense des escargots. Bravo pour le principe, parce que c’est un plat que je n’ai jamais mangé, blocage psychologique, mais il faut conserver cette tradition, avec les cuisses de grenouilles, sinon comment les anglais nous appelleront-ils ?

A quoi bon ? Aujourd’hui je suis encore plus "aquoiboniste" que d’habitude, sans doute le beau soleil glacé qui m’éclaire dans cette Normandie paisible de prairies vidées pour cause de froid. Les vaches sont dans les étables, il y a parfois quelques chevaux, mais tous emmitouflés dans de grands manteaux. Je pense que les vaches ne pourraient pas porter de manteaux, elles passent trop de temps dans leur bouse, tandis que les chevaux sont toujours debout et donc gardent impeccables leurs vêtements.

28 : incroyable, le refus des images de Monique Ariello, pour cause de voile ! Ce monde est définitivement absurde.

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A Bernard :

Je suis ravi d’un tel courrier, si long et dense. Les réflexions au coin de la cheminée crépitent d’un bois vert où je sens bien la rationalité en toi qui s’aiguise. La librairie Masséna est quasiment la seule digne de ce nom. Celle de Jean Jaurès est sympathique, sinon c’est le désert. La Sorbonne somnole de ses vieux livres, de son passé turbulent. Combien de livres sont partis sous le bras, jusqu’au jour où je fus interpellé par un sbire colossal qui n’avait pas lâché sa proie et qui me prit par le bras sous les arcades des Galeries Lafayette au moment où je pensais le danger derrière moi. Je ne devais pas être rassuré pour avoir attendu cinq cent mètres avant de desserrer l’étau que je j’avais pressenti.

Dans tes commentaires je constate que nous convergeons dans un beau tangage. Il est vrai que l’on se focalise souvent sur les divergences. Sinon de quoi parlerait-on ? Et d’abord je n’ai pas très bien compris la notion de "qui saura s’en servir comme il faut" s’agissant de ce peuple effectivement abandonné par la gauche.

Tout de même il y a des couinements dans certaines réflexions comme celles du 6 février : "Jésus c’est bien la promesse du paradis pour tous". Tu as dû confondre le message christique et la chanson de Polnareff. Même Mahomet n’y aurait pas pensé. Les 72 vierges promises demandent quelques sacrifices au postulant. La vie terrestre étant déjà une vallée de larmes, tu penses bien que le Paradis n’est pas donné à tous. (J’ai bien lu "On rase gratis"). Je l’avais déjà dit dans un précédent message : non seulement le paradis ne s’achète pas (vieux réflexe de milliardaires qui pensent que tout s’achète), mais la béatitude céleste n’est promise qu’aux vertueux de cœur.

Et puis je suis surpris que les églises ne t’inspirent que le désespoir de l’humanité. ("elles ont parfois un charme, grande et haute salle silencieuse, racontant le désespoir de l’humanité"). Je me suis trouvé dans certaine chapelle perdue dans des champs de blé, loin de tout, et la paix, le silence de ces humbles nefs ne me parlaient pas du désespoir du monde. De même, le Carême que les écologistes professionnels découvrent contre leur gré, n’est que l’observation sanitaire du jeûne compris comme contrition et fortification de l’âme. Se purger. Même les animaux observent cette loi de la nature. "…certains faisant carême ou donnant de l’argent… simple placement"…  Décidément. Ce qui est contredit tout de suite après : le chartreux enterré dans le plus grand dépouillement. Mais non seulement les chartreux, mais aussi les bénédictins, les cisterciens aussi. Pierre le Vénérable (12° siècle), savant érudit, premier traducteur du coran en France, abbé de Cluny, première puissance spirituelle de ce temps-là, se faisait enterrer comme le plus humble moinillon, au chevet de l’abbaye, avec comme ornement commun une simple croix de bois noir. Tu peux aller à Fontenay, au Thoronet (dans le Var), à Sénanque et à Silvacane, tu as encore ces croix anonymes au chevet des édifices. Donc je ne comprends pas cette idée que tu reprends fréquemment concernant le deal que feraient les vivants pour acquérir le paradis. C’est de l’histoire de bouffeur de curé. C’est du Brassens au mieux.

Les opinions sont changeantes sur des temps relativement longs. Les morales peuvent même parfois s’inverser. En 1789, la gauche jacobine, dans l’élan révolutionnaire, utilisait le rasoir national aussi fréquemment qu’on donne une tape pour corriger un enfant. Aujourd’hui la gauche, depuis 1981, considère la peine de mort avec horreur, un crime contre l’humanité.

J’entretiens une conversation très allègre avec Mireille Deydier qui m’a l’air bien primesautière à son âge. Peut-être est-ce par ce handicap qu’elle compense depuis son lit d’une vivacité d’esprit très juvénile. Sa fille est prof d’art plastique et son avis sur la Petite Renarde a été assez spontané et encourageant. Quant à Monique Arriello, c’est aussi un échange de point de vue artistique. Tout simplement. Elle apprécie ce que je fais et réciproquement. Je pense qu’on fera une étape cet été du côté de la haute Provence.

Aquabonisme, ç’est bien vrai. Ton côté Beckett. J’arrive effectivement à poser des réflexions sur le monde, le spirituel et le politique. Rien que de trop banal. Le meilleur est réservé sur la fin du courrier, et j’avoue que c’est savoureux :
Je pense que les vaches ne pourraient pas porter de manteaux, elles passent trop de temps dans leur bouse, tandis que les chevaux sont toujours debout et donc gardent impeccables leur vêtements. Splendide.

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10 Mars

Mireille bonjour,

Je suis à fond dans la constitution du dossier. J’ai encore du temps, mais mon impatience me paralyse un peu. Je ne vois que la partie formelle et administrative. C’est drôle comme un jury à distance peut faire se poser des questions.

Mon travail a été réalisé à partir d’un portable en plusieurs étapes. Ce qui vous paraît être des voilages sont des applications d’autres images en anamorphoses plaquées sur la première qui constitue un fond. Et ainsi jusqu’à ce que la composition devienne parlante. Il y a le choix des tonalités, les harmonies (comme en musique -je pense les formes en fonction de leur développement chromatique – Un tableau n’est achevé que si je lui trouve une espèce de correspondance musicale, sinon c’est bon pour effacer). C’est vrai que l’inspiration vient souvent au bord d’une rivière, dans la lumière du jour en général (comme les impressionnistes "le travail en plein air"…)

On peut matérialiser certaines œuvres sur des supports de plexiglas (ce qui va bien avec le lumineux que je cherche toujours), ou sur des surfaces complètement mates comme le bois. Il faut trouver un bon atelier de sérigraphie. Il y en a de moins en moins. Ils font des sous avec la duplication massive de T. shirts !!

J’ai réalisé quelques expos privées sans plus.

Vous avez une fille prof d’arts plastiques et une autre dans le théâtre ! Ça aide à rester jeune. Sur la photo de votre fille Marie, c’est frappant de voir la ressemblance avec mon grand-père Paul sur sa photo de mariage. Étonnant comme la génétique se transforme et retrouve toujours le flux de la vie d’où l’on vient.

Pour les photos (il y en a 2 qui se complètent) des 2 fermes Deydier/Sol, je les avais obtenues du temps de Jo et Henriette. Avec Georges ce sera impossible. Je lui rappelle de m’envoyer ce qu’il a comme fond familial, il ne dit jamais non, mais voilà, il n’y pense jamais.

Vous pouvez aller sur Luxembourg Art Prize (c’est très bien fait) vous aurez entre autres la liste des finalistes de ces dernières années et celle des lauréats premier prix, second etc.

J’ai sous la main l’ouvrage de Alexis de Tocqueville ("Sur l’Algérie"), du temps où il était député rapporteur d’un témoignage pour l’Assemblée. C’est aussi beau que du Chateaubriand et j’ai l’impression de remonter à cette époque de notre famille pionnière…

Je vous souhaite plein de santé. On va sortir de l’hiver et j’espère que l’étau sanitaire va se desserrer.

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Grand beau temps. On voit enfin le Baou de Saint Jeannet. Seules à l’orée de la forêt, les feuilles rousses de l’automne paraissent sales et comme rattachées encore à l’hiver. Elles semblent aller moins vite que le mouvement des saisons, être à la traine.

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à Bernard :


Je vais jeter un œil sur la suite des poésies. Tous les mois j’ai cette angoisse qui se fait plus pressante de la page blanche. L’impression désagréable d’une stérilité menaçante. Heureusement en ce mois de Mars, j’ai le souci de ce concours. Tu dis que ma poésie n’est plus celle des années 2000. Comment le serait-elle ? Mes sources d’inspiration ont changé, mes fréquentations, mes égéries etc. J’espère que tu ne limitais pas mes écrits aux seuls "je t’aimais d’un esclavage propice" (que je pourrais réécrire aujourd’hui) qui serait évidemment affreusement "émotionnel" dans notre monde d’aujourd’hui et compris je ne sais comment. Comme tu l’as toujours su, la poésie n’est pas la narration de faits bruts, mais l’ellipse contournant le réel. Pour accoucher d’une vérité d’une dimension intouchable. Comprenne qui pourra ensuite. Entre autre, un secret qui ne peut pas se comprendre sans une explication : "petit poète qui ronsardise", c’est moi en octobre 68. Que ne donnerais-je pour retrouver ces premiers poèmes que je commettais alors. Les poèmes ne valaient rien, ou alors par lambeaux, et c’était mes premiers vers. "Comme on voit certaines roses…". Voilà, je n’aurais jamais plus la suite.

Je n’avais pas pensé que ce mois rendait une tonalité triste (déprimé dis-tu). Pour l’instant je suis dans les modalités du concours, ce qui n’arrange rien à ces doutes. Page blanche et peinture numérique en étalage… J’espère que je vais ficeler un bon dossier. C’est comme le papier glacé, ça rehausse l’impression du lecteur (ou du jury).

Mireille Deydier a l’air ravi par mon projet. Elle a ses filles qui sont, l’une enseignante d’art plastiques, l’autre dans le milieu du théâtre (traductrice, adaptatrice). Cette Mireille est décidément de la branche sensible de la famille, ce qui me change de l’idée que j’ai toujours eue de ces Deydier pragmatiques et sans aucun profil artistique. Mon père et sa soeur cadette furent peut-être des maillons avortés de cette branche sensible. Et les conditions d’épanouissement de l’époque n’étaient pas celles de maintenant.

Explication aussi : "le 11 février, (4heures)". Simplement parce turlupiné par des mots et des phrases qui viennent parfois par jets en phase de sommeil paradoxal, je me suis décidé à 4 h du matin, de me lever et d’écrire ce qui a suivi pour avoir la paix et dormir peut-être encore…

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11 Mars


J’écoute Pollini égrener la deuxième sonate de Boulez. Dans les dernières mesures, c’est un monde qui s’ouvre sur un seuil fertile.


La musique russe pense en terme de danse. On le doit à Petipa qui a exporté le Grand siècle en Russie. Aujourd’hui personne ne connaît la codification d’origine, celle d’Atys de Lully, de tous les ballets français des XVII et XVIII° siècles. On ne connaît que les alanguissements romantiques de la Belle au Bois Dormant, de Casse-noisette ou du Lac des Cygnes. Mais Prokofiev a pensé aussi en terme de danse (Roméo, le Pas d’Acier). Chostachovitch aussi. Stravinsky, par un juste retour des choses, eut son scandale au théâtre des Champs Elysées avec le Sacre.

Mais quid des générations russes depuis les années 30 ? Pas un nom, pas un courant dans l’expression contemporaine.

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12 Mars


La propagande est aux démocraties ce que la violence est aux dictatures. De qui est-ce ? De Noam Chomsky ? Est-ce possible ?


La Nef des Fous :  Le dernier Michel Onfray. Encore une fois il a écrit et fait imprimer un livre en une nuit. Sous forme de journal. Ce qui le rendrait presque crédible en regard des prête plumes qu’on lui attribue. Mais il résume assez bien la mort de l’Occident. En vrac, en parcourant l’ouvrage, on a le panorama de cette musique de fond médiatique qui insensibilise à force de répétitions et d’incrédulité devant l’extrême réalité des monstruosités, de la déglinguée autiste suédoise qui fait l’école buissonnière en prêchant la mort de la planète et la folie des climats, nobélisable en plusieurs domaines, que le Premier Ministre suédois assimile au retour du Christ, le ventre des femmes qui se louent, les autres qui achètent les enfants qui n’auront que des pères fictifs, le masculin qui n’est plus masculin et qui se donne un genre, les garçons de quatre ans torturés par le désir irrépressible d’être fille et vice versa, les mangeurs d’herbes sans pesticide qui plastiquent les boucheries, les anti corrida qui ne supportent la douleur infligée aux bêtes des manades, d’autres qui ne parlent jamais du sort des bêtes de boucherie, les anti parc-nautiques où les dauphins et les orques sont honteusement privés de leur dignité, des professeur(e)s de paléontologie qui estiment qu’il y a trop de dinosaures mâles dans les vitrines des musées, le pape rencontrant l’ayatollah Ali Sistani concluant que la Covid est le châtiment de Dieu, une adolescente de quatorze ans défenestrée par deux autres adolescents qui émeuvent leurs juges, les mêmes juges  compatissant envers l’assassin d’un enfant de trois ans torturé par un beau-père durant des semaines et mort d’un éclatement du foie, qui réclament pour lui un jugement qui ne compromettrait les chances et l’avenir de l’inculpé, d’un terroriste nouvellement accueilli  sur le beau territoire de France, pourtant déjà inculpé huit fois pour violence, qui se rue sur le premier sabre venu pour trancher la gorge d’un mécréant et qu’on ne peut reconduire à la frontière ni incarcérer faute de places en prison, qu’une Cour européenne des Droits de l’Homme s’offusque, de toutes manière, à le dépouiller de sa dignité de citoyen, d’un ministre de la Justice qui repense la Justice, réécrivant celle-ci, inculpant la société et ses valeurs, seule fauteuse d’engendrer des victimes poussées au crime, d’un terroriste relaxé pour vice de forme (administrative), d’un autre terroriste repêché par le tribunal tout puissant des droits de l’homme mesurant et comprenant la juste lutte idéologique du forcené, de milliers de détenus libérés par Madame Belloubet, Ministre, pour cause de Covid moins contaminant à l’air libre, d’un camion qui fauche sous les feux d’artifice de la fête nationale française une centaine d’hommes et de femmes sur plus de deux kilomètres… l’impunité et les yeux qui se ferment sur de réelles guerres de gangs Tchétchène et de bataillons de nord africains réconciliés après des heures de compromis claniques sous la bienveillance de l’imam local, et sous l’œil non moins complaisant de forces publiques désarmées, de rappeurs invités, vautrés sous les lambris de l’Elysée niquant la République sous les yeux émus de l’apatride président de ce pays et de son épouse, de rappeurs invitant à éclater les bébés blancs contre les murs, d’un ministre de l’éducation nationale dont la mission première en ce domaine serait la lutte contre l’homophobie, la diarrhée universitaire exigeant la dénonciation des islamophobies livrées au rasoir, la décolonisation forcenée de l’Histoire de France, la culpabilité chaque jour plus grande d’un passé monstrueux  passé au laser des lois du bien et du mal, d’enseignants ne pouvant enseigner l’histoire du pays sous peine de vindictes, d’enseignant décapités pour avoir osé défendre le libre exercice de la pensée recevant la protection policière provisoire, de vieilles femmes égorgées au petit matin sous la nef silencieuse d’une basilique à Nice…

La Nef des Fous donc, loin, bien loin de cette vérité « qu’on n’est plus au Moyen-Age »

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On dit généralement que le poisson pourrit par la tête. Notre monde pourrit par son sud.

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13 Mars


Des deux colombes qui venaient boire à la vasque du jardin, il n’y en avait plus qu’une ces temps-ci. Ce matin, tôt, je les ai vues à nouveau. A moins que ce ne soit plus le même couple. J’en doute. Ils sont restés un long moment. Je crois qu’ils me reconnaissent derrière ma fenêtre.

Puis elles s’envolent se poser en bordure de la forêt, sur les arbres fraîchement élagués.


Et puis les colombes ne connaissent pas la théorie du genre.


Troisième samedi de confinement.

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14 Mars


à Alain Jacquot :


J’ai eu une pensée enjouée hier matin, à la foire aux vins de Cagnes où j’ai trouvé un Reuilly clos du chêne vert. Revivant un souvenir d’une caisse laissée en dépôt à la Madonette…

Quel beau moment que ces portes du Negresco fermées derrière nous, rien que pour nous, pour des toasts de foie gras et une dégustation de vins de Loire…

"Et ces messieurs ont-ils apprécié ? Et combien de bouteilles souhaitez-vous commander ?"

Ah ! de grands moments…

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15 Mars


Patrick Scrocco m’envoies des photos magnifiques du Danemark, du port de Copenhague, de l’intérieur du pays…

Ça me fait particulièrement plaisir ces images sur le Danemark. Figure-toi qu’il y a 50 ans on avait fait avec Stef une virée à Copenhague. Une quinzaine de jours en été. 1970….

Je me souviens bien du port, des couleurs des maisons, et même de la petite sirène. Qui n’est pas plus terrible que le Manneken-Pis de Bruxelles.

La première nuit on avait "dormi" dans un parc immense et on croyait que la nuit ne descendrait jamais. Il faisait encore jour vers 23 heures en Juillet.

Aujourd’hui j’aimerais bien voir les aurores boréales. Mais comme c’est en Février, il y a moins de motivation. La ville est belle. On y avait rencontré la première zone piétonne et on ne mangeait que des hot dog. On logeait chez l’habitant, un vieux couple qu’on ne rencontrait jamais, dans une villa à l’extérieur de la ville près d’un grand terrain de foot.

Le genre d’endroit où on verrait bien une clinique psychiatrique tellement c’était reposant. Ce qui n’empêchait pas l’étalage d’horribles revues porno dans les plus petits kiosques à journaux.

Le libéralisme manière scandinave. En bons latins, on avait des scrupules à amener Jane et Janet qu’on avait séduites en ville et qui nous laissaient comme des benêts au dernier feu rouge dans la banlieue déserte et la nuit noire.

De bons souvenirs. Mais c’est vrai que si on ne prend pas l’avion… Reste la voiture.

Pour le Chili c’est 14 heures de vol ! J’ai fait le voyage avec un pote en 2010. Il travaillait chez Air France comme mécano. Un soir où je lui parlais dans les vapeurs du vin rouge de ma curiosité pour l’île de Pâques

il me dit si tu veux on peut y aller en décembre. Je lui ai répondu on peut toujours rêver. Il m’a dit ce n’est pas une blague, j’ai droit à des billets dont on n’acquitte que les taxes aéroportuaires : 150 euros pour débarquer à Santiago… Tu penses si j’ai hésité. L’arrivée sur la Cordillère des Andes et l’Aconcagua après 13 heures de vol au petit matin est d’une émotion rare. L’avion donne l’impression de plonger ensuite en quelques minutes sur l’immense Santiago, tentaculaire.

Et puis ensuite Valparaiso, la ville mythique, une des plus belles à vivre qui soit… On est resté un mois. Et puis l’Isla Negra sur le Pacifique. La mer est noire, les vagues hostiles, ça donne le cafard. C’est là que Neruda a composé El Canto General dans une bicoque qu’on fait visiter aux touristes. Le sud du Chili fait presque penser à la Suisse tellement les arbres et les plantes sont ressemblantes. On a loué un gros 4X4, un pick up. Dans une brousse près de la Patagonie on a rencontré des américains sur un sentier impossible qui peinaient sur leurs vélos. On a chargé les engins à l’arrière et on leur a épargné la montée du col. Ils avaient des scrupules, ils nous ont dit : Pour nos petits-enfants plus tard, ils faut qu’on aille jusqu’à Ushuaïa à vélo, sinon notre aventure c’est de la triche". Ils avaient fait tout ce chemin depuis San Francisco…

Voilà, en vrac, quelques souvenirs qui resurgissent avec ces photos du Danemark…

Je sais que tu n’aimes pas l’avion. C’est bien sûr à cause de ta sœur.


La sœur de Patrick et son jeune frère de quinze et dix-sept ans sont morts dans un accident d’avion.

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PAUL KLEE

J’ai les larmes qui viennent quand je vois les Paul Klee de Tunisie


Il y a du Miro dans les années trente. En moins catalan bien sûr.

« Plus il y a d’horreurs dans le monde plus l’art est abstrait »


La révolution du viaduc c’est le rythme crescendo de l’Apprenti-sorcier.

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Nous disons Shéérazade, les arabes Scharazède. C’est la même chose, mais celle-ci doit être à Venise.

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Réponse à Alain Jacquot :

(Les écolos furieux qu’il n’y ait pas eu de morts à Fukushima …)


Dans la logique des écolos professionnels il eut été conséquent qu’il y ait eu des morts. A titre d’exemplarité antinucléaire.

Quand on pense que nous avons le savoir-faire nucléaire (non polluant) le plus expérimenté d’Europe occidentale (que l’Allemagne nous envie), et que nous fermerons certaines centrales d’ici peu. C’est le "en même temps" macronien qui ménage son aile écolo en affaiblissant notre indépendance énergétique (un des rares domaines où on soit encore indépendant : initié par de Gaulle et poursuivi par Mitterrand, et aujourd’hui détricoté peu à peu…)

La France est le pays qui s’est le plus doté de lois antipollution.

Les éoliennes ne représentent que 15% de l’énergie renouvelable (quand elles sont activées) et coûtent la peau des fesses qui font le bonheur des industriels allemands qui en sont les promoteurs.

Sans compter l’horreur des riverains qui ont à supporter les nuisances sonores, et la défiguration des paysages.

Pendant que tranquillement la Chine se donne pour objectif d’atteindre les 100 réacteurs atomiques à l’horizon 2040…Et que d’autres pays européens ont pour objectif d’augmenter leur politique d’énergie nucléaire (que la France leur vendait).

Nous sommes frappés par le syndrome du hara-kiri

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17 Mars


Déjà un an depuis le premier confinement. L’interdiction d’aller au Parc de Vaugrenier. Le silence du village, la monotonie des jours, les sorties sous conditions. Mais aussi les lectures assidues des Mémoires d’Outre-Tombe l’après-midi, au soleil sous l’arbre du jardin, les écoutes éperdues et si silencieuses des Dérives de Boulez, et la découverte de Braga Santos comme d’autres découvrent des continents.

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Depuis cette décision du concours du Luxembourg, je travaille dans l’extrême facilité. Est-ce une sorte de fatalité ? Je refais mienne cette célèbre pensée de Picasso qui disait « Je ne cherche pas, je trouve », un brin provocateur. Ce qui n’est pas mon cas, mais j’ai saisi une nouvelle manière au fil de mes promenades, presque en somnambule. J’ai superposé des chromatismes sur des anamorphoses que je n’avais jamais tentées. Et le résultat est que ce ne sont plus des photos, mais des métamorphoses de peintures. Et qui n’ont plus besoin de moi pour les défendre.


Dix-sept peintures seront finalement envoyées. Comme ces dix-sept chemins de coquelicots qui m’avaient inspiré il y a quelques années…

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Démanteler la Tour Eiffel, rendre l’acier aux Algériens. Déconstruction, décolonisation…


Il y a les élites, souvent éditorialistes, médiatiques d’une manière globale, dans les sciences, l’économie, la prospective, le social et le civilisationnel, qui dans un joyeux et toujours béat optimisme, dictent le bien et le mal.

Il fut un temps où l’appellation d’élite et d’élitisme était un fléau, une marque vile des résistances au juste droit des travailleurs et des pauvres, voire une résurgence de l’Ancien Régime. Par une inversion des valeurs et des jugements qui accompagnent bien souvent le cours de l’Histoire, ces défenseurs de la veuve, de l’orphelin et du mineur de fond, se sont autoproclamés, en l’espace d’une génération, élite de droit moral et n’ont dorénavant que mépris pour ce bas d’échelle que sont devenues les masses populaires (l’expression elle-même sonne archaïque) et cet infâmant « populisme » qui nauséabonde souvent, se voit aujourd’hui honni dans ses bases, et ceux qui relèvent la tête du bon sens, parfois traînés en Justice par la nouvelle aristocratie de la pensée. L’époque stalinienne a disparu. La pensée occidentale, et la France à sa proue, en ont sauvegardé l’héritage et la quintessence. La nostalgie ?

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18 Mars


BEN VAUTIER


Je reçois les courriers de Ben Vautier. Maintenant que nous sommes à l’ère de l’informatique, il peut satisfaire son besoin de pénétrer chez les gens comme un colporteur, de faire entendre l’indispensable sentence qu’il a sur toute chose, d’embrasser l’univers de langue française et d’envoyer ses diarrhées verbeuses au monde entier. Il a maintenant sa petite cour, sa tribu du côté de Cessole. Et ses petits courriers, c’est surtout pour le faire savoir. Car il s’agit bien d’un retour du tribalisme pour un seigneur qui eut ses heures de gloire à Beaubourg. Mais c’est bien connu, Beaubourg broie ses déchets. Sa vieille orthodoxie du parlarem occitan s’est confondue et dédoublée dans un flou qui aura décidemment bien du mal à se fondre dans les avant-gardes qui ont pris un sacré coup de vieux. Lorsque Ben traversait le port de Nice à la rame pour en faire sa première performance narcissique, il avait, dans les années 60, le retard d’une pleine génération sur les performeurs américains pour ne rien dire des trônes d’aisance post Duchamp. Lorsqu’il « tenait » sa boutique d’objets poubelles, rue Defly à Nice, sa générosité s’est arrêté à prendre mes vieux 45 tours à dix francs tout rond, et pas douze, « dernier prix », sans un sourire. J’avais treize ans. Sa revendication du parler occitan aussi ringarde que le retour aux féodalités et que les quelques gentils égarés frappés par la soixantaine qui, le samedi, se rendent au bistrot y partager la socca, les beignets farcis et entonner nissa la bella après l’heure du pastis. Comme universalité on imagine mieux. Ces ultimes mohicans sont obligés de se téléphoner avant, pour qu’on n’en perde pas en chemin. Encore ceux-ci n’ont-ils aucune visée à être le nombril du monde. Ben a toujours pensé que la langue française était la langue colonisatrice de l’Occitanie. C’est certainement vrai, comme toutes les langues qui ont su absorber, et c’est une colonisation qui a eu de l’avenir. Mais l’Occitanie ? Pourquoi cette revendication d’une langue transitoire qui n’a rayonné que dans une seule sphère géographique ? Darius Milhaud voyait encore large : « La Provence de Constantinople à Buenos-Aires… » et manifestait là véritablement son amour du Sud. Mais l’apatride Ben Vautier, le mondialiste aux valeurs interchangeables comme le cours des bourses, a fait une fixette sur un combat d’arrière-garde. La déconstruction de Ben, le broiement des valeurs traditionnelles et bourgeoises, pour un calfeutré retour à l’Occitan ? Pourquoi pas au latin, au bas latin et au plus haut latin, au latin de la Narbonnaise ? Au latin de Tacite puisqu’il y avait ses sources. Que Ben s’attaque à toutes formes artistiques du passé ou du futur selon qu’on se pose la question « qu’est-ce que l’art » et qu’on réponde « tout est art », « Ben est art » n’est qu’une question qui croit avoir trouver sa réponse, mais qu’il contrarie le cours des langues pour s’arrêter à la vénérable langue de Rutebeuf ou plutôt celle de Bertrand de Ventadorn, fait sourire. C’est le nombril du monde qui est mesuré dans sa marginalité minoritaire. Comme universalité on a connu mieux. Ben s’essouffle à écrire des courriers électroniques qui agitent des vents déjà vieux.  Ben a du mal à exister. Le temps craquèle ses rides, comme son accent de nulle part s’accentue avec l’âge comme un vieux tic. Les parisiens diraient qu’il est finalement très provincial. Mais il a des copains dans tous les couloirs de l’Hôtel de Ville de Nice qui croient tenir la caution nissarde à l’« international ». Il fait placarder des « sentences » aux abris du tram. Il vend des chaussettes griffées par ses soins « perdez le nord gagnez le sud ». Pathétique. Le brocanteur n’est jamais très loin. C’est le seul fonctionnaire au monde qui vend ses graffitis. Seu nissart et m’en bati

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19 Mars


Cette fois les décisions gouvernementales, sous couvert de plus d’expérience dans la gestion de la pandémie, donnent l’impression de lâcher la bride, d’augmenter les libertés, de laisser, par paradoxe, les confinés à l’air libre, d’autoriser les parcs et les espaces naturels. Mais le rayon de déplacement étant de dix kilomètres à la ronde, je ne pourrais me rendre à Nice. Cette année, qui n’en est qu’à son quart de déroulement, me semble déjà plus morne que la belle année passée. Le confinement ne m’avait été que modérément contraignant et l’espoir de nos voyages vers l’Espagne et l’Italie, un baume et une perspective inexistante aujourd’hui dans un proche horizon.

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Bernard : (il s’apprête à passer les jours qui viennent hors de Paris…) :

… avant la Normandie, un petit tour à la piscine, une séance de yoga, d’étirement et de décontraction : ça fait du bien

Réponse :


De yoga je vais en avoir besoin ou de quelque chose d’équivalent. Tu dois être a priori en Normandie et c’est tant mieux. Mais ça risque d’être long. J’avoue être plus désemparé aujourd’hui qu’au plus fort du confinement 2020.

Peut-être est-ce la durée qui pèse. Certains pays ont déjà ôté les masques, leurs bistros ont ré ouvert, ils donnent l’impression d’en avoir fini. Nous nous cherchons encore notre indépendance. Et on copie un peu les uns, un peu les autres. Triste. Dans cette histoire, je ne peux plus aller à Nice. Je remplirais une attestation médicale pour raison de comorbidité. Reste Vaugrenier. L’an passé, c’était le premier grand espace à avoir été bouclé. Aujourd’hui il est fortement recommandé d’y aller…

Bref, je n’ai pas le moral. Chaque jour son tourment. Je devrais pourtant être satisfait, mes peintures sont rentrées dans le dossier ! Il est prêt. Je pourrais même faire quelques retouches, voire, ajouter quelques paint qui ont été "plexiglasés". Je suis allé voir les images des lauréats des années passées. Les œuvres sont finalement matérialisées lors de la remise des prix. C’est ce que j’ai compris depuis la grande expo de la pinacothèque du Musée.

Comment matérialiser mon travail ? Voilà le sujet qui va m’occuper.

Mais j’ai confiance en mon travail. Il a belle allure.

Meilleur confinement.

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A Alain Jacquot :


Un petit coucou avant ce confinement qui nous tombe dessus. Les Alpes-Maritimes sont les mauvais élèves du Sud comme tu peux constater. Notre pays tâtonne quand d’autres sortent de l’ornière.

Et le seul pays membre du Conseil de Sécurité qui n’ait pas de vaccin. Notre absence d’indépendance nationale est maintenant manifeste.

J’ai une terrasse dallée toute neuve depuis quelques semaines, je baisserais les toiles en avril et je ne manque pas de lectures. Mon dossier Luxembourg est bouclé : 17 peintures numériques. Elles ont belles allures. Résultats vers décembre…

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Puisque les minorités mènent la danse sur des rythmes de plus en plus endiablés, il serait bon de se faire entendre durant ce Festival de Cannes sous les banderoles de notre dernier géant, le mésestimé injustement absent de nos noms de rue.

Proposons en toute simplicité « Noël, nous sommes avec toi, Roquevert à toi les Palmes, nous les aurons tous à revers »

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Quel ennui ces « Morceaux en forme de poire » !  Quand je pense que Satie a pris la place d’Honegger, de Milhaud et d’autres de cette même époque dans la diffusion respective de leurs œuvres. Il ne tient pourtant qu’au seul fil des Gymnopédies ou des Gnossiennes qui masquent l’insignifiance d’une œuvre.


J’adore Satie … quel compositeur !

Et qu’aimez-vous d’autre de lui ?

Comment ?            


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Quel monde entre « L’Enterrement du Comte d’Orgaz », et celui d’Ornans de Courbet ! L’harmonie polyphonique et la triste objective mine provinciale.

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Je n’arrive pas à me défaire de ce n° de Mars (698) de Diapason. La photo de Kathleen Ferrier tournée vers un monde de félicité, d’harmonie vers le haut d’un ciel. Certainement mon côté iconodule héréditaire.

Du coup, j’en ai fait une photo, légèrement noircie, que j’ai faite parvenir autour de moi, même à ceux qui ignore jusqu’à son nom.

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21 Mars


à Alain Jacquot :

                                                                                                                               

Tout de même, que le goût du cirque n’ai pas envahi l’art en France autour de Cocteau et de son image est déjà bien. On peut plutôt jeter la pierre à ceux qui ont entretenu hier et aujourd’hui le mythe du Satie délivrant l’art des brumes impressionnistes. Dieu merci, l’art a bien poursuivi sa destinée avec les impressionnistes en question, et je pense personnellement que les générations qui ont suivi ont plutôt belle gueule avec Dutilleux Messiaen, Boulez et ceux qui composent aujourd’hui (Murail, Dusapin et tant d’autres). La France, sur ce plan, a rayonné plus que sur le plan militaire et diplomatique. Ce qui a probablement enrayé cette image d’une France éternellement novatrice et porteuse des valeurs de toujours est la haine qui s’est emparé d’elle au travers de la considération qu’elle a d’elle-même. Quand on était gamin, on nous apprenait ce que le monde devait à notre pays. Aujourd’hui, les faiseurs d’idéologies, relayé par TOUS les médias, nous montrent par le menu ce que la France doit au monde. C’est de cela qu’elle meure. Du manque de respect d’elle-même.

La métaphore de cette musique péruvienne, dont je me souviens très bien, est en effet comme une ruine d’un passé fastueux. Notre évolution est bien pire. Parce que, sans avoir oublié notre culture et le rayonnement qui fût le nôtre, nous le désapprenons volontairement et l’image de ce prisme de notre passé, renvoyé par les fossoyeurs idéologues, est celui d’une mésestimation absolue de ce passé et de ses valeurs qu’il véhiculait (devenu décolonisation générale, racisme endémique, relativité de notre histoire, etc.). Ce serait faire trop d’honneur ou un trop grand opprobre que de voir le seul Satie responsable de l’usure de cette destinée. Zemmour a raison quand il parle de notre déclin, de ce pays qui a chuté démographiquement (avant Waterloo la France avait une population de 28 millions de personnes contre 8 en Angleterre et autant en Russie : nous étions un continent démographique), des deux guerres (la première a décapité nos élites alors que l’Allemagne n’avait pas mené la sienne à la boucherie), la seconde est responsable de l’image entretenue par la défaire, la pire de notre Histoire. Ce qui en résulte est bien la relativité de la place qui est la nôtre dans le monde. Cette misère sanitaire que nous vivons est le reflet cruel de notre dépendance à des forces que nous ne maîtrisons plus : les ressources industrielles et l’indépendance nationale qui faisait encore notre fierté ont disparu. Nous nous sommes rassemblés sous le drapeau européen qui n’a aucune considération pour les valeurs qui composent chacun de ses constituants. Ce qui n’empêchera pas les nouveaux ogres d’avoir la peau de nos petitesses.

Voilà, cet après-midi je me calerai devant ces sonates de Scarlatti en attendant les deux volets qui viendront avec la Passion selon St Matthieu. Comme j’ai 15 versions de celle-ci, je serai peut-être dans le bon lot…

Pardonne-moi de brosser un tableau sombre qui est celui que je sens le plus près du vrai

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Les provinciaux sont si loin de Paris. N’oublions pas que nous sommes bien plus proche de Florence que les parisiens. On peut y être après le petit déjeuner, disons, pour midi…

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Le plus solaire, c’est toujours Grumiaux. Il aurait eu cent ans cette année. Il avait travaillé avec Enesco.

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Ma cousine Marie-Claude avait pleuré à l’enterrement de mon père. Je pensais à elle en buvant un vin de Valréas. C’était un temps où nous étions encore humain.

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On aime Kathleen Ferrier parce qu’on sait dans ses yeux qu’elle voit le ciel

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Rubens le plus grand peintre de la peau humaine. La chair des femmes du Nord qui se révèlent.

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Mireille Deydier :

Merci de prendre de mes nouvelles.

Un passage à vide, du en très grande partie par le fait que je ne suis toujours pas vaccinée ! Faute de dose…et qui plus est, danger du côté de mes infirmières qui soignent un malade contaminé.

Dans l’immédiat, je suis sur la liste du pharmacien et du généraliste. L’actualité est des plus dramatiques.

Faites attention à vous.

Je vais demander à une aide-ménagère de m’attraper les classeurs de généalogie rangés dans une malle en janvier, laquelle croule depuis sous un entassement de livres.

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25 mars


Le dossier de concours est clos, fini, parti pour Luxembourg avec 17 peintures numériques. En espérant que ce thème de la Petite Renarde saura convaincre. Il est venu spontanément, comme une évidence dès la première vision, espérant que le jury saura lui aussi reconnaître la fraîcheur de la série de variations de la petite blessée comme un enchaînement de facettes progressives vers la lumière de la forêt où elle se terre.

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J’arrive à la fin du récit. Comme un péplum sans fil conducteur, un Griffiths aux plans larges de cliquetis de ferrailles de guerres, d’épées, de tranchants et de fureurs.


Tacite emporte tout sur le passage, il n’a aucun ordre chronologique particulièrement rigoureux. Les retours en arrière étant fréquents, mais sans qu’aucun détail, aucune motivation fût-elle cachée ou enfouie dans un nœud de déterminations complexes, n’échappent à l’analyse. La cruauté des temps romains de ce premier siècle de notre ère est d’une noirceur qui ne peut se comparer qu’à des temps provisoire et transitoires, à la barbarie la plus féroce, avant que n’apparaisse généralement un chemin progressif et raisonnable comme un fleuve ayant retrouvé un lit stabilisé. L’historien avale les évènements comme des bourrasques abattues au gré des humeurs, des lâchetés et des instincts les plus abaissés et des ambitions les plus démesurées. Qui, de Galba, d’Othon ou de Vitellius montre une humanité, un visage ou une supériorité morale pour le bien général, dans la tourmente qui convulse l’époque ? Tacite ne s’y attarde pas. C’est le récit du mouvement, des longues masses aveugles qui avancent, des déterminismes à vue courte qui animent le récit. L’armée de Germanie qui vient défendre Vitellius s’abandonne à la trahison, s’allie momentanément selon les intérêts avec Vespasien, laquelle armée passe des alliances avec les Bataves ou les légions fragmentées d’autres lambeaux d’armées. Et ainsi de toutes parts, s’érigent des convulsions où le mouvement des partisans du jour de l’un et de l’autre des pouvoirs, l’énergie des masses corrompues et instables comptent plus que les mouvements de la raison. C’est en aveugle qu’avance cette période (finalement très courte) que traite Tacite dans Histoires, comme le récit quasi haletant d’un grand vacarme, de tricheries et de ressentiments fluctuant au fil des évènements. Dans la très belle et limpide « Nouvelle Histoire Romaine » de Guglielmo Ferrero, ces épisodes que traite Tacite (de 69 à 96) ne prennent pas plus de dix pages merveilleusement synthétisées.  La multitude de personnages répandue dans le cours du récit antique peut paraître décourageante comme si étaient mis en lumière des maillons ou des chaînons nécessaires à la compréhension des agissements, jusqu’au moment où l’on comprend que la présence des uns et des autres dont les noms sonnent au fil des pages presque comme des phonèmes sans aucune importance existentielle, ne sont que des jouets d’une vaste action collective où la finalité est, quel que soit l’éclairage proposé pour les uns ou les autres, l’accession de sa faction provisoire au pouvoir suprême. Les Histoires décrivent une telle âpreté saturnienne, une telle violence permanente que le ciel de ce temps-là est comme recouvert de l’enveloppement noir des irruptions du Vésuve. Les morts successives de Galba, vieillard impuissant, assassiné en place publique, d’Othon se perçant le sein dans ses appartements ou de Vitellius déchaînant la cruauté et les outrages les plus indignes pour finir dans les eaux du Tibre, peignent une fureur relevant d’une impossible stabilité où la corruption, l’intérêt mêlés aux débridements des mœurs mènent à l’obscurité la plus totale.

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J’ai reçu de Mireille Deydier la branche Taurines de ma famille paternelle. Il est étrange que d’un arbre généalogique remontent dans le temps des personnes qui n’ont aucune idée de ces semences répandues qui ont fait l’existence de ceux qui sont venus après, de même que nous n’avons sur des parchemins que des listes de noms et de prénoms de parfaits étrangers dont on sait seulement qu’ils ont croisé hasardeusement des personnes dans le labyrinthe des générations qui ont descendu l’arbre jusqu’à nous.

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26 Mars


J’entends à la radio, « Beethoven mort un 26 Mars, Debussy aussi, Boulez né un 26 Mars », voilà qui comprime les entrées et les sorties du paradis.

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POUR EN FINIR AVEC LA REPENTANCE


En brandissant l’origine du génocide de l’identité algérienne par la France, « ils » savent bien que cette identité n’a jamais existé avant 1830. Ferrat Abbas et les premiers nationalistes avouaient l’avoir cherchée en vain. Ils demandent maintenant repentance pour barbarie en inversant les rôles. C’était le Maghreb ou l’Afriquiya de la Lybie au Maroc. Les populations d’origine phéniciennes (punique) ou berbères étaient, avant le VII° siècle, en grande partie chrétienne (cinq cent évêchés, dont celui d’Hippone (Annaba) d’où est issu Saint Augustin. Les régions agricoles étaient prospères. Faut-il oublier que les Arabes, nomades, venant du Moyen Orient, récemment islamisés, ont envahi le Maghreb et converti de force -bécif !- par l’épée, toutes ces populations ?

« Combattez vos ennemis dans la guerre entreprise pour la religion…Tuez vos ennemis partout où vous les trouverez » (Coran, sourate II, 186-7). Le motif religieux était élargi par celui d’engranger un butin, bétail, et aussi bétail humain, ramenant par troupeaux des centaines de milliers d’esclaves berbères légitimé par le Coran comme récompense aux combattants de la guerre sainte (XLIII, 19-20). Après quelques siècles de domination islamique, il ne restait plus rien de l’ère punico romano berbère si riche, que des ruines. Faut-il oublier aussi que les Turcs Ottomans ont envahi le Maghreb pendant trois siècles, maintenant les tribus arabes et berbères en semi-esclavage, malgré une religion commune, les laissant se battre entre elles (ce que remarque Tocqueville récemment passé en Algérie dès 1841), sans jamais rien construire sur ces sols conquis. Faut-il oublier que ces turcs ont développé la piraterie maritime en utilisant leurs esclaves ? Ces barbaresques arraisonnaient tous les navires de commerce en méditerranéen, permettant maintenant un trafic d’esclaves chrétiens. Dans l’Alger des corsaires du XVI° siècle, il y avait plus de trente mille esclaves enchaînés. D’où les tentations de Charles Quint de détruire ces bases, ainsi que les bombardements anglais et hollandais. Le bey de Constantine fit trancher douze mille têtes durant son règne avant l’arrivée des français. Les familles aisées musulmanes avaient toutes leurs esclaves africains. Faut-il oublier que l’esclavage en Afrique existe toujours (« Le génocide voilé », Tidiane N’Diaye). Les premiers esclavagistes étaient les négriers noirs eux-mêmes, qui vendaient leurs frères aux musulmans du Moyen-Orient, aux Indes et en Afrique du Nord surtout, des siècles avant l’apparition de la triangulaire aux Amériques et aux Antilles. Faut-il oublier qu’en 1830, les Français sont venus à Alger détruire les repaires ottomans qui pillaient la Méditerranée, libérant les esclaves et affranchissant du joug turc les tribus arabes et berbères ? Faut-il oublier qu’avant 1830, il n’avait existé aucun pays organisé depuis les Romains ? Tocqueville rappelle qu’à son arrivée, chaque tribu faisait encore la loi, se combattant mutuellement. Ce que l’Empire Ottoman favorisait afin de mieux régner. Faut-il oublier qu’en 1830, les populations étaient sous-développées et soumises aux épidémies et au paludisme ? Faut-il oublier qu’à l’inverse du génocide des Turcs en Arménie, des Anglais en territoire aborigène ou des Américains sur le sol des Etats-Unis, la France a soigné, grâce à ses médecins militaires, puis civils ensuite, toutes les populations du Maghreb, les amenant d’un million en 1830 à dix millions en 1962. Comme génocide on fait mieux en effet !

Faut-il oublier que la France a respecté la langue arabe et respecté la religion, forçant même les berbères chrétiens à s’islamiser pour ne pas être tués, d’où le nom Kabyle -« j’accepte »- ? Faut-il oublier qu’en 1962, la France a laissé en Algérie une population à la démographie galopante, souvent trop pauvre encore –comment passer du Moyen Age au XX° siècle en si peu de temps !?- mais en bonne santé. Une agriculture redevenue riche grâce aux travaux des Jardins d’Essais, des usines, des barrages, des réseaux routiers et ferrés, des hôpitaux, des universités etc. Il n’y avait rien avant 1830. Ces infrastructures jointes au désarmement des tribus ont été capitales pour l’Etat naissant algérien. Faut-il oublier que les colons ont asséchés les marécages de la Mitidja pour en faire la plaine la plus fertile du pays, un grenier à fruits et à légumes -qu’on surnomma la Californie africaine- transformée, depuis leur départ, en zone de friche industrielle ? Faut-il oublier que la France a permis aux institutions de passer de l’état tribal à un Etat nation ? Le colonialisme, ou plutôt la colonisation, a projeté le Maghreb, à travers l’Algérie, dans l’ère de la modernité. Faut-il oublier qu’en 62, un million d’européens ont dû quitter l’Algérie abandonnant tout pour ne pas être assassiné, ou au mieux, citoyens de seconde zone, au rang de chien. Il en est de même de quelque cent mille israélites dont les ancêtres pourtant installés là mille ans avant que le premier arabe musulman ne s’y établisse ? Etait-ce une guerre d’indépendance ou encore de religion ? Faut-il oublier qu’à notre départ, en 62, outre au moins 75 000 Harkis, sauvagement assassinés, véritable crime contre l’humanité, et des milliers d’européens tués ou disparus, après ou avant les sursauts réactifs et désespérés de l’OAS, il y a eu plus de 200 000 tués dans le peuple algérien qui refusait un parti unique ? Beaucoup plus que durant la guerre d’Algérie.

Nous savons que la France forme de bons médecins. Et c’est ici, en France, que le Président Bouteflika a choisi de se faire soigner, au Val de Grâce dont l’un d’eux, Lucien Baudens, créa la première Ecole de médecine d’Alger en 1832.

La France a laissé derrière elle un pays riche qui a de nouveau sombré. La France a aussi créé le nom même du pays qui a remplacé celui de Barbarie. Personne ne demandera à l’Algérie nouvelle de repentance pour avoir laissé à nouveau ce pays péricliter et tomber si bas dans la dépendance et la désolation.  Et puis comment, paradoxalement à ce qui est dit au « pays », tant de sujets, tous les jours, quittent leur terre natale pour la France ?

En fait, le passé, diabolisé et désinformé, n’est-il pas utilisé au seul maintien d’une nouvelle tribu d’incapables et de corrompus qui sanglent sauvagement le territoire algérien ?


Comment a-t-on pu élire un président de la République française laissant un ancien militant du FLN en charge d’un dossier de « rapprochement » entre la France et l’Algérie ?

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Debussy tapant sur l’épaule de son voisin à l’entracte des « Brigands » d’Offenbach : « Ça c’est de la musique ! ». Ce qui est vrai.

………………………………………………………………………………………………………………………à Alain Jacquot :


C’est vrai, la Bourgogne est magnifique, riche de ses marqueteries blondes et vertes. J’ai perdu des photos du camping de Cluny des années 80. Il se trouvait sur un mamelon au-dessus du village, et le soir on pouvait voir ce qui reste de l’abbaye éclairée. Aujourd’hui on l’aperçoit fugitivement en TGV, avec les vaches blanches du charolais au premier plan. Et puis l’émission est tellement bien conçue. Au début je n’aimais pas le titre "des racines et des ailes", je ne le comprenais pas. Et puis les leçons de la petite école sont revenues. L’émission suit exactement le principe de Saint Exupéry, "on ne peut bien voir un pays que depuis le ciel" qui contredisait Colette qui "ne le comprenait que charnellement en allant au cœur des choses".

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à Alain  Jacquot :


J’oubliais, j’ai bien sûr pris quelques pense-bête, parce que sinon…

Quelques nouveautés : Lise Davidsen que je suis comme le lait sur le feu, et comme une très grande (1m 88) de gorge et de cordes vocales native de la même plaine norvégienne que Flagstad que tout porte à penser qu’elles vont se ressembler. Des voi(x)es graves de dedans le dedans de la femme. La beauté de l’hystérie, Strauss, Wagner…

Et puis Sandrine Piau, à maturité maintenant. Elle débute avec les Arts Flo, puis la mélodie française, puis les pyrotechnies vivaldiennes, Händel, et la Mélisande que j’ai vue en 2013 (avec le Golaud de Ferrari). Elle attaque aujourd’hui le jardin de Seefried et de Della Casa, Grümmer, celui des cariatides germaniques : Les 4 derniers lieder ; Morgen (à lui seul un défi) et les 7 lieder de jeunesse de Berg. Elle y est belle et rayonnante. La voix est de miel et coulante d’avoir monté sans fin des spirales dans la Venise du sensuel, mais pourquoi donc n’ai-je aimé que modérément son Clair/Obscur (thème de son cd) dans le cœur des lieder ? L’orchestre Victor Hugo/Franche-Comté n’est pas Vienne bien sûr, mais surtout le chef au tempo excessivement rapide, affaiblit le lamento de cet adieu au monde ; bien sûr pour un commencement, c’est un adieu vite fait, qui prive de cette ombre progressive qui est celui du détachement avant la mort, et pire encore, celui que Strauss nous donnait de la conclusion d’un monde qui ne reviendrait jamais. 1944.

