Carnet, 2022

1 Janvier


L’ultracrépidarianisme est l’art de parler de ce que l’on ne sait pas. Cela résume à peu près ce que l’on entend de la bouche de nos gouvernants depuis maintenant bientôt deux années de crise sanitaire.

« … dans les endroits publics nous ne consommerons plus seulement debout, mais seulement en position assise ».

 Cela fait étrangement penser à cette scène de La Grande Vadrouille où de Funès, Bourvil et des officiers allemands tournent en chantant autour d’une table, assis sur leurs chaises à pieds joints si on peut dire, (une variante de la chenille) …

« … et le vaccin de rappel tous les trois mois… sous peine de ne pas avoir de passe vaccinal » … Ce qui équivaut à ne plus entrer dans un restaurant, un cinéma, une médiathèque ou un quelconque lieu public. Comme les Juifs en 42.

Les non à jour seraient aujourd’hui les nouveaux exclus.

Jusqu’au surréalisme.

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Longue flânerie dans le quartier Gambetta jusqu’à la Rue des Potiers. Il fait gris. Certains commerces ont changé d’activités depuis mon dernier passage. Les immeubles auraient souvent besoin de réfection ou de ravalement. Le pavement est sale de ses crottes de chiens séchées mais aussi de l’usure du temps et du manque d’entretien. Le gris rend vétustes les rez-de-chaussée souvent abandonnés. Les arbres du Square Christiné sont comme pétrifiés bien que leurs troncs soient démesurément grands depuis les années soixante. Le marché couvert de la Buffa n’est plus qu’un rafiot qui s’est échoué et qui attend d’être démantelé. Le visage d’une ville vieillit tout autant que ceux qui la traversent.

Les premiers janviers sont comme naguère les lundis que je n’aimais pas.

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L’amour des animaux domestiques est si fort en France, et bien que l’industrie ait été mise à bas depuis longtemps, il est un domaine qui n’appartient peut-être pas encore à la Chine, jalousement produit sur notre territoire, ce sont les croquettes pour chiens, chats etc.

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A Bernard :


Tu as le carnet de l’année 2021 avec décembre qui achève celle-ci.

Maintenant on aborde une année nouvelle, pleine d’incertitude et sûrement pleine d’émotion (Rabat, si tout se passe bien).

L’année où mon père aurait eu cent ans et qui n’en a vécu à peine plus de la moitié.

L’année où je vais rajouter une décimale à mon âge.

Comme tu sais, je déteste les janviers comme je détestais avant les lundis de reprise de travail.

Sauf qu’en janvier la pente paraît de plus en plus rude à escalader jusqu’au terme de l’année.

Je vous souhaite à nouveau une belle et bonne année. J’espère que tu es ravi d’avoir passé le 31 à Dublin.

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2 Janvier


Je me laisse intriguer par une publicité géante où on propose de la viande de Kobé… Dans un supermarché du quartier de Riquier (qui n’est pas le plus fortuné de Nice). Après une petite enquête, il s’agirait de viande venue d’Australie. Soit elle transite par ce pays proche du Japon, soit c’est tout bonnement de la viande australienne. Je verrais bien aux tarifs proposés. Mondialisme sauvage et vérité relative.

Trois cent quarante-neuf euros le kilo. Est-ce bien raisonnable ? Kobé c’est du Vuitton et même de la Bugatti…

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4 Janvier


Pourquoi ai-je attendu cet âge pour réaliser ce projet qui se profile maintenant, de revoir ma ville natale ? Ne jamais y être retourné quand je pouvais, ma mère vivante, revenir vers ces rivages de l’enfance ?

Justement, parce qu’on ne touche pas à l’enfance. Parce que c’est le seul paradis perdu réel qu’une enfance heureuse. C’est la raison pour laquelle, du moins c’est ainsi que je me l’explique, inconsciemment j’ai toujours différé ce projet. J’avais choisi d’aller vers l’avenir, de connaître des régions et des terres qui m’étaient encore inconnues comme l’Auvergne, la Bretagne, les pays les plus éloignés qui furent, et surtout cette chère Provence qui devenait de plus en plus une sorte de contrée idéale (et peut-être de substitution) où revenir périodiquement.


Regarder devant devenait plus urgent durant les décennies qui ont suivi. Ce n’est que lorsque la génération de mes parents et tous ceux qui m’avaient précédé commença de disparaître qu’un lointain écho assez vague mais prégnant commença de se faire entendre à nouveau. Avec aussi les images et les couleurs des lieux qui se dessinaient avec des traits bien accusés et parfois des mélodies très nettes qui se posaient arbitrairement et bien malgré moi, mais d’une parfaite osmose avec ces images et ces lieux. Comme cette longue ligne droite menant à la ferme Paul Deydier, bordée de peupliers géants s’accompagne aujourd’hui et s’impose à moi avec le mouvement lent du concerto pour piano en sol de Ravel. Ce fut comme un signe annonciateur. Et puis, d’autre lieux, d’autres symptômes se manifestèrent de façon acérée et comme d’évidence.

C’est donc progressivement que s’impose aujourd’hui ce retour que la génération qui vient après moi, ma fille Hélène toujours attentive, devançant mes désirs, a rendu possible cette semaine de Mars prochain à Rabat, ce que je n’avais moi-même envisagé que très timidement jusqu’à ce jour.

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9 Janvier


Il fait beau et froid. Il y a tant de vent qu’on ne peut laisser les volets ouverts.

Cécilia et moi nous réfugions au Cannet, dans ce beau musée Bonnard. L’exposition temporaire accueille de magnifiques vues depuis la maison du peintre, mais aussi des fenêtres et des ouvertures sur la campagne. Bonnard prend beaucoup plus d’importance pour moi aujourd’hui. J’aime par-dessus tout les compositions sophistiquées et classiques dans leurs cadres de végétaux méditerranéens ou encore ces femmes en chapeaux ou dans leur salle de bain. Peintures du calme et de la volupté sereine. Tranchantes comme le vent de ce début d’après-midi. Un très beau Balthus fantomatique de grande dimension. Dans la vieille ville, une modeste chapelle avec une très belle mosaïque de Tobiasse sous l’oculus d’entrée : la création du monde. Et une sculpture en métal toute bleue, « L’oiseau de lumière », frère jumeau d’une œuvre récemment inaugurée sur le parvis de Notre-Dame à Nice, commémorant le souvenir des trois victimes de l’acte barbare du 29 octobre 2020.

L’hiver est vraiment là. Ce dimanche laisse les rues désertes et désolées.

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10 Janvier


A Bernard :


Les fonds bleus et turquoises sont exactement ce que je souhaitais. On se souviendra de ce nuancier.

Pour Orphée 20/21, il y en a un quatrième. Ce sera tout, parce qu’avec le portrait de Boulez ça risque de devenir répétitif. J’ai aimé l’idée du lever de soleil combiné au portrait. Mais ne pas en abuser…

Hier, il a fait un tel vent qu’on n’a pas même pu ouvrir certains volets du haut. On a pris la route du Cannet pour voir ce fameux musée Bonnard qui a maintenant dix ans.

Musée moderne établi dans une vieille demeure de style local. Un peu comme l’adaptation des anciennes prisons du port où on a exposé Soulages début 2020. J’ai pu y aller 2 fois avant qu’on ne passe dans le "nouveau monde".

Ces Bonnard étaient tous connus, mais venant de Gênes, New-York etc. pour les dix ans d’existence du musée. C’est vraiment un peintre qui est en osmose avec la nature cannoise telle qu’on pouvait l’imaginer en ce temps-là. La luxuriance des végétaux, les campagnes jalonnées de maisonnettes ici et là, le mystère et la poésie du luxe calme et volupté baudelairiens. Et puis ce goût des chapeaux, des baigneuses en leur baignoires, des miroirs qui démultiplient les intérieurs. Il y a chez lui un peu de Renoir/Degas pour la mise en scène et de van Gogh dans la poésie des paysages. Mais la personnalité et le sens de la composition sont très photographiques. Manquait peut-être le plus somptueux de l’œuvre : les vases de fleurs ! Et là il est plus fort que tout le monde…

Et puis l’air de rien, dans son minimalisme luxuriant, il y a Rothko en germe.

Le mois de janvier porte déjà un nom : MYRTHEN (hommage à Schumann).

Tu vois, je ne perds pas de temps…

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(suite)

J’aime le bleu. Ce ne sont jamais les mêmes.

Et puis le ciel est bleu, la mer aussi.

La création se serait-elle permise la monotonie monochrome ?

Même Klein fait du bleu. Un bleu à lui. IKB dit-il.

Matisse découpe des papiers bleus

de femmes entièrement bleues.

Chefchaouen est bleue

Les schtroumpfs sont bleus

Le beau Danube

Même le Grand Nu Bleu est bleu.

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10 heures


Je fais connaissance avec ma nouvelle dentiste à Cagnes-sur-Mer. Comme toujours avec un peu d’appréhension. Le cabinet est dans un très bel immeuble, tout blanc, l’intérieur est tout blanc aussi. On est comme dans un bel appartement ensoleillé, presqu’en vacances. La lumière jaillit de toutes les fenêtres. Marine Pettiti utilise toutes les nouvelles technologies en matière de soins. On a même un écran au-dessus des lampes qui montre des ours polaires qui jouent avec des morses géants durant tout le temps de la séance. Elle a des doigts miraculeux et explique le moindre de ses gestes. C’est la première fois que je ne ressens aucune crispation durant le temps de l’intervention.

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11 Janvier


D’Ormesson a écrit à la fin de sa vie de petits livres, du moins des livres courts. De petits livres sur Dieu. Sur l’obsession qu’Il était devenu à la fin. Le dernier ouvrage s’appelle d’un beau nom, comme souvent, « Un hosanna sans fin ». Ses réflexions ne sont jamais inintéressantes. Comme une manière de dire qu’il touchait à l’essentiel de la misère des hommes. Mitterrand tout à la fin n’avait d’obsession plus grande que celle de l’au-delà. Perdu comme un enfant, comme un pharaon.

Montaigne, Socrate savaient tout et disaient « nous ne savons rien », « que sais-je ? ». Ils savaient tout de ce que les prélats de la science contemporaine, les techniciens de l’univers peuvent bien savoir, jusqu’à ce mur d’opacité où chacun est rendu à ce que Malraux appelait la condition humaine. Jusqu’à ce mur de Planck où l’on bute. Le reste n’a que très peu d’importance et reste dans le domaine des conditions a priori de l’entendement. Le temps, l’espace…

Bien en deçà du « que sais-je » qui est la définition même de nos limites réelles.

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12 Janvier


Dans l’absurdité : un maire écologiste d’une commune assez importante, après avoir crié au scandale annuel des sapins coupés de Noël, a proposé un parc solaire en pleine forêt des landes, d’une étendue invraisemblable, arasant des milliers de pins centenaires. Le projet devrait passer en débat devant une commission habilitée à donner suite à celui-ci.  Des opposants inquiets ont signalé que les pins des landes ne sont pas plantés dans le sol aquitain pour des raisons d’esthétique bourgeoises, mais ont pour fonction première de retenir les eaux de pluie. Après les éoliennes…

Dans l’absurdité bis : une anthropologue américaine s’insurge contre le nombre inquiétant de squelettes de dinosaures mâles dans les musées au détriment des dinosaures femelles… De la rigueur il faut…

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La différence entre le temps de Mitterrand qui disait aux étrangers s’installant en France « vous êtes ici chez vous, chez nous » c’est qu’aujourd’hui on pourrait se passer de dire « chez nous ».

De même, le slogan assez répandu dès les années 90 « La France, aimez-là ou quittez là » auquel répond une pancarte anticoloniale en Juin 2020 « Les étrangers, aimez-les ou quittez la France ».

De plus en plus acculés au coin du ring…

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13 Janvier


A Bernard :


Il est de plus en plus évident que nous ne "voyons pas les choses de la même manière". Pour cela, il faudrait qu’on quitte le terrain vague des approches globales aux contours imprécis, pour des considérations plus proches du réel et des significations qu’il implique.

Rassure-toi, le patriarcat, et la famille qui allait avec, a disparu depuis longtemps.

-"et si ma tante en avait, on l’appellerait mon oncle" –

Au commencement était la loi : "famille je vous hais" -catéchisme de la haine-

Tu dis : la famille n’est pas un concept universel et éternel et n’est donc pas à être sauvée. (Je ne prendrais que cet exemple).

Va pour éternel, qu’est-ce qui l’est ?

Universel c’est autre chose. Je ne connais aucune organisation humaine dans le monde qui n’ait une structure parentale et familiale.

Mais quand les minorités LGBT revendiquent une nouvelle disposition des structures sociales, elles pensent en terme de "familles", restructurées certes, mais de famille tout de même.

Demandant l’impossible : l’imposture des enfants d’importation à affilier à la nouvelle société souhaitée sous l’état de droits (obtenus). A aucun moment je n’ai entendu émettre le vœu de détruire la "famille", mais seulement d’en modifier l’état actuel qui ne satisfait pas ces minorités. Dans la video que je t’ai envoyé ça commence comme ça : "avant, celle qui accouchait était la mère. Maintenant c’est fini, la mère est celle qui désire être mère…" (Je pense au Jugement de Salomon…).

Et tous les politiques se couchent…

Conséquence :

Derrière ce tour de passe-passe, il y a simplement l’exposition d’un "désir" de suppléer ce que la nature ne peut offrir à un couple homo (tiens, un couple c’est déjà la famille) en recentrant autrement les dispositifs familiaux.

Je résume : « les gamètes sont simplement des gamètes » (Madame Buzyn l’inénarrable) … il suffit d’en trouver sur le marché. Monde à deux vitesses : les producteurs d’embryons et ceux qui les achètent (négocient, dit-on). Belle leçon d’antagonisme de classes sociales. Les mères, (pardon de les appeler encore comme ça) qui ne pourront garder économiquement leurs progénitures, les vendront (sur catalogues ?) à celles qui pourront "satisfaire leur désir " d’être mère.

Belle évolution sociale.

On a donc modifié, charcuté les lois afin de satisfaire les minorités homosexuelles et leurs dérivés trans etc. Ce que je nomme les tyrannies des minorités qui ont gagné le terrain du droit lequel est en accord idéologique (progressiste) et soutenues par toutes sortes de jurisprudences "droits de l’homme".

Et dire que tout ce petit monde minoritaire est quelque part écolo, consomme bio circuit court, sauveur de planète féroce, trieur de déchets, non émetteur de CO2, trottinettant de ci-de-là au-dessus des mêlés polluantes…

Bref : les idéologies LGBT et Woke marchent main dans la main, viennent des States, (donc c’est forcément bon pour nous) et sous couvert de progrès et d’impossibilité d’aller contre le progrès (tyrannie déjà connue dans l’Histoire à l’exemple de l’eugénisme pour l’amélioration de la race des années 30) on invente les monstruosités que je constate ci-dessus.

Je ne te fais pas la démonstration pour l’autre "concept" -France- Je serais trop disert. Cela pourrait commencer par : "on ne vient pas pour construire l’Europe, on vient pour déconstruire les Nations". Et dire qu’on trouve des adeptes.

Entre temps la Chine, Les States, la Russie ne déconstruisent rien … Bien au contraire. Ils arrivent même à la chicanerie pour un simple statut ukrainien…

Nietzsche écrit " je prétends que toutes les valeurs qui servent aujourd’hui aux hommes à résumer leurs plus hauts désirs, sont des valeurs de décadence".

Bien sûr j’ai été long. Cela eut paru plus agréable autour d’un verre de vin.

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Je me rends compte que je fais allusion à Sartre dans mon dernier message à Bernard. C’est vrai que toute la philosophie de celui-ci a été certainement conditionnée par sa laideur physique. La haine de soi, de la famille, à commencer par la sienne, de tout ce qui aurait pu, en même temps, passer par le désir de reconstruction de son propre visage.

La vieille revanche du souffreteux, du laideron qui s’épanouit, qui compense par la cervelle. Socrate…

Chez Sartre il y a encore des traces indélébiles de laideur qui subsistent dans la pensée.

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16 Janvier


A Bernard :


J’ai eu une fin de semaine assez chargée. Notre amie Dany la Piaf est désormais dans une epahd, mais contrairement à ce qu’on pouvait penser, elle chante, ouvre les bras et se trouve avec un petit auditoire qui semble suffire à son bonheur. Elle a oublié les paroles depuis longtemps, mais ne désespère pas du sens qu’elle communique aux autres. Il suffit de quelques lalala.

Son fils Patrice qui est un ours a fait passer une annonce dans Nice Matin et sur face book : il vend les derniers cd de sa mère qui avait bénéficié de musiciens de la Philharmonie de Nice pour les enregistrements, de vieilles pochettes de LP de Piaf, d’Aznavour, des livres, enfin tout ce qui faisait son petit univers. Jusqu’à ses produits de maquillages d’artiste.

Cela permet au fils et à sa compagne d’apporter un petit quelque chose à Dany quand ils vont la voir.

Depuis ma visite au Cannet je me suis concentré sur des compositions de Bonnard. J’en ai fait des synthèses qui rejoignent son univers coloré. Tu me diras ce que tu en penses. La composition compte pour beaucoup, comme le peintre disait de ses propres œuvres.

Bien sûr je vais ranger ça et poster vers la Box.

Je crois que Janvier sera une bonne reprise poétique. J’ai l’impression que de loin en loin, même si je reste le même dans les écrits, l’évolution avance, doucement.

Pour finir avec nos échanges précédents : il n’est pas question bien sûr que toi ou moi rejoignit le point de vue de l’autre, ne concluant non plus pas pour autant par cette observation que la veille encore, et même quelques heures avant la chute de Constantinople, les esprits éclairés (mages, surmages et astronomes de l’époque) discutaient du sexe des anges.

Comme d’une parfaite symétrie dans le déclin et la fin des empires.

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17 Janvier


Boni est prête à faire le voyage dans le Minnesota. Elle a eu un contrat pour une affiche de commémoration de Duluth, la ville de naissance de Dylan. Ce serait pour le mois de Mai. Je l’accompagnerais par la pensée. Je ne peux vraiment pas faire plus…

Juliana a bien apprécié mes « hommages à Bonnard ». Elle veut faire une reproduction papier de celui qu’elle trouve le plus beau, pour décorer sa chambre. Avec signature…

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Aux dernières nouvelles, le Maroc qui ferme ses frontières depuis Novembre, lèverait ses interdits à la fin du mois.

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18 Janvier


Un texte que j’aurais pu écrire si ce n’avait déjà été fait dans d’autres circonstances, d’autant que certaines motivations dans les conflits du temps des croisades, entre autres, loin de s’inscrire en négatif dans notre histoire, peuvent trouver leur justification dans le phénomène bien compris de l’esprit de « reconquête » :

Je suis sincèrement désolé pour les partisans de Macron auxquels je ne conteste en rien le droit de trouver grâce à leurs yeux, mais un peu d’histoire n’est pas inutile pour ne pas se tromper de combat et ne pas abandonner sa dignité.
« Emmanuel Macron a la fâcheuse habitude de se mettre en position de soumission dans des pays étrangers qui furent jadis colonisés par la France. En Algérie, où c’est mettre de l’huile sur le feu, mais également en Côte d’Ivoire où il a récemment fait savoir que la colonisation était "une erreur profonde, une faute de la République". Or, si l’on veut vraiment examiner le passé de la France, il ne suffira pas de dire que le colonialisme fut "une erreur profonde", ou que Vichy fut "une erreur profonde" !
On va devoir, en effet, reprendre tout de zéro et affirmer aussi que l’assassinat de Louis XVI, Marie-Antoinette et leur enfant de dix ans, organisé par les Jacobins, a constitué "une erreur profonde, une faute de la République".
Il faudra également dire que la Terreur, avec ses quarante mille morts, a été "une erreur profonde", que le génocide vendéen, avec ses cent cinquante mille morts, a été "une erreur profonde", que les guerres de 14-18 avec leurs dix-huit millions de morts ont été "une erreur profonde".
Ou bien que les Croisades, avec leur trois millions de morts, ont été "une erreur profonde, une faute de la République -monarchique…". Que les guerres napoléoniennes avec leurs trois millions de morts également, ont été "une erreur profonde, une faute de la République-impériale…".
On n’en sortira plus car l’Histoire, cher Manu, y compris l’Histoire de France, est faite de bruit et de fureur, de sang et de larmes, de cadavres et de charniers, c’est comme ça depuis le début du monde et ce sera ainsi jusqu’à la disparition des hommes.
Ne pas oublier que certes, les Blancs furent de fieffés méchants avec la traite négrière, mais que celle-ci fut inventée par des musulmans. Or, cette traite orientale a duré du VII° siècle, sous Mahomet (voir le Coran) jusqu’à 1920, soit pendant treize siècles, elle a concerné dix-sept millions de Noirs et un grand nombre de Blancs.
La traite négrière occidentale a commencé au XV° siècle pour se terminer au XIX° – soit pendant quatre siècles, quatre fois moins longtemps.
Il faudrait éviter de croire que les Arméniens et les Juifs sont les seuls génocidés de l’Histoire. Ce serait oublier que l’empereur mongol Gengis Khan a exterminé un cinquième de la population mondiale au XII°siècle. On lui doit, en effet, quarante millions de morts ! Et Tamerlan, le chef de guerre musulman, dit aussi Timour le Boîteux, qui a tué vingt millions de personnes ? Ses troupes faisaient des pyramides de crânes pour terroriser ses ennemis : 70 000 à Ispahan, 90 000 à Bagdad, 100 000 à Delhi. Sur ses ordres, 400 Arméniens ont été enterrés vivants en Anatolie.
Et que dire de la conquête des Indes par les musulmans, qui a provoqué le massacre de l’Hindou Kush, soit quatre-vingts millions de morts sur plusieurs siècles ?
Si l’on veut dire que le colonialisme français a été sanglant, on le peut. Mais, pour faire l’histoire de la guerre d’Algérie et non de l’idéologie, il faut dire aussi que :
– sur les 150 000 combattants musulmans morts, 12 000 ont été tués par les musulmans eux-mêmes, à cause de leurs luttes internes.
– 25 000 soldats français sont morts.
– 70 000 harkis ont disparu, massacrés par leurs coreligionnaires.
– 6 000 civils européens ont été rayés de la carte.
– que les crimes de l’OAS ont engendré 100 morts.
Or, un demi-siècle plus tard, l’heure n’est pas aux comptages, mais à la paix, surtout pas à l’huile sur le feu versée par un président de la République française qui n’a AUCUNE NOTION DE L’ HISTOIRE !

La repentance est la maladie de l’ignorant qui méconnaît l’Histoire et ne pense qu’en termes de moraline – qui triomphe en fausse morale d’une époque sans morale. Le rôle d’un président de la République n’est pas d’exciter les citoyens, mais de les calmer, non pas de monter les peuples, les pays et les nations les uns contre les autres. Ce n’est pas d’opposer les Gilets jaunes ou les grévistes à une partie des Français, mais de pacifier les mécontents, de les tenir, de les retenir, de les empêcher de se lâcher. Il y a, pour cela, le langage diplomatique qui est l’instrument par excellence. Or, cet homme se tait quand il faudrait parler, et parle quand il devrait se taire. Il est à l’inverse de Jupiter !
Ce jeune homme au sang vif met le feu partout où il passe. À croire qu’il ne cherche que ça, comme le pompier pyromane qui aspire à l’incendie afin de se présenter en soldat du feu dévoué ! (Aucune allusion à Notre-Dame de Paris. NDR).
Pourquoi, sinon, demander au rappeur Vegedream qui avait écrit dans l’une de ses chansons "J’vais niquer des mères. J’vais tout casser… Sale pute, va niquer ta race !" … de l’accompagner en Côte d’Ivoire ? Un président de la République constitue la délégation qui l’accompagne afin qu’elle soit représentative du pays qu’il incarne : est-ce là le message culturel à faire passer à la Côte d’Ivoire ?»

Michel Onfray

Je trouve malgré tout que ce seul énoncé de chiffres ne restitue pas ce que fut, en Algérie, le bilan réel de ce que furent les cent trente années de présence française sur ce territoire. Que le président Macron, avant même son élection, avait lacéré de l’infâmante et lapidaire formule de « génocide et crime contre l’humanité ».

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19 Janvier


EN EVOLUTION


Les progrès de la Covid 19 en 2021 :

…Mai : Le vaccin immunise à 90%

Juin : immunise à 70%

Juillet : immunise à 50%

Août : N’immunise pas, mais réduit la transmission.

Septembre : Ne réduit pas la transmission, mais empêche les formes graves.

Octobre : Ne réduit pas les formes sévères, mais évite d’aller en réanimation.

Novembre : N’empêche pas d’aller aux soins intensifs, mais sans en mourir.

Décembre : On en meurt… bip bip… mais on va au Paradis …………… bip bip   ……………………………………………………………………………………………………………………….

20 Janvier


MEME LE PCF

 

Italo Calvino disait que chaque fromage de France était une signature parfumée des terroirs qui les ont façonnés.

Les considérations sur la nature et l’esprit charnel de la terre ayant dérivées, malgré les efforts prétendus et les pesanteurs qui pèsent sur tout ce qui touche l’écologie, le secrétaire général du parti communiste français qui aspirait à faire connaître un peu plus souvent qu’à leur tour, aux plus défavorisés, ce qu’était un bon morceau de viande, un fromage de nos régions et un bon vin, un peu comme la poule au pot de jadis, fut pointé du doigt par les moralisateurs délimitant les normes du jour et déclarèrent sans rire que celui-là se positionnait tristement vers une droitisation extrême.

Désormais ce qui touche à la gastronomie française relève d’un fumet idéologique non moins impardonnable que les convictions et les considérations barrésiennes sur les racines de la France.

Désormais tout ce qui se situe au-delà du centre gauche se compromet fatalement avec un sensible d’extrême droite.

Cette gauche se meurt. L’hallali qui fait sonner les miettes d’un festin idéologique autrefois autrement plus alléchant est bien le signe des quelques restes de cochonnerie ressuçant son propre vomi.


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COMME UN AVANT GOUT …


Je viens de retrouver sur une liste des médecins d’autrefois (certainement due aux recherches de l’infatigable et talentueux Roland Benzaken), le docteur Messouak, oto-rhino laryngologue et chirurgien maxillo-faciale, 12 rue Delcassé à Rabat, qui m’avait opéré des amygdales vers 1957/58 ! Je me souviens encore d’un ballon jaune dans lequel il fallait respirer avant de s’endormir…

Quel âge pourrait-il avoir aujourd’hui ? Quatre-vingt-quinze, cent ans ? Est-il seulement encore vivant ? Fait-il aussi partie de tous ces disparus qui m’attendent ?

Le même Benzaken a publié les photos de ce jour de Mai 1961, où les cendres du Maréchal Lyautey descendirent une dernière fois l’avenue Mohamed V, avant son rapatriement vers le Panthéon.

1961, décidément une année qui porte ses souvenirs.

C’est aussi celle de la descente de la même avenue, du cortège funéraire du roi qui donnera son nom désormais à l’avenue en question.

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A Bernard :


Oui c’est vrai, le catalogue des saints ne suffit plus. Il y a maintenant le catalogue de ceux qui ne sont pas saints. Mais tant que l’imagination est au pouvoir…

La voiture est vraiment le moyen de voyager que j’ai toujours préféré. J’ai encore le souvenir de ma première traversée de la France en 4 L, passant par ma première étape à Conques au soleil couchant et poursuivant vers Moissac, la Gascogne et finissant près de Biarritz où ma tante avait loué une immense villa à l’intérieur du pays basque. On dinait sur une grande terrasse, en entendant sur le mamelon d’en face, les cloches des vaches qui rentraient en même temps que le soleil. Inoubliable. (Voir carnet).

Et le dernier déplacement, Florence 2020, cette fois dans une voiture cossue, vitres teintée, clim etc… Parti vers 7h 30, nous y étions pour l’apéro comme tu sais…

Et puis c’est aussi la liberté de musarder et d’ignorer les chemins trop balisés.

Après cette folie des peintures et du dernier Bonnard qui m’a donné beaucoup de plaisir à (re)composer avec ses œuvres, je vais relâcher un peu le visuel.

Penser aux titres de l’année viendra en son temps. Comme une foudre d’évidence. Tu as déjà la petite bouteille qui enlumine et inaugure l’année et le titre de Janvier qui était trouvé dès le 2…

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GENEALOGIE


Reçu aujourd’hui de Mireille Deydier un petit mot qu’accompagne un acte de naissance de mon arrière-grand-mère paternelle (Küssi), avec d’autres actes extraits de famille :


… Il ‘s’agit de la mère de ton grand- père Paul, mariée à Eugène, Paul Deydier en 1896.
Mention du décès à Rabat Maroc 4 mai 1944
PS le caveau de famille des Deydier se trouve au cimetière de Rabat : à ma connaissance, Eugene et Josephine et Germain Sol Dourdin, le mari de Lili. Je me demande ou se trouve la mère de Germain ?
Il doit y avoir celui des Batty.
Mon frère Francis le fleurissait chaque année .
Si tu y vas, n’oublies pas de prendre une photo ( dates très lisibles ). Germain serait sans doute heureux de recevoir une photo.

 Suit un second document :

Ce sont les parents de ton grand- père Paul .

Je vais demander à Solange où se trouvait le caveau.
PS si vous imprimez ces états, pourriez- vous m’en faire une copie ? En effet je n’ai ni ordinateur ni imprimante. Je relève les données à la main.
Il serait mieux de les imprimer, je crains qu’ un bug informatique colossal et catastrophique ne se produise…

Acte très précieux, détails sur ascendance des deux mariés !
Sébastien Kussi est né dans le bas- Rhin à Witterheim le 17 mars 1840 ( banlieue de Strasbourg ). Orphelin a dû arriver très jeune en Algérie ( orphelinat de Misserghin ), je recherche les archives de l’orphelinat , très difficile…
Amélia Frédérica née le 30 juillet 1843 à Eimbach canton d ‘Emendiguen, grand – duché de Bade.

Mention " français " apposée en marge.
Marié à Amélie Winterhalter . Prénom francisé.
PS en 1888 mort de leur jeune fils , Sebastien , 16 ans. Mort le 5 février.

Mort le 5. 16 ans
Fils de Sebastien Kussi et Amélie Winterhalter.
Mention " français "

– Il s’agit de Paul Eugene né à Sainte Jalles Drôme France, le 12 janvier 1843. Fils majeur de notre aïeul.
Marié en première noce avec Marie Roux décédée à Sainte Jalles le 25 mai 1874.


– Ce fut un remariage, sans enfants.
Anne Inaud née à Orgueil ( 82 Tarn- et Garonne ).

Notre aïeul, Deydier Paul Eugene, fils de Joseph Jean- Baptiste Blaise décédé à Sainte – Jalles Drôme.

Ton grand- père Paul, fils de Joséphine Kussi et Eugene Deydier, né à Lamtar (Oranie Algérie) le 29 janvier 1898, marié à Marguerite Taurine. Décédé au Maroc. Enterré à ? Roanne ?

Frère de Paul Deydier

Décédé à Rabat le 1er juillet 1959 (–mon grand-père Paul-)

Les deux frères, Paul et Victor, nés à Lamtar en Oranie , se retrouvent début 1923 au Maroc à Petit- Jean Ferme Valhié, ils sont gérants- commis.
Paul jeune marié avec sa femme Marguerite Taurines
.

Née le 14 janvier 1893.
Mention apposée en marge : Allemande 14 avril.

Mathilde , décédée à Misserghin en 1904 chez les soeurs trinitaires, à 63 ans, née à Wittenhein grand- duché de Bade (1841),fille de Joseph Winterhalter et de Francoise Higlé, célibataire, est la sœur de Amelia Winterhalter.
Son décès est déclaré par deux personnes hors de sa famille, dont le garde- champêtre de Misserghin.
Amalia est décédée en 1893 le 14 avril. A 50 ans. Née en 1843.

Il s ‘agit du père de Amelia, épouse Sébastien Kussi.
Décès déclaré par son fils Dominique Walter âgé de 40 ans

Âgée de 73 ans, Née à Henbach en 1813, fille de feu Jean HÜGLE et Catherine Herr.
Il s ‘ agit de la mère de Amalia Winterhalter épouse Kussi Sébastien….jusqu’ ‘à Joséphine Kussi

Ce sont les commentaires de Mireille Deydier après chaque lien correspondant à des actes officiels (livrets de famille, registre de naissance, de décès etc.)

Il me faudra un certain temps avant d’intégrer toutes ces données généalogiques. Progressivement.


Ma grand-mère Marguerite est donc décédée un 27 Août 1975 dans le Vaucluse (Grillon). Il devait pleuvoir à Nice. Je me souviens que mon père avait dû être surpris par la pluie puisqu’il est arrivée à la maison avec un parapluie neuf qu’on ne lui connaissait pas et qu’il avait, dans la confusion, oublié de le payer. 

De mon grand-père Paul, je sais le jour de sa mort maintenant (1 juillet 1959). J’ai vu de loin le cercueil presque blanc (était-ce plutôt celui de ma tante Pauline à Aïn el Aouda ?). On m’avait dit, un jour comme ça on n’écoute pas de musique. Ton grand-père est mort. J’avais silencieusement enlevé du tourne disque le disque d’Elvis Presley.

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A Mireille :


C’est bien émouvant de voir tous ces documents.

Tous ces gens qu’on n’aura pas connu qui tenaient sur la même branche que nous !…

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C’est une après-midi à jouer avec Y.. La première fois que je le garde. Nous jouons aux cartes, à des jeux d’enfants simples. Mon petit-fils n’est pas exigeant, pourvu qu’il s’occupe, qu’on joue avec lui.

Puis on part en imagination : la colline, le trésor que l’on cache, les feuillages qui nous protègent de ceux qui voudrait le trésor etc. On investit le haut de la maison. A l’étage c’est la colline des secrets… Puis c’est un petit drame grandeur réelle.

Mon petit fils a pleuré. Je demeure aussi inconsolable que lui. Il a pleuré sans un bruit, avec la vraie tristesse des douleurs inconsolables de l’irréparable.

Manipulant le Pentax offert l’été dernier, nous avons (lui, moi ?) fait disparaître les photos de Conques. Ses premières vraies photos. Les vaches de l’Aveyron, la voiture de sport blanche, le pont de Millau, le village, le pont romain, Royce le chien etc. C’était la première fois que nous voyagions avec lui. Notre premier séjour ensembles.

L’émotion ressentie dans ces cas-là est celle de la disparition de ces petits dépôts d’âme qu’on affectionne d’éterniser.

En regardant la série complète, cinq minutes avant la disparition, il était content de me dire « la première photo que j’ai prise c’est de toi, avant de partir ».

Soudain c’est le vide, l’irréparable. Les larmes silencieuses. Le refuge dans le noir du cellier…

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21 Janvier


Notre monde est déchristianisé à mort. A part quelques îlots qui retardent l’évidence.

On ne meurt plus pour la patrie, pour quelque chose qui transcende la seule individualité. Plus d’appartenance collective à un idéal, plus même de cohésion sociale ou plus réduit encore, tribale, familiale. On a évacué l’héroïque (seuls quelques professionnels de l’engagement militaire récoltent dans le silence et l’indifférence une médaille à titre posthume). On a évacué toute dimension spirituelle (tout se vaut, le haut le bas, le bien le mal), on se vautre dans le relatif et l’éphémère. La Justice rend souvent le reflet de cette indifférenciation. Les normes esthétiques aussi.

Nous ne sommes plus que des homo /consommateurs.

On est assuré du néant pour l’avenir (il est évidemment si loin). En haussant presque les épaules. Les certitudes scientifiques se doivent d’être reçues avec sérénité. Comme les enfants disent « même pas mal », parce que c’est bien connu on parle de la fatalité du néant à venir mais on ne croit plus même secrètement mourir un jour. C’est si loin.

Mais dans ce premier moment des années 20, l’épidémie, la pandémie sont là. Le mal invisible. Il ne reste plus qu’à se sauver « de force », à s’hystériser d’hygiénique, qu’à sauver sa peau. Il ne reste plus qu’une frousse bleue, collective cette fois, une frousse panique de la mort revenue dans sa dimension de scandale.

L’Etat organise l’état d’hygiène.

Déchristianisé, hors du relié, du religio.

Par l’autre porte, l’Islam n’a plus même à frapper à l’huis.

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22 Janvier


L’Immaculée conception, textes courts, concis et encore très modernes de Breton et Eluard. Ecrit à quatre mains.

Je cherche au travers des pages, ce qui serait de l’un et de l’autre. L’osmose est réellement parfaite et la part qui revient à chacun est impersonnellement indifférenciée comme pouvaient l’être les tableaux de la période cubiste de Picasso et de Braque.

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Le soleil est d’une infinie insolence. La Promenade est indolemment prise d’assaut de grandes flâneries. C’est une après-midi sur la colline du château. Côté levant, le port est aujourd’hui sublime et côté couchant, je n’oublie pas que Martinù, depuis la villa des sœurs Tessier, disait avoir connu les plus beaux couchers de soleil du monde. Y. est ravi de retrouver de quoi photographier. Il gigote de toute la vitalité des petits bonhommes de son âge.

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20 heures. Discours d’Eric Zemmour à Cannes. CNews le donne en direct et en intégralité.

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24 Janvier


Bernard :

Emouvant en effet de voir ses ancêtres naître, partir à l’aventure dans des terres lointaines, s’y installer, fonder des familles et puis revenir au point de départ.

Personnellement, je m’amuse de voir qu’Ophélie, ma fille, est maintenant installée à Dublin, avec un pur irlandais (très très roux), une sorte de retour aux sources aussi. Et puis Jimmy, qui a acheté une parcelle d’Irlande, un tout petit bout. En fait non, il ne l’a pas acheté, c’est une de ses filleules qui l’a lui a offerte, une sorte de gag mais quand même; il possède quelque chose comme un pied carré, et il est squireen, propriétaire en Irlande. Comme quoi, les racines sont importantes.

A Bernard :


Acheter une parcelle de terre. De terre ancestrale. Pourquoi pas ? Mais dans le cas que tu présentes ça ressemble un peu à un porte-clé, un clin d’œil symbolique. Et qu’en disent les taxes foncières ? A la mesure du pré carré je suppose.

Vous pourrez toujours planter une jardinière ou un arbrisseau de la paix.

Je me contenterais jusqu’à ce jour de ma petite maison qui est tellement bien enracinée que la terre gigote au-dessous.

Si l’épidémie se rendort, le voyage me semble tout à fait pour demain. Moins de 2 mois encore, après une absence de 57 ans…

On est en plein revival d’un passé complètement enterré où il y a plus de disparus, de fantômes sur le chemin, que de vivants. Je n’aurais personne à rencontrer, que du silence signifiant.

Par le biais du blogueur Roland Benzaken, j’ai trouvé une page entière de médecins qui officiaient dans les années d’avant l’Indépendance, et j’ai vu sur une liste, le nom du chirurgien qui m’avait opéré des amygdales en 58 !! Le nom et l’adresse. Il a dû lui aussi quitter ce monde.

J’avoue que je n’aurais jamais pensé vivre à l’étranger. Mais on peut le faire selon ce qui s’y propose. Cécilia semble une exception colombienne. Les colombiens passent pour avoir le mal du pays assez vite. Sa sœur n’a pu résister qu’un seul hiver à New-York. Et quand ils sont à Paris (il y a une forte colonie), ils restent entre eux.

A Angers on a rencontré un colombien qui avait monté une sorte de péniche transformée en bar à vins. Il semblait bien intégré.

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Suite :


En fait, en Irlande tu serais Zemmourien, comme tous ceux vivant en France venus d’une autre culture se sentent d’abord "de chez eux".

En France il devient malsain de parler de ses racines françaises. C’est réservé à l’Autre.

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25 Janvier


ON EN PARLE BEAUCOUP  


Enrico Macias 1964 : Paris tu m’as pris dans tes bras

Enrico Macias 1995 : parfait idéologue antiraciste.

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Les mouvements antiracistes de Julien Dray, Harlem Désir ont fait, du temps de leur magistère moral (il fallait surtout faire rempart à cette droite lepéniste montante) entrer dans le crâne des jeunes de la dernière génération que la France les détestait, qu’elle générait à leur endroit un racisme systémique. D’où la haine aujourd’hui de ces bi nationaux franco algériens notamment qui se sentent avant tout algérien et totalement hostile à la culture de leur terre d’accueil.

(Un match de football France /Algérie serait vécu quasiment comme un acte de guerre et nécessiterait une présence de forces de l’ordre exceptionnelle, peut-être d’unités spéciales s’apparentant à l’armée, pourquoi ?)

Ceux des générations antérieures, qui ont connu à la fois l’Algérie d’avant l’Indépendance et la France d’aujourd’hui, les vieux, sont mille fois plus nuancés.

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Pourquoi naturaliser des gens qui ne seront jamais d’ici. Pourquoi l’obtention automatique de la nationalité sous prétexte du droit du sol. On a oublié les paroles si sages du roi du Maroc :

Hassan II avait parlé justement à Anne Sinclair en 92 : Les miens, les Marocains ne seront jamais de vrais français. Les phénomènes migratoires en Occident se sont toujours produit dans un mouvement Est/Ouest. Parler de migrations du Sud vers le Nord comporte des difficultés d’un autre ordre : la religion, la culture, les sensibilités … sont presque des empêchements civilisationnels. De l’Est à l’Ouest, la transition, la greffe est possible avec le temps, la trame est la même. Avec ceux venus du Sud, la radicalité est insurmontable.

Anne Sinclair : Vous voulez nous décourager avant d’essayer ? Quelle légèreté dans l’aveu ! Comme une expérience de petit chimiste, un jeu sans conséquences, on essaie, on verra bien…

Hassan II : je vous parle de ceux que je connais, les miens. Je le répète, quand bien même le voudraient-ils, qu’ils ne le pourraient pas.

Magnifique lucidité.

On a essayé l’idéologie de Madame Sinclair depuis quarante ans.  Pour quels résultats ? ……………………………………………………………………………………………………………………….

A Bernard – 23 heures –


Je sens, je ne sais pourquoi, un air vivifiant dans tes mails envoyés de Normandie. Évidemment je pense que le bon air, l’iode saturé y sont pour beaucoup. Les taupes, les cheminements des taupes, ça ne trompe pas, c’est une observation qu’on ne peut faire qu’en trempant son cul dans la terre. C’est aussi le vivifiant qui aide encore certains agriculteurs (et ils s’y connaissent) à ne pas se suicider. Schopenhauer et les taupes ne me convainquent pas plus aujourd’hui que le pessimisme à mort que je pratique depuis toujours. Je m’écarte de Shopi comme d’un proche dont on ne veut pas toujours entendre le son d’une vérité entonnée en canon.

40, 50, 60 ans de vie communes pour les uns et les autres avec les unes et les autres ! En tous cas pour les French Dalton, l’ordre de marche est rythmé de décennies en décennies…

Avec Cécilia nous rentrons dans la trente huitième. Noces de quelque chose. Noce de cœur, noce à venir. De plus d’avenir.

Je suis de plus en plus proche de mon petit fils. On passe maintenant des après-midi tous les deux. Je fais la lecture, il résume les histoires, puis c’est la dictée et un peu tous les devoirs… Son école est pratiquement fermée pour cause de folie sanitaire. Puis on joue au "7 et demi". Un jeu de cartes qu’on jouait seulement le 31 décembre pour le réveillon quand j’avais son âge. La roue tourne.

Bruxelles est une ville bien branchée. J’ai appris ça auprès des jeunes du lycée Masséna du temps de la Dégus. Mais Tours m’a aussi étourdi cet été, d’autant que je ne m’attendais pas à une telle intensité de jeunesse. Et puis ces jumelles de la Place Plumereau…

Je lis pas mal de Philippe Muray. Ça décape.

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A Juliana (envoyé avec beaucoup de retard) :


Je tarde un peu moi aussi à répondre à ton dernier courrier …

L’année commence avec de gros soucis concernant l’éducation, le rythme scolaire, et tous les protocoles sanitaires qui changent parfois chaque jour.

Le ministre semble expérimenter des solutions sans être lui-même très convaincu….

Y. est obligé de porter le masque toute la journée. On va créer une génération d’enfants en embuscade !

Les gens descendent dans la rue, manifestent comme on sait si bien le faire…

Enfin, les années passent et se ressemblent.

J’espère que le voyage au Maroc ne sera pas compromis. Nous aurions la possibilité de modifier les dates du séjour (si la crise ne dure pas trop longtemps)

J’ai mon passeport sanitaire complet (3 injections). Sans douleur ni effet quelconque. Je dois avoir de bons anticorps naturels. hihi…

Les photos envoyées de ton collège sont très lumineuses. C’est toujours émouvant de revoir les espaces de l’enfance et de l’adolescence.

On mesure ce qui a changé pour notre grande tristesse et on est émerveillé de retrouver intacts certains jardins ou certains lieux qui nous ont été chers.

J’ai donc une amie avec qui j’ai quelque fois travaillé il y a longtemps. Elle a une passion pour Dylan et m’a demandé de collaborer pour une fresque qui servira de décor à Duluth (Minnesota).

Elle a fait un mix d’un de mes "pulsar" sur lequel elle a inclus des postures de Dylan devant un micro. Hum… Je n’étais pas bien d’accord au départ, parce que l’esprit de mon travail était complètement détourné.

Puis j’ai accepté.

On verra ce qui en sortira une fois achevé.

Nous sommes allés dimanche au Cannet. Il faisait un grand vent et on voyait les paysages dans la même lumière que celle de Pierre Bonnard dont on découvert le Musée qui lui est consacré et qui fête ses 10 ans.

La peinture de Bonnard est une belle source d’inspiration pour mon travail qui arrive. Ces couleurs illustrent parfaitement les paroles de Baudelaire "Luxe calme et volupté".

Je ne connais pas la côte Pacifique colombienne. On a failli aller à Buenaventura en 1990 (quand je t’ai connu sur les genoux de ta maman !) mais on a renoncé. C’était dangereux à cette époque.

La Colombie a bien changé. On la voit s’ouvrir au tourisme. Il n’y a qu’à recenser tous les guides qu’on trouve aujourd’hui (au moins 6, dont le Michelin et le Guide Bleu). En 90, il n’y en avait pas un seul, et les destinations en Amérique du Sud se limitaient aux anciens territoires incas ou au Brésil évidemment… (tu peux lire mon prélude à la Colombie). On rencontre maintenant très souvent des gens qui sont allés à Cartagena, à Medellin et j’ai même rencontré quelqu’un du bistro que je fréquente qui connait Cucuta. (Il avait dû se perdre…)

Je ne vais pas souvent au cinéma, les films récents sont souvent des illustrations idéologiques du temps présent.

Les films que tu m’as conseillés, je les avais déjà vus. Sauf "le Hérisson".

Je me contente de voir des vieux films en dvd ou des opéra filmés (Wagner, Debussy Mozart ou Richard Strauss).

Parmi les réalisateurs que j’aime, parmi les très anciens, il y a Renoir ("la Règle du Jeu", "French Cancan", "le Fleuve" etc.). C’est le fils de Auguste Renoir.  Il a poursuivi l’œuvre de son père au travers du cinéma. Dans French Cancan on croirait un tableau de Montmartre avec les couleurs, les décors et les atmosphères des peintures de son père.

J’aime aussi le cinéma japonais. Kurosawa surtout ("Barberousse", "Rêves"), Kitano qui a fait "Dolls", émouvant aux larmes….

J’espère que ton travail évolue et se diffuse comme tu l’entends, et que des perspectives s’ouvrent à toi.

Ne manque pas de me donner de tes nouvelles et tiens-moi au courant de tes travaux artistiques.

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25 Janvier


Des poupées sans visages sont vendues dans les magasins de jouets de Roubaix. Les musulmans ne conçoivent pas la représentation du visage humain. Elle leur est interdite comme toute représentation du prophète.

Serait-ce le retour des iconoclastes qui revient ?

Plus de Joconde, plus de Naissance de Vénus, plus de madones de Botticelli. Après l’hallal triomphant, les voiles et les niqabs, maintenant le visage des poupées qui disparaît comme celui des femmes roubaisiennes à venir.

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27 Janvier


IGNORANCE


-Hier je suis allé voir le Docteur Jivago.

– Pourquoi tu étais malade ?


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Je suis tombé sur le « spectateur engagé » de Raymond Aron (recueil passionnant sous forme d’entretien avec Jean-Louis Missika et Dominique Wolton). J’ai longtemps cru que son nom s’orthographiait comme le nom du frère de Moïse, Aaron. J’ai d’ailleurs toujours du mal à me faire à cette orthographe avec un seul A, si bien que j’ai tendance à un pseudo bégaiement quand je vois se profiler son nom, faisant toujours traîner la première syllabe.

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Bizarrement, il y eut il y a quelques années du côté de Vienne, un duo assez insolite de performance théâtrale entre Alfred Brendel, le virtuose du piano romantique bien connu et de Pierre—Laurent Aymar, le non moins grand virtuose du piano contemporain. Dissemblable comme le jour et la nuit, leur petit spectacle littéraire et musical eut un franc succès pour les initiés. Et il est étonnant d’apprendre de la bouche de Brendel, que l’on sait exclusivement et très germaniquement plongé dans le répertoire des grands viennois, dire avec onction de Aymar qu’il est hors pair, le seul qui puisse tout interpréter à la première lecture. Et le plus incroyable est que Brendel semble un parfait pitre en dehors de l’image qu’il donne habituellement du virtuose à nœud papillon.

Mais en quelle langue ont-ils bien pu jouer ?

Aymar est bien capable de connaître l’allemand sans l’avoir appris…

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La photographie engage la mémoire. Elle est mémoire :  c’est un déjà vu oublié remémoré.

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30 Janvier


C’est Marni Nixon la voix insurpassée de Maria dans West Side Story. Même les étoiles du lyrique plus exposées sur les scènes internationales (Kiri Te Kanawa) n’auront fait mieux. Elle incarne, depuis la coulisse, la voix de la Juliette éternelle du XX° siècle. On l’avait surnommée la voix « fantôme », doublant également Audrey Hepburn dans My Fair Lady et beaucoup d’autres dans des films musicaux. Mais qui savait qu’elle était l’interprète des lieder de Webern de l’intégrale de Robert Craft dans sa version 1954/56 ? Et des mélodies de Charles Ives ? Elle a disparu en 2016, aussi discrètement qu’une ombre.

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Cette nuit j’écoute les quatuors Diotima et Parisii dans leurs subtiles différences d’approche d’interprétation du « Livre » de Boulez.

C’est un peu comme une soirée abstraite japonaise. On finit au plafond sans avoir à se déplacer.

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31 Janvier


A Bernard :


C’est ainsi, on est dans l’entonnoir : le temps accélère depuis un certain temps (50, 60, 65 ans ?). De même qu’à l’inverse, les enfants évaluent une année comme un monde complet qui se déroule en 300 jours, et n’en voient jamais la fin. D’où leur joie et leur étonnement quand ils passent le cap d’une année. Mais 2022 devrait me remettre dans les pas de cette enfance. Le Maroc rouvre son espace aérien le 7 février.

Demain donc tu auras la poésie de ce début d’année. J’en suis assez content. Ce n’est pas fréquent. Peut-être est-ce une illusion comme quand je suis dans le doute …

Le musée de la Monnaie, j’y suis allé en 78, par le plus grand des hasards et j’y ai acheté un médaillon en bas-relief (format rectangulaire), d’un portrait d’après photo, de Debussy dont on fêtait le 60° anniversaire de la disparition. Il est toujours sur un coin de bibliothèque.

On parle beaucoup de Proust en ce moment. Une certaine Mathilde Brézet a écrit un gros livre sur les personnages récurrents dans la Recherche. 500 pages c’est peut-être beaucoup pour moi.

Je viens d’apprendre (l’avais-je peut-être oublié) que la doublure de Maria dans West Side Story est aussi celle qui double A.Hepburn dans My fair Lady, qui est aussi la voix de Marie Poppins. Son nom ne nous aurait rien dit : Marni Nixon. Mais le plus étrange, c’est qu’elle a interprété les lieder de Webern (qui est d’une aspérité toute autre) dans la première intégrale de Robert Craft consacrée à ce compositeur en 1956.

On l’appelait aussi la "voix fantôme" pour des raisons que tu imagines.

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2 Février


A Bernard :


Ces « Myrthen » m’ont donné du mal mais je trouve qu’elles inaugurent bien ce mois de janvier qui font souvent peur : peur de de la page blanche qui recommence chaque mois.

45 jours, même moins, avant de prendre l’avion.

J’écoute Philip Glass. Ça pourrait te plaire, c’est souvent comme un voyage en avion. La quatrième symphonie "Heroes" est inspirée d’un thème de David Bowie.

Ici le printemps s’est pratiquement installé. C’est la première fois que je vois les mimosas déjà à maturité, et même saturés pour certains. Et Carnaval n’est pas même commencé.

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3 Février


A Bernard :


Il est évident que nous ne partageons pas la même sensibilité sur le plan du réel. Je confirme.

"…Je ne partage pas tes idées de défense de l’Occident et ta panique d’être remplacé par des envahisseurs"… Dit comme ça, évidemment, ça ressemble à un mauvais film.

Quant aux "excuses" dont parle Onfray, je ne vois pas où serait l’opération marketing, sinon que nos dirigeants actuels ne vendent qu’une image systématiquement désastreuse de notre pays. Ce n’est pas plus compliqué.

Macron serait donc le premier adepte officiel du wokisme qui envahit déjà les universités. Est-ce le rôle d’un président de participer à la déconstruction d’un pays dont il est le premier représentant ?

Ça me ferait bien plaisir de rencontrer Mickey à l’occasion de ses passages dans la vieille ville. Il a mes coordonnées, il peut s’annoncer la veille ou simplement voir si je suis dans les parages.

Sauveur a bien changé depuis la crise. Des tables en moins, des clients non vaccinés, de nouvelles habitudes prises. Ce que j’appelle " les micro évènements qui défont les liens qui aboutissent imperceptiblement à la disparition de certaines habitudes". Comment a-t-on un jour disparu définitivement de chez Jeannot, du Pub Latin etc. ?

Donc, je viens moi aussi moins souvent. J’y suis plutôt le samedi. Il y a ceux qui travaillent en semaine et qui passent ce jour-là. Donc plus grand monde.

Encore un courrier qui va trouver sa place dans le Carnet…

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5 Février


A Bernard :


J’ai entre les mains un petit livre de Guy Goffette qui est un petit bijou de sensibilité : sous prétexte de tomber amoureux du tableau représentant Marthe nue de pied en cap, un jour de pluie dans un musée, il dresse une délicate biographie du peintre Bonnard. Ça fait cent cinquante petites pages toutes pleines de charme.

Comme toi j’ai des problèmes de dents. Mon émail est parfait, aucune carie. Mais le déchaussement s’accélère. Comme tu as pu lire précédemment, ma nouvelle dentiste a des techniques de pointe et m’évite l’arrachage en consolidant les parties osseuses déficientes.

Et puis pour avoir rdv avec un dermato, ça devient impossible avant des mois, sinon se réfugier à l’hôpital de Monaco où j’ai pu obtenir une date dans les 15 jours.

Je n’ai pas vraiment compris ce que tu dis du marketing politique, sinon que les paroles quelles qu’elles soient, s’adressent seulement à ceux qui veulent bien s’en sentir concerné (?). On verra de vive voix, ce sera plus clair.

Les préparatifs de Carnaval s’agitent beaucoup sur le pourtour de la coulée verte (vente de billets, réservation en tous genres), mais c’est vrai qu’à Nice l’évènement reste un défilé et rien d’autre, prétexte à lancer du mimosa et se faire un beau bouquet en fin de parade. Et puis c’est tout. Sinon aller à Rio. Mais c’est loin. A Dunkerque et dans le Nord, d’une manière générale, la côte des carnavals est en hausse. Et ça évite le déplacement au Brésil. Je soupçonne les marqueteurs d’images de Carnaval de jouer sur les seules postures et tenues légères des mannequins brésiliens sur les chars. Elles sont belles ici aussi.

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Bernard (texte de la nuit du 5) :

Mois qui commence par une description quasi bucolique de la région de Loire. Ça tombe bien, le soleil se lève ici, il est encore derrière la colline, mais il commence à illuminer violemment. Il passe derrière la colline, sa lumière le dévoile, il émergera un peu plus loin, vers la droite. On dirait qu’il se cache, maladroitement.

Le 4 tu t’interroges sur le lignage, la transmission, le ventre des femmes. C’est ce que je lis, mais est-ce ce que tu veux dire ? Que veux-tu dire ? Toujours je pense à Beckett et sa boutade "je ne suis responsable que pour les sons". Émotions, sensations, …

Tu chantes la beauté violente des femmes et la vieillesse arrivant inéluctablement, comme un naufrage.

Puis l’amour revient, dans le silence, la douleur, et la douceur aussi

" au cœur du crâne un vieux chêne … », pas de commentaire, c’est beau comme du Deydier (Paul et/ou Louis)

En t’écrivant, tout en suivant la lecture de janvier, j’ai l’impression de prendre des notes dans la marge, des notes de lecture inspirées par le texte. C’est l’avantage du papier, quand on laissait de grandes marges dans de larges livres, pour que les lecteurs prennent des notes au fil de leur humeur. Plus compliqué à réaliser sur un site web.

"Mes dieux vieillissant …" génial paragraphe, à mettre en exergue, à recopier à l’encre violette.

Les billots du ciel, la mort est inscrite partout, facile à lire même sans être allé longtemps à l’école ; êtres et les êtres, sans avoir

Bleu, oui bleu, tout est bleu, dieu est bleu, bleu c’est mieux que bleu, bleu c’est deux fois bleu

La mer, et je me souviens de la parole d’un rabin (cf Valère Novarina), qui me fait toujours rêver : dieu trace des voies dans la mer.

Un effet intéressant de l’absence de ponctuation et des rejets à la ligne, c’est que le lecteur doit reconstituer la phrase, trouver le rythme, ça ralentit la lecture et le texte prend de l’épaisseur. " j’ai perdu des vérités de sable" confies-tu, naïvement ou hypocritement ? je vais t’aider, elles sont sur le site, avec " LUS SUR LES SABLES" en 2005 mais pas que.