Je te parlais tout à l’heure de Cluny. Edith Canat de Chizy avait hésité à devenir moniale justement. (Ce qui, je le sais comme tu le sens, nous la rendrait déjà admirable. Elle est belle !). Elle ne nous en donne qu’une plus belle lumière sur ce "Tombeau de Gilles de Rais", oratorio qu’aucun programmateur de spectacle n’a jamais eu l’idée de coupler avec le Barbe-Bleue de Bartok (1 heure pour chacune des œuvres, complémentaires dans l’esprit). C’est une femme pour laquelle on pourrait poser le genou à terre. Elle a découvert Ohana assez tôt et a co-écrit le volume qui lui est consacré chez Fayard.

As-tu remarqué, il ne s’agit que de femmes aujourd’hui ?

J’oubliais ce vent de Portugal, ce fado de la mer, Amalia Rodriguez. Je me suis même payé un album (d’une collection superlative de qualité, Frémaux et associés) sur les orchestres à cordes, les guitares particulières de Lisbonne et Coïmbra de 1930 à 60.

Chavirant.

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28 Mars


Cette drôle de photo (19..) de Debussy debout, Stravinsky dandy, confortablement dans le fauteuil, l’un paraissant géant protecteur ahuri, l’autre posant les jambes croisées. Tous deux minuscules de taille. Mais qui jurerait qu’il s’agit d’une vierge d’icône orthodoxe sur le mur en haut à droite ? …

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Aujourd’hui les Rameaux. Nous plongeons dans la cave du Couvent des Visitandines de Beaune, la plus grande cave voûtée de Bourgogne. Nous plongeons du moins dans une de ses bouteilles.

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à Bernard :


L’essentiel est que ça fonctionne et qu’on puisse avoir ces « clameurs » de l’autre monde ! Je vois que le confinement n’est plus ce qu’il était. Le marché, Versailles, le rosé sous le coude, c’est plutôt gala ! Mais vous faites bien. Ici c’est pareil. Les bords du Loup hier matin ressemblaient à la remontée des Champs-Élysées que j’ai renoncé à manger la poussière des bikers et des familles nombreuses. D’autant que du soleil on en a comme on peut en avoir en printemps normal.

L’après-midi c’était à quatre pattes pour ne pas manquer les créativités de Liweï qui invente des petites grâces, des manières à elle. Elle court vers son papy les bras en l’air. Le grand frère, c’est plutôt tchoutchou sur les dalles neuves du jardin. C’est drôle cette famille où on idolâtre l’avion et le train. Une famille qui ne reste donc pas en place. Mon beau-père était directeur de la tour de contrôle de Pereira. Tout ça vient des allemands qui ont apporté l’aviation en Amérique du Sud. J’avais préparé la flamiche aux poireaux, énorme, pour plusieurs personnes. Pâtes à pizza plus poireaux, plus fourme d’Ambert et 40′ au four. C’est simple et c’est plein de couleurs. J’ai remarqué que mon petit-fils peut manger de tout à condition d’être séduit par l’emballage, la couleur. C’est comme ça qu’il a découvert ma spécialité de pâtes au saumon/épinard à la crème. Les épinards, c’est connu, c’est l’Himalaya du déplaisir à cet âge-là. Eh bien c’est devenu le plat préféré quand on vient chez papy.

Mars va arriver, un mois de 31, c’est drôle comme ça change tout. J’ai l’impression que les pages prennent tout leur temps, qu’elles s’ajoutent plus facilement les unes aux autres. Je viens de finir un "concerto en noir". Il y en aura un bleu bientôt.

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31 Mars


La nuit, les couloirs sont hostiles, de cette longue spirale noire qui descend dans les entrailles de la maison comme une bouche ou un gosier qu’on ne voudrait voir. Les dossiers des fauteuils apparaissent comme de vieilles épaules croulantes prêtes à se mouvoir. Ces frayeurs nocturnes peuvent réapparaître, souvent vers les deux, trois heures. Déjà tout petit j’étais paralysé à l’idée de devoir me lever pieds nus dans la chambre. On n’y entend plus le chant de la terre. Cette absence de respiration de la nuit, de palpitation vivante est terriblement perceptible. Ce n’est qu’à l’heure encore blême, celle de l’instinct des oiseaux qui savent que le jour est à nouveau né, que la peur des fantômes disparait.

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1 Avril


Réponse à je ne sais qui :

Nice :

L’Avenue Jean Médecin est devenue une sorte de dépotoir mobile. Les fantômes masqués avancent dans la fourmilière silencieuse et la pauvreté s’affiche sans plus aucun fard. Une camionnette du Secours Populaire se dresse au cœur même de l’Avenue, à l’entrée du centre Nice-Etoile, sinistre dans ses marbres et ses escalators tournant à vide, clos et propret. Une file compacte de gueux contemporains attend son quignon de pain, sa boîte de conserve et ses vêtements pour la saison. D’autres sont accroupis contre les murs, par groupe de deux ou trois, parfois plus, les visages rougis et épaissis par les nuits dehors. Ils attendent les rebus de nos consommations. La ville, dans son artère principale, donne une vision apocalyptique d’un monde usé. Même le soleil ne peut trahir une misère venue des confins du monde. C’est le carrefour de l’Europe de l’Est dont on entend les chaudes inflexions de voix graves, cassées par le froid, mêlés à nos propres exclus sociaux fuyant la solitude dans leurs bonnets de laine, les peaux rongées, les chiens qui dorment dans ce cercle de saleté. Des pièces de monnaie se dressent sur leurs assiettes ou leurs cartons à même le sol comme des vitrines entre les groupes de déchus et les fantomatiques passants au pas indifférents qui vont vers quelque activité ou, comme moi, vers ces interrogations qui ne manquent de traverser mon paysage mental, tout en fuyant vers l’Avenue Victor Hugo à peine plus riantes sous ses arbres dévêtus.  La ville ne masque plus sa misère. Cette misère gonfle au rythme des saisons. Il n’y a plus de touristes, et les « sans frontières » grossissent les rangs d’une nuit sans fin. Que viennent-ils chercher dans ce qui n’est plus qu’un faux eldorado occidental au-delà duquel il n’y a plus que la mer pour s’y jeter ? On dit que dans leurs pays d’Est le pire est encore possible. L’Afrique ne le dit pas, mais les hordes de sans-logis, qui ont élu les pourtours de la gare, ont déjà creusé les déserts de la misère. Et tout ce monde est ici, par terre. Pourquoi leur permettre de s’installer ? Qu’avons-nous à gagner ? Que gagnerons-nous à maintenir sur notre sol, dans nos immenses villes à broyer, ces humains qui n’en sont déjà plus ?

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Ce n’est pas un poisson d’Avril, mais la grande histoire passe parfois par la petite… En 1964, Michel Magne est dans l’embarras : au moment où il est approché pour écrire la musique du film Angélique, marquise des anges. Il vient à peine d’achever la composition des Tontons flingueurs, et doit s’atteler à celle de Mélodie en sous-sol d’Henri Verneuil. Faute de temps, il se tourne alors vers  Pierre Boulez, son ami depuis la classe d’Olivier Messiaen, et lui demande d’écrire la musique d’Angélique à sa place, et d’en diriger les sessions d’enregistrement. Boulez accepte, à la seule condition que les droits d’auteurs soient versés au Domaine Musical, afin d’en financer la saison 1964-65…

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2 Avril


A Bernard :


… J’irais me faire vacciner (je suis « comorbide ») avec Pfizer ou Moderna à Vence. J’ai longtemps hésité à faire le mort (un peu comme ceux qui veulent se faire oublier en ne prêtant pas le flanc) mais je crois que tout se calmera quand on aura tous eu l’immunité. Mais que fera-t-on l’an prochain ? Jusqu’ici je ne m’étais jamais fait vacciner contre les grippes saisonnières (ma dernière "vraie" grippe doit dater de l’an 2000). Ensuite le vaccin c’est comme une dépendance. Il faut se refaire piquer tous les ans. Sachant que les virus mutent chaque année, les risques sont toujours là.

L’enfer.

Par une étrange évaporation, il n’y a pas eu de grippe banale cette année. Par étrange aussi, il meurt en France 30 000 cancéreux. Dans quels lits sont-ils en ce moment ?

Monde orwellien.

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Robin de Raaff, compositeur néerlandais. Peut-être le plus bel ensemble orchestral de rutilance, de glacis et de pierreries sonores dans quatre symphonies et un concerto pour violoncelle. Et cet « Atlantis », oratorio à la mémoire de Pierre Boulez.

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Vendredi Saint. J’écoute « le Reniement de Saint Pierre » (là, il y a le choix : Charpentier, Lassus « les larmes de Saint pierre », bien d’autres), celui sur lequel le Christ avait dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirais mon église ». Pierre a renié son maître la nuit de la Passion, trois fois avant le chant du coq. N’est-il pas étonnant que plus tard il fut crucifié par Rome, la tête en bas ? Le symbole est fort. C’est sur cette fragilité de pierre, et finalement cette inversion que s’est bâti le ciment de notre civilisation. Le christ avait prévu la trahison initiale et la finitude réelle de notre condition humaine. Dans l’amertume de l’agonie.

Noël, c’est le solstice d’hiver, tous les rationalistes le savent. La fête qui prélude à la fin de l’année avec la lumière qui gagne du terrain. On fête donc Noël universellement sans craindre de confondre avec cette naissance dans la crèche. C’est rassurant, on trinque sans arrière-pensée.

Mais Pâques ? que dire aux enfants ? Les œufs, le chocolat ? La naissance encore. Mais l’absence au tombeau, la disparition, la résurrection, c’est plus difficile à dire aux enfants. Avec l’âge, je m’aperçois que Pâques synthétise tout à la fois la naissance et la mort. La naissance après la mort. C’est le seuil. L’agonie, les désastres des trahisons de Pierre, Paul ou Jacques, ou de Judas en l’occurrence, puis la souffrance, la mort.

2001, Odyssée de l’espace, ou de l’immortalité. Le chemin de la mort à la naissance.

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3 Avril

Nathalie Dessay. Je l’ai longtemps négligée. Peut-être était-ce la femme telle qu’elle s’expose que je n’aime pas, sa voix parlée, ce ton ordinaire. C’est aujourd’hui un patrimoine lyrique, une colorature d’exception. Mais le fameux contre ré de Lily Pons reste toujours le modèle.

………………………………………………………………………………………………………………………. PAQUES SUR LES ROUTES DE SUISSE

Il y a cinquante ans, le car parti de la Place Masséna nous laissait au centre de Genève, Hôtel Saint Gervais. On a gardé le souvenir de ce séjour qui n’était pas oubliable, où les routes restaient longtemps immobiles, les avancées en stop laissant matière à réflexion. On pouvait voir le soleil tourner sur le paysage durant une heure, parfois plus. Parfois au bord du désespoir. Le soleil d’Avril étant souvent dur, réfléchi par le macadam. Nous avons tracé au centre de la Suisse, par le lac d’Yverdon, vers Lucerne, la chambre tout en haut sur les toits, dans des combles près du ciel, la lucarne qu’on peut voir encore sur des cartes postales : Hôtel Zu Pfistern, au pied du pont de bois et de la rivière. Puis Zurich, la vieille ville pavée, les ruelles qui montaient et descendaient, et l’Oliver Twist, le pub de tous les rêves et de toutes les ivresses. Mais la première soirée à Genève, ce fut la Place du Molard, la croûte et le fendant frais, puis très tard, la Rue du Prince, sa discothèque où Stef et moi avons rencontré Marianne et son amie, deux allemandes. Autant l’une était blonde que l’autre était brune. C’est Marianne la brune qui m’a foudroyé en marchant sur mon pied entre deux éclairs stroboscopiques. Le lendemain, elles allaient vers le sud. Tout allait déjà trop vite. Elles ne savaient où loger ; Stef eut l’idée de soudoyer le portier de nuit de l’hôtel, (cinquante francs de l’époque, follow me, follow me disait ce portier), pour nous laisser monter tous les quatre dans notre petit réduit qui n’était pas même une chambre, mais l’espace réservée à la blanchisserie. J’ai fait connaissance le lendemain avec Monsieur et Madame Molinier qui s’étaient improvisés une visite au Saint Gervais (« Dépêche-toi, dépêche-toi mes parents sont là, je ne les attendais pas… ». Pas de téléphone portable en ces temps-là… S’ensuivit une soirée où nous avons tenté de faire bonne figure et bien caché nos désarrois. Puis une autre nuit au cœur même du paysage agricole chez des jeunes suisses ébahis d’héberger des français qui traversaient Flamatt, leur village qui sentait l’écurie ou l’étable, sur une plaine hirsute et improbable dont je ne saurais aujourd’hui situer la position géographique. Une des dernières étapes fut à Saint Luc, dans le Valais, au croisement de Martigny, Sion, Sierre, venté d’un dimanche à pleurer, puis la longue montée en car jusqu’au village de chalets, chez Yves Rio, le beau-fils de ma tante Lucia. Avec un diner sous les étoiles, entourés d’arbres gigantesques qui devaient être des cèdres du Liban et des sapins dépassant le toit de l’hôtel où l’on se donnait cette dernière fête. Quand nous sommes revenus après une quinzaine de jours, on avait toujours en tête les musiques de Jethro Tull, Aqualung et cette rengaine de Robert Wyatt qu’on chantait sous les étoiles, Moon in June.

4 Avril

C’est Pâques. Il va falloir cacher des œufs dans les herbes à l’entrée de la forêt. Faire une chasse au trésor pour Y.. Heureusement, le ciel est timide mais on évitera les belles pluies d’hier.

6 Avril

Voilà, Stravinsky nous a quitté il y a cinquante ans. Nous étions sur une méchante route à attendre un véhicule qui nous mènerait vers Lucerne, Zurich…

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BEN (BIS)

La plage des « Voiliers » a été rebaptisé « La Vela » dans un souci de faire local. Estrosi soigne son territoire. Un coup d’écologie, un autre de parler du Vieux Nice. On n’est jamais trop prévenant avec son électorat. C’était la plage que nous fréquentions à la fin des années soixante. Elle a changé de nom, et même ses galets ne sont plus que de la vulgaire terre de chantiers du Var.

Je reçois encore « la lettre » de Ben Vautier. Toujours en diarrhées longues. Sa manie des langues « d’origine » : « un peuple c’est une langue ». C’est vrai. Il n’a jamais admis que « l’impérialisme » du français ait supplanté les langues qui n’absorbaient pas au-delà de leur périmètre naturel. Autant nier le réel depuis quatre siècle. Que la France c’est plus que la Bretagne ou la Corse ou le pays basque qui se tourneraient le dos, et c’est surtout plus que la somme de leurs parties.

1) que pense-t-il aujourd’hui de la langue des ordinateurs avec lesquels il semble bien s’amuser, cette langue avec laquelle il faudrait un mode d’emploi ou un traducteur en temps réel ? Et de la langue européenne qui en fait est un américain technocratico-financier ?

2) à l’autre bout de la chaîne, que pense-t-il de l’arabe que certains voudraient voir enseigner en langue complémentaire dès le primaire, afin de conserver la langue du « peuple » qui la parle ? Par un étrange retour suicidaire, la langue dominante aujourd’hui se soucierait scrupuleusement de maintenir l’usage d’une langue étrangère dès le plus jeune âge, et au-delà, elle encourage l’implantation d’une culture minoritaire d’une communauté qui ne manifeste apparemment pas son désir d’adhérer à une cohésion nationale (fut-elle républicaine.) Refaire Babel, diviser par et pour des identités minoritaires. La langue d’un clan, d’un club. J’ai peine lorsque je rencontre ces vieux mohicans nissarts qui parlent l’écho d’un monde qui n’est plus. J’ai encore plus peine d’assister à cette idéologie du « vivre ensemble » faisant fleur à ces autres français attachés à leur langue d’origine, refusant par-là de se fondre dans l’identité d’un parler commun. Si Aldo Platini n’avait pas prénommé son fils Michel plutôt que Salvatore, celui-ci ne serait pas en son temps devenu le français le plus illustre. Et inversement, si un Etat se refuse d’absorber les parlers minoritaires, symbole d’un refus des modes de vivre d’ici, il se prépare par-là à une scission, un séparatisme qu’il aura contribué activement à rendre flagrant. Si une langue est effectivement un peuple, ceux qui la parlent se doivent de ne pas perdre de vue que c’est avant tout dans le creuset de son sentir et de son parler, une communauté de destin.

J’habite Nice depuis près de soixante ans. Je ne parle pas niçois. Les petits vieux sur les boulingrins, je les trouve bien sympathiques, mais je m’en sens éloigné comme d’une caste, d’une vieille confrérie qui finit de chauffer ses vieux os en toute tranquillité. Une tribu de sioux en voie d’extinction. Verrait-on un occitan interpeller en provençal un breton au parlement européen ?

Les occitans parlent aux occitans ?…

La langue c’est un peuple, et le français a voyagé et fait entendre sa langue dans bon nombres de pays où elle a continué de se faire entendre, de convaincre par la force, la persuasion ou la séduction. Ensuite c’est un combat pour maintenir la force et la vitalité de celle-ci dans le rayonnement de sa sensibilité et de sa conception du monde perceptible par tous. Se faire entendre.

Louis Jouvet durant toute la durée de la Seconde Guerre Mondiale donnait, avec sa troupe, Molière et Racine dans les capitales d’Amérique du Sud. Aurait-il eu une audience dans un parler occitan, en bas-breton ? Mais pour mesurer le désastre d’une langue qui est aujourd’hui relativisée sinon méprisée par ceux même qui devraient la défendre, quel public de classe moyenne remplirait aujourd’hui, des semaines durant, les salles de Bogota ou de la Havane en entendant et en la comprenant, la musique des vers de Bérénice ?

Même Dante a refusé d’écrire sa Divine Comédie en Provençal. Il eut vite l’intuition que le destin de la langue toscane, dans le moteur économique et social de la péninsule, l’emporterait dans sa sphère d’influence géographique.

Le génie des langues, c’est la synthèse, le courant qui draine. Le centralisme du XVII° siècle en France. Imposer son mode de pensée dans la langue qui l’exprime. Trait d’union.

Et l’Europe entière a elle aussi rendu le reflet de cette langue dans toutes les cours européennes. Leibniz a écrit ses « Essais de Théodicée » dans un français aussi propre que celui de Pascal. Aujourd’hui, au sortir du XX° et à l’orée du XXI°, c’est l’anglais qui rayonne, ou plutôt l’américain des vainqueurs de 1945.

D’ailleurs, durant ce temps où la gestation des langues reflétant la construction centralisée des Etats-Nations en cours d’élaboration, le latin restait anachroniquement la langue des castes de l’intelligence, comme un reflet d’une entité qui avait eu auparavant sa cohésion intellectuelle et politique durant des siècles. Le latin de la vulgate a continué de rendre ce reflet durant tout le Moyen-Age. Ces intelligences n’ont pu s’exprimer dans leurs langues de naissances, les voir s’épanouir et se différencier, que lorsque celles-ci se sont stabilisées. Et sont devenues des langues modernes. A l’image des nations cherchant cette stabilité dans l’originalité et la spécificité sensible de leurs expressions. La culture prenait son essor.

Hé oui Ben Vautier, il y a un impérialisme des langues. Le pouvoir des langues et la langue des pouvoirs.

Il y a aussi la langue des castes. Lorsque le roi du Maroc s’exprime devant les foules massées sous son balcon, son arabe classique n’est compris que par une infime proportion de son peuple. Quatorze langues officielles en Inde. Les mandarins chinois parlaient aussi la langue du pouvoir. Ce qui se trouve être la langue et la pensée des élites. Parfois il arrive que l’intelligence et le pouvoir participent du même putsch. La langue française, la langue qui a su traverser les mers.

Tant que le français dominait, Paris était la capitale du monde, le monde de l’art parlait la sensibilité française, elle était tout à la fois le baromètre et la bourse des valeurs.

Rester féodal ou se rendre à l’universel.

La Chine demain …

………………………………………………………………………………………………………………………9 Avril

Je chemine dans « L’Algérie » de Tocqueville. Au-delà des défrichements, des pensées de l’auteur sur les stratégies d’organisation du pays, je vois les fantômes de mes ancêtres. Certains étaient déjà nés sur cette terre en 1841, lorsque l’auteur de l’ouvrage rédige, lors d’un premier séjour, ses premières impressions. Certains étaient donc des pionniers qui ne connaissaient encore que le visage transitoire de ce territoire. Durant le récit on sent avec précision l’immensité des tâches à venir, la matière vierge des terres et les paradoxes des humains. Deux générations après apparurent, à l’orée du XX° siècle, mes premiers grands-parents Deydier et Taurines.

Au Sud d’Oran. Dans les terres intérieures. Sidi-Bel-Abès, Tirman. La généalogie ne pourra jamais nous renseigner sur les motivations, les espérances et les rêves, qui en menèrent certains vers le Maroc.

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Je reçois le catalogue du parcours de Monique Ariello depuis 1985. De grand format, avec les étapes successives de son évolution artistique. J’y retrouve des variantes des « Princesses » de Marco Polo, des « Préludes » de Debussy. Un très beau geste.

Monique bonjour,

Je viens de recevoir votre catalogue par le courrier de ce matin ! Une très belle surprise. Et puis j’ai maintenant une plus juste idée de l’évolution de votre travail. Les étapes successives.

On y retrouve toutes les thématiques qui vous inspirent, avec évidemment cette recherche permanente au travers de la Foi. Les petites princesses, les montagnes et les sentiers de l’Ubaye, et les textes sacrés. Et leur musique toute personnelle comme cette arbre intérieur où j’ai vu immédiatement une nef de cathédrale.

Il y a vraiment des œuvres très inspirées. Je vous remercie donc mille fois pour ce beau cadeau et ne désespère pas que nous nous rencontrions bientôt.

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En deux jours les branches des arbres du jardin et ceux de la forêt se sont habillées de vert. Comme dans un décor de théâtre, le rideau de la nuit a laissé place au printemps.

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10 Avril


à Bernard :


En fait je crois qu’il faut que je fasse voir mes yeux. Les lunettes progressives ne m’ont pas réussi. Ma vue a changé encore depuis trois ans. L’ordi y est peut-être pour quelque chose.

Et puis j’ai parfois comme une gêne à gauche, comme un cil qui irrite. Et puis ça passe. Mais c’est de plus en plus gênant. La dernière fois l’ophtalmo a parlé de cataracte. Trois ans déjà.

Donc je m’impose des lectures vraiment indispensables, relatives à des voyages, (sur Florence, Tolède, les peintres, des bio etc.), des projections sur l’avenir ou des sujets qui me tiennent à cœur.

Il devient difficile de lire des romans par exemple ou par exception. Le dernier en date je ne m’en souviens pas.

Le Tocqueville sur l’Algérie me ramène aux temps de mes aïeux, aux premiers pionniers avant qu’ils ne descendent encore plus au Sud, vers le Maroc. C’est étonnant. Cet opuscule me donne à imaginer les paysages, les montagnes et l’intérieur des terres quand tout cela était encore vierge de modernité. Je vois très bien mes ancêtres au bal des villages, les rencontres, les épousailles paysannes, la vie d’un temps qu’on ne connaîtra jamais. Et puis tous ces gens-là qui ne sauront jamais qu’on est venu après eux. Nous sommes toujours un carrefour de destinées.

Il est prévu en Août de se fixer sur une région de France. La Bretagne. Le Val de Loire. Le centre, Auvergne (passage à Conques).

On ne sait pas trop encore. Une amie américaine se lance vers Compostelle, partant du Puy.

Cécilia aimerait qu’on accompagne son petit groupe, deux, trois jours. A voir.

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Les cantates de Gérard Pesson sont de fragiles constructions sur l’éphémère temporel. Comme un écho des Stimmung de Stockhausen. Dans certaines poésies chantées, c’est le Ravel des Histoires Naturelles ou des Madécasses. Doux et feutrées, parfois héritées de Janequin et de Machaut. Ce n’est pas peu.

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12 Avril


Cécilia est opérée de la vésicule. On lui a ôté un caillou de cinq centimètres de long ; ça ressemble à un gros cornichon malossol tout noir.

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13 Avril


« L’extase matérielle ». Ça fait des mois qu’elle traine sur le guéridon du salon. J’avais rencontré dans les années soixante-dix ce monsieur blond, avec une grande mèche sur le front. C’était à l’entresol d’un bel immeuble qu’on appelle ici bourgeois niçois dans le quartier Jeanne d’Arc où logeait dans le même immeuble, mais en sous-sol, l’ami Guillon. Il m’avait dit, « tu vois ce monsieur est écrivain, tu le rencontreras peut-être un jour ». Cette rencontre s’était limitée à un simple bonjour, quelques mots que Guillon échangea avec lui. Avec le temps j’aime à savoir l’âge des gens, à les repérer dans le temps par rapport à mon âge, à situer l’âge de ces personnes à l’époque où je les ai rencontrées. J’ouvre donc cette extase matérielle à nouveau à l’endroit de l’introduction, et je lis : J.M.G Le Clézio, né à Nice… d’origine bretonne etc. en 1940. Et je pose le volume sur le guéridon, fais un rapide calcul et me dis : « oui, quatre-vingt-un ans déjà, nous étions donc si jeunes. Mais par je ne sais quel souci de précision, j’ouvre à nouveau le petit volume pour savoir si ces quatre-vingt-un ans sont déjà révolus, si c’est bien douze années qui nous sépare toujours depuis cette première et seule entrevue dans cet entresol, et je lis né le 13 Avril 1940… Par quel hasard ai-je ouvert cette extase matérielle le jour même de son anniversaire alors qu’elle dort là depuis des mois, des années, par quel hasard ai-je voulu penser à nos âges respectifs, ce serait trop demander à ces mystères que la vie nous réserve.

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15 Avril

 

Tocqueville, au point actuel de ma lecture explique qu’après trois siècles de domination turque, celle-ci n’est plus cantonnée que dans une bande de terre sur la côte Est du territoire. Il a toujours pensé que la présence française était d’avoir eu ce coup d’avance nécessaire sur les visées d’autres puissances européennes qui n’auraient pas manquées sur l’Algérie. La France a maintenant une position dominante dans Alger et la région. Plusieurs stratégies sont possibles. Tocqueville écarte la présence exclusivement militaire et n’envisage l’implantation de colons en Algérie que s’il y a occupation des sols par des familles d’agriculteurs. L’acquisition de terres nouvellement acquises à l’usage libre et indépendant pour le colon et les siens garantirait la volonté de s’installer et d’y trouver des raisons d’y demeurer. Plus encore, la passion de défricher, de bâtir. Les arabes ayant perdu le goût de se gouverner eux-même depuis trois siècles, ayant d’autres part leur éternel problème de rivalité entre tribus, certaines d’entre elles ne voyaient pas d’un mauvais œil ce transfert de gouvernance. Des alliances se font jour. La première pierre de l’implantation était de maintenir la position forte d’Alger et de la plaine de la Mitidja, véritable marécage qui séparait des premiers massifs du sud.

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17 Avril

A Bernard :

Je n’en crois pas un mot. Tu connais la signification de ce que peut être ce supplément de grâce qui se manifeste lorsque, pour prendre un exemple, qui te parleras, les sons d’Hendrix ont quelque chose que n’avait pas ceux d’Alvin Lee.

(Peut-être l’exemple n’est-il pas super).

Il y a une âme dans le vivant. Rien à voir avec Dieu, paradoxalement ! Dans le vivant, c’est une manifestation d’un supplément de vibrations, ce que savent les luthiers (l’âme du violon est un morceau de bois qui, à l’intérieur d’un violon, raccordant la partie supérieure et celle du bas, contribue à lui donner sa réalité sonore, son paroxysme sonore et la finesse qu’on confondrait avec une voix qui voudrait nous parler. C’est un miracle acoustique qui dépend de ce simple bout de bois… en architecture, c’est la clé de voûte qui conditionne tout le reste, sans quoi…)

Je connais des tas de gens qui ont mille fois plus de connaissances théoriques que d’autres, lesquels ont par contre ce supplément, cette "grâce" de créer sans savoir, ou parfois si peu. C’est ça ce qu’on nomme l’âme des choses. Être habité.

Picasso ? Et oui, elle bouge sa peinture, elle se répand parce qu’elle touche la sensibilité. L’âme c’est l’adéquation de l’universel et du particulier, c’est ce qui permet dans le platonisme d’élever l’humain vers "l’idéal".

Chez les chrétiens, l’âme est ce qui reste quand tout est parti.

Ne te soucie pas trop.

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 L’âme, rien à voir avec Dieu. Paradoxalement, ai-je écrit. Dans l’emportement des mots sûrement. Un supplément de vibrations ai-je dit aussi. Oui. L’âme n’est pas quelque chose qu’on tient dans les mains. Les scientifiques ne croient que ce qu’on peut toucher, tenir et peser. Mesurer. Comme les jouets d’enfant. Sinon rien. Même l’imagination n’existerait pas. Pourtant l’imagination impalpable touche les flancs de la pensée. Comme la brise sur l’avancée des navires…


La nuit m’ennuie. J’aimerais ne jamais dormir. J’ai peur du sommeil, de cette nuit qui répare. Et qui répare quoi ?


Cette mort en petit, tous les jours, à la tombée du jour.


Et l’âme qu’on ne tient pas en laisse. Qu’on ne tient pas du tout. Qu’on ne définit pas. Mais qui est là. Qui respire quand on dort.


Le noyau du vivant.


Schopenhauer, définir l’âme ? Il ne pourrait que fermer les yeux sur ses paupières.


Schopenhauer, pour être méchant, est aussi imbécile que moi devant les yeux morts de mon père.


Définir l’âme…

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Le réel n’a pas plus de réalité que le présent dans le temps

L’infini c’est avoir la force de son orgueil

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Je viens d’entendre Gilbert Johnson, la trompette solo de l’Orchestre de Philadelphie dans le concerto de Gershwin. On ne peut faire plus chaloupé.

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Dans « Rituel », Boulez réinvente le gagaku à l’usage des occidentaux.

J’écoute dans le silence absolu à la nuit bien avancée « Les Couleurs de la Nuit » de François Bayle.

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18 Avril

Ce sont les funérailles du Prince Philip, duc d’Edinbourg. Toute la journée sur les écrans. La reine, toute en noir, digne, admirable. L’air de rien, elle est terriblement voûtée, elle a perdu la moitié de sa taille.

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20 Avril

Christophe Rousset a découvert une cantate de Couperin qui dormait depuis longtemps, Ariane. Chef d’œuvre dit-il, pour l’humanité.

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Ce matin c’était des cris, comme une escadrille de pirates lugubres dans le ciel. En plein boulevard Victor Hugo, le plus cossu de la ville. Les goélands dans un ballet sinistre, ont touché plusieurs fois l’oisillon, piqué d’abord en plein vol. Deux d’entre eux ensuite, sur le bord du trottoir, dépècent la viande encore tremblante.

A Nice on avait prévu les grands moyens. Ouvrir un vaste centre de vaccination au Palais des Exposition où en 65 s’étaient produit des Beatles. C’est dire si c’est vaste. Il est resté désespérément vide durant ce dimanche, faute de candidat. C’est irrationnel, paradoxal. La répulsion devant l’Astrazénéca s’est généralisée, la fatigue d’entendre tant d’information contradictoires. La peur, les thromboses dit-on.

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Ce soir, Ariane et Barbe-Bleue de Dukas. C’est Sophie Koch qui chantait ce rôle si lourd. Dans une mise en scène évidement creusée de noirs et de blancs sur les murs, les vêtements et les oppositions bien naturelles de la symbolique du jour et de la nuit, au texte de Maeterlinck parsemé d’intentions bien souterraines. Ariane a tenté en vain de déciller et de libérer ses sœurs d’esclavage lesquelles retournent à la fin à leur aliénation première. Quelle surprise toujours agréable d’entendre citer textuellement le leitmotiv de la fontaine de la Mélisande de Debussy. Le seul défaut à ce chef d’œuvre de pierreries et de ciselures post Pélléas, (qui explique qu’on ne le joue que rarement) ce serait cet évident manque de ressort dramatique. Bien que le thème de la délivrance par la conquête de la liberté soit d’essence profondément dramatique, le déroulement de l’action se déploie sur un tapis lisse excluant sur toute la durée de l’œuvre toute aspérité et tout clair-obscur psychologique. Et une absence de caractérisation de tous les rôles des prisonnières de Barbe-Bleue. Puis ce lyrisme tendu et interminable semblait lourd pour Sophie Koch plus habituée à Octavian où à des rôles moins risqués et surtout moins tendus que celui d’Ariane.

Germaine Lubin faisait merveille dans le même rôle. Il n’en reste rien dans les archives qui la concernent.

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23 Avril

« FRONT POPULAIRE n° 4 ».

Parenthèse : sillonnant les allées et les présentoirs habituels de la très morale Fédération Nationale d’Achat des Cadres, aucun signe, aucune trace des ouvrages du sociologue canadien Matthieu Bock-Coté. L’Empire Moutarde s’auto censurant comme les magasiniers au gilet jaune et noir, à ne pas confondre avec d’autres, restent d’un mutisme impassible en pianotant sur leur clavier de recherche : pas trace en effet de quatre ouvrage qui se hissent crescendo pourtant sur les espaces des sciences humaines, critiques, et politiques de la France et de l’Occident d’une manière générale : « Les Nouveaux Régimes », essais sur les enjeux démocratiques actuels, « Le Multiculturalisme comme religion politique », « L’Empire du politiquement correct », et enfin, le dernier, encore au plus près des interrogations contemporaines, « La Révolution racialiste ».

L’éditorial de Michel Onfray, plus dense par nécessité que ses ouvrages habituels, après une introduction sur la Raison dans le temps, l’hégélianisme débarrassé de son interprétation marxiste, induit la première constatation, celle de la transition inéluctable : toutes les civilisations passent par une courbe de puissance, d’apogée et une phase plus ou moins longue de déclin, et enfin de dilution et de mort.  La civilisation occidentale, aux regards des historiens futurs, laissera la trace d’un millénaire, ce qui est court, pour laisser probablement place à une civilisation transhumaniste, … « infanticide intra-utérin, négation de toute biologie sexuée, confusion de l’interchangeable des identités, nihilisme de tout fait culturel passé… ». Nous nous trouvons très exactement au temps de jonction de ce tuilage historique : la fin de la civilisation judéo-chrétienne et les premiers vagissements d’une civilisation transhumaniste ». La seconde constatation est la politique de civilisation et de ses valeurs affirmées, celle de toujours quasi millénaire, ré-optée au XX° siècle par le Général de Gaulle, relayé par Malraux. Mai 68 sera à cet égard le premier craquement civilisationnel qui touche, non seulement la sphère parisienne, mais le monde. Le monde où est le moteur, la machine, l’électricité. Le vieux monde de Virgile ne se déplaçait pas, sinon au rythme des chevaux, à celui de la nature millénaire. Ce monde-là est mort, ce qui correspond à la mort des campagnes. On peut vivre aujourd’hui de jour et de nuit, franchir les distances, se déplacer à la vitesse du son, conquérir la Lune mais, dit Malraux dans « Les chêne qu’on abat », si c’est pour s’y suicider ?  On n’arrête donc pas la chute d’une civilisation, mais on peut en ralentir l’effondrement. Et Alain Peyrefitte, dans un propos rapporté dans C’était de Gaulle qui hystérisa les déconstructeurs de l’Occident : « la France définie comme peuple de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne », voilà qui ne pouvait être entendu sans hurlements. Les valeurs qui « ralentissent l’effondrement » estiment que la France n’est pas un hôtel, mais un pays millénaire qui pourrait cesser de l’être un jour sous la poussée du dollar ou celle du goulag soviétique. Ceux qui défendent le ralentissement de la mort qui arrive ne voulaient ni l’un ni l’autre. Pas plus que de la nouvelle menace contemporaine, submergeant, celle de la charia. Que disait déjà Malraux de l’Islam (en Juin 1956) :

« La nature d’une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion… c’est le grand phénomène de notre époque que la violence de la poussée islamique. Sous-estimée par la plupart de nos contemporains, cette montée de l’Islam est analogiquement comparable aux début du communisme du temps de Lénine. A l’origine de la révolution marxiste on croyait pouvoir endiguer le courant par des solutions partielles. Mais ni le christianisme, ni les organisations patronales ou ouvrières n’ont trouvé la réponse. De même aujourd’hui, le monde occidental ne semble pas préparé à affronter le problème de l’Islam… Les données actuelles portent à croire que des formes variées de dictatures musulmanes vont s’établir successivement à travers le monde arabe. Quand je dis « musulmanes », je pense moins aux structures religieuses qu’aux structures temporelles découlant de la doctrine de Mahomet. Ils préfèreront conserver leur misère à l’intérieur d’une communauté qui est la leur. Nous avons d’eux une conception trop occidentale. Aux bienfaits que nous prétendons pouvoir leur apporter, ils préfèreront l’avenir de leur race. L’Afrique noire ne restera pas longtemps insensible à ce processus. » C’est écrit en 1956.

Malraux aurait pu ajouter que cette doctrine d’un expansionnisme aujourd’hui décomplexé, fait dangereusement prendre le risque d’un conflit frontal et mortel de civilisation.

Mais tous ceux qui se refusent de penser et qui préfèrent l’anathème instruiront des procès médiatiques en sorcellerie, car penser l’être et la nature, puis l’avenir d’une civilisation, qui plus est, la civilisation islamique, c’est aujourd’hui, se ranger du côté du mal !

La France est folle d’amour pour ce qui va l’égorger (Toynbee). Toute parole contre l’Islam est un horrible sacrilège. Et de remettre en avant le malheureux travailleur maghrébin venu relever l’économie française, en même temps que réveiller la vocation de la France, pays d’accueil.

Plus loin l’analyse reste pertinente si les conclusions restent douteuses.

« L’immigration s’avère en effet un défi de civilisation qui se pose à qui entend penser plus vastement la politique qu’en termes d’élection ou de réélection, d’une personne, d’une faction, d’un parti ou d’intérêts. Toutes les politiques l’ont instrumentalisée afin de faire avance un projet de société qui était aussi de civilisation, celui de la cause européiste qui s’avère le premier temps d’une cause mondialiste qui vise le règne sans partage du capitalisme : l’arrivée massive de population attirées en France et traitées comme du bétail dans notre pays, ce qui est indigne des Lumières, mais est bien digne du projet maastrichtien. »

Michel Onfray ne dit pas tout dans l’éditorial. Soit la France issue de Maastricht n’a plus d’indépendance et il a raison de penser l’immigration comme victime du projet criminogène du mondialisme, soit il est pris d’omission en ne tenant pas compte de deux facteurs qui font que l’Europe de 2021, soumise au chantage de l’ancien empire ottoman, voit d’abord un phénomène de masse sans précédent affluer continument sur l’Europe en général, y encourageant en France le regroupement familial intégral, et ensuite, et surtout par l’appel d’air que représentent les régimes de protections sociales les plus déments que la France dispense comme on sème aux quatre vent. Et d’ailleurs, pourquoi l’immigration refuserait-elle des mânes dont on estime qu’elles leur reviennent de droit. A fond perdu pour nos systèmes de cotisants, mais avec la conscience universaliste d’une générosité conforme à l’idéologie suicidaire des droits de l’Homme qu’elle a enfanté au risque de les voir se retourner contre elle-même. L’Athènes antique n’a-t-elle pas déclinée, puis n’est-elle pas morte dès son avènement à l’universel ? La France a donc pris le risque de mourir plutôt que de renoncer à sa folle vocation universaliste. Sans plus en avoir du tout les moyens. L’orgueil toujours. Folle d’amour pour ce qui va l’égorger…

Comme Lénine avec la corde qu’il voulait nous vendre pour nous pendre.

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A Bernard :

 

J’ai aussi oublié de prendre de tes nouvelles. Cécilia a repris ce matin. La cicatrice ne se voit même plus. Ça tient avec de la colle…

En fait j’ai cru que tu avais eu une banale entorse, de celle dont on se remet le lendemain. Mais il y a effectivement des entorses très douloureuses qui nécessitent des soins. J’ai eu en 83 le seul accident de ma vie (choc frontal) et ma cheville droite (pédale de frein au moment de l’impact) a dû se retourner méchamment. Je n’ai pu poser le pied durant un mois, après plâtrage. Fallait-il plâtrer ?

Le chirurgien m’a dit "pas de chance, vous auriez dû plutôt vous cassez la cheville, c’eut été mieux. Maintenant vous aurez un baromètre pour la vie". Distension complète des ligaments.

En effet, quand il y a des changements de pressions atmosphériques, ma cheville est très sensible. A Valparaiso j’ai boité une journée entière, pourtant il a toujours fait beau. Francis pensait que je me donnais soudainement un genre. Un genre pour les chiliennes. Ça prévient des changements infimes de pression, ou de la pluie qui arrive. Parfois trois jours avant. C’est quelque chose qui ne m’a jamais trahi. Donc, prends ton mal en patience, j’espère que ce n’est pas aussi embêtant que ça.

Je lis pas mal aussi. J’ai en main le n° 4 de Front Populaire de Onfray. Très complet. Très intéressant. Je lis aussi "l’Empire du politiquement correct" de Bock-Côté, sociologue canadien. Rien que je ne sache déjà. Mais c’est dit avec des mots à eux. Ça solidarise.

Bien sûr la Chine sera la puissance du XXI° siècle. Hélas. Entre temps, l’Islam sera majoritaire dans notre pays. Sur le plan démographique et religieux. Et dominateurs. On ne plaisante pas dans leur pays d’origine. Donc nous disparaitrons, ou serons quelque chose comme des mohicans égarés.

Ce qui m’attriste c’est que depuis plus de 40 ans on a laissé faire. Je le répète : le pire de nos rois n’aurait jamais admis ce crime "contre civilisation".


La République issue de la Révolution française a réussi le tour de force d’anéantir progressivement un christianisme abhorré (par ressentiment, par revanche) pour tendre un tapis volant à l’Islam en moins de quarante ans.

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Midi.

Rambouillet, ville tranquille. Une femme, agent des forces de police d’une cinquantaine d’année égorgée dans le vestibule du commissariat. Attentat à l’arme blanche. Les ministres de l’Intérieur et le Premier Ministre dont la célérité est chaque fois plus aiguisée ont condamné. Fermement dit-on. Il y aura des marches blanches, des décorations posthumes, des bougies scintilleront dans le ciel, des gerbes au pied du lieu de déploration. Cela devrait suffire.

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26 Avril

Christa Ludwig a disparu. Quatre-vingt-treize ans. Une des dernières de sa génération. C’est tout l’esprit de la Vienne et du Salzbourg de l’âge d’or qui s’en va.

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27 Avril

à  Bernard :

 

Il n’est pas besoin d’aller chercher bien loin les germes d’une guerre, pour nous, Français de l’hexagone. La Chine a bien à faire déjà dans sa compétition à mort avec les Etats-Unis. Ces germes ont poussé depuis quarante ans, dans l’aveuglement de toutes nos billevisées humanistes et universalistes. En un mot, par le retour en gloire des "droits de l’homme » (auxquels je ne veux plus mettre de majuscule) sanglés par le corollaire anti-racisme, non moins systémique depuis 1983 qui montre son visage final aujourd’hui. Rien n’échappe à la déconstruction. Je terminais mon courrier d’hier en disant que cet aveuglement concernant des millions de musulmans sur le sol national étaient incompatibles avec le déroulement normal d’une société normale. Je terminais en disant aussi qu’aucun roi de l’Ancien régime, même le moins lucide, n’aurait laissé s’établir une telle monstruosité. On voit aujourd’hui, dans ce qu’on appelle "les violences urbaines" qu’il ne s’agit plus même d’un vague phénomène de banlieue, mais bel et bien d’une guérilla systémique (comme on dit maintenant), de foyers de guerres civiles dans toutes les villes de France. Toutes. On parle aujourd’hui d’assimilation, mais c’est trop tard. La loi du nombre fera la loi future. Aucun de nos dirigeant n’a voulu voir l’ampleur du phénomène suivant la pente de l’idéologie dominante, à savoir la digestion naturelle de population au nom de notre générosité anti raciste, anti frilosité, anti nationale, population qu’on a gentiment accepté de regrouper-donc déplacement définitif de familles entières- sans compter les diverses épouses que se doit d’avoir un bon musulman) qui n’a plus rien à voir avec le droit d’asile (pour ceux qui fuient les guerres et sont persécutés lesquels s’ajoutent aux migrants nord-africains qui ne sont pas en guerre, mais eux aussi musulmans), ni avec la coopération économique (les fameux étrangers qui contribuent à notre économie). Il y a belle lurette qu’il n’y a plus de travail (10% de la population étrangère a un travail : sur 15 millions !). Les musulmans de France sont là aujourd’hui pour les largesses que prodigue ce pays qui ne veut pas encore voir les réalités. L’école est déjà un baromètre significatif. Bien que quelques intellectuels soulèvent doucement des questions que d’anciens idéologues feignent de ne pas vouloir se poser. Les faits sont têtus disait Lénine. Deux modes de vie, deux civilisation face à face. La démographie est un facteur qui décidera bientôt du poids dans la balance. Boumediene disait déjà en 65 "ce sont les ventres de nos femmes qui donneront la victoire". Notre mode de vie est déjà compromis. Il ne peut encore se maintenir que dans des espaces qui se creuseront de plus en plus. On a oublié que l’Islam n’est pas le bouddhisme, n’est pas une religion comme les autres. C’est une théocratie. D’où ce refus des jeunes générations qui disent préférer la charia que toutes nos lois et toutes nos laïcités. Au grand dam de la LICRA qui se mange le chapeau. Ils veulent vivre comme on vit en terre d’Islam. Un point, c’est tout. Élevés dans la haine entretenue par ceux qui montrent du doigt le colonialisme… Ce sont paradoxalement les jeunes générations qui refusent la France, pas les vieux qui ont connu le FIS dans les années 90. Des lois contre le séparatisme ? Le Président a quand même conscience que le phénomène est risqué. Il va donc légiférer. Mais que peuvent les lois (qui existent déjà) contre la force et le sentiment d’appartenance à une instance spirituelle supérieure ? La partie est perdue. Les lois, la laïcité sont la ligne Maginot de futurs conflits. Ce que je vois c’est que la plus belle mosquée d’Europe se trouvera en France. Et même si les écolos n’obtiennent pas pour sa construction les subventions électoralistes, Erdogan investira quand même.

C’est mon sentiment, et ce n’est pas être supérieurement lucide que de le sentir ainsi. Le bon sens et les yeux qui restent ouverts voient bien la suite qui ne manquera pas d’arriver.

Ce constat est triste mais il fallait que je m’explique. Les Chinois ont bien le temps d’acheter et d’investir le pays. Chaque chose en son temps. Les Chinois qui sont pourtant presque 2 milliards ne tolèrent pourtant pas que les Ouïghours puissent se développer plus que ça. Ils prennent les choses à la racine. Et n’ont pas notre "générosité".

Concernant le site, je n’ai rien à ajouter à ce qu’il est devenu. Plus beau et mieux réparti. La livraison d’Avril sera à l’heure. J’espère que ma poésie n’est pas sur une mauvaise pente. Je la sens plus fermée que jamais. Déjà qu’on me demandait ce "qu’elle voulait bien dire"…

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28 Avril


Je ne me suis pas assez attardé à la disparition de Christa Ludwig. On ne mesure pas la perte de cette artiste d’exception. L’habitude peut-être de l’entendre, de l’avoir entendu depuis toujours. C’est le dernier reflet de ce temps lyrique où chanter Hugo Wolf ou le Voyage d’Hiver ne se faisait que dans l’absolue perfection. Que restera-t-il au-delà de sa présence à Salzbourg, à Vienne pour toujours ? Un rayonnement sur tout le répertoire qu’elle s’était attribuée. Elle fut une merveilleuse Brangäne en 62 et 66 à Bayreuth, une Maréchale bien plus convaincante que la Schwarzkopf qui faisait de son personnage une duchesse, oubliant que la maréchale n’est qu’une roturière devenue épouse de petite noblesse. Nuance que la Schwarzkopf faisait basculer dans les fastes minaudant de Schönbrunn si ce n’est de Versailles. Contresens disproportionné que Rysanek ou Ludwig ont su corriger. Elle avait été parmi les astres invités du temps des concerts nocturnes au Musée Chagall dans les premières années où Pierre Provoyeur disposait de budgets qui paraissaient sans fonds. J’avais l’honneur de rédiger les programmes de concert. Un temps où se succédaient les nuits, Victoria de Los Angeles, Arthur Grumiaux, le quatuor Amadeus, le Beaux-Art Trio, Stockhausen qui mit en transe les gardiens du Musée croyant qu’un pan de mur s’était écroulé, que les grilles du jardin avaient amplifié leur grincement. Mais on pouvait aussi surprendre les ombres de Olivier Messiaen et Yvonne Loriod, murmurant une suggestion acoustique pour leurs pianos, passant comme des ombres dans la bibliothèque de la Conservation ; Georges Duby préparer une conférence sous les auspices de chants d’oiseaux venus des oliviers du jardin. Christa Ludwig avait juste la cinquantaine. Ce matin on entend la Rapsodie pour alto de Brahms. Sculptée comme le ferait une déesse antique, d’une voix de bronze.

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J’achève l’essai de Matthieu Bock-Côté sur la critique des idéologies diversitaires. Au-delà du passage au tamis de tous les rouages d’une société qui voit enfler le totalitarisme minoritaire, le dernier chapitre « le sentiment de la fin d’un monde », est soudainement lyrique. Il cite aussi le texte crépusculaire de François Taillandier (dont la note 21) : « Car en fin de compte, il y a bien trois types de temps, celui d’un homme, celui de la cité, et celui de Dieu, comme trois cordes d’un instrument qui peuvent s’harmoniser ou dissoner… La cité qui meurt n’emporte pas tout avec sa disparition. Sa part la plus précieuse peut être conservée par des hommes renonçant au prestige social, pour conserver des trésors précieux… suit la note 21 : Dans son discours au Collège des Bernardins, Benoit XVI avait médité sur les conditions de la Renaissance de la civilisation occidentale alors qu’elle était plongée dans les ténèbres les plus obscures. Les fruits historiques du monachisme au cours de la grande fracture culturelle provoquée par la migration des peuples et par la formation de nouveaux ordres étatiques, les monastères furent des espaces où survécurent les trésors des savoirs de l’antique culture… »

Qu’espérer à l’aube d’un grand tournant civilisationnel ? Consigner sur ordinateurs géants, en un lieu inviolable, les conquêtes de deux mille années de cet effort continu qu’on a nommé civilisation de l’Occident judéo-chrétien ?

Attendre la fin des temps, que se développent les nouveaux moments de l’histoire avant de voir renaître ces valeurs disparues. On sait pourtant depuis si longtemps « qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. »

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J’ouvrais les Feuillets d’Hypnos au hasard des pages. Je trouve ça légèrement boursoufflé aujourd’hui.

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POUVOIR DIALECTIQUE

Les chaînes d’information continue se livrent à d’incessants débats sur les thèmes chaque jour renouvelés ou au contraire recuits par l’accablement de faits répétés (la pandémie, les violences urbaines s’amplifiant), et toujours dans les conditions de la réaction à chaud. Le vocabulaire n’est jamais innocent. Lénine disait que ceux qui s’emparent de l’usage des concepts, possèdent et imposent les clés de la dialectique. Dans le vrombissement des mots et des expressions qui reviennent le plus fréquemment dans le débat public, je note à ce jour, le pouvoir vertical, résilience, le récit du passé, clivage. Des mots de fracture. Et parmi les plus actuels de ces mots, ceux qui fusent plus vite que la pensée même, comme aussi engagé tête baissée qu’une frappe de bélier percussif, au sommet de l’usage quotidien : islamophobie. Le concept s’installe sur les campus universitaires, dans le débat public, surligné, et en caractères capital comme le symptôme, le nerf de la guerre, le trou de souris (il s’agirait plutôt ici de l’émergence du taureau hors du toril) dans lequel s’engouffrer dans l’offensive. Ce dernier concept lorsqu’il est proféré, est significatif de son pouvoir déstabilisateur, pour le moins, s’il frappe ceux qui en sont accusés : en arrière-plan ou en arrière sens, il y a la propension à devoir être soigné, à jeter d’emblée l’opprobre sur le malade. Celui qui relève d’une telle pathologie, frappé par le concept en quelque sorte, serait donc peut-être dans l’absolue nécessité de se voir corrigé par un enfermement. La plupart du temps, évitant la clinique, l’enferment hors de la sphère médiatique suffira. Le hors-jeu, le hors champs du forum démocratique.  Plus de dialogue possible avec la pathologie dont sont frappés les adversaires politiques.  Sont relégués dans le camp du mal, par ce prédicat de base tous ceux frappés par le bélier dialectique. Plus loin, et tout simplement plus fort encore, l’accusation seule peut justifier le hors-jeu et s’exempter même de démonstration rationnelle. Sont réactionnaires, fascistes, jetés aux arrières soutes de la pensée, expulsés dans l’espace du mal, par le simple pouvoir de l’invective, ceux qui en sont accusés par le procureur vigilant.

Jean-Lambert Tallien, le « héros » de Thermidor, en une ample phrase d’accusation dans un dossier vide, fit basculer par la seule insulte l’Assemblée contre l’idole Robespierre. Aujourd’hui, l’héritière machine léniniste n’a pas pris une ride.

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à  Bernard :


Est-ce le monde qui penche vers nous fortement ou lui portons nous une importance en questionnements et en réponses d’une urgence qui n’a jamais paru si importante ?

Les deux certainement.

Le monde pénètre au travers du moindre kiosque à journaux, aux chaînes d’info, jusqu’aux physionomies et aux couleurs que prennent nos rues, nos quartiers d’habitation, avec des débats nouveaux qui se présentent, pour lesquels il serait inconscient de na pas avoir une réflexion. Ne serait-ce que parce qu’il devient impossible de ne pas voir, entendre et éventuellement se situer. Ou comme disait Lennon à la suite du communisme de l’époque : si tu ne t’intéresses pas à elle, la politique s’intéresse à toi.

Et donc je réponds à ton whatshap.

Qui a parlé d’uniformisation de la planète, sinon le mondialisme libre échangiste où l’homme n’est plus qu’un consommateur sans racines, sans passé (probablement sans avenir) et dont le seul besoin est de consommer et de réactiver comme Sysiphe, la manette à désir ? C’est le projet des grands de ce monde.

Tu dis (et toi tu le dis timidement) que la diversité est souhaitable ("des pays vivent avec des populations disparates, sinon ce serait pitoyable…"). Mais n’avons-nous pas déjà une mosaïque infinie de couleurs de peau, d’ethnies dans la plus grande liberté qui soit ? D’ailleurs pourquoi viennent-ils s’ils n’étaient sûr de trouver meilleure situation ? Le problème ne venant pas de ceux qui les accueillent, mais plutôt (et c’est ce qui ressort de toutes les analyses de quelques façons qu’on lise le récit du monde environnant), ce sont les nouveaux arrivant qui ne veulent pas d’un modèle libre échangiste, mais se réclamant de valeurs qui n’ont que faire de la consommation comme finalité. Et sur les centaines de milliers qui arrivent chaque année, combien viennent partager nos valeurs et nos modes de vie ? C’est là que le récit du roi du Maroc est admirable de vision (1992 déjà). Ces migrants viennent non pas adopter les mœurs du pays d’accueil, mais comptent vivre ici comme dans le pays d’origine, avec les avantages et les prises en charges sociales en plus. Et Hassan ajoute, "les migrations des années 20/30, et même celles des siècles passées se sont faites d’Est en Ouest et sont du même gabarit civilisationnel et religieux. Ce qui a permis d’uniformiser dans le même moule des populations allant dans le même sens. L’islam est un autre monde". L’islam est expansionniste par essence. Là est la faille de nos gouvernants depuis 40 ans. Recevoir 3 à 400 000 personnes inassimilables chaque année (ne serait-ce que 50% d’entre eux), crèe ce qui va se produire : une mosaïque de territoires de types balkaniques des années 90. Et ce sont déjà les musulmans de l’époque qui revendiquaient une plus large extension de leur espace de vie. Nous l’avons donc oublié au point de prendre le risque de répéter le schéma sur notre propre territoire ?!!

Tu parles ensuite des jeunes qui ont un problème "socio-économique". Pourquoi en faire venir encore ? On n’arrive déjà pas à mettre sur le marché les autochtones et les bi-nationaux, qu’on en fait venir d’autres. Tu as raison la marmite est sous pression.

Parenthèse : la pauvreté des jeunes des générations du passé n’en a pas fait pour autant des chefs de gang à quinze ans…

Dernier point :"les musulmans finiront bien par comprendre que dieu n’existe pas" ! Alors là, on n’est pas rendu. Où à dans quelques 2, 3 siècles… Ta réaction anthropocentrique ne m’a pas étonné. Tu raisonnes avec moi comme tu crois "qu’ils" finiront par penser. C’est le raisonnement que tient la gauche : si le réel résiste, il se rendra immanquablement à notre perspective de progrès.

Pardon encore pour ce second déballage. Je crois que nous aurons un dessin réciproque plus précis sur les thèmes que nous venons d’aborder.

J’oubliais : défendre une France qui a mis des centaines d’années à se stabiliser, c’est une manière aussi de se différencier des autres modèles. Nous en avons un qui peut disparaître pour une improbable bouillie "d’homme nouveau" sous prétexte qu’il vient des quatre horizons.

C’est l’enjeu qui reste à défendre.

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30 Avril


Bernard :


… sûr que les musulmans n’ont pas la notion de pays en priorité, famille-tribu-oumma, les frontières ne sont pas si importantes

Je pars du principe qu’il faut vivre ensemble, et que ce ne sera pas facile

Je ne suis pas anthropocentriste, mais occidentalo-centriste, étant d’une culture donnée, je me demande comment il se fait que les autres ne comprennent pas que c’est la meilleure ! Naïveté, frôlant l’imbécilité.

J’ai un double espoir : à court terme que notre civilisation tienne jusqu’à mon incinération, à plus long terme qu’on arrive à un consensus, entre toutes les civilisations. Pur espoir parce que l’avenir est opaque ; incertain pour le moins.

Des signes aussi, dans le bon sens, l’arrivée d’une classe moyenne en Chine, en Indes aussi, et peut-être en Iran, mais c’est moins sûr. La classe moyenne c’est notre cheval de Troie dans ces civilisations diverses, dans l’immigration aussi.


à  Bernard :


C’est souvent John Lennon qui parle en toi. Je suis beaucoup moins optimiste.

Ici on a un temps de merde. On a l’impression qu’on a zappé le mois d’avril.

Une sorte de vol, un arrachage d’éphéméride.

Pluies, nuages mous, nuages en crottin.

Ce qui ne t’empêchera pas de recevoir la poésie et le reste.

Dans le carnet tu vas avoir à relire des courriers douloureux.

Les paroles s’envolent, les nuages passent, les écrits s’inscrivent.

L’herbe doit être bien verte sur tes pelouses, et comme dit la poésie Renaissante bientôt Ce mois de Mai, ce Mois de Mai, ma verte cotte (Janequin)

……………………………………………………………………………………………………………………….Paraphrase des « Maîtres Chanteurs » de Liszt à Carnegie Hall en 74. Concert extraordinaire de Jorge Bolet. Peut-être la partition la plus difficile. Tempo très lent. Encore plus dur de garder la ligne mélodique. Ovation du public.

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Il pleut comme si on l’avait mérité. Sur un des carreaux de fenêtre de la baie qui donne sur le jardin, un escargot d’environ un centimètre se trouve ventousé là on ne sait comment après seulement une heure de pluie. Sans laisser de trace de bave pour grimper si haut. Il y aurait de quoi questionner Pline l’Ancien.


Il y avait le monde des abeilles et des fourmis pour Maeterlinck. Il y a le mystère des escargots, de leur apparition soudaine. La carapace, leur maison ronde, ressemble à un poisson fossile du fond des mers. Comme beaucoup de ces formes fossiles venues de la mer.

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1 Mai


Il pleut donc toujours. C’est tout naturellement que s’inscrivent dans la tristesse de l’après-midi les trois « Chansons de Bilitis » chantée par Christa Ludwig, à Vienne en 84. Je n’ai pas la certitude qu’elle les ait chantées ailleurs, et encore moins enregistrées. Erik Werba est un magnifique accompagnateur.

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3 mai


Depuis les anciennes impuissances de la pensée à résoudre les incohérences des conflits sociaux suivant les schémas classiques de l’économie marxiste, la déconstruction Foucaldo-Deleuzienne a creusé plus en profondeur les inégalités sociales, abandonnant le seul vecteur économique dans la dialectique de la subversion, pour inclure des thématiques relevant de revendications dans le contexte de nouveaux enjeux sociétaux à plusieurs vitesses, à plusieurs degrés d’évolution, (rhizomes et mille plateaux), portés par des minorités aboutissant à des inversions de valeurs dans la négation, le chavirement et une incurie théorique des simples assises du réel.


Des nouvelles de Dan Belmonte ce soir. Elle est souvent en conflit avec son frère. Violence physique, manipulation. C’est incroyable ces horreurs entre frère et sœur. Histoire d’héritage, de maison qui ne se vend pas, d’occupation des lieux sans scrupule. J’essaie de comprendre son désarroi. Elle semble terriblement seule.

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4 mai


Ce matin je marche longuement le long du rivage. Il fait presque chaud. J’aperçois Katy Coulon qui avance lentement sur les galets. Je l’observe de loin. Elle se blottit presque contre les rochers de la plage de Lenval, à l’écart, comme sur un coin éloigné de lune. Je reste quelques minutes à l’observer et je me dis qu’elle vient de passer son anniversaire. Tout cela se déroule sur des espaces qui sont les mêmes qu’il y a sept ans, mais que sept ans ont passé.


… sept kilomètre plus loin, au cœur du jardin Albert I, les grandes tentes de vaccination sont quasiment désertées alors qu’il y a un mois il fallait faire une queue interminable pour prendre rendez-vous. Je m’engouffre à l’intérieur. On me fait remplir quelques documents. L’infirmière, fragile et brune aux yeux de charbon derrière le masque, me pique avec une infinie douceur. Il fait beau, il est midi.


Je n’aurai pas de fièvre, ni aucun trouble sinon une légère douleur près de l’épaule avant d’aller dormir.

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5 mai


A Bernard :


Je vois qui tu as lu avec attention ce mois d’avril. J’en suis ravi et dans un sens tu me rassures. J’avais des doutes et cela est très fréquent. Est-ce dû à ces vingt années d’écriture continue avec laquelle je m’autorise une confiance qui n’est fondée sur rien. Parce que ma lecture intérieure, mon univers personnel n’est pas forcément perçu de façon conforme par autrui. Bien qu’il y ait des entrées de pistes possibles et des degrés multiples.

Toi, tu es maintenant accoutumé à mon écriture, tu es un peu mon ombre double. Et ce n’est pas rien.

Donc Avril a été naturellement le mois de Stravinski. (Voir le récit du carnet : 50 ans après…). J’ai senti qu’il fallait marquer l’évènement. Le "Requiem Canticles" est sa dernière œuvre et sonne comme un adieu à la musique. On a un point commun lui et moi. Il a écrit en 60 un hommage au 500 ieme anniversaire de la naissance de Gesualdo et moi, le 500 ieme de l’année de sa mort dans le Livre des Répons.

Je suis allé voir le lien Sternberg. C’est vrai que dans l’extrait il s’agit d’éclairs, et c’est bien pensé. Heureusement qu’il y a de la place pour la poésie de tous les poètes !

Mai a bien commencé dans poésie.

Et puis la chaleur arrive.

Je t’ai envoyé un whatshap rapide hier concernant ma vaccination. Ça s’est fait comme l’éclair. J’étais à cent lieues de me faire vacciner en allant me balader à Nice ; puis, arrivé au Albert I, j’ai vu qu’il n’y avait foule aux portes des chapiteaux de vaccination. J’ai demandé à un quidam s’il fallait s’inscrire. On m’a dit que si j’avais mes cartes vitale et d’identité c’était fait dans les 5 minutes ! Voilà je n’ai pas hésité longtemps. Certains attendent leur rdv deux trois semaines et font la queue. C’est un Pfizer, ce qui est réconfortant bien qu’on se fie uniquement à ce que disent les médias… Prochain rappel dans 6 semaines. Je n’ai pas eu de fièvre ni rien de ce que semble subir certains. Seulement une forte courbature aujourd’hui à l’endroit de l’aiguille. Voilà, je ne vais pas mourir de virus. L’infirmière était radieuse, brune avec des fièvres dans les yeux. Des éclairs.

Une plaisanterie qui circule venant d’Italie : Une souris demande à une autre si elle va se faire vacciner. Réponse de l’autre : penses-tu, ils n’ont pas fini l’expérimentation chez les humains.

J’ai une période musique de la Renaissance en ce moment. Je fais des cures une fois tous les 5, 7 ans. La grande polyphonie chorale. Il fut un temps où Antoine Brumel (élève de Josquin) n’était qu’un nom et une place dans la musicologie. On peut entendre sa musique aujourd’hui par les meilleurs ensembles français ou anglais. Tu peux entendre sa "Messe pour un tremblement de terre" sur youtube. Ça tremble sous les pieds.

p.s. Le récit sur la Suisse est très court, mais en effet pourquoi ne pas le mettre dans Voyages.

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La Femme et le Pantin de Pierre Loüys est une œuvre mésestimée. On y voit pourtant se déployer les plus cruelles interrogations issues du doute. D’une certaine manière, ce doute atroce de ne pas savoir est déjà une incertitude que constate Descartes sur le plan de la connaissance, pour conclure qu’on ne doit croire que ce que l’on voit. Mais Mathieu avance comme un aveugle. On pourrait esquisser un rapprochement avec le personnage de Golaud de Pélléas et Mélisande : « Je vais mourir ici comme un aveugle… il nous faut enfin la vérité, entends-tu ? ». De même, « Cet obscur objet du désir » porte, dans le titre même du film de Bunuel, les marécages de l’âme, l’amoncellement des faits et gestes qui alimentent le doute, qui deviennent hallucinant et hallucination dans leur simple nudité qu’ils engendrent le processus de la jalousie et la paranoïa, la torture par l’impossibilité de savoir.  De ne jamais faire son deuil d’une réalité fut-elle cruelle : mieux vaut une certitude accablante qu’une incertitude balançant dans l’antinomie d’un savoir et de son contraire. Dans le même registre, mais dans une tonalité qui vire au tragi-comique, Bunuel, dans « El », montre la jalousie à l’état brut. Jacques Lacan utilisa El dans un de ses cours à l’hôpital Sainte-Anne, pour illustrer l’étude d’un cas de paranoïa à partir des signes décrits par Buñuel : l’hypertrophie de l’orgueil, l’obsession de la justice, la jalousie, jusqu’à l’image du scarabée zigzagant sur la route. ……………………………………………………………………………………………………………………….

8 mai


Georges Aperghis est aussi barbare que Xenakis.

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9 Mai


Une colombe s’est posé sur un petit muret du jardin, sans aucun mouvement durant une partie de ce dimanche après-midi. Elle n’a fait qu’une rotation progressive du côté des quatre points cardinaux. Sans quitter ce socle de fixation sur le muret. J’ai cru à une agonie. Puis elle a disparu à mon premier moment d’inattention. Peut-être une colombe fatiguée, venue de loin, une messagère.

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10 mai


A Monique Ariello :


Hé bien bravo ! mais ce n’est pas pour m’étonner ; il n’y a pas toujours que des injustices ! Je viens de voir une gravure des Leçons de ténèbres. C’est tout de même intimidant de côtoyer Les Lamentations de Jérémie ; c’est un bien grand honneur pour mon Livre des Répons d’être présent à Kiev, même avec seulement quelques extraits. Je souhaite que cette biennale vous rende toutes les satisfactions que vous êtes en droit d’attendre.

Quant au Prix Luxembourg, c’est parti il y a maintenant plus d’un mois. Je vais faire la seconde session (qui clôture fin Juin). Sait-on jamais. Tous les résultats seront connus en décembre.

Votre monographie est d’autant plus précieuse qu’elle retrace toutes les étapes de votre parcours.

On ne perd pas l’idée de passer vous rendre visite une après-midi. Probablement en Août.

Je suis vacciné depuis une semaine, sans rendez-vous. Tout a été fait à l’improviste un samedi, et en cinq minutes, zou ! Cécilia par contre est farouchement contre. Ce sera difficile pour les prochains passages de la frontière.

Le printemps ici aussi est un peu capricieux, un jour oui, un jour non. De belles pluies de saison. On ira droit vers de grosses chaleurs d’un seul coup. Comme souvent.

Je vous remercie donc pour cette confiance artistique et vous souhaite les meilleures retombées pour vos travaux sélectionnés.

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Puisqu’on est à ce jour anniversaire que la gauche a contribué depuis longtemps à faire une date pierre blanche, au même titre qu’un 11 novembre ou un 9 Mai (date retenue comme fête de l’Europe que personne d’ailleurs n’a ni célébrée ni commémorée), 10 Mai donc, jour de l’élection de François Mitterrand, il y a quarante ans. Ma mémoire se souvient de la liesse populaire, du moins de cette moitié de France qui exprimait dans la rue le trop plein d’espérance qui avait couvé durant plus de vingt années avant cet avènement. Les lendemains qui arrivaient pourraient se résumer à un seul verbe, une seule formule qui engloberaient tout ce pourquoi la victoire avait un goût de champagne : enfin libérés, émancipés ! Le reste me fait penser à ce film de Dino Risi, « Les Monstres » dont le premier sketch est l’histoire d’un jeune enfant dont le père enseigne l’émancipation en passant outre l’éducation habituelle. Lui apprenant à mentir, à se faire passer pour un handicapé pour éviter les queues à l’entrée des Luna Park, à voler pour la bonne cause les vieillards. L’essentiel étant d’aller avec filouterie droit au but. Apitoyant les autres. Sans scrupule et sans états d’âme. Le sketch s’achève sur une Une de journal où l’on peut lire sur toute la largeur, « Il tue son père après lui avoir tout volé ».

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WE HAVE TO DECONSTRUCT


François Hollande avait dit, dans un condensé extraordinaire, au lendemain de l’attentat de Nice ou d’un autre : « Nous ne saurons tolérer que des Français tuent des Français parce que Français ». J’en avais ri, tant cela pourrait relever d’un comique si ce n’était le contexte tragique. Il est évident que c’est une manière d’annoncer ce qui pourrait bien ressembler à un germe de guerre civile. C’était il y a presque six ans. Phrase foudroyante d’une juste appréciation qui n’eut aucun lendemain, ni sous sa présidence, ni sous celle que nous vivons aujourd’hui.

Depuis, des généraux ont alerté dans des termes certes alarmant mais avec la plus grande lucidité une situation qui depuis 2015 a empiré. La réaction de nos gouvernants a été de ne pas considérer le contenu de la lettre ouverte, mais de condamner ce qu’ils appellent une tentative de putsch, un manquement au devoir de réserve.

La seconde lettre, que je tiens à consigner telle quelle, signée de militaires d’active après que l’ensemble des membres du gouvernement, dans leurs déclarations, et un entêtant renoncement à voir le réel grandir dans le pays, dans le complet déni de celui-ci, ne considère la mise en garde morale du danger actuel dans le premier courrier, que comme un appel à l’insurrection. Je lis :   

Nous sommes de ce que les journaux ont nommé « la génération du feu ». Hommes et femmes, militaires en activité, de toutes les armées et de tous les grades, de toutes les sensibilités, nous aimons notre pays. Ce sont nos seuls titres de gloire. Et si nous ne pouvons pas, réglementairement, nous exprimer à visage découvert, il nous est tout aussi impossible de nous taire.

Afghanistan, Mali, Centrafrique ou ailleurs, un certain nombre d’entre nous ont connu le feu ennemi. Certains y ont laissé des camarades. Ils ont offert leur peau pour détruire l’islamisme auquel vous faites des concessions sur notre sol.

Presque tous, nous avons connu l’opération Sentinelle. Nous y avons vu de nos yeux les banlieues abandonnées, les accommodements avec la délinquance. Nous avons subi les tentatives d’instrumentalisation de plusieurs communautés religieuses, pour qui la France ne signifie rien -rien qu’un objet de sarcasmes, de mépris voire de haine.

Nous avons défilé le 14 juillet. Et cette foule bienveillante et diverse, qui nous acclamait parce que nous en sommes l’émanation, on nous a demandé de nous en méfier pendant des mois, en nous interdisant de circuler en uniforme, en faisant de nous des victimes en puissance, sur un sol que nous sommes pourtant capables de défendre.

Oui, nos aînés ont raison sur le fond de leur texte, dans sa totalité. Nous voyons la violence dans nos villes et villages. Nous voyons le communautarisme s’installer dans l’espace public, dans le débat public. Nous voyons la haine de la France et de son histoire devenir la norme.

Ce n’est peut-être pas à des militaires de dire cela, arguerez-vous. Bien au contraire : parce que nous sommes apolitiques dans nos appréciations de situation, c’est un constat professionnel que nous livrons. Car cette déchéance, nous l’avons vue dans bien des pays en crise. Elle précède l’effondrement. Elle annonce le chaos et la violence, et contrairement à ce que vous affirmez ici où là, ce chaos et cette violence ne viendront pas d’un "pronunciamento militaire" mais d’une insurrection civile.

Pour ergoter sur la forme de la tribune de nos aînés au lieu de reconnaître l’évidence de leurs constats, il faut être bien lâche. Pour invoquer un devoir de réserve mal interprété dans le but de faire taire des citoyens français, il faut être bien fourbe. Pour encourager les cadres dirigeants de l’armée à prendre position et à s’exposer, avant de les sanctionner rageusement dès qu’ils écrivent autre chose que des récits de batailles, il faut être bien pervers.

Lâcheté, fourberie, perversion : telle n’est pas notre vision de la hiérarchie. L’armée est au contraire, par excellence, le lieu où l’on se parle vrai parce que l’on engage sa vie. C’est cette confiance en l’institution militaire que nous appelons de nos vœux.

Oui, si une guerre civile éclate, l’armée maintiendra l’ordre sur son propre sol, parce qu’on le lui demandera. C’est même la définition de la guerre civile. Personne ne peut vouloir une situation aussi terrible, nos aînés pas plus que nous, mais oui, de nouveau, la guerre civile couve en France et vous le savez parfaitement.

Le cri d’alarme de nos Anciens renvoie enfin à de plus lointains échos. Nos aînés, ce sont les résistants de 1940, que, bien souvent, des gens comme vous traitaient de factieux, et qui ont continué le combat pendant que les légalistes, transis de peur, misaient déjà sur les concessions avec le mal pour limiter les dégâts ; ce sont les poilus de 14, qui mouraient pour quelques mètres de terre, alors que vous abandonnez, sans réagir, des quartiers entiers de notre pays à la loi du plus fort; ce sont tous les morts, célèbres ou anonymes, tombés au front ou après une vie de service.

Tous nos aînés, ceux qui ont fait de notre pays ce qu’il est, qui ont dessiné son territoire, défendu sa culture, donné ou reçu des ordres dans sa langue, ont-ils combattu pour que vous laissiez la France devenir un Etat failli, qui remplace son impuissance régalienne de plus en plus patente par une tyrannie brutale contre ceux de ses serviteurs qui veulent encore l’avertir ?

Agissez, Mesdames et Messieurs. Il ne s’agit pas, cette fois, d’émotion sur commande, de formules toutes faites ou de médiatisation. Il ne s’agit pas de prolonger vos mandats ou d’en conquérir d’autres. Il s’agit de la survie de notre pays, de votre pays."

En fait, « tout va très bien madame la Marquise … »

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Mais encore, plus éloquent, même si l’indignation fait plus encore place à une véhémente accusation de manœuvres de plus en plus contradictoire avec nos intérêts vitaux :


… « Il y a trois jours le président Macron a, une fois de plus, montré qu’il n’aime pas la France. Dans une interview à la chaîne américaine CBS, il a déclaré:
"We have in a certain way to deconstruct our own history." Même si on ne parle pas anglais on arrive à comprendre ; nous devons déconstruire notre histoire.
Il a expliqué que la France souffre de racisme lié à son passé colonial et a justifié ce projet de "déconstruction de notre histoire".

Pour lui, et en cela il est en phase avec la "cancel culture" venue d’Amérique, le cœur des problèmes existentiels français c’est notre culpabilité supposée vis-à-vis de minorités passées et présentes.

Rappelons que le chef que les Français se sont imprudemment donné, a déjà prouvé dans le passé qu’il était étranger au roman national, que son âme n’était pas française. Du "je ne connais pas de culture française, mais des cultures en France", à "la France coupable de crimes contre l’humanité, de vraies barbaries", sentence prononcée à l’étranger dans un pays qui se définit lui-même dans son hymne national comme notre ennemi éternel, en passant par l’autocritique de son propre pays à la tribune de l’ONU, son parcours est jalonné de déclarations et d’actions qui sont indignes de la France et des Français.
On pourrait les citer jusqu’à l’écœurement : signature, sans consultation de l’assemblée nationale, du pacte de Marrakech qui appelle à des migrations « sûres, ordonnées et régulières » ; la poursuite de l’invasion migratoire, très majoritairement musulmane, l’histoire récente revisitée au travers du filtre d’« historiens » engagés, qu’il a lui-même choisis précisément pour cela, (guerre d’Algérie, massacres du Rwanda), les visites de repentance à des familles de traîtres suppôts du FLN qui était notre ennemi et qui ont donc du sang français sur les mains, la volonté de rebaptiser des rues et places du nom de gens dont l’origine raciale, ethnique ou religieuse tiendra lieu de faire-valoir ; et bientôt peut-être Gisèle Halimi, autre complice des tueurs, au Panthéon. C’est la nausée !

De plus en plus de Français en ont assez de le voir nous flageller en permanence, chez nous et à l’extérieur et ne retenir de notre histoire que les pages sombres.

L’attention est une fois de plus l’esclavage africain ; esclavage que l’on juge avec nos yeux de maintenant, que l’on condamne chez nous en oubliant les Musulmans qui l’ont pratiqué 5 siècles avant nous, et les peuples d’Afrique sans la complicité desquels il aurait été impossible.

Ah on est loin de Churchill disant de la Grande-Bretagne : "qu’il ait eu tort ou raison, c’est mon pays".

J’ai une suggestion à faire. M. Macron, si un « racisé », vous fait le reproche d’appartenir à une nation qui a pratiqué l’esclavage, vous pouvez lui répondre : que vous n’en êtes vous-même pas personnellement responsable, que lui n’en a pas personnellement souffert ; et demandez-lui s’il ne préfère pas être descendant d’esclave et vivre en Occident que descendant d’“hommes libres” et vivre en Afrique Noire ; où il peut d’ailleurs librement repartir si cela lui semble plus supportable qu’ici.

Nous avons un prince immature post-soixante-huitard, qui mène la France au tombeau et dont il faut se débarrasser au plus vite. J’espère que l’an prochain la priorité de la campagne présidentielle sera l’identité, la sécurité et donc l’immigration. Tout le reste est secondaire.

Toute ma vie active j’ai servi mon pays. Sur nos drapeaux sont inscrits les mots « Honneur et Patrie ». L’Honneur » a déjà pris quelques coups de canif lorsque notre pays, en la personne du général de Gaule, a abandonné aux tueurs ceux qui s’étaient battus avec nous. Quant au mot « Patrie », M. Macron ne sait pas ce que c’est. Français, dormez en paix, votre président se bat pour vous assurer « le droit à une vie paisible » (figaro 18/4/2021).
Aujourd’hui, 185ème jour depuis le martyr de notre compatriote Samuel Patty. Plus de 220.000 migrants sont arrivés en France. »
Général (2S) Roland DUBOIS

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13 Mai


Mireille Deydier :


 … C’est aujourd’hui l’Ascension.
Quand j’étais enfant, au pensionnat des franciscaines missionnaires de Marie à Meknès, il me semble que nous défilions en procession sous l’égide de notre curé, voire celle de l’évêque de Rabat.
Aujourd’hui , c’est la fin du ramadan.
Au pensionnat de mon enfance, les élèves de religion musulmane le pratiquaient. A cette occasion, les sœurs leur préparaient le repas traditionnel du soir qui leur était totalement réservé, à notre grand dam. Je me souviens qu’une amie marocaine me refilait en douce un peu de soupe marocaine si typique, et des cornes de gazelle ramenées de chez elle.
Ce jeudi, mon infirmière me raconte la fête des communautés de confession musulmane, maghrébines ou tchéchènes, nombreuses sur Montauban. Les familles sur leur trente- et – un, endimanchées ( surtout les tchéchènes ) , les enfants ravis de petits cadeaux.
Nous avons subi de gros orages, j’avais mis à l’abri la menthe marocaine et mon mini olivier.
Mon frère Francis me disait encore juste avant de mourir que l’oliveraie plantée par mon père Victor n’avait pas été rasée. Vers 1926-1927. La maison aussi subsiste. Le jeune homme avait 25 ans. Il est parti depuis longtemps mais la trace de ses rêves ambitieux lui survivent.
Je vous embrasse
Mireille

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16 mai 2021


à  Bernard :


Mon ostéopathe a eu la covid et j’ai donc manqué ma séance. L’arthrose devient envahissant que j’arrive difficilement à tourner le cou.

Enfin je patienterai.

Je fais mes 8,9 km le matin. Ça maintient.

Le printemps n’arrive décidément pas à éclore. On va basculer tout d’un coup dans l’été.

Le mai poétique tient bien, il fait comme les plantes grimpantes. Le Carnet suit la morosité des temps. J’ai quelques échanges avec Monique Ariello et Mireille Deydier.

J’ai de lointains échos téléphoniques de quelques-uns du sauveur. En ce moment c’est la sourdine de partout.

Les commerces rouvriront bientôt, les terrasses. Mais comment est-ce organisé, quels sont les critères ?

J’ai tout de même du vin du jura à la maison…

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à Mireille Deydier :


Merci mille fois pour les éditions MeMo. Les livres me paraissent magnifiques. Je pense que mon petit-fils pourra lire l’an prochain.

Ces temps-ci je suis dans la sélection des œuvres pour la seconde cession du concours de Luxembourg. On aura les résultats en décembre seulement. C’est un peu stressant, mais quand j’aurai fait ma sélection, je serai tranquille et n’y penserai plus.

A défaut de revoir le Maroc, je pense que les conditions sont impossibles pour l’instant, je confectionne parfois des plats de cuisine marocaine. On trouve de tout dans le Vieux Nice. Les étalages de magasins d’épices sentent aussi fort que dans les souks. Et puis j’ai trouvé un commerçant qui produit de la harissa maison. Ce n’est pas si courant que ça. Tout ce qu’on trouve en supermarché c’est de l’industriel. Et la coriandre pousse dans le jardin. Les feuilles de persil font la dimension de la paume de la main. On a prévu dans le jardin un coin pour les herbes. Le bougainvillier fait penser à Rabat. Je me souviens de ces paysages urbains aux murs éclatants, tout blancs où il n’était pas rare de voir des massifs de bougainvilliers. On en avait à la villa de la tante Louisette. Enfin j’en ai un vague souvenir. Mais ici, sur la Côte, on a aussi de belles floraisons. Je crois qu’on retrouve les mêmes végétations.

Je me suis fait faire la première injection sans rdv et sans faire de queue. Une chance inouïe. En deux minutes c’était réglé… J’espère qu’on va bientôt en sortir. L’été se profile et beaucoup de magasins ne rouvriront pas. Déjà, l’an passé, le centre de Grenade était fantomatique.

C’est vrai que ce jeudi de l’ascension est surtout marqué par le long pont qu’ont observé les administrations. Ils ont carrément pris le vendredi et le samedi. Pas de Bibliothèque publiques, pas de médiathèques etc.

J’espère que vous restez bien à l’abri des dangers et que vous gardez le moral.

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Deux phrases clé atomisant le monde ancien : « L’enfer c’est les autres », inaugurant le règne du repli sur une subjectivité absolue, et le corollaire « Famille je vous hais », la parabole qui signe le début de la destruction de la société patriarcale qui s’étendra en quelques décennies jusqu’à la remise en cause du binôme patriarcat et hétérosexualité. L’ancien monde social est enfin atomisé.

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Entendu le final de la Symphonie Espagnole de Lalo. C’est Jacques Thibaud qui tenait l’archet dans les années quarante. On ne peut pas entendre un violon aérien plus acéré. C’est un document que présentait son arrière-petit-fils qui fait aussi entendre la voix de son aïeul dont la voix a le débit grave si étrange de Louis Jouvet.

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18 mai


A Bernard :


Bon séjour ! J’ai campé en face du Château d’Amboise, à l’île d’or, d’un 14 juillet. C’était durant une sorte de Tour de France de miel en 84. Il pleuvait des cordes. On est resté sous la tente toute la journée, à manger des fèves volées dans un champ immense du côté de l’abbaye du Liget. Au milieu des champs, une rotonde de pierres blanches (du tuffeau ?) qu’on aurait cru de la craie, et à l’intérieur des peintures romanes avec notamment une crucifixion très rurale, c’est-à-dire sans douleur, paisible et primitive, et une dormition de la Vierge. De couleurs qui feraient penser à des coulées d’aquarelles.
Voilà. Des souvenirs encore intacts.

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D’EN FRANCE


Gallimard édite des tracts. Est-ce la période pandémique qui favorise la diffusion de très courts textes d’une trentaine ou d’une quarantaine de pages sur papiers hésitants entre le journal grossier et le brochage un peu rêche de certains ouvrages ? Les titres sont assez éloquents de l’urgence d’une prise de parole surgissant d’un refoulé qui s’agite de se voir confiné dans une pensée policée et toute conformiste. Les titres ne sont pas moins éloquents de l’actualité sociale et sociétale. En vrac sur une trentaine d’ouvrage, sans compter quelques hors-série : Philippe Forrest (l’université en première ligne), Stéphane Velut (l’hôpital, une nouvelle industrie), Didier Leschi (ce grand dérangement), Barbara Stiegler (de la démocratie en pandémie), Danièle Sallenave (Jojo, le gilet jaune), Erri de Luca (l’Europe mise à feu), Didier Daeninck (municipales, banlieue naufragée), Régis Debray (le siècle vert).


Je me suis laissé tenter par le numéro d’Avril 2021 de Alain Borrer « SPEAK WHITE ! Pourquoi renoncer au bonheur de parler Français ? »)


Et comment résister à ces quelques lignes :

« …On ne saurait traiter de l’admirable langue anglaise sans cette French flippancy, cette désinvolture que nous prête Lord Byron dans son Childe Harold’s Pilgrimage, et non sans se plaire à rappeler la part de la langue française dont elle se compose : soixante-trois pour cent. Trente mille mots. Ce chiffre est à la mesure de l’énorme impensé de tout l’empire anglo-américain qui l’ignore massivement, refuse de le savoir, ainsi que l’illustra le 42° président des Etats-Unis, George Walker Bush : « the problem with the French is that they don’t have a word for entrepreneur »…

Tandis que l’anglais n’était au Moyen Age, qu’un idiome écrasé par le français, la langue française fut parlée pendant quatre siècle dans les îles britanniques : les anglais qui brûlèrent Jeanne d’Arc parlaient français (à preuve ils l’appelaient « vachère » et traitaient les français fidèles à Charles VII de « maquereaux mescréants ». Désormais l’anglaméricain n’est plus seulement hégémonique, il est naturel, le monde entier et le cosmos parlent anglais, de même que les romains de l’Antiquité comme Charlton Heston dans Ben-Hur, et déjà les Egyptiens anciens comme Liz Taylor dans Cléopâtre…

Vous et Tu… « Vous » avant de baiser, « tu » après. De même le pronom you se déplie en deux mots français (tu et vous), et your en cinq mots français (ton, ta, tes, vos, votre). A qui s’adresse you ? Quelle est la figure non pas idéale, mais idéelle que désigne you ? la figure de celui ou celle dont on n’a nullement besoin de savoir s’il est homme ou femme, unique ou innombrable, familier ou vénérable ? Le client ……. Symbolisation élaborée par la plus grande puissance commerciale du millénaire précédent. You s’adresse à qui que ce soit. You est un code-barres.

…Si je dis je t’aime, l’Autre est même placé avant le verbe, et sait tout de suite à qui ce discours s’adresse. D’autres langues, l’allemand, le turc, le coréen, le népalais et les langues ouralo-altaïques mettent la charrue avant les bœufs : elles choisissent au contraire de retarder au maximum le verbe et rejettent le déterminant en toute fin de phrase : l’Autre est mis en attente. Elles idéalisent le locuteur dominant qui peut, avec son Ich écumant, assujettir ses interlocuteurs à sa guise, pendant quatre-vingt-quatre mots dans une phrase de Freud, selon ce principe résumé dans les trois mots d’Ich liebe Dich…lIch …liebe (attendons de savoir qui) …DIch (ouf ! c’est moi, mais il faut attendre la suite…)…NICHT !


Frappante est la différence entre les débats télévisés de part et d’autre du Rhin, quand les uns jugent les autres plus respectueux, parce qu’ils n’ont pas encore compris, tandis que les autres se coupent la parole parce qu’ils n’ont plus besoin d’écouter. Dans un film comique allemand de Lubitsch projeté en salle bilingue, les francophones rient avant les germanophones parce qu’ils suivent les sous-titres en français.

Le coup de grâce : « … une nouvelle carte nationale d’identité –bilingue- français/anglais (!). Dans ce document symbolique par excellence, le seul commun aux soixante-cinq millions de citoyens et qui, sous ses mots tellement chargés, nationale, identité, atteste leurs données personnelles et physiques, un tel recours à l’anglais objective trois  messages dans l’ordre du Symbolique : 1) la France est un pays bilingue, comme le Canada ou le Cameroun (alors que la France est le seul pays francophone à disposer de la langue française sur tout le territoire) ; 2) le français n’est pas une langue internationale, quand le français est parlé sur les cinq continents : les 45 pays qui ont notre langue en partage apprécieront ; 3) nous sommes une variante locale du Commonwealth, et non plus en Europe où l’anglais n’est plus la seule langue d’aucun des vingt-six Etats membres ; et brochant le tout : c’est l’Etat lui-même, et non plus ces innombrables colonisés, unfrench et fiers de l’être, que Michel Serres appelait « les collabos de la pub et du fric ».

Est-il nécessaire de traduire carte nationale d’identité par national identity card, trois mots français passés à l’anglais depuis Hastings.

Les oiseaux aussi nous écoutent et nous imitent. Il y a une francophonie du ciel, et les hirondelles qui sont nées en France choisissent de passer l’hiver en Afrique francophone… Un jour, si les collabos l’emportent, nous serons quelques-uns à ne flûter la langue française que pour faire plaisir aux hirondelles.

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Qu’est-ce que la vie ? Une illusion, une ombre, une fiction, et le plus grand des biens est peu de choses, car toute la vie est un songe, et les songes mêmes, songent… Calderon

ET APRES ?

Cette tirade de théâtre s’apparente à l’illusion de la vie qui m’est chère. Illusion, non pas dans le sens que ce que nous sentons, pensons et projetons en perspective est faux, car nous ne faisons que du traitement de réel, de la transformation de notre connaissable, mais dans le sens qu’on aurait une impossibilité, je dirais de naissance, à répondre à la question de la nature même de ce réveil qui viendrait après le songe, si la vie est un songe. Comme après qu’on nous eut ôté un voile, une réalité « impensable », une bascule dans une autre réalité nous faisant dire « ah ! mais c’était donc ça ! », ou tout simplement que nous serions tellement projetés vers un inimaginable que l’oubli de ce songe terrestre rendrait impossible la moindre trace de notre vie antérieure. Comme ces signes sur le sable dont la vague efface toute trace et même le souvenir de son ancienne réalité.

La trame de l’existence serait ainsi naturellement achevée comme il se doit, mais celle de l’être ne se serait que transformée.

Je penche vers cette catégorie d’illusion, plutôt que d’admettre un néant définitif, acquis comme présupposé à toute fin. La science a ses axiomes, ses présupposés. A commencer par l’axiome des temps soviétisant de la dialectique matérialiste qui disait dans les manuels de philo, « pourquoi Dieu plutôt que rien ? ». Mais comment pourrait s’engendrer quelque chose à partir de rien ? Comment, renversant l’argument, ne pas admettre alors que du rien de la mort ne naîtrait pas quelque chose ? Ainsi des assertions de la science. Le big bang, par exemple, dans une belle unanimité qu’aucun courant scientifique divergeant ne vient contrarier. Comment admettre que le début des festivités a commencé par une explosion cosmique ? On nous explique que des nuages gazeux, des réactions chimiques etc. auraient originellement produit tous les potentiels et les enchaînements nécessaires et quasi mathématique des causalités d’une vie en expansion qui se poursuit encore aujourd’hui. Mais une explosion c’est déjà un phénomène relatif à des existants préalables (la soupe gazeuse primitive supposée). L’explosion initiale est la résultante d’une rencontre, d’un choc. Une réaction suppose un existant provocateur menant à un enchaînement de causes. Dans la chaîne des causalités, qui tient donc la queue de billard ?

Et puis le néant, qui serait le lieu de nos fins dernières, qu’est-ce que c’est, puisqu’il est impensable ? Je suis encore sidéré que les esprits scientifiques s’acharnent sur une telle certitude. Le zéro absolu a une existence plus tangible que le mot redoutable de néant. Il est pourtant devenu une réalité sur laquelle les scientifiques l’admettent comme un existant tout en en étant la négation. Paradoxal et unique axiome d’un concept qu’aucun esprit scientifique ne conteste et auquel on octroie une assise existentielle farouchement tenue pour réelle. Ce prochain gouffre qu’on nous promet. Déjà le gouffre est une métaphore du rien. Ce rien conçu comme le renversement abstrait et dialectique d’une plénitude ou d’un tout. C’est ainsi concevoir l’inconcevable, qui ne tient pas du raisonnement abscons d’un esprit débile, mais de la conviction banalement admise par la majorité, et plus, des chercheurs, des prospectologues en tout genre de la lunette astronomique ou du microscope.

Et puis cette orgueil de l’homme de science, par le plus grand des paradoxes, qui nous affirme et nous inflige un néant certain comme fin dernière, alors que la finalité à peine avouée de leur graal conscient ou pas aujourd’hui, du bout de leurs lèvres, est de rendre l’humanité immortelle. De leur orgueil, plus que celui des égyptiens antiques, des adorateurs du soleil aztèque ou des récentes eschatologies occidentales, qui pensaient l’au-delà possible après la mort, la religion du progrès ne conçoit pas l’immortalité dans un hypothétique autre monde, mais sérieusement (scientifiquement) ici et maintenant. Même si le maintenant prendra du temps… La science n’entrevoit pas moins, par progrès successifs, comme à creuser des vérités s’ajustant les unes aux autres, à sortir pas à pas, à tâtons, des voiles des ténèbres, rendant en cela l’inconnaissable comme du connaissable en puissance jusqu’à la maîtrise un jour futur de ce graal de l’immortalité. Des chercheurs en prospectives médicales prévoient, à l’horizon 2100, des humains atteignant les deux cents ans.

Il n’est pas étonnant que la mort, dans notre environnement, soit perçue de plus en plus comme une intruse.

Religion du progrès infini : la mort devient inacceptable.

Ce qui est certain est que le zéro mathématique est la néantisation à la fin de la série des nombres. Mais loin d’être synonyme d’un rien, d’un vide, c’est ce qui permet de penser l’après 9, module de retour à la série suivante. Ce qu’on pourrait imaginer, entrevoir par analogie, comme ce fameux réveil inédit après le songe.

……………………………………………………………………………………………………………………….21 Mai

Michel Onfray a encore frappé. En librairie, ses ouvrages s’amoncellent, il a presque un rayonnage pour lui seul. Quand certains auteurs s’attèlent à des épisodes de feuilleton, Onfray fait quatre cent pages et donne rendez-vous au lecteur à l’ouvrage de quatre cent pages qui va suivre. C’est une vraie pluie éditoriale qui s’abat sur nous. J’aurais du mal à citer les seuls livres qu’il a publié l’an passé, que déjà cette année je me perds parmi les quelques derniers. Je crois qu’il écrit avec une respiration qui n’est pas la nôtre. Pendant que nous lisons un de ces ouvrages, lui en écrit un autre dans la même durée. Il y a du Rossini en lui, lequel faisait un opéra par semaines dans les bonnes années. Et chez Onfray, il y a un peu la même clientèle, de plus en plus nombreuses, par cette facilité d’aborder autrui, la clarté et la vivacité tout à la fois du foisonnement de la documentation pour l’un, et du débridé rythmique pour l’autre. Il est loin le temps, un peu scolaire à mon goût, où l’auteur creusait des thématiques philosophiques plus universitaires, qui donnèrent le « petit traité des grandes vertus, la théorie des corps amoureux, l’anti manuel de philosophie ou l’art de jouir », pour coller aujourd’hui plus près des thématiques sociétales qui ne manquent pas d’ailleurs de prêter le flanc. Le dernier, faussement en date « la nef des fous » s’est donc vu ce matin doubler sur les présentoirs par « l’art d’être français ». La « nef » était sortie en librairie vers la fin avril…

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à  Bernard :

Je scrute le ciel, les alternances et les caprices du temps continuent. Je marche pas mal le matin, après je m’enferme. Hier c’était le retour des terrasses, attendues comme jadis certains attendaient l’ouverture des radios "libres".

En fait, j’ai eu l’impression étrange de voir des gens qui ne fréquentaient jamais les bistros, venir s’asseoir un moment pour voir l’effet que ça fait. Tenter une expérience inédite depuis le temps qu’on parlait de ce fléau des privations. C’est dire l’ampleur de la dés-habitude. Je n’ai donc pas sacrifié à la ruée obligatoire. J’ai le temps, et puis je connais… Certains du Sauveur attendaient comme sur starting-block. Je préfère attendre et faire mon petit effet, histoire de faire patienter. D’ailleurs ça fait tout drôle de marcher sur le Boulevard Victor Hugo avec le masque sur le nez, croisant de loin en loin d’autres masqués, et de voir aux terrasses des "2 palmiers", comme une oasis frénétique tous ces gens assis les uns sur les autres sans masques et sans scrupules, se postillonner les muqueuses dans de grands éclats post frustration déchirant de bonheur de gros steaks tartares. C’était donc ça. Ce n’était donc que ça.

J’ai sacrifié au dernier Onfray. L’avant-dernier, "la nef des fous" était sorti en librairie vers la fin avril, peut-être d’ailleurs début Mai. Sous forme d’un journal lapidaire disant les folies de notre monde. Aujourd’hui 21 mai, c’est "l’Art d’être français". Tu n’apprécierais peut-être pas. Le contenu que j’ai accueilli avec grand plaisir, pourrait avoir été écrit sous des grands chênes de Touraine. C’est maintenant, à mesure que les ouvrages paraissent, de plus en plus franchement une analyse sociétale d’un monde qui ne manque pas de raisons de se faire analyser. Et puis, il ne vit pas au rythme qui est le nôtre. Quand nous lisons quatre cent pages jusqu’au terme de l’ouvrage, Onfray durant ce temps a écrit quatre cent pages de plus. Malgré les dictaphones et autres subtilités techniques, il pense "à la bombarde".

La nuit, (j’ai de plus en plus de mal à situer le moment d’aller fermer les yeux) je traverse une période d’écoute des grandes polyphonies de la Renaissance. Ce qu’il y a de plus épuré. C’est une manière d’être encore dans les ors et les fastes d’esprit de Florence, de la cour de Bourgogne, de l’Ecole de Notre-Dame, ou de l’Espagne de la grande mystique.

J’espère que tu auras su prendre les sentiers vélocipédiques de Touraine au travers des vignobles. J’ai vu ces merveilles de paysages entre vignes et châteaux issues des dernières conceptions de la traversée de Paris/Tours.

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Alicia de la Rocha, 1m 52, des doigts d’enfants mais qui prend avec elle les hachures larges d’accords de Liszt et ceux du troisième de Rachmaninov comme la liberté guidant l’avenir.

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J’ai montré des cartes de géographie à mon petit-fils. C’est très abstrait tous ces pays, ces frontières. Ça ne se prend pas dans les mains, on ne peut comprendre à son âge qu’il s’agit d’une transposition d’une réalité monumentale reproduite à une échelle infiniment plus petite. Et puis la rotondité. La semaine prochaine je ferais mieux. J’utiliserai un globe terrestre comme on en trouve dans les magasins d’ameublement, et partant du globe, je prendrai une petite balle, je me mettrai un peu plus loin et je ferai la lune. Du moins, je lui ferais comprendre la distance et les dimensions respectives des deux astres. Je ferai pareil avec le soleil, puis on alignera toutes les planètes.