L’IMPERATIF CATEGORIQUE, une autre merveille de ce mois, avec son escorte de squelette et tant d’autres choses. Tu as eu raison de faire cette liste, il faudra s’en souvenir,

Rappel, harmattan est aussi un vent, pas qu’une maison d’édition, rappel utile

Je ne comprends toujours pas pourquoi tu te poses des questions sur la qualité de ce que tu écris, je suis toujours sous le charme et j’ai bien l’impression que ça ne cessera pas de sitôt. Ce mois est parfait, un modèle, inventif et poétique, parfois véhément, parfois léger, ou sérieux : la poésie en somme.

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Ce samedi, chez Sauveur, l’affluence des anciens beaux jours d’avant la Covid 19.

Claude, Fabrice, Régis et Isabelle, Kamel et quelques passages furtifs de bien d’autres. C’est le printemps.

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6 Février


A Bernard :


J’ouvrais ce courrier hier soir très tard. J’ai bien fait. J’ai senti dans ta lecture de ces Myrthen un enthousiasme particulièrement déclaré. Tant mieux. Tu resteras probablement, avant longtemps, le seul à même d’ouvrir mes livres de poésie en en comprenant leur teneur poétique. C’est bien sûr dû au fait de me lire régulièrement, mais pas seulement. Tu restes attentif, et les tourbillons de musique des mots ne te sont jamais étrangers.

Tant mieux, c’est ma chance ! En fait il suffit d’un autre qui comprenne pour justifier une vraie solitude littéraire. Qui n’en est plus une…

J’ai bien quelques lecteurs, comme cet ours de Francis. Et je sais qu’il est sincère. Il a fait une bonne réception au Livre des répons. Mais je crois qu’il est surtout surpris par la déroute des images et la véhémence de certains poèmes. Disons qu’avec lui j’ai un capital confiance plus que de réelle adhésion. C’est déjà beaucoup.

Il a fait des lectures bien peu comprises dans sa petite ville de Brantôme. Il a eu, comme on dirait à la création d’une pièce ou d’un opéra, succès d’estime.

Le seul baromètre de mes vents du large sont tes lectures pertinentes. La sensation que tu n’es pas dans un univers étranger est pour moi le meilleur des encouragements ; on ne s’en lasse pas. Ça fait plus de quinze ans maintenant que ça dure, donc merci…

"Dieu trace des voies dans la mer" (c’est infiniment beau), il est impératif d’en suivre les sillages. Et déjà, ce qui est sûr, depuis la Création, tout est définitivement bleu.

Dimanche de très beau temps. On commence à rééditer les œuvres de Xenakis, pour le centenaire. Il n’est pas dit qu’il suscite l’enthousiasme du centenaire Saint Saëns.

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Depuis ce début Février, et surtout Janvier, je ne consigne guère autre chose que ma correspondance avec Bernard. Mais j’y consigne toutes les violences, les évidences et les tartufferies du monde public, toutes les préoccupations de notre vie politique, les reflets de notre monde social et surtout cette dérision un peu vaine, d’entrevoir un renouveau dans cette perspective bien proche, des échéances électorales. Et pourtant un choix de civilisation se présente…

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8 Février


A Bernard :


… Et puis l’Orphée a été complété.

Tu as vu que je m’étais inspiré de ciels de Boudin. Je n’ai pu résister. Ça reste du Deydier audible, comme Warhol avec Marylin, Mao ou Elvis. Avec l’iode en plus.

Mes vagues en exergue de l’année 2022 promettent une lame de fond poétique.

Pour Maigret je suis d’accord avec toi. Complètement. Je suis pour la choucroute et la blanquette. Ce qui l’aurait fait passer aujourd’hui pour insolemment de droite. Extrêmement.

J’ajouterai la touche musicale, le tempo adagio ma non troppo.

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A Mireille Deydier :


Mon père, votre cousin Victor, aurait eu 100 ans aujourd’hui…

Un âge à peu près banal aujourd’hui…

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9 Février


A Bernard :


Oui, le manneken pis a maintenant à parité égale sa représentation féminine et canine. Pourquoi pas handicapée ? ou de couleur ? Ça reste une toute petite sculpture, dans un coin de placette à mon souvenir. Il y a des réputations qui échappent à toute raison. Comme la petite sirène de Copenhague bien qu’elle fasse déjà un peu plus rêver.

Iras-tu parler devant le Parlement réuni au complet ? Il s’agit de défendre la poésie française contemporaine.

Nous irons en Juin à Heidelberg où Cécilia a trouvé un stage professionnel de langue. Puis nous ferons un tour en Alsace pour compléter. Si bien sûr les mesures sanitaires vont dans le bon sens.

Février devrait accoucher d’une poésie qui sera dans la veine de janvier. Je l’espère. J’ai eu comme un coup d’inspiration en peu de temps. Je commence à croire à nouveau à l’inspiration.

Tu pourras déjà mettre sur les belles vagues bleues le titre de 2022 : CE BLEU QUI A COULEUR D’EXIL. C’est un peu long pour tenir sur l’image, mais peut-être qu’en faisant petit…

Le printemps semble aussi s’installer ici. On voit déjà des femmes presque nues. Tous les ans c’est toujours une heureuse surprise.

Demain sort le second volume de la "Nef des fous" de Onfray. Quand je te dis qu’il écrit plus vite qu’on ne met de temps à le lire ! Il y a un truc…

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11 Février


Note :


La gauche disparaît de l’offre économique et sociale. Ses propositions sont condamnées depuis l’abandon du peuple pour l’arène européenne. Mitterrand en avait signifié la fin dès 1983. Il y eut les premières défections et les « déçus du socialisme ». Mais c’était encore un temps, pour pas très longtemps, où parler des élites était encore un gros mot. Aujourd’hui celles-ci s’autoproclament et s’affichent comme telles, insolemment, comme rempart aux oligarchies de la finance. Les élites médiatiques notamment dictent la morale et les codes de bonnes conduites du politiquement correct qui demeurent les seules valeurs autorisées sur l’échiquier des espérances. Et cette gauche a beau être dépouilléé de ses anciens électeurs, elle conserve dans son intégralité le magistère idéologique fluctuant au gré de la volonté tyrannique des seules minorités. Exsangue de son ancien électorat, elle s’est ramifiée toute entière au travers des ONG innombrables, toutes conquises aux tentaculaires billevesées de cette morale de l’humain universel. Hier, l’URSS avait en vue l’homme nouveau, celui-ci n’étant encore qu’une simple vue de l’esprit, un avenir en construction, comme on construit aujourd’hui cette Europe faite d’étoiles abstraites, qu’une gauche sans incarnation dérive maintenant vers cet universalisme sans âme, puisque niant le réel, la photographie de l’état des lieux en quelque sorte, privé de ses forces vives et de ses racines séculaires.

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EHPAD


Narayama, la montagne de Nara, c’est celle où l’on abandonne nos aînés dans la tradition japonaise. La Ballade de Narayama. Imamura en avait fait ce film cruel du sort qu’on réserve à nos parents lorsqu’il s’avère que leur place dans le tissu social n’est plus tenue et que leur inutilité est devenue une évidence. Le Japon n’est plus seul à vivre la loi de ceux qui finissent l’ascension vers l’hiver définitif de la montagne.

C’est aussi et surtout le reflet de notre barbarie nouvelle : Les Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes. C’est le retour de la léproserie où la lèpre s’incruste jusque dans l’odeur même des viandes fétides qu’on ne sait si c’est vraiment l’odeur des viandes des cantines ou si c’est déjà celles de nos vieux qui précipitent une décomposition invisible et parfois médicamenteuse.

C’est l’affection teintée de panique qui se délie inavouablement parce que les visages de nos encore vivants portent bien déjà le masque des morts en transit.

C’est certainement la dernière cruauté qu’ont inventé les générations qui viennent après nous afin de se détourner de ces déjà morts et de ce poids qu’ils représentent pour le confort désormais individuel et nucléaire de nos familles de plus en plus atomisées.

« J’ai élevé seule quatre enfants et j’ai du mal à comprendre que ces quatre enfants ne puissent m’accompagner dans l’hiver de ma vie et me livrent aujourd’hui à la solitude »

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14 Février


A Bernard :


J’avais parlé un peu vite. Les frémissements de la fin de l’hiver nous donnent pour aujourd’hui une pluie assurée et un ciel de courroux. Manquent les tonnerres sur Saint Jeannet. C’est le temps habituel de Carnaval, ça ne déroge jamais. Comme il s’agit d’un simple défilé, que restera-t-il pour les pauvres curieux venus souvent de loin ? Le vin chaud de chez Sauveur, même pas ? Il faut être initié.

Par contre tu as des journées culturelles menées elles aussi tambour battant. C’est presque un programme de ministre de la culture à qui rien ne doit échapper.

Février avance bien. Ce sera un peu dans la veine de Janvier. Tant mieux. Dur et compact. Comme dirait Mallarmé "…l’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide…"

L’enluminure a aussi le titre qui va avec. J’espère que tu trouveras à inclure celui-ci sans trop "défigurer" l’image.

Un nouveau Malerei va venir. Reste à trouver le titre de la rubrique : je ne veux pas y voir figurer le nom de Boudin, ça fait toujours un peu sourire. Mais ses ciels sont si beaux. Je m’en suis emparé dans des compositions à moi. Comme Berio dans sa Sinfonia citait des phrases de Mahler qu’il utilisait comme fil conducteur de cette œuvre.

Le petit Y. a la covid doublée d’une grippe. C’est assez rare paraît-il. Donc encore un isolement pour tout le monde. Le pauvre petit ne se plaignait même pas, à peine d’un mal aux jambes et "du froid partout". Ça ne l’a pas empêché ce dimanche de suivre son père pour nettoyer le pointu avant la saison de la pêche.

Heureusement que ça tombe pour la deuxième semaine de vacances ; il sera rétabli pour la rentrée. Et ne manquera pas comme précédemment dix jours de classes.

Voilà, jusqu’au départ, dans exactement un mois, rien n’est certain. Il suffirait d’être positif deux jours avant, ou même le jour du contrôle à l’aéroport… (!)

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On peut même dire ce matin, qu’au travers de la fenêtre, le brouillard qui cendre le paysage du côté de Saint Jeannet et du Baou, compose une espèce de tableautin japonais avec quelques pins qui dessinent presque des ombres au crayon dur sur le laiteux de l’arrière-plan avec de furtives bâtisses hagardes comme autant de vaisseaux fantômes sur la panoramique d’un paysage délavé.

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15 Février


Le petit diable a donc attrapé la Covid. On s’est aperçu chez le dentiste ce matin. Il avait rendez-vous juste après moi.  Puis dans l’après-midi il est passé avec sa maman. On doit le tenir éloigné alors qu’il avait une grande envie de rester avec nous. Et pour couronner l’ensemble, la petite sœur vient d’avoir la scarlatine.

Longue lecture de « Albert Camus et la Guerre d’Algérie » de Alain Vircondelet.

Entre les ruines idéales de Tipasa, la lumière éternelle des noces de la pierre antique et l’amour charnelle de la terre natale, l’angélisme fragile de Camus et les requins idéologues des cafés de Flore à Paris, les destins de l’Algérie des années soixante étaient évidemment scellés.

Soixante ans après la fin des hostilités, les plaies sont toujours vives. Les commémorations du mois de Mars risquent d’être grinçantes.

Et si l’on ne retenait de Camus que ses épousailles de « la mi-distance de la lumière et du soleil » de Tipasa, l’équilibre instable qui fit claquer les coups de revolver répétés de l’Etranger ?

Sartre n’a pas eu que les mains sales.

Après les orages du début de semaine, le temps est de nouveau printanier.

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16 Février


A Hélène :


J’ai bien lu attentivement l’article que tu m’as envoyé.

Effectivement il y a beaucoup de choses que nous ignorons en matière de santé et de protections contre ce qui nous a frappé depuis deux ans.

C’est là qu’on voit en tous cas, que les scientifiques eux-mêmes n’arrivent pas à s’accorder au-delà du "conseil scientifique" proche du pouvoir.

C’est vrai qu’on reparle à nouveau de ces traitements naturels et des méthodes de Raoult également.

Il y a, et c’est vrai, toujours de "fines fleurs" dans la nature…

J’espère qu’on en aura fini pour de bon très bientôt.

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17 Février


PAPIER PEINT


Heidegger est terriblement allemand. Montaigne aurait rendu captif le Dasein en une simple et belle page comme on entre dans un appartement neuf et aéré.

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Pourrais-je rêver d’un sommeil sans arthrose ?

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18 Février


A Bernard :


C’est fou ce qu’on attrape en ce moment comme rhumes, comme éternuements et comme les soirées sont fébriles. Il va falloir que j’aille faire un test (lundi, rien ne presse). Il paraît que le variant actuel n’est pas plus féroce que ça.

Autant attraper le virus à un mois du départ. Je dirais même qu’à tout prendre je me l’inoculerais bien pour en être débarrassé aujourd’hui.

En tous cas, cet après-midi, nous irons au carnaval de Villefranche avec Y.. L’originalité c’est que tout se passe au bord de l’eau, sur des bateaux. Ça changera un peu de la place Masséna qui est gentiment fermée pour ceux qui n’ont pas réservé leur fauteuil dans l’enceinte… Un peu comme le GP de Monaco.

Juliana (la nièce de Cécilia) m’a expliqué comment signer mes tableaux. Je ferai un essai ce soir.

Je finis le livre sur Camus et la guerre d’Algérie. C’est le énième ouvrage sur cette période qui m’a toujours sensibilisé. A chaque ouvrage j’ai un sentiment d’inachevé comme si on était encore maître d’évènements passés il y a soixante ans. Peut-être que les guerres, les "évènements" serviraient à ne pas refaire l’histoire en répétant les mêmes erreurs.

J’ai aussi un ouvrage d’introduction (parce que sous forme d’interview -c’est en fait une autobio) à la pensée de René Girard, "les origines de la culture". Avec des thèmes récurrents : le mimétisme et le bouc émissaire dans l’Histoire.

Le mois de février devrait te plaire. Je suis dans une veine assez féroce. Autour du 8, (le centenaire posthume de mon père) j’ai réellement eu une inspiration quant à la mise en forme libre d’un même thème sans que je sache comment cette facilité apparente s’est produite. Je vais décidément croire à ce phénomène que je ne saisis pas encore très bien. Mais c’est vrai qu’il y a des jours où tout s’écrit comme si une nécessité se montrait avec évidence, et le lendemain, rien, totalement rien. Comme épuisé d’avoir produit un effort la veille. J’en suis arrivé à ne plus sortir sans un calepin dans la poche.

Je t’envoie de petites vidéo sur le microcosme politique contemporain. Edifiant.

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e. e. Cummings n’a écrit que deux nouvelles.

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Virginie, (je crois qu’elle se prénommait ainsi), la petite dame en chaise roulante qui venait chez Sauveur avec son mari prendre régulièrement un demi le samedi, souriait toujours de loin, et avait parfois un geste ou un mot de gentillesse. Quel étonnement de voir celui-ci seul aujourd’hui portant toute la solitude du monde en m’apprenant que sa femme était décédée début janvier d’un AVC durant son sommeil.

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20 Février


A Bernard :


C’est faire bien de l’honneur au pouvoir de séduction du seul Macron. Les portefeuilles ministériels sont de tous temps si attractifs que les girouettes s’affolent tout simplement au sommet des clochers.

Ça en dit long sur les toujours et les jamais dans les convictions des hommes/femmes politiques.

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22 Février


Mes lectures sur Camus et l’Algérie me mènent vers tous les Tipasa qui habitent ou ont habité un jour l’Histoire des créateurs, les « ailleurs » et les embarquements pour des Cythère qui ravivent périodiquement comme des fixateurs de mémoire les lieux mentaux inaccessibles mais tant désirés à constituer un horizon permanent dans la vie de tout un chacun. Tipasa a été le révélateur de la lumière de toutes les Méditerranée du cœur. Elle a été la conjugaison de la permanence de la pierre qui s’est confondue avec la pérennité et les mouvements de l’Histoire sur le sol habité par Camus. Tipasa s’est identifiée à l’Eden de l’Algérie française de toujours. Une sorte de référence d’un bonheur lumineux qui trouvait son extension dans la terre charnelle de toute cette Algérie qu’avait connu l’auteur. Ce que ne pouvaient comprendre les idéologues parisiens depuis les moleskines du fond des cafés de Saint Germain :  Sartre ironisant sur la « sensibilité méditerranéenne » de Camus. D’où l’impasse dans laquelle Camus ne pouvait que trouver solitude et incompréhension.

Je relis ces pages comme j’imagine, dans un futur qui ne serait pas qu’une fiction sans fondement, le terrible dilemme qui se poserait si le déplacement, quelque soixante-dix ans plus tard, des mêmes conflits se transposaient, non plus sur un sol d’outre-méditerranée, mais sur le sol métropolitain. On connait déjà qui seraient les Camus et les Sartre de service.

Il est parfois des sympathies qu’on a du mal à imaginer entre deux êtres, soit parce que leur nature est tellement antithétique qu’ils ne sauraient par quel bout se comprendre, soit parce que la part consciente de leur position intellectuelle ou les préoccupations sensibles de l’un et l’autre ne pourraient se rejoindre. L’exemple de René Char et de Martin Heidegger m’a paru être une illustration de cette amitié dont on ne sait qui des deux seraient Laurel et l’autre Hardy tant est contrastée et même violente l’image de leur différence. Tant bien dans les modes d’expressions que dans l’histoire personnelle et culturelle de chacun.

La réponse, car il se doit d’y en avoir une, pourrait venir de la fenêtre ouverte sur le monde que l’un et l’autre pouvaient bien avoir dans leur étrange relation amicale. Pour le germanique, élevé dans la pensée méditerranéenne de Héraclite, Empédocle et des présocratiques, les boulingrins du Vaucluse étaient un inconscient terrain tangible de retour (une fois de temps en temps, le temps d’un séminaire) à cette antiquité immuable d’où se posaient les questions ontologiques. Le prétexte à un retour sur les lieux même qui animèrent ces pensées. Pour le fiévreux poète vauclusien, depuis sa fenêtre d’enraciné dans ce sol même, la présence de Heidegger, c’est la rencontre et la fascination d’un penseur contemporain maniant les concepts à partir des bribes quasi archéologiques des fragments d’Héraclite, d’une rocaille conceptuelle ne pouvant que projeter un retour de miroir sur les sentences et les fulgurances poétiques que Char développait dans sa propre poésie.

La Méditerranée pour partage.

La sincérité de Camus ? Sa sincérité donjuanesque, peut-on y croire ? Maria Casarès, Catherine Sellers et quelques autres. Quatre femmes permanentes si on inclut Francine, l’épouse devenue folle. Des lettres d’amour brûlant aux unes et aux autres dans la même journée… Aucune à l’enterrement, sauf l’épouse.  Tout ce petit monde était bien habitué au théâtre, à ses illusions ses masques et ses faux-semblants. Sous fond de guerre d’Algérie et de tournées dans tous les hémisphères. Camus s’inventait inconsciemment un rôle de sultan.

Francine Camus, née Faure, fut un temps une brillante pianiste jouant Bach.

Je pourrais considérer avec une certaine distance et indifférence les brutalités et les folies idéologiques de Sartre, s’il n’avait, hélas, déterminé vers mes quinze ans, une attitude nouvelle et exercé une influence néfaste, qui était un nihilisme et une déconstruction répandus bien avant ses pires élèves, Foucault, Deleuze ou Derrida, durant cette transition de mon adolescence.

Les violences verbales infligées à mon père en furent la conséquence. Les remises en question de toutes notions de valeur, dont à cet âge on ne mesure la pertinence, m’étaient présentées seulement dans le sens de la déconstruction de celles-ci.

Sartre n’a pas eu que les mains sales.

Il a dû avoir désespérément, en même temps que tout ceux qu’il influençait, la nausée de lui-même.

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Geneviève un peu chiffonnière de chez Sauveur, avait un clown à clé mécanique, tout de porcelaine et de chiffon. Je l’ai trouvé beau, elle me dit « il doit bien valoir cinq euros ». Je lui en ai donné dix. Il me sourit maintenant quand nous sommes dans le salon et penche sa tête qui cligne.

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PERLE


Cecilia Bartoli a eu un faible pour le flamenco il y a très longtemps. Elle a pensé même pénétrer sérieusement dans cet art qui vient du fond de l’âme. Elle voulait en faire l’essentiel de sa vie. Puis c’est passé dit-elle.

Réaction salvatrice de la productrice de l’émission de France-Musique : « Heureusement pour nous, elle a choisi la musique ».

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24 Février


Depuis quelques semaines, la Covid montrait quelque signe de faiblesse médiatique pour faire place à des divergences frontalières en Ukraine. La Russie revenant (s’était-elle jamais rendue absente ?) sur le devant de la scène. Depuis cette nuit, des offensives auraient été perpétré au nord du pays, dans la région du Donbass.

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25 Février


DE LA HAUTEUR


-Paris… libérée !

-Ich bin ein Berliner !

-I have a dream !

– Patria o la muerte !

-Yes we can !

– « Je veux des toilettes dans le métro ! » (Valérie Pécresse –février 2022-)

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J’écoute les sonates pour piano de Beethoven depuis plusieurs jours. C’est comme un chemin étroit parmi les cailloux quand on a la respiration qui pèse sur la poitrine. C’est aussi comme un vent large, des poignées de violences contenues.

Kovacevich, puis Gilels. Puis aussi Yves Nat. Tant d’autres pour un portrait impossible des trente-deux sonates.

Tout le monde parle déjà de la guerre.

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Bernard :


Ce que m’inspire le début de la troisième guerre mondiale démarrée par Poutine :

1 ceux qui craignaient le grand remplacement par les musulmans devront se mettre à jour, il aura lieu, le grand remplacement, mais par les orthodoxes. En fait c’est moins grave, la religion orthodoxe étant sensiblement la même que la catholique, à une inversion de croisement près

2 on espérait bientôt ne plus avoir à porter les masques anti Covid. Hélas, il va maintenant falloir porter les masques anti atomique, beaucoup plus lourds et désagréables. Je fais confiance à Vuitton et les autres acteurs de l’élégance, on va avoir de beaux masques décorés à la mode

En conclusion, il n’y a pas de conclusion, impossible de savoir ce qui va se passer ; il est temps de vider sa réserve de bons vins avant la catastrophe finale

À Bernard :


Puisque tu fais des petits 1 et des petits 2, je dirais pareillement :

Ce n’est pas parce que il y a des mouvements du côté des frontières de l’Est qu’il faudrait penser que l’orthodoxie va envahir Paris. Tu as raison : Il y aura toujours plus de mules musulmanes convaincues, proches des félicités célestes, que de catholiques exsangues.

Tu as encore raison : la Covid va bientôt manquer. Ces masques, on va les regretter, si légers, parfois soyeux…

Restons-en donc aux "sanctions".

Conclusion, comme tu dis, les médias ont trouvé un bon dérivatif avant le mois d’Avril : l’élection est déjà jouée.

Pour finir, tu as encore raison, il faut boire.

Demain, c’est "Sauveur". Il y aura du monde.

Je vous embrasse

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27 Février


A Bernard :


Tu as bien fait de réunir les 7 reflets. D’ailleurs on devrait l’orthographier avec le chiffre 7 que je trouve encore plus beau (comme blanche Neige et les 7 qu’on ne doit plus jamais nommer).

Es-tu déjà revenu de Belgique ?

Ce matin, de magnifiques nuages à la fenêtre. On croirait des ciels à la Boudin, ce qui est rare ici.

Michel Onfray donne une conférence ce mercredi au CUM sur le thème de l’Art et la Connaissance. J’irai avec un de chez Sauveur qui est assez fan.

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(suite)

Il y a un nouveau malerei dans la box : NAZCA . J’ai supprimé les Orphée pour des raisons de place.

De simples mannequins de Nice Etoile, devenus des personnages du Pérou ancien.

Je vais maintenant laisser reposer les malerei pour un certain temps.

Demain la poésie nouvelle. Inspirée ce mois-ci. Je l’espère.

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Le climat est malsain. On voit les ombres des chars sur les fronts de l’Ukraine, le visage de Poutine ne quitte plus les écrans, le front plissé et douloureux, une tête lourde sur des épaules que ne surmonte plus même le cou, la parole tranquille et déterminée. La Covid a fait place au fantôme profilé du danger nucléaire, une apocalypse programmée. L’Europe s’en tient à des « sanctions » et à des rodomontades d’usage. La France a deux cent têtes nucléaires, face à six mille pointées en face. De toute manière, avec une seule d’entre elles, ce serait une Apocalypse assurée. La France est aussi seule détentrice de l’arme de dissuasion en Europe, les autres nations sont sous le parapluie américain. Israël n’a pas bougé une oreille. La Grande Bretagne ne se désolidarisera pas des Etats-Unis évidemment. Il n’y a pas d’armée « européenne », pas plus qu’il n’y aurait une volonté d’envisager une diplomatie commune. L’Allemagne se fait discrète, elle dépend du gaz et des importations importantes du côté de la Russie. Elle parle bas, elle attend les réactions des Etats-Unis qui n’en restent qu’à des incantations de préambule. Au jeu d’échec on dirait que Poutine a un coup d’avance.

Après la faillite d’une Europe sanitaire durant tout le temps de la pandémie où le chacun pour soi et le sauve qui peut a prévalu, l’Europe de la Défense est aujourd’hui muette. L’Europe fédérale n’est pas un corps constitué comme on le voit, elle ne procède d’aucune incarnation historique. Comme disait un député à l’Assemblée européenne « votre Europe a soixante ans, la nôtre trois mille ». La Grande Russie pointe par contre le bout de son ombre.

Les débuts des années vingt sont décidément orageux.

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Un temps pour écouter du Schumann, les « Danses des Compagnons de David », les « Papillons » …

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A Bernard :


Les valises, il est encore temps de les faire. Il reste quinze jours. On pourrait dire "encore 15", on pourrait dire "à peine 15". Après 57 ans, le temps n’y est plus pour rien. C’est tout le théâtre de l’enfance qui va surgir bientôt. Je serais sensible à ce qui aura été marqué par ces presque 60 années de vieillissement et à ce qui n’aura pas changé. Mais restera aussi l’écho des voix seulement, parce que je ne rencontrerai aucune de celle-qui m’étaient proches. Je vais au-devant de fantômes. La loi du passage des générations. Il était temps que je m’en aille remettre mes pas…

Avec l’avenir qui se profile, il était temps en effet.

Février arrivera comme souvent à l’heure. Le Carnet aussi.

Pour Nazca rien ne presse.

Tu me raconteras la Belgique.

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Je ne crois pas à cette troisième guerre mondiale qui se profilerait. J’entends encore cette chanson de Sting parlant de ce peuple russe durant la guerre froide, the russians love their children too

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2 Mars


A Bernard :


Quand je te conseillais "Heroes", c’était surtout la 4°symphonie de Glass qui utilise le thème de Bowie. C’est gentil effectivement, comme la naïveté de la musique américaine en générale. Mais Glass a une construction harmonique qui est très efficace et dynamique. C’est un très bon orchestrateur. Ce n’est pas qu’un minimaliste répétitif.

Je ne raisonne pas en terme de "dette" quand je parle de la responsabilité des enfants envers leurs aînés. Seulement d’une réciprocité morale d’avoir reçu la vie (quoique tu en dises, c’est un miracle) et de rendre en quelque sorte toutes les attentions qu’on a pu recevoir en retour. Le fait qu’on ait pas demandé à venir sur terre ne fait pas de nos géniteurs des débiteurs à vie (si je puis dire). C’est peut-être nos sociétés qui ne font plus d’enfants qui relativisent ce miracle de la vie et se contentent de la plus simple jouissance d’elles-mêmes.

On va, pour des "convenances personnelles", jusqu’à tolérer les avortements du neuvième mois (loi récente de 2020, pendant la pandémie, en plein été, discrètement…) afin de préserver le bon vouloir de celle qui ne veut plus d’enfant. On pourra, dans cette logique de mort, passer à un 10° mois avortable, (donc après la naissance), si la mère confirme qu’elle ne veut décidément pas d’enfant. Comme je disais dans ma nouvelle n°1, "avortement par prescription".

Tu constates qu’à partir d’un certain âge le corps ne répond plus de la même manière. C’est si vrai. Mais pas étonnant. J’essaie simplement les efforts longs mais sans violence. Marcher, 10 km est encore possible. Plus même. A Londres, dans les îles grecques et à Paris (2019) on a passé la barre des 20km sur les montres connectées. Sont-elles fiables ?

Ce soir la conférence de Onfay au CUM. Sur son dernier bouquin "les raisons de l’art". Faut-il décidément voir de la raison partout ? Notre monde n’est jamais allé aussi mal depuis qu’il repose sur la raison. Mais quelles sont les limites de la raison ?

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Donc en fin d’après-midi, conférence au CUM.

Michel Onfray a offert une causerie d’une heure et un peu plus, avec Eric Naulleau en poseur de questions. Très dense, tous les thèmes de l’art moderne et contemporain au crible d’une question : l’art est-il le prolongement des interrogations sur la vie, la mort, l’au-delà. (Des questions que je pense aussi me poser en écrivant).