 Comme ça devenait un peu abstrait on a joué au garagiste. Il avait le camion de dépannage, et il venait remorquer les véhicules qui devaient aller en réparation. C’est plus facile à saisir que le voisinage de l’Espagne d’un côté et de l’Italie de l’autre.

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La force, c’est la démographie disait un dignitaire africain corpulent et fier de la polygamie structurelle et grossissante au Cameroun. C’est vrai. De tout temps, la loi du nombre est la garantie d’une supériorité, dans le sens où l’on peut se permettre de la perte d’énergie, il en sortira toujours quelque chose à la pointe de celle-ci. La dernière fois que la France a connu ce moment de supériorité massif dans sa démographie remonte au temps de Napoléon. Et de manière très nette et conséquente, puisqu’à elle seule elle pouvait compter vingt-huit millions d’individus, ce qui correspondait à peu près au nombre des coalisés de l’Europe qui lui faisait face. Depuis notre pays n’a cessé de fondre comme peau de chagrin. C’est donc une loi d’attraction qui fait correspondre le déploiement démographique avec l’énergie et l’occupation de territoires en position de force. Ce que le dignitaire en question considérait comme une juste revanche de l’Afrique colonisée (on en revient toujours là) se muant en future dynamique sociale en un premier temps, avant de devenir une réalité anthropologique et statistique pesant de sa réalité sur l’ancien continent dès demain. Il est pourtant une question que nos dirigeants n’ont pas voulu poser depuis quarante années de négligences, c’est pourquoi avoir préparé le terrain, en terme d’accueil, d’aide sociales injustifiées, de naturalisations et de logements à des ressortissants qu’il eut été plus rationnel de maintenir dans leur cadre d’origine. Le féminisme et les mœurs des nouvelles diversités occidentales n’allant évidemment pas dans le sens d’un rééquilibrage. La liberté dit-on …

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26 mai

à Bernard :

Tavant c’est un vieux souvenir de 1982. Je campais à Amboise. Pour accéder à la chapelle souterraine, il fallait simplement demander la clé à une sorte de concierge sur la place du village. La clé était énorme en rapport à la porte qui devait dater du siècle dernier. C’était en Juillet, et je ne crois pourtant pas qu’il y avait d’autres visiteurs que nous. En ce temps-là, il n’y avait pas encore de ruée sur ces lieux sacrés. D’ailleurs la chapelle était encore utilisée comme lieu de culte quelques années avant. Il suffisait ensuite de poser la clé sur la margelle d’une fenêtre de la maison si le préposé était sorti. Ce n’est pas la première fois qu’un accueil aussi minimaliste et simple s’est produit. A Berzé-la Ville, minuscule commune de Bourgogne, pareil, il fallait s’adresser à un quidam habitant une maison du hameau, parce que ce n’était même pas un village. Je me demande comment ils s’organisent aujourd’hui. J’entends encore le coq du village de Vicq Nohant, pourtant à proximité de la maison de George Sand. La clé toujours, chez un fidèle du village. Tu penses bien que ces gens-là ne prenaient pas l’avion pour aller à Amsterdam ou à Prague. Ils étaient du village, ils en étaient éternellement le prolongement. Ils en étaient d’ailleurs la clé !

En Touraine, au Liget, je crois t’en avoir parlé, il y avait une rotonde blanche de tuffeau, perceptible de très loin dans un champ de fèves. Plus loin, le corps principal d’une abbaye sombre, et on pouvait pénétrer à la fois dans le champ et dans la rotonde qui n’avait pas même de porte. Aujourd’hui on s’est aperçu que des merveilles de peinture si particulière à la Touraine (peintures très pâles, presque pastels), risquaient de se détériorer. A part les moines savants de la Pierre qui Vire, fondateurs de la collection Zodiaque (ouvrages exhaustifs sur les arts des X° au XIII° sicle), les chefs d’œuvres du moyen Age dormaient aux quatre vents. Tu connais certainement l’épisode de ce qu’on appelle la Sixtine du Moyen Age : Saint Savin sur-Gartempe. C’était du temps de Mérimée, inspecteur général des Monuments Historiques. Apercevant une plaque de plâtre se désolidarisant d’un mur, il vit apparaître des couleurs sur une couche antérieure. On déblaya l’endroit, puis ensuite tout l’ensemble de l’église qui rendit ces fameuses peintures à fresque sur la voûte, les murs d’enceinte, les piliers de la nef, et jusqu’au porche d’entrée. Un ensemble unique qui parlait de la Genèse, de la traversée de la Mer Rouge, des sept plaies d’Egypte, et de toute cette continuité biblique menant jusqu’à la Nativité et aux épisodes du Nouveau Testament. Tu comprends pourquoi l’appellation de Sixtine du Moyen Age. Mais elle m’émeut plus encore. Aujourd’hui c’est un vertige de lever les yeux et de voir tout ça dans l’ordre conçu par les maîtres d’œuvre. Et puis il suffit, quand on a la chance d’être à Paris, d’aller au Musée des Monuments historique du Champs de Mars et d’y voir la restitution à échelle réduite. Manque la dimension dans l’espace d’origine. Ce qui est quand même l’essentiel ; (ils ont aussi, hélas, reconstitué la voûte et les murs d’enceinte dans l’espace qui sert de bibliothèque !!). Ça donne bien sûr envie de remettre les pieds sur ces vieilles traces des années quatre-vingt. Et puis, puisque tu en viens, tu peux écouter cette magnifique mélodie, aussi simple que l’accueil fait dans ces petits hameaux, de la "Chanson de Touraine" de Massenet, issu de son opéra "Panurge. Si c’est chanté par Vanni-Marcoux, c’est exceptionnel.

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29 mai


« Montrez-moi la façon dont une nation ou une société s’occupe de ses morts et je vous dirai avec une raisonnable exactitude les sentiments délicats de son peuple et sa fidélité envers un idéal élevé ». William Gladstone

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30 mai


à Bernard :


Ouf ! j’ai bien cru que vous aviez visité tout ça en une seule journée. Remarque bien qu’on a eu quelques journées frénétiques de visite en septembre 19 qui ont dû être consignées par écrit. Je ne pourrais plus même refaire le trajet mentalement. Je comprends qu’après une année complète de frustration on ait envie de bouger, de respirer en grand. Moi, j’ai fait une petite apparition chez Sauveur. Les chaises sont neuves, plus confortables. En fait, c’est ce que j’ai cru.

Elles viennent simplement de l’intérieur du bistro où elles ne servaient plus, jauge oblige. Enfin on a l’impression de fauteuils confortables. Sinon le vin y est aussi mauvais. Et j’ai donc pu croiser quelques habitués qui m’avaient prévenu ou que j’avais prévenus de ma venue. On évite ainsi de rester seul à regarder passer les wagons de touristes qui s’engouffrent dans le maigre goulet du passage. L’air de rien, la concentration de beautés féminines sur ces serpents lents qui défilent est d’une qualité exceptionnelle. Il n’y a aucune vue naturelle attrayante sur la rue, mais le charroi des beautés du samedi en est une d’une certaine façon. Les néo punks, les nymphettes bariolées de tant de fausses innocences, les grandes et sveltes mûres, les solitaires, toutes défilent à pas lent, le temps de passer le goulet. On ne manque pour rien, malgré les conversations qui fusent, le plaisir de ces serpentins débraillés. Enfin, tu connais. Encore faut-il avoir la place adossée au mur. Ce que je me réserve en principe. L’âge dit-on.

J’ai entrepris avec la nièce de Cécilia, Juliana, une correspondance un peu plus appuyée que les sms habituels. Elle était venue en 17 pour un tour dans le Vaucluse. Fontaine, L’Ile sur Sorgue, puis on avait mangé la côte de taureau chez Wauxhall à Arles. Enfin elle en avait gardé un bon souvenir. Je crois que c’est aussi une manière de pratiquer son français. Elle est très artiste, elle crée des livres illustrés pour enfants, et arrive à en vivre paraît-il. Elle a l’âge d’Hélène. C’est une lectrice de louisdeydier.com, elle s’y rend fréquemment. Une lectrice sûre qui y revient souvent. J’apprécie d’autant plus qu’elle ne m’a jamais demandé "qu’est-ce que ça veut dire ?". Elle a une préférence pour les images des photos/poèmes.

La Colombie est à feu et à sang et j’en reçois les échos par vidéo amateur presque tous les jours ; on n’en parle pas ici ; ce ne doit pas correspondre à des nécessités médiatiques du moment. Pourtant l’armée a dû intervenir dans certaines grandes villes comme Cali.

Donc, on se verra dès que possible. Dan Belmonte passe aussi par ici vers le 15. Les migrations internes reprennent et c’est tant mieux. Ne serait-ce le temps toujours instable, on aurait bien tenté quelques sorties vers l’arrière-pays ou du côté des hauts de Provence. Ce sera pour bientôt.

Je t’attends donc avec impatience.

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Réponse au premier courrier de Juliana Gonzales :


Merci Juliana pour ce courrier si rapide !

C’est bien de pouvoir s’écrire un peu plus longtemps que nous le faisons avec de simples sms. C’est bien aussi pour renforcer ton français qui est déjà très bon. Et tu as raison de dire qu’on apprend plus en contact avec la réalité, la pratique avec Deydier/Guzman, Hubert ou autres que dans les cours théoriques. Mais j’ai trouvé surprenant cette envahissement immobilier de la rue où se trouve l’Alliance. Tant mieux, ça prouve qu’il y a encore des candidats à l’apprentissage du français. J’ai lu un tract (quarante pages remarquables) de Alain Borer : "Speak white ! ou pourquoi renoncer au bonheur de parler français ?" On apprend que notre snobisme anglophile oublie que l’anglais est une langue qui a emprunté 60% de ses mots au français depuis la bataille d’Hastings (1066). Pendant 4 siècle les anglais ont parlé un français local avant de devenir l’anglais qui est revenu sur le continent. Le président Bush (le père) ne s’est même pas rendu compte de l’irréalité de cette phrase dans un discours resté célèbre :"The problem whith the French is that they don’t have a word for entrepreneur"… Cela mesure l’énorme impensé de tout l’empire anglo-américain qui ignore les 60% de l’origine de leurs mots.

Voilà, j’espère que tu prendras plaisir à progresser encore avec nos conversations. J’apprécie bien la forme de ta pensée et cet humour que tu as dans presque chaque considération. Et puis c’est souvent bien poétique, je le redis !

Cette année c’est Cézanne aux Baux-de-Provence. On ira peut-être en juin.

J’ai envoyé 17 de mes photos/peintures pour le concours de Luxembourg. Je ne me souviens pas de t’en avoir envoyé quelques exemples. Normalement le jury va me donner le premier prix (hihi…). Si ce n’est pas le cas, je ferais un courrier de protestation. J’ai choisi naturellement, en voyant la tournure de mes dernières images, le thème de la « Petite Renarde Rusée ». Je pense que ça change des thèmes de l’actualité sociale et politique ou des thèmes de tendances trop contemporaines. Résultats en décembre.

La photo que je t’ai envoyée hier est prise après la pluie dans le jardin au Nord. Tu peux voir, en tout petit, Saint Paul de Vence accroché dans le ciel. Qui se marie bien avec le bleu des marguerites.

Je t’envoie quelques autres exemples envoyés au concours.

Ne te presse pas pour écrire, va à ton rythme.

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Je lis « La fin d’un monde » de Patrick Buisson. Panorama de la déconstruction de l’Europe occidentale au travers, comme dans la « faucheuse » de Bruegel, des grandes frictions tectoniques des années 60, inaugurées par la mort des rythmes agricole, Vatican II, la mort des croyances ancestrales, du patriarcat au travers de 68 et les foudres féministes où le freudisme himself n’est pas épargné. Que puis-je en conclure comme dit la chanson, que reste-t-il de nos amours ? Une fois éliminées les vieilles lunes d’antan, l’Histoire et toutes les ombres oppressantes de notre passé, comme nous ne manquons pas d’ambition, reste la perspective du vaccin qui nous rendra immortel. Vertigo.


Nous apprenons bien sûr avec stupeur que la contraception est une invention masculine, inventée par Onan jetant sa semence à terre pour ne pas enfanter sa belle-sœur.


L’exclusion de la fécondité du paysage des femmes d’Occident rendra celles d’Afrique souveraines dans l’humanité future.


En cette journée de la fête des mères, les bouquets fleurissent pourtant encore. Le petit bandit de la famille a donné une petite gerbe de bonbons en forme de fleurs pour sa maman Hélène.


Quand je pense à toutes celles qui n’enfantent pas pour les hanches, le galbe…Les libertés restreintes, les soucis, l’indépendance. « Notre corps, nous même », disait le slogan maître du féminisme 75. N’est plus tolérée que la souffrance du fitness. Pas comme celles qui se tordaient derrière la charrue, sueur idem.

Paysannes !

A l’issue (?) de nos années épidémiques je suis propriétaire de ma liberté en devenant un tracé sanitaire, un code-barres…

C’est le prix totalitaire pour voir Florence demain. Rabat ou l’Espagne…


Peut-être un peu d’illusions de liberté cet été. Le Vaucluse, Gordes, la pierre sèche sous les velours du matin.

Cette année, c’est Cézanne aux Cathédrales de Lumières des Baux.


Le 9 Juin, c’est une dégustation qui nous attend dans un vignoble des collines au-dessus de Nice ; du sérieux. Treize cépages pour le vin de Nice, le Bellet. Pour lui trouver de l’équilibre.


Je pénètre de plus en plus radieusement dans les paysages de Bonnard environnant Cannes. Il y a là une luxuriance à nulle autre pareille. Ça sent le végétal gras tout comme la pâte de sa peinture. Comme celles de ses baigneuses alanguies. J’ai toujours dans la chambre une nature morte aux fleurs sauvages, aux bleus et rouges fauves. Plus belle que n’importe quel van Gogh dans le genre. Souvenir d’une convalescence ancienne chez ma tante Lucia qui m’avait récupéré à l’Hôpital Saint Roch. J’avais emporté le tableau que j’ai eu sous les yeux durant tout le temps de ce triste et douloureux passage chez elle.

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3 Juin


Dans sa fracture, la France des métropoles (Paris, Lyon) s’inscrit dans la logique des effets du mondialisme libre-échangiste en bénéficiant de maigres mânes. L’autre face (cachée et souvent silencieuse), la périphérique, (les villages, les villes provinciales) souffre d’être la part vaincue du système planétaire. Dans son grand délaissement, elle ne croit plus aux vertus de l’Europe et du Monde. Les éoliennes ne troublent pas les paysages parisiens. Les moulins à vent de la frénésie ne s’en prennent qu’aux paysages silencieux qui tendent le cou sur le billot de l’armée des géants. Dans un grand marché de dupes l’Allemagne nous achète discrètement de l’énergie nucléaire, nous lui achetons, dans un grand vacarme de principes, des ailes de ferraille et des colonnes de béton à ciel ouvert.

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Chez nous la nuit baigne toujours dans un silence de catacombe. J’écoute à une altitude plus élevée encore que les astronaute partis il y a quelques semaines cette terrible Missa et ecce terrae motus (c’est vraiment une messe de tremblement de terre) d’Antoine Brumel. Une œuvre que Lassus avait recopié et qui lui était une sorte de révélation, comme elle l’est aujourd’hui pour moi, et certainement pour n’importe quelle oreille un peu sensible. Les terribles accents du début emportent jusqu’à la dernière expiration, quarante minutes plus tard, qu’il me vient l’idée que, composée vers le début du XVI siècle, elle fait partie de ces rares moments de civilisation où la cohésion sociale et spirituelle était tellement forte que l’expression qui se dégage des douze voix se fondent comme un seul et même corps qu’on pourrait dire pluricéphale, que chaque interprète sent et vibre à la fois indépendamment des autres étant en même temps fondu dans les onze autres, que le tout en devient évidemment supérieur à la partie s’exprimant. Comme la fourmi n’existe qu’inséparable du grand corps collectif qui est, lui, le corps réel de la raison d’être de la fourmi ; c’est ce ciment même qui fit la force, la cohésion d’une civilisation, qui malgré ses contradictions, ses violences et ses angoisses, édifia Reims et Chartres, et la polyphonie que j’entends ce soir, plus haute encore que ne peuvent, dans leur capsule, imaginer les habitants de la station scientifique à des milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes.

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La théorie de l’éternel retour, c’est ce que je sens depuis toujours, et de plus en plus ; il ne peut y avoir de néant. Mon esprit n’arrive à le concevoir. Je me mets dans la peau d’un néantisé. Le noir absolu, le rien de toute part. C’est une fausse perspective, je n’arrive à concevoir l’inconcevable sommeil sans réveil. Parce que sans réveil le sommeil n’existerait pas. C’est un angle que je partage avec Nietzsche. Peut-être n’est-ce qu’un refus, qu’une impossible conception pour moi du néant.

Le déjà vu des bougainvilliers qui apparurent dans une scène qui ne m’était pas étrangère (comme dans un déphasage) se situait dans le salon de chez ma tante lors d’une visite à mes cousins de la rue de Sète, à Rabat. Je revoyais au travers de la fenêtre un buisson de fleurs violacée qui grimpait et je savais à l’avance la forme que prendrait le massif parvenu à la fin de sa croissance. En vivant ce moment je me disais, en plus de l’étonnement du phénomène, que je savais que ce n’était pas la première phase, qu’il y en avait eu d’autres. Je revivais avec certitude tout en anticipant les moments qui défilaient, qui revenaient maintenant dans ce salon, au travers de la fenêtre, le mur blanc en face, le bougainvillier que je devançais ou plutôt que j’accompagnais, que je préludais dans sa vie intérieure, à cet endroit même, comme il avait été dans une phase connue auparavant. Je connaissais en même temps le trouble diffus de ce phénomène avec la netteté chirurgicale d’une scène passée antérieurement dans l’intensité d’un étonnement qui ne ressemble à aucun autre, perçu par la sensibilité d’un enfant de sept ou huit ans.


J’ai vécu plusieurs fois ce phénomène avec certitude ; mais les bougainvilliers de la rue de Sète à Rabat restent la séquence mémorielle la plus détaillée, d’autant que celle-ci me laissait l’impression d’une durée inhabituelle alors que celui qui rêve l’illusion d’un rêve, qu’il a déjà rêvé, le rêve sur une très infime durée de sommeil.


Je pensais à cette théorie de Pascal sur les probabilités. Ce « déjà vu » est comme cette certitude d’une répétition d’évènement qui aurait vaincu le hasard dont on dit qu’il faudrait tant de fois lancer la pièce de monnaie dans le ciel pour que le côté face désiré revienne à coup sûr.  Ainsi pour avoir cinquante fois face plutôt que pile il faudrait lancer plusieurs millions de fois la pièce de monnaie. Quand on a le temps infini comme condition, on peut imaginer une continuité de vie revenue comme cette certitude d’avoir le côté face qui revient chaque fois.


Ce qui revient à ne jamais quitter la vie. On n’a simplement jamais conscience des trous de néant du vide sidéral entre chaque retour du possible enfin revenu. Notre existence se déroulerait au rythme stroboscopique dont les séquences seraient tantôt en phase (le déroulé de l’existence), tantôt une fêlure laisserait apparaître (le déjà vu d’un retour éternel) un déphasage comme signe de répétition.

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7 Juin


à Juliana :


Je vois que ton français est bien fluide. Dans quelques mois tu pourras peut-être écrire ton prochain livre directement en français…

Tu as raison, et Orwell en même temps : qui contrôle le passé contrôle l’avenir. C’est ce qu’on appelle dans le jeu d’échec "avoir un coup d’avance", au moins.

Dans les tristes idéologies dont on parle beaucoup en France (cancel culture, woke etc.) il est très important de maîtriser les concepts.

Lénine disait "si tu as la maîtrise des concepts tu auras celle de la dialectique". C’est ce qui se passe actuellement. L’idéologie américaine est maintenant partout dans les nouveaux modes de pensée, et certains voudraient qu’on revisite notre histoire pour l’adapter à une relecture du passé. L’horreur absolue !

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Si tu es allée dans le site, La Petite Renarde Rusée est un opéra de Janacek. (Tu verras le thème de la nature et le retour des saisons). C’est ce qui m’a inspiré ce photo/poème qui est parti pour le concours. 17 peinture numériques.

La première image seulement est dédiée à Xenakis. Parce que je pense que les formes géométriques qui se transforment me font penser à certains dessins d’architecture de Xenakis qui était aussi architecte. Et puis j’ai un peu connu le compositeur. J’ai fait un stage avec lui et ses assistants pendant 15 jours dans les années 80. Pour un concert collectif du maître et de ses stagiaires. Un grand souvenir dont je parle dans le carnet (2016 ou 17… ?)

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Les Baux de Provence, ce sera pour Juillet, quand Cécilia aura moins de travail. Puis nous irons à Conques, qui est un village qui est mythique pour moi. Mais célèbre dans le monde. Pour les amateurs d’art médiéval.

Une étape classique sur le chemin de Compostelle. Mais la basilique est aussi un miracle d’architecture romane et le tympan exceptionnel (il y a dans le site un texte sur Conques). Et puis le village est d’une harmonie absolue. Quand j’étais plus jeune j’y allais une année sur deux. Les propriétaires de l’hostellerie disaient toujours :

"Ah ! on ne vous voyait plus depuis longtemps.", alors que ce n’était que l’année d’avant !

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Tu as raison, ce Salvatore Garau doit surement être payé en argent invisible pour une œuvre probablement sans dimension. Il peut même demander un prix très élevé.

En tout cas c’est dommage pour ton concours. 4500 candidats ça devient difficile d’attirer l’attention d’un jury…

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Je lis beaucoup en ce moment. Je viens de commencer "Lascaux, la naissance de l’art", de George Bataille.

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Continue de créer de belles images, des livres d’enfant, tu m’apprendras comment vendre des peintures sur le net.

Je crois que la photo que tu as envoyé avec l’oiseau est celle où un autre oiseau est en bas de la même image, non ?

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Bernard est à Nice. Nous nous sommes vus ce samedi chez Sauveur. C’est le second samedi que je reviens m’asseoir sur une terrasse de bistrot. Il y avait quelques habitués un peu engourdis dans cet hiver forcé de plusieurs mois. Les visages avaient quelque peu changé malgré tout. Nous déjeunons sur la Place Garibaldi qui est bien belle, qui semble plus vaste qu’avant. Peut-être est-ce une simple impression provoquée par un petit vent qui filtrait bon la première chaleur de l’été. C’est le moment idéal pour déjeuner à une terrasse. Le vin coule de carafon en carafon jusqu’à la fin d’après-midi. Puis encore quelques verres chez Sauveur comme il se doit. Une manifestation féministe a passé sur le macadam de la Place. Quand le cortège a cessé de ses rythmes et de ses percussions tristes et saturées, je vois apparaître Mehdi sous des grimages de carnaval. Les uns et les autres commencent donc à réapparaître comme après une hibernation qui aurait trop duré et rouillé quelques accoutumances. Bien sûr je ne voyais pas Bernard depuis la semaine de Noël 2019, et les conversations avaient quelque peu de retard à rattraper. Quand on a enfin regardé l’heure, il faisait en effet encore tout à fait jour, et même il semble que la lumière n’avait jamais été aussi pleine que le long des rails du tram, mais il était déjà presque vingt heures…

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9 Juin


Vers quinze heures nous allons à cette fameuse dégustation de vins chez les vignerons du Domaine des Hautes Collines. Un voile de nuages gris rend l’étendue des alignements de vignes d’une belle matité de vert sombre que rehaussent d’une touche de rouge et de pourpre les roses plantées au pied de chaque rangée de vigne. La particularité de ces vins est d’être traité, avant mise au tonneau, par une étrange macération dans des jarres de verre fin exposées au soleil. Ce qui est apparemment la plus folle hérésie qui soit. Le propriétaire, Georges Rasse, vinifie ainsi depuis longtemps, depuis que son père, ayant oublié une bouteille sur une terrasse en plein soleil, constata le lendemain que le vin avait gardé toute sa puissance, sans altération des arômes ni de la charpente du vin. Il fut décidé de tenter cette expérience d’exposition préalable aux bienfaits du soleil. On a donc eu droit à une série de rosé, de rosé tuilé et à la gamme des blancs et des rouges. Depuis la terrasse où sont exposés les jarres, on aperçoit tout au loin la colline de Bellet. Ce petit miracle viticole s’achève par l’apothéose qui fait la fierté de la propriété, le Saint Jeannet Tardif issu du cépage Rolle dont un œnologue aurait affirmé qu’il s’agit de l’Yquem de Saint Jeannet (!) dont Prévert, après l’avoir goûté, a laissé, encadré dans un coin de la cave, un très drolatique poème en 1951.

Nous ne sommes évidemment pas partis les mains vides, mais avec une pleine caisse de ce rouge Longo Maï aux épices de pruneau et de quelques blancs et rosés. L’originalité des bouteilles est de recevoir, en reproduction sur les étiquettes, les œuvres d’art du frère du vigneron. Comme font les propriétaires du Château Margaux. Les plus claires et les plus aériennes des peintures seront pour les vins légers, et les plus tourmentés pour les plus épais et les vins de plus longue garde.

 Ici l’olivier géant trône dans la cour de la propriété, il serait millénaire et porterait l’énergie nécessaire à ce merveilleux miracle de ces vins de soleil. La colline qui fait face aux vignes, au versant sud, recouvre de végétations un oppidum et des jarres de terres cuites qui attestent que les romains cultivaient ici déjà du vin.

Rentrant par la route qui serpente, nous nous trouvons au pied du géant Baou qui se dresse abrupt sur plusieurs centaines de mètres, que l’on a si petit, tous les jours, depuis notre terrasse du nord.


22 heures

Je crois avoir trouvé ce soir l’objet de mon prochain envoi au concours du Luxembourg. Ce sera une ténébreuse thématique hugolienne de Quasimodo et de Notre-Dame. De sombres éclats dans le ciel, de ratures d’encre de Chine mêlées de ces reflets que faisaient les vins dans leurs jarres de verre.

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13 Juin


à Bernard :


Te voilà donc rentré. On aura réussi à se voir quelques heures, c’est bien la moindre des choses. Et puis je comprends que tu ais un agenda strict à maintenir quand tu viens.

La chaleur ne nous quitte plus comme prévu, et jeudi nous sommes allé à cette extraordinaire découverte du vin en bonbonne d’affinage. C’est-à dire qu’avant d’aller en barrique, le vin prend le soleil suivant les cépages et les assemblages de cépages, de quelque semaine à deux mois derrière de fines parois de verre ! Le résultat est surprenant. On a cru boire des vins de longue garde (le "Saint Jeannet Tardif" peut vieillir 15 ans et fait penser à un Sauternes avec des arômes épicés de pruneau et de fruits confits). On retournera s’approvisionner à l’occasion. Vu les prix, on ne fera pas la folie plus de 2 fois l’an.

Je finis le dernier Onfray. Ça fait un peu doublon avec le Patrick Buisson et même le Bock-Côté. Faut-il que l’analyse de ces auteurs soit sur une même ligne d’approche des faits contemporains !

Pour changer je vais aborder à l’ombre le Lascaux de George Bataille réédité en volume minuscule de "l’atelier contemporain". Il y a plusieurs volumes de monographies de peintres dans cette série.

Je vois que carnet 2017 est aligné sur les autres, donc tout est entré dans l’ordre.

Pour Juillet nous penchons de plus en plus vers un petit séjour en Val de Loire. J’ai vu des photos de Montrésor (dans la série les plus beaux villages de France), en cherchant bien il y en a quelques autres qui sont bien tentant.

Puis quelques châteaux et Chinon, Rabelais à la Devinière, Loches. Et l’improvisation qui s’impose. Une manière de revoir cette région qu’on avait sillonné il y a presque quarante ans.

Je me fais opérer vendredi 18, j’appréhende un peu.

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à Juliana


Juliana, c’est vrai, ton français écrit est remarquable. Il y a encore quelques petites scories, mais bientôt tu pourras écrire le plus naturellement possible dans la langue de Molière. (Pourquoi dit-on, d’ailleurs, la langue de Molière, parce qu’elle est aussi la langue de Racine, de Voltaire ou de Céline…). Bientôt celle de Juliana qui l’aura assimilée.

Tu vois dans la langue française, le E qui s’accorde au féminin est comme une caresse qui veut dire qu’on n’oublie pas dans notre pensée la présence de la femme. Le E glisse comme pour ne pas oublier le féminin (est-ce concevable ?)

Je te dis cela très sincèrement parce que tu n’es pas en ce moment immergée comme il y a cinq ans, et tu n’as rien perdu des bases de la langue. (Merci l’Alliance dont je comprends qu’elle puisse augmenter son capital immobilier : il y a une justice !). Et merci nous autres aussi qui avons fait autant dans la pratique, hihi…

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Tu as raison de penser que les technologies actuelles et futures conditionnent les modes de communications. Il y a dix ans on n’imaginait pas même encore les conséquences des réseaux sociaux (tweeter etc.). Il y a souvent le pire (parce qu’expression anonyme) et parfois de bonnes analyses. Mais ce que je disais dans mon précédent courrier c’est que l’idéologie américaine (cancel culture, woke culture) est un mode de pensée qui veut nous faire repentir de notre passé historique. Chez nous on discute pour savoir si on doit continuer à conserver les statues de Christophe Colomb ou si on doit les casser !! Pour une revanche des « minorités » ! Ce n’est qu’un exemple de cette idéologie que Orwell assimilait au totalitarisme. N’oublie pas, "la maîtrise des concepts c’est la maîtrise de la dialectique" Lénine…

Bon, je ne voudrai pas rester sur des réflexions tristes.

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Xénakis est un grand compositeur que j’ai eu le plaisir et l’honneur de rencontrer. Et de travailler pendant 15 jours ! (Voir Carnet Août 2018).

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Je ne sais pas si nous irons aux Baux pour voir les Cézanne en Juillet. On verra quand… Céci est très occupée avec son travail, plus encore depuis qu’il y a ces règlements de sociétés depuis la covid. On ne désespère pas d’y aller…

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On pense aussi aller (fin juillet, Août ?) en Touraine. Pour les châteaux de la Loire, la région de la douceur de vivre comme elle se définit. Et puis plein d’autres idées de voyages…

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Et bien sûr Conques qui est mon village de cœur.

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Et peut-être je convaincrais Céci d’aller à Lascaux comme on l’a vu il y a longtemps…

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Pour finir, Juliana, je dirais que la langue est une chose importante. Je le sens dans ma poésie. Et toi tu le sais dans la pratique des différentes langues que tu parles.

Goethe, qui avait écrit "Faust", ne lisait son œuvre, quand il est devenu plus vieux, que dans la traduction française de Gérard de Nerval à la fin de sa vie.

Il y a des langues qu’on pratique, des langues d’élection, il y a celle qu’on aime et celles qui s’oublient…

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Ne te sens pas obligée de répondre à nos échanges de courriers avec rapidité. Tu as tout le temps.

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Et puis le 13 Juin restera toujours attaché à la mort du Nono. Mort à Bastia. Date que j’ai faussement et traditionnellement noté comme celle, réelle, de son enterrement après lequel commencèrent ces paradisiaques après-midi vers les rochers de Villefranche, vers Passable. Il y a cinquante-deux ans passés.

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Cet à propos que je ne sais souvent avoir : Desnos et saint Sébastien par exemple : « Mieux que ses seins, ses bas se tiennent ». J’aurai pu l’écrire en sommeil paradoxal. Que j’oublie souvent. Et pour cause. Je souris mais reste généralement insensible aux jeux de mots.

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J’écoute la voix de André Velter. Il nous fait entendre une version qu’il aime de Don Carlos. C’est Joseph Rouleau la basse et Van Allen qui lui donne la réplique, duo de monstres, dans une belle version originale en Français. Velter parle comme un comédien ; j’ai d’abord cru à l’un d’eux, en ménageant des effets très théâtraux. Puis il me fait découvrir un saxophoniste dont j’ai cru un moment que c’était le son d’un Coltrane que j’ignorais. C’est Kadri Gopalnath accompagné d’un flûtiste. C’est du saxophone raga. Comme quoi on peut parfois faire dire au saxophone autre chose que du jazz.

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14 Juin

à  Mireille Deydier :

Hé oui Mireille, j’imagine bien, après tout ce temps, le bonheur que vous avez ressenti !

Que ces photos sont belles.

Et très parlantes. Vous ne pouvez cacher le plaisir d’être avec ce petit diable, qui a bien l’air d’en être un …

Je suis dans la préparation de la seconde session du concours du Luxembourg. J’ai choisi Notre Dame de Paris. Un peu dans la noirceur des dessins de Victor Hugo.

Quand j’aurai fini, je vous enverrai un aperçu.

On verra bien les résultats en décembre.

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15 Juin

à  Bernard :

Profiter de Giverny en cette saison ce doit être, comme un bon vin, le moment le plus propice à la visite des jardins. La floraison, l’air ambiant. Y a-t-il encore des dindons ? J’ai souvenir d’y être allé avec Céci en 84, durant ce fameux tour de France qui est passé, entre autres, par Jumiège (ma ruine préférée), la Bretagne et le Pays Basque en redescendant. J’ai manqué par contre la visite de l’intérieur, et si tu dis qu’il y a des Utamaro…

Pour Tallis, Peter Philips a fait un travail remarquable sur la période des 15 et 16° siècle. Les Schollars sont les plus réguliers parmi les ensembles. Tu peux tout écouter de cette période apogée de la polyphonie. Lassus, Palestrina, Josquin, la grande découverte avec des polyphonies à 12, la grande messe dite du tremblement de terre de Antoine Brumel (à cette époque on donnait bizarrement des titres aux messes : messe de Baudichon, La mi fa ré, la plus célèbre est la Messe s’appuyant sur une vieille chanson anonyme « l’homme armé » reprise par Josquin qui avait déjà inspiré Guillaume Dufay etc.). Depuis le séjour à Florence je plonge là-dedans le soir venu. Il y a les grands espagnols comme Victoria, Morales que j’oubliais, et même des portugais (Cardoso, Lobo). Et puis Peter Philips est passé par le conservatoire de Nice il y a quelques années, l’espace d’un concert.

Je t’envoie les images des Quasimodo/Notre-Dame qui seront photo poémisés.

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17 Juin

Ce que j’espère est qu’on abatte un jour tous ces parcs éoliens comme on a fait avec le mur de Berlin

Julien Dray est décidemment en bout de course. La vieille oriflamme de SOS Racisme, aujourd’hui président d’honneur ou vague caution d’un parti socialiste décomposé (on m’expliquera si possible la différence entre Secrétaire national et Secrétaire général) en est aujourd’hui à mélanger joyeusement les expressions, confondant « faire des gorges chaudes » qu’on comprend comme médire gentiment sur le compte de quelqu’un, et « faire des gorges profondes » qui est d’un usage plus intime.

Dès demain on pourra enlever les masques à l’air libre. On nous promet également la fin du couvre-feu. Ces signes d’un retour à « la vie d’avant » sont encore plus perceptibles quand on sait qu’un préavis de grève est déjà déposé pour lundi prochain.

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à Bernard :

Je viens de voir les "Quasimodo/Notre-Dame" sur la box. Comment appeler cette nouvelle série ? J’ai pensé immédiatement à un lointain cousinage avec les dessins de Hugo, les tours de châteaux, les oiseaux qui tournent autour, comme j’avais pensé immédiatement à des possibles décors pour la petite renarde de Janacek avec la série précédente. Avec mes images, c’est toujours l’existence qui précède l’essence…

Cette série de quatre ira donc à Luxembourg. Accompagnée de quelques autres (Reflets 2, 3, 4 ?)

J’angoisse à mesure que demain approche.

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LE SUBLIME DE LA CATASTROPHE

Le sublime de la catastrophe serait la conclusion du dernier ouvrage de Michel Onfray (« L’art d’être français »).

Notre époque ressemble à celle de Saint Augustin qui voit s’effondrer la civilisation gréco-romaine et ignore celle qui va la remplacer : la civilisation judéo-chrétienne. Une peinture de Monsu Desiderio le représente marchant seul sur la plage, la ville en ruines gigantesques ne peut manquer de générer ici le sublime… nous sommes dans cette période de tuilage entre deux civilisation. Nous savons quelle civilisation nous quittons : celle qui, après avoir hérité des gréco-romains, a produit le christianisme revu et corrigé par la rationalité de la Renaissance puis des Lumières. Deux mille ans ont permis de parfaire cet objet civilisationnel aujourd’hui fêlé, ébréché, cassé, sinon démodé… Segalen raconte dans les « Immémoriaux » comment les remplacements de civilisation s’effectuent, que celle qui laisse sa place est déjà morte : ça n’est pas l’afflux des migrants qui tue l’Europe judéo-chrétienne, c’est parce que cette Europe est morte que les afflux de migrants ont lieu. Dès qu’un ancien maori ignore les généalogies de son peuple et reste muet un jour de leur déclamation rituelle, l’acte de mort de la civilisation est dressé. Les colons chrétiens peuvent alors débarquer et imposer leur religion. Ce n’est pas la venue des Jésuites qui tue les maoris, ce sont les maoris, ignorant leur histoire, donc leur passé, qui rendent possible la substitution d’un présent qui travaille à un autre futur… Cette loi fonctionne pour toutes les civilisations qui meurent d’épuisement…

Il se peut que le judéo-christianisme laisse place à une civilisation islamique qui n’aura qu’un temps et sera localisé… L’Islam devra composer avec une civilisation technique ayant porté le monde à son point de modernité. Et la technique fait mauvais ménage avec une pensée féodale. C’est l’une ou l’autre, l’une pouvant tuer l’autre, mais jamais l’une avec l’autre…

… L’avenir n’est pas à la négation de la technique, mais à la radicalisation de la technique. Aucune civilisation ne se fera malgré elle, contre elle et surtout malgré et contre celle d’aujourd’hui qui a impulsé le mouvement contre lequel rien ne sera désormais plus possible. Cet avenir ne se construira pas avec une religion ancienne… mais avec une religion nouvelle à même de fonder, idéologiquement et ontologiquement la civilisation appelée à remplacer la civilisation judéo-chrétienne, mais aussi l’une ou l’autre des civilisations locales obéissant encore aux spiritualités anciennes. S’il peut encore advenir une suprématie de l’Islam, celle de la Chine, de l’Inde, elles ne le seront que dans une aire de la planète précise mais pas sur sa totalité. Ce seront les derniers feux du local avant l’avènement du global…. Ce pourrait bien être la civilisation transhumaniste…Elle est déjà en marche…

Elon Musk , cet homme qui par ailleurs est le plus riche du monde, a créé un certain nombre de sociétés dont Neuralink, société luciférienne : un microprocesseur implanté dans le cerveau d’un singe pourrait créer une chimère qui associe le vivant et la machine afin de conditionner le singe à agir comme ceci plutôt que comme cela. Qui peut empêcher que l’expérience soit menée sur un homme. Puis des hommes ?

Pour qui a lu 1984 on imagine bien que cette « intelligence artificielle » nomme le projet d’un crétinisme artificiel… Musk n’a d’autre projet que de réaliser le transhumanisme qui suppose l’abolition de l’humanisme de l’homme au profit d’un monde de microprocesseurs dont la maîtrise lui reviendrait, et aux patrons des GAFAM, en instaurant une société de contrôle des plus idéologiques…

Abolir la mort…

Survivre sous forme téléchargée dans des corps numérisés mixés avec des chairs clônées, c’est tout le projet tranhumaniste.

… faisons du passé table rase…

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18 Juin

Ce matin, c’est un réveil très tôt. Ma tête est pleine du Rameau du réveil des oiseaux, parce que probablement je me lève avec leurs premières salves de réveil, avant le départ des arbres en longs piaillements sous les vitres de la maison. Le ciel est décoré de petits moutons inoffensifs à la Boudin. Et c’est le départ pour la clinique Saint Jean.

A Bernard :

Ce matin je suis évidemment tombé du lit. Mais le sommeil fut bon. Il est 6 heures et j’ai déjà mis de l’ordre dans mes brouillons. A 7 h ou un peu plus tard ils m’obligeront à ce sommeil forcé…

Et si c’était comme ça le sommeil qui fait peur ?

Je n’ai pas eu d’anesthésie depuis trente ans. Sauf la coloscopie dont le sommeil passe à la vitesse d’un battement de cils.

Sombre (s)

et sombre (ent) effectivement. Il n’y a pas de troisième chance.

Le mois de Juin poétique sera beau, tu verras

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19 Juin


A Bernard :


Il est 6 h 01. Je ne dors plus depuis le premier pépiement de l’oiseau. Parce qu’il y en a toujours un, c’est bien connu, qui commence. Ils ne se mettent pas comme ça spontanément à faire leur tournée de gorge à qui fait comme -ci et qui fait comme çà, qu’on a toujours l’impression qu’on nous met un disque, genre « c’est le matin, les oiseaux chantent ». Non, c’est toujours le même qui commence. C »est le réveilleur. Cette nuit donc, j’ai mal dormi. Les intestins tourneboulaient à chaque mouvement sur le lit. Moi qui dort sur le ventre, je n’avais que le blanc du plafond pour décor. Et même dans le noir c’est monotone. J’avais pour une fois de l’avance sur l’oiseau tête de gosier. Ça commence très naturellement par une sorte de flutiau, genre Syrinx que Debussy avait prévu pour un film qui n’a jamais vu le jour. Comme il s’agit du début de la sarabande matinale, je me suis demandé à quel sorte de prélude opératique les oiseaux nous conviaient. Évidemment pas ce que les humains imaginent comme inauguration. Pas les aurores prévues par Wagner, pas même les accords graciles de Mozart qu’on sait primesautier rieur et si proche d’une grâce indéniable à proximité des anges. Les clarinettes, les hautbois tendres, les petits pipeaux, les cors lointains, ce n’est que du « à la manière de ». Le seul prélude qui épouserait la nuit finissante des oiseaux serait le prélude de Pélléas « Je me suis perdu dans cette forêt ». Entre nocturne et frisson d’angoisse. La comparaison s’arrête là. Le chanteur solitaire tourne une mélopée sans nom, il ouvre une page d’un livre comme avec la salive que les illettrés d’avant mettaient avant de tourner du doigt la suivante ; puis c’est un autre ébouriffé qui fait contrepoint, en canon, en moins enthousiaste, qui s’économise, en attendant que ça prenne un peu d’élan. Puis ils sont quatre ou cinq à faire la partie majeure, ils ont beaucoup à dire, ça ruisselle, ça ne parle jamais en majeur ou en mineur, dans ma forêt ils n’ont pas d’états d’âme……………………………………………

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Pour Poésie :

le titre des 4 premiers mois : PARC IMPERIAL (ça devait arriver)

le titre des quatre suivants (Mai/Août) : CLEMENS NON PAPA (tu verras avec curiosité la rubrique google)

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Comme dans les cauchemars, la civière ambulante ne te laisse que le loisir de voir les néons qui défilent dans les couloirs, comme des nénuphars au plafond. On te bichonne ensuite. Le grand cercle lumineux au plafond. On t’enveloppe sur un étroit lit de cuir noir, on te sangle. Les infirmières te mettent la perfusion, ratent une première veine qui glisse, on te met une couverture des fois que tu prennes froid, puis l’anesthésiste te dit dans une voix tranquille comme Sanson le bourreau "vous allez respirer dans le masque pour déstresser". C’est le meilleur moment du matin glauque à néons. Je me rappelle avoir dit " il ne manque que les ailes pour voler". J’ai cru du moins avoir prononcé les mots. Puis on change de masque, on change d’air…

Après, encore les nénuphars, immobiles cette fois, huit ou neuf, comme on peut compter en fin de soirée après boire les lampions des bistros. La voix douce de l’infirmière "vous vous réveillez, tout va bien ». On a en effet l’impression d’avoir raté quelque chose.

L’attente ensuite dans la chambre. Il faut pisser pour avoir le droit de sortir. L’anesthésie empêche de pisser et il faut pisser pour preuve que le corps est libéré de ses toxiques, de ses curares. A la huitième tentative. Entre 12 h 30 et 15h30.

Cécilia est à l’accueil, Y. a une casquette dix fois trop grande pour lui, qui lui écarte les oreilles. Il a les yeux grands, bleus écarquillés, que j’avais à son âge. Je le vois comme la petite renarde rusée chez Janacek, tuée par le chasseur, qui croit revoir celle-ci au lever d’un matin, alors qu’il s’agit bien des années plus tard du renardeau pareil à sa mère


9 heures


Je n’ai pas trouvé le Can que tu mentionnes. Et "Sapiens ", je croyais que tu l’avais déjà lu. J’ai fini le dernier Onfray. Le dernier chapitre est moins qu’optimiste… J’ai lu le Rimbaud. On sent que Tesson s’est forcé. Très dur de parler vraiment de Rimbaud.

Après la nuit de merde que j’ai passée, ce matin je sens tout le bas du ventre comme cisaillé. Je me drogue. On m’a donné 4 sortes d’antalgiques. L’horreur. Je ne prends que les moins forts. Je ne souhaite ça à personne.

C’est une sorte de bref chapitre de l’humanité.

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22 Juin


Quatre jours après l’opération, les douleurs sont plus supportables. J’observe un espacement plus grand dans la prise des antalgiques. Peut-être aujourd’hui vais-je profiter de ce début d’été. Dieu merci, d’où nous sommes nous n’avons aucun écho de la fête de la musique. De ces débordements infernaux de haut-parleurs. Comme je l’écrivais à Bernard :

 

Je fête la musique plusieurs fois par semaine 52 semaines dans l’année. En général je ne sors pas ce soir-là. J’y ai fait quelques belles rencontres pourtant. Il y a 10 ans, je faisais la connaissance de Julie à la dégustation, soirée pleine de rosée. C’était juste après le retour du Chili ; on avait des ivresses à justifier, des fables à raconter. Francis n’était pas encore rentré dans son pays en Dordogne. On avait même sorti le seau à glace…Elle est partie travailler au Cambodge un an ou deux. Elle a tenu une petite paillote au bord de l’eau. Elle m’écrit encore quelque fois. Elle habite maintenant chez ses parents à Bordeaux, au pied de l’Eglise Sainte Croix qui possède la Rolls des orgues créée par Dom Bedos, avec celle de Saint Maximin, soyons juste. Ça aussi c’est de la musique. Va voir la beauté du buffet. Et si tu peux entendre quelques extraits, c’est rond, souple et plein. Voluptueux. Une sonorité presque trop riche.

Je vais mieux aujourd’hui, mais toujours sous médicaments.

J’ai hâte de voir les Notre-Dame.

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Mettre des montres bon marché avec de jolies costumes froufrouteux d’époque pour chanter « Casta Diva », je trouve ça laid et anachronique. Manquant de grâce. On a même vu dans certains péplums, des bras et des mains levées, pareillement, qui laissaient apparaître des montres aux poignets sans que la production en ait remarqué l’anachronisme. De même que j’aurais trouvé indécent que Jacques Anquetil mit un bracelet/montre dans un contre la montre. Ce qu’il faisait pourtant… (réflexion destinée à Antoine Blondin).


A Orange, pour la reprise des spectacles et notamment la réouverture du grand théâtre antique, on a remarqué l’aisance d’Ambroisine Bré, future grande mezzo à la voix ample et ambrée « … J’ai perdu mon Eurydice … »

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23 Juin


A Bernard :


Je n’ai pas encore envoyé la sélection pour le concours. Ce soir ce sera fait. Tu auras la primeur de celle-ci. Je traîne les pieds. La renarde garde tous mes espoirs.

Une seule certitude pour cet été. Le stage de langue de Cécilia en Allemagne. Elle parle déjà bien l’allemand, mais pour ne pas perdre le bénéfice d’un séjour tous frais payés, elle sacrifie à ces stages une fois sur deux ou sur trois.

La dernière fois c’était Londres. Cette année ce sera Heidelberg. Je viendrai la rejoindre en fin de semaine ou je resterai à Colmar durant le temps du stage (avec virées alentour).

Monique Ariello nous invite à son expo et à un concert privé (trio Anton : la pianiste japonaise est sa fidèle mécène) le 7 septembre. Original. Mais son bled est vraiment perdu. Le concert serait à Barcelonnette. On se croirait dans un roman de Giono. Je viens d’ailleurs de finir le tout petit "Giono Furioso" de Emmanuelle Lambert. Je lis beaucoup avant de devenir aveugle. Je n’ai jamais autant fatigué mes yeux. Avec le ventre éventré j’attaque l’été avec enthousiasme. En plus je passe en revue les œuvres théâtrales de Georges Aperghis. Pour des oreilles ne craignant pas les coups de cerveau. Il y a chez lui des idées radicales dont j’adapterais bien mes écrits mis en scène. Une idée à suivre.

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… Avec l’été, le moindre frisson de brise me conduit vers Venise. Comme il est impossible de s’y rendre à chaque instant, c’est le basson des concertos de Vivaldi qui dirige la manœuvre. N’importe lequel, et c’est le pont de l’Academia, les quais près de l’église San Giovanni Battista in Gongorà ou n’importe quel canal fuyant vers le crépuscule …


Avec Luigi Nono, ce sont ces bruissements de voix étranglés, ces cris dans l’hyper aigu, le marché de La Guidecca, les mouettes qui battent des ailes, les jardins secrets au bout de l’île où a habité Huntderwasser.

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La médiathèque est bien calme. On y expose de surprenantes petites peintures de peintres niçois ou de la région. De magnifiques et très poétiques Alexis Mossa, du vallon de Magnan tel qu’on ne l’a jamais connu, des quartiers de la ville aujourd’hui disparus, d’idylliques chemins des collinettes, des vues du Vieux Nice de Charles-Martin Sauvaigo. Pour une fois l’espace exposition est intelligemment utilisé.

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Le Marteau sans Maître dirigé par Robert Craft est un des plus fluides qu’on puisse entendre. Marjory Mac Kay, l’alto vocal.

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On parle de la mort comme d’une chose affreuse. Elle l’est d’autant plus que les vivants oublient jusqu’à la douleur même de leurs morts, bien avant de partir eux-mêmes.

……………………………………………………………………………………………………………………….Dans l’Histoire, la pire des déconfitures est de perdre politiquement ce qui a été gagné sur le terrain de la chair des hommes

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A Bernard :


…Je te remercie une fois encore. Je me fais penser à ces petits qui ne comprenaient pas en classe de maternelle ou même bien plus tard, que les maîtresses d’écoles qui attendaient de la transmission de leur savoir quelque chose de pragmatique quand je m’en allais chercher un sens second, « Louis, tu n’as pas écouté, je te demande à quoi peut-on dire que le petit Poucet est intelligent". Je devais répondre "parce qu’il a envie de revoir sa maison", alors qu’elle attendait de je réponde "les cailloux etc." J’avais un coup d’avance sans m’en rendre compte. Et ce n’est pas que j’aille droit au but. Je prends des chemins de traverse. On m’a reproché ma distraction. On m’a dit autiste (un certificat de psy l’atteste pour m’exempter du service militaire), mais le mot autiste a plusieurs sens (à l’écart, en ce qui me concerne). Tout ça pour te dire que je ne comprends pas toujours le cheminement matériel des choses. Cécilia a su souvent supplée dans la vie pratique. Si elle ne m’avait pas connu, elle serait quelque part directrice de banque en Colombie (elle a fait des études d’économie poussée -d’où sa connaissance de l’Allemand – deux ans en Autriche au château de Klessheim réservé aux boursiers des pays du tiers-monde) ou ailleurs. Elle a le sens des choses concrètes et n’entend absolument rien à ce que je peux penser ou écrire. On arrive à franchir pourtant trente-sept ans ensembles. Elle a l’intuition…

Je viens de prendre le Michelin des Châteaux de la Loire. On devrait y être entre le 8 et le 18 Juillet. J’entends me débarrasser du dossier du Luxembourg. Je garde toute mes chances avant de recevoir le verdict en décembre. En dormant tranquille. En tous cas je n’enverrais pas de point noir sur une toile blanche ni un bidet accroché au plafond.

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25 Juin


A Bernard :


Je ne sais si on risque d’avoir des bidets accrochés au plafond, mais il y a une tendance néo Duchamp qui sévit dans les musées d’art contemporain. Certains surfent sur le courant. Je sais qu’un candidat de l’an dernier avait proposé 4 arrosoirs alignés accrochés comme à un porte manteau à un mur. Je ne sais quelle a été sa bonne ou mauvaise fortune. Ce sont les pompiers du XXI° siècle et ils ne le savent pas.

Parmi mes misères actuelles, je me retrouve ce matin avec les testicules violacés. J’ai appelé le chirurgien qui m’a dit que ce n’était "pas grave". C’est fou comme on fait confiance à ceux qui savent !

N’empêche. C’est sensible. Courbet y voyait avec raison le centre du monde.

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27 Juin


L’Université de Princeton (E.U.) décide dans un bel élan de revendications diversitaires de supprimer les études du grec et du latin, jugés colonialistes dans le fait que ces langues sont les langues d’origine de ce qui constituera la civilisation des futurs colons et donc de ceux qui oppriment depuis des siècles les « racisés » de toute la planète. Nous aurons bientôt l’onde de choc, qui, comme chaque fois, ne tarde pas à nous parvenir. Ce sera le grec et le latin, mais pourquoi pas aussi la langue dominante, le français. Je suis étonné que dans la même orientation on n’ait encore pas condamné l’archéologie et fait disparaître tout vestige du passé commun aux peuples d’Occident. Il est assez surprenant, et comme d’une belle ironie, qu’après avoir abattu tous les murs et tous les symboles attachés aux anciens jougs de l’Est, ce soit des Etats-Unis que ces totalitarismes maoïstes se déversent dans l’espace idéologique actuel. Dans le but avoué et tout à fait décomplexé d’arracher toute racine et tout pouvoir passé à l’horizon des diversités de demain.

Déconstruction, décroissance. Africanisation du monde. Retour aux cavernes.

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28 Juin


à Bernard :


Pour le concours je suis confiant. Peut-être parce soulagé d’avoir eu à faire des choix, sans regret. Je pense que j’ai mis en avant le meilleur. Sous des facettes différentes.

Il y a maintenant, outre les 17 Renardes, 3 Notre-Dame, 3 Reflets, puis un Saltimbanque et un Guignol’s Band.

25 envois en tout. Pour 2 sessions. L’avantage des 2 sessions c’est qu’on présente toujours les œuvres montrées lors de la première session. Donc 2 chances plutôt qu’une.

Les grands préparatifs commencent. La logistique (distance d’un château à une grande ville, d’une ville à un village etc.). Pour 10 jours du 8 au 18 juillet. Cette année on s’y prend tard. Céci a dû changer ses dates.

On ira vers la vallée de l’Ubaye en un saut de puce en Août durant l’expo de Monique Ariello.

Puis ce sera Conques aussi en un saut de 3, 4 jours. On en avait trop parlé. Je crois que les proprios de l’auberge st jacques ne me reverront pas. Ils doivent avoir une jolie retraite du côté de Rodez.

Puis Heidelberg en septembre, et les environs en Allemagne, ou peut-être en Alsace. Le riesling reste en terrain commun.

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P.S   Matin du 30 Juin


Et comme jamais rien n’est vraiment prévisible tout à fait, j’attends le dernier jour de la seconde session du concours pour ajouter à mes vingt-cinq œuvres déjà bouclées dans le dossier, l’inattendu « CASSE LE TUNNEL DU TEMPS », titre qui m’a été suggéré par Juliana, tard hier au soir. J’y reprend la technique des anamorphoses en superpositions, plus abstraites, et au chromatisme au lyrisme contenu, dans la gamme de tonalité plus limitée dans les bruns et les ocres foncés. « La Petite Renarde Rusée » s’ouvrait sur un vif chromatisme proche de l’opéra de Janacek, de la fable et de l’onirisme, « Cassé le tunnel du temps » est plus anguleux, dont l’origine plonge certainement dans une vieille frayeur sous forme de vertige ressenti la dernière fois à la City de Londres, sous le cornichon de verre, et plus près de nous dans le temps, lorsque je me suis hissé au sommet de la tour médiévale qui surplombe Tarragona.


Et puis, il y a la « Maison de Hansel et Gretel » sortie d’un ciel chargé de nuages, d’une pellicule de verre qui fait un rempart a une vision trop crue. Le voile de mystère, préludant à la nuit fantastique des forêts, donne malgré tout une vision sereine et poétique d’une maison vierge et solitaire, enserrée entre des échappées de ciel et un halo infranchissable et éphémère comme une fleur fragile.

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à  Bernard :


Je te donne une bonne nouvelle mêlée d’un bémol, ou plutôt d’une petite déception pour moi. J’avais secrètement l’intention d’écrire une sorte de "visions de Nice" à la manière de Visions of Johanna de vieille date, et je ne t’en avais même pas parlé, et pour cause, je voulais que se soit secret jusqu’à la mi-parcours de ce projet. Le bémol et que Patrick Besson vient de publier un "Nice-Ville" il y a quelques semaines. Qui plus est sous la même forme décousu que mon carnet. Donc il me coupe un peu l’herbe sous les pieds.

Évidemment le sujet est inépuisable, et je compte bien faire un livre purement lié à mes cinquante et quelques années ici. Après tout c’est presque légitime. Plus encore ; un devoir. Ce sera sous forme libre et tu en auras la primeur après les 100 premières pages.

(Je me sens un peu comme de Funès dans ce film où il pousse le ridicule à ne pas se faire doubler par d’autres véhicules au démarrage des feux rouges… étant ici chez lui.)

Le titre serait : DE NICE, DES JOURS ET DES NUITS

Je vois bien la première phrase comme : "Ce livre se doit de faire chanter les points d’exclamation. Vivre à Nice mène à la voie lyrique par une facilité des plus naturelles…"

Voilà, entrons dans le jeu. Tu n’auras rien d’autre avant un certain temps.

D’autant que je n’en finis que ce soir avec le concours. Dernier délai minuit.

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Alain Jacquot me fait parvenir par la Poste un enregistrement tout frais de l’Association des Amis pour la Mémoire de Paul Paray et de son œuvre complet. La Poste distribue donc encore des lettres écrites à la main, avec des enveloppes, des timbres qui n’ont plus aucune couleur, ni aucune fierté. (C’est la rançon de l’indifférence et de l’absence de vision et de projet du pays sur l’avenir). Y-a-t-il d’ailleurs encore des collectionneurs ? La poste distribue pourtant du courrier et pas que les avis d’imposition. Ayant envoyé un jour une simple carte postale dûment affranchie de Rome, elle n’arriva jamais à destination. Le facteur auprès duquel je m’inquiétais fréquemment me répondit sans morgue « nous sommes en période de distribution des impôts, il y a urgence, votre lettre s’est peut-être perdue ». Non la lettre de Jacquot a été distribué. A l’ancienne. La Poste ne fait pourtant plus qu’une levée par jour, qu’une distribution par jour depuis trente ans au moins. Mais la Poste a dégraissé du personnel. Du personnel polyvalent. Par contre elle affiche la fierté d’être devenue une banque. La Postale, la banque postale. Ce n’est pas rien. Et le courrier de Jacquot, à dos de mulet probablement, parti de Savoie mit cinq jour à me parvenir. Nous ne sommes pas tombés en période de grève.

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Depuis plusieurs jours je remarque que mes rêves sont d’ordre analogique. Comme une marche harmonique de thèmes, d’un tissu qui s’entrecroise tel un déroulement polyphonique. Un oiseau s’élève dans le ciel, mes œuvres graphiques prennent de l’ampleur.

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1 Juillet


Google est un monstre froid. C’est le Hegel du Savoir Absolu qui aurait imposé sa vision du temps et de l’espace, la maîtrise des continents, du ciel et de la terre aussi loin que porte le regard, au triomphe absolu donc, auquel on reviendrait fréquemment. On pourrait croire à une nouvelle Phénoménologie de l’Esprit, une voie ouverte au masochisme contemporain. Il ne rend jamais copie blanche. Jambe, genou, astre pur, des myriades d’autres connaissances et toujours pertinentes. Bien au contraire, c’est l’épaule amicale sur laquelle se reposer, la béquille des ignorances. Ne prenant jamais partie idéologiquement sur les sujets les plus sensibles. Monstre froid que je soupçonne tout de même d’être aussi impartial qu’un arbitre un certain soir de France Allemagne 82 à Séville.

……………………………………………………………………………………………………………………….Bernard me dit que Paris s’est vidée. Il n’y a plus personne sur les berges de la Seine, même les vélos ont disparu, quoique l’anarchie des trottinettes encore… La capitale prend ses vacances.  

Le Square Eole près de Stalingrad a refoulé ses toxicos derrière des grilles. Comme des singes. Après bataille rangé des jours qui avaient précédé. Ils ne tarderont pas à les franchir la nuit venue. Les riverains excédés avaient demandé que cessent les viols, les agressions verbales et les menaces, les vols de portables. La paix n’est revenue que quelques heures. Certains riverains maintenant insomniaques cherchent asile vers d’autres cieux ou simplement chez le psychiatre. Anne Hidalgo est venue, entourées de ses édiles, et les photographes de photographies sélectives ont pu la voir sourire des yeux (elle respecte le port du masque en plein air), souriant pour le clin d’œil électoral perpétuel, à l’attendrissant bébé chevreau traîné là pour des besoins de nature et d’écologie

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Les mêmes Verts de toutes tendance ont voté hier la Procréation Médicale Assistée.

Loi hautement conforme à la nature.

Les Ecologistes, un coup c’est Nature, un coup c’est en avant toute !

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à  Bernard :


J’ai tourné provisoirement et avec soulagement la page du Concours du Luxembourg, là ! Je viens d’ouvrir le chapitre « De Nice, des jours et des nuits ». J’ai remarqué que les livres sur Nice à destination de toutes sortes de lecteurs étaient abondants ; je n’ai pas l’intention de les concurrencer. Ils sont trop savants, pris trop de recul et d’avance sur moi ; mais comme dit dans le courrier d’hier, je suis légitime après 57 ans ici. Bien sûr qu’ai-je fait de toute cette masse d’impressions, de souvenirs ?

J’en ai perdu en route. Il en reste suffisamment. Ce sera simplement une fantaisie littéraire, une promenade mentale dans les allées et contre allées de Nice. Et de moi surtout dans ce théâtre de Nice. Le seul point commun avec les écrits sur Nice déjà en librairie, c’est que j’aurais des chances qu’un éditeur s’implique et des chances d’en vendre plus tard en librairie en rayon régional. Quand je pense à cet anglais qui m’a fait corriger son minable doublon, enième édulcoration sur Nice qui ne m’a pas même mentionné pour les fautes d’orthographes, alors que j’ai rendu une colonne vertébrale à son torchon prétentieux. J’ai même oublié le nom de ce "Lorenzo" Böhme, colonialiste anglais toujours vif.

Et donc départ jeudi (les nuages restent affreusement "blancs" sur tout le centre ouest du pays pour les jours à venir… cauchemar de photographe). Entre temps on attend le remplacement du frigo agonisant.

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A Monique Ariello :

 

J’ai bien reçu votre petit carton d’ouverture d’atelier. C’est très gentil.  Si nous passons vous voir ce serait en Août (quand ?).  J’espère vraiment.

En attendant nous partons vers les rives de la Loire jeudi 8. Pour 10 petits jours. Nous longerons tranquillement les rives d’Angers vers Orléans, c’est-à-dire de Fontevraud à saint Benoit sur Loire approximativement.

Longtemps que je n’abordais plus ces rives-là.

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2 Juillet

Dans les années soixante, le féminisme de Simone de Beauvoir, s’est, comme aujourd’hui dans certaines banlieues, arrêté dans un grand silence, aux portes des valeurs du FLN. Elle fut renvoyée à sa bourgeoisie occidentale, comme notre ministresse actuelle, Schiappa, se refuse de porter le féminisme au-delà du cadre des revendications bien sanglé des valeurs d’égalité dans une société patriarcale en débris. Loin de la sphère dans laquelle se trouve reléguée la femme musulmane. S’interdisant, comme toutes ses sœurs de combat, d’entrer au-delà de ce seuil.

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A Bernard :

 

 

En fait je ne sais pas vraiment si le concours (2° session) est déjà fermé, mais j’ai pu passer ce matin une image (la plus belle), GALAXIES DE BLEU. J’en suis ravi. Effectivement, pendant que tu te roulais dans les vagues, j’étais sur la terrasse, bien au soleil tapant, et je captais dans un bain d’encre bleu achetée du matin, ces images que tu as reçues. Évidemment toutes n’iront pas au prochain photo/poème, et une seule a franchi le dossier pour Luxembourg. La matière est riche. Le mystère réside dans ce grand verre (que m’avait offert Dany la Piaf) qui n’est qu’un petit microcosme. Il m’a suffi de l’envoyer, comme Kubrick, quelque part dans les grands inconnus bleus galactiques.

Ce 30 Juin a été une journée féconde (idée du Nice de nuit et de jour, travail sur le verre et les reflets colorés, point final aux poésie du mois, et mis au point définitif des flâneries prochaines sur les bords de Loire).

Tu ranges bien les images d’hier. Seules 4 ou 5 seront dans le site.

Je vais tenter du rouge.

Le bon Dieu a dû procéder comme ça. Une couleur par jour. Rimbaud est parti des voyelles. Bach est parti de 6 suites pour violoncelle (la septième non créee pour cause de repos divin hebdomadaire), et tu voudrais que je ne mette pas mon grain de galaxie dans tout ça !?

Maintenant je vais me reposer devant une autre merveille : les paysages du Tour de France

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L’Europe : Parlement sans peuples

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 Bernard :

 

…  toutes ces salamalecs, excuses des colonialistes envers les peuples colonisés, reconnaissance de génocides et autres belles actions moralisantes, ne sont que des actions de marketing de nos démocraties soi-disant avancées

et expertes en droits de hommes…

 

 Moi :

–        Marketing ? En « Europe » c’est sérieux le marketing. Et qu’avons-nous donc à gagner dans ces marketings de repentances ?

 

–        Sociétés soi-disant avancées ? Apparemment les candidats pour venir y vivre se bousculent dans ces sociétés « soi-disant ». Toujours la haine de soi ? Ça me fait penser du temps du communisme à plein régime où mes copains communistes purs n’écoutaient paradoxalement que ce qui swinguait du côté de New-York, cinéma, jazz, rock and roll, gaudrioles…

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Bernard :

 

J’ai discuté avec un écolo qui m’a dit que les paysans râlent toujours, mais que c’est mieux que les centrales atomiques.

 

Moi :

C’est bref, mais j’en déduis que le camarade écolo est loin d’être « paysan ». L’essentiel est évidemment d’être contre le nucléaire, (c’est l’examen même de passage au candidat à l’écologie), que l’Allemagne continue pourtant de nous en acheter, que c’est un des rares domaines où nous avons une indépendance absolue, que c’est une énergie non polluante, que les autres pays se dotent de réacteurs à venir, et que la Chine, quant à elle, attend bientôt sa centième centrale  pour bientôt, que le parc éolien ravage le paysage qui fait râler les paysans, mais qui ferait de même râler les écolos sous leur fenêtres, (mais ils sont loin), et pourtant le paysage est semble-t-il l’essence même du passé et de ses vertus « durables », ce parc éolien « n’émettant » de l’énergie qu’à raison de 15% des besoins quand ça marche et  qui vrille à la moindre tempête, que c’est en fait un marché que les industriels allemands ont imposé aux autres depuis longtemps.

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3 Juillet

 

La solitude de l’eau indolente

J’ai écrit un poème rien que pour y inclure la phonétique d’Alcibiade. Je n’écris pas que pour des caprices de phonétique de séduction, mais comment ne pas y résister ?

Y. me dit qu’il ne connait pas de chansons, qu’on ne chante pas dans sa classe. A son âge, on chantait « les rois mages » de l’Arlésienne de Bizet en canon à 3 parties. C’était dans les années soixante. Quand un peuple a perdu la mémoire de ses chants…

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Bach n’aurait pas connu d’évolution. Il n’aurait pas connu cette enfance de la création. Il aurait toujours donc eu la maîtrise d’un langage sans âge et sans déclin. D’autres, et de la plupart, on parle d’œuvres de jeunesse, de maturité etc…

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A Bernard :

 

Comme c’est étrange, la semaine dernière une émission de France Musique passait inhabituellement du Gaston Couté. Que j’ai écouté distraitement dois-je dire. Ce matin Claude de chez Sauveur m’envoie de façon tonitruante (il a dû confondre le téléphone et whatshap) une video d’une chanson de Brassens. Il les connaît toutes par cœur.

En Juillet on lâche la bride. Cette année plus que d’habitude. En me couchant hier j’entendais les éclats venant d’un jardin assez distant pourtant, qui ne manquait pas de rires et de gentils gloussements. Des filles surtout. La maman avait prévenu le voisinage que la fille ferait un anniversaire. Je me suis endormi souriant, pensant qu’à dix-huit ans c’est bien normal. A trois heures du matin, ça ne rigolait plus. Des hurlements d’errénies, des invectives qui laissaient imaginer les gestes et les menaces, bref les furies, avant qu’on entende quelques voix masculines, ce qui faisait d’étranges mélopées eschyléennes, des choeurs à deux, trois voix gutturales ou dans l’hyper aigu. Ce qui m’a frustré ce n’est pas tant d’avoir perdu le sommeil, c’est que, comme dans les tragédies de Xenakis ou dans certains opéras d’Aperghis, je n’ai pas compris la moindre parole d’un livret que je suppose en français. Dans un sens c’était un spectacle sonore d’une belle richesse d’énergie, à haute teneur émotionnelle et j’ai trouvé que ça relevait d’une très crue véracité opératique. J’ai dû me rendormir ; très peu, vers quatre heures, en postlude quelques voix masculines tenaient encore la scène devenue bien pâle, sans plus aucune voix de femmes. Elles avaient donné toute la puissance des maléfices, des tortuosités de serpent au pic du minuit. Voilà l’été est lancé.

J’ai essayé d’entrer dans des fictions, des romans. Je n’y arrive plus. Je me prive certainement de belles choses, mais c’est ainsi. Trois cent pages avec descriptions, dialogues, tirets, il parle, elle répond, l’intrigue, la chute finale etc. Même Modiano qui a l’air d’un gentil garçon et qui a la délicatesse de ne pas faire à la Thomas. Mann ou à la Hermann Broch, je sature avant d’y avoir pénétré. Question d’impatience. Je me concentre sur des ouvrages de réflexions, d’histoire ou d’actualité contemporaine. Je ne lis pas le Monde non plus "journal de référence". Je ne connais pas Jérôme Nika, il y a tant de magiciens informaticien musicien. Mais passer dans le Monde est une belle opportunité. Auprès de ses pairs peut-être aussi…

J’ai l’impression maintenant de tenir deux Carnets. « De Nice, des jours et des nuits » est entamé. Je vais essayer de trouver le ton juste. Ça commence ainsi :

 

 "Ce livre se doit de faire chanter les points d’exclamation. Vivre à Nice mène à la voie lyrique par une facilité des plus naturelles…" Moi-même.

 

Je fais ma dernière sortie de samedi dans quelques heures (en fait je ne vois presque personne en semaines), voir Claude et ses multiples cancers (sa femme en a aussi), et les habitués qui vivent à deux pas du bistro.

On s’en va jeudi. Après ce sera silence message durant dix jours. On verra si on revoit Tavant. Ne serait-ce que pour m’assurer que la clé géante…

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4 Juillet

 

A Bernard :

 

Oui, le titre des peintures bleues sera GALAXIES DE BLEU.

Les écrits, à peine commencés sur Nice seront, comme dit précédemment, une libre fantaisie au gré du kaléidoscope des souvenirs. Il ne faut pas s’attendre à quelque chose du genre, Nice Baie des Anges avec descriptif de la ville, comme autant de plans (Lisbonne Pessoa) ou récit de l’enfance bougie d’anniversaire par bougie d’anniversaire. Pas plus qu’un guide touristique, pas plus qu’une dissertation sur, pas plus qu’un historique du comté de etc.

Il y a déjà tout ça en librairie. Je crois d’ailleurs que le titre sera « DE NICE,DES JOURS ET DES NUITS, libre fantaisie sur une ville aimée ». L’idée est là.

Ce ne sera pas certes un roman (après ce que j’en ai dit au dernier courrier), mais un carnet (thématiquement niçois) dans le carnet. Et détachable et commercialisable. Diable.

L’iRCAM évidemment c’est la Mecque (institutionnelle et aussi technologique) de la contemporaine. Boulez avait, avant de disparaître, laissé la main à Matthias Pintscher, manitou du vaisseau et aussi chef d’orchestre et compositeur.

Même si aux Etats-Unis certaines universités possèdent des technologies voisines, parfois plus pointues, l’IRCAM reste la destination la plus prestigieuse pour les résidents ou les compositeurs confirmés.

Il y avait grand monde ce samedi au Sauveur. Ça revient comme aux plus beaux jours :" Jamais il n’aurait dû le manquer le pénalty, c’est les italiens qui vont la gagner, non les anglais ! On les aime pas ceux-là, à Nice on a manqué le recrutement etc." Il y a toujours un moment de parasitage footballistique avant de revenir aux platitudes électorales ou à la santé qui déglingue. Mais c’est toujours sympa tous ces propos de café ou de retour de marché. Reste qu’il y a moins de tables serrées les unes contre les autres au début des débats, et pour finir c’est le coude à coude en début d’après-midi, comme dans la tactique du voleur chinois. Avec les verres de rouge, c’est le mouvement le plus naturel. Et toujours ce goulet où s’engouffre les foules et les femmes à jour ou contrejour. Et le plus lentement possible parce qu’on prend la moitié de la chaussée…

Encore trois jours et on est sur la route. Première étape, le plus à l’Ouest, Angers. On remontera la Loire jusqu’à Saint Benoît, anciennement Fleury sur Loire au gré des curiosités. Et il y en aura…

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Ce dimanche, une nouvelle invitée à la Tribune des critiques de disques. Une psychanalyste. Psychologue, coach en entreprise. Pleine de décorations morales, de prestige social. Elle découvre la musique (classique) depuis peu. Depuis les débuts du confinement (!). (Une psy rockeuse ça racle forcément tous les replis de l’âme). Aura-t-elle même déjà lu « L’homme à la recherche de son âme » ?

        Une œuvre que vous emporteriez sur l’île déserte ?

Longue hésitation.

        Bernstein, c’est très groovant.

Depuis Jung, si le savoir, le niveau d’érudition et de culture ont bien baissé, il ne s’en est pas moins non plus débraillé.

Déjà, lors d’un stage de récupération de points de permis de conduire, j’eus à répondre à un test visuel lequel me faisait penser à des taureaux aux parois de Lascaux. La psy du stage reprit ma réponse pour l’assemblée des punis de la circulation routière : Quant à Louis, il voit là une possible analogie avec les grottes d’ALASCO »

L’élision fut d’autant plus audible que quelques sourires apparurent dans l’assemblée.

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Patrick Besson a écrit un ouvrage en vrac sur Nice. L’homme aux quatre-vingt romans. Vise-t-il les cents ? En le parcourant on apprend qu’il décline une appartenance de gauche très « communiste non pratiquant ». Bien vu. Les religions du progrès ont également leurs « non pratiquants ». Même lorsque certaines religions disparaissent, les adhérents continuent d’animer l’âme du cadavre. Pour vouloir partager avec tous les damnés de la terre Besson n’en pose pas moins ses valises à l’Exedra sur le Boulevard Victor Hugo (ou on y gare les plus belles voitures de la ville) ou au pire, mais sur la prom tout de même, au West-End. Symboliquement il n’a pas osé le Negreso. Qu’il invite ses amis à la Petite Maison, qu’il entretient une relation avec une maîtresse d’école Algérienne. « Algérienne française » dit-elle (que de contorsions). Il oublie le moment et le lieu de la rupture. Il aime les femmes faciles, les prostituées, certainement les poupées qui se gonflent sans rien dire. Il nomme toutes les créatures féminines qui l’entourent par leurs initiales. Il caresse son côté Scott Fitzgerald. Il ne pourrait rouler qu’en Porsche. Que tout cela se finit par quelques pages sur Monaco, le stade Louis II. Au final donc, une certaine vue hautaine et parisienne sur Nice. Besson laisse une image de vieux play-boy qui se veut encore vert, fasciné par ce que Nice peut offrir de luxe pour tempes argentées. On n’apprend même pas que la moyenne Corniche est la plus rapide des trois une fois la nuit tombée, puisqu’on le savait déjà. Besson me laisse dans une antipathie certaine. Et quel ennui pour une telle balafre sur la ville.

Pourquoi ses livres ne laissent-ils pas de traces ? Besson n’est pas Balzac.

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7 Juillet

 

Encore quelques peintures numériques, nerveuses, colorées : FUGUES A X VOIX .

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A Bernard :

 

 La valise est prête, les peintures vont se reposer. Je m’amuse avec les premières pages du "roman" sur Nice. J’ai appris chez Sauveur, parmi les érudits, que Mick Jagger jouait les châtelains au Château de la Fourchette, face à Amboise. Il y a pire comme confinement. On le voit binant en costume paysan sentant la naphtaline une partie de ses quelques hectares de jardins pour des photographes probablement convoqués pour la pose, et on le voit aussi habillé en vieille femme fantôme décadente, ce que j’ai toujours pensé qu’il était depuis les années 80. Et demain Angers.

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20 Juillet

A Bernard :  RETOUR DE VAL DE LOIRE

Je commence à reprendre le rythme d’ici. La chaleur. Nous avons quitté à regret des paysages verts et des ciels changeant, des régions qui semblent encore dans les demies saisons, vers un printemps qui a du mal à venir. Mais c’est si reposant. On dort la nuit d’un seul trait.

On a donc respecté un cheminement d’Ouest en Est : Angers, Tours, Orléans. Par Chinon et de moindre villes en bordures de Loire, de Cher et de Vienne. J’ai cru comprendre qu’au sud d’Angers le chemin bordant la Loire était certainement le chemin vélocipédique qui tu as dû emprunter un peu avant moi. Très plat, vert et égrenant de petits villages et des hameaux. Tu as dû rencontrer l’abbaye de Cunault un peu avant Candes-Saint-Martin. Quelle belle région. Et que de lumières changeantes. C’est pourquoi je vais écrire "Ciels en val de Loire".

Enfin tu auras le récit de ce périple dans le carnet en date du 8 au 18. Il ne sera surement pas achevé à la livraison de la fin du mois. Tant pis.

 

Le cancer, la maladie, ça arrive toujours à un moment, à l’improviste. Parfois ça se dessine longtemps avant. Comment s’y préparer ? Ta théorie de la génétique d’hérédité fratridienne a dû te sensibiliser particulièrement. Tu es au meilleur poste d’observation. Mais chacun a sa particularité. Sinon on ne serait qu’une série d’enchaînements sans surprises. D’un déterminisme absolu. Je continue bien sûr « la métamorphose de la rocaille syllabique » sans me soucier quand elle ne pourra plus articuler. Que deviendra le site, toutes mes poésies et le reste, lorsqu’on sera sans plus de force ? Qui pourrait continuer la pérennité comme d’autres sont protégés par les monuments historiques ou le dépôt légal. C’est vrai que je laisse un seul recueil où il pourrait y en avoir quinze. Et encore, sans les chances qu’ont ceux qui éditent chez des éditeurs dynamiques. Passé les premiers mois enthousiastes, le soufflé est retombé définitivement. Aurais-je le temps d’écrire cet ouvrage autour de Nice ? Celui-ci n’aurait pas le handicap de la poésie maudite. Car elle est toujours maudite.)

C’est vrai que Juin est marqué par le signe de Rimbaud ; on en avait déjà esquissé quelques raisons quand tu es venu. Je n’avais fait qu’ouvrir au hasard une édition acquise récemment, et ce fut un peu la madeleine, je revoyais les murs de ma chambre de la rue des Potiers "j’ai assis la beauté sur mes genoux et l’ai injurié, et je l’ai trouvé amère". Mes parents regardaient ça sans rien dire. Ce temps-là est loin; et puis on ouvre un recueil…

Je vais donc continuer sans me soucier. Jusqu’à ce que ça passe ou que le stylo tombe des mains. J’espère que j’ai du temps.

 

Je te donnerai des titres. Aucun ne s’est imposé encore. Et puis l’ordre des dernières photos numériques "FUGUES A X VOIX".

Je t’enverrai quelques photos de plus, pour que tu images le récit qui viendra.

 

CIELS EN VAL DE LOIRE       8 /18 Juillet

 Jeudi 8 Juillet

PRELUDES

Partir vers le Val de Loire, c’est s’accorder à ses ciels incertains, ses pierres, la grâce de ses constructions et la douceur légendaire des paysages, la terre des rois anciens. Nous partons donc ce matin avec légèreté vers Angers.

J’apprends que Mick Jagger possède le château de La Fourchette, juste au pied d’Amboise. Les érudits de Chez Sauveur m’ont appris ça. Il suffit aujourd’hui d’être une star (durant cinquante ans tout de même) pour acquérir un domaine en Val de Loire. Il fut un temps ce n’était que le simple miroir du pouvoir royal. On a fait tomber des têtes pour ça.

« Touraine est un pays

Au ciel bleu, comme un regard tendre.

Rien ne la vaut, Artois ni Flandre,

Bourgogne ou Comté mêmement.

Touraine est un pays

Au ciel bleu, comme un regard tendre,

Rien ne la vaut !

Les blés y sont plus hauts et les femmes plus belles !

On n’y voit que des fleurs, des nids, des colombelles…

C’est un vrai paradis ! un paradis !

Touraine est un pays

Au ciel bleu, comme un regard tendre,

C’est mon pays ! » Panurge – opéra de Massenet

J’ai toujours eu peur d’oublier ces paroles qu’on chantait dans les soirées arrosées avec Michel Guillon dont Tours était le pays. Bourgueil, Chinon, Montlouis à boire… et à chanter avec ce léger tremblement de vin blanc que seul Vanni-Marcoux avait à la perfection quand il déclamait ce passage.

De toutes les espérances, de tous les petits soucis des jours qui s’étirent, du temps qui passe sur les paysages, la pierre, et les plus insondables des instants, à l’instar d’un clignement des yeux, c’est du ciel, ou plutôt des ciels infinis d’ici, que nous dépendons. Du caprice qu’ils prennent dans la course du jour et de l’habillement qu’ils décident de revêtir. Le gris, le bleu…

Dans les axes théoriques du bonheur, Teilhard de Chardin définit trois attitudes différentes face à la vie :  1) Les fatigués (ou les pessimistes), les mal engagés qui quittent assez vite le jeu. Ceux qui pourraient aboutir à la sagesse hindoue, pour qui l’Univers est une Illusion et une chaîne, ou à un pessimisme schopenhauerien. « A quoi bon chercher ? »

2) Les bons vivants (ou les jouisseurs). Pour cette deuxième espèce, mieux vaut être que ne pas être. Jouir de chaque moment, pour lequel l’idéal de vie est de boire sans jamais étancher sa soif.

3) Et enfin, les ardents. Pour eux, il vaut mieux être que ne pas être, mais en plus, il est toujours possible de devenir plus. C’est d’eux que s’apprête à sortir la Terre de demain.

Bonheur de tranquillité. Bonheur de plaisir. Bonheur de croissance.

Si on exclut la première catégorie, nous devrions nous situer quelque part entre la seconde et la troisième espèce, parmi les voyageurs curieux qui creusent les jours vers toujours plus d’harmonie et de beauté sur l’écorce de la terre où nous mènent nos pas.

Arrivée à Angers vers dix-huit heures, au pied des fortifications et à l’entrée de la vieille ville. La lumière est légèrement voilée comme accompagnant ce voile de fatigue après dix heures de route.

De suite, on sent que la ville ancienne est désertée à l’endroit où les premiers pavés, les premières maisons anciennes se dressent. Le ciel, peut-être. Ou le coronavirus ayant frappé. La ville calme, le rythme plus lent. On entend l’écho des enfants qui jouent à l’angle d’une rue. La pierre blanche des lourds bâtiments historiques. La douceur de la lumière pénètre doucement, comme par progrès, couronnée de nuages qui quittent rarement le cadre du paysage. Les enluminures des Livres d’Heures de Jean Fouquet. On a comme besoin d’une certaine accoutumance à cette lumière qui caresse. La fameuse douceur angevine… Ce n’est plus la lumière à coups de serpe.

Ce qui change, au sortir du véhicule, c’est aussi cette absence de chant des cigales, quittés hier au soir.

En fait ce n’est pas la Loire, mais la Maine, qui baigne la ville à cet endroit. Depuis ses quais, la pente fait gravir par degrés progressifs, jusqu’au pied de la cathédrale. Et à chaque halte, grimpant vers le parvis, des bordées de saules pleureurs saluent à la manière des anciens temps, en forme de révérence, la grimpette que l’on se garderait de précipiter sans prendre la mesure des points de vue sur cette petite ascension aussi ravissante que la lumière dessinant le déclin tranquille du soleil sur les maisons et les jardins de chaque côté. Des groupes de jeunes désœuvrés jouent sur les marches entre l’ombre et la couleur des maisons fleuries. Comme d’un temps d’innocence. Les flèches de la cathédrale sont plantées dans un amas dru de nuages. Où que l’on regarde dans le ciel, les nuages sur le bleu, n’abandonnent jamais le cadre du paysage comme une signature. L’orgue est magnifique, assoupi et profond au revers de la façade.

Et puis les ruelles serpentent avec des successions de maisons à colombage, l’autre empreinte originale de la ville, comme elle le sera de Tours, d’Orléans et de toutes les villes des pays de Loire. De proportions et d’harmonie parfaite bien que dégringolant parfois les unes sur les autres comme s’épaulant, avec la descente du jour et les alternances de couleurs qui semblent n’avoir laissée aucune place au hasard, mais bien au mariage ancestral des fibres de la terre qui se prolongent dans les subtils passages des ciels éphémères.

C’est le premier verre sur la Place du Théâtre, maintenant gorgée de monde, et c’est un Savennières. Comme de l’or vert…

La Doutre est de l’autre côté de la Maine. Le vieil Angers y est ici sur des strates de temps superposées et tout à la fois s’interpénétrant. Les projets de rénovation et de réhabilitation de cette partie de la ville encouragent la construction de types d’habitats se mêlant à celui de grands ensembles de sociétés à venir. Le risque était grand de voir engloutir le vieil héritage d’architecture, de maisons à colombages, de jardinets fleuris et de constructions traditionnelles avec tourelles et toits en pointe. La fusion y est aujourd’hui plutôt heureuse. Les maisons modestes des débuts du siècle dernier s’étirent sur tout le long de rues communiquant vers de lointains quartiers de la ville. Les parties arborées s’étendent sur toute cette rive comme un vin tranquille. C’est la poésie du Du Bellay des toits d’ardoise et des cheminées qui fument l’hiver. Avant de traverser à nouveau la Maine, c’est sur une péniche du genre guinguette que nous prenons le Vouvray du crépuscule. Le gérant colombien s’y est installé il y a quelque temps déjà et arbore fièrement le drapeau au mât de la coque flottante. Il n’y a ici que des jeunes qui parlent bas et qui dégustent. La lumière de porcelaine est dans le couchant. Il n’y a pas de point de vue plus classique embrassant l’ensemble de la ville que celui qui nous est offert. La pierre de la forteresse, la façade de la cathédrale qui jette son reflet sur l’eau, et les maisons sur la partie haute de la ville, sont enserrées de teintes de pain d’épices sur un ciel serein parsemé des quelques indispensables nuages effilochés. Sur la berge qui fait face à notre péniche, les saules pleureurs opulents penchent jusqu’à tremper dans l’eau du fleuve. Des migrants, par groupes discrets s’apprêtent à investir les lieux pour la nuit.

Nous remontons doucement vers l’autre rive, au pied de l’escalier qui se dresse jusqu’au parvis de la cathédrale. Ces escaliers paraissent le théâtre de jeux et d’animation improvisés. Des jeunes filles aussi vives que des peaux-rouges en peintures de guerre m’encerclent et me demandent de parler dans leur enregistrement vidéo où je dois simplement dire « je m’appelle Serge ». Ce qui aussitôt fait, provoque l’enthousiasme de la petite équipée.

Nous dînons « A la ferme », sous de gros arbres, relativement tard pour nos habitudes, sur la placette de l’évêque Freppel, apparemment très célèbre ici. Le clocher, au flanc sud de la cathédrale, est déjà éclairé mais le ciel reste encore incroyablement azuré. Pour finir la soirée bien avancée, nous nous perdons avec délices dans les rues tortueuses et étroites du vieil Angers, peu éclairé, mais dont on peut apercevoir au travers des fenêtres toute une vie intime et silencieuse. Les quelques éclairages rendent surdimensionnées les ombres des colombages et des toits pointus qui paraissent s’affaisser et tanguer plus encore que dans une peinture de Soutine.

Il est vingt-deux heures vingt. Nous sommes sur le promontoire qui donne sur la forteresse du Château d’Angers. La ville au pied de celui-ci rend son reflet de lumière qui se distille irréellement en vagues mirages sur l’eau du fleuve, jaune et bleu, encre et flamme de bougie. Le ciel rend encore un bleu de cobalt avec à l’horizon quelque fond de rougeoiement. C’est l’Ouest qui résiste.

Les cafés et les terrasses près de l’hôtel resteront encore longtemps animés d’une douce effervescence sur ce pourtour du Château. C’est le bien nommé « Promenoir du bout du monde ».

 

Vendredi 9 Juillet

 

Depuis la fenêtre de l’hôtel, le ciel est boudeur. Mais les fortifications sont encore pour quelques temps dans la lumière. En en faisant le tour, on voit bien que le château a été voulu par Saint Louis. Il a en effet un petit côté Aigues-Mortes en plus resserré, donnant une plus grande impression de monumentalité. Ce qu’on ne voyait pas hier soir, ce sont les très beaux parterres à la française aux douves, entre murailles et château. La statue du roi René restera dans l’ombre sur la place de l’hôtel. Après la traversée du pont, la Doutre est encore endormie. Aucune effusion alentour, mais de gros chênes qu’on est surpris de voir au cœur d’une cité, de la pierre de manoir, des colombages toujours au détour d’un angle de rue. Les ensembles de maisons neuves, ultra modernes ne dépareillent pas de ce côté-ci du fleuve en bordure des ruelles anciennes qui grimpent et qui descendent, bordées de roses trémières, ces roses qui font racines au cœur du macadam. L’harmonie des maisons basses sommeillantes et médiévales ont un visage plus pâles ce matin ; les rues portent des noms d’un âge qui s’apparente à celui des rues aux plaques bleues de Paris, Rues des Filles-Dieu, Rue Plantagenêt etc.

Sur la Place du Théâtre, qui en fait est la Place du Ralliement (à la Révolution ? au Roi, au Général ?), les croissants et le café y sont excellents, et celle-ci présente tout à fait le caractère parfait d’un départ de découverte de la ville vivant apparemment à un rythme espagnol. Les commerces n’ouvrant pas avant dix heures, même en Juillet. Un monsieur, ayant entendu ma réflexion, nous dit d’un calme inattendu « c’est assez scandaleux, en effet, mais vous savez, on a tout de même une certaine manière douce de vivre. Enfin j’espère que vous saurez en profiter… » et il continua son chemin du même pas tranquille.

A Nice, une telle réflexion de notre part sur la lenteur des autochtones aurait été suivie d’une autre assez bien sentie…

La Tapisserie de l’Apocalypse –

La tenture de l’Apocalypse est le plus ancien ensemble de tapisseries de cette dimension, cent mètres. (Cela pourrait surprendre, mais celle de Bayeux, est une broderie). J’ai bien retenu que cette œuvre de grand prestige, véritable révélation dans tous les sens du terme, a été commandé en 1375 par le duc Louis I d’Anjou, frère de Charles V, et réalisé en sept ans. Jean de Bruges en a donné les cartons. Entièrement tissée en laine, elle était à l’origine constituée d’un ensemble de six tapisseries de six mètres de haut sur vingt-trois de long. Chaque pièce débute par un grand personnage suivi de deux registres de sept scènes entre une bande de ciel et une bande de terre. L’Apocalypse relate évidemment les luttes entre le Bien et le Mal, le cortège des catastrophes s’abattant sur l’humanité, le triomphe du christ, mais aussi le contexte dans lequel la tapisserie fut conçue. Les ravages de la Guerre de Cent Ans, les famines, la peste… Comme celle de Bayeux à laquelle elle fait penser, par la monumentalité et la lecture qu’on pourrait dire en bande dessinée, on est saisi tout à la fois par l’ensemble qu’on embrasse sur cette centaine de mètres, et par la vivacité de chaque détail, de chaque scène, les trompettes du jugement, l’effondrement des palais, l’apparition des bêtes fantastiques. Et non pas comme à Bayeux, où la broderie reste inachevée, la tenture de l’apocalypse s’achève par la destruction de Babylone et l’arrivée de la Jérusalem céleste.

Depuis une des meurtrières de l’enceinte du château, on voit bien au-delà du fleuve, la Doutre et ses architectures composites, le long du quai, les arbres géants et les péniches éclairées qui, hier à la presque nuit, se reflétaient comme des gerbes de lumière mouvantes en mille reflets sur l’eau.

A la sortie d’Angers, c’est le plus paisible des cheminements qui s’étirent sur plusieurs dizaines de kilomètres d’une route où les vélos sont rois. Des familles en petits pelotons suivent le cours délicat des paysages au travers de grandes étendues de forêts, de ponts, de berges, de villages et de hameaux d’où émergent quelques clocher ancien, des rangées de vignes et le mirage de quelque château au travers des trouées de roseraies et de guirlandes fleuries. C’est l’enchantement d’une quintessence comme on imagine cette fameuse douceur d’Anjou dans du Bellay. On traverse comme on glisserait plutôt successivement, ce chemin de Gennes, Cunault, Trèves et Chênehutte jusque vers Saumur.

C’est à Cunault, dans l’écrin d’un village de vert minéral que les roses trémières poussent aux seuils des maisons, que les roses grimpantes se répandent sur les murs et que se dresse un peu à l’écart l’abbatiale dans sa pierre jaune, son clocher massif et sa nef majestueuse qui n’attend qu’un chœur pour en remplir l’espace. Un peu à la sortie du village, un large portail s’ouvre sur un jardin mouillé encore de la dernière ondée. On y sert un petit vin « naturel » à l’Association « L’Idiot » qui promeut de vieux objets d’art et qui siège dans ce qui fut en 1934 une école de filles, comme on peut lire au fronton du bâtiment. Le jardin est parsemé de parasols de toutes les couleurs, ce qui rehausse les gris et les verts de cette Chênehutte.

Et la route enchantée continue jusqu’à Saumur, dans une succession de villages souvent troglodytiques. Le tuffeau est cette pierre qu’on pourrait simplement façonner avec ses propres ongles.

Puis je ne pouvais passer à Souzay-Champigny, sans ce clin d’œil promis à notre baryton de légende. Gérard Souzay s’appelait de son vrai nom Gérard Tisserand et crut plus habile de choisir le nom de ce petit village pour faire carrière. Et sa sœur choisit comme nom de mélodiste lyrique, Geneviève Touraine. Deux beaux artistes qui ne renièrent pas leurs racines. J’envoie donc mon portrait à l’ami Jacquot qui en comprendra l’allusion où je montre du doigt la plaque de Souzay à l’entrée du village. Le sommet de celui-ci est un vaste plateau dévolu à la vigne, au chenin, le plus noble cépage de la région qui donne le Savennières, le Cheverny et les fleurons des blancs de Loire. Et tout en bas du village, une carrière à ciel ouvert montre des boyaux de roches creusés qui ont servi un peu plus loin à bâtir des maisons troglodytes.

L’harmonie des fleurs, des pierres et du ciel, par un mystère inexpliqué, prend une dimension de musique de chambre où le plus petit assemblage de parterre de roses fait un éclat discret et inimitable de paysage à peinture rendant une matité de gris de ciel où pointent de temps à autre quelques coussins de bleu sur d’épaisses franges de nuages.

C’est enfin l’étape de Chinon. Sur la rive sud. Comme le nom de notre hôtel en bordure de route, avec à l’angle de la rue, la perspective de la forteresse et le gros de la ville en face. Il n’y a que le pont à traverser. La vieille ville est somnolente sous la grisaille qui fait ressortir le jaune de la pierre et les devantures « médiévales ». Des galeries d’art, des bistrots au luxe ostentatoires. On n’a pas envie de s’y laisser séduire. Une cave, tout au bout de la ruelle principale, propose dans un profond creux troglodytique, des dégustations à dix euros le dé à coudre ! De quoi prendre la fuite. Ces nuages rendent décidemment l’arrivée un peu triste dans ce qui devrait être la riante cité de Rabelais. La véritable animation se situe en fait un peu au nord des quais, sur une place du « centre-ville » où se succèdent en effet tous les bistros, les restaurants, et c’est d’ailleurs dans le fond de la rue Rabelais à nouveau sous le soleil que nous trouvons notre bonheur à « l’Ardoise ». Le vin blanc et la lumière viennent fleurir ce vieux Chinon jusque vers vingt et une heure d’un crépuscule brûlant.

Puis revenu sur les bords de la Vienne, la nuit arrivée, le panorama de la colline sous l’éclairage savamment dosé vaut toutes les opulences de Taj Mahal qu’aucun objectif photographique ne saurait rendre faute d’en capter l’atmosphère des harmonies des derniers rougeoiements, et du rosi sous le ciel encore bleu, dramatisée d’épais nuages dans la luminance de la ville haute. C’est toute une vision de la Touraine culturelle dans son imaginaire le plus classique qui défile sur l’horizontal de la colline. Toute une quintessence de l’Histoire du paysage de France.

 

Samedi 10 Juillet

 

Comme tous les matins, la cérémonie d’ouverture des rideaux. Les promesses du ciel… Eh bien, très gris aujourd’hui. Désespérément. Candes-Saint-Martin, si jolie lorsqu’on l’aperçoit depuis la rive d’où elle s’offre entièrement n’est qu’un amas de grisaille dont on ne voit que la haute façade de l’abbatiale qui domine au cœur du village. Il fait presque froid. Il pleut. La petite terrasse en escalier, aujourd’hui bâchée au flanc gauche de l’entrée de l’église, nous attend pour un café sans croissants et sans pain. Un lieu habituellement si riant. Même l’intérieur de l’église est dans la torpeur du silence et l’absence du moindre visiteur. Quelques belles sculptures aux voussures de l’entrée, mais comme souvent, rénovées en laminant la pierre au risque d’amenuiser et de ronger leur relief. Le seul intérêt qui parvient à surprendre est cette plaque au sol, dans une niche autour de l’abside où on apprend, sur une tombe de la plus grande sobriété ces quelques mots « ici est le lieu où mourut Saint Martin le 8 novembre 397 ». Les ruelles et les échappées sur la Loire n’en sont pas moins d’une belle harmonie, certains points de vue se jetant en miroir sur la nappe grise de l’eau se fondant dans le ciel. Avec toujours, et dans des teintes variant avec la densité des ciels, les roses de rues qui sortent en gerbes et se dressent au pied des maisons. Sur fond de gris, dans de timides trouées de bleu. Depuis le panorama fléché, des chemins pentus en éboulis comme en grappes de vélos tout terrain qui dégringolent sans états d’âme, mènent à un plateau dégagé d’où l’on devine la convergence de l’Indre, de la Loire et de la Vienne. Avec la légère déception de ne pas même voir le village en vue plongeante. Dans la solitude grise et les massifs de forêts sombres, on aperçoit très nettement au loin, les cratères fumants des centrales de Chinon.

Au-dessous de l’abbatiale, descendant une rue jusqu’à la berge de la Loire, la maison de Henri Dutilleux. Depuis les fenêtres, il n’y a rien qui sépare celle-ci du spectacle des lumières mobiles et changeantes du fleuve impassible. On comprend que derrière ces fenêtres et à cet étage dominant le panorama, le compositeur ait quelque part entendu Le Mystère de l’Instant ou la Nuit étoilée, le Jeu des contraires ou Figures de résonnances. Les fulgurances torpides de certains mouvements de ciels…

Seul le jardinet s’interpose entre la Loire et la façade de la maison. Les roses et les gerbes de fleurs portent ici le nom de musiciens sur de petits cartons épinglés au pied des ensembles de fleurs, noms d’auteurs-compositeur, parfois de noms d’artistes très éloignés de l’univers habituel de Dutilleux. Callas bien sûr, pour une rose écarlate, mais aussi un rosier en croissance Claude Debussy, mais aussi, plus inattendu, quelques noms d’artistes lyriques et de chanteurs de variétés.