L’art est-il perceptible par toutes les cultures ou passe-t-il par des codes que détiennent chacune des civilisations qui les secrètent ? De quoi tenir une heure en effet.

Pour une fois Cécilia m’a accompagné. Il y avait dans la salle quelques joyeux du Sauveur, puis en fin de conférence, les inévitables questions du public sur le beau, le futile, l’être et le néant, les valeurs marchandes (inévitables) et enfin les noirs de Soulages auxquels semblent porter un grand intérêt Michel Onfray.

Seule ombre au tableau, l’horrible qualité de la sono. Les paroles semblaient s’effilocher dans l’espace de l’amphithéâtre, accusant plus encore le débit excessivement rapide du conférencier.

On a fini la soirée dans un resto très calme et chic du port des Marina, dans l’accord d’un quasi de veau, rosé à point, avec un beau cru des coteaux varois.

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Comme Onfray écrit très vite, le dernier ouvrage sous sa signature est en fait un bilan sur le quinquennat de Macron, Foutriquet.

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4 Mars


Je regarde des femmes féminines (féministes ou non), ayant de très importantes responsabilités médiatiques (ce soir un débat télévisé), industrielles (des cheffes de société) ou politiques (la présidente du fonds monétaire international, Valérie Pecresse aussi), portant toutes de superbes pantalons.

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Nigel Rogers est mort en Novembre dernier. Je ne l’apprends qu’aujourd’hui par la presse spécialisée, c’est dire la considération quasi confidentielle qu’on a pu avoir pour « l’Orfeo du siècle » …

Quelle plus belle scène que le trio de début de l’Acte 3, d’Orfeo, avançant dans les ténèbres qui entend la voix d’Esperanza « Lasciate ogni speranza, laissez toute espérance » à qui répond l’écho glaçant de Charon « O tu ch’innanzi morte, O toi qui avant l’heure, temerario pensiere arresta i passi, t’en viens sur ces rivages avec témérité, arrête tes pas ! ».

Quel trio vocal aurait dépassé Nigel Rogers, Alexander Malta et James Bowman, dans la fin des années soixante.  ……………………………………………………………………………………………………………………..

De plus en plus, quand on parle d’identification à Dieu, on cite évidemment Bach. Mais qui a envie de s’identifier à Dieu ? Peut-être vaut-il mieux, esthétiquement parlant, en rester au plus proche de ceux qui incarnent ce qu’on nomme communément la condition humaine (Mozart, Beethoven, Debussy) ?

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J’écoute attentivement les européistes, me faisant penser aux soviets d’antan : « si le communisme fonctionne mal, c’est qu’il n’y en a pas encore assez ».

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Les publicités dans leur dimension sociétale sont palimpsestes. Elles pratiquent le double message, celui du produit à vendre et en creux, le modèle de ceux qui en font usage.

Ce qu’on en retient, que ce soit pour les marques de voiture, les pâtes alimentaires ou les décorations d’intérieur, le véritable message est que les familles qui consomment sont composées d’une femme blanche, d’un géniteur de couleur, et que les enfants sont ainsi parfaitement diversifiés.

Aucune publicité n’échappe à ces structures de famille contemporaine qui s’affichent comme un vœu, un idéal, comme dit la chanson, « systématiquement » …

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7 Mars


A Bernard :

Je ne sais s’il y a une évolution dans ma poésie. Ce serait inconsciemment. Vers plus de simplicité ? Je sais encore moins. Ces 2 vers que tu ne mentionnes pas me semblent plutôt d’une signification "ramassée » :

"Le revolver chevelu de faire son paon

tout contre une tête devenue plein soleil"…

C’est l’histoire d’un revolver qui s’éclabousse de faire "pan !", contre une tempe rendant la tête comme un soleil à son origine. Ce n’est peut-être pas la simplicité même mais ça a le mérite d’être bref. Comme le coup de feu….

"Passage de mon père…" revient 2 fois. Entre les deux, c’est sa date anniversaire, le 8 du mois. Tout ce qui est écrit dans l’intervalle est donc écrit ce jour-là. Une sorte de petite énigme …

Tant mieux s’il y a de la tonicité dans tout ça.

Je me permets pour une fois de me citer, il y a un poème que j’aime parce que revendicatif :

Nous voulons le soleil maintenant                                                                son réservoir de cinq milliards d’années d’hydrogène…etc.

Je crois que j’ai mis le meilleur de moi dans ce février-là. Il va falloir que Mars joue serré. D’autant que je ne sais si j’aurais le loisir de poétiser entre le 16 et le 23.

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Les codes culturels changent si vite et de façon exponentielle que bientôt le « Discours sur l’Histoire Universelle » ou le « Télémaque » ne seront plus de notre monde. Peut-être même le « Salammbô » et tout ce qui ne s’apprend déjà plus dans l’Education Nationale.

Racine et Molière sont joués dans les théâtres, ce qui les sauve. Pour les grands penseurs et les chefs d’œuvre qu’on lit dans la solitude, leur destin est de finir bientôt dans les sables de l’oubli.

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9 Mars


A Alain Jacquot :


Pour tout dire, ce courrier est assez désordonné, un peu comme ce monde flou et attristé qui se profile.

Qui pourrait faire la synthèse ne serait-ce que de ces deux premières années (années vingt) qui paraissent avoir un poids d’Histoire chargé comme un siècle ?

On avait promis en son temps à Lénine la corde pour nous pendre. A moins que ce ne fut lui qui avait fait promesse de la passer à notre cou. Nous sommes désormais puçés. Depuis nos portables, depuis les montres "connectées", depuis les connections GAFAM, depuis les passes en tous genres.

A ce rythme nous rattraperons bientôt la Chine communiste et son Pacte Social (sorte de permis à points récompensant ou blâmant la moindre de nos actions). Jusqu’à la mort du même nom.

Nous avons donc transféré la jurisprudence de l’homme responsable et libre pour celle de l’Homme Universel et abstrait. Nous avons effiloché peu à peu notre liberté réelle pour la défense d’un humain abstrait et droit de l’hommien.

Nous aurons donc une justice de "tableau noir", héritage de l’arbitraire du couperet de Saint Just.

Ma colère est sourde et je ne sais si je me dois d’en blâmer les causes contre lesquelles seule la raison empêche l’aveuglement.

La conférence de Michel Onfray au CUM avait pour objet "les raisons de l’art". L’amphithéâtre était rempli jusque sur les marches d’escalier. On a même eu droit à de judicieuses considérations sur la musique contemporaine.

Musiques :

François -Frédéric Guy vient de sortir un enregistrement du second Livre de Préludes de Debussy, intelligemment couplés à des pièces inédites de Tristan Murail. La complémentarité et la filiation relèvent d’une évidence naturelle. Je me souviens que la première fois que son nom m’est apparu, c’est lorsque j’ai accompagné Danièle Rossetti qui était allé chercher son diplôme à la SACEM et qu’entre autres récompenses il y avait un étrange vinyle de ce Tristan Murail qui est longtemps resté dans les poussières de la discothèque des Animations Musicales de Cimiez.

Catherine Collard a une fois de plus remporté la tribune avec le quintette de Franck. Ce qui en devient presque inquiétant pour ses concurrents. Mais ma surprise du mois a été la découverte de Kovacevich dans l’opus 109 de Beethoven, très largement au-dessus de la mêlée du jour. Son intégrale vient de paraître et l’ensemble est du même tonneau. Il se hisse au niveau des plus anciennes gloires que tu sais.

Autre belle surprise, ont été ces deux jours consacrés par "Chemchac" à l’étonnante locomotive de salon qu’a été en son temps Madame Winnareta Singer de Polignac, épouse du Baron de Polignac et fille de Isaac Singer, créateur des machines à coudre du même nom. Le baron étant homosexuel, les deux époux vécurent dans l’harmonie libertaire la plus équilibrée. Proust fut un assidu de ces salons avec Nadia Boulanger au piano et à la création chorale de nombreuses œuvres qui virent le jour devant des auditoires des plus huppés.

J’ai fait l’acquisition d’un petit clown mécanique moitié porcelaine, moitié chiffon, à une chiffonnière de mes connaissances qui l’évaluait cinq euros. Je lui en ai donné dix. Depuis nous buvons le coup de blanc ensemble, et lorsqu’elle a une édition intéressante d’un Giono, elle fait un détour pour m’en faire profiter. Depuis la petite porcelaine me sourit quand je remonte la clé et mes petits-enfants écarquillent les yeux quand il fait son petit numéro.

Je n’ai pas les pouces verts comme Tistou, mais ma fille m’a offert une plante verte exotique dont je mesure avec attention et inquiétude la croissance des tiges et l’ampleur des larges feuilles. C’est une véritable angoisse que de considérer le moindre fléchissement de leur énergie. C’est un peu comme mesurer la trajectoire en accéléré de notre propre existence.

Mercredi 16, c’est le grand départ pour Rabat, après une absence (mais comment est-ce possible ?!) de 57 années !… Autant dire qu’il s’agit d’un pèlerinage vers les lieux de mon enfance. Sauf que je ne rencontrerais que le fantôme de tous ceux qui m’y avaient précédé et qui m’ont aimé. Je sais que je ne sortirais pas totalement indemne d’une telle expérience. J’espère être au plus près à l’écoute de cet enfant que j’ai été.

Voilà, ami, ce petit mot de début de printemps, espérant qu’une occasion se présentera pour nous réunir autour d’une belle table. On me parle justement d’une table excellente, "La table de Marie" qui est située au lieu même de la défunte "Cave niçoise"…

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10 Mars


Soirée encore bien hivernale. Nous continuons de grelotter depuis ce début de mois, alors que Février était annonciateur d’un printemps précoce. Les fleurs de Carnaval sont déjà bien fanées et celles du printemps se font bien timides. Nous dînons à « l’Hostellerie de La Fontaine » à Saint-Paul, au-dessus des voûtes d’un ancien lavoir, avec sa fontaine qui entoure un joli bassin. C’est un cadeau-coupon des fêtes de fin d’années d’Hélène, comme elle sait s’en montrer prodigue. La cuisine est gastronomique. L’œuf poché à l’émulsion de mousse de champignons des bois, craquants de cuisson idéale, est superbe. Puis en suivant, le carré d’agneau aux sauces simplissimes et compliquées à la fois.

Le village est encore engourdi par les raideurs du froid, les quelques égarés rentrent chez eux à cette heure encore très raisonnable. Le Cercle des anciens sur la Place du boulingrin est éteint. Seules les galeries d’art criblent de lumière les sculptures et les peintures qui paraissent aux vitrines un décor de cinéma tout le long du boyau central du village. La « Colombe d’or » sommeille entre ses Picasso et ses Chagall qu’on entre aperçoit faiblement éclairés aux murs. La petite chapelle qui sied à l’entrée du village est toute en robe de lumière mauve.

On en oublierait presque la guerre qu’on nous promet pour très bientôt. Du moins la guerre sur nos sols d’Europe de l’Ouest. Nous fournissons des armes à l’Ukraine, nous décidons des sanctions économiques contre la Russie, sachant que nous dépendons fortement d’elle pour ce qui concerne les matières premières et le gaz dont les prix s’envolent déjà à la pompe à essence.

Nous avons le nucléaire civil, ce qui nous permet bien heureusement, contre toute folie des écologistes extrémistes sociétaux, de moins dépendre que l’Allemagne, des énergies russes.

Que gagnerons nous de creuser un fossé aux frontières de l’Est ?

Macron avec ses invités européens au Château de Versailles semble heureux d’être le prince d’un moment, passant d’une poignée de mains à un homologue chef d’état à un autre, avec ce sourire artificieux et quasi kennedien, goulument technocrate, clins d’œil appuyés, complicités de circonstances, tapes désinvoltes sur l’épaule, embrassades et chaloupement de danseur diplomate. Probablement dans un anglais qu’il aura bien soin de faire sentir qu’il le parle avec la plus grande délectation.

D’ailleurs, n’a-t-il pas fait pavoiser l’Arc de Triomphe, aux seules couleurs du drapeau européen, au grand mépris de la loi qui interdit de faire flotter aucun drapeau étranger en lieu et place du drapeau national en ce sanctuaire du soldat inconnu. Soldat tombé pour la France et non pas pour une Europe pour laquelle il ne s’est certainement pas battu.

Le Président Macron continue d’afficher donc bien insolemment son désir d’en finir avec la souveraineté nationale, diluant celle-ci dans le creuset d’une fédération européenne. Sans souveraineté militaire (!) et avec toutes les divergences économiques que cette Europe a toujours affichées dans ses multiples contradictions.

Ce grand raout des chefs d’Etat a-t-il d’autre but finalement que la confirmation commune d’une adhésion et une soumission à l’ordre américain otanesque ?

20 h 30

Débat entre Éric Zemmour et Valérie Pécresse : souverainisme contre gestion technocratique et euro compatibilité.

De loin en loin la campagne pour les présidentielles montre le bout du nez. On nous dit depuis longtemps qu’avec cette guerre à l’Est, le chef de l’Etat est là pour nous protéger (chef des armées, on ne dérange pas la meilleure volonté d’un président en activité maximale).

… Comme il l’a fait pour la crise sanitaire.

La nécessité même de présenter un bilan de ces cinq dernières années devient désormais superflue.

On devrait se souvenir plus tard de lui comme d’un protecteur de la Nation

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Macron :

Rappelons-nous : je suis chauve-souris, « voyez mes ailes je suis oiseau, voyez mes crocs je suis souris »

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14 Mars


Depuis le début du mois, le temps est désespérément au gris et au froid. On attend souvent Mars comme la fin réelle de l’hiver et les floraisons confirment le passage aux jours où « le temps a laissé son manteau » comme dit Charles d’Orléans. Mais cette année l’hiver est revenu, tenace. Serait-ce un triste préambule à notre départ pour Rabat.

L’anxiété me prend souvent en fin de soirée. J’appréhende même ce séjour. Une crainte de trop attendre de retrouvailles avec mon passé, cette petite enfance insouciante et si remplie. Je n’ai pas encore, comme je le fais habituellement pour un voyage, préparé d’itinéraire dans la ville. Je crains même la déception que prendrait trop d’improvisations. J’ai aussi du mal à imaginer la Tour Hassan, l’immeuble de la Nonina ou la rue Taillandier sous la pluie et la grisaille. Ce serait comme une entrée en scène ratée. Un épisode de « pétard mouillé sur la ville ». Après tant d’années d’absence je n’ose l’imaginer.

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Un nouveau Pélléas et Mélisande. Il y a une floraison de Pélléas ces temps-ci. Comme une nouvelle génération qui marquerait sa contribution à une sensibilité contemporaine pour un chef d’œuvre intemporel. Mais celui que je viens d’entendre mérite toute l’attention puisqu’il s’agit de l’enregistrement de François-Xavier Roth avec son ensemble Les Siècles. Roth marque souvent de son empreinte ce qu’il donne à entendre. Et s’il avait de surcroit trouvé la Mélisande d’aujourd’hui avec Vannina Santoni ?

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A Bernard :



Pulsar 2 est magnifique dans son écrin noir. Au contraire, ce n’est pas trop foncé, cela prolonge cette nuit absolue qui est représentée.

Je comprends que la Pologne ne soit pas la destination idéale ces temps-ci. Le Pays Basque que je connais bien pour y avoir eu ma tante résidente durant 7 ans entre Biarritz et Bayonne est magnifique. Toujours dans des locations qui coûtaient trois fois moins chères qu’ici. Et dans des villas de 100 m2. Elles sont aussi chères qu’ici maintenant.

Mais attention, la pluie est fréquente, surtout au printemps.

Mais je crois qu’aucune région n’est épargnée aujourd’hui. Peut-être même Rabat.

Je crois que la théorie de Huttington a été plus lucide que celle de Fukuyama. Même si l’histoire n’est pas achevée avec les remous de l’Est.

Nous sommes, et serons confrontés demain à ce choc avec le grand Sud. Je n’avais pas besoin hier matin de me sentir à Rabat, j’y étais… avec à peine un peu d’imagination en déambulant le long de l’Avenue Vernier. Et ce n’était pas qu’un ressenti. Les 3 bistros de l’avenue complètement annexés. J’ai noté une boutique de vêtement africain, 2 restos libanais, et 5 épiceries "comme là-bas". Pour une avenue assez discrète et pas si longue que ça. C’est la galerie de Eva Vautier qui semble complètement déplacée dans ce cadre-là, avec un zeste de suffisance et de prétention sentencieuse à la devanture ("tout est art", "j’aimerais être un cactus dans le cul de l’art » etc.).

Nous partons mercredi matin via Paris (!!!) à 6h du matin. Comme il faut être à l’embarquement 2 h avant, on dormira peut-être dans un hôtel face à l’aéroport.

……………………………………………………………………………………………………………………….- Suite –


Tout le monde me dit "n’importe où mais plus ici"… Why ? Où sera-t-il faire bon vivre plus qu’ici ? Parce que j’avoue qu’on a encore de l’avance sur les misères du monde. Quoiqu’on n’ait pas vraiment l’homme de la situation, ni celui qui écoute la volonté populaire.

Faire de Versailles, symbole s’il en est du souverainisme national (et les symboles sont toujours forts en politique), le sommet des technocrates contemporains c’est, au choix : hisser avec prétention l’Europe sur les hauteurs que fut Versailles en son temps (notre européen national n’en est qu’un hôte provisoire au petit pied), soit profiter de la maison ancestrale pour banqueter mieux que dans les autres palais européens (ce qui gonfle d’orgueil notre président). Manger du pigeonneau farci avec tous les chefs européens flanqués de leurs nombreuses délégations ça sent l’indécence. Tout ça pour conclure qu’on envoie gentiment des armes en Ukraine mais qu’on ne bougera pas. Sous le parapluie américain. En attendant les directives.

C’est très simple : il n’y a pas d’armée européenne. Donc…

Et tu dis vrai, les chinois compteront les points : changement des rapports de forces mondiaux.

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Le monde change en effet. L’Europe est décidemment un leurre : Mitterrand avait exigé de Helmut Kohl que les efforts de réunification de l’Allemagne passent par l’absence de réarmement de celle-ci. Depuis les débuts du conflit russo-ukrainien l’Allemagne décide un gros budget de réarmement et passe commande de quarante-cinq avions… américains. Les traités s’envolent, l’amnésie s’installe. C’est donc chacun pour soi dans une Europe allemande à l’écoute des Etats-Unis.

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15 Mars


Nous recevons du laboratoire les résultats des analyses d’hier au soir : nous sommes négatifs au test du Covid. On peut embarquer demain…

Les deux premiers jours devraient être largement pluvieux.

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RABAT  – du 16 au 23 Mars –


En pensant à Bernard qui attend ce récit avec impatience et qui vécut quelques temps à Casablanca …


                                                           … « comme une trouée d’Arenberg »


« ON NE REMET JAMAIS SES PAS DANS SES PROPRES TRACES » (comme aurait pu dire Héraclite)

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« Dans un voyage comme celui-là, ce qui compte ce sont ceux qui m’ont précédé » ( comme je le dis-moi-même)

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Cette autocitation est la première réflexion que j’ai eue dès mon arrivée dans la ville. Avec cette pointe d’amertume que revêt le risque que peuvent avoir le premier pas, les premiers regards et les premières constatations au lieu d’un séjour qu’on a beaucoup considéré comme un pèlerinage aux sources.

A Bernard (24 Mars) :

Nous sommes enfin arrivés vers 23 h hier. Fatigués, mais pleins de lumière dans les yeux.

J’ai pris un bon coup de soleil sur tout le crâne. Le soleil renvoie des embruns salés. Avec le petit vent frais c’était presque un temps de Grèce. En mieux. Mars a été le bon choix.

Reste à écrire le récit.

A Bernard :

Pour le récit il faudra patienter. J’ai du mal à introduire un séjour si particulier. Bizarrement je ne devrais pas, j’ai pris plus de notes qu’à l’habitude, le soir après des journées bien remplies.

Cela me fait d’ailleurs drôle d’être déjà revenu d’un voyage qui était si attendu. Encore un sort que me jette le temps qui ne m’a pas attendu pour déboucher bientôt sur Avril.

Le retour a été ressenti dans le feutré du taxi de nuit qui contrastait terriblement avec le chaos sonore et coloré, le débridé des heures et des jours qui avaient précédés.

Mais tout s’est déroulé à peu près comme je l’espérais. Je n’ai rien manqué d’essentiel. Pour ce qui concerne les lieux que je dirais de pèlerinage, je n’en ai manqué aucun puisqu’ils existent toujours. Y compris l’école où j’ai fait ma maternelle… Bien sûr, il ne faut pas rêver (quoique), cinquante-sept années ont laissé des traces. Des immeubles remplacent de petites maisons basses, des bâtiments modernes des architectures anciennes. Souvent les transformations ont été désastreuses eut égard à la qualité mauvaise des matériaux. Et puis on ne singe pas le contemporain sans s’en donner les moyens. Mais dans l’ensemble Rabat se veut dynamique, ouverte à l’avenir, et le roi en est le premier promoteur.

Je me suis rendu compte à quel point ce qui a le mieux résisté au temps sont les architectures protectorales, celles du temps de Lyautey. Chefs-d’œuvre… Et elles sont pour partie condensées dans le centre occidental, le long de l’avenue Mohamed V (que tu commences à connaître à force de m’en entendre parler).

Ce qui m’a le plus désolé ce sont les espaces vierges qui ont été comblé par de méchants immeubles en lieux et places de champs ou de terrains libres de toute occupation.

Je n’ai pas failli à l’orientation. J’aurais pu me rendre n’importe où les yeux fermés. Les cinémas surtout tiennent toujours, jusqu’aux noms qui n’ont pas changés. Et comme tu as pu le voir, le café de la "Renaissance" de mon grand-père est toujours debout (avec le cinéma du même nom qui lui est accolé). Bien sûr ma connaissance des lieux s’arrête là où la ville commence à s’élargir jusqu’au vertige. Plus d’un millions d’habitants dit-on entre Rabat et Salé. Mais rien que Salé me semble infiniment plus étendue et peuplée que Nice.

Les filles de Rabat portent des jeans déchirés aux genoux par les tigres, comme celles d’ici, et les plus évoluées ne portent pas le voile.

J’en garde un peu pour le récit que nous attendons tous.

Ce pèlerinage aux sources, je l’avais pressenti, mais sans urgence, depuis quelques années. On m’a souvent demandé pourquoi ne pas être revenu, ne serait-ce que pour un court séjour, et mieux encore, de temps à autre, dans le pays de mes parents et celui qui nous a vu naître. Peut-être que le temps est allé très vite, et même un peu trop. Les horizons défilent dans le désir des humains à la mesure de l’espace qu’ils aiment à découvrir. D’abord ce fut mon pays, celui de mes ancêtres, les régions de proximité, les départements de la Haute Provence qui devinrent par la séduction de leurs paysages et l’enracinement inconsciemment recherché, les premiers modèles de mes évasions géographiques. D’autant que Cécilia découvrait dans ces années quatre-vingt, un monde nouveau. Puis, ce fut le reste de la France, comme pour justifier sa splendeur, ses richesses patrimoniales et enfin ce fut l’attrait des pays étrangers, des pays voisins, l’attrait pour les cultures influentes, l’Autriche où nous avons su tissé des attaches privilégiées, la Californie et la fascination des Rocheuses, Prague, Rome, l’Italie et l’Espagne de toujours, pour ne pas remonter à ce fameux séjour initiatique aux Indes, il y a si longtemps.

Je regrette par-dessus tout de ne pas avoir trouvé, le temps d’une parenthèse, un moment propice pour venir à Rabat, ne serait-ce qu’une fois, avec maman lorsqu’il était encore temps. Mon père disparu trop vite, n’y aura jamais remis les pieds.

Ce n’est qu’avec l’âge qui avance, mais dire quand, je ne saurais le dire exactement, que cette petite musique des vagues anciennes, des couleurs et des lieux de la petite enfance remontent nettement en écho. Une sorte de vague à l’âme dans l’élastique du temps, qui fait entendre en retour les sortilèges des premières sources de notre existence.

..

Comme les saumons…

Puis tout est allé très vite depuis la crise sanitaire, et le désir conscient de fouler du pied la ville de Rabat a pris la tournure d’un projet réel.

Depuis mon retour ce vingt-trois Mars, il est plusieurs degrés d’approche et de compréhension d’un périple comme celui que je viens de vivre : la couche que j’appellerai antérieure, celle qui a imprimé tout ce qui s’est gravé dans mon vécu d’alors, la seconde épaisseur qui se trouve être la confrontation entre ce qui fut et ce qui est le réel d’aujourd’hui, et enfin ce que je nommerai l’archéologie de la mémoire, ce temps qui a agi sur les objets, les choses, les maisons, et qui est la résultante active et mouvante du phénomène de dégradation, voire de disparition des choses. Du moins le visage écaillé à proportion du temps qui a passé, qu’il sera impossible de revenir à l’émergence initiale.

Et puis le paradoxe : un voyage comme celui-ci n’est pas une addition d’images exotiques, un entrelacement de décors, de saveurs et de couleurs inédites. Ce qui en fait une traversée unique, est qu’il est peuplé d’un supplément d’absences. On dira qu’il est peuplé de l’âme des absents.

Tous les lieux qui vont défiler dans ce récit ont en leur temps été habités par tous les membres aujourd’hui disparus de ma famille. Des deux côtés de ma famille. C’est ce qui en fait un séjour dédoublé d’une réalité que je redécouvre à laquelle répond en écho ceux qui en ont été l’âme du décor.

A chaque endroit que j’aurais visité j’ai comme senti que quelqu’un avait oublié quelque part une veste, un sentiment plaqué à l’angle d’une rue, ou un serment oublié ou pas su prêté à un vieux fantôme lui aussi disparu.

Parce que cinquante-sept années, c’est énorme à l’échelle d’une vie humaine.

PS. Le caveau de famille des Deydier se trouve au cimetière de Rabat : à ma connaissance, Eugene et Josephine et Germain Sol Dourdin, le mari de Lili.

Je me demande ou se trouve la mère de Germain ?
Il doit y avoir celui des Batty.
Mon frère Francis le fleurissait chaque année .
Si tu y vas, n’oublies pas de prendre une photo ( dates très lisibles ). Germain serait sans doute heureux de recevoir une photo.

Mireille Deydier

Mercredi 16 Mars


Paris nous reçoit pour deux heures de transit. Parce qu’en Mars, et en cette période encore mal définie de crise sanitaire, il y a encore peu de demandes de vols directs vers le Maroc, d’autant que la Covid aurait frappé sévèrement le pays. La traversée des Alpes a été bien turbulente comme toujours.

C’est donc depuis Paris que la liaison est assurée par vol Air France. Roissy est flambant comme un sou neuf. C’est un univers lui-même transitoire, une immense zone autonome.

J’imagine, à mesure que le vol avance, que nous passons au-dessus de Madrid, de Tolède, que l’Andalousie est en vue, puis Tanger peut-être. L’écart entre l’Espagne et le Maroc est si mince…

Puis c’est la lente descente et la plongée vers la terre ocre, aride. Ce n’est pas sans un frisson que « d’un seul coup d’aile ivre », j’aperçois au travers du hublot les bouquets d’arbres nains desséchés, le rouge du paysage et plus loin, les vagues de l’Atlantique, paisibles et se mouvant comme au ralenti. L’avion se pose sur cet aéroport minuscule où je venais avec mon père assister à des meetings aériens et vu les démonstrations des premières Caravelles.

Puis c’est déjà le ballet des guides et des porteurs de valises qui quémandent en guise du moindre service, une poignée de dirhams. Celui qui prend d’autorité ma valise se dit directeur de l’aéroport. Le chauffeur de taxi, jovial, lorsqu’il apprend que je ne suis pas venu ici depuis tant d’années, ne semble pas surpris et croit d’ailleurs me reconnaître.

La circulation est d’une intensité que je n’aurais pas imaginée, anarchique et cahotante. Au premier abord je ne reconnais plus les longues avenues, devenues démesurément larges, traversées à coup de klaxon. Le ciel est uniformément gris mais laisse filtrer une lumière blanche et aiguisée. De loin, je reconnais comme un phare à l’horizon, la Tour Hassan. L’arrivée dans le cœur de Rabat se fait le long des remparts du Palais Royal et coupe transversalement l’Avenue Mohamed V sans que je ne m’en sois aperçu. Le Musée d’Art Contemporain, avec son énorme Botero sur le parvis donnant sur l’avenue, m’auront assurément troublé. Tout au bout de l’Avenue Moulay Hassan, la triple porte d’enceinte semble n’avoir reçu pour toute restauration qu’un plâtrage rosâtre lui donnant un véritable air de faux. Nous sommes logés tout en haut de l’Avenue Moulay Youssef, à l’hôtel NJ, un confortable quatre étoiles. Tout à l’autre bout, dans la descente, nous tombons directement sur la gare. Depuis la fenêtre de la chambre, la vue s’ouvre largement sur la Porte des Ambassadeurs du Palais royal et sur la gauche apparaît le minaret qui fait face à l’avenue Mohamed V.


A Bernard (30) :


Les Pouilles c’est très bien, c’est le Sud. Rien à voir avec la Toscane ou le Piémont. On y vit autrement. Je voyage de plus en plus au Sud. Je m’y sens toujours un peu chez moi.