Puis c’est la dive surprise de la Devinière à sept huit kilomètres de Chinon. Méconnaissable depuis ma visite de 82. Les restaurations apportées à l’ensemble des différents bâtiments rendent riant ce cœur de l’âme de la bouteille divine. La pluie a bien sûr favorisé l’éclat d’une lumière minérale, autant sur la pierre sombre de la maison que dans les jardins aux multiples variétés de fleurs et de plantes. On y voit même quelques arbres à fleurs d’opium. La demeure est à l’image de l’intimité et de la familiarité de ton des œuvres de Rabelais. Une salle est maintenant consacrée à des affiches de caricaturistes, des portraits, et des textes sont récitées dans une des pièces de la maison. Les caves sont ouvertes, tout au fond de la roche creusée, aux tonneaux et aux bouteilles géantes. On peut voir les cheminées, les salles où l’auteur vécut, les fenêtres depuis lesquelles les paysages lisses et sereins fuient jusqu’à des horizons chimériques.  J’ai rapporté une poire d’un des jardins. Elle ne mûrira pas.

Le château de Montsoreau a les pieds dans la Loire, du moins la partie haute du village sur lequel on l’aperçoit de loin est baigné par la Loire. Les ruelles montantes sont rythmées par les bouquets de roses trémières omniprésents, et la montée vers les hauteurs du village donne la plus belle des perspectives de fleurs aux murs qui habillent la perspective sur le Château. Comme à Chinon, les tuiles des maisons aux toits pointus au-dessous de mon point de vue, le Château en plan intermédiaire, et enfin la Loire qui s’étend tout le long de la perspective, donnent l’image d’une Histoire qui s’est surajoutée le plus sereinement à l’harmonie naturelle des paysages de Touraine.

Une fête de mariage se prépare sous les voûtes de verdure d’une hostellerie au pied du Château, avec des froufrous de robes, des fleurs, les traînes de la mariée et tout le décorum qu’on pourrait croire sorti d’un décor de cinéma.

Saumur à l’heure de la fin du marché. En pénétrant vers le cœur historique, le château se dresse sur un promontoire, inaccessible, solitaire et gris, puis c’est le débouché sur la place principale où sont concentrés les étals qu’on replie, les commerces de bouche qui battent leur plein et l’église disproportionnée vue du bas des marches. L’orgue est sombre et monumental. Il pleut doucement. On rejoint la Loire.

Le village de Tavant est déserté. Et l’église heureusement entourée en cette saison, sur sa façade Ouest, d’un délicat parterre de fleurs jaunes et de végétaux taillés en labyrinthes, épousant le gris forcené de la pierre. La visite de la crypte est d’un intérêt majeur. De dimension réduite mais de proportions parfaites, elle possède la quintessence de la peinture romane tourangelle. En verts pales, jaunes et ocres légers, en trait fins aux mouvements amples de thèmes transcendants : Le Christ issu des enfers, notamment, où se mêlent des scènes familières de travaux des champs, de jongleurs et diverses scènes de musiciens. Ces peintures habillent avec science aux parois supérieures les arcs des voûtes donnant une dynamique à l’architecture de cette chapelle souterraine. Devant tant de beautés pâles et retenues, il est difficile de ne pas se rendre en ces lieux à une sorte de méditation solitaire. Mais aujourd’hui il n’en est pas question. La visite guidée est obligatoire et ne dépassera pas le quart d’heure. Avec interdiction de photographier même sans flash, sauf si autorisation administrative sur demande écrite. Nous sommes bien au pays de Balzac. Il s’ensuivit un dialogue incertain avec une « ombre préposée » à la visite, et j’ai préféré aller à mes méditations dans le jardin, et laisser Cécilia seule, bénéficier du quart d’heure autorisé.

Prenons un verre à l’Ile Bouchard, dont nous manquons l’édifice d’intérêt, tout encore à la rage de ce passage que j’espérais plus rayonnant à Tavant. Dans le bistro tout le monde à l’air sévèrement alcoolisé.

Des panneaux à l’intersection des routes. Défilent les noms majestueux d’Azay-le-Rideau, de Riveau, Saché, Forêt de Chambord, mais la pluie nivelle la valeur des sites jusqu’à les rendre à l’insignifiance seule de n’être aujourd’hui que des noms.

 Nous dînons pour le second soir à « L’Ardoise », dans le petit salon à l’étage.

Cheverny, Chinon… Le ciel se dévoile comme du papier glacé sur la ville éclairée. Des étoiles enfin.

Comment diable grimper vers les hauteurs, par quel chemin atteindre une perspective sur la ville et sur les flancs des murailles hautes ?

Par un ascenseur miracle, tout simplement indiqué sur la place où se presse maintenant toute une liesse en fête. Nous grimpons à la presque nuit, tout au sommet de la ville, en bordure du très coquet cru du Clos de l’Echo que longe une rue cossue bordée d’arbres. C’est l’allée principale où se situe, semble-t-il, le siège de tous les producteurs de vin de la ville. Puis tout un océan de vignes et de silence. Les toits des maisons commencent de pointer par myriades leurs ardoises de bleu et d’anthracite. Les lumières viennent à la nuit par le dedans des fenêtres, comme des lucioles. Nous avançons dans les rangées de vignes ou en bordure de celles-ci. La ville est tout en bas comme un vaisseau à peine éclairé. Deux personnes surgies de nulle part nous indiquent un chemin détourné des vignes, et franchissant une barrière de clôture, nous voici maintenant face à la tour majeure, du côté du petit pont qui la relie au-dessus d’un gouffre vers les vignes où nous sommes. Chinon dans ses murailles est déchirée de lumière nocturne et violente, d’un crépuscule qui bascule ses bleus et ses rouges de sang, ses sombres incendies d’une fulgurance hugolienne où manque seul le vol d’oiseaux sur les ruines.  Chinon se dévoile dans les contrastes extrêmes avant la nuit complète. On entend aussi, depuis la Place principale, les rumeurs, les cris et les éclats de la fête nocturne, loin tout en bas.

Une autre féérie se dessine après la violence du passage à la nuit, dans une paix revenue. Ces ardoises de bleus et de gris des toits de la ville jusqu’à la lisière des faubourgs semblent, d’une douceur devenue uniforme, sortir maintenant d’une enluminure de Fouquet.

 

Dimanche 11 Juillet

 

Fontevraud nous reçoit dans le plus grand silence. L’abbaye est évidemment le centre de gravitation de ces plaines lisses, visible depuis bien loin. De par ses dimensions, elle englobe un périmètre impressionnant qui en fait l’ensemble clunisien le plus vaste après l’abbaye mère dont il ne reste que de sublimes vestiges.

Il est encore tôt. La boulangerie jouxte le grand portail d’entrée de l’abbaye :

Cécilia : « – Pourrions-nous avoir deux cafés ?

La Boulangère :  – Je n’ai pas le temps. J’ai autre chose à faire »

C’est malheureusement le genre de réponse qu’on s’expose souvent à entendre dans les bistrots, les restaurants et aux terrasses auprès des garçons de café de notre pays. Avec ce sentiment de gêne qui s’empare de celui qui ose solliciter. Nous apprenons un peu plus loin, de la bouche intarissable de la sacristaine que la boulangère est décidemment trop riche dans le village.

Le ciel est maintenant au laiteux. Le pire qui soit pour apprécier les reliefs extérieurs et surtout les tonalités qui se noient, indifférenciées, dans un gris poisseux. C’est pourtant à l’exposition solaire du matin qu’il se doit d’admirer le vaste chevet, d’autant qu’il se situe sur un profond dégagement à l’est, avec un recul nécessaire pour être envisagé dans son ensemble. Et puis, le chef d’œuvre de poésie, à l’autre extrémité, les cuisines romanes.  Là encore, la déception. La partie supérieure de cette sublime dentelle n’a plus ses bleus d’ardoise à l’endroit où l’élévation se fait en cône, la couleur s’uniformisant de trop avec la partie basse de la construction. Ce qui donne une méchante impression de gros gâteau de sable… C’est d’autant plus regrettable, que le temps d’un cliché, une trouée de soleil permet d’embrasser ces cuisines dans un cadre flambant de fleurs d’été.

(J’apprends qu’il s’agit, à la date de notre passage, d’une étape provisoire dans la restauration qui prévoit naturellement de rendre son bleu aux tuiles de l’édifice.)

L’intérieur est si vaste qu’on a l’impression qu’on pourrait s’y perdre. La nef est d’un seul tenant, sans bas-côté, ce qui accentue encore la profondeur et le sentiment d’un volume infini. Tout au fond, les quatre gisants de Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine, celui de Richard Cœur de Lion et celui d’Isabelle d’Angoulême. Les Plantagenêt. Un chapitre violent et essentiel de notre Histoire dort ici depuis longtemps. La polychromie de bleu royal et de rouge des vêtements d’Aliénor attire plus que les autres l’attention comme deux taches brûlantes dans l’uniformité de la pierre nue et blanche. Puis enfin, le chœur et l’abside d’une virtuosité sereine et d’une acoustique qui a reçu depuis très longtemps des concerts d’anthologie des Arts Florissants ou de l’Ensemble Clément Janequin.

Il y a maintenant une queue impressionnante à l’entrée de la boulangerie.

Et puis le paysage change progressivement de visage. Nous traversons et retraversons l’Indre beaucoup plus étroit, au travers de routes intérieures, par Savigny et Huimes, jusqu’à Ussé, le château dit de la Belle au Bois dormant. On le croirait en effet sorti d’un studio pour les besoins d’un conte de fées. Jaune uniformément, aux tourelles crénelées, aux multiples toits pointus, entouré de gros massifs de forêts, il semble avoir servi d’inspiration à ce Moyen-Age caractérisé par Viollet-Leduc. Ce sont, alentour, des paysages d’étangs, de saules pleureurs et de peupliers qui griffent le ciel. C’est le plomb de midi qui nous mène vers Langeais, très animée à l’heure du marché. Le Bourgueil y est excellent. La particularité de Langeais est que le château, contrairement à bien d’autres, ne se situe pas sur un promontoire ou isolément, à l’écart de la commune, mais siège au cœur de celle-ci. Et Langeais est en liesse.

 Depuis notre arrivée, nous voyageons au gré des châteaux, des édifices romans, mais aussi, avec le plus d’application, aux gammes de vins, aux cépages multiples qui jalonnent et nuancent les terroirs.

Passage furtif à Lignères-de-Touraine et ses peinture murales comme un secret bien gardé aux voûtes de l’église. Et le château de l’Islette à peine plus loin, au sud de l’Indre. Dès l’entrée on nous annonce que c’est le château qui abrita les amours de Camille Claudel et de Rodin. L’environnement et les aménagements qui l’entourent sont aussi soignés que le cœur même du château et les salles qui le composent. Un étang à lentilles d’eau laisse se refléter les pierres de l’édifice, des pelouses et des jardins à labyrinthes prolongent ce sentiment que l’Islette désire se faire aimer. Les branches des arbres descendent en miroir jusqu’à la surface de l’eau, des barques librement laissées sur la berge, attendent la promenade romantique. C’est le bonheur bucolique domestiqué des dimanches où ne manquent que les robes à longues traines et les déclarations d’amour. Le parc est en fête, on nous sert un vin de Chinon lorsque j’ose la question : « Chinon et Bourgueil semblent ne pas toujours s’accorder sur la supériorité en matière de vin » et qu’on me répondit après avoir pesé d’un silence « C’est plus que probable ».

La lumière revient par fulgurance, entre deux masses compactes et profondes de nuages quand nous abordons Azay-le-Rideau. Azay devait s’élever au rang de trésor national. L’arrivée elle-même est une très large allée bordée d’arbres gigantesque sur quelques centaines de mètres. Et tout au fond la perle de la Renaissance. Si l’Islette incitait à la promenade sentimentale, Azay prolonge l’essence même de la Renaissance rêvée, par autant de force calme que d’élégance. Si Versailles dans la symbolique royale s’accorderait à la démonstration de la force et de l’autorité politique, Azay la prolongerait comme pour une mélancolique retraite solitaire. L’écrin y est jalousement protégé dans un bois où ici tout respire la discrétion, la délicatesse et l’harmonie. La lumière au gré des passages de nuages, assombrit ou fait, le temps d’une trouée, vibrer la pierre blanche.

Le passage du vent prolonge l’infinie variation d’ombre faite par les branches d’arbres sur les ailes de l’édifice, les rides et les reflets sur l’eau du bassin.

L’autre grandeur de la journée, c’est Villandry. La lumière est un peu plus douce, plus rasante au moment où nous abordons cette belle route toute droite bordée d’arbres avec d’un côté de celle-ci un élargissement de la chaussée menant à l’entrée du château. Le bistrot s’appelle « le Colombien », ce qui évidemment nous intrigue. C’est devant mes premiers rillons du séjour que le serveur nous apprend que ce sont les habitants de Villandry qui se nomment ainsi. Cela fait bien sûr son petit effet, mais c’était bien nous cacher que précédemment Villandry se nommait, durant tout le Moyen-Age, Colombiers. « La Paix de Colombiers » au cours de laquelle Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre vient reconnaître sa défaite devant Philippe Auguste, roi de France.

 

Henri II Plantagenêt roi d’Angleterre, son fils Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste. Philippe et Henri, deux ennemis de toujours…

Henri, vieux, malade, se morfond au château de Chinon.

Philippe, grand vainqueur, vient de conquérir la ville de Tours.

Henri se met en route vers Colombiers. Dur, pénible périple…

Plusieurs fois, il doit s’arrêter. Il arrive exsangue au château.

Philippe voit bien l’état d’Henri. Roi ou pas, ennemi ou pas, il reste humain…

Alors, il lui propose un manteau pour s’asseoir.

Mais le vieux roi refuse, digne, à peine soutenu par ses hommes de confiance.

Il dit seulement qu’il veut « entendre et voir ce qu’on requérait de lui, et pourquoi on lui

enlevait sa terre. »  4 Juillet 1189

Henri devait mourir quelques jours plus tard, à Chinon… trahi et abandonné.

A Villandry, pourtant proche et presque contemporain d’Azay-le-Rideau, les influences italianisantes et les souvenirs médiévaux-tourelles, clochetons, mâchicoulis-ont entièrement disparus au profit d’un style plus simple, purement français qui, notamment dans la forme des toitures, préfigure Fontainebleau et ce que sera plus tard le style Henri IV. L’originalité de Villandry ne se situe pas seulement dans une conception architecturale novatrice, elle est aussi dans l’utilisation qui a été faite du site, pour y construire en pleine harmonie avec la nature et la pierre, des jardins d’une beauté remarquable.

Pour avoir une vue d’ensemble, le mieux est de monter jusqu’au belvédère. On y distingue quatre carrés au jardin d’ornement : « l’amour tendre, l’amour passionné, l’amour volage, et l’amour tragique ». La symbolique de chacun se matérialisant par contorsions plus ou moins articulées des formes du cœur.

L’origine du jardin aux légumes remonte au Moyen Age. Les moines dans les abbayes aimaient à disposer leurs légumes selon des formes géométriques, en particulier la croix. La seconde influence venue d’Italie apporte des éléments décoratifs : tonnelles et carrés de fleurs. Les jardiniers français du XVI° siècle vont réunir ces différentes inspirations afin de créer ces jardins pour les roses et les légumes venus des « Amériques ».

Le jardin d’eau, d’inspiration classique, centré autour d’une grande pièce d’eau en forme de miroir Louis XV est entouré d’un cloître de tilleuls. L’espace idéal dans toute sa nudité réduite à l’essentiel de géométrie et de sobriété, propice à la méditation.

Le labyrinthe, autre merveille en plein ciel, contrairement au labyrinthe grec, ne présente pas de voie sans issue.

Quelques soient les points de vue dans la magie de ces lieux, les marqueteries végétales, les bouquets de lavande du jardin « des simples » et l’extrême clarté des paysages morcelés dans leurs différentes conceptions, laissent une impression unique d’ordre, de délicatesse et de hauteur d’esprit.

C’est comme avec frénésie que se fait l’arrivée dans Tours. La lumière franche, à couper au couteau, est revenue. De prime abord nous sommes logés dans un deux étoiles, près des Halles. Et comme c’est dimanche, l’hôtel Saint Jean semble bien étriqué, isolé et dans une rue désertée. Et puis, une fois franchie la première enceinte, je comprends que l’espace est divisé dès l’entrée par la partie bistrot, indépendante de l’entrée proprement dite où nous attend l’hôtesse. Ce qui rend la découpe des lieux assez originale. La chambre se situe au second sans ascenseur et d’une pente qui n’aurait d’équivalent que celle que nous avons connue à Amsterdam, où l’hôtel semblait vouloir grimper directement vers le ciel. Mais notre hôtesse se montre d’une telle gentillesse, qu’en peu de temps nous savons nous situer dans la ville, repérer le centre-ville, la Loire et la direction de Saint Gatien à portée de mains.   

 Remontant vers l’Est les avenues s’élargissent, la basilique Saint Martin est une forteresse spirituelle. Mais elle manque d’unité à force de mutilations, morcelée dans l’espace, qu’on croirait qu’on a construit ses parties à des endroits indépendamment les unes des autres, où depuis, le temps, les habitations et des morceaux de rues sont venus manger les vieux restes. C’est en imagination qu’on restitue son ancienne découpe romane, dont il reste peu. Plus loin, comme isolée, la Tour Charlemagne.

Et quelques rues plus loin c’est le débouché sur Saint Gatien. L’inclinaison solaire baigne la façade d’un ocre jaune au meilleur moment du jour, sur ses reliefs et ses saillies.

J’ai toujours eu un faible pour cette cathédrale dont savait parler Michel Guillon. Lorsqu’on pense aux édifices gothiques majeurs, on omet toujours celle-ci. Peut-être à cause de ses parties hautes à clochetons, d’époque renaissante, qui auraient désuni le caractère d’ensemble. Il ne reste pas moins que son unité de façade est un miracle d’équilibre. Et ce soir particulièrement, baignée de lumière.

Comme si Saint Gatien avait su notre venue, les grandes orgues sont aux pleins jeux. L’intérieur de la cathédrale n’est jamais sombre. La rosace de façade et celles des parties latérales rendent constamment une lumière douce à la nef tranchante comme une lame. Durant une vingtaine de minutes la nef résonnera de chorals et de préludes de Bach. Depuis le transept, je vois les mains anonymes de l’organiste au buffet tout là-haut. Quelques jeunes recueillis restent dans le silence et la paix grandiose. Saint Gatien n’a jamais été si bien habitée.

Nous promenons notre curiosité jusqu’aux rives de la Loire à hauteur du pont suspendu. Le pont de pierre qui l’enjambe est encore bien loin. Puis nous traçons notre chemin (rue Colbert ?) par les ruelles animées au soir descendant. Les senteurs des cuisines du monde transpirent tout le long. La flânerie nous mène de maisons à colombage en placettes arborées jusqu’à la maison de Jeanne d’Arc, dite maison de « la Pucelle Armée » d’un ocre vif comme les flammes. La large rue Nationale, empruntée par le tram, semble se perdre à l’infini jusqu’à disparaître de notre vue. Puis c’est le débouché sur la Place Plumereau encadrée des plus belles maisons médiévales dans le grondement sourd de terrasses de cafés et de restaurants au coude à coude.

(De plus ce soir c’est la finale de l’Euro de football qui passe sur écran géant). Défilent donc toutes les jeunesses, les universitaires, les artistiques, vraies ou fausses, les marginales, les surenchères de couleurs, les débridés de chevelures peintes, que j’eus l’impression, le temps d’avoir la tête qui tourne, que Tours rivalisait aujourd’hui avantageusement avec le tourbillon de modernité urbaine de villes comme Amsterdam ou Bruxelles. Nous trouvons une des rares cartes de cuisine locale sur la rue du Grand Marché perdue entre deux restaurants japonais et coréens, quelques italiens et autre indien. La jolie brune qui nous sert semble parfois se dédoubler bien loin du périmètre de notre terrasse, jusqu’à la pizzeria d’à côté, ce qui finit par m’intriguer, jusqu’au moment où je vois apparaître deux serveuses parfaitement identiques en chair et en os dans le même costume tout classique de noir et de blanc.

« – Mais vous êtes donc jumelles ? »

Deux rires fusèrent identiques eux aussi.  Ce sont deux étudiantes que Leur gémellité réunit par chance jusque sur le lieu même de leur travail. Notre jumelle n’ayant jamais mis les pieds sur la Côte d’Azur, et devant tant de spontanéité, Cécilia griffonna pour elle son adresse Facebook.

 

Lundi 12 Juillet

 

Une petite pluie crépite doucement sur la vitre. Pas bien méchante, mais qui donne le ton d’un début de matinée. La partie bistro étant séparée de l’accueil de l’hôtel comme le sont du salon les cuisines équipées, nous prenons les croissants sous l’immense miroir côté bistro. Sur ce miroir figure tous les portraits des habitués. « Les gueules de Saint Jean » est-il précisé. Après le soleil d’Austerlitz de l’arrivée à Tours, la pluie donc. Par un petit miracle météorologique comme la nature aime à en façonner souvent, c’est aux abords du village de Saché que le soleil se dévoile juste ce qu’il faut, laissant de belles et grosses traînées de choux fleurs gris et blancs dans le ciel. Le château où Balzac écrivit quelques-uns de ses chefs d’œuvre, est une grande bâtisse solitaire de la Renaissance, à trois niveaux, un peu à l’écart de la place du village. Depuis les jardins et les espaces alentours, un océan d’épis de blé jaune ploie sous l’effet de leur propre opulence, mariant les jaunes de leur mer uniforme à celui de la pierre de l’édifice et aux bleu moucheté de nuages dans l’éphémère harmonie des traits et des couleurs. C’est dans le calme absolu d’un tel parc que l’on comprend la plénitude des paysages de Touraine, le ciel dans ses caprices, ses traînées fugitives aux métamorphoses incessantes. Sous les gros chênes, des fauteuils de jardins attendent les visiteurs, comme une politesse rendue aux curieux venus vers le géant littéraire.

Un peu en contrebas de la place du village, l’église romane dresse son clocher massif sous le capuchon des arbres qui l’encercle.

Pourquoi ne pas avoir pénétré dans la demeure ? Pourquoi ne pas avoir visité l’intérieur, les collections, les éditions annotées de la main même de Balzac ?

Moi qui avait pourtant envisagé de faire partie de l’association des amis de l’écrivain… C’était l’occasion pour le moins de toucher du doigt l’univers monumental des œuvres et des objets intimes, depuis les coulisses où il écrivait. Probablement que je trouve assez indécent de faire visiter les intérieurs de châteaux, les demeures intimes là où des files de curieux écoutent avec distraction, traînant parfois les pieds. Je ressens ces intrusions comme une sorte de violation à rebours de ces lieux chargés d’intimité et d’Histoire.

Nous avons fait exception à la Devinière en évitant les grappes de visiteurs.  De même au Prieuré de Saint Cosme où, par chance, il n’y a personne.

Ronsard, comme Rabelais vécurent tout à la fois dans un cadre qu’il faut repenser dans le temps qui fut le leur, mais dont on est sûr qu’il était propice à la solitude. Le prieuré de Saint Cosme est enfoui dans des bouleversements de lierres et de feuillage qui grimpent aux murs d’enceinte. Il n’est ici que paix et quiétude. Restent de la dernière demeure de Ronsard que les vestiges de l’ancienne église où repose le poète, aux jardins que les chanoines du XII° siècle voyaient comme un « paradis sur terre ». L’ancien monastère a gardé sa dimension historique, ces pierres éparses dont la grande arche de la croisée du transept qui fait une belle ogive, tout en laissant imaginer les diverses parties manquantes. De toute part, ces pierres qui se dressent à nu proposent une poésie naturelle au cadre de ces multiples jardins de parfums et de fleurs. Il est possible de visiter les chambres, d’imaginer les hivers près de la cheminée depuis lesquelles la vue sur l’ensemble est exquise. Le plus bel endroit est celui où ce matin même des jardiniers travaillent aux potagers. Derrière une haie voutée, les vergers aux pommiers et poiriers encore grêles. Je n’ai pas résisté à la tentation de cueillir une poire, dure comme un poing, acide au point que je n’ai pas tardé à avoir une petite alerte… L’allée qui délimite le verger d’avec les confins de la propriété est voûté de feuillages comme de la dentelle de soie et forme une demie ogive sous laquelle Cécilia donnait l’impression de marcher sur des parterres de paradis perdu.

Il est écrit sur la pierre tombale, au pied de l’église :

Ronsard repose ici

Qui hardy des enfance

Détourna d’Hélicon

Les muses en la France

Suivant le son du luth

Et les traits d’Apollon

Mais peu valut à sa muse

Encontré l’aiguillon

De la mort qui cruelle

En ce tombeau l’enserre

Son âme soit à Dieu

Son corps soit à la terre

                                       1524-1588

Louis Marchand des Raux : « je suis né à Tours, à Fondettes exactement. En 1902. C’était un hameau en lisière de Tours. Je suis devenu jardinier et je peignais la nuit. J’ai été embauché au château de Léon Daudet. C’était un temps où les tomates n’étaient pas calibrées, elles pouvaient avoir la taille des pastèques. On faisait aussi des pastèques et des courges qu’on avait du mal à prendre à bras le corps. Puis je suis venu avec ma petite famille dans le sud, à Villefranche-sur-Mer et surtout Cap-Ferrat. J’y ai dessiné les jardins de la Villa Ephrussi, je les ai entretenus durant des années. Je peignais la nuit dans le petit cabanon où on nous avait logé, à flanc de propriété. J’y ai rencontré Matisse, Picasso, je les ai peints, ils m’ont servi de modèles le temps et l’espace d’un instant ! J’y ai découvert la lumière. »

Fondettes est aux abords de Tours, les autoroutes y mènent d’où que l’on vienne. En fait de hameau, en un siècle, celui-ci s’est métamorphosé. Il s’agit aujourd’hui d’une banlieue pavillonnaire, sans centre de gravité, avec des avenues propres, aux angles saillants, aux noms de poètes, André Chénier, Lamartine, Musset, aux maisons basses et à l’absence de points de repère. Le ciel était gris et les cantonniers de la place de l’Hôtel de Ville ne connaissaient pas la place Louis Marchand, peintre-jardinier. Il existe depuis deux ans une petite place au nom de l’artiste, né ici, et connu d’admirateurs silencieux, dévoués, qui exposent ses œuvres de loin en loin, à Cap Ferrat ou ici à Fondettes. On a poursuivi au hasard sans grand espoir, sous la petite pluie.

Louis Marchand : « Non, je ne fais pas partie des naïfs auxquels on voudrait m’assimiler. Ceux-là ne savaient pas leur ignorance. Moi, je peins comme je construis mes jardins. » J’ai compris depuis cette âme des jardins en Touraine, et chez les « colombiens » de Villandry.

Ce n’est qu’aujourd’hui que se révèle le mystère de Fondettes : le lieu-dit « la chattière », rue de la cheminée-ronde, qui joignait la maison des « Ruaux » où naquit Louis Marchand.

Comment aurions-nous pu trouver dans ce satellite de Tours devenu un espace improbable, les lieux consacrés au petit bonhomme ?

Sur le fil de l’eau, toujours serpentant au rythme de la Loire, l’église de Rochecorbon, massive et protégée en une sorte de cul de sac par de gros sapins. Sur une pancarte discrète on peut lire que nous approchons de la Grange de Meslay. Nous ne la trouverons pas. Des randonneurs affirment que nous avons largement dépassé l’embranchement qui mènent à la Grange. Dommage. L’architecture monumentale de bois et l’acoustique du lieu firent du festival annuel, discret et à l’écart des tumultes urbains, un des plus prestigieux de la région. Sviatoslav Richter a contribué, parmi d’autres, à la légende du lieu.

J’imaginais Vouvray, comme Montlouis, d’ailleurs, comme des villages à la hauteur de la réputation de leurs vins ; de vieux villages, chargés du patrimoine de leurs vignes et de vieilles pierres, d’un clocher et peut-être quelques ruelles attrayantes. Assoupis par la réputation universelle de leur or vert (à la manière de Montrachet). Ce sont en fait des communes qui s’inscrivent dans la dynamique viticole et qui ne conservent rien de pittoresque, sinon peut-être la plaque d’entrée du village où j’ai délimité, le temps d’un cliché envoyé aux amis, l’espace géographique chargé du prestige de ses vins. Pire encore, à Montlouis, on ne trouve qu’un seul bistrot qui fait face à l’hôtel de ville. Et un bistrot qui sentait le neuf, aux moleskine grises et sans plus de caractère que ça. Par contre, le vin qui nous a été servi, comme un simple vin de comptoir, reste le meilleur souvenir de dégustation du séjour.

Comme c’est la journée des rencontres manquées, le Clos Lucé, annoncé sur la route qui serpente, sous de magnifiques arbres millénaires, a dû s’égarer.

Montlouis. Sur le bord de la route à gauche, une enseigne gigantesque, en gros caractère rouge : « Cave », visible de très loin. Un large portail ouvert sur une cour. Au fond de la ferme une entrée sur une sorte de grotte, un âne empaillé, ou en matière imitant le vrai, grandeur nature, nous attend. En pénétrant dans ce qui est la cave, une longue table encore encombrée de verres et de bouteilles laissées là, comme après un banquet ou après des dégustations successives, ne manque pas de nous étonner. Une impression de négligé pour le moins. Derrière le comptoir de vente, des milliers de bouteilles scintillent, tapissant les parois de pierre de la grotte. Il n’y a personne.

« – Il y a quelqu’un ?! »

Pas de réponse.

Vers les communs non plus. Derrière les fenêtres de la partie principale de la ferme, rien qui indique la présence d’âme qui vive. Dans la grotte, des portes se laissent ouvrir… Et c’est la stupéfaction qui confirme la première impression de chaos. Un désordre monumental d’horribles objets hétéroclites jonche les sols en terre battue. On n’aurait pas été plus surpris d’y découvrir un cadavre en décomposition.

« – Il y a quelqu’un ?! »

Des bouteilles encore. Vides. Puis des vêtements de ferme laissés sur d’affreux tableaux aux chromos décomposés, des selles de chevaux au cuir écaillé posés sur des rangées d’énormes bougies consumées, une affreuse odeur de graisse, de sueur, des chaînes de bicyclette servant de cordages à des objets sans nom, des machines-outils démantelées, des poupées d’enfants d’un autre temps souillées et éventrées, des avalanches de rideaux déchirés, des peluches côtoyant des magazines des siècles passés, des cirés de marin et des porcelaines mêlés sur un meuble brisé, des bottes de cavaliers près de truelles de maçon maculées de ciment. Tout un entassement d’horreurs qui aurait pu s’amonceler comme charrié après le passage d’un tsunami ordinaire, laissant l’impression d’avoir ouvert les portes d’un insupportable enfer. Comme si des couches de temps superposés témoignaient d’antinomiques objets d’usage qui n’auraient jamais dus se rencontrer. Une collusion d’anarchie de matière en voie de pourrissement.

Au fond de la cave voûtée, une plaque d’entrée de village, gondolée et sale : Montlouis. Nous faisons une fois encore le tour de la table des dégustations, perplexes. Il semble que les fantômes ont définitivement disparus. Que personne ne répondra plus.

C’était la journée des rencontres manquées. Des milliers de bouteilles de Montlouis dans un décor factice de théâtre qu’on préfèrerait cacher, et un mirage de cave de vins merveilleux…

Sur le point de rejoindre la voiture : « Et si on revenait prendre une bouteille ? »

A bientôt soixante-dix ans ! Cela doit bien faire cinquante ans que je n’ai pas dérobé la moindre moitié d’un œuf ! Quelques livres de poche, il y a si longtemps. C’était un rituel que de voler d’affreux profiteurs…

« – Oui, il n’y a vraiment personne. Ou bien ils dorment encore pour un bon moment. Ils ont dû faire une de ces fêtes ! ». Peut-être étaient-ils ailleurs en effet.

Les jambes tremblent un peu, bien qu’une certitude me dit qu’il n’y a vraiment personnes dans cette ferme. Je passe derrière le comptoir vers le mur de bouteilles faiblement éclairé. Les étiquettes brillent dans la pénombre, les noms des divers crus de Montlouis dansent avec leur millésime. Au hasard, devant tant de possibles, je me risque à saisir la première venue de la rangée du bas, à hauteur de bras tendu. Montlouis sur Loire, cru… 2013. Aussitôt rangée dans le sac à dos.

C’est le silence dans la voiture. Comme après un moment tout autant inattendu qu’insolite. Nous sommes déjà hors de portée.

« – Tu penses comme moi, non ? »

« – Oui, on aurait dû en prendre bien d’autres ! »

La cave entière…

Bref, la liberté, c’est quand les regrets remplacent les remords.

Nous dînons maintenant près de la place Plumereau. A quelques tablées de celle d’hier. C’est l’autre jumelle qui officie sur la terrasse.

 

Mardi 13 Juillet

 

C’est maintenant sûr, la pluie ne quittera pas cette veille de 14 Juillet. On entend le crépitement sur les toits de l’étage du dessous. C’est après un chaleureux au revoir à notre hôtesse, à l’heure où les premières « gueules de Saint jean » s’annoncent au zinc du bistrot, que nous quittons Tours par l’interminable et mythique avenue de Grammont.

Cormery. Le village est animé et ruisselant, la grande abbaye est totalement démembrée qu’on ne sait l’orientation de la vieille architecture. La pluie est froide, les K Way sont transpercés en peu de temps. Il ne reste qu’un très haut mur qui flanque la rue principale du village et des vestiges des parties supérieures dont on voit encore les marques des arcs qui soutenaient les galeries disparues et les salles voûtées. Une partie du chevet se devine encore, isolée de ce qui fut l’ensemble du corps de l’abbaye. La grisaille laisse à peine imaginer la majesté des lieux. Un petit puis fleuri donne ici la seule note de couleur et de lumière.

J’avais souvenir qu’à proximité, au cœur même de cette Touraine, la Chartreuse du Liget possédait, à quelques kilomètres, une adorable chapelle circulaire, de tuffeau immaculé contenant des scènes murales de la Crucifixion et de la Dormition de la Vierge. Du plus délicat de ces pastels de bleus et de verts qu’on ne trouve que dans la région.

Chapelle du Liget, en petits caractères, indiquant au milieu d’une ligne droite interminable et couverte d’arbres gigantesques, le chemin tortueux menant aux champs de fèves. La rotonde est là, solitaire, toute blanche sous la pluie qui continue de saturer les K Way. Nous pataugeons dans l’herbe et la boue jusqu’à pleine cheville. Porte close. Je passe désespérément la main sur le bois et essaie de lever en vain le lourd battant. Dommage pour les Crucifixion et la Dormition. Il ne restera que ma tête basse sur un cliché, une tâche de bleu sur l’immense espace vert, avec la rotonde blanche et lisse comme une borne fichée dans la terre. La dernière fois, il faisait soleil. Cécilia et moi allions nous marier, et on se souvient encore d’avoir, à ce même endroit, rempli un plein panier de fèves qu’on a fait cuire sous la tente à l’île d’or d’Amboise, avant que n’éclate le plus gros orage de 14 Juillet qui soit.

Dans les pays de pluie, il faut toujours avoir un joker sous la main. Prévoir comme transition, une journée sans paysages, sans ciel bleu. Prévoir la tournée des musées ou des curiosités à l’abri du ciel. Aujourd’hui, il y aura mieux, puisqu’en soi, la visite du petit village de Nouans-les-Fontaines qui ne parlerait pas à un voyageur quelque peu distrait, possède un joyau, un trésor inestimable en sa Piéta peinte par Fouquet, quinzième siècle. Le village dort encore, du moins il attend des heures meilleures. L’église est reconnaissable à son toit pointu. On y pénètre par une porte largement ouverte que j’ai toujours pensé qu’avec une camionnette de déménagement, deux acolytes peu scrupuleux, il serait aisé de faire s’évanouir de l’église le chef d’œuvre de Fouquet. Il serait plus difficile aujourd’hui d’y parvenir avec les multiples protections et alarmes de vidéo surveillance. Dans la pénombre, on voit au bout de la nef, trônant à hauteur de l’autel, la Piéta de plus de deux mètres de large. Il n’y a personne en cette moitié de matinée, sauf une ombre, un fidèle au beau milieu d’une allée, silencieux et immobile, en oraison surement. Nos yeux commencent à s’habituer et à distinguer les sujets et les couleurs de la déposition de Croix. Les tonalités douces et les formes sans aucun heurt dans le mouvement des formes. Nous nous trouvons seuls maintenant, le prieur de l’ombre ayant disparu sans bruit. Photographier une telle œuvre monumentale avec un éclairage si faible est bien compliqué. Lorsque surgissent deux ombres cette fois, celle qui avait disparue, et une autre bien plus remuante qui nous dit, avançant vers un côté du mur :

« –  Avec la lumière, ce serait mieux ! Je suis l’ancien maire du village et je veille sur l’entretien. Avec deux euros dans ce tronc vous verriez bien mieux. »

La Piéta apparut en effet incomparablement éclatante dans la beauté de ses tonalités tout à la fois franches et toutes en nuances de verts déclinés en leurs gammes subtiles, d’ocres bruns et de blancs. Les blancs du visage de Marie, du Christ allongé, répondant aux vêtement à plis finement et extrêmement dessinés du donateur, représenté à la droite de la scène, à genoux en adoration.

La contemplation de cette œuvre pourrait ne jamais finir.

Quand la première des ombres réapparut cette fois dans l’éclairage franc de la nef. Un petit homme vieilli autant par le froid et la pluie qu’il dut subir depuis longtemps que par cet aspect qu’ont les pèlerins frappés d’une éternelle lassitude. Il portait assez ostensiblement une croix sur la poitrine et dit être un misérable voyageur errant, venant autant prier la discrète et banale statue de stuc de la vierge que les curieux venaient pour le tableau.

« – Si vous pouviez contribuer de votre obole ». Sans un mot, je tirais un billet de dix euros, comprenant la démarche lente et patiente du pèlerin, plus efficace que toutes les supplications des mendiants de rue.

J’ai connu il y a fort longtemps, un quidam qui faisait encore beaucoup mieux : vêtu de manière très digne, il affectait d’avoir perdu ses papiers et s’adressait exclusivement à des propriétaires de voitures de grand luxe et leur demandait de façon très frontale de le dépanner de cent francs. A moins, ce n’eût pas été crédible…

Paraît-il, à ses dires, que ça marchait quelques fois.

 

Nouans a le mérite de posséder donc cette Piéta insigne, et d’avoir aussi conservé la maison où vécut le peintre. Où la rue se nomme évidemment Rue Jean Fouquet. L’intérieur laisse simplement un étalage sous verre de fragments d’enluminure des célèbres Livres d’Heures ou des reproductions du Charles VII et de Guillaume Jouvenel des Ursins.

Saint Aignan sur Cher, 19 Kilomètres, sur le panneau indicateur ! C’est là que nous irons… C’est le complément absolu à cette première visite.

Sous la pluie la ville n’en est pas moins riante de ses commerces et de ses cafés ouverts, aux terrasses pourtant désertées. Après la Vienne, la Loire, l’Indre et la Maine, les bords du Cher. Aux longs quais bordés d’arbre que nous ne verrons pas aujourd’hui à cause de cette grisaille et de cette pluie froide. La ruelle descendant vers la collégiale mène au pied d’un porche imposant où se dresse le clocher visible de loin.  L’intérieur est d’une belle structure clunisienne à la pierre régulière et à la blancheur que prennent tous les édifices en majesté dans le pays. Puis enfin, ce qui avait motivé le détour, la crypte. Circulaire et vaste, divisée en plusieurs absidioles décorées dont la plus spectaculaire est celle d’un magnifique Saint Martin partageant son manteau. Les tonalités, comme toujours ici, d’ocre brun et de jaune, quelques bleus et une aisance dans les courbes, une finesse de conception, tout à la fois d’une extrême simplicité où l’artiste atteint la plus impeccable spiritualité. Sans user des lois de la perspective, dans une esthétique regardant encore vers quelque byzantinisme, les mouvements simples et l’intensité des échanges entre le saint et le pauvre composent une danse sacrée. Dans une autre absidiole, c’est une véritable polyphonie de personnages qui s’interpénètrent dans l’illusion d’un continuum horizontal créant une profusion de mouvement d’une masse compacte et sereine allant vers un même but. Face à cette assemblée, en sens opposé, la même polyphonie de personnages avec un christ bénissant, propose, un siècle ou deux avant Giotto, une conception, aux moyens d’expression des plus dépouillés, un monde visible spiritualisé aussi moderne dans le temps.

Devant tant de beauté, il est bien naturel de poursuivre cet élan de griserie allègre devant un blanc de Cheverny. On entend le crépitement régulier de la pluie sur les carreaux. Quelques habitués au comptoir attendent la fin des temps.  Le patron rêve de retourner en Floride. Le bistrot est dans une lumière qui contraste vivement avec celle de la crypte, mais n’entrave pas ce bonheur d’être venu dans ce petit lieu, cette crypte silencieuse et comme égarée dans sa modestie, jouir de ces sublimes témoignages des profondeurs.

Il est à peine midi quand nous pénétrons dans Montrésor. La pluie donne à la tonalité générale du village une densité de gris et de minéralité de vert à la moindre parcelle de paysage. Nous nous réfugions dans le seul café de la placette pour un autre blanc de pays. Passé le pont qui coupe le village dans sa partie presque limitrophe, la rivière délimite le large pré de l’ensemble des habitations aux toits rouges. Un poulain et sa mère broutent l’herbe haute sans se soucier de la pluie. Des massifs de fleurs aux fenêtres des maisons et sur les murets des ruelles rendent la douceur riante de ce village qui résumerait à lui seul tous ceux de la région. Mais Montrésor est un joyau d’équilibre, et la vue sur le château, au plus haut de la perspective, ne manque pas d’habiller d’un charme serein et un peu cossu la beauté panoramique du village. La pluie redouble et les pieds commencent à s’enfoncer dans les larges trouées d’herbes. Nous trouvons refuge au pied d’un saule pleureur géant, que nous partageons à l’occasion avec une charmante espagnole venue au même endroit, attendant que le plus fort de la pluie passe. La pluie provoque ainsi des hasards qui n’auraient eu lieu. Elle vient souvent en France, y consacre la plupart de ses vacances et parle un français à peine trahi par un accent de Barcelone.

La campagne est de plus en plus profonde. Nous sommes sortis des grandes départementales et les labyrinthes dans les ornières rurales finissent de nous perdre. On nous attend au Moulin de la Follaine, ancien rendez-vous de chasse du marquis de La Fayette. Il s’agit d’un vrai moulin aménagé et compartimenté en quelques cinq ou huit chambres seulement. Perdu dans les environs de Loches, un peu au sud, loin des fleuves longés jusqu’à présent. Depuis la fenêtre, tout là-haut près des combles, on aperçoit un cours d’eau tranquille sous les grands arbres où est la grande roue du moulin. Nous pourrions nous croire revenus au XIX° siècle. Rien dans le paysage ne trahirait la présence de notre siècle turbulent de machines et d’électrons.

Loches est bien sûr dans le gris. Ça ne lui va guère, du moins la pierre de son château et de sa terrible tour de donjon un peu plus loin, auraient à gagner dans ce pays de fleurs, de pierre douce et de toits pointus. Tout au sommet de la ville se partagent la place forte du château, l’église Sainte Ours et la ruine médiévale du donjon. Les travaux de rénovations ne permettent pas l’accès à l’intérieur de l’église dont on n’apercevra que les massives assises de ses deux flèches, et la nef qui les relie. Depuis un promontoire de ce qui dût être le cloître on a une vue d’ensemble sur la ville comme une bouillie de glaise. Un vernissage tumultueux se répand sur le pavé de la ruelle, ce qui occasionne un contraste assez prononcé entre la grisaille réfléchie par les vieilles pierres et les violents éclats venus de la galerie d’art.

Nous ne verrons, pour palier à l’absence de visite de l’intérieur que des affiches du portrait d’Agnès Sorel peint par Fouquet, mais le véritable gisant de celle-ci à l’entrée de Saint Ours. Le visage et le front lisse et ouvert de toute leur rondeur, comme ceux de filles d’ici, avec cet effet de porcelaine fragile qu’elles peuvent avoir entre Angers et Orléans et nulle part ailleurs. Comme sorties d’un héritage génétique d’histoire de France.

Les enfants sont turbulents sous les tours de Saint Ours.

C’est un léger brouillard maintenant sur Loches. Il est temps de se réfugier à l’un des rares restaurants ouverts : Le Bistro Latin. A une table voisine, j’observe les grands-parents, fiers d’avoir invité leur petit fils, comme nous aurions pu aussi l’être à notre table avec Y.. Lorsqu’ils s’apprêtent à partir, le courant de sympathie nous fait échanger quelques banalités sur le temps, puis rapidement la dame nous parle de son séjour lointain en Colombie, à Cartagena de Indias, et la soirée se finit plutôt bien par des souvenirs réciproques de vins, d’amour et de voyages.

Loches est sous les éclairages artificiels de la nuit avançant, nous parcourons les ruelles montantes et descendantes. La Cave de dégustation des vins est bien triste, avec son enseigne qui clignote et son gérant, debout et raide sur le seuil, comme un commandant de navire prêt à affronter l’absence complète de client.

Le retour sur les petits chemins donne l’impression de s’enfoncer dans une nuit épaisse et sans repère, jusqu’au moment où débouche le moulin fantomatique au bout d’un chemin. Notre chambre au second est nommée la Crapaudine, que j’ai cru au premier abord être le nom un peu léger et un peu leste pour une chambre de moulin, avant d’apprendre qu’il s’agit du nom d’une des parties assurant auparavant le fonctionnement du moulin. Comme du reste, tous les autres noms plus communs des chambres voisines.

Je crois soudain être en présence d’un puma. C’est un énorme animal aux oreilles taillées en pointe, le regard large et étiré, le pelage jaune et luisant, la démarche ondulante et tranquille. Pour me rassurer on me dit qu’il s’agit simplement d’un gros chat. Car il y aurait plus gros « Vous savez, les plus gros sont les chats norvégiens ». L’hôte des lieux ne manquent pas de nous rappeler que la douche ayant été mal conçue, il serait bon demain, de nettoyer au cas où quelques débordements surviendraient. Dans le silence de la chambre, l’odeur de fougère est particulièrement forte. Mais c’est ici la fougère artificielle du flacon de shampoing, qu’elle semble en avoir été tapissée. J’essaie de lire quelques pages des « Bestiaires » de Montherlant, trouvé dans la boîte aux livre de Montrésor. Mais les caractères sont devenus si petits…

Mercredi 14 Juillet

 

Réveil aux rillettes de Tours, au fromage de Sainte-Maure et gâteau maison à la fleur d’oranger. Ce n’est certes pas un petit déjeuner au thé anglais. Le puma garde la porte du moulin, les oreilles à l’affût.

Nous sommes à quelques kilomètres de Loches revenue sous un ciel partagé de nuages épais et de trouées de bleu, comme il semble que ce soit la tradition paysagère du pays. Aujourd’hui les ruelles montantes et descendantes de la ville débordent du marché du jour. Certaines variétés de tomates peuvent avoir la taille des melons. Je pense à Louis Marchand et à ses potagers d’un temps où le calibrage des fruits et légumes ne s’imposait pas. Certainement que ce matin les produits viennent des producteurs des terres voisines. Dans la profusion des Sainte-Maure et des énormes charcuteries locales. Les pavés mènent forcément tout là-haut, au donjon, austère et vertigineux. Saint Ours domine toujours le paysage de toitures grises et bleues. Vue depuis l’angle d’une rue, l’église fait étrangement penser à un tableau de René Rimbert dans la sobriété des traits et l’anguleux des verticales austères, à quelque influence de la peinture hollandaise classique. Parvenus au château et au donjon, c’est toute la ville qui se dessine tout en bas, dans une douceur sereine. Depuis le parc municipal, une fois redescendus, c’est la vue attendue sur le château, cette fois en contre plongée du regard, le bassin sombre au premier plan, et tout en haut Saint Ours et le donjon. Les trois inséparables du paysage de la ville. Avant la probable prochaine rincée, nous revenons à la petite cave, hier si désertée, où on nous sert un Reuilly sec. Le gérant décidément peu optimiste parle d’une saison qui n’en finit pas de faire fuir la clientèle.

Mais le soleil est entièrement revenu à l’entrée dans le minuscule village de Chédigny. Village de poupée, fleuri, riant de ces pierres claires, de ces fenêtres colorées et de son impeccable clocher massif. Pas un seul commerce visible où que ce soit. Les villageois vivent de respirer le parfum de leurs fleurs. Un village jeté dans des bouquets et des jarres d’hortensias. On nous a promis des centaines de variétés de roses. Des milliers d’espèces de fleurs. Toujours est-il que l’harmonie des maisons, du léger bruissement d’un ru traversant le village et les perspectives coupées à l’angles des ruelles, donnent, dans le silence de ce matin de 14 Juillet, l’impression que les villageois concourent à ce qui sera le plus bel ensemble d’architecture rurale planté dans une profusion échevelée de massifs de fleurs.

Avec une pensée délicate pour André Bauchant que je ne serais surpris de rencontrer au détour de la rue avec son chapeau de paille et son sourire espiègle.

Pour ne pas être en reste, cette fois c’est Montrésor, lui aussi, qui resplendit dans son écrin exceptionnel de maisons et de jardins fleuris, de sa pierre ocre et grise. La rivière a tant gonflé depuis hier qu’elle a débordé du côté de la prairie. Le poulain et sa mère sont encore là, et les pieds ont du mal à trouver un sentier où ne pas s’enfoncer dans l’herbe grasse. L’immense saule pleureur où nous nous étions abrités hier s’est secoué de ses énormes gouttes de pluie. Nous longeons bien plus loin aujourd’hui, sur la rive limitrophe, le sentier qui longe le village.  Le château a repris une tonalité de pain d’épice, et d’où qu’on porte le regard, on voit son double reflété dans la rivière. Il en est de même pour la partie de ruines qui surplombe des bouquets de maison en contrebas. On pourrait dire que Montrésor se mire en son miroir. Comme les branches de ses saules, il se baigne dans le reflet de lui-même.

Dans la boîte à livre du village : « Sur le bonheur » de Teilhard de Chardin.

Mille ans d’histoire ici. En 1005 Foulque Nerra, comte d’Anjou pose la première pierre de la forteresse sur un éperon rocheux. Ce sont les vestiges du donjon du XI° siècle qu’on voit donc aujourd’hui plongés dans les nénuphars. A la fin du XV°, le comte de Bastarnay construit le château Renaissance qui domine le village et la vallée de l’Indrois.

Le chemin au pied du château se laisse gravir facilement, la vue en contrebas nous fait pénétrer au cœur du village. Des roses trémières, des sourires de la pierre. Rien n’a changé depuis Jehan et Pirlouis.

Remontant plus au nord, nous retrouvons le chemin de l’Isle d’Or qui partage la Loire en deux, et la façade du Château d’Amboise sur son promontoire dominant majestueusement le paysage. L’été sied à merveille à cet îlot de peupliers géants, aux roses trémières qui vont jusque dans l’eau, et à ses effilochés de nuages au-dessus de la ville.

Les trente-deux hectares des jardins de Chaumont que nous n’aurons aperçus que de loin seront le regret du séjour.

C’est en fin d’après-midi de pleine lumière que nous abordons Montrichard. La chambre de la grande villa qui nous héberge est située sur une terrasse qui donne sur le Cher et tout un ensemble de maisons basses sur une longue ligne droite menant à la cité historique.

Je reconnais la belle façade de l’hôtel de ville dans sa pierre blanche, aujourd’hui pavoisée comme il se doit. Nous longeons, parallèle au Cher, la rue principale, aux deux maisons à colombage jaune et orange comme des soleils magnétiques. Parmi tous les commerces, une librairie de bandes dessinées de collection. Je m’enquiers des ouvrages de Peyo, mais pas de « Sire de Montrésor ». Certains ouvrages paraissent fort rares. Je revois, le temps d’un tour de la librairie, un âge où j’avais à peine la taille des présentoirs de la librairie Horizons à Rabat, et passais des heures sous les étagères de livres à lire les aventures de tous les héros de ce temps, antérieurs souvent à Astérix.

Foulque Nerra a dû régner dans de nombreuses cités d’ici. Après Montrésor, c’est au sommet d’une butte qu’on aperçoit en position dominante, que se dressent les belles ruines d’une forteresse flanquée d’une église à toit d’ardoise. C’est grâce à elle que les deux maisons de couleurs soleil doivent de ne pas avoir été détruites lors d’un éboulement.

Sur une minuscule terrasse à même la chaussée, nous goûtons le Chardonnay aux rillons et champignons gratinées à la crème.

Les quais du Cher deviennent roses. Depuis l’autre rive, on peut avoir la vue d’ensemble de la ville ancienne jusqu’à l’heure où le ciel se drape de nuages incendiés. Une barque immobile coule doucement sur le bleu reflété du fleuve.

Nos hôtes nous invitent à voir le feu d’artifice, républicain celui-là, depuis le dessus de la maison aménagé en jardin secret.

 

Jeudi 15 Juillet

 

Le soleil nous mène enfin sur la route du château du Clos Lucé. La brique rouge de la façade est à peine éclairée à cette heure matinale. Les pelouses vont loin vers des labyrinthes de chemins soignés, jusqu’à un étang encore dans la brume légère. Les végétaux plantés dans l’eau stagnante ont des airs flous d’ouverture de Vaisseau Fantôme. Dans les salles du château parcourues assez distraitement, se déploient les reproductions des inventions multiples de Léonard. Ce qu’il en ressort, après le passage en revue de tous ces engins, c’est le génie mécanique de l’artiste. Comme souvent les commentaires dans les salles successives donneraient envie d’écourter le parcours. Un beau jardin, et une maisonnette, un peu à l’écart, sous les parties hautes du Clos, sont les vrais refuges où travaillaient Léonard.

Cécilia tenait à ce moment récréatif, et on peut dire presque résumant le passage sur les bords de Loire, qu’est le Parc des Miniatures à l’entrée d’Amboise. Il était évident que nous ne serions pas à poursuite du moindre château qui se dresse sur ces bords paisibles du pays. Ce parc a le mérite d’en représenter quarante. Certains donnant réellement l’illusion de parcourir la région depuis le ciel, d’autres, dont l’illusion du réel est plus difficiles à rendre. Ils font la joie des enfants qui s’ennuient souvent lorsque la visite de tels lieux est à dimension réelle. Ici, le survol se fait en un clin d’œil et on peut en plus gambader au milieu d’une assemblée de paons. Je patiente en profitant de magnifiques massifs de coquelicots qui durent bien longtemps ici quand chez nous ils disparaissent dès la mi-juin, coquelicots mêlés de bleuets et de marguerites jaunes ou blanches sur des parterres infinis d’herbe jaillissantes.

L’azur est à son plein lorsque nous entrons dans le vieil Amboise. C’est l’heure nonchalante et paisible au pied de l’immense base du château, où l’esplanade regorge de bistrots et de restaurants. Dans une boutique où l’on vend de tout et de rien, nous trouvons exactement ce qui fera le bonheur de Y.. Un heaume de chevalier, l’écu et l’épée qui vont avec. Finissant par la chasuble aux écusson de quelque fief d’ici. Je vois déjà la cérémonie d’intronisation à la maison…

Chenonceau, comme Azay, c’est une sorte de haut de la pyramide des châteaux. Autant par la majesté que par l’harmonie absolue des formes, des proportions, et de l’intelligence avec laquelle on a su les édifier dans un environnement exceptionnel. Azay et ses enveloppes de végétaux dans l’écrin d’un bassin d’eau circulaire et Chenonceau enjambant avec génie de tout son long le large bras du Cher. Aucun autre château, de quelque époque ou de quelque endroit au monde n’aura réalisé cette merveille d’affirmer sa majesté immobile sur le cours perpétuellement mouvant d’un fleuve.

Aujourd’hui, une infinité de canoës glissent sous les six arches que forme le long vaisseau de pierre. Le ciel alterne entre les jaillissements des trouées bleues et les masses compactes de grisaille qui enserrent le parc, la pierre blanche et les multiples reflets changeant sur l’eau. La visite des intérieurs de château m’ennuie toujours, d’autant que la poésie des berges, surtout celle du Parc de Francueil, où les branches donnent l’illusion à certains endroits du chemin, de se poser, d’enserrer ou d’envelopper le château dans son ensemble.

J’apprends en ouvrant un guide de visite, que la partie où je me situe à l’instant même, le parc Francueil, sauvage et désordonné, constituait la partie libre de la ligne de démarcation lors de la Seconde Guerre Mondiale. L’entrée du château et ses jardins à la française constituant la limite de la zone d’Occupation.

Ce qui revient à dire par logique que la grande galerie traversant le Cher aurait été en quelque sorte une zone indépendante si elle ne fut probablement sous contrôle de l’occupant.

La dame la plus célèbre des lieux, dont Henri II offrit d’ailleurs le château, fut Diane de Poitiers. C’est elle qui fait créer les jardins les plus spectaculaires et le pont sur le Cher qui permit au château d’être édifié de tout son long sur le fleuve.

Catherine de Médicis, veuve de Henri II, éloigne Diane et embellit encore les jardins et poursuit les travaux d’architecture, notamment la galerie à double étage. Régente de France, elle y installe les fastes italiens et instaure l’autorité du jeune roi.

Louise de Lorraine, à la mort de Henri III marque la fin de la présence royale à Chenonceau, dès le début du XVII° siècle.

Louise Dupin, représentante des Lumières redonne son faste au château et s’entoure de tout ce qui fait l’élite savante et philosophique de l’époque.

Le plus curieux de cette galerie de femmes serait Simonne Menier, qui, infirmière major lors de la première Guerre Mondiale, fit installer un hôpital dans les deux galeries, au frais de sa famille, celle des chocolats Menier.

Les guides de visite, à défaut de donner envie de languir à la suite de commentaires le long des galeries, des couloirs et des chambres à lambris, révèlent parfois de subtiles moments d’Histoire de France.

Nous longeons les rives, nous traversons les allées des jardins, et les sous-bois débridés qui s’écartent de l’ordonnancement général du château. La poésie est là, présente de quelque part qu’on tourne le regard. Cela sent les roses et comme un parfum venu du cours même du fleuve.

Blois est une ville cossue et donne le sentiment de cette noblesse bien royale que donnent les moindres pierres de ce pays. Le château est visible de quelque côté qu’on se tourne. Une sorte d’énorme point de repère. Le musée de la magie, sur une place bien dégagée, laisse voir ses monstres en métal doré qui feignent de sortir par les fenêtres du Musée. J’ai attendu ce jour pour apprendre l’existence de Robert-Houdin, le plus célèbre magicien (de tous les temps, dit-on). A l’autre extrémité de cette place, il y a une des entrées du château d’où l’on a aperçu le fameux escalier de dentelles torsadées derrière les grilles de la façade.

Depuis la maison de la magie, la ville plonge en contrebas, par de vertigineux escaliers qui mène aux rues interdites aux véhicules, et aux placettes arborées. Les terrasses de bistrot et de restaurant se succèdent. Nous adoptons le Cheverny d’une terrasse presque silencieuse et sombre, où trône à l’entrée de la première salle, un extraordinaire juke-box au style années cinquante, aux lumières fluorescentes et aux proportions d’œuvre d’art. il n’était pas malheureusement au repos, mais il avait le mérite de ne diffuser ses vieilles cires de quarante-cinq tours qu’en sourdine. Je ne l’en ai que plus apprécier.

Nous n’avons pas cherché la Maison du Doute (14, rue de la Paix); Ben Vautier aurait été trop content de savoir que même à des centaines de kilomètres je venais vers lui. Sur les guides de la ville, le bâtiment qui accueille la Fondation est joliment décorée de panneaux de couleurs et d’inscriptions bien connues de la main de l’artiste. Il y aurait des œuvres de John Cage et de Yoko Ono.

 «  – Oui ! , est-ce bien l’Hôtel New, à Vineuil ? nous avons réservé pour ce soir … 

«  – Oui , non, ce n’est pas à Vineuil, en fait c’est à … »

En fait c’est à Saint Germain la Forêt. A la lisière de deux communes. On croirait un autodrome, pour l’asphalte propre, le désert alentour. Les véhicules de l’autoroute vrombissent sous les fenêtres comme par peur d’être happés par ce qui pourrait ressembler à une zone commerciale lambda ou même un centre-ville d’un bled américain. Des hangars, des tôles ondulées inamicales et les lettres en gros caractères qui disent ce qu’on y vend. Ce soir, nous sommes loin des douces rives de la Vienne ou du Cher. C’était le seul hôtel disponible dans la zone géographique de notre cheminement.

Je ne retiendrai que le jarret confit sur la terrasse du Maître Kanter.

Vendredi 16 Juillet

 

Pour rajouter encore à ce sentiment de désolation, les nuages sont à nouveau retombés sur nous. Monotones et sans menace, sans nuances non plus, mais résolument plantés dans le ciel. C’était Chambord qui était prévu pour ce matin. Mais comment aller à Chambord avec cette lumière ? Mieux vaut y renoncer. Chambord, la perle dans son écrin de forêt immense, grande comme la superficie de Paris. La première superficie forestière d’Europe, un poumon au cœur du pays, une petite Amazonie. Le château est quelque part au-delà de cette longue trouée de route, une saignée impressionnante qui défile durant longtemps entre deux masses compactes d’arbres immenses ; le ciel en est parfois caché sous les énormes déploiements des branches. Ce qui fait penser que Chambord n’est pas bien loin, est cette scène que nous ne sommes pas surpris de vivre quand un cerf résolument tourné vers nous se dresse immobile, à quelques cent mètres peut-être sur cette portion rectiligne de la route, et nous fixe, la jambe bien campée, le rameau attentif, l’espace d’un instant. De l’autre côté sa compagne attend de le suivre sur l’autre versant de la forêt. C’était un avertissement du cerf.

Ne manquait plus que le son du cor.

Puis, derrière une trouée, une immense clairière d’où émerge au loin le plein vaisseau. Comme une dentelle de pierre à la verticale, profondément creusée et solitaire.

L’énorme espace comme vidée de tout superflu qui entoure le château semble un mirage d’ordonnancement de sérénité. Depuis le contrebas d’un chemin où stationne un instant le véhicule, j’avance à pied dans l’axe de l’allée infinie, bordée de multiples alignements d’arbres taillés au carré, avec tout à l’horizon, seul et comme échoué sur un plateau au cœur de la forêt qui l’enserre, et sous le gris des nuages, Chambord. Deux cavaliers, posés sur des chevaux très haut de garrot, me dépassent lentement et se placent dans la perspective infinie de l’allée, jusqu’à disparaître au loin, se confondant avec le mirage de pierre. Mais Chambord sans lumière gagne peut-être à n’être admiré que de cet instant fugitif d’une vision d’ensemble de dentelles et de soies blanches. Ce sera, avec Chaumont, la seconde raison de revenir un jour, dans la pleine lumière.

Nous traversons des villages gris et comme pris dans une gangue d’hiver. Jusqu’à Germigny-des Près.

Je ne peux que m’appesantir, plus qu’à d’autres endroits traversés, sur ce simple et minuscule édifice qui à lui seul fait détourner le promeneur. Nous approchons de la fin d’un périple qui nous aura mené depuis Angers, tout à l’Ouest, jusqu’à remonter ici sur ces rives Est de la Loire.

A moins de cinq kilomètres l’une de l’autre, se dressent deux églises qui contribuent au prestige de l’une des plus belles boucles médianes de la Loire : la basilique romane de Saint Benoît-sur-Loire, et l’oratoire carolingien de Germigny-des-Prés. Le rapprochement n’est pas seulement géographique, et la forte parenté symbolique des édifices n’est pas le résultat du hasard. Un lien historique et spirituel les unit. Né l’un et l’autre du choix fait par les hommes de chercher « la plus grande gloire du ciel », à l’école du Père des moines d’Occident, Saint Benoît.

Par le plus grand paradoxe, le saint Benoît fêté (le 11 juillet !) sur ces bords de Loire, est le grand Benoît, celui de Norcia (5° siècle), alors que Benoît d’Aniane, ami et proche du fils de Charlemagne, Louis le Pieux, grand réformateur de la règle bénédictine, était contemporain lui, de la construction de Germigny. Benoît d’Aniane est né dans le village éponyme, non loin de Saint Guilhem-le-Désert, autre haut lieu du Languedoc sacré.

Près du porche s’agitent en tous sens un groupe de petites vieilles tressautant à la moindre vue d’un pèlerin descendu d’un autocar, ou du mouvement immobile d’un ange de pierre à l’entrée de l’édifice. Elles me poursuivent malgré elles jusque dans mon désir de méditer sur le pur et simplissime étagement du chevet de l’église, en poussant des aigus d’admiration et des gestes d’enthousiasme qui me firent les fuir.

Des petites « jeannettes » (je ne sais si on les nomme encore ainsi), en costumes uniformes bleus, foulards rouges noués autour du cou, et bérets vissés, vestige d’un catholicisme désuet et provincial, investissent l’église carolingienne comme des pèlerins pénètrent d’admiration et de turbulence dans le Vatican. Tout le monde se presse au chevet, à la mosaïque byzantine. Aux anges d’or sur éternité bleue.

« La scène principale de la mosaïque montre quatre anges qui indiquent du doigt l’Arche d’Alliance. Entre les deux plus grands anges, une main sort du ciel étoilé et pointe le tombeau vide de la résurrection. Cette scène est totalement atypique. On ne trouve nulle part ailleurs ce thème de l’Arche d’Alliance à l’abside principale d’une église. Ordinairement, à cet emplacement privilégié apparaissent le Christ, Marie ou les évangélistes. La raison s’inscrit dans la volonté du commanditaire de la mosaïque. En effet Théodulphe, évêque d’Orléans, qui était opposé à la représentation d’image à figure humaine, de peur que les fidèles ne les adorent, et ne tombent dans l’idolâtrie, était iconophobe.

Les Livres carolins s’inscrivent directement dans le contexte de la querelle des images dans le monde byzantin : c’est la réponse de Charlemagne au Concile de Nicée II (787) qui venait à nouveau d’autoriser les images dans les églises. L’empereur carolingien et ses théologiens (dont Théodulphe) en considéraient les conclusions hérétiques. Il est vrai que la traduction grecque qui parvint à Charlemagne était fautive puisque « proskynesis » était traduit par « adoration » au lieu de « vénération »

L’architecture intérieure, au plan en forme de croix grecque, où la croisée du transept est aussi longue que large, est d’une complexité et d’une harmonie de proportion presque sans équivalent. Peut- être quelques églises perdues et oubliées de ma mémoire défaillante.

Un véritable transept qui abrite.

Comme Chartres émergeant de son infinie plaine de blé, Saint Benoît apparait sous un ciel livide et incertain, émergeant d’un méandre de la Loire, laissant apparaître les ardoises éparses des premières grappes de maisons très loin avant l’entrée dans le village.

« Saint-Benoît sur Loire n’est pas un paysage pittoresque, et je me souviens que lorsque j’y demeurais, mes premiers visiteurs s’étonnaient que j’ai choisi une plaine aussi dépourvue d’agréments pour y vivre : une plaine à perte de vue, coupée de maisons, de bouquets d’arbres, une plaine à moisson et à légumes. Je répondais qu’il y a autre chose que la ligne dans la beauté, que la couleur dans le paysage, il y a l’esprit. Or l’esprit règne au-dessus de Saint-Benoit. On le sens dès la première maison de la ville, on ne le sent plus au-delà ».

                                                                                                            Max Jacob

Max Jacob fut l’un des premiers guides de la basilique entre 1936 et 1944.

Et puis dès qu’on arrive, évidemment, le porche. Un carré parfait et douze piliers. Et tout là-haut les petits personnages de la cité céleste. Les petits personnages qui fascinent et qu’on cherche à rapprocher de nous tant ils paraissent élevés sur leurs piliers. Le porche qui subit le froid, l’aridité des étés et le vent de la plaine. Le porche qui nous a attendu depuis la dernière fois, il y a si longtemps. La pierre est aujourd’hui nettoyée, peut-être un peu trop décapée par la restauration, qu’elle semble nue dans sa profonde couleur de safran.

Et les petites « jeannettes » qui s’égaient soudain tout autour…

… 

Nous étions sur le chemin du manteau de Martin la déchirure même de ces nuages qui s’effilochent

de ce temps laissiant son manteau

La cité Céleste et les chapiteaux du porche : des mains qui s’élèvent, des mains disproportionnées, des anges et des épées qui coupent. La ville dessine un carré avec douze piliers. Nous retrouvons les principaux thèmes de l’Apocalypse. Le premier chapiteau, au centre à gauche en entrant est signé Umbertus me fecit. Est-ce le nom d’un des premiers artistes, du maître d’œuvre ? D’une imitation libre de l’antiquité, de type corinthien. Puis viennent les chapiteaux historiés. Sur la face sud, un des plus célèbres qui illustre le thème essentiel de l’imaginaire médiéval : l’ange et le démon, au jour du jugement, qui se disputent une âme, représentée sous forme d’un petit bonhomme au tribunal céleste. Puis celui qui retient le plus longtemps l’attention, celui de la Fuite en Egypte. Une Vierge en majesté portant l’enfant, le cheval, Joseph, le soldat d’Hérode, et la main de Dieu, là-haut, à la droite de la Vierge. A gauche, le dragon rendu à l’impuissance par la lance de Saint Michel.

Dans le chapiteau qui fait face, Saint Martin, jamais bien loin dans les pays de Loire, partageant son manteau.

L’intérieur baigne d’une lumière constante d’où qu’on porte le regard. Le maître d’œuvre a ouvert dans la partie supérieure de l’abside, cinq fenêtres, audace inhabituelle en ce premier âge roman. Le matin, par les grandes verrières de l’abside, par celle du centre surtout, le soleil illumine, travée par travée, le sanctuaire, le dallage, le transept et la nef. C’est l’heure de Laudes, autour des équinoxes particulièrement. Vers le milieu du jour, par les grandes fenêtres du côté méridional, le soleil vient éclairer le mur nord de la nef et l’inonder de lumière jusqu’au soir.

Autour de l’autel, c’est la perplexité. L’immense superficie du dallage. Des morceaux de marbre, taillés en disque, triangles, losanges, réunis en motifs géométriques. La variété des dimensions des morceaux de marbre, le jeu des coloris, joints à une certaine rigueur dans la répartition des formes, donnent une impression de paix et d’harmonie. Le dallage enserre le discret gisant de Philippe I.

Max Jacob s’arrêtait longtemps dit-on, devant la grâce de la Vierge du XV° siècle, la candeur de son albâtre, le geste dont elle étreint l’enfant, la douceur du sourire.

Le plus extraordinaire, reste à mes yeux, les chapiteaux de la nef, encore beaucoup plus élevés que ceux du porche, et qui échappe souvent, pour cette raison, à une complète contemplation. Le style même, me paraît unique et on peut dire, que deux de ces chapiteaux ont une originalité qu’on ne retrouve aucune part ailleurs dans la statuaire romane : Adam et Eve chassés du Paradis, et le sacrifice d’Abraham. Ils paraissent à la fois plus archaïques que ceux du porche, ou ceux rencontrés dans d’autres édifices riches en sculpture, et à la fois d’une pénétration dans l’attitude et l’occupation de l’espace qui en font des chef d’œuvre tout à fait à part. Dans le chapiteau d’Abraham surtout, les cheveux des personnages semblent coiffés d’un bonnet, leur donnant une allure égyptienne, et ce qui renforce cette impression d’étrangeté archaïque, la manière d’accentuer le regard en forant largement au trépan, ou encore plus curieux, en bridant les yeux à la manière des asiatiques.

De la même veine, le Saint Benoît du chapiteau à l’entrée du chœur. Et un autre Saint Benoît dans la colonnade du côté nord, qui offre à la Vierge un livre d’un moine écrivain de Fleury.

Le village et sa longue avenue bordée d’arbres est dans la torpeur de midi et de son ciel uniformément gris. Nous prenons la route vers Orléans.

 Je n’imaginais pas la ville dans tout l’éclat d’une jeunesse sur autant de terrasses de café et de petites places débouchant sur des maisons à colombages. La Cathédrale est prolongée par une longue avenue qui partage cet axe en rues et ruelles d’innombrables restaurations de ces maisons anciennes. Tout cela ressemble à une route Jeanne d’Arc. La statue équestre sur une large place dévolue aujourd’hui au marché des brocantes et des bouquinistes, est un petit chef d’œuvre. La cathédrale, elle-même, voisine de Saint Gatien de Tours, avec laquelle paraît une certaine ressemblance, est surprenante dès qu’on pénètre à l’intérieur. La nef est pavoisée aux couleurs de provinces de France, de baronnies, de duchés, et de tout ce qui fait cette coloration d’histoire traversée par Jeanne d’Arc. La nef est spacieuse et l’autre surprise vient de cet ensemble de moyen relief relatant la semaine de la Passion. Le déambulatoire de l’abside est largement peint aux couleurs royales de bleus et de rouges et de fleurs de lys et de tout ce qu’on peut imaginer de cette ville qui colle à la Pucelle d’Orléans. C’est devant un verre de Savennières qu’on contemple la façade noyée maintenant dans le bleu et gris du ciel.

La Pension de la Madeleine à Saint Benoît est sur la large esplanade bordée de deux rangées d’arbres où se tiennent les marchés en fin de semaine, quelques cafés et de rares commerces. Nous y serons de retour vers vingt heures. C’est souvent vers cette heure que le rideau laiteux de nuages fait place à un ciel qui caresse maintenant les moindres nuances des champs de blé, les parterres de fleurs le long de la Loire, un enchantement de bleus et de verts sur l’or du fleuve. Le soleil a basculé sur l’autre rive. Nous longeons à pieds l’étroit chemin qui borde la Loire dans le plus paisible des silences. C’est le moment de tous les orangés et les jaunes languissant, l’heure de la loutre qui passe au fil de l’eau et glisse sans un bruit. Les toits des maisons deviennent autant de Pissarro rouges sur des prairies vertes piquées de fleurs blanches et jaunes. On entend au loin quelques cris d’enfants qui s’unissent au cours paisible du fleuve baignant d’un rythme lent le temps qui coule.

L’abbaye est maintenant dans le bleu de cobalt de la nuit sereine, et jaune sur sa pierre, comme parsemée d’un coulis d’or.

Samedi 17 Juillet

 

POSTLUDES

 

Au réveil on apprend que l’Allemagne et la Belgique ont été ravagées par d’affreuses et violentes inondations, en une seule nuit ou presque. Plus d’une centaine de morts…

En quittant Saint Benoît, c’est la bifurcation vers le sud. C’est la fin des flâneries et des méandres autour de la Loire, pour piquer déjà vers le Berry par la route Jacques Cœur. A mesure, les paysages vont opérer des métamorphoses, rencontrer des végétations plus rugueuses. Les châteaux ont moins d’élégance et trahissent plus visiblement leur origine féodale, voire leur appartenance à la caste des petits propriétaires fonciers, des hobereaux des XVIII et XIX siècles. En fouillant bien dans ce cœur de Berry, on ne serait surpris de rencontrer, au détour de quelque route, le manoir de Georges Sand, quand sans prévenir, le panneau annonce La Chapelle d’Angillon.

En lui-même, le village est un village comme un autre, traversé dans son centre par une seule et longue portion de route, comme ailleurs on aurait traversé ces longues lignes droites bordées d’arbres, sans que rien de remarquable n’attire particulièrement l’attention, sinon que le nom même de La Chapelle d’Angillon venait de résonner comme la madeleine de Proust, de tout un univers ressurgi que les adolescents de mon âge ont vécu en imagination et en romantisme dans « le Grand Meaulnes ». Et c’est instinctivement que je cherche du regard le château, ce château qui figurait sur toutes les couvertures des livres de poche, au travers de feuillages, comme pour en accentuer le mystère, le fameux manoir du roman d’Alain-Fournier. Et peut-être que j’aurais croisé sans savoir, au bord de la rivière que nous longeons maintenant, le lieu même des fêtes et des jeux de paradis, de ce temps béni qui traverse le roman.

Quelques citations, comme des nuées qui s’effilochent, comme des ruines de lectures réapparues :

 

« Il lui sembla que le vent lui portait le son d’une musique perdue …

Lorsqu’elle me tendit la main pour partir, il y avait entre nous, plus clairement qui si nous avions dit beaucoup de paroles, une pensée secrète que la mort seule devait briser et une amitié plus pathétique qu’un grand amour…

Lorsque j’ai découvert ce domaine sans nom, j’étais à une hauteur, à un degré de perfection et de pureté que je n’atteindrai jamais plus. Dans la mort seulement, comme je te l’écrivais un jour, je retrouverai peut-être la beauté de ce temps-là…

Notre aventure est finie. L’hiver de cette année est mort comme une tombe. Peut-être quand nous mourrons, peut-être la mort seule nous donnera la clef et la suite et la fin de cette aventure manquée…

Il s’agit d’une noce, sans doute, mais ce sont les enfants qui font la loi ici ?…

Mais aujourd’hui que tout est fini, maintenant qu’il ne reste que poussière de tant de mal, de tant de bien, je puis raconter son étrange aventure…

Un homme qui a fait une fois un bond dans le paradis, comment pourrait-il s’accommoder ensuite de la vie de tout le monde ?…

Je suis comme cette folle de Sainte Agathe qui, à chaque minute, sortait sur le pas de la porte, et regardait, les mains sur les yeux, du côté de la gare, pour voir si son fils qui était mort ne venait pas…

Comme deux passagers dans un bateau, à la dérive, ils sont dans le grand vent d’hiver, deux amants enfermés dans leur bonheur…

 Le givre fondait et l’herbe mouillée brillait comme humectée de rosée…

Roman d’amour et de mort, qu’on lisait d’une traite. On était entré dans ce Berry de fantasmagorie, d’enfance qui disparaît, de châteaux et de feuillages, de secrets, d’amour et d’amitié comme on scelle un pacte avec les temps passés et celui qui va venir. De ce qui était encore une virginité de pensée avant la Guerre.

Le temps de traverser et de passer la sortie du village, de porter les yeux tout autour sur ce qui pouvait ressembler à une bâtisse d’un temps ancien, d’un toit pointu, et d’un manoir une nouvelle fois perdu, que ces pensées et surtout, le dolent relent de mort et de paradis perdu, s’en allèrent sur ce chemin qui mène à Bourges.

Voilà un lieu où faire résonner le Dies Irae de Berlioz. Celui de Verdi aussi. Mais dans celui-ci les parties trop théâtrales, qui languissent un peu après le « Jour de Colère », ne sauraient aussi bien convenir à l’essence même de cette Cathédrale.

Tout de suite, en bordure de la ville historique, toutes les rues montent jusqu’à cette culmination, où la cathédrale se voit perceptible depuis bien loin avant l’arrivée. Les rues tortueuses, comme dans celles du val de Loire, dressent de magnifiques maisons de types Renaissance, certaines souvent en état de restauration, ce qui laisse supposer qu’on leur accorde toujours une réelle valeur patrimoniale. Et que les guerres les ont épargnées.

Sur une petite place où coule l’eau d’unefontaine sous les arbres, le blanc frais de Montlouis perdure sous le palais les réminiscences de la Loire.

Le parvis de l’immense vaisseau gothique n’est pas assez profond pour pouvoir embrasser la totalité de la façade, tant celle-ci est large ; on devine dès avant l’entrée, ou du moins on se souvient, qu’elle possède un double déambulatoire au nord et au sud, et une nef de largeur imposante. Qui correspondent aux cinq portails d’entrée au-dessus desquels s’ouvre un Jugement Dernier.

Bourges possède effectivement la cathédrale gothique la plus large de la France du Nord. Ce que confirme cette impression d’espace, de sérénité et de lumière. La déambulation y est confondante de points de perspective et d’harmonie.

L’une des caractéristiques de l’architecture globale est l’absence de transept, même s’il existe des portails latéraux (nord et sud). Cela reste rare dans l’architecture gothique : les cathédrales de Sens et de Senlis n’en comportaient pas non plus dans leur première version. De plus, la façade comporte cinq portails alors que la plupart des autres cathédrales ne comportent que trois portes. D’un point de vue architectural Bourges a eu une influence sur d’autres cathédrales européennes : Notre-Dame de Paris, Le Mans, Coutances et Tolède.

En poursuivant la visite intérieure de la cathédrale, et en se dirigeant vers le chevet, c’est le début de l’émerveillement. Les vitraux du XIII e siècle sont sans aucune contestation parmi les plus beaux chefs d’œuvres de l’art religieux. Comparable aux plus beaux de Chartres.

Outre l’histoire très documentée de la vie des Saints, la qualité de ces vitraux demeure exceptionnelle dans le travail de restauration des années 80.

Comment lire un vitrail ? Ce n’est jamais une question simple, et nous prendrons pour exemple un vitrail qui se lit sans trop de difficultés, ce qui n’est pas le cas de tous les vitraux, en tout cas pour l’auteur de ces lignes…
Ce vitrail est celui du Mauvais Riche. Tout d’abord, un vitrail se lit de bas en haut et de gauche à droite, c’est la règle et la tradition. Il arrive toutefois que lors des démontages réalisés en catastrophe, avant une guerre, comme à Bourges en 1939, certaines parties aient été remontées avec quelque inversion…

Au bas du vitrail du Mauvais Riche, figurent les ouvriers maçons qui en sont les généreux donateurs, on les voit préparer le mortier et transporter leurs matériaux .
La seconde ligne montre un homme riche, cela se voit à l’ampleur de ses vêtements, et il est en train de se demander où il va bien pouvoir stocker sa prochaine récolte, il songe à abattre ses greniers afin d’en construire de plus grands. Mais Dieu veille et lui rappelle cette parole contenue dans Saint-Luc : " Cette nuit, on va te redemander ton âme". Et l’homme va mourir.

A côté de cet homme qui avait bien réussi dans sa vie, un pauvre apparut près du portail du riche, c’est Lazare, il est malade, on aperçoit les pustules. Il est léché par les chiens. C’est aussi un symbole des vitraux, les animaux savent reconnaître les bons des mauvais.

A la cinquième ligne, le pauvre meurt, il est emporté par des Anges, alors que le riche s’en va lui aussi dans l’autre monde.
La mort est toujours représentée par un petit personnage nu qui quitte la bouche du défunt.

A la sixième ligne, nous entrons dans le royaume des morts. Un diable précipite l’homme riche dans les flammes. Parabole simple, mais qui situe la valeur pédagogique des vitraux d’un temps où les lettrés étaient l’exception et les livres n’existaient pas….

Enfin la morale de cette parabole se situe à la septième et dernière ligne, Abraham rappelle au riche qu’il a reçu beaucoup de biens au cours de son existence, alors que le pauvre n’a reçu que des maux. Maintenant, "le pauvre trouve ici la consolation, et le riche est à la torture", pour reprendre Saint Luc. Parabole simple, mais qui situe la valeur pédagogique des vitraux d’un temps où les lettrés étaient l’exception et les livres n’existaient pas… Tous les vitraux du XIII e siècle se lisent ainsi, il est donc prudent d’amener sa dernière bible pour tout comprendre !


Maintenant, après Clermont, la lumière est plus massive, elle porte en elle quelque chose d’un air plus lourd. Les paysages ont tourné le dos à toute influences fluviales, et la profondeur des paysages se compte en vallonnements et en chemins tout en courbures. Il y a alternance entre les parcours autoroutiers et les petites départementales qui serpentent. Rien ne presse encore pour parvenir à l’étape du jour. Des champs de tournesols s’étalent sur des espaces qui semblent vouloir meubler l’environnement en l’alimentant de larges pans de vert et de mouchetés de jaunes. A la manière que les impressionnistes avaient de jeter négligemment des touches échevelées.

Un panneau indiquant Ebreuil à quelques kilomètres. Un village classé « village de charme » pour l’harmonie et la sérénité de sa somnolence. Et pour ses peintures murales du XI° et XII° siècles à l’église Saint Léger. Parmi les plus belles d’Auvergne. Elles se présentent comme une sorte de triptyque réalisé sur les murs sud, ouest et nord de la tribune au-dessus du narthex. Elles ont été réalisées en deux périodes 1085-1090 et 1115-1120. Notes griffonnées dans le silence des lieux :

Sur le mur sud sont représentés d’une part, des personnages en pied : l’évêque saint Austremoine, le pape saint Clément et un saint dont le nom nous est inconnu, et d’autre part, une scène de décollation, le martyre de saint Pancrace.

Sur le mur ouest est peinte, en quatre étapes, l’histoire du martyre de sainte Valérie. Avec au-dessus de la voûte, une scène d’épée qui se transmet d’un personnage à l’autre, soulignant le magnifique passage et la continuité de l’action.

Sur le mur nord sont illustrés trois scènes faisant intervenir les trois archanges.

Dans la nef, sur le second et troisième pilier sud figurent des peintures murales de style gothique réalisées après 1416. Sur le deuxième pilier figurent saint Blaise, saint Laurent, saint Antoine et saint Léger, et sur le troisième pilier figure saint Georges terrassant le dragon et un crucifiement selon le thème de la Mater dolorosa.

Merveilles d’ellipses ! …

Revenus dans la cuvette autour de Clermont, la chaîne des Puy se dessine dans les vapeurs de chaleur sur l’horizon. Je me souviens qu’ici, se trouvent en lisière de Riom, à Mozac, les plus extraordinaires chapiteaux qu’on puisse voir, de très grandes dimensions qui se trouve à hauteur d’homme, suite à un écroulement ancien d’un mur, et posés donc aujourd’hui à même le sol et qu’on peut contempler frontalement.

D’abord, il a été difficile de trouver la commune, tant Riom et Mozac sont fondues l’une dans l’autre. Puis, comme les centres d’intérêt ne sont pas forcément universels, nous entendons à un feu rouge un égaré dans sa voiture décapotable nous hurler : « Savez-vous où est le château des contes de Perrault ?! »

C’est jour de mariage. Il semble que toute la bonne société de la commune se soit donné rendez-vous pour enguirlander de leurs costumes, de leurs couleurs et celles des dentelles de la robe de mariée accompagner notre passage dans la modeste église.

Les merveilles sont là, qu’on pourrait les toucher : le chapiteau principal présente sur une face, les saintes femmes le jour de la Résurrection portant des fioles de parfum. S’il est un exemple du génie des sculpteurs à rendre, au forage du trépan, l’expression parfaite des regards humain se hissant jusqu’à une évidente psychologie du regard, c’est ici, dans ces chapiteaux de l’âge roman. Sur la face qui est contigu, un ange assis, comme dans un geste de joueur de harpe, annonce le ciel, d’un même regard d’une douceur infinie. Sur la face opposée aux saintes femmes, le sommeil des gardiens du tombeau, debout, dans une attitude d’abandon sous le poids de leur cuirasse.

Enfin sur le second chapiteau, de même dimension, d’une parfaite expressivité des mouvements, les Atalantes.

La route sillonne maintenant les paysages le plus reculés, sur des voies étroites en légère pente, jusqu’à apercevoir soudain, au sortir d’un virage, tout en creux dans la vallée, le village de Saint Nectaire et sa célèbre église du Mont Cornadore, à pyramide.

Depuis ce matin, l’habitat a bien changé. La pierre est faite ici de moellons austères, brune et taillée grossièrement. Les couleurs et les formes semblent plus décousues et très contrastées. Pays d’hivers arides. Sur la place dégagée au pied de l’église, il y a ce fameux vin qu’on ne trouve qu’en Auvergne, ou à Paris, paraît-il, à la Maison de l’Auvergne, ce vin de Chanturgues dont le nom, à lui seul, évoque quelque druide ou quelque vieille force gauloise. Vin millénaire dit-on. Evidemment, c’est plus en archéologue de terroir que ce vin doit se comprendre. Après la finesse des multiples crus de la Loire, ce Chanturgues a des allures de bûcheron. Mais dégusté ainsi au pied du mont Cornadore, en fin d’après-midi, sous un soleil serein, il paraît drapé des ailes du velours.

Le chemin est étroit, les escaliers sont raides et peu entretenus. La réceptionniste de l’hôtel nous a conseillé, pour rejoindre la place du village, au pied de l’église, qu’il serait préférable de l’emprunter. L’hôtel étant en contrebas du village, à deux lacets de route. Pour éviter un énorme massif d’ortie je me vois tout déséquilibré par l’étroitesse de la marche, et bascule sur une de ces vieilles pierres. Le sang jaillit, et je ne sais si c’est la douleur de la chute ou la brûlure des orties qui est la plus vive. 

En un éclair, je revois mes jambes et mes genoux surpris par ces orties blotties dans l’ombre qui longeait la maisonnette de mon enfance.

Les chapiteaux dressés aux piliers du chœur de Saint Nectaire, dont l’intérieur me paraît plus petit que lors de ma dernière visite, sont polychromés et parmi les plus éblouissants de la région. Tout y est, du portement de croix, de l’ensevelissement au tombeau, aux gardes endormis la nuit du sépulcre. Dans de parfaites harmonies dont on sent pourtant la rugosité de la matière sous les doigts du tailleur de pierre.

Plus loin en majesté, la Vierge à l’enfant du Mont Cornadore est un des trésors des plus humbles et des plus monumentaux dans sa simplicité, tout en bleu marial et de rouge bordé d’or sur sa sculpture de bois. Et sous sa carapace de verre, le buste reliquaire de Saint Baudime, comme la Sainte Foix de Conques, est recouvert entièrement d’une pellicule d’or fin, de grands yeux en extase, les index pointés, les doigts démesurément longs. Huitième merveille du monde non monumentale dit-on…

Dans la grande salle aux boiseries et à l’immense cheminée, ce soir c’est la truffade au jambon des montagnes.

Dimanche 18 Juillet

 

C’est le jour de grand marché. Tout y est, et plus encore. Sur tout le pourtour de l’église, les charcuteries noires comme de la terre grasse et moelleuse, les tommes géantes du Saint Nectaire, les olives rares et vertes de la région, grosses et fermes comme de petites balles oblongues, des pains de montagnes dont on sent encore le brûlé de la croûte. Nous rapportons de ces saucissons dont la région a le secret. Des classiques, et même une variété d’un mélange de porc et de bœuf très surprenant. Le charcutier nous parle de son ancien séjour en Colombie. Les marchés incitent à parler. Et bien sûr, nous ne manquons pas de rapporter deux tommes entières de Saint Nectaire que nous partagerons avec les enfants.

Avec le Montlouis acquis de haute singularité…

Nous parvenons en fin de matinée à Issoire, autre sœur auvergnate, Saint Austremoine, qui dégage ses magnifiques proportions en pyramide à étages.

Elle fait partie des cinq églises romanes d’Auvergne dites « majeures », avec la basilique Notre-Dame-du Port à Clermont, Orcival et sa vierge noire, Saint Nectaire que nous quittons, et la petite église de Saint Saturnin.

L’intérieur, dès l’entrée, surprend par la vivacité d’une harmonie confondante de couleurs, et de sa dominante rouge. Fruit d’une restauration au XIX° siècle d’Anatole Dauvergne, elle retrouve en quelque sorte l’éclat d’origine qu’avait les basiliques. Comme à Saint Nectaire, l’arc de cercle des piliers du chœur sont surmontés de chapiteaux commentant les scènes principales de la semaine de la Passion.

La ville est déserte jusque tard en ce dimanche. Issoire s’est embellie mais il est difficile de trouver des commerces ouverts. Nous prenons un des derniers vins blancs sur une placette charmante avant l’ultime étape à Brioude.

Les champs de tournesols foisonnent sur des espaces à perte de vue. Les fleurs semblent porter leur regard vers nous autant que vers le soleil. Serait-ce que nous deviendrions rayonnants ?

Brioude est maintenant une ville protégée, une ville qui a retrouvé un environnement digne de sa principale curiosité, sa cathédrale Saint Julien. C’est sous un ciel éblouissant de treize heures que les rues, les maisons anciennes, lafontaine et les petites places successives apparaissent dans le silence à peine troublé de ses terrasses, dans l’harmonie du centre-ville.

Ce qui frappe, plus encore qu’à Issoire ou n’importe où ailleurs, c’est la lumière. Irréelle et tout à la fois la plus exquise, de tonalités hybrides, assez indéfinissables, mais d’une mysticité qui lui confère une sorte de rayonnement qu’on s’attendrait plutôt à voir dans une gothique de grande volée. Des jaunes entremêlés de pourpre clair et de vert pâle qui accrochent la pierre, avec des rayons qu’on peut presque matérialiser venant des fenêtres latérales, caressant les piliers faisant jaillir la lumière intérieure de la pierre.

La Basilique avait perdu ses vitraux anciens à la révolution.
C’est en 2008 qu’a été achevée la mise en place des trente-sept vitraux des baies de la nef qui ne possédaient que de simples vitrages.

Ces vitraux semblent avoir été créés dans la plus belle osmose avec l’édifice, alors qu’il s’agit de créations récentes d’un moine coréen frappé par la foudre intérieure de la basilique.

Et puis, ce qui jaillit comme un arc en ciel, là-haut, à la chapelle St Michel dans la partie gauche de l’édifice. Une symphonie tout en courbe, en une myriade de couleurs que viennent frapper les rayons à l’heure de notre passage…

 C’était la chapelle funéraire des chanoines-comtes de Brioude. Elle est placée sous la protection de saint Michel. Ange le plus important de la milice céleste, il conduit les âmes des morts au Paradis. Peint à la fin du 12e siècle, le décor occupe tout l’espace architectural.

Le Jugement dernier selon la vision du prophète Isaïe, le Christ en Majesté apparaît dans une mandorle aux ondulations nuageuses. Le Christ avec son nimbe crucifère est assis. Il bénit de la main droite et pose l’autre main sur le livre de l’Apocalypse. Il est entouré du Tétramorphe, représentation symbolique des quatre évangélistes. Nous retrouvons l’Aigle de saint Jean, le taureau de saint Luc, le lion de saint Marc et l’ange de saint Matthieu. Autour d’eux, une centaine d’anges se déploie sur la voûte comme une vague

Ma « névrose paroissiale, ma névrose abbatiale » arrive à son terme.  Et je sais que Cécilia en partage de plus en plus les divines sinuosités…

C’est face aux vitraux, perçus à présent de l’extérieur, sur une petite place délicieusement ensoleillée que nous goûtons le dernier vin blanc sous un parasol, songeant qu’il reste encore à percer bien plus encore vers le sud.

 La Loire disparaît maintenant dans les ciels laiteux et changeant de mes paupières qui se ferment.

C’est juste un peu avant Saint Raphaël qu’apparaissent les premiers palmiers du bord de mer.

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20 Juillet

 

Les discordances au sujet de la Covid 19 sont aujourd’hui criantes. Les vaccinés ne sont plus trop sûrs d’être réellement à l’abri de l’épidémie. Les récalcitrants sont l’objet de fureurs gouvernementales donnant le triste visage de Janus à trente-six têtes. Les décisions les plus contradictoires fusent tous les mois, et en peu de temps on parvient à dire le contraire de ce qui avait été vérité quelques jours auparavant. La dernière tendance qui se dessine depuis plusieurs jours est la pression exercée sur la vaccination obligatoire et la possession d’un passe sanitaire, obligatoire pour l’accession aux restaurants, aux spectacles, aux lieux de culture et bien entendu pour les passages de frontières. On arrive à penser que l’analyse de Machiavel dans son Tite-Live, II, Chapitre 5, ne devienne une sombre prophétie :

« Lorsque le monde a surabondance d’habitants, lorsque la terre ne peut les nourrir, quand la malice et la fausseté humaine sont à leur comble, la nature, pour se purger, se sert d’un de ces trois fléaux, afin que les hommes ainsi réduits à un petit nombre et abattus par le malheur, trouve plus facilement leur subsistance et deviennent meilleurs ».

Bientôt trois injections, quatre… une tous les six mois ? ce n’est plus un vaccin mais le chemin d’une addiction forcenée.

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21 Juillet

 

A Bernard :

 

Mais non seulement tu as eu une injection sublime dans le fond du cerveau, mais l’idée est adoptée. MALEREI OHNE WORTE, tu te rends compte.

(Pour celles qui n’ont pas de poèmes). Et c’est Mendelssohn. (Et oui, Schubert n’a fait que des lieder avec des mots, Mendelssohn a écrit de courtes pièces pour piano appelées effectivement…)

D’autre part, une anecdote : Boulez, dans les années 60, envoyant un manuscrit à son éditeur allemand s’entendit répondre par une secrétaire : « Et le titre de l’œuvre c’est bien CUMMING IST DER DIECHTER ? »). Boulez, en fait, voulait simplement dire que les textes étaient du Cummings en question, mais devant la confusion du sens au téléphone (et de l’essence de la poésie de Cummings), ce titre imprévu et extraordinaire fut adopté.

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C’est vraiment l’été. Hier à la radio, c’était Caruso, Naples et le soleil qui rentrait dans la maison. Aujourd’hui, quelle surprise d’entendre Di Stefano parler un français sans aucune faute. Un sicilien vivant à Milan. On dit qu’il était caractériel.

Et puis décidemment, les voix aujourd’hui encore. Gigli chante Amarilli de Caccini. Pavarotti avait été giflé par son père qui vénérait Gigli (fasciste), le fils préférant Di Stefano. O sole moi…

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Merci Monique pour toutes ces intentions. Je suis ravi de t’avoir entendue ce matin au bout du fil. Je sais que nous sommes dans une période extrêmement aiguë. Ma fille et Cécilia sont irréductibles également. J’ai fait mes injections parce qu’avec mon hyper tension qu’est-ce que je risque ? Dans l’immédiat, une sorte de bouclier qui m’empêcherait d’aller en réanimation avec toute l’horreur que ça comporte.  Les répercussions ? Je suis âgé. (Voir le "Tite-Live", chapitre 5, Machiavel) …

Ma fille et mon épouse comprennent. Ne désespère pas. Un virus ne saurait te faire prendre un adieu à l’univers que tu as dans le cœur et dans ton âme. Patience. Quand on est artiste on peut "faire tout autre chose", mais on reste ce qu’on est.

Notre séjour a été merveilleux, mais j’ai failli "mourir" en chutant le dernier jour contre une pierre pour éviter un massif d’orties. Les enfants viennent tout à l’heure. On a rapporté un St Nectaire de deux kilos (acheté au marché du dimanche, au chevet de l’église).  Et un costume de « chevalier » pour Y.. Ce sera la surprise.

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Quelle belle phrase : Philippe Muray est l’imam caché des esprits libres.

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23 Juillet

 

A Bernard :

 

Vacances normandes donc. Entre franciscaines et dominicaines. C’est vrai que si on veut sentir des architectures qui ont une âme, les traces laissées par la religion sont légion. Je ne saurais trop te recommander à nouveau les ruines de Jumièges. On croirait un vaisseau dévoré par le temps qui serait resté debout. Le temps lui aurait mangé la matière sans que le vaisseau sourcille. On y fait le tour comme d’une carcasse dont on devine les parties disparues. Un bonheur pour les photographes de la lumière furtive. Y aller de préférence entre 11h et 13h pour faire un bon compromis entre l’éclairage de la façade ouest (le soir) et le chevet (matin), règle valable pour toutes les églises "orientées". Mais au crépuscule on pourrait croire à un "vaisseau fantôme". En Auvergne, sauf exception, c’est le chevet qui est remarquable. Donc on se lève tôt. De même qu’il y a les fameuses sœurs cisterciennes provençales (Thoronet, Silvacane, Sénanque), il y a un modèle qui a servi aux grandes auvergnates (N.D. du Port à Clermont, Issoire, St Nectaire que nous avons revue cette année, St Saturnin et Orcival dans d’adorables villages). Ce sont ces édifices qui souvent donnent le la des paysages. J’oubliais Brioude où nous sommes allés (l’Auvergne a fait beaucoup d’enfants féminins), où depuis quelques années, un moine coréen a réalisé des vitraux sublimes (je t’en ai envoyés), plus inclus sensiblement dans l’édifice que les Soulages de Conques.