Qui gagnera la guerre ? Du moins qui sortira vainqueur des futures négociations.

Ma fille est tellement stressée qu’elle pense émigrer en Colombie (elle a déjà la double nationalité). Je trouve ça ridicule.

Pourquoi pas imaginer comme tu le fais, que l’on en arrive à faire de la terre une croûte brûlante.

Mais les Pouilles c’est déjà assez sec

J’ai commencé bien délicatement, très doucement mon récit. Je me trouve devant la page blanche chaque matin. Les récits de voyage sont ce qui me donne le plus de mal. Pas que je n’ai rien à dire ou que je sèche en imagination ou en détails sur le vécu, mais parce que cet exercice est paralysant. Je voudrais à chaque récit qu’il soit une photo réaliste de mes excursions. Et ce voyage-ci est si particulier ! J’ai peur de ne pas être fidèle au ressenti vécu. Voilà pourquoi je n’enverrais le carnet que quand tout sera bouclé. Mais tu auras la poésie de Mars très bientôt.

Ma première curiosité est, comme avec empressement et avec au fond de la poitrine une sourde angoisse, pour la rue Taillandier. L’hôtel a l’avantage d’être au cœur stratégique de ce centre de la ville où tout ce petit royaume qui fut le mien tient en un périmètre condensé. J’apprends qu’elle s’appelle rue Kerbala. Taillandier, je n’avais jamais su qui il était. Je ne suis pas plus avancé avec Kerbala. J’y ai vécu de 1957 à 64.

Voilà, nous tournons depuis la rue qui monte de l’hôtel jusqu’à cet angle que je franchissais chaque jour il y a soixante ans. Les proportions de la rue, la taille, tout est entrevue en une seconde, j’y retrouve la distance, la longueur même qui n’est ni plus grande ni plus petite. On dit toujours que les enfants s’illusionnent sur les proportions et sur les tailles réelles, mais là, la rue m’était restée fidèle. Une série de maisons à deux étages, reliées les unes aux autres, jumelles identiques, dans la sobriété art déco, conçues par Jean Balois et Marius Boyer, les architectes qui ont collaboré et œuvré durant la décennie 20/30 à Casablanca et à Rabat. On y voit encore dans la porte d’entrée au numéro 6, l’entrecroisement en arabesque des deux lettres B à la partie supérieure des ferronneries. Le fer est rouillé, une désinvolte peinture noire masque à peine l’indifférence dans laquelle on tient la nécessité de continuer de faire vivre aujourd’hui les édifices et les harmonies urbaines. Ce qui faisait la blancheur éclatante de ce boyau de rue modeste au soleil levant est aujourd’hui sali et écaillé à de nombreux endroits, comme tout ce qui relève d’un temps qui a passé, balafré d’éclats, de fissures et pour tout dire, laissé mourir sans soin. Le trottoir sur lequel les bicyclettes de Bernard Chalençon, mon voisin du rez-de-chaussée, et la mienne, semblaient glisser sur un velours lissé, est devenu une croûte qui aurait été soufflé par une secousse tellurique. Pas un mètre carré qui n’ait subi un désordre et un éventrement, au risque même de chuter sans prendre garde devant soi. Des touffes d’herbes séchées s’invitent même dans ces crevasses. Une tristesse m’envahit à l’idée d’avoir dérangé une séquence du passé, en constatant avec stupeur ce que constate le voyageur que je suis devenu, comme un endormissement, une fatigue opérée par le temps.

Je me précipite à l’étage du numéro six. Dans les parties communes de l’escalier, les mosaïques de pavement des trois couleurs, noire, rouge brique et blanche en motifs abstraits ont conservé leur belle harmonie sans avoir trop souffert. Depuis le haut de l’escalier de l’entresol je revois l’image de l’enfant qui descend tous les matins, jetant un regard vers la porte d’entrée sur la gauche où vivaient les petits amis Chalençon. Plus haut, la grande croisée de fenêtres vitrées que nous avions détruite avec nos flèches aux bouts en caoutchouc en jouant aux indiens, est remplacée par une plaque de plastique presque opaque empêchant aujourd’hui la lumière de pénétrer franchement. Du moins on n’aura plus à remplacer périodiquement les vitres.

Et puis doucement à l’étage, la porte d’entrée de notre ancien appartement. C’est comme la limite extrême à ne pas franchir. La simple porte qui fut la nôtre a été remplacé par une pré grille de fer, laissant ensuite apparaitre une porte doctement ouvragée à l’orientale.

Depuis l’autre côté de la rue, je peux voir le balcon qui donne sur la fenêtre de la chambre de mes parents. A droite, derrière d’épais rideaux, l’autre fenêtre visible qui donnait sur le salon.

Rien n’était plus prémonitoire que la scie du film du même nom qui circulait dans ce début des années soixante : « Pour moi la vie va commencer en revenant dans ce pays, là où mes amis, mes parents, avaient gardé mon cœur d’enfant » …

Dans le même élan, c’est le débouché à quelque cinquante mètres de là, sur l’artère principale, l’avenue Mohamed V, et l’immeuble du plus beau style protectoral. C’est ici que mes grands-parents vivaient lorsque je suis né. Pour en avoir une vue d’ensemble, il faut traverser l’avenue et s’asseoir sur la rive où était auparavant une sorte de jardin échevelé et vierge où l’herbe poussait librement. On y pénétrait par un simple portail de bois. C’était le refuge sur les branches des plus gros arbres pour répéter les scènes les plus spectaculaires des péplums et des westerns que nous venions de voir. Depuis cet espace aujourd’hui complètement aménagé de bancs et de pelouses rases, l’immeuble apparaît comme un vaisseau dans toute sa majesté, solitaire et chargé de tant de présences et d’évènements considérables, de Noël et de veillées de jour de l’an, d’anniversaires et de midis autour de la table du dimanche. Je ne peux m’empêcher de caresser des yeux les balcons du second étage, le merveilleux encadrement en saillie formant un rectangle tout en ocre depuis le second étage jusqu’au dernier, faisant relief et une lecture à la verticale sur la blancheur de la façade, donnant un caractère inimitable de sobriété à cette architecture 1900 qui habille pratiquement toute l’avenue.

Les arbres ont tellement poussé qu’ils grimperaient aisément jusqu’au second niveau si on ne les avait taillés en hauteur mais également en largeur. C’est depuis un balcon de cet étage que je vis en hiver 1961 le cortège funèbre du roi, flanqué de sa garde rapprochée, qui a donné son nom à cette avenue.

L’immeuble a bien aujourd’hui quelques rides et quelques écailles de négligence mais demeure une des plus nobles réalisations de Rabat.

La porte d’entrée était close.

Et comme partout, les trottoirs décatis, éventrés. Le parc aujourd’hui aménagé et par trop dégagé, dépourvu de ses mystères anciens, a vu ses arbres grandir et grossir. Des hommes en djellaba dorment à même l’herbe rase, des cartons d’emballage sont perchés entre deux branches, dans l’attente de servir de paillasses la nuit venue.  L’église protestante longeant le parc n’a pas pris une ride

« Plus tard, quand je serai grand, je viendrai travailler ici avec toi… ». C’est la phrase que j’avais répétée à Angela bien des fois durant mon enfance, dans ce qui était ma vraie cour de récréation. Elle était devenue propriétaire de la librairie Horizons l’année de ma naissance.

Depuis l’immeuble de l’Avenue Mohamed V, juste après l’Eglise protestante, il y a ce bout de rue (Rue Normand ?) que je ne reconnais que parce l’orientation m’indique qu’elle débouche indubitablement, à peine quatre cent mètres plus loin, sur la petite place. Les immeubles bas y sont remplacés par de méchantes constructions à quatre ou cinq niveaux, les trottoirs y sont étroits et la chaussée élargie. La blancheur des murs a disparu. Mais le petit goulet débouche bien sur la placette dont j’aperçois très vite les toiles rouges baissées sur la devanture d’Horizons. Un vrai cirque ! La circulation se fait dans tous les sens, compacte, dans une anarchie de couleurs de taxis bleus et de pétarade de motos, mais tout au bout, face à la pharmacie qui continue de faire clignoter son enseigne au néon vert, la librairie tient toujours un angle de la place. Comme un miracle. Et c’est le même marbre qui encadre la façade et les trois vitrines, les mêmes caractères du nom de la librairie en bois joints par des rivets et cloutés d’origine, puis la rouille qui a posé ses rides sur les stores métalliques. En fermant les yeux on peut encore imaginer les grosses motos de la garde royale tout de rouge vêtue venant le vendredi depuis le Palais, prendre l’ensemble de la presse dans d’énormes sacoches, pour les différents cabinets de l’entourage du roi. Angela était fière d’avoir eu la confiance des ministères.

Elle avait parfois ses entrées au Palais, et la confiance d’un certain Rachidi dont je crois sans en être sûr qu’il était une sorte de secrétaire d’Etat auprès du roi lui-même. Lorsqu’elle avait fait savoir qu’elle quittait le Maroc, nous avions, Angela, ma grand-mère et moi, eu droit à une invitation dans l’enceinte même du Palais. Le sieur Rachidi avait fêté l’évènement avec force émotion et pas mal de verres de whisky au point que j’ai le souvenir d’un dignitaire en chaussettes dont les filles, avec humiliation durent exfiltrer le père en le soutenant par les aisselles.

A l’intérieur d’Horizons, les mêmes vitrines, les mêmes présentoirs, le même escalier en colimaçon étroit montant vers l’étage et les différentes réserves de papeterie. Jusqu’aux boiseries encadrant la caisse et ses stries verticales reconnaissables entre milles, la même matité à l’usure visible aujourd’hui, et jusqu’à l’emplacement du calendrier derrière la caissière. Les marocains d’aujourd’hui, lorsque cela leur est permis, ne touchent rien de ce dont ils ont hérité, et cette librairie en est un témoignage frappant. Ils laissent simplement le temps faire son œuvre.

Puis-je faire quelques photos ? C’est ma marraine qui a inauguré cette librairie en 1952. Je venais de naître, j’ai grandi ici… Je sais que c’est Lahcen, un de ses employés, qui a repris l’affaire lorsqu’elle a vendu.

Oui, c’est Lahcen me répond le nouveau propriétaire, les yeux ronds, écarquillés.

Je n’ai pas osé demander si le numéro de téléphone était toujours le 277 07 37.

Puis au-delà, c’est la place Pietri. Il y avait auparavant un grand marché aux fleurs et des étals innombrables de fruits et légumes. Ces commerces étaient plantés dans une forêt de ficus géants (ou de cette sorte de famille d’arbres). On y voit maintenant avec désolation une esplanade sans ombre creusée au-dessous du niveau du sol, abritant quelques bistros, bétonnée de gris et surmontée d’une affreuse architecture d’un jaunâtre criard, faisant sans doute allusion au champignon métallique géant inauguré à Séville lors de l’Exposition Universelle. Le génie en moins. Et vieillie depuis même sa conception.

Traversant la longue avenue Moulay Hassan par laquelle nous étions arrivés en taxi, nous sommes face à un immense immeuble administratif aux fenêtres opaques. Mon orientation seule me dit qu’à la droite de cet immense vaisseau se trouvait un terrain vague, théâtre d’un de nos affrontements entre bandes rivales de garnements de huit ou neuf ans de l’école Pierre de Ronsard.

L’oncle Jo passant là par hasard : « tu te rends compte, te battre contre des voyous qui font une tête de plus que toi … ». Mais le cœur y était.

C’est précisément vers l’école que s’étendent maintenant des rangées d’immeubles qui furent neufs entre l’époque du terrain vague et le vieillissement dans lequel je les découvre avec tristesse.

C’est à ces détails qu’on mesure que cet écart immense dans le temps aurait dû, dans la logique de ce même temps, faire passer du terrain vague à un ensemble moderne et neuf d’immeubles, là où ce temps a paradoxalement, pour le témoin que je suis devenu, déjà rendu désuète et délabrée cette parenthèse « de la modernité » qui s’était installée alors. Comme pour en mieux souligner une couche archéologique temporelle elle-même finissante.

Le chemin me paraît moins long (la verticalité nouvelle du chemin donnant l’illusion d’un espace plus court à parcourir) pour parvenir à l’angle de la première transversale qui se nommait auparavant la Rue de Sète. C’est à la fois la rue de l’école Pierre de Ronsard et la rue où vécurent mes oncles et tantes, Jo et Henriette, et mes cousins et cousines, Georges et Anne-Marie. Je passais ainsi tous les jours sous des fenêtres fleuries, et mangées de bougainvilliers sur la blancheur éclatante des façades. La rue se nomme aujourd’hui Rue Bejaad. Les fleurs ont disparu, la blancheur s’est écaillée et les bougainvilliers ne laissent plus apparaître que quelques rares lianes qui ont du mal à se hisser vers le ciel. Face à l’immeuble de ma famille, d’autres immeubles en contrepoint, gris et salis, d’autres en réfections ou en transformation dans le bruit des tronçonneuses, là où poussaient ces riants végétaux dont Rabat était inondée.

J’entends encore ma tante Henriette en fin d’après-midi des jours où je leur rendais visite, dire d’une voix qui s’étranglait dans l’aigu, « Georges, le piano, Anne-Marie, la musique !… » Etait-ce parce que c’était pour moi l’heure qu’on vienne me chercher ?

Georges me disait aussi : « Ici tout le monde est d’accord dans l’immeuble. C’est Adamo qu’on préfère. ‘Tombe la neige’… »

L’école est à l’autre bout de la rue. C’est toujours Pierre de Ronsard. Une plaque blanche en atteste l’existence. Mission culturelle française. Le portail largement ajouré et donnant sur la cour est remplacé comme pour l’emprisonner, par une porte de métal qui ne laisse rien paraître de l’intérieur.

C’est à une autre entrée latérale que la porte s’ouvre sur un guichet derrière lequel est un Préposé aux entrées et sorties de l’établissement. J’explique en quelques mots l’essentiel de ma démarche. Pénétrer quelques instants, le temps de photographier la cour de récréation et l’ensemble de l’édifice. Celui-ci contrairement au reste de la rue de Sète a conservé son caractère, ses lignes sobres et fonctionnelles. Et toujours aux portemanteaux, les petits tabliers, les anoraks accrochés avec négligence comme dans le reste du monde.

« Vous savez, j’étais là quand l’école a été créé en 1960. J’ai été parmi les élèves qui ont inauguré l’école. Ça sentait encore le bois neuf des bancs de classe et la peinture fraîche aux murs. »

Là aussi les yeux s’arrondissent et s’écarquillent. Emu et grave, le gardien devant un tel retour imaginable dans le passé nous laisse pénétrer « pour quelques minutes seulement ». Mes paroles furent le sésame imparable pour revoir une fois encore de l’intérieur la cour et ses peintures murales sans cesse renouvelées, ses dessins d’enfants et ses arbres incroyablement grandis que je n’en reconnus plus le mur nu devant lequel tous les ans se faisaient les photos annuelles de classes. Chaque année les arbres prenaient de l’ampleur jusqu’à faire disparaître tout arrière-plan.

Et puis, revenant sur nos pas, la voie royale. La traversée depuis le carrefour du minaret, jusqu’à longer entièrement en direction de la mer, l’Avenue Mohamed V, l’artère principale du centre européen historique.

Défilent de part et d’autre la double rangée d’arcades que surplombent les architectures des années 20, reconnaissables entre mille dans la sobriété des tons ocres des motifs en bas-relief et aux fenêtres aux balcons sans ornement.

Rythmant le parcours, au centre de l’avenue, la double rangée de palmiers défiant aujourd’hui en hauteur les étages des immeubles jusqu’au cinquième. Le Palais de Justice (mais n’est-ce pas le Parlement) a gagné en élégance, repeint en tonalités sombres lui donnant la profondeur qui sied à sa fonction. L’hôtel Balima qui était à lui seul un symbole de l’opulente élégance de la ville, à mi-chemin des extrémités de l’avenue et en retrait de la chaussée, a perdu semble-t-il de son lustre, assailli de toutes parts de panneaux de chantier et d’échafaudages préludant à des années de restauration. Au flanc de l’hôtel, le garage Citroën, où l’oncle Jo était chef d’atelier, est devenu le parking du Balima.

Plus nous descendons vers la partie qui rejoindra la médina, plus la foule se fait dense. Des hommes exclusivement, aux terrasses des cafés sous les arcades, sans mouvements, et comme frappés de cette curiosité discrète qui ne scrute que par le regard lourd, semblent posés là depuis toujours. Cafés au lait et verre d’eau sur tables rondes. Des librairies ambulantes, aux livres posés à même le sol, soigneusement rangés, laissent à penser que les vendeurs passent plus de temps à les déballer le matin et à remballer le tout en fin de journée.

Des commerces comme Derby existent encore. On y trouve de tout, c’est-à-dire à peu près n’importe quoi dont personne n’a besoin. Le cinéma Le Colisée où passait souvent des films qu’on appelle maintenant d’art et d’essai est toujours là, sur la rive droite de l’avenue, dans le même décor dépouillé, et puis c’est le dernier feu rouge avant la large place où siège d’un côté la grande Poste, probablement le premier bâtiment public installé en même temps que la Banque du Maroc qu’on voit déjà sur des photos des année 1910. Deux magnifiques édifices que Rabat a conservés, témoignages et symboles de cette ville qui s’est malgré tout pérennisée dans l’imaginaire comme fixateur d’un temps qui refuse de mourir.

C’est devant cette banque du Maroc que, ma main dans la main de ma mère, j’entendis, à ce même feu rouge : « Non, je ne serai pas toujours là, ton papa non plus, non, nous partirons un jour pour le ciel, la vie est ainsi… ». Depuis ce jour, et sur ce lieu même, je scellais pour toujours, glacé d’horreur, une vérité qui continue à faire froid.

Après cette grande place, l’avenue se fait plus étroite. C’est le second segment avant les remparts et l’entrée de la médina. La densité des va et vient sur les trottoirs se fait plus intense. A l’angle d’un immeuble resté intact, c’est l’ancien bistro La Renaissance, où le Nono, mon grand-père, avait ses habitudes. On n’y buvait que de la menthe à l’eau, mais on y tapait le carton. Le cinéma du même nom passe encore des films populaires. Le bistro est devenu une sorte de bar à jus de fruits, plus flashy que jamais en couleur et en décor, avec un côté volontairement bollywoodien, comme pour y bien affirmer qu’on n’y consomme que de la santé.

Tout au bout, l’ancien bouleverd Gallieni, aujourd’hui boulevard Hassan II. C’est l’artère parallèle à la mer qui délimite la ville moderne de la médina. Les travaux à chaque intersection rendent un chaos anarchique d’éventrement des chaussées en même temps qu’un fracas sonore qui se mêle à celui de la circulation. A l’orée des remparts, le Marché Central. Comme tous les marchés couverts, c’est une petite cité dans la cité. Et c’est là que se trouve toujours le marché aux poissons aux étals creusés dans la pierre couverte de mosaïques que j’imaginais bleues comme la mer mais qui sont en fait d’une teinte Sienne brûlée, et qui, à l’heure de notre passage, étaient sous les jets d’eau signifiant la fin de la journée. Parmi les commerces déjà fermés, une boutique ouverte nous permet d’acheter deux bouteilles de vin. Ce qui n’est pas évident dans tout ce chaos de bruit et de fureur. Le Maroc étant le second producteur de vin d’Afrique, après l’Afrique du Sud, il est paradoxal de ne trouver que quelques rares débits affichant la vente d’alcool. Islam oblige.

Nous remontons l’avenue par l’autre rive, côté Palais de Justice, jusqu’à la gare. Il est toujours inscrit au fronton Gare de Rabat-Ville , une appellation de ville qui se construit. Nous pouvons imaginer que nous sommes en 1900… Le grand cercle du cadran horaire en fer forgé indique les heures en chiffres arabes et romains. En pénétrant à l’intérieur, le kiosque à journaux a fait place à un magasin de bonbons. De multiples baies vitrées abritent comme dans toutes les gares des magasins et des agences de voyages. La seule horreur, comme le champignon de la Place Pietri, est cette massive architecture contemporaine composée d’immenses lamelles de métal qui semble vampiriser et vouloir engloutir le parallélépipède de la gare en l’enveloppant dans son entier.

Face à la gare, comme dans les westerns, l’hôtel Terminus. A l’époque où les communications se développèrent, il n’y avait que la gare, et traversant la chaussée, l’hôtel abritant les rares pionniers voyageurs. J’imagine l’espace désertique, environnant ce qui deviendra l’Avenue Del Maghzen (plus tard Cours Lyautey, puis avenue Mohamed V).

L’hôtel Terminus qui reçoit au soleil levant une blancheur qui faisait travailler mon sens de l’idéal durant les promenades du dimanche avec mon père, est en fait un édifice qui s’arrondit et surmonte une série de piliers sous arcade à l’angle de l’avenue, et de l’autre côté (Moulay Youssef où nous sommes logés), partage son espace avec l’hôtel d’Orsay.

C’est le cœur réel de la ville. Du moins dans la géométrie de mon imaginaire.

En grimpant sur la terrasse, au quatrième niveau, l’hôtel appartient maintenant à la chaîne Onomo, la vue est exceptionnelle. On y prend un cocktail d’un mélange de vanille et de citron vert sur des canapés de plein air. Vers la mer et la médina, on a depuis la place de la gare à nos pieds, toute la perspective de l’avenue qui se perd jusqu’au bout, au-delà même de la Banque du Maroc, rythmée par l’enfilade des palmiers. En regardant à l’opposé, vers le Minaret, nous avons le haut de l’avenue, le jardin côtoyant l’église protestante et dans la même enfilade que le Terminus, l’immeuble de mes grands-parents. Le cœur réel de la ville.

Un pèlerinage est une psychanalyse. En lieu et place du trauma, il y a la nostalgie, le retour impossible dans le temps. Une sorte de petit bonheur amer comme une musique de chambre dans son mouvement lent.

L’hôtel Terminus n’étant pas à un miracle près, c’est exactement à l’angle de l’édifice que s’ouvre le Bar Restaurant du même nom que nous adoptons pour la soirée. C’est à peu près l’heure de l’appel à la prière. L’hautparleur a remplacé depuis longtemps la voix réelle du muezzin que j’entendais les soirs où je dormais chez les grands-parents.

C’est un bistro qui a la nostalgie des années soixante. Avec un comptoir d’une longueur impressionnante, où l’on compense la prescription des interdits coraniques par un étalage infini de marque de whiskies et de boissons alcoolisées sous une lumière rouge tamisée, confortablement distribuée dans tous les espaces, aussi bien au niveau inférieur qu’à l’étage. Des affiches noir et blanc de Jimi Hendrix, de Sinatra ou de Brel et Piaf rythment le pourtour ovale entre les deux niveaux. Durant deux heures, tout le répertoire de Dylan défile, de ses premiers albums jusqu’à certains inédits que je reconnais à peine, entre le tajine et le vin Médaillon.

On pourrait se croire à Amsterdam ou à Copenhague. Beaucoup d’hommes évidemment, mais aussi quelques femmes, et parfois certaines, attablées seules.

Nous rentrons avec le muezzin fantomatique de vingt et une heure.


Jeudi 17 Mars


Derrière de la baie vitrée, la pluie fine et tenace de l’Atlantique. Une petite pluie qui rend luisant le pavé sous la grande porte des Ambassadeurs. Le drapeau rouge frappé de l’étoile verte flotte avec frénésie au-dessus de l’enceinte du palais.


(parenthèse) –


La première journée a été la journée de l’urgence, celle des priorités aux lieux habités et aimés charnellement durant les premières années de ma vie. Je donne dans le désordre le plus confus, comme peut l’être la confusion des sensations et des sentiments, les impressions cahotantes d’un retour aux sources après un tunnel de cinquante-sept années :

D’abord les disparitions de terrains en friches ou de terrains vagues. Des maisons basses, remplacées systématiquement par d’anarchiques, et déjà vieillies, constructions modernes contemporaines. Les avenues ont souvent été déboisées et élargies, et ce qui continue de vivre en laissant pérenne ce qui fut, a été abandonné ou utilisé tel quel, avec simplement le passage des outrages du temps. Seules ont été préservées dans le périmètre du cœur de la ville, les architectures coloniales ou protectorales de l’avenue Mohamed V, comme une épine dorsale, et celles qui ont survécu çà et là dans divers quartiers plus isolément.

La circulation, comme dans tous les pays en développement démographique, a pris une dimension désespérément tentaculaire.

Et puis enfin, la distorsion des dimensions et des distances. S’il est vrai que la rue Taillandier m’a paru restée fidèle à la taille dont j’avais gardé le souvenir, la descente menant au quartier des Orangers qui passe par l’immeuble de mon ami Bernard Balmelle, est beaucoup plus courte. Elle est en fait à quelques dizaines de mètres de chez moi. Et l’entrée de son immeuble, toujours aussi somptueusement haute. (A l’entresol d’un escalier obscur, dans l’arrière-cour, j’ai revu le mur, où nous tapions des balles de tennis durant des heures, qui s’est aussi dangereusement écaillé.)

Le petit déjeuner de l’hôtel peut tenir lieu de véritable festin. Comme à la rencontre de l’Europe et de l’Afrique, on y trouve un condensé du meilleur du Maroc, ses dattes, ses olives, ses pains cuits craquants et ses galettes fines, ses fromages crus, son miel et ses pâtisseries qu’on peut aussi tout banalement associer aux traditionnelles omelettes natures, aux petits gratins de courgettes et poivrons, ses boulettes en sauce à la coriandre, qui éviterons d’avoir à faire la pause déjeuner de midi.

Un bédouin saoudien (?) enturbanné vif, apparaît dans le décor comme une figure hautaine et au ralenti d’une apparition de théâtre.

J’oubliais presque que nous sommes en Afrique.

Je sens instinctivement que la pluie n’est pas une menace en ce début de

journée.

Je m’étonne par contre de ce que dans aucun des endroits de l’accueil, parmi les fauteuils de cuirs et les informations habituelles d’activités, on ne trouve de prospectus touristiques et de plans de la ville. L’étonnement du personnel d’accueil ne fait que confirmer le mien.

Vous pouvez trouver des renseignements dans les librairies.

???

Peut-être même à la Librairie Centrale, mais elle ouvre à dix heures.

N’avez-vous donc pas d’Office du Tourisme dans le centre-ville, ni d’informations à l’hôtel ?

???

Je compris qu’il n’y aurait rien à tirer du personnel de ce pourtant quatre étoiles . Il y a bien un Office du Tourisme, mais étrangement éloigné du centre. A quelque trois kilomètres ! … 

C’est l’occasion d’essayer le tram qui passe devant la gare, et de patienter sous un ciel qui n’est plus menaçant mais encore timidement gris.

Nous traversons donc des quartiers dont seuls les noms évoquent pour moi l’existence passée de la périphérie de Rabat : l’Agdal, le Souissi que bien entendu je ne reconnais pas. La ligne du tram semble creuser un parcours inexorable vers des étendues infinies bien au-delà de mes connaissances de la ville hors les murs

A l’arrêt indiqué il faudra encore marcher plusieurs centaines de mètres. La densité des habitations modernes finit de brouiller en moi tout sentiment d’appartenance à la ville de ma naissance. Et puis, de plus en plus de fonctionnaires de police sur les trottoirs. Des policiers tous vêtus comme des amiraux. Nous sommes probablement à proximité d’une caserne ou d’habitats réservés à l’armée ou la police.  Il est presque risible de voir tout ce déploiement d’uniformes dont nous ne saurions dire les différences de grades ou d’autorité, tant la somptuosité de ceux-ci est également évidente. Probablement que seuls les intéressés savent la graduation hiérarchique de ces petits ballets de casquettes vissées aux ras des yeux, de gants blancs à manchon de faux cuir, et de pantalons impeccablement taillés. Le marocain vit en royauté et aime tout ce qui touche à l’apparat. Du plus haut de l’échelle au sans grade.

Dans une rue étroite et presque noyée de végétation, d’un calme qui ne prélude pas à trouver un office de tourisme, on aperçoit l’enseigne attendue au pied d’un immeuble croulant sous la verdure.

Derrière son comptoir d’accueil, l’individu à l’air d’avoir une conversation sans fin avec son épouse. Il ne comprend évidemment pas la raison de notre venue : « Attendez, quelqu’un va venir, je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous demandez ». A voix basse la conversation domestique continua.

Dans le hall, une jeune femme apparut, et une conversation pour le moins burlesque acheva de confirmer que nous n’étions pas au bon endroit.

« – … En fait, nous ne sommes pas un office du tourisme …

???

Nous travaillons pour la télévision, nous créons les spots publicitaires afin de maximaliser l’image touristique du Maroc

???

 Voyez-vous, nous menons une politique d’économie de papier, différente de la vôtre en France, nous avons choisi de décarboner sérieusement dans tout le pays… Vous ne trouverez donc aucune information sur support papier dans les hôtels. Google et le GPS suffisent pour nous repérer… »

MsoNormal

Je venais de me voir asséné ce que cette jeune femme avait dû synthétiser, avec une foi vive, admirative, et toute administrative, des fruits d’une quelconque réunion de technocrates professionnels de l’écologie politique, résumés et débités avec toute l’absurdité de ce vocabulaire dont le sommet était de « décarboner ».

Décarbonage du pays … de la planète ». Entre bouffonnerie et tristesse.

Je venais d’apprendre par la même occasion que les portables étaient sources de « décarbonné ».

Mais ce mot commence à me plaire.

Je me consolais en pensant qu’on pourrait, en effet, faire un pas dans ce sens en France, en supprimant toute édition papier de « L’Etre et le Néant » durant une pleine génération. Renouvelable si nécessaire…

Nous croisons, par un des chemins verdoyant de ce quartier, une magnifique mosquée blanche et bleue, flanquée de quelques palmiers dans le ciel redevenu clair.

Par le même tram nous reprenons en sens inverse la direction de Salé. Défilent à nouveau les beaux immeubles des quartiers de l’Agdal, de longues rues fuyant à la parallèle des rails du tram, ce qui en dit long sur l’étendue de ces quartiers grandis à la mesure de la démographie d’aujourd’hui, puis la gare, la Cathédrale qu’on avait aperçue de loin jusque-là, et tout ce chemin qui mène au-delà de la Tour Hassan au Bou Regreg et à la traversée du pont rejoignant Salé. C’est devant les remparts extérieurs de la cité que nous laisse le tram, sur une vaste étendue plane d’où on aperçoit au loin déjà la Tour Hassan derrière nous, et devant, une longue avenue longeant les murs de la vieille ville. Au sommet de l’avenue, avec la chaleur revenue, sur une petite place, une stèle avec l’étoile chérifienne et des inscriptions en bas-relief décrivant de probables faits historiques.

« Ah ! madame, Ah ! monsieur, vous avez là le précieux monument commémorant la Libération du Maroc en 1944 ! …»

Le monsieur, les bras au ciel, rondouillard et court sur pattes paraît tout à fait rassurant dans son costume cravate. Il devient intarissable sur les faits qu’il égrène, sur le roi Mohamed revenu de Madagascar, sur l’Indépendance en 56 etc. Je ne suis pas en reste en lui disant que j’avais assisté depuis le balcon de chez ma grand-mère au convoi funèbre de ce roi, que j’étais né à Rabat, que ça faisait tant d’années que je ne venais pas etc. Je suis d’ailleurs né avant ce monsieur dans ce pays, ce qui ne manque jamais de me positionner avec fierté quand je parle à quelqu’un d’ici.

Le monsieur dit être docteur en économie politique et en sciences sociales ; il nous donne sa carte de visite où il est dit qu’il possède un Etablissement de ventes de plantes, de palmiers, de cactus, d’oliviers et de fleurs (sic), puis une autre carte de visite d’une Association Marocaine pour les handicapés dont il est Président. Une rencontre chaleureuse et étourdissante. Nous faisons un cliché de lui et moi et de lui et Cécilia.

« Vous continuez en longeant la route qui borde les murs extérieurs et vous allez vers la droite jusqu’à la grande porte qui mène au nord vers le Minaret et la mosquée ».

Puis monsieur Mohamed Sahif Sbai se dirige vers un modeste véhicule où l’attendait son chauffeur.

Le chemin est tortueux entre les maisons de la vieille ville et le haut parapet qui donne abruptement sur la plage et le fleuve très loin en contrebas. Les trottoirs sont presque inexistants. On n’aperçoit que le ciel au-dessus de nous, le chemin rétréci par endroits, et les véhicules qui nous frôlent. Il n’est pas encore midi.

Profitant d’un léger élargissement d’un trottoir, je grimpe sur le parapet qui surplombe le côté qui donne sur le fleuve, et c’est l’éblouissement, la surprise majeure.

A mes pieds, et jusqu’à se jeter dans le Bou Regreg, s’étend sur des centaines de mètres le cimetière musulman. En un vaste tableau pointilliste, le regard embrasse toute la baie de Salé composée de ses stèles qui, vue de ce point précis du mur où je suis, composent au-dessous de moi une myriade de taches de couleurs jointes les unes aux autres occasionnant une première impression  d’une violence sublime, mêlant les couleurs les plus vives d’une vaste fresque, dans le plus grand désordre de jaunes surtout, de verts et de rouges, puis en milliers de nuances, tout en dégageant un sentiment de calme absolu sur toute l’étendue plane qui rejoint à l’horizon la rencontre du fleuve dans l’entrée de l’océan. Et plus loin encore, se confondant dans le reste de gris du ciel, les Oudaïas de Rabat, fantomatiques.

Nous restons de longues minutes à contempler ce véritable tableau de pointillisme diffus, à imaginer le degré de vieillissement de l’ensemble de ces tombeaux.

La démographie du Maroc a du mal à trouver aujourd’hui des terres pour ensevelir ses morts. Les cimetières sont démesurément grands et malgré leurs dimensions vertigineuses permettent difficilement d’absorber les nouveaux venus.

Un peu plus loin, une brèche dans le prolongement du mur permet de pénétrer discrètement dans l’une des parties supérieures du cimetière. L’accès à ces lieux étant exclusivement réservé aux musulmans, je mesure le degré d’indiscrétion qui est le mien. Mais je peux ainsi approcher de près ces pierres tombales, ces stèles souvent laissées à l’abandon, aux herbes drues grimpant parfois jusqu’à recouvrir certaines tombes.

Une odeur de mort se fait de plus en plus prégnante au détour d’une allée. Cécilia dans une attitude d’effroi me signifie qu’à ses pieds un chat mort en décomposition complète, mais encore reconnaissable, gît tout près de la sortie que nous avons empruntée.

La route semble s’éloigner en une large boucle loin des habitations de la vieille ville, longeant toujours le parapet qui s’ouvre sur des espaces lointains, dans une lumière blanche et sèche.

Puis c’est enfin la grande porte où nous pénétrons sur les hauteurs de la ville et le début de sinueuses ruelles qui mènent à la grande mosquée. Nous y sommes reçus par un guide, (mais qui n’est pas guide au Maroc ?), zélé et fin connaisseur, vêtu moitié en djellaba, moitié baroudeur de safari aux Ray Ban anachroniques, personnages plus pittoresque encore que son cadre de travail.

L’édifice religieux a d’abord été construit comme la Tour Hassan, au XIème siècle, puis rénové et agrandi en 1196 par le sultan Yacoub el Mansour. Il la dota d’un minaret majestueux et d’une porte monumentale (où nous attendait le guide), décorée d’arcs lobés en pierre de Salé. L’ancienne école coranique, la medersa, est devenue un musée. La cour offre un émerveillement immédiat d’un bel exemple de raffinement de l’art hispano-mauresque, avec ses marqueteries de céramiques aux formes géométriques alambiquées et ses panneaux de stuc finement ciselés. Un escalier abrupt permet d’accéder à la galerie qui donne sur les chambres des élèves, sans fenêtres et sans lumière.

Depuis la porte monumentale, sur la placette, on a une vue fuyante sur la ville qui descend en pente douce. En nous quittant, notre guide ne manque pas de nous indiquer le chemin le plus intéressant. Par le marché de ventes aux enchères (les esclaves), au souk El-Merzouk réservé aux juifs et aux bijoux. On déambule avec ravissement parmi les étals baignés de lumière irréelle.

Redescendant par les ruelles et les boyaux étroits, c’est une véritable remontée, ou plutôt un arrêt fait dans le temps le plus ancien, médiéval et ancestral de l’humanité marocaine. Des visages sortent de l’ombre de maisons où l’électricité n’existe peut-être pas, des personnages en vêtements qui adopteraient les couleurs d’un Delacroix, de turbans, de rayures de djellabas d’un temps sans âge. On rencontre même un âne surmonté d’une djellaba qui frappe doucement, obstinément et en rythme, le dos de l’animal au détour d’une rue, puis des commerces sur le pas des portes, des murs gris et maculés, des cendres oubliées, des femmes informelles aux regards chastes et fuyants, des odeurs grasses, et puis des aveugles, beaucoup d’aveugles, des vieux dont certains ont, à la place du globe des yeux, une membrane de peau qui a fini par remplacer l’organe de la vue.

Combien, parmi ces habitants de Salé sont-ils seulement allés au-delà du Bou Regreg ?

Comme dans Pélléas, cheminant vers la sortie du mellah, on peut retrouver la porte d’enceinte d’où nous étions partis, et parodier : « Ah ! Je respire enfin ! J’ai cru un instant que j’allais me trouver mal dans ces énormes grottes, et maintenant, tout l’air de toute la mer !… »

Retour par la même ligne de tram depuis Salé et sa grande esplanade au-dessus du Bou Regreg jusqu’à la gare. Les journées sont souvent coupées en deux avec la pose nécessaire entre midi et quatorze heures, pour soigner quelque plaie, reprendre quelques forces, et pour moi consigner dans la chambre les notes successives de ce pèlerinage.

A chaque retour depuis la gare jusqu’à l’hôtel, tout au bout de l’avenue Moulay Youssef, nous croisons à la perpendiculaire, l’immeuble où vécut Bernard Balmelle. Je ne peux m’empêcher, à chacun de ces passages, de lever les yeux sur cette rue en pente où était l’entrée pharaonique de sa porte d’entrée d’immeuble, d’apercevoir un peu plus haut, l’entrée toute en rondeur, toute art déco, de l’immeuble des Razzino, des amis de maman chez lesquels j’allais parfois, attendant le ramassage pour l’école, puis juste en face, l’immeuble disparu où vécurent très peu de temps, les deux dernières années, Lucia et Laurent Rio, « jeunes mariés », avant leur départ pour Nice. En si peu d’espace, combien de « disparus », d’absents, croisons-nous …

Et dire que jamais Bernard Balmelle, s’il est encore quelque part dans ce monde, ne se doutera que je croise encore, plusieurs fois par jour, cette rue descendante où est son immeuble qui m’impressionnait sur le chemin des Orangers, et que j’aurais cette émotion, à chaque fois renouvelée, des plus intenses et toute remuée, sur les vestiges de nos enfances.

Nous avions enterré dans une petite boîte en carton, dans le terrain vague (encore un de disparu), du coton et des tessons de verres de couleurs polis par l’usure, une perruche, dans la plus solennelle des afflictions.

L’avenue Delcassé porte un autre nom maintenant. C’est l’artère qui part de la place de la gare et qui s’en va en une perpendiculaire à l’avenue Mohamed V, passant derrière l’immeuble circulaire lequel, de l’autre côté, monte vers la Cathédrale et la Librairie « Horizons ». Il est regrettable que l’on n’ait pas conservé sur les plaques de rue, le nom de Delcassé.

Retour quelque cent ans en arrière, Arnaud Tessier dans sa biographie de Lyautey, l’inventeur du Maroc moderne,  situe le rôle de Delcassé aux origines du protectorat:

« Les confins algéro-marocains, sont au sud du 34° parallèle, le domaine où vivent en toute liberté les tribus nomades. Des attaquent sont fréquemment organisées contre des postes français. En 1901 et 1902, je jeune sultan Ab-del-Aziz n’exerce qu’une autorité partielle… Le 31 Mai 1903, une attaque spectaculaire a lieu au col de Zenarga. Le gouvernement français est désormais déterminé à utiliser cette insécurité permanente comme argument de pénétration au Maroc. Delcassé sait qu’il entre en concurrence avec l’Angleterre et l’Espagne, puissances régionales, et surtout avec les ambitions allemandes.

La diplomatie française parvient à maintenir la pression, grâce à l’action de son ministre Saint-René Taillandier, et malgré une alliance germano-britannique de circonstance. L’arme financière française a vite fait de prouver son efficacité auprès d’un sultan fortement endetté. Les grandes banques françaises sont bientôt sur les rangs : le Crédit Lyonnais, le Comptoir d’escompte – émanation de la puissante Banque de Paris et des Pays-Bas – ainsi que la Compagnie marocaine, crée en 1902 à l’initiative de l’industriel du Creusot, Schneider, qui voit venir avec convoitise d’immenses marché dans le domaine des infrastructures. L’Angleterre, bientôt accaparée par la guerre de Boers, à l’extrémité méridionale de l’Afrique, finit par laisser les mains libres à la France, dans l’espoir qu’elle renonce de son côté à contester son hégémonie sur l’Egypte. C’est la Banque de Paris et des Pays-Bas qui délivre le premier emprunt au sultan à la fin de 1902. L’engrenage est lancé, le sultan Ab-Del-Aziz passe rapidement sous le contrôle français. Delcassé a pris soin de verrouiller le dispositif en écartant toute participation de banques étrangères et en contraignant Schneider et la Compagnie marocaine à un rôle de second ordre auprès de la Banque de Paris, en attendant les grands marchés de travaux publics que les investissements vont financer, et où chacun pourra y trouver son compte. L’emprunt de 1904 (48 millions) met définitivement le sultan dans la main de la Banque de Paris, à qui il « confie » de surcroît la mission de doter le Maroc d’une Banque d’Etat. »

Cette même Banque d’Etat du Maroc inscrite en toutes lettres de métal au fronton de l’édifice, devenue Banque du Maroc en 1956. Aujourd’hui Banque el Magrib, toujours en métal noir et au même emplacement à chaque changement d’appellation.

Lisant donc Arnaud Tessier, je sais maintenant qui est Taillandier, ministre relatant les Origines du Maroc français (1901-1906), récit d’une mission.

Mais le nom de Delcassé aura disparu, non seulement des plaques de rue, mais des mémoires des marocains.

Seuls, les historiens…

Cette rue reste donc attachée à un des artisans du renforcement des liens historiques avec le Maroc, mais aussi du seul magasin de musique, « Le Clavecin » crée vers 1910 avenue Mohamed V, qu’on voit sur des photos d’époque (« musique, piano, phono »), puis déplacé rue Delcassé où ma mère et mes tantes m’achetèrent mes premiers disques. Il a disparu sous les verres et les bétons de nouveaux immeubles. C’est au « Clavecin » qu’avec Bernard Chalençon, on vit pour la première fois (1963 ?) en vitrine du magasin, une pochette d’un 45 tours des Beatles. C’était « I want to hold your hand » sur fond bleu. Nous étions d’accord pour les trouver très laids.

C’est aussi, quelque part sur le même trottoir, qu’exerçait le docteur Messouak, dont le blogueur Roland Benzaken cite le nom dans sa rubrique des médecins et praticiens des années qui nous concernent. J’y avais été opéré des amygdales et des végétations, comme on le faisait fréquemment pour la moindre fragilité de la gorge ou du nez. Une mode qui a disparu. J’ai souvenir aussi d’avoir soufflé dans une sorte de ballon jaune avant de m’endormir. J’ai appris à connaître également la douleur vive chez ce médecin, lors de mes premières otites où je crus qu’on me perçait le tympan avec une épée.

La seule chose qui subsiste dans cette rue est « La Petite Duchesse » (depuis 1945 est-il écrit), sur le trottoir d’en face, boulangerie pâtisserie où mon grand-père, le Nono, allait, avec le costume des grands jours, chercher la baguette viennoise qui était le vrai luxe du dimanche. Je n’aurais pas eu l’occasion de vérifier si la qualité n’a pas changé. Le magasin était fermé, comme abandonné au vent. L’entrée est évidemment défraîchie mais le nom du lieu a subsisté.

Plus loin, toujours dans le prolongement de l’avenue Delcassé, le cinéma Royal. Avec sa large façade, ses bas-reliefs sobres et art/déco, Cinéma Royal en grosses lettres. Si le Colisée et la Renaissance étaient discrètement situés sous les arcades le l’avenue Mohamed V, le Royal a une position indépendante et solitaire bien que traversé par une intense circulation à cet endroit de la ville. Il faut dire l’importance du cinéma pour les enfants que nous étions dans les années soixante. C’était l’ouverture sur l’imaginaire, le déroulement d’actions en costumes sur un écran surdimensionné, avec de vrais et lourds rideaux rouges qui s’ouvraient sur des musiques qui préludaient à la gravité de ce qui allait suivre, la découverte de l’Histoire ancienne, Rome évidemment, Babylone parfois, et la Grèce, la Bataille de Marathon, les chevauchées dans les majestueux décors de l’Ouest américain. C’était aussi Jean Marais le justicier, les capes et les épées des dix-septième au dix-neuvième siècle. Le Miracle de loups, les Mystères de Paris. Autant de domaines que nous n’aurions pu aborder autrement que durant ces deux heures de salles obscures. Le Royal se faisait une spécialité des grandes fresques, des péplums et des westerns. J’ai pu y voir l’immense odyssée du Roi des Rois avec Jeffrey Hunter, Christ aux yeux bleus délavés et blond comme un suédois. Tous les John Ford avec John Wayne. Ma mère me priva un jour de cinéma et j’ai toujours considéré comme un handicap de n’être allé à la séance de « The Alamo » avec mes copains Polizzi. J’y aurais pourtant appris, mieux qu’à l’école, la leçon de sacrifice d’un groupe de héros défendant leur fort afin de retarder l’avancée de l’armée mexicaine et donnant, après la bataille de San Jacinto, l’indépendance du Texas. C’était aussi Davy Crockett, le héros dans l’imaginaire des enfants de cette époque, si courageux que quand il était petit, il tua un ours du premier coup de fusil disait la chanson de Jacques Hélian…. Quel livre, quel enseignant auraient pu illustrer avec tant de force, de bruit et de fureur, une telle leçon de morale !

Les jours qui suivirent, tous les initiés qui virent le film à Pierre de Ronsard, parlaient de John Wayne (Crockett) se sacrifiant et mourant cloué à l’immense porte du fortin, par une lance ennemie.

Je me sentais exclu…

Aujourd’hui le Royal est toujours face à un square assez large et boisé, abritant parfois pour de longues files d’attente (le Jour le plus Long par exemple) mais aujourd’hui grignoté par une école coranique interdite aux non musulmans.

Puis c’est la remontée vers le Terminus, l’hôtel, et encore vers la rue Taillandier par le bas, depuis Moulay Youssef, donc en sens inverse d’hier. L’épicerie de dépannage, à mi-chemin entre l’immeuble de Balmelle et la rue Taillandier, est toujours comme un îlot ne voulant mourir, ouverte dans ses rouilles, ses ferrailles éternelles et ses bouteilles de butane, son espace de quelques mètres carrés, ses eaux minérales et ses bonbons, toujours indispensable et jamais remplacée.

A l’angle de Taillandier, nous tombons sur un amiral, casquette vissée et manchons blancs, col impeccable. Je lui demande le nom actuel de la rue, celle-ci ayant perdu sa plaque « Taillandier ». Il semble être le gouverneur du quartier, du moins de la rue, tant il croise du regard des gens qui le saluent. Lorsque je lui dis que l’endroit a bien changé de l’autre côté, que le moulin Baruch a disparu, qu’on y entendait, depuis même les chambres de l’appartement de ma grand-mère, le bruit des meules mécaniques qui soufflaient comme des forges jusque tard dans la nuit, il me considéra avec curiosité et étonnement. Ce qui me mit un peu à la hauteur de ce commandant de quartier.

C’est vrai, il y avait là le moulin Baruch, comment le savez-vous ?

Je suis né à Rabat, je n’y suis pas revenu depuis très longtemps.

Vous avez donc vécu au n° 6 ?

La conversation se faisait entre le vouvoiement et le tutoiement.

Bien sûr, les gens sont très accueillant, il est possible que la personne qui habite au 6 vous ouvre la porte. Ils sont ici très simples, je connais bien les habitants.

Et comme la veille devant le n° 6, après un instant d’hésitation, je dis à Cécilia : « qu’est-ce qu’on risque ? Une porte close ? quelqu’un qui refusera de nous recevoir ? Au moins il n’y aura pas de regrets ».

Je frappe à la porte, et après un temps qui me parut long derrière la grille de métal et le huis à l’oriental, un visage penché dans l’encoignure, encadré par un voile ne laissant paraître que les parties lisses du visage, comme une supérieure carmélite, qui semblait dire avec les yeux : « c’est pourquoi ? »

Pardonnez-moi de frapper à votre porte. J’ai habité ici avec mes parents dans les années 50/60 et je n’ai pas résisté à l’envie de revoir quelques instants cet appartement de mon enfance.

Ce visage fermé de femme antique, sembla soudain confiant, et j’entendis, comme si elle dévidait tout un système de protection, ouvrir très franchement la porte.

Elle ne devait pas mesurer plus d’un mètre vingt, son voile était prolongé sur le reste du corps par un vêtement traditionnel, entre la djellaba et un habit traditionnel de fête, recouvrant tout le corps, ne laissant apparaître que les poignets fermement maintenus, et les mains.

Et alors, comme après l’ouverture de la lampe magique et du djinn miraculeux, je vois surgir autour de moi, les volumes de l’appartement dont ma mémoire avait arpenté les moindres recoins. Le couloir dressé en une droite, sur quatre, cinq mètres, créant l’axe de l’appartement, les mosaïques de pavement aux trois tonalités comme celles des parties communes, et le long des murs les bandeaux géométriques qui délimitaient une marge, donnant le sentiment de profondeur au couloir. Au fond de celui-ci, à l’emplacement du « kelvinator », notre premier frigo, la vieille dame a aujourd’hui disposé une fine armoire orientale. A droite la porte s’ouvre toujours sur la chambre des parents, sur la gauche la mienne, et au-delà, entrouverte, laissant passer une lumière vive à la Redon, la porte de la salle de bain. Rien n’a changé, pas même les boutons de porte, la couleur de ces mêmes portes, l’emplacement des placards, les griffures et les écailles visibles,  les moulures des plafonniers, comme n’avaient changé les moindres matériaux à « Horizons », sauf peut-être, ce qui ne modifie en rien l’impression structurelle de l’ensemble, les magnifiques cheminées qui trônaient ici dans chacune des pièces principales.

La vieille dame n’hésite pas à nous introduire dans les chambres, décorées comme pour l’arrivée de Shéhérazade, les divans le long des murs, les théières de grands modèles, les coussins brodés, les tentures pendues aux murs et des tapis de toutes sortes, des plateaux d’argent et des descentes de lit. Les teintes pastels choisies pour les murs sont aussi profondément harmonisées à ce décor des mille et une nuits. Manquent seulement la dimension olfactive et l’inévitable parfum du thé à la menthe.

Mais c’est sans effort que je revois dans toutes leur sobriété et pour tout décor, nos tableaux de Picasso et de Vlaminck au salon, sur des murs implacablement blancs, le tapis uniformément rose d’un Rabat sans aucune arabesque, au centre de la pièce, la table et les chaises au salon qui servaient le midi de salle à manger, et enfin les légers rideaux aux fenêtres donnant sur la rue.

C’est dans ce salon que j’ai fêté mes dix ans avec une douzaine d’enfants de l’école Pierre de Ronsard, les Polizzi, les Chalençon, Bernard Balmelle, Papini, Maumus, Lo Iacono, et mes cousins de la Rue de Sète. Il en reste les photos d’un vrai professionnel, Pottecher, que maman avait fait venir pour la circonstance.

Tout au fond, la cuisine me parait bien plus petite, plus étroite que dans l’espace où nous prenions les repas du soir. La petite dame qui a fait disparaître la buanderie et les bassins en ciment, où maman et la servante faisaient la lessive, a fait place à un prolongement de la cuisine. Le balcon donnant au-delà de celle-ci sur le jardin des Chalençon, est maintenant obstrué d’une paroi de verre isolant de l’extérieur.

La petite dame habite maintenant cet appartement depuis cinquante ans, ce qui fait que les sept années manquantes, de 1965 à 72, durent être occupées par les locataires qui succédèrent directement à mes grands-parents eux-mêmes logés dans cet appartement entre notre départ (64) et leur départ du Maroc (65).

C’est avec une grande gentillesse que notre petite dame nous propose un thé à la menthe avant que Cécilia immortalise un cliché de nous sur le pas de la porte.

En sortant de l’immeuble, je regarde sur le trottoir d’en face le fantôme de cette moto italienne qui se garait tous les matins à l’angle du bâtiment administratif. On allait souvent la voir, le petit Chalençon et moi, admiratifs : « elle est belle cette Djoudgi » disait-il, et il ne pouvait dire autrement, en lisant sur le réservoir la marque de cette moto rouge qui était une Guzzi. On avait fini par l’appeler comme ça, la djoudji.

Aujourd’hui la porte est ouverte ! La porte immense de l’immeuble de Nono et Nonina sous les arcades de la grande avenue… Ouverte sur un couloir.

C’est étonnant comme dans les mécanismes de la mémoire, il y a toujours des couloirs en préambule. Le couloir de l’appartement au Numéro 6, les couloirs de la mort, les longs tunnels avec leur lumière blanche etc.

Les murs tapissés de faïences jaune, blanche et noire sur le tiers inférieur de ces murs. En petits rectangles de quelque cinq six centimètres chacun, en alternance, d’une harmonie hors du temps. Au bout du couloir l’ascenseur. Et ainsi, dans les larges corridors qui mènent aux étages, les faïences et les motifs décoratifs aux dallages, arabesques de géométries et de végétaux abstraits qui m’apparaissent maintenant comme si j’avais ouvert un trésor oublié depuis longtemps, dans la plus évidente des clartés mémorielles, ces couloirs où je me revois (est-ce possible ?) emmailloté d’une couverture ou d’un vêtement pour traverser le coin de rue venté, porté par mon père qui mènerait de chez mes grands-parents au numéro 6 de chez nous.  Ce second étage avec vue plongeante sur la porte où habitaient au premier les van den Buch dont la fille, plus âgée que moi nageait à la piscine comme une ondine sous les regards admiratifs des garçons, dont le frère Bruno avait un éternel sourire figé sur le visage, et la mère qui expliquait à Nonina qu’elle avait fait un cocovin dont celle-ci mit longtemps avant de comprendre qu’il s’agissait d’un coq au vin, ce qui nous fait encore sourire, cet escalier qui retentit toujours des Noël et des veillées de Jour de l’An où les tablées, attendant le douzième coup de minuit, se passaient à jouer au sept et demi, le divan au salon où je dormais les soirs où mes parents allaient au Colisée ou au Marignan, la chambre où Angela et Lucia vécurent comme des enfants sages  jusqu’à l’âge de quarante ans, le couloir de l’appartement décoré comme les parties communes de l’immeubles des mêmes motifs de pavement, devenu certains soirs terrain de jeu de ballon avec la Nonina, les photos qui témoignent du mariage radieux d’André et Claudine vers 1959, du soleil qui perçait le matin dans les moindre recoin de l’appartement, les couscous qui se confectionnaient dès cinq heures du matin et du pain à l’huile agrémenté de sel et poivre pour mon goûter de l’après-midi qui valait plus que n’importe quelle viennoiserie. Depuis la terrasse, comme dans bon nombre d’immeubles à Rabat, on étendait le linge, et de tout là-haut, on avait une vue extraordinaire sur la ville et le regard pouvait porter même jusqu’à la mer.

Il est presque dix-sept heures.

Cécilia craint qu’on ne nous enferme, l’immeuble ayant été en partie divisé en bureaux universitaires, et pour partie en logements de fonction. La boulangerie, qui jouxtait l’entrée de l’immeuble et vendait la kesra qu’achetaient mes grands-parents, a disparu

….

Entre chien et loup, le soir tombe sur l’avenue qui allume ses lumières, ses arcades et ses palmiers. Au Bar Le Terminus c’est l’heure du Médaillon de rouge à l’étage où la voix de Dylan a repris son tour de chant.

Le nom du restaurant, sur une traverse de l’avenue Delcassé, ne laisse pas indifférent, « le Petit Beur ». Un serveur, peut-être le gérant, nous dit qu’il est né en Bretagne et que cela fait cinquante ans qu’il n’y est retourné. Il vit maintenant à Rabat. Le bleu de ses yeux ne l’aurait évidemment pas fait passer pour quelqu’un d’ici.

… Et moi, ça faisait presque soixante ans que je ne venais ici.

Ce soir c’est le tajine à la cervelle d’agneau. Tout au fond de la salle, un joueur de luth, aussi noir qu’un homme bleu du désert, frôle à peine les cordes de son

Instrument et fait entendre d’une voix retenue, pour rester décorative, des mélopées que je suppose enfiévrées.


Vendredi 18 Mars


Le Chellah ou Sala Colonia, est située à environ deux kilomètre du centre de Rabat. C’est une nécropole, qui correspond en s’y confondant, à l’antique cité de Sala. L’ensemble de ces ruines, avec ses milliers d’oiseaux, ses cigognes et sa végétation sauvage, forme l’un des lieux les plus attachants de Rabat. Protégée par une enceinte importante ; à laquelle on accède par une porte monumentale, la nécropole se révèle être une oasis tranquille, un jardin paisible et fleuri, avec une salle d’ablution et un oratoire, le minaret mérénide aux faïences émeraude et plusieurs salles funéraires.

C’est à l’Est de notre centre-ville que se poursuit l’avenue Mohamed V, passant sous le très haut minaret qu’on aperçoit depuis notre chambre. L’avenue change de nom pour cette longue portion montante une fois passé le minaret, et se change en avenue Yacoub El Mansour qui longe les remparts du Palais, ses divers ministères et secrétariats d’Etat jusqu’à la quadruple porte qui délimite l’enceinte de la ville antique.

Sur la gauche, la forteresse, du moins c’est la première impression qui se dégage de cet austère cité du Chellah, se dresse un grand ensemble couleur pain d’épice, isolé des chemins qui mènent vers l’extérieur de la ville, vers le quartier de l’Aviation à main droite, et plus loin encore, vers l’intérieur du pays. Nous passions presque tous les jours devant cet imposant vestige antique sans que jamais je n’y ai pénétré.

Les remparts sont réellement impressionnant, crénelés et austères. A mesure qu’on approche de la grande porte, celle-ci semble avoir servi de cadre à la scène peinte par Delacroix du temps du sultan abd-er-Rahaman sous son parasol et sur son magnifique cheval, au milieu de ses serviteurs à la rencontre de ses hôtes du moment. La scène a-t-elle jamais eu lieu à l’entrée du Chellah ? Il semble qu’à y regarder en détail, cette scène a dû être peinte près d’un fragment de rempart si restauré qu’on ne saurait le distinguer aujourd’hui avec certitude.

Des groupes de véhicule se tiennent près de l’entrée, des caméras, des pieds d’appareils photographiques professionnels pénètrent la lourde porte qui se referment derrière eux.

-L’entrée du Chellah est interdite aux visiteurs depuis deux ans. Certaines parties sont en totale réfection. Mais je peux vous montrer le minaret depuis l’extérieur. La vue est plus belle encore que depuis l’intérieur.

Avons-nous d’autre choix que d’accepter ce guide « improvisé » ? Il faut renoncer évidemment à approcher la partie nécropole, les ruines phéniciennes et romaines, ce qui fait habituellement la beauté toute silencieuse des ruines qui parlent la langue de l’ordonnance muette et de l’éloquence des temps disparus. Décidemment, à venir tous les cinquante-sept ans, c’était le risque …

C’est par un sentier bien délimité, longeant les remparts que s’en va un serpentin balisé en descendant de façon assez abruptes des marches larges et nettement dessinées. Le guide nous précède d’un pas nonchalant et à mesure que nous avançons, je sens que la visite prendra du temps et que nous nous en remettrons, pour une fois contraint, à ce guide qui connait tous les méandres et les moindres recoins des environs. Et puis, il n’y a personne d’autre que nous. Le paysage s’ensauvage, les herbes encore sous la fraîcheur du matin de ce mois de Mars, restent encore humides sous les pas, et le chemin a complètement laissé place à d’étroits sillons à peine perceptibles, tracés dans des coulées d’herbes vierges. Le guide se retourne parfois et indique un point de vue, puis un autre. L’ensemble de la forteresse parfois s’éloigne, donnant une perspective totalement aérienne au paysage, parfois semble s’approcher au point de croire qu’on va trouver une faille et pénétrer dans l’enceinte. Puis nous nous éloignons à nouveau.

Dans le ciel, des myriades de cigognes, des ibis plus petits, des nids sur plusieurs étages d’un même arbre.

-Mon ami, c’est la plus belle saison pour les cigognes. Elles partiront pour le Sénégal en Mai (il montre les cinq doigts de la main pour être sûr du chiffre du mois de départ). J’étais devenu l’ami, me voilà devenu le frère :

-Les cigognes font les petits en ce moment. Elles ont souvent des portées de quatre petits, mon frère. Regarde, on en voit tout autour des remparts. La reine c’est celle qui a son nid sur le sommet du minaret.

Du point où nous sommes montés, on voit bien maintenant le minaret à la colonne supérieure dotée d’un revêtement de faïences d’un bleu vert émeraude, et au sommet, le nid débordant de morceaux de bois, de paille séchée et la cigogne seule tout en haut.

Elles partiront en Mai vers le Sud, puis remonteront tout au nord, et reviendront vers chez vous, en Alsace, c’est bien connu non ?

C’est toute la quintessence du Maroc, à deux petits kilomètres du centre-ville. Les fleurs, timides de ce début de printemps semblent encore hésitantes, mais les ronciers sont aigus, les figuiers de barbarie se déploient sur les chemins montants, parfois le hasard de la configuration nous fait plonger vers des arbres à portée de main dont la densité d’ibis fait penser à la concentration des Oiseaux d’Hitchcock. Parfois une cigogne passe si près de nous qu’on voit entre les deux parties de son bec des morceaux d’étoffes de tissu ou de belles branches d’arbre qui vont compléter l’assemblage des nids.

Dans les champs d’un vert dru et intense, on distingue ces si familière petites fleurs jaunes que je n’ai jamais rencontrées qu’à Rabat, ces énigmatiques tiges qui, mordues sur toute leur longueur, donnaient dans la bouche des enfants, un goût très acide de vinaigrette.

Le Chellah n’est qu’à quelques kilomètres d’où nous sommes partis ce matin, et pourtant on pourrait s’imaginer déjà au cœur même de cette nature marocaine riche de son âpreté, de ses couleurs dominantes de verts et d’ocres foncés, ses variantes plus chaudes et plus claires de terre aux remparts, ses épineux et ses bois séchés aux arbres surdimensionnés, ses cactus meurtris et desséchés, ses vastes étendues d’herbes et ses eaux dormantes et mortes au détours d’un vallon à l’ombre.

-Mon ami, mon frère, d’ici la vue est la plus belle.

C’est le déploiement d’un paysage d’équilibre entre le ciel timidement bleu, les ocres soutenus des remparts, le minaret flottant au centre, les crénelures et, entre les failles de celles-ci, les vestiges intérieurs à la nécropole qu’on peut apercevoir en vue plongeante, entre quelques ruines d’architecture dans leur sérénité, comme Après une Lecture de Dante, toute une poésie en un fragment suspendu de terre ancestrale composée dans la succession de ses diverses époques, rassemblées et concentrées ici, et mises sous protection de cette enceinte qui défilent sous nos yeux.

Nous n’aurons pénétré au cœur même de la citadelle, mais aurons survolé par la vision toute externe de ces lieux d’Histoire, la perspective sans cesse renouvelée de ce Chellah près duquel, après presque deux heures d’une promenade par des collines et des vallonnements, nous approchâmes au plus haut point de ce parcours, le quartier de l’Aviation qui montrait ses premières maisons et immeubles derrière nous.

Nous sommes revenus par le même sentier au pieds des remparts dont les dernières marches semblèrent incroyablement hautes et épuisantes. Mon frère et mon ami nous ayant précédé depuis un petit moment, sans plus même s’inquiéter de nous et nous attendant à l’entrée où nous avions fait sa connaissance pour le pourboire attendu qui fut évidemment à la hauteur des services qu’il nous avait rendus.

Mon frère, mon ami…

Un taxi nous ramène par la même Avenue Yacoub El Mansour, rythmée par ses guérites de militaires au seuil des ambassades et des divers ministères, cette fois en redescendant, jusqu’à revenir au minaret et son avenue Mohamed V.

Comme le Bou Regreg se jette dans l’Océan, l’Avenue Mohamed V aboutit, en allant vers la mer, à la médina. C’est un peu la rencontre tumultueuse du monde occidentale qui a poussé à l’origine vers l’Est de la ville et du monde musulman immuable qui regorge de tortuosités, de boyaux étroits, d’animations frénétiques, de couleurs et de tumultes. L’ancien boulevard Gallieni est l’axe qui délimite sur toute sa longueur le périmètre de la ville arabe séculaire, enclose en-deçà de ses murailles, du monde moderne symbolisé par le déroulement perpendiculaire de toute cette avenue Mohamed V.

C’est à hauteur du Marché Central que se concentrent le plus les remous chaotiques des transformations de la ville, les éventrements de trottoirs, les travaux intempestifs et les murs qu’on abat. Comme d’une ville en perpétuelle évolution, l’impression générale est que la ville ne semble pas donner de sens à cette frénésie de trous, de câbles et de gravas dans la plus grandiose anarchie, au cœur même de la rencontre de la ville moderne et de cette entrée vers la médina.

C’est dans la Rue Souïka, tout de suite à droite, après avoir pénétré dans le périmètre des ruelles anciennes que bat le cœur de cette médina.

C’est l’heure du muezzin en ce vendredi de début d’après-midi, l’appel à la prière, au moment même où nous pénétrons dans ce long cortège d’échoppes, d’étals d’étoffes, de cuivres, de cuir et de terres cuites. La rue Souika, c’est la rue dont parlait la Nonina quand j’étais gamin et que je ne savais s’il s’agissait d’une personne (la Russe Souika), ou un phénomène que j’avais du mal à saisir (la Ruse Souika), n’imaginant même pas qu’il pût s’agir simplement du nom de la rue en question. Les enfants cherchent souvent un sens caché là où la réalité est si simple.

Les tapis sont déployés à même la chaussée, dans des perpendiculaires à la rue centrale, en rangs serrés. Les fidèles, à rythme régulier, s’inclinent et s’arc-boutent face contre terre. Le soleil renvoie des vagues de couleurs désordonnées qui descendent et remontent jusqu’à présenter des visages douloureux et enfiévrés. Certains fidèles semblent étrangers à ces rythmes de prière et ces prosternations, et sont mus dans la fluidité des mouvements plus que par l’intensité de la ferveur. Ils paraissent compter ceux qui ne sont pas dans les rangs, ceux qui n’ont pas jeté sur leur échoppes une tenture montrant bien qu’ils sont à l’appel rituel du muezzin. Ainsi, on peut voir des commerces éclairés et ignorant l’agitation provoquée par les déplacements de ferveur religieuse et les autres dont on a pris bien soin de couvrir l’entrée par un large tissu. La frénésie dure longtemps sous le soleil. La rue Souika est longue, avec des parties de son long corridor protégé par des toitures de bois sculptés largement ajourées, laissant filtrer des pans de lumières troués de larges flaques d’ombre. Malgré la prière à cette heure, les foules avancent sur cet étroit passage, dans une anarchie de djellabas, de voiles et de foulards. Il y a peu d’étrangers en ce mois de Mars, ce qui nous donne l’impression de nous fondre complètement dans le flux de la médina. Deux minarets, l’un brun et monolithique, l’autre bicolore, rythment l’intégralité de la rue Souika, très haut dans le ciel, et dans la partie qui n’est pas sous la protection des toitures.

Quelques ruelles, parfois sans issues, attirent l’attention par le charme délicat des portes bleues et des fenêtres fleuries, de végétaux grimpants, dans des harmonies de rouges et de roses plaquées sur des murs à la blancheur éclatante. Certaines tonalités heureuses de portes ornées de ce bleu se fondent entre le meilleur azur et une tonalité que doivent revêtir les meilleurs coins de paradis. (Les chats y sont paresseux, maigres et totalement somnolant, s’alanguissant dans un temps qui s’est arrêté).

La multiplicité des commerces explique bien pourquoi la Nonina parlait si souvent de cette rue où, vraisemblablement, on y trouve tout ce que la création peut offrir d’ustensiles à faire le couscous, les terres cuites à tajine, les objets les plus insolites que seuls les habitants des lieux savent dénicher, les commerces de tissus, les djellabas de fête et celles des jours ordinaires, les coiffes de femme et les broderies, les babouches de cuir, les plateaux de cuivres ciselés, les robes traditionnelles, les bimbeloteries multiples, et enfin la grande fierté de Rabat, ses tapis.

Et puis la médina est grande. On pourrait s’y perdre. On cherche en vain à retrouver au cœur même de de cette médina les ruelles aux maisons bleues, aux portes de couleurs, comme celles traversées au moment de l’appel à la prière. On nous indique bien des chemins où des fragments de rues colorées font vite place à d’autres ruelles tristes et sales, négligées et sans intérêt.

Tout l’intérêt dynamique de cette vieille ville est donc centré sur cette rue Souika, où tout au bout, à angle droit, sur la gauche, la rue des Consuls prolonge la vie commerçante. A la pointe de la rue, c’est la sortie de la médina et l’avenue qui longe le Bou Regreg qui apparaît, paisible, traversé de ses navires à voiles et de ses barques ancestrales. Et tout en haut de l’avenue qui mène vers l’océan, la grande porte des Oudaïas, porte principale de la fameuse casbah.

Cette porte est considérée comme le joyau de l’art almohade, construite en pierre de taille. La plupart des vestiges visibles remonte au XII° siècle. La plus ancienne mosquée de Rabat se situe dans la casbah et son minaret, orné de petites arcades décoratives est l’œuvre de l’un des premiers souverains alaouites.

Mais aujourd’hui, comme pour le Chellah, les Oudaïas sont frappés du syndrome de la réfection. Rabat, dans son désir d’une inscription au Patrimoine de l’Unesco, fait peau neuve et chamboule ce qui est, de toute éternité, joyaux historiques et culture millénaire. Dès l’entrée de la porte principale, des éventrements de sol, des pelleteuses et des ouvriers en tous sens obéissent à des ordres improbables venant dans la stridence de cris et apparemment de décisions contradictoires, à voir les engins mécaniques avancer et reculer en un ballet surréaliste. 

Nous nous sommes laissés dire que ces travaux comme ceux de Sisyphe, seraient sans fin, les ouvriers étant payés à la fin des travaux quel que soit la durée des chantiers.

De toute évidence, en allant plus avant, on constate que ce sont les allées dallées qui font l’objet d’un surfaçage en profondeur. Mais au travers de cette joyeuse anarchie, les dédales où nous avançons au gré des ruelles, laissent apparaître la vraie poésie de ce promontoire qui domine le fleuve se jetant dans la mer. De petits fragments de rue, comme des repaires jalousement protégés du temps, dans la plus simple délicatesse de leurs bleus, un bleu ineffable, qui n’est ni un bleu Klein, ni un bleu d’azur, mais un bleu original et identique dans chaque rue, dont la densité sur le premier tiers inférieur des murs blancs, donne la profondeur et l’aspect inimitable de ces petits bouts de paradis intemporels. Les portes sont souvent d’une tonalité différentes ou décorées d’incrustations de faïences ou encore encadrées de dorures s’harmonisant à ces simples bleus qui ont fait le charme de cette citadelle depuis toujours. On attend, à chaque bout de ruelle, à voir le miracle se reproduire un peu plus loin. C’est là aussi le paradis des chats dans les renfoncements de certaines entrées de maison ou sur le rebord des fenêtres, celles-ci toujours fleuries, mouchetées de rouge, de verts ou de jaune ou d’une autre tonalité dans l’harmonie de ces couloirs enchanteurs.

Les clichés les plus insolites et les plus extraordinaires sont les quelques rares fois où une femme est passée à la hauteur d’une porte, ajoutant une touche colorée supplémentaire et habillant ainsi d’une mise en scène, un coin de rue.

Dans le labyrinthe qui se dévide sous nos pas, nous trouvons, dans une impasse qui n’a pas été touché par le bouleversement des travaux, une magnifique porte bleue où nous attend un jeune homme qui nous invite à le suivre aux étages. C’est un havre, et presque une oasis, hissée sur trois niveaux donnant chacun sur d’extraordinaires perspectives sur le croisement du Bou Regreg et de l’Océan. On nous réserve une minuscule terrasse aux ferronneries bleues comme tout ce qui décore la citadelle, et le citron à la cassonade qui désaltère des premières chaleurs de la saison. Depuis notre point de vue, on voit les divers étagements de maisons blanches au-dessous de nous, les rues qui coupent de franges d’ombres les maisons riveraines, et au plus loin, la Tour Hassan au pied du fleuve que sillonnent d’antiques bateaux à voiles et les barques de pêcheurs.

Plus loin, à la fin du labyrinthe, une vaste esplanade nous indique que nous sommes tout au bout de la casbah, à flanc de falaise, face à l’Océan que vient rejoindre le fleuve. A l’autre extrémité du fleuve, Salé, dont on aperçoit, au pied de la plage, les myriades de taches colorées que font les stèles funéraires du cimetière légèrement perdues dans les embruns et le lointain de la perspective.  Au-dessous de nous, sur l’autre rive, les vagues s’écrasent sur les blocs de béton de la jetée dans un fracas sublime, en s’élevant très haut et s’évanouissant dans un sifflement d’embruns bien au-dessus de la jetée.

Les jardins andalous où je venais à de rares occasions, lorsqu’une de mes tantes était prise d’une nostalgie de pittoresque, sont aujourd’hui inaccessibles, et c’est avec regret que je peux apercevoir depuis la muraille de la citadelle, les hauts cyprès et les espaces ombrés des petits labyrinthes.

Pour rejoindre le café maure, à l’autre extrémité de la Casbah, nous faisons le même chemin en sens inverse, jusqu’à la sortie de la grande porte, toujours aussi prise de frénésie d’éventrements et de va et vient d’ouvriers. Un camion manque d’effondrer un pilier à l’entrée devenue trop étroite par le fait des ornières et des tranchées.

C’est en prenant la seconde porte extérieure, sous les enceintes de la citadelle, qu’on s’engage dans d’autres boyaux tortueux avant d’entrer sur les larges terrasses à ciel ouvert du café maure. De larges bancs de pierres, marquetés de faïences colorées protégés par des auvents en forme de tonnelle tout autour des tables, dessinent les espaces où s’installent les clients. D’autres, plus isolés font face à la mer. Depuis le café, des grappes de bougainvilliers grimpent vers le ciel, la vue est à flanc de casbah, avec le fleuve à nos pieds et la roche brune sur laquelle est blottie celle-ci.

En ressortant par cette même porte d’enceinte, le long du mur, un ouvrier s’affaire à porter une brouette de sable afin d’en faire un tas. Quelques secondes plus tard, il remplit sa brouette du même sable et s’en va le remettre à son point d’origine : Sisyphe…

C’est par la rue des Consuls qu’on pénètre à nouveau dans la médina. C’est l’heure du muezzin de dix-sept heures. Celui-ci se fait plus polyphonique qu’à quatorze heures, presque mélismatique, avec une fièvre palpable dans l’accord des deux voix qui paraissent tant exhorter à quelque frénésie mystique, que durant la traversée de la rue Souika, on croirait voir vibrer les minarets.

C’est l’heure des premières odeurs de cuisine du soir. Des fritures, d’opulentes fantaisies de parfums de viandes, d’oignons et d’odeurs de graisse, de couleurs aux étals, et le retour des premières pétarades qui préludent à l’arrivée sur la porte du monde occidental. Il y a comme une douce frénésie « par les rues et par les chemins, et par les parfums tournant dans l’air du soir » de Baudelaire et Debussy.

Le crépuscule tombe sur Rabat. Nous remontons doucement l’Avenue Mohamed V à l’heure des premiers éclairages avec le ballet incessant des taxis bleus. La fontaine aux mosaïques est investie par les badauds, les enfants et les volières de pigeons. Puis c’est aussi le moment de faire provision à la petite cave abondamment fréquentée à côté du Bar Terminus où nous avons dorénavant notre place à l’étage et un serveur qui s’habitue déjà à nous.

Remontant l’avenue, nous restons dans la pleine lune, face à l’immeuble endormi de chez Nonina. Je guette les fenêtres du second étage. Elles restent dans l’obscurité.


Samedi 19 Mars


Ce matin c’est le premier vrai grand matin de plein soleil. Sans l’ombre du moindre nuage. C’est le matin idéal pour le vaste espace de la Tour Hassan. Qu’on aille vers Salé ou qu’on passe à proximité du Bou Regreg, on l’aperçoit. Elle se dresse toujours dans le paysage. D’ailleurs, lorsque nous sommes arrivés, à l’horizon, c’est elle qu’on a vu de très loin, longtemps avant la proximité des quartiers qui m’étaient familiers.

La Tour Hassan, c’est comme la Tour Eiffel pour les parisiens. On n’y va jamais. On sait qu’elle est là, qu’elle domine de toute sa hauteur la plaine du Bou Regreg. On se dispense de la visiter. Il a fallu que j’apprenne que je devais quitter Rabat, pour qu’un jour, dans ma douzième année, revenant de la piscine, je franchisse l’enceinte de ce monument insigne. On y grimpe par une sorte de spirale sans véritables escaliers, comme l’image qu’on se fait de la tour de Babel, d’une spirale ascendante. L’absence de marches facilitait la montée des chevaux. Je n’ai pas même le souvenir de m’être hissé au sommet. Celui-ci est sans parapet et il est étonnant qu’il n’y ait pas eu plus de personnes qui se soit jetées dans le vide. Pour mesurer la progression de la montée vers la plateforme supérieure, on a les meurtrières qui rythment l’escalade.

Le sultan Yacoub el Mansour de la dynastie des Almohades projetait de construire la plus grande mosquée du monde musulman, après celle de Samara en Irak.

On ignore beaucoup de choses de cette œuvre gigantesque, à commencer par son nom dont on ne connait pas l’origine : nom de lieu, nom d’une tribu ou nom du maître d’œuvre. Pour certains historiens du XVIII° siècle, notamment espagnols, l’architecte serait un dénommé Jabir ibn Aflah, latinisé au XVI° siècle sous le nom de Guever, sévillan mort vers l’an 1197, qui aurait conçu à l’identique la Giralda de Séville, la Koutoubia de Marrakech et le minaret de la mosquée Hassan à Rabat. Cette hypothèse n’a jamais été confirmée. Pour la grande majorité des historiens, l’architecte Ahmad Ben Baso, concepteur de la Koutoubia et de la Giralda de Séville, sous le même modèle, est aussi l’architecte de la Tour Hassan. Une tierce hypothèse plus logique retient la coopération de plusieurs architectes dont les plus éminents sont Ahmad Ben Baso et Jabir Ibn Aflah. La seule certitude historique est la date de débuts des travaux, 1196, et le nom du commanditaire.

Les travaux furent abandonnés après la mort de Yacoub El Mansour en 1199. Le minaret devait culminer à plus de soixante mètres, mais n’atteignit que quarante-quatre mètres. La mosquée Hassâne fut donc improprement appelée tour Hassan.

Elle est construite avec une pierre rouge dans le style caractéristique des palais et édifices religieux du Maroc. A l’intérieur, pas d’escaliers typiques des minarets mais des rampes d’accès permettant au muezzin d’arriver au sommet à cheval pour l’appel à la prière.

Le tram nous laisse avant la grande descente vers le fleuve, à l’arrêt du 16 Novembre. C’est sur un plateau dégagé qu’apparait la Tour, environnée de maisons basses, de villas fleuries, et à l’heure de notre passage, du calme des samedis matin.

C’est le mausolée qui apparait tout d’abord, construit pour Mohamed V le libérateur du Maroc. Depuis on y a déposé aussi la dépouille de son fils Hassan II. Puis depuis le fleuve arrive deux cavaliers en costumes d’apparat rouge à la coiffe verte, la lance au poing. C’est le moment de la relève de la garde. Les deux cavaliers se positionnent à l’entrée d’une porte sur de superbes montures blanches tandis que deux autres s’en vont d’un pas lent au-delà du mausolée. L’esplanade est presque déserte et visiblement les portes sont encore fermées.

On voit apparaître une sorte d’officier venu de l’intérieur de l’enceinte qui distribue des consignes aux gardes royaux. Je me risque à lui demander la raison de la fermeture des grilles.

Les travaux de restauration. Cela fait presque un an que le monument ne peut être visité. C’est le roi qui décidera de la durée des travaux dit-il avec un sourire qui laissait entendre que ce n’était pas pour demain.

Bien heureusement les portes sont largement ajourées et laisse apercevoir le magnifique édifice, monolithe d’ocre brun sous le plus pur des ciels d’azur.

Bien sûr, il eut été préférable de jouir de perspectives variées sur le monument et sur le rythme que jouent les rangées de colonnes au pied de l’édifice. D’imaginer par exemple une vue partant de sous la voûte du mausolée, qui irait embrassant l’immense esplanade en plan intermédiaire pour atteindre en fond de tableau la tour Hassan. Puis d’en imaginer d’autres aussi riches les unes que les autres. L’espace où s’est éternisé cet édifice étant exceptionnellement dégagé, les plans visuels peuvent s’imaginer à l’infini. Il faudra se résoudre à contourner les différentes portes d’enceinte et fixer nos regards depuis l’extérieur vers la tour qui a le bonheur de ne pas être parasitée d’obstacles entre les grilles où nous sommes et l’objet de notre contemplation.

Cette fois nous sommes côté Bou Regreg, somnolant tout en contrebas. Un magnifique cavalier sur un cheval blanc est immobile à l’entrée de la porte latérale, et ne prête pas plus d’attention que les policiers londoniens à l’agitation qui se fait autour de lui. De par l’interdiction de pénétrer sur le site, des groupes de curieux commencent à investir les points de vues aux enceintes extérieures, et nous nous trouvons au milieu d’une volière de touristes françaises et leur demandons d’éterniser un cliché de nous avec en fond les murs d’ocre et la tour qui s’élève dans l’azur.

Le Bou Regreg remonte, de ce côté Nord du site, jusqu’au bout des plaines, à l’horizon qui mène vers Kénitra. Rien ne gêne la vue sur toute l’amplitude de ces calmes étendues que viennent rythmer deux édifices récents, semble-t-il, que sont le nouvel opéra et une sorte de pachyderme de pierre, de verre et d’acier, poussé à la verticale sur des centaines de mètres à la manière des architectures actuelles du Moyen-Orient. Il s’agirait d’un complexe multifonctions, d’hôtelleries, de casinos et d’activités en tous genres. Le paysage en est quelque peu intempestivement investi, mais montre que le souverain, l’actuel Mohamed VI, est un fervent amateur de modernité.

Du plus loin que je fasse remonter mes souvenirs, je n’ai pas retrouvé avec certitude le chemin simple que j’empruntais lorsque je revenais de la piscine du Club Nautique. Nous passons donc par une avenue qui monte plus que je n’aurais cru, et pour cause, il s’agit de l’Avenue d’Alger, théâtre des défis à vélo que nous avions, mon cousin Georges et moi, qui remontions sans presque respirer cette longue pente, partis de la plaine de Kénitra pour parvenir au sommet de la colline, à quelques dizaines de mètres de l’Institution des Frères de La Salle, au paroxysme de nos efforts. J’ai donc perdu définitivement le chemin qui menait du fleuve jusque vers la librairie où je me rendais, attendant que ma mère vint me chercher.

Par contre presque soixante ans plus tard, et pour avoir pris un faux chemin, je me vois souffrir le martyr en montant pour la première fois à pied cette fameuse avenue d’Alger de nos duels d’antan.

Parvenus au sommet de la côte, sur un large rond-point, un amiral ganté de blanc nous indique le chemin du centre-ville. Je crois reconnaître l’une de ces avenues où les flèches de la cathédrale commencent à poindre. Puis après « le petit resto », c’est la grande place où s’ouvre grande au soleil de presque midi, la façade de la cathédrale Saint Pierre. Nous n’avions fait depuis notre arrivée que la frôler en tram, allant vers Salé. Aujourd’hui je me trouve devant l’édifice qui rappellent toutes les ennuyeuses messes de dimanche, le mariage de mes parents qui surgit sur de vieux clichés noir et blanc, où de petites filles tenaient le long voile nuptial de ma mère, mes tantes Angela et Lucia en tenue de demoiselles d’honneur, d’autres photos de ma première communion, celles de la confirmation, puis enfin avec l’aube blanche, auprès de Jean-François Papini et d’autres de Pierre de Ronsard dont j’ai oublié le nom.

L’édifice est de style néo-byzantin, comme on peut en voir aussi en Afrique noire, d’un blanc immaculé, rehaussé de pierres ocres, et la légende, (mais d’où est-ce que je la tiens) voudrait que mon grand-père, le Nono, aurait hisser, comme le drapeau du pont d’Arcole, ou ce geste de triomphe d’Armstrong sur la lune, la croix au transept de cette cathédrale. Comme maçon il n’eut jamais d’autres titres de gloire que cette légende dont on s’est toujours accommodé.

A l’intérieur, les stations du chemin de croix en petits carreaux naïvement composés continuent de rythmer l’espace des murs latéraux, la grande verrière du chœur de style 1900 présente toujours une déposition de croix aux dominantes bleues et la croisée du transept baigne encore de cette lumière adoucie que filtrent les baies latérales. Une petite lumière mystique. Nous sommes seuls à cette heure, ou presque, quelques africains, séminaristes probablement, se recueillent sur une allée latérale et deux magnifiques statues en pierre lourde représentant Jeanne d’Arc les yeux aux ciels, restent la seule surprise dans cet édifice que je retrouve comme si je ne l’avais jamais quitté.

Parmi les disparitions ou les incertitudes de la mémoire, je n’ai pas retrouvé cette petite boutique, entre la librairie et la cathédrale, sur une rue adjacente au chevet de celle-ci, où je venais m’approvisionner de bonbons, de réglisses en forme de petites barques noires saupoudrées de sucre fin et dont je m’empiffrais à Horizons, assis à même le sol, lisant Tintin ou d’autres bandes dessinées. Le temps pouvait descendre jusqu’à la nuit, rien ne pouvait plus me distraire.

Deux épiceries échevelées résistent encore à l’emplacement que je crois être celui de mon magasin de bonbons :

« Nous sommes ici depuis plus de soixante ans ».

Les murs étaient blancs, il n’y avait que des sucreries et le patron trônait derrière un comptoir au fond de la boutique.

 

Créés en 1952 par l’ingénieur horticole français Marcel François, les Jardins exotiques de Bouknadel se trouvent sur la route de Kenitra, à environ vingt kilomètres de Rabat. Etendus sur 4,5 hectares, ce site extraordinaire regroupe plus de six cent espèces végétales venant du monde entier, plus de quatre-vingt espèces animales et surtout une architecture très élaborée faite de ponts, d’allées d’étangs, de huttes, de labyrinthes et de volières. Les Jardins de Bouknadel sont d’ailleurs organisés selon trois ordres : la Nature, la Culture et le Didactique. Son créateur écrivit : « C’est finalement vers toi ô Maroc que je suis revenu, et c’est là que j’ai essayé de réaliser, grâce à Dieu, mon rêve de jeunesse : un paysage à la mesure de l’homme où pâquerettes et boutons d’or ne se fermeront jamais ! C’est la poésie qui recrée les paradis perdus ; la science et la technique seules en sont incapables ».

Le jardin ouvre au public après dix années d’aménagement. On y trouve principalement des plantes originaires de Chine, d’Asie méridionale, du Congo, du Japon, du Brésil ou de Polynésie. Mais entièrement privés, ces jardins se dégradent peu à peu et deviennent mal fréquentés. La Fondation Mohamed VI pour la Protection de l’Environnement, avec l’aide des banques, prend en charge ce patrimoine inestimable en 2002, et après plusieurs années de travaux rendant l’esprit du créateur, rouvre ces jardins au public au début de 2005.

14 heure 30


Le tram nous laisse sous un soleil idéal, rendant la ville de Salé qui se profile dans une blancheur que nous n’avions pas l’autre matin. C’est à la gare que nous prenons le taxi en direction de Bouknadel.

La route est rectiligne et sans charme. Le long de la route il n’y a qu’une bande végétale maigre laissée en friche où l’on peut rencontrer des groupes de chevaux entre la chaussée et ces bandes d’herbes abandonnées, des moutons sans pasteur et même des vaches qui n’ont pas grand-chose à mâcher. Tout le long du chemin qui mène aux Jardins exotiques, ce sont des habitats gris et jaunes dans le lointain, à perte de vue, des grues qui continuent de faire monter des immeubles vers le ciel. Parfois ce sont des ensembles plus bas mais comme comprimés, sans aucun espace sinon dans la compacité même de ces habitats tristes et vieux avant d’avoir respiré le neuf. La brique et le ciment laissant apparaitre en toute nudité l’inachèvement de ces ensembles.

Il y a ici un petit côté banlieue de Bogota ou de toute autre ville de pays en développement frénétique ayant poussé dans l’urgence de sa démographie.

Puis sur la gauche, discrètement indiquée, l’entrée du Jardin Exotique. Comme une oasis luxuriante. Il est extraordinaire de penser que ces jardins ont pu être conçus en un temps où ces banlieues n’avaient pas encore poussé, repliés sur cette route, non loin de la mer, mais aujourd’hui entourés comme des lianes vivantes par ces plans d’habitations contrastant cruellement avec ce havre organisé de végétation exotique.

C’est donc une succession d’allées souvent tortueuses où se croisent des espèces végétales qui ne se rencontrent habituellement jamais puisque poussant parfois sous des hémisphères différents et en tous cas à des milliers de kilomètres les unes des autres. Des bassins d’eau surgissent au détour d’une allée, puis des raretés animales cohabitant derrière des protections clôturées, des flamands roses, et des toucans, des grives d’Afrique ou de gigantesques perroquets. Au hasard des rencontres, des arbres surdimensionnés et robustes, créant des espaces d’ombre ne laissant pas même apparaître le cœur de leurs branchages ni même la couleur du ciel à leur voisinage.

Un insolite vivarium aux serpents, dont un horrible tout de jaune fluorescent, des lézards, des tortues, amphibiens, scorpions et mygales…

Puis de fausses portes précolombiennes enserrées de parterre de végétaux aux senteurs de fougères amazonienne, des lianes qui enserrent les pierres comme depuis des ruines dans les jungles d’Amérique Centrale.

Des petits ponts japonais, où d’ailleurs deux japonaises, sur l’un d’entre eux, immortalisent leurs baisers dans des poses sophistiquées. Des ponts indonésiens et des bambous géants, des croassements et des miroirs aqueux où seules les lentilles d’eau en surface brisent l’illusion complète du miroitement des arbres et de tout ce qui s’y reflèterait parfaitement. C’est surtout cette perfection, dans l’harmonie des formes végétales, de l’eau dormante et d’une lumière parfaite qui donne à certains endroits une impression de nymphéas tant la grâce des formes et les épousailles de ces éléments conjugués renvoient à d’exquises abstractions. Ce que je me plais à rendre, si possible, au travers de nombreux clichés qui deviendront des illusions de véritables peintures lyriques. Nymphéas de Bouknadel

Et puis tout au bout des derniers sentiers, la maison d’origine du créateur de cet univers avec, en perspective, des bassins rectilignes à fond de faïences bleues où coule une eau chantante dans une lumière que nous avons eu la chance aujourd’hui de rendre à son meilleur une visite qui eut quelque peu manqué sa perfection sous un ciel troublé.

Sur le bord de la route nous attendons pour le retour, le bus n° 3, celui qui va jusqu’à longer les remparts de Rabat et finit à Bab-el-Had, la porte du marché. Des familles entières attendent, les vaches et les chevaux sont livrés à leur solitude, et c’est avec les yeux encore emplis de lumière que l’on voit durant tout le trajet en sens inverse, les mêmes immeubles identiques, à la droite comme à la gauche du trajet, dans leurs jaunes salis, leur absence de finition, avec la seule modernité fière et affichée, comme souvent dans les pays de pauvreté, la plus grande avancée dans l’inutile en matière de technologie, les antennes démesurées, au sommet des immeubles, de la 5 G.

Entre Bouknadel, la traversée de Salé jusqu’à l’esplanade qui mène au cœur de la ville, des millions d’habitants ont trouvé ici à remplir ce qui fut un espace vierge lorsque nous allions il y a soixante ans à la plage des Nations.

Cette plage aurait pu se faire élire comme la plage du premier matin du monde. La plage d’un « Macondo » africain. Elle avait tous les attributs de la sauvagerie sereine, des grands calmes qui masquent des pouvoirs de traîtrises et de désastres. On l’appelait, sans le dire trop fort, la plage des noyés. Il ne se passait pas trois dimanches sans qu’elle ne rendit son lot de noyés, qu’elle eut happé un malheureux baigneur qu’on retrouvait un jour ou deux plus tard à presqu’un kilomètre du lieu de baignade. Une sorte de plage vénéneuse, et comme les plus belles d’entre les fleurs toxiques, une plage à déserter.

Longue de plusieurs kilomètres sur la route de Kenitra, avec parfois plus de largeur que d’autres plages au sud de Rabat, elle avait d’impressionnantes dunes qui la surplombaient. On ne mesurait jamais ni son commencement ni là où elle finissait. On n’y venait d’ailleurs très peu. Les ensembles immobiliers étant inexistants à cet endroit, on voyait la plage depuis le sommet des dunes et on pouvait garer les véhicules n’importe où. J’ai le souvenir d’un lieu très venté, hostile. Paradoxalement ce n’était pas une plage pour les familles, mais pour les nageurs et les amateurs d’espace vierge.

J’ai le souvenir d’une fin de semaine où nous étions avec Yves Rio, que les vagues que nous affrontions étaient si fortes que lorsqu’elles nous roulaient jusqu’au rivage, on en perdait le maillot. On en riait et on recommençait.

Mais ce n’est pas tant les vagues qui présentaient un danger. Celles-ci malgré la puissance de leur rouleaux, réguliers et d’une grande amplitude, ne faisaient que nous rendre d’où nous venions, sur le sable du rivage.

Le danger venait justement lorsque le nageur franchissait la barre des vagues qui commençaient de se former, là où la mer devient apparemment calme et sans éclat. Passé cette barre, des courants invisibles aspiraient les malheureux par les fonds pour ne les rendre que bien plus tard, jusqu’à les retrouver sur des rivages loin du point de noyade.

Un matin, où Gilles Maumus, un de mes camarades qui figure sur la photo de mes dix ans, était absent, Monsieur Jacquemin le directeur entra en classe et nous dit : « Gilles ne sera pas là, ni aujourd’hui ni demain. Vous serez gentil de vous montrer bien aimable avec lui et de ne pas le brusquer. Sa maman s’est noyée hier à la plage de Témara ». La plage de Témara, la plus tranquille et la plus paisible des environs de Rabat.

Drapeau vert, baignade sans danger

Drapeau rouge, baignade dangereuse

Drapeau noir, baignade interdite

A la plage des Nations, c’était toujours entre le rouge et le noir.

Lors de mon dernier séjour en 1965, il y a une photo que j’ai prise de mon cousin François à la plage des Nations. Il se jetait d’un petit muret du haut de ses quatre ans. Je l’ai saisi en plein vol dans le flou photographique du mouvement, et dans un magnifique rire d’enfant avant qu’il ne retombe sur le sable.

C’était la dernière visite à la plage des Nations.

… 

Le bus n°3 nous laisse enfin au feu rouge, face au cinéma Royal. Nous remontons cette rue légèrement courbe qui monte sous des arcades au-delà du square arboré, comme je me vois descendre cette même rue que j’empruntais forcément les après-midi de cinéma.

Et nous revenons ainsi au soleil déclinant vers le Terminus, pour les pop-corn qui nous attendent et le sourire de notre nouvel ami et frère qui apporte déjà le whisky coca et le Médaillon.

Aujourd’hui notre bistrot est relativement calme. C’est le jour où les Rbatis vont à la campagne, ou chez eux, pour ceux qui possèdent une résidence secondaire ou de la famille en dehors de la ville.  Ces samedis sont un peu leur dimanche à eux. Dylan est donc en sourdine, mais l’écran géant fait toujours défiler des vidéos de matchs de légende. Notre table à l’étage est située à hauteur des magnifiques chapiteaux sobres et coloniaux qui sont là, à l’extérieur et qui enveloppent de leur rythme l’édifice depuis les années 1900. Je ne les aurais jamais vus d’aussi près.

-Oui, le meilleur restaurant tout près d’ici, c’est le « Tajine wa Tanjia ». C’est à cinq minutes d’ici, sous les arcades, le long du chemin de fer.

Je fais confiance à mon ami et mon frère qui est né dans la vallée du Drââ.

Le long du chemin de fer la rue sous arcades mène tout au bout à cette porte d’enceinte qui s’ouvre sur le quartier des Orangers que j’empruntais en direction de l’école du même nom.

Dès l’entrée du Wa Tanjia, la lumière éblouit de ses projecteurs bleus, rouges et jaunes, un antre de couleurs lancinantes et d’arabesques de ferronneries. On nous propose une table contre un des murs un peu à l’écart. C’est une cuisine de désert, un tajine de chameau. Un virtuose du chant berbère ponctue la soirée de mélismes d’une poésie insaisissable.

Je n’ai pas compris les paroles, mais j’ai été ému vous savez, merci encore

je sais mon ami, au revoir

Nous sommes à Rabat, faisant en même temps une incursion aux portes mélancoliques de l’histoire du grand sud.

C’est par le chemin remontant de la porte des Orangers à la nuit noire que nous rejoignons par les cabossements d’un trottoir autrefois lisse, ce bout de rue jusqu’à notre hôtel.


Dimanche 20 Mars


Le Palais Royal est la résidence actuelle du roi du Maroc. Pourvue de cette cité royale et de tous ses monuments, Rabat peut rivaliser avec ses aînées, Fès et Marrakech. Elle peut aussi se prévaloir de son caractère sacré, qui a façonné son histoire et modelé son paysage. Dâr-el-Makhzen, qui date de 1864, a été érigé sur les ruines de l’ancien palais royal construit à la fin du XVIII° siècle par Sidi Mohamed ben Abdellah. Aujourd’hui plus de deux mille personnes résident dans cette enceinte. C’est un complexe architectural qui s’étend sur une aire immense (pratiquement aussi vaste que la médina !) -le méchouar- entouré d’une enceinte particulière. On y trouve la cité du gouvernement, qui comprend le palais proprement dit, une mosquée, des casernes pour la garde, un collège royal, un petit champ de courses et divers édifices ministériels éparpillés dans de vastes jardins soigneusement entretenus.

On reconnait nettement dans ce palais moderne l’organisation traditionnelle de l’espace palatial hispano-mauresque qui constitue la structure typique des palais royaux marocains : ainsi de la division en trois entités distinctes qui communiquent entre elles. Le méchouar d’abord, partie accessible au public, qui sert de parvis d’accueil pour les grandes manifestations, comme la fête du trône où des centaines de notables du pays, et autant de silhouettes blanches encapuchonnées venues faire allégeance à sa Majesté, célébrant ainsi l’équilibre du royaume. Allégeance ou engagement par lequel les hauts fonctionnaires reconnaissent l’autorité du roi.

Puis la salle du trône avec le diwan, le lieu de réception qui est la partie la plus ornementée et la plus monumentale de l’édifice. Enfin le harem, composé de demeures entourant traditionnellement des patios et des ryads, qui est l’espace privé de la famille royale.

Tous ces bâtiments sont structurés selon le modèle de la maison citadine traditionnelle : orientés vers de vastes jardins et cours intérieures très agrémentés.

C’est ainsi qu’on se présente à la porte des Ambassadeurs qu’on peut déjà voir depuis la fenêtre de la chambre d’hôtel. Deux gardes, filtrant les entrées et les sorties de l’enceinte, nous confirment que la visite du palais commence par la seconde porte de l’enceinte générale, qui se situe avenue Yacoub el Mansour. Donc sur cette avenue menant tout à l’est, vers cette triple porte qui donne sur le Chellah. Avenue montante et rude, dénuée de toute partie ombrée.

Nous sommes reçus dans une sorte de capitainerie somnolente en ce dimanche, où un fonctionnaire nous demande nos passeports et notre provenance. Puis il consigne notre présence dans le palais sur un registre, et nous laisse pénétrer dans cette vaste étendue qu’est le méchouar, totalement plane et sans charme à force d’espace nu et sans relief. D’abord des bâtiments sobres et spacieux, abritant les différents fonctionnaires des ministères aux portes ornées et décorées parfois de mosaïques d’écailles fines.

Au loin, ou ce qui nous paraît très éloigné, la mosquée toute en longueur. Et enfin, derrière celle-ci, le palais et ses deux portes d’entrée frontale.

C’est là que commence le mystère des rituels et des codes de ce qu’il faut faire ou ne pas faire.

Au pied de la première porte, deux magnifiques gardes en costumes traditionnels rouges, la lance au poing. Nous n’allons tout d’abord pas plus loin que le canon qui se situe dans la perspective de la porte, disposé de façon transversale à celle-ci, faisant un très beau plan d’ensemble de l’architecture précédé du canon comme symbole de défense tout en jouant un rôle ornemental.

Lorsque nous nous présentons de manière plus frontale et dans l’axe de la porte la plus haute, il a suffi d’un geste de l’un des gardes, geste serein et ferme à la fois, pour signifier que la tolérance ne permettrait pas que l’on avance de plus qu’il ne faudrait.

La seconde porte, plus basse, semblant être une entrée annexe du palais, est gardée non plus par des gardes en apparat traditionnel mais par des fonctionnaires en costumes et cravates qui paraissent tourner sur eux-mêmes avec force mouvements d’agitation comme savent faire les fonctionnaires qui désirent qu’on prenne leur agitation pour une profondeur d’activité à mener aux yeux de leurs supérieurs. Ils paraissent aussi passablement intéressés par notre présence à voir les regards que l’on perçoit même à distance raisonnable.

Et c’est quand nous parvenons dans l’axe de la porte, bien qu’encore assez éloignés de celle-ci, que l’un d’entre eux nous intime de ne pas aller plus loin, et surtout de ne pas essayer de nous positionner dans l’axe. Et pour que l’on comprenne bien, il insiste de façon assez comique en sautant à pieds joints plusieurs fois (façon de Funès), faisant des gestes de la main et de tout le bras comme pour nous refouler à la manière que ferait un balai, afin qu’on reste sur une ligne imaginaire dans un angle qui lui semblait le plus raisonnable pour la décence et le respect des lieux…

Il est ainsi des énigmes royales que l’on ne saurait percer.

Et c’est paradoxalement par la porte des Ambassadeurs que l’on prend congé du palais royal dans la monotonie de la dernière longue ligne droite du méchouar et que l’on débouche hors les murs sur l’avenue Moulay Hassan d’où nous étions venus.

Nous n’avons donc pas fait un pas de plus dans l’axe des portes d’entrée du palais.

Le roi a eu tort de ne pas nous recevoir, même à l’improviste. J’avais un projet à lui soumettre qui aurait favorisé et rehaussé l’image d’un Maroc de luxe et de volupté avec les peintures numériques que je désirais lui faire partager. On sait l’intérêt que Mohamed VI porte à l’art contemporain. J’avais conçu tout exprès une série qui ne craindrait aucune concurrence en matière d’image pour le pays. Une série intitulée « Fès aux teinturiers » et une autre « Maroc », plus générale, mais dont les assemblages de couleurs touchent à l’âme même du Maroc. Une sorte de condensé des tonalités et des teintes proprement identifiables d’un seul regard, autour de tous les essentiels de l’ocre, des verts et des sables, rassemblés sur quelque vingt peintures dont le but serait d’être tirés et distribués en autant d’exemplaires qu’il en faut pour donner, aux travers d’affiches ou au cœur de spots publicitaires, la plus exceptionnelle symbolique de l’âme du pays en matière de promotion. Le roi aurait pu tout à loisir décliner ces images pour les circonstances les plus variées, telles qu’une vitrine internationale pour l’inscription au patrimoine de l’UNESCO à Rabat ou pour toute autre contribution au rayonnement du Maroc.

On peut rêver…

On en rit encore dans la chambre d’hôtel.

13 heures 30


Depuis l’hôtel, nous sommes à deux pas de Bab-el Rouah, « la porte du vent » ouvrant le rempart sud de la cité, qui donne sur l’interminable et rectiligne Avenue de la Victoire.

Nous avons donc, une fois franchie la porte du vent, l’avenue de la Victoire qui se profile et qui fait presque un effet de mirage à l’horizon tant elle est longue, et sur la gauche, suivant le cheminement du tram, l’avenue que je pense être l’avenue de Dijon ou celle du Maine, celle qui menait vers la maison de André et Claudine, celle où nous venions souvent lors de ce dernier été de 1965. Les chaussées ont tellement été élargies qu’on a du mal à garder son flair malgré l’orientation évidente.

 C’est une longue courbe que je revois mentalement identique à celle que nous prenions quand je promenais le dimanche avec mon père, avec sur la droite des maisons basses encore existantes, quand sur la gauche apparut une minuscule plaque blanche dont les caractères usés et à moitié effacés indiquait «… Olympique 1919 ». Derrière l’enceinte on peut en effet deviner les bâtiments décrépis et noircis qui furent ceux du club de tennis où je venais parfois avec Bernard Balmelle.

Un peu plus loin, sur un espace dégagé, au pied d’une colline, la Bibliothèque Nationale. Il est évident que je ne suis pas sur la rue de Dijon ou du Maine, ce qui ne m’a pas privé du plaisir d’avoir revu ce chemin que je faisais avec mon père pour rejoindre le stade marocain et sa piste d’athlétisme. (En fait ma mémoire se souvient au moment où j’écris, que pour prendre la rue de Dijon, il fallait continuer après la porte du vent et à quelque cinq cent mètres sur la descente de l’avenue de la Victoire, raccorder sur la gauche la rue où habitait mon oncle André). D’instinct je sais que, d’où nous sommes maintenant, pour retrouver la rue de mon oncle il faut bifurquer sur la droite, rue el Bayroun qui rejoint ce que je crois reconnaître comme la rue de Dijon au début du quartier de l’Agdal.

Des maisons basses sont encore sur cette rue légèrement en courbe, et j’ai la certitude qu’à l’angle de la rue el Battani et ce qui est aujourd’hui un immeuble de trois étages accueillant une Ecole d’Ingénieurs, était la maison d’André. Cette certitude est confirmée par la présence un peu plus avant de l’enceinte des Jardins d’Essais qu’on apercevait depuis le balcon de l’appartement.

Crée en 1914 sur une superficie globale de dix-sept hectares (dix dans la partie en amont, et sept hectares en aval), le jardin, qui a fait l’objet d’une réhabilitation sur Hautes Instruction de Sa Majesté le Roi, renferme des trésors biologiques d’une valeur exceptionnelle.

On y trouve plus de six cent cinquante espèce ornementales et fruitières d’origine diverses : locale, tropicale, subtropicale et désertique. L’arboretum à lui seul renferme une grande diversité génétique constituée de vingt-sept familles réparties en quarante-quatre espèces.

Le jardin abrite un programme de recherche scientifique sur l’exploitation des plantes d’origine exotique, et également une maison mauresque à l’architecture arabo-andalouse avec son musée permanent mettant en relief la thématique de l’eau et de la lumière.

Je n’ai pas souvenir d’être venu bien souvent dans ces jardins. Il existe une photo de mon cousin François, assis sur une pelouse, vêtu d’une djellaba d’enfant, que Angela avait dû prendre lors de mon dernier voyage.

Le soleil est timide à l’image de ces dimanches qui semblent passer au ralenti sous de maigres nuages et une triste grisaille. Ces jardins sont exposés en escaliers descendant en pente douce depuis l’avenue de Dijon, jusqu’à l’avenue de la Victoire où, sur l’autre côté de celle-ci, se trouve l’autre partie des jardins.

L’esprit de géométrie saute aux yeux dès les premiers paliers, avec ces bassins rectilignes aux bordures bleues, abritant nénuphars, grenouilles et anémones. Des enfants, comme mis en scène sur une peinture, jouent lentement à faire trainer leurs mains dans l’eau ou naviguer des navires en papiers au rythme triste de ce dimanche. Ce jardin respire le temps immobile qui a passé. Je les regarde partir jusqu’à disparaître du tableau avec leur mère, longeant la rue de Dijon, me disant qu’il y a longtemps cela aurait pu être François et moi.

Des bassins circulaires sans jets d’eau, aux fonds bleus mouchetés de jaunes, de vert émeraude et de pièces de monnaie, composent des tableaux imaginaires de peintures abstraites que j’aurais bien proposés au roi…

Des arbres gigantesques et centenaires longent les allées descendantes, et des fontaines posées à intervalles réguliers sur des géométries à la française ponctuent le long cheminement qui mène vers l’avenue de la Victoire où commence, de l’autre côté, la seconde partie des jardins.

Le soleil réapparaît franchement pour éclairer magnifiquement les parties arabo andalouses où, là encore, la mise en scène fait entrer en jeu deux jeunes adolescentes qui posent et se photographient dans la nonchalance de leurs gestes, sous les orangers et les bougainvilliers géants, les bassins d’eau, les magnolias, les arbres à pigments vifs et quelques tonnelles qu’enrobent des glycines. Dans le plus beau des soleils et dans la plus lente indolence du dimanche.

En sortant des jardins, nous nous trouvons aux deux tiers de l’avenue de la Victoire, c’est-à-dire que nous avons descendu celle-ci presque jusqu’à l’extrémité sud de cette longue ligne droite. Il y a quasiment deux kilomètres pour remonter jusqu’à la porte du vent que l’on aperçoit tout là-haut dans l’axe même de l’avenue.

Cette porte du vent se distingue des précédentes (Oudaïas et Zaaer), par sa monumentalité et la richesse de son ornementation. Son arc outrepassé, déployé entre deux tours, s’inscrit dans une bâtisse massive rectangulaire. Sa façade de couleur fauve, surtout à cette heure où le soleil inonde la pierre, s’orne de deux arcs décoratifs aux lobes semi-circulaires et pointus, qui dessinent les lignes fondamentales et confèrent à l’ensemble la majesté et la robustesse. C’est cette porte que j’ai franchi des centaines de fois revenant des dimanches au bord de la mer. Et puis on la voit depuis les deux kilomètres et demi à l’autre extrémité, comme un arc de triomphe. C’était comme la véritable arrivée chez nous. Cette magnifique avenue de la Victoire que nous remontons dans sa presque totalité est une sorte de Champs-Elysées de Rabat, avec ses larges trottoirs et ses arbres taillés à la manière de cubes de feuilles drues sur toute la longueur de l’avenue.

C’est en franchissant la porte des Orangers, qui ne porte pas de nom, mais est située entre la porte du vent que nous venons de franchir et la porte du marché (Bab-el-Had), que nous pénétrons dans le quartier dit des Orangers. Je reconnais, au-delà des murailles, franchissant la rue qui les longent, les petites rues qui font pénétrer dans un dédale de ruelles, de maisons basses, et de villas occidentales. C’est la seconde sur la droite qui mène vers l’école du même nom. Cette partie de la ville est devenue grise à force de s’être oubliée dans le temps, d’avoir peut-être refusée de se voir vieillir. Et puis un voile de nuages est venu accentuer cette impression désagréable de ne pas retrouver l’aspect riant qu’avaient ces lieux privilégiés d’orangers et d’arbres aux feuilles grasses et taillés comme tous ceux de la ville. Nous cheminons dans cette petite rue qui coupe à angle droit bien d’autres petites rues où les oiseaux, dans le calme de ce dimanche se font plus entendre dans les jardins des nombreuses villas. C’est après que la rue a dessiné une légère courbe sur la gauche qu’on rencontre un mur assez élevé, et immédiatement après, la rencontre de l’avenue des orangers qui donne son nom au quartier et à l’école qui apparaît à main droite. L’absence d’orangers est par ailleurs devenue énigmatique. Il me semble avoir encore les senteurs des oranges en mémoire, tant ces arbres étaient en quantité abondante.  Au lieu d’orangers, ce sont encore des arbres d’hiver, somnolents et dépouillés qui longent le trottoir naguère plongé dans l’ombre de feuillages drus et riants. Le soleil rayonnait sur la blancheur des murs et les plantes grimpantes se hasardaient sur le flanc des maisons, là où la négligence et une désolation d’ensemble se dégagent de tout le quartier. L’école est évidemment close. On peut lire un panneau en langue arabe et en une autre langue aux caractères presque grecs (un arabe classique ?), ce qui laisse à penser que le français n’y est plus privilégié. Les trottoirs à hauteur de la grille d’entrée sont éventrés et les herbes de l’oubli poussent comme dans la rue Taillandier. La perspective sur la cour ne laisse apparaître aucun arbre et les dimensions de celle-ci plus petite que ce que ma mémoire avait conservé de ces murs où, juin arrivant, on vendait des objets exposés au pied des murs et la valeur marchande n’était pas de l’argent, mais fixée par un certain nombre de noyaux d’abricots. La plus grande fierté était d’arborer un sac volumineux remplis de noyaux. Le jeu consistait à toucher avec des jets de noyaux, depuis une certaine distance, l’objet convoité, un nombre de fois préalablement établi entre le vendeur et celui qui voulait se l’approprier. C’était des soldats de plombs ou de plastique, des cartes postales, des vignettes publicitaires, et tout un tas de futilités qui faisaient rêver les petits que nous étions.

On ne s’attarde donc pas plus, devant ce sentiment d’abandon et de vieillissement que ces Orangers perdus dans la somnolence d’une après-midi désertique, ont laissé en moi.

Le chemin mène maintenant immanquablement vers la porte d’enceinte à deux pas de Saint François. C’est là que je suis né, c’est là que ma mère est née aussi, dans cette clinique qui est toujours dressée face à l’église saint François d’Assise. Sur le portail, il est indiqué dans le plus pur style rbati administratif, « Hôpital de Maternité et de Santé Reproductrice les Orangers ».

Et puis, l’église. Sans autre intérêt que d’avoir accueilli dans la cour adjacente, le patronage des jeudis après-midi. C’est à cette époque que je découvrais avec ravissement ce que le curé de la paroisse nous montrait de films accessibles pour des enfants de nos âges. C’est dans ce patronage que j’ai dû connaître les frères Polizzi, Bernard et Joseph qui seront ceux avec qui je partagerais toutes les impressions et les univers imaginaires que faisaient sur nous les westerns et les capes et d’épées que l’on commentera par la parole et par l’action, dans les jardins sauvages, face à l’immeuble des grands-parents, avenue Mohamed V. J’ai souvenir du plus comique des Laurel et Hardy, véritable chef d’œuvre,  Laurel et Hardy au Far West, devenu un immanquable du genre, ainsi que toute les séries du duo comique, des Chaplin et des Joselito.

Cette église était bourrée à craquer les dimanches matins lorsque j’accompagnais parfois Angela. L’espace étant plus réduit qu’à la Cathédrale, elle était rapidement saturée. C’est aussi l’église où Lucia avait décidé de se marier en 1963, à la quarantaine passée, avec Laurent Rio qui devint en quelque sorte un nouveau tonton tardif.

Il avait été décidé qu’à l’heure convenue du mariage tout le monde se donnerait rendez-vous devant l’entrée de l’église. Mon Nono, comme toujours partit longtemps avant les autres pour se rendre à la cérémonie. Il aimait habituellement déambuler ou flâner avant l’heure d’un rendez-vous, et partait en solitaire, endimanché, en costume cravate qu’il portait à merveille.

A l’heure dite, tout le monde était présent, famille et amis. On attendait avec étonnement et inquiétude le Nono parti bien avant. Il ne vint jamais. Ce fut un mariage qui eut un petit côté dramatique, puisqu’après qu’on eut retardé la cérémonie de plusieurs minutes, peut-être d’une demie heure, le mariage fut célébré non sans un sentiment d’inachèvement, le père de la mariée s’étant volatilisé