Je m’écartèle entre ma nouvelle épine du pied (roman de Nice), le récit où je vais pas à pas, et les poèmes qui avancent doucement ce mois-ci (béance entre le 8 et le 18).

La chaleur commence à m’épuiser (plus beaucoup de marche) et ne soulage pas mon arthrose que je mettais sur le compte du froid de la Loire.

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Hier matin, je fais un saut chez Sauveur. Je n’ai prévenu personne, j’y venais à l’improviste. Il n’a pas fallu une vingtaine de minutes que les tables se sont resserrées avec autant de femmes pour en faire un cercle. Certaines que je ne voyais plus, d’autres qui furent surprises de ne plus me voir depuis quelques jours. Le patron cherche encore à comprendre ce phénomène.

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A Bernard :

 

Ce ne sont pas les ordres religieux qui manquent de quelque confession… Je reste surtout ému par les archis médiévales clunisiennes et cisterciennes. Urbaines ou rurales. Le grand gothique aussi, dans le monumental, le petit lui sied si peu…

Les muslims savaient faire aussi à l’Alcazar, Alhambra, Cordoue etc.

Les bouddhiques et autres, tu serais possiblement déçu.

Je connais ta théorie des choses qui changent. Que les critères varient selon les temps. Mouais. Ce que j’accepte dans l’art des sons et en peintures. En archi je reste farouchement réac’n’roll.

Parce qu’à tout prendre je préférerais un chalet traditionnel pour y vivre, à une villa d’archi d’aujourd’hui. Cube et compagnie.

Il y a bien sûr Mondrian qu’on aime et ses" toiles cirées" (un élève d’antan…). La peinture est cosa mentale (Vinci), habiter quelque part correspond à une fonction.

De même, le cinéma (c’est la fin de Cannes) est devenu un champ d’expression idéologique depuis longtemps. Une sorte d’illustration de la pensée correcte à promouvoir comme de vulgaires médias. La parole et l’image ensembles ne pouvaient aboutir qu’à ça. Triste.

Tu as reçu la page de couverture du livre de Monique Ariello. Je l’ai appelée immédiatement.

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Déjà les colombes de la paix sont fausses. Plus d’oiseaux, des artifices lumineux tournoyant, « C’est pas plus mal comme ça pour la nature… ». Déjà du faux, du mensonge sous le vernis. Comme à Cannes, le monde est chez lui par la voi(x) (e) de son (ses) maître (s). Rien ne manque dans la symbolique franc-maçonne. A commencer par ‘Imagine’. Oui, imaginons avant de dormir, la paix dans le monde, la béatitude l’amour la fraternité « si tous les gars du monde, we are the world », sans religion et sans frontière, avec ce supplément de monde qui avance, la Femme, le Handicap, et au dernier relais, les Minorités, la Diversité…

Angélisme mondialiste toujours plus haut, plus fort…

Non, Tokyo ne franchira pas la rambarde, nous serons bien sur les rails de la bonne pensée.

BZZZZZZZZZ

J’en étais encore dans mon dream, à Tokyo 64. Sayonara disait la frêle jeune femme à la fin…

Hier on était à nouveau à Tokyo. Dans cette enceinte olympique du lisse, de l’attendu verbal, comme à Cannes. On eut pu tout aussi bien être à Londres, à Amsterdam, New-York, là où il y a de la plateforme boursière.

Puis les compétitions arriveront demain. On hurlera au rythme des couleurs des Nations, avec fièvres et insomnies, gentils affrontements chevaleresques, drapeaux aux ciel. L’air de rien, on aura beau chercher, ce sera l’absence du drapeau européen, dont on sait qu’il n’est qu’un faux lui aussi.

Et décomptes des médailles, manifestation de la santé des biscotos des uns et des autres durant la permission de cette quinzaine.

Tokyo, mes rêves d’adolescent, Gottvallès, Jazy, Christine Caron, que des battus, mais je ne les ai pas oubliés. Des icônes toujours. Et c’était en noir et blanc. C’était un temps où la France avait conscience d’avoir perdue la guerre. Elle avait encore peur de gagner.  Mais je suis sûr qu’on nous avait épargné ‘Imagine’ ou son équivalent et autres mièvreries. Je n’ai souvenir que des larmes, des joies, de cette cendrée mouillée le matin d’octobre de ce 5000 mètres maudit, et des foulées que j’essayais plus tard et pendant longtemps, de mettre dans celles de Michel Jazy sur le Boulevard Victor Hugo, essayant de ne pas poser les pieds sur le bitume.

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25 Juillet

 

Stéphanie d’Oustrac dans le final de Didon. La mort de Didon. L’expressivité de ce final comme chez les plus grandes. J’ai pensé à Janet Baker.

Il fait chaud. La cisaille des cigales semble vouloir entrer dans la maison.

« Stimmung » développe obstinément un si b autour duquel tourne des harmoniques en boucle. La nuit comme du miel qui fond. 

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26 Juillet

 

A Bernard :

 

Tu as donc reçu hier en whatshap une version un peu meilleure des gravures de Monique Ariello. Elles iront bien sûr dans le Malerei… Là, il n’y a évidemment pas besoin de poème supplémentaire.

Tu as donc 4 nouveautés à inclure dans cette rubrique, à la suite de Notre-Dame. En attendant quelques peintures de type "Bonnard" que tu n’as peut-être pas.

Je suis allé hier matin à une expo qui ne dure qu’une journée de dimanche (la précédente était en septembre de l’an dernier avant Florence) à l’hôtel Boscolo qui s’appelle aussi Exedra sur le Bld Victor Hugo. Le principe est de montrer, une journée seulement, dans le cadre d’un salon d’hôtel 5 étoiles, des Klimt, Picasso, Dali, Miro ou Arman qu’on peut éventuellement acheter. Un bureau discret est en fond de salon… Le tout provenant d’une galerie parisienne. Le clou d’hier était cette version du magnifique baiser de Klimt, et de merveilleuses danseuses en bronze dont je t’enverrais quelques clichés. Mais aussi des Picasso grimaçant et quelques Chagall très lyriques.

La chaleur tape dure. Mon arthrose me fait souffrir malgré tout. Je porte même une minerve quand je reste longtemps derrière l’ordi.

La fin de mois approche vite. Tu n’auras pas le récit complet du Val de Loire. Tant pis, ce sera le feuilleton de l’été.

La poésie sera plus maigre en volume. Qu’importe.

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Au même :

 

Il vient de paraître le carnet de route (1960/2010) de Lawrence Ferlinghetti (coll. Points). Cinquante années d’observation d’un témoin et promoteur de la Beat Generation. J’en connais qui aurait bien aimé lire ça aujourd’hui…. Avec le temps ça risque de raviver pas mal de choses.

Et dire que je l’ai peut-être aperçu en 2000, enjambant des livres dans sa minuscule City Lights Library. On a préféré aller boire un coup au Vesuvio, juste à côté et traversé par l’impasse Jack Kerouac tapissée de peintures de rue. Après on a dû oublier.

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28 Juillet

 

Y. a affronté une vachette qui a eu plus peur que lui. Les enfants sont du côté d’Agde. Ils cherchent les tomates dans les champs. Les paniers plus remplis qu’à la maison. Mais ici elles sont meilleures.

« Le Marteau Sans Maître », version Robert Craft. Pour maintenant s’endormir de cette rythmique, de cette sensualité qui ne dit jamais qu’elle s’est toujours voulue lyrique.

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31 Juillet

 

A Bernard :

 

Je vois que tu travailles à cette nouvelle étape du site. Je viens de m’y rendre. C’est parfait. J’apprécie bien la transition dans les couleurs défilant sur le bandeau des photos/poème et de Malerei… Bravo.

Bien sûr le cartouche d’accueil s’est resserré mais ça commence à abonder. D’autant qu’il y a 7 nouveautés à venir.

Je me suis engagé à écrire ce texte sur Nice ("libre fantaisie par les rues et par les chemins") et je me fais l’effet schizophrénique d’avoir 2 carnets à écrire. Mauvaise impression. Ça ira mieux quand ce nouveau travail aura pris son rythme.

Dan devait venir à Nice (sur l’élan d’un bon sentiment) et comme souvent il ne s’agit que d’intention. Elle a l’air d’avoir pas mal de souci avec son frère. Elle est en effet mamy depuis quelque temps d’une petite Louisa de son fils.

Facebook peut vite devenir une vitrine de maquillage et d’artifice bisounours. Je n’aime pas ça (depuis Boni qui en était accro).

Figure-toi que je ne suis encore jamais allé à Versailles. Par contre je n’aime pas les intrusions de l’art contemporain dans les sites du passé (l’affreux Koons !). Le contemporain s’y trouve décalé (mais certains font de tout pour côtoyer des lieux de prestiges (Versailles c’est quand même grand costume), et les sites passés n’ont rien à attendre de ces "passerelles" à travers le temps. Idéologie de nivellement.

Ma fille m’avait payé un coupon resto pour mon aniv. Nous sommes donc allés hier à l’Hostellerie de la Fontaine à St Paul. On a joué les touristes. Outre que c’était délicieux, on a flâné parmi les galeries. Ça s’est bien élevé question qualité d’œuvres d’art. Dans le fond d’une impasse une flèche indiquait des peintres que j’avais connu du temps de la Galerie Hervieu à Nice ; des Pappart, Goetz, Coignard. Mais très peu d’originaux comme chez le père Hervieu. Que des lithos. Mais la dame derrière son bureau était ravie de rencontrer deux égarés dans le fond de sa galerie. St Paul est toujours belle à voir, mais comme tous ces villages victimes de leur succès c’est un peu le royaume des marchands du temple. Je te fais suivre quelques exemples de sculptures qu’on peut voir au hasards des vitrines.

Exceptionnellement ce mois-ci tu ne recevras que la (maigre) partie "poésie". Je t’enverrai le carnet une fois le récit de la Loire achevé. Vers le 15 j’espère. Je travaille lentement.

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4 Août

 

A Bernard :

 

J’avance à pas prudents dans le récit. C’est piégeux. Eviter la tentation du guidage touristique (châteaux évidement) et le passage trop brutal des seules impressions personnelles.

J’essaie de trouver la vraie fluidité qui sied à un passage au bord de la Loire. C’est le moment ou jamais…

Donc, patience. Je n’en suis qu’au dimanche 11.

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Quelques pages du carnet de route de Lawrence Ferlinghetti. Mes impressions oscillent entre le souvenir de cette poésie aimée que je découvrais dans les années 70, et ce flux déversé de phrases légèrement déhanchées et bien étudiées, baignée de jazz, souvent omettant le sujet d’une phrase (lu dans le train le poème de… réveillé ce matin au bord de la route…) que j’aurais pu lire sous la plume hâtive d’un autre, de Ginsberg ou de Corso, tant cette littérature clocharde semble quelque part assez fabriquée, se voulant fatiguée. Kerouac, quelque part peut-être serait le modèle…

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5 Août

 

Francis m’appelle depuis Brantôme. Il a reçu le « Livres des Répons » avec la dédicace. Je crois qu’il y a été sensible. Il est un de mes seuls lecteurs.

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Devant des murs trop élevés, au pied de trop parfaites symétries ou au sommet de terrasses, je suis frappé d’une phobie d’aspiration ascensionnelle.

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9 Août

 

A Bernard :

 

Oui, je vois, tu m’achèves. Rendre l’âme, ne plus écrire. Forcément. Mourir.

Francis m’a dit qu’il avait appris des pages entières du "Haut Urgell". Il a fait des déclamations à Brantôme. Tu te rends compte. Du tonnerre, de la foudre dans les Pyrénées, sans qu’on le sache !

Je le crois, je l’ai eu comme compagnon de route au Chili. C’est un pur, un ours, un sauvage social. Le Haut Urgell et ma poésie dans les "Historiettes" de Brantôme. Lesquelles sont dans la Pléiades.

Il me convie à aller au festival de Brive. Je ne crois plus en rien. Qu’à toi et à ce que je continue d’écrire. Si la source ne tarie pas.

 

Monique Ariello trouve que la reproduction photographique de ses « Leçons de Ténèbres » est loin de son chromatisme, mais elle comprend. Je lui ai laissé la possibilité de supprimer la rubrique. Mais je crois qu’elle est bon enfant, qu’elle comprend.

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Aujourd’hui le pass sanitaire entre en vigueur. Chez Sauveur, je suis enregistré. Des clients de passage ont dû partir…

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Hier soir, j’ai fait une série de peintures numériques : BURNING HIROSHIMA. Quelque chose aussi qui me fait penser à des marbres romains, à Néron mettant la ville en flamme. C’était l’anniversaire de la main mutilée d’Alain Jacquot – 8 Août, 11h 11, 1969 (précise-t-il) …  Quand d’autres vivaient le plus beau de leur vie… Il m’a rappelé l’évènement. J’en suis navré.

Quant à Bernard il m’a dit comprendre la bombe sur Hiroshima.

Chaque rupture amoureuse m’a toujours fait l’effet d’une sorte d’Hiroshima. A tort probablement. 

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12 Août

 

A Bernard :

 

Donc demain vendredi, départ pour Conques. Vendredi, samedi, dimanche. L’opportunité d’une réservation au gîte rural (les hôtels sont complets : je n’aurais pas ma chambre habituelle à l’Hostellerie st Jacques), un vendredi de disponible pour Cécilia, et le petit qui cherchait depuis quelques temps à voyager avec ses grands-parents.

Donc, pas de messagerie. Peut-être whatshap pour des images….

Mon récit Val de Loire traîne. Je regarde mes notes tous les matins avec l’angoisse de ne pas trouver le ton. L’angoisse de ne pas retrouver les pas sur le même chemin…

Ce sera plus long que prévu. Pour septembre.

Ce doit être pour partie à cause des chaleurs qui s’abattent dès le matin.

Tes essais de couleurs vont dans le bon sens.

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Je suis entré successivement dans « J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu », « Le Jour d’Après » et « Les cloches sonneront-elles encore demain ? » de de Villiers. Le ton est souvent grinçant, serré et le style étonnamment percutant. L’enquête sur l’origine des « Pères fondateurs » de l’Europe (Monnet, Schuman et Wallstein), inattendue dans sa conclusion, particulièrement documentée en annexes.

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Comme chacun sait, les amis se comptent sur les doigts de la main du Baron Empain dans le meilleur des cas, et sur les doigts de Django Reinhardt pour les plus pessimistes. Pierre Dac ou Pierre Desproges ?

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16 Août

 

A Bernard :

 

…On est là. De retour, après ce week-end comprimé parce que partis obligés, vers 13 heures vendredi.

Conques n’a pas changé sinon que les arbres ont grandi, les herbes aussi, les pierres ont bien vieilli et ce fut une surprise pour Y. de voir un habitat si différent. Bon, au gîte il y avait un chien, Royce, rebaptisé Ryce, c’est l’essentiel. Y. s’est initié à la photo avec mon Pentax qui avait couvert le Chili… Ça lui a donné un fil conducteur pour supporter tous ces sites, ces tympans et maisons biscornues. Puis, il y a eu les champs de vaches, les Limousines et les Salers. Puis on a mangé à Junhac au bout du monde en forêt de chênes (Cantal) sur des tables d’ardoise pesant des quintaux d’un seul bloc et lisse comme du marbre. Un vrai travail d’Obélix. Et puis on a traversé la vallée des daims. Ils viennent vous manger dans la main.

On a eu une chaleur inhabituelle, un vrai souffle de Sahara. On a dormi avec une fenêtre qui ouvrait sur d’énormes feuilles de bananiers. Un signe !

Le soir le tympan de la basilique était éclairé comme on le fait dans les lieux insignes, par un jeu d’éclairages qui déforment plutôt les couleurs, surtout ici où les bleus Angelico" se suffisent à eux-mêmes à la lumière du jour.

Les curés s’adaptent très bien. Ils deviennent conférenciers sur le parvis, un tantinet cabot, répétant des effets anecdotiques inlassablement connus, puis le titulaire de la basilique, conférencier devenu "Jean-Daniel", nous dit-on en confidence, donne le concert d’orgue quotidien, vers 21h 30. La nef est bourrée à craquer. Ce n’est pas du Bach ou du Couperin, mais "que je t’aime" de Johnny et "les portes du pénitencier" (inévitables), quelques standards et aussi Piaf. Tout ça parfaitement harmonisé, avec grands jeux, tire-larigot, hanche double etc., que certains ont pu croire aimer spontanément la musique d’orgue. Le menu d’été. Quelques personnes très émues, la tête dans mains, isolées dans des coins de l’abside ou sur les bancs de pierre, totalement extasiées.

Le petit allait de droite et de gauche, observant, totalement curieux.

On a enfin traversé le Causse par le magnifique viaduc de Millau. Le pont du Gard contemporain. Comment faire maintenant pour déguster les sublimes ris de veau du centre de Millau ?

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CONQUES   13/15 Août

 

LETTRE  A … :

 

Nous revenons tout juste d’une escapade éclair vers Conques ! Tu sais combien je suis attaché à ce lieu depuis quelque quarante ans. C’est le premier séjour que nous faisons avec Y.. Il a bien supporté les quelques sept heures de trajet (Saint Martin de Crau et ses sempiternelles processions parechocs contre parechocs…). Arrivée vers les 20 heures, j’avais une légère appréhension vite dissipée, et me suis dit, comme on dit à quelqu’un qu’on n’a pas revu depuis longtemps : " non, tu n’as pas changé"… Et j’ai revu en un clin d’œil, les arbres qui avaient plutôt bien grandi. Il semble qu’il n’en manquait aucun à l’appel ; les pierres noires et irrégulières, les joints fidèles de ces maisons qui sentent la force et l’aridité des hivers du cœur de la France, rugueuses et sans manières, puis la stature majestueuse de Sainte Foy qu’on aperçoit d’où qu’on regarde. Nous étions logés au gîte communal, tout en haut du village, comme pour mieux dominer la situation. Les hôtels avaient été vite envahis à l’approche du 15 août. L’éclairage des ruelles, la nuit, est d’une douceur indirecte qu’il en est fantomatique. Comme les ombres d’une fantaisie poétique de pierre. Vers 21 30, le concert remplit la nef de tout ce qui est excédentaire au village, de pèlerins et de mysticité vagabonde. Le second soir, arrivant plus tôt, je vois que les curés, faute de faire de nouvelles ouailles, se sont reconvertis, en aube blanche, en maîtres de conférence un tantinet cabot… Sur le parvis, j’écoute distraitement quelques anecdotes faciles sur l’histoire de Sainte Foy, son martyre et ses miracles, quelques bons mots sur quelques personnages du tympan, dont un moine damné pour avoir couché avec une bougresse des lieux, et tant d’autres épisodes (manquait au prêtre la règle pour montrer comme au tableau noir, la situation des personnages…) que je me suis revu dire ces mêmes histoires dans mes passages en classes il y a quarante ans. Ce premier soir, l’orateur, après le prêche d’Histoire se convertit en "Jean-Daniel qui est à l’orgue ce soir", me dit-on en confidence, comme on dit de Ruggiero quand Raimondi va sortir de coulisse. Ce n’était pas Bach ni Couperin, mais "Que je t’aime" de Johnny, "Les Portes du Pénitencier" (irrésistibles évidemment), quelques standards qu’on n’est plus surpris de voir ensuite s’enchaîner, comme Piaf ou des tubes plus récents. La nef bourrée à craquer, comme pour le plus impitoyable sermon en temps de crise. Il n’en demeure pas moins que j’ai respecté ces quelques pèlerins, souvent isolés vers le fond de l’abside, ou carrément allongés sur les bancs de pierre, la tête ensevelie dans les mains, d’émotion.

Peut-être qu’au Moyen Age, les musiques n’étaient-elles que des « que je t’aime » qui allaient droit au but. Nous avons mis de l’abstraction dans tout ça.  Le grand art a cristallisé la force première des naïvetés de la foi… Les mendiants et les lépreux auraient-ils saisi ce Ricercare à 6 qui m’avait tant bouleversé à Saint Maximin ?  Moi qui ai perdu la foi il y a si longtemps. Peut-être ces curés dont je me moque ont-ils plus que moi le sens de ce qui touche les foules. Bien sûr ces musiques que nous considérons avec un peu de mépris, descendues vers le bas, mais entendues ici, harmonisées aux grands jeux, à tire larigot par-ci et par là, un coup de cromorne, un coup de séduction, et voilà le pèlerin dans le bain de l’émotion collective.

A la sortie, le spectacle de lumière sur les motifs du tympan se poursuit devant le parterre serré de ces auditeurs dont on n’entendra pas le moindre souffle. J’ai secrètement pensé que cette mode des éclairages des façades de cathédrales insignes était d’une pédagogie sincère, mais ici même, les couleurs étant encore vivantes sur la pierre de plein jour, notamment les bleus "Angelico avant l’Angelico", j’ai trouvé saturés ces jeux par trop insistant.

Le plus extraordinaire est d’avoir été autorisé de visiter durant le concert, les parties supérieures de la basilique, les tribunes et tout le pourtour laissant apparaître la véritable conception architecturale. Un peu comme un voyage au centre du visage abstrait de l’édifice. Et puis les chefs-d’œuvre inaccessibles depuis le bas de la nef : l’Annonciation, la main levée de l’ange, à portée de la mienne. Deux Évangélistes surveillant la scène, les parchemins sacrés tenus hiératiquement à bout de bras.

Et puis les vaguelettes grises et noires, les lancettes que le soleil perce durant le jour, les Soulages discrets qu’on pourrait toucher du doigt. Mais comment ne pas s’effacer dans un tel vaisseau ? 

Le souffle du Sahara.

La fenêtre est ouverte sur d’énormes feuilles de bananiers qu’il en devient difficile d’ouvrir celle-ci. Un prélude, et comme une annonce de la moiteur sans expiation possible. Y. ne se plaint de rien. Il gagne le concours de celui qui s’endort le premier.

Demain il aura mérité d’aller à la Vallée des Daims.

A la fin du concert j’aperçois subrepticement, derrière les vitres en cul de bouteille de l’Hostellerie Saint Jacques, rebaptisée "Restaurant Saint Jacques", ce propriétaire des lieux qui avait des rêves en 1980 de s’installer sur la Côte d’Azur pour une belle affaire hôtelière, et qui porte aujourd’hui le poids de je ne sais quelle frustration d’être resté à quai, dans cet effondrement quefont les rêves quand ils sont partis, de n’avoir jamais tenté le large. Son épouse n’est plus même là pour compter, comme il le fait solitaire, sous les carreaux, la loupiote et la caisse, les comptes du jour…  Quel péché sans la conscience de l’avoir commis, que cette station de calvaire sous les yeux de Sainte Foy…

C’est le premier séjour avec Y.. Et c’est pour deux nuits, à Conques. Il est triomphant sur une photo, avec le viaduc de Millau derrière lui. Le temps a passé. La dernière fois c’était avec Hélène, retour du Roussillon. Et le viaduc n’existait pas. On s’était arrêté au centre de Millau. Hélène avait aimé la salade de ris de veau. Après elle a grandi, elle n’a plus aimé.

Le pont romain, en fait n’est pas romain mais médiéval. Probablement construit sur une structure romaine précédente. Que faire sans ce pont qui monte vers l’autre versant du village, qui le surplombe et en donne une perspective unique ?

On avait prévu de se baigner sur le Dourdou, (l’Ouche ?), comme on l’avait fait avec Hélène, se dorant sur les énormes rochers en dos d’hippopotame. L’eau coulait de nappes en nappes et en trous d’eau profonds successifs, avec la monotonie sereine du chant des rivières, comme il y a chez nous le chant des cigales. Aujourd’hui, le lit de la rivière est saturé, l’eau salie a la couleur boueuse et opaque de l’ocre en deuil.

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A Jacquot :

 

Tarragona ! Quelle belle ville ! Nous y avons fini notre périple d’Espagne l’an passé …

Célèbre pour ses ruines romaines, ses concours de pyramides humaines qui drainent des foules en délire durant la saison. Et quelle belle cathédrale.

J’ai tenté la montée (par ascenseur) de la tour médiévale et fus pris une fois là-haut de cette phobie d’aspiration ascensionnelle ! Une sorte de vertige inversé.

Cécilia a dû prévenir les secours internes au monument (rappel interdit de l’ascenseur en retour). Je n’en suis pas fier. Je me laisse souvent piéger par ce qui me dépasse…

Tu devrais tenter l’Espagne un jour. La mystique de Tolède. Greco ! Et juste à côté, Avila… Les moulins de "si vous me disiez que la terre à tant tourner vous offensa…"…

Et l’Italie que tu dis ne pas aimer. Les Troyens de Berlioz disaient (par la voix de Thill, c’est encore mieux) : "… Italie, Italie", et ça finit par une note que je ne saurais nommer, mais que les maîtres ténors se doivent de "couper" sur la dernière syllabe.

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Maupassant, comme Schumann, Nietzsche et Hugo Wolf, et quelques autres, sont morts fous dit-on. Plutôt de la syphilis. On ne le dit jamais. D’un streptocoque qui monte d’en bas jusqu’à la cervelle. Schubert, de quoi est-il disparu ? à trente et un ans ? Juste après l’opus 163…

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Bateaux gonflables de l’immigration, bateaux en dur à l’horizon visible de Lampedusa hier, de la Grèce ou d’ailleurs, sur ces bateaux seulement des hommes.

La guerre, la misère, l’espérance de l’Occident, ne concernent pas les femmes.

Demain les afghans. Les hommes afghans. Les femmes resteront au pays obscur.

Combien de pays musulmans reçoivent les afghans ?

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La nuit envahit. Je sais les dix plus belles Isolde depuis longtemps, depuis toujours. Ce soir c’est Frida Leider. Acte II. Melchior aussi. 1936. La nuit aura-t-elle la fraîcheur et les bruissements de l’apesanteur ?

Nous souffrons du Sahara. Nous souffrons de mourir bientôt.

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Maupassant, sur un point assez méconnu de l’histoire de la Corse : Pascal Paoli, hostile aux idées républicaines, aurait négocié avec l’Angleterre l’indépendance de la Corse. Entre insulaires …

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19 Août

 

Depuis plusieurs jours j’ai peur de la chute. Il m’arrive d’hésiter dans les escaliers de la maison. Mes jambes ne portent plus comme avant…

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L’ancien restaurant en bordure de route où nous mangions des moules au début des années deux mille (Chez Charlie) s’est transformé en « Pompes Funèbres de la Lumière ». Peut-on inventer une chose pareille ?

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21 Août

 

A Bernard :

 

En fait je me concentre surtout sur le récit du Val de Loire. J’ai tellement peur de me planter dans les images choisies ou les tournures que ça avance doucement. Comme dit dans le précédent message "à petites touches". D’où l’importance de plus en plus grande, des notes. On peut y revenir un mois plus tard, le défilement des évènements retrouve sa place dans le discours chronologique. Et les sensations qui les accompagnent.

 

Je crois avoir penser la même chose que toi : le passe sanitaire est une façon détournée d’obliger. Donc hypocrisie. Parce que dans notre pays, l’ombre même d’une entrave à la liberté devient inconcevable. Alors que nous sommes saisis par de multiples carcans aux libertés (directs ou indirects). Je serai plus circonspect sur ce que tu penses du casque et de la ceinture.

Quant aux arguments des anti passe, j’écoute. Ce n’est pas si idiot.

La voix "patronale" n’est pas toujours emplie que de Raison.

 

Concernant l’écriture de Ulysses II, c’est le point d’interférence de tous les autres écrits. Mois maigre, mais comme toujours, quelle importance ; Je me demande combien de volumes Gallimard a manqué avec moi. Mais comme dit Chateaubriand : "j’ai assez écrit si mon nom doit vivre, beaucoup trop, s’il doit mourir".

 

Je crains beaucoup les dénivelés dans les rues, les aspérités impossibles à voir, qu’au dernier moment. Mes jambes ne tiennent en fait plus comme avant. Malgré des promenades de plusieurs kilomètres parfois.

Les chutes peuvent être graves depuis mes escaliers. Il n’y a rien qui puisse retenir. Une rambarde de bois. Et il faut avoir le réflexe de s’y agripper.  Voilà que je mets à parler de chute. De déclin…

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22 Août

 

Envoyé par Patrick Scrocco :

 

C’ÉTAIT IL Y A 41 ANS….. et quelqu’un qui voyait bien l’avenir de la France!!! 

Un visionnaire en quelque sorte …

Il y a 41 ans, Mr Poniatowski (ancien ministre) écrivait ces lignes… Lisez bien attentivement 

L’ancien ministre giscardien, Michel Poniatowski, écrivait dans son livre-testament une 

conclusion dont on ne voit pas quelle ligne on pourrait changer 41 ans plus tard. 

 

"Son âme, la France est en train de la perdre, non seulement à cause de la mondialisation, 

mais aussi, et surtout, à cause de la société à la fois pluri-ethnique et pluri-culturelle que l’on 

s’acharne avec de fausses idées et de vrais mensonges, à lui imposer.

Si cet essai a permis à quelques-uns de mesurer devant quels périls nous nous trouvons 

placés, il aura déjà atteint son but. (…) Ces pages peuvent apparaître cruelles. 

Mais elles correspondent à un sentiment très profond. 

Le moment est venu de traiter énergiquement le problème de l’immigration 

africaine et notamment musulmane.

Si tel n’est pas le cas, la France aura deux visages : celui du « cher et vieux pays» et 

celui du campement avancé du tiers monde africain.

Si nous désirons voir les choses dégénérer ainsi, il suffit de leur laisser suivre leur cours. 

Le campement africain toujours plus grand, plus vaste, plus illégal, grignotera d’abord, 

puis rongera, avant de faire disparaître tout entier le cher vieux pays, dont la défaite 

sera annoncée du haut des minarets de nos nombreuses mosquées.

Nos temps sont assez graves pour ne pas faire appel à de médiocres facilités politiciennes. 

Nous allons vers des Saint-Barthélemy si l’immigration africaine n’est pas strictement 

contrôlée, limitée, réduite et expurgée de ses éléments négatifs et dangereux, si un 

effort d’intégration ne vient pas aussi compléter cette nécessaire répression.

Les mesures à prendre sont sévères et il ne faudra pas que le vieux pays frémisse de

réprobation chaque fois qu’un charter rapatriera des envahisseurs illégaux. 

Il faut donc ainsi que ce cher vieux pays restitue à l’état sa place normale. 

Les libéraux l’ont affaibli, les socialistes l’ont détruit.

"Où sont les grandes tâches dévolues à l’État ? La Justice, l’Armée, l’Éducation nationale,

la Sécurité, la Police, notre place en Europe ? En miettes. 

La France est à l’abandon, et en décomposition à travers le monde. 

Sa recomposition est dans un retour énergique à l’unité et à la cohérence, et de la 

Nation et de l’État."

"Si la vérité vous choque, faites-en sorte qu’elle devienne acceptable.

Réponse :
 On en a déjà parlé. Ce que dit Poniatowski est très juste. Surtout dit il y a quarante ans.

Que n’a-t-il agi dans ce sens lorsqu’il était ministre de Giscard ?!

Et c’est sous le même Président que le regroupement familial a été imposé.

Pourquoi Ponia n’a-t-il pas démissionné ou pesé plus lourd dans son ministère ?

Comme G. Collomb :" La France est aujourd’hui côte à côte, demain face à face". Et il a quitté Macron.

Les Mémoires de Ponia après coup, c’est lucide, mais ça ne prend aucun risque. L’homme politique est d’abord homme d’action.

Sous Giscard, on était loin d’un tel constat.

J’ai malgré tout conservé ce document que tu m’avais fait parvenir il y a quelques années. "Pour mémoire …"

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24 Août

 

19 heures 50… La représentante des « Droits de l’Homme » à l’O.N.U. exhorte les talibans à respecter les droits de la femme en Afghanistan. De quoi se mêle-t-elle ?

En Afghanistan les « Droits » en question sont pris au pied de la lettre.

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25 Août

 

Réponse à un courrier indirect de Patrick Scrocco :

 

Ce que je reprocherai à Pierre Perret, c’est qu’il s’en prend au Moyen Age. Comme tout le monde hélas…S’il s’informait mieux, il saurait que c’est une des périodes de notre histoire la plus élevée spirituellement.

Peut-être faire une chanson courageuse dans ce sens ?

Ne plus assimiler cette période qui a vu naître les cathédrales qui voulaient toucher le ciel, qui a donné Saint Augustin, Guillaume de Machaut, qui a vu Cluny conserver l’héritage de la civilisation gréco-latine, ce qu’on nommera plus tard la Renaissance, qui a vu, toujours à Cluny, Pierre le Vénérable traduire le premier, le Coran, sans attendre les lumières du XVIII° siècle, et tant d’autres faits qui montrent sa hauteur de vue en toutes choses. 

Même si la science n’avait pas le niveau qu’elle ne pouvait évidemment avoir en ce temps.

Il faut cesser d’assimiler Moyen-Age et ignorance. On a mis ça dans la tête des gens parce que c’était un temps hautement chrétien. C’est tout aussi bête. Et on ne retiendra que les guerres intestines au sein même de la communauté, protestante et catholique, qui viendront bien après, à la Renaissance des valeurs humanistes…

Et un temps qui ne connaissait évidemment pas encore le smartphone… 

Notre 20° siècle dont on est si fier a, pour sa part de barbarie, permis 2 guerres mondiales, Tchernobyl, Auschwitz, Hiroshima, et le pire qui devait venir : l’abandon de l’Occident dans le suicide de lui-même.

Ce qu’aucune période du Moyen Age n’aurait toléré.

XX° siècle de la raison dit-on, et de la nouvelle allégeance à la seule science.

Et au développement du seul profit, du veau d’or et de la matière.

Donc au-delà du problème de la soumission des femmes de l’Islam –sujet de la chanson de P. Perret – (que nos féministes ne défendent guère puisqu’il est plus facile de s’en prendre aux seules valeurs d’un patriarcat aujourd’hui vermoulu), l’Occident montrait en ces temps anciens qu’il avait au moins des anticorps, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

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26 Août

 

A Bernard :

Je travaille d’autant plus doucement que je ne quitte pratiquement plus la minerve. J’ai du mal à baisser les yeux sur le clavier sans quelque douleur atroce. Pareil pour lever plus haut que la ligne d’horizon. Sans rire, ça devient un souci que de finir le fond d’un verre…La nuit je dors par demie heure. Malgré le doliprane qui ne soulage pas grand-chose. Je vais quand même voir un médecin.

Et dire qu’on va devoir se mettre une 3° injection. Ça va finir en addiction avant deux ans ! Cette fois j’attendrai la convocation. Je n’irai pas au-delà.

Comme l’humain ne se respecte plus (l’homme est censé tuer la planète, les amis des bêtes -spécistes- se retournent contre toute tentative d’expérimentation sur l’animal, le changement de climat lui est aussi imputé etc. tout laisse à penser que l’humain ne s’aime plus), l’expérimentation des nouveaux vaccins se fait aujourd’hui directement sur lui. Et si tout n’est pas au point, on éliminera les plus faibles. Logique issue de Machiavel (Tite-Live, chap. 5). Le monde est las de trop se peupler. Il faut des victimes (Machiavel, chap.5, Tite-Live).

La crise sanitaire a accéléré le contrôle de tous les flux et les vertiges démographiques incontrôlés en ne conservant que ceux qui seront utiles. La 5G et les traçabilités futures iront bien plus loin que les pass actuels.

Il y aura une police de l’existence comme il y a eu une régulation des naissances et un encouragement de l’avortement (toujours la rationalité occidentale, mais pas celle d’autres continents).

Terrible ces douleurs. Ça ne fait pas penser positivement, non ?

J’ai quand même lu d’une traite "l’Empire du Bien" de Philippe Muray (écrits de 1997), visionnaire en lucidité.

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Suite –

 

La troisième injection, c’est la tv qui en parle, mais c’est une réalité depuis aujourd’hui. Donc, je le redis, à quand l’addiction ?

J’ose croire que tu ne prends pas ce que je dis comme un duplicata ânonnant de ce que dit la télévision. Il m’arrive de m’interroger.

 

Oui, nous avons eu la chance d’échapper aux guerres 1 et 2, au chômage systémique, à celle d’Algérie (de peu, pas comme ceux qui nous précédèrent) et ce, durant tout le temps de notre vie. Baby-boomer dit-on.

Par contre, je l’ai dit dans mille analyses du carnet, je n’aurai pas cru vivre cette mort lente de notre monde agonique. Sera-ce long cette fin ?

Certains vivaient des guerres, mais savaient pourquoi. Ils reconstruisaient tant bien que mal sur des socles, des certitudes. Aujourd’hui, non seulement il n’y a plus de certitude (sauf, celle sus-dite), mais tu peux même dire une chose devenue aussi banalisée que "détail superficiel, la mort de l’homme…".

Mais c’est vrai on peut toujours en rire.

Les actualités au cinéma, c’est vrai aussi, étaient attrayantes, parce que brèves, mais tout aussi idéologisées qu’aujourd’hui.

J’ai donc rendez-vous demain chez mon généraliste. Que pourra-t-il pour moi. J’ai une rotation à 15°, je ne peux vider un verre en son entier, et les douleurs sont très diffuses comme de l’acier qui coupe sur tout l’arrière de la tête. Et la nuit…

Je peux encore lire à condition que les lignes soient à hauteur de l’horizon. Jusqu’à quand ?

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Pierre Boulez commente, dans une interview des années 2000, le fameux « Schönberg est mort, Stravinsky demeure », révélant que beaucoup de ses pourfendeurs lisaient les titres de ses articles sans prendre connaissances de leur contenu. Pareillement pour « il faut faire sauter les maisons d’opéra » où il s’agissait de faire vivre autrement ces vénérables maisons ronronnant.

Il y a du néo-classicisme même chez Schönberg, vers la fin ; ce qui rassure ma théorie, dans le domaine des arts, des champs cycliques.

L’académisme de Schönberg : « L’absurdité d’avoir à compter de 1 jusqu’à 12, et de douze jusqu’à un… »

J’aime pourtant toujours infiniment ses quatuors à cordes. Plus libres qu’on ne croit. Ils valent bien ceux de Bartok.

Theodor Currentzis a ses détracteurs comme d’autres le vénèrent. Il m’a suffi d’entendre son requiem de Mozart pour savoir qu’il remue sacrément les partitions. « Le texte, rien que le texte… ». Il paraît avoir une fraîcheur que chaque nouvelle génération contribue aux lectures devenues par trop académiques. Les baroqueux, eux-mêmes, historiquement si bien informés se voient prendre un coup de vieux à chaque tranche de dix années, une génération époussetant l’autre…

Le Rameau anthologique de Currentzis parle de la lumière. Avait-on déjà pris Rameau sous l’angle de la lumière qui irradie le sens de ses tragédies ?

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Le final à Bayreuth du Crépuscule, l’Immolation. C’est Nina Stemme cette année. Le retour à l’âge d’or. Voix immense. Voix de miel.

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27 Août

 

A Bernard :

 

La Boétie qui a écrit "de la servitude volontaire". Tout un programme bien contemporain. Je n’ai pas eu de troisième injection. Il faut un délai de six mois. Mais ce serait la dernière fois. J’attendrais la convocation. Il n’est pas question de prendre de fâcheuses habitudes question seringue. Tout au plus je me soumettrais à l’injection de rappel annuel. Comme pour les vieux grippeux.

 

Je ne crois pas que ce soit un torticolis, c’est de l’arthrose aigu et même vachement aigu. Enfin, je ne sais si mon généraliste "est" le bon médecin, mais j’espère qu’il connait le problème et qu’il a une solution, bien que ce mal soit sans espoir de le voir disparaître complètement.

 

J’ai eu, moi aussi, la tentation d’aller voir de près ce qui se cachait derrière les films de Kurosawa, Mizoguchi et bien d’autres. La musique traditionnelle aussi a été un élément qui m’a fait me mettre au japonais en 2003. Pendant 2 années scolaires environ. Il ne me reste rien ou si peu. Ma prof Keiko m’a dit que quand un étranger avait appris le japonais, les gens du pays savaient si le prof était un homme ou une femme. Il y a une manière absolument et irrémédiablement perceptible dans un je ne sais quoi qui « s’entend ». Merveilleux ! Au bout de 2 ans, je commençais à faire quelques phrases dont j’étais fier. Keiko nous dit un matin : "ce que je vous ai appris jusqu’à aujourd’hui était basé sur les 2 alphabets pour enfant. Oubliez tout ça. Cette année, on inclut TOUS les idéogrammes japonais"… Deux ans de tour de chauffe en quelque sorte. Et puis après mes journées au conservatoire je n’ai plus eu envie d’oublier les alphabets d’enfant et j’en suis resté là. C’est comme le solfège, plus on est jeune, mieux c’est.

Que ta fille écoute de la musique coréenne ! C’est fascinant. Raffiné en diable. Longues plages d’orgue à bouche qui évolue comme des volutes impalpables etc.

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Jacques « le pervers » Attali disait il y a peu, que la France était un hôtel. Je fus d’abord surpris par l’insulte, par la bassesse de la considération. Puis, je me dis que pour une fois qu’il ne plagiait pas un ouvrage, il s’était lourdement trompé, que l’image d’une France à la seule vocation subalterne de recevoir et de loger, au-delà de l’indécence de la métaphore, était encore trop tristement éloignée de la réalité.

Dans un hôtel, on fixe les tarifs, et si la France se respectait, ces tarifs paraitraient prohibitifs à ceux qui y séjourneraient sans en avoir les moyens. Ensuite, le propre de l’hôtel est de recevoir, d’encaisser le dû pour le séjour, et de voir le passager repartir.

Là où Attali est loin de la réalité, c’est que dans notre pays exsangue et aux pouvoirs régaliens impuissants, c’est l’hôtel qui subit n’importe quel passager, clandestin ou pas, qui le loge à ses frais, et qui ne le voit jamais repartir. Au point que l’hôtel étant plein aux ras bords, elle accepte encore d’en coucher dans les couloirs, voire sur le palier de l’entrée, dans la cave et bientôt dans les placards. Sur cette image-là Attali l’insulteur n’a qu’une très pauvre idée de l’ampleur qu’engendre une telle métaphore.

L’hôtel de France est tellement impuissant qu’il ne contrôle plus même certains de ses hôtes qui en viennent par la lame du couteau, par la kalashnikov, à tuer d’autres locataires des lieux, afin de changer le règlement interne de la maison qui les reçoit.

Connait-on un pays qui laisse en liberté un client de l’hôtel qui a mis le feu à une cathédrale d’une grande ville, assassine un prêtre six mois plus tard dans son église, et qui reste encore en liberté ?

Dans le grand pays des droits de l’homme.

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Plus d’une heure au téléphone avec Hélène ce soir. Elle s’angoisse pour la possible vaccination des moins de douze ans. C’est un grand plaisir de se parler ainsi, même de loin. Elle est comme une lionne qui garde terriblement bien ses petits.

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29 Août

 

(C’est à cette date (1980) que j’arrivais pour la première fois à Conques, par la départementale 901)

 

A Bernard :

 

Pour Conques, j’ai pris des notes évidemment. Le texte de base sera celui qui est déjà sur le site à la rubrique Voyage. On l’agrémentera de cette nouvelle visite, la première avec mon petit fils. Donc évidemment ça compte, et c’est tout un symbole qu’on ait fait ce séjour à cet endroit. Le chien y sera, Soulages aussi. A chaque fois qu’il y aura du Conques dans les écrits je te le signalerai. Ça viendra toujours à la suite…

 

La fin du mois approche. J’en suis aux deux derniers jours du Val de Loire. Tant de temps pour quelques vingt-cinq ou trente pages. Mais je voudrais qu’elles soient bien fidèles à notre passage.

Et puis, j’avoue, je me prélasse. Ce sont les derniers feux de l’été. En prenant mon temps, je revis un peu de flânerie sur les route de ce Juillet dernier.

 

Un qui ne perd pas de temps c’est Onfray. De plus en plus accaparé par le souci de notre histoire contemporaine. Je le trouve de plus en plus pertinent et courageux. Pourfendeur de marée haute. Ils sont peu à ramer à contre-courant.

Son dernier pamphlet : "Autodafés". On se refile les lectures avec un de chez Sauveur. Un coup lui, un coup moi à l’achat. Et comme Onfray va décidément très vite, on n’arrête pas de mettre la main au portemonnaie.

 

On a goûté la première bouteille de ces vins de saint Jeannet. Du très typique vin de Provence. Rond, moelleux, avec un peu de gras et assez long au palais. Et ce n’est que le millésime le plus récent. Vraiment une découverte. On a déjà mis le "Yquem de Saint Jeannet" au frais !

 

Mon arthrose se traîne. La crise est comme ces traînées de nuages après les gros orages. On en voit encore les traces longtemps après.

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Je te signale que la fête de la géométrie est un 3 février (tu vérifieras) suite à un soulèvement intempestif que tu eus un 3 février de 2018 ou avant ou après. C’est dans un Carnet…

Combien 62 800 milliards de chiffres prennent de place en valeur métrique ? J’avais déjà été impressionné par le mur des 6 millions (je crois) de noms de morts de la Première Guerre, inscrits sur un des murs extérieurs du père Lachaise.

On dit, question chiffre, que Churchill aurait fumé autant de cigares qui, mis bout à bout, feraient une chaîne de plus de 44 000 km : la circonférence de la terre.

En plus il buvait. Vraiment pas un exemple pour la morale actuelle et sa jeunesse.

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31 Août

 

A Bernard ;

 

J’envoie la poésie ce soir.

Tu es dans la Corée à fond ; les enfants font des choses auxquelles on adhère ou au contraire, auxquelles on ne comprend rien. Ma fille voudrait qu’on déménage et qu’on achète un terrain sur lequel on aurait un chalet double (constructible en kit : ça se fait paraît-il) dans le genre 100 m carré chacun. Les budgets s’envolent, mais ça ne lui fait pas peur. Elle contacte des agences, m’envoie des liens avec images etc. Mourais-je comme Moïse, au-delà de la Terre Promise ?

Boni m’a écrit. Elle est au courant de mes voyages (via facebook de Cécilia). Elle a toujours le plexi que je lui avais offert. Elle vit maintenant avec son père grabataitre à Menton. Triste. Et elle a une amie qui fait également le Luxembourg…

Finalement je m’inscris aussi à la troisième session (clôture dans 30 jours).

Pour la Corée, dans la collection World Network, Seoul Ensemble of Traditional Music est excellent.

2 CD aussi dans Musique du Monde : Corée : Musiques du pays du matin clair. Collection Dominique Buscati, dirigée par Gilles Fruchaux. A ne pas manquer.

Ici il fait beau depuis longtemps. Quand j’ouvre les volets le matin j’ai l’impression d’être dans les îles tant la répétition du bleu du ciel est permanente. Jusqu’à l’orage qui nous fera grincer.

Onfray écrit comme il cligne des paupières. Je crois qu’il n’écrit pas tous ses livres, qu’il délègue. Le contenu étant avalisé. Ou alors il a quatorze dictaphones qu’il déploie comme des lianes.

Mais il est de plus en plus proche des "préoccupations" contemporaines. Très bien.

Je vois dans ton en-tête que l’écriture coréenne a donc commencée comme un jeu d’enfant.

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2 Septembre

 

L’automne approche, il fait respirable.  C’est la rentrée des classes. Y. a dû mettre le masque, mais il a l’air heureux d’être entré dans la cour des grands. Villeneuve-Loubet est une chance. L’école ressemble à celles qu’on avait pu connaître.

Chez Sauveur, on sent un air de fin de vacances, de mélancolie.

Quelle merveille que le tryptique du jugement Dernier de Memling. Pour illustrer Josquin.

Et Cyprien de Rore. De la génération intermédiaire entre Josquin et Lassus. Mais préfigurant déjà Monteverdi. Comme du Giovanni Bellini sonore.

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3 Septembre

 

Si le label des partis politique exprime en condensé, le contenu d’une destination et d’un horizon politique, il est étonnant de voir certaines évolutions de ces labels. L’ancien Rassemblement Pour la République est devenu, faute de pouvoir rassembler, l’étique « Les Républicains » qui draine derrière lui un aéropage de personnalités individuelles et isolées qui s’opposent en tant que personnalités aux autres du même mouvement politique, dont le but avoué est de prendre le leadership du dit mouvement. Pour un électorat lui-même étique et dispersé. A l’inverse, le Front National de Jean-Marie Le Pen, est devenu, en se transmettant à la fille de l’ancien président, le Rassemblement National. Cherchant par là à sortir d’un isolement frontal et solitaire, pour espérer un recentrage électoral élargissant sa base. Au risque évidemment d’édulcorer la dynamique du Front. Les prochaines présidentielles verront les efforts désespérés des uns et des autres, insuffisamment forts pour s’opposer à celui qui possède paradoxalement le bilan le plus torturé de ces cinquante dernières années (gilets jaunes, réformes avortées, crise sanitaire, écroulement de l’autorité régalienne), mais qui aura le soutien des centres droits et des centres gauches. Et donc, un report de voix au second tour très nettement favorable. L’avenir d’une France de plus en plus déconstruite est en marche.

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Je reçois un message de Georges Salemi. Triste dit-il, très triste en effet. Notre cousine Marie-Claude est décédée. Je ne l’avais plus revue depuis l’enterrement de mon père en 78. C’est la seule qui avait versée des larmes. Peut-être parce sa mère était morte à l’âge de trente-trois ans et que la mort restait une énigme pour elle. A-t-elle connue cette douleur avec laquelle une trajectoire de vie change, lorsqu’une mère disparaît vers trente-trois ans ? L’âge où l’on en a le plus besoin ? Je ne l’ai jamais revue, mais les souvenirs que j’en garderai sont ceux de nos huit, dix ans, à la ferme d’Aïn-El-Aouda. Souvenirs communs avec Georges, Anne-Marie…

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5 Septembre

 

Le phare de Cordouan ! Merveille !

Je me suis finalement inscrit à la troisième session du concours du Luxembourg. Avec deux Fugues à X voix et quatre Burning Hiroshima. Cette fois c’est le dossier est définitivement clos. Rendez-vous en décembre…

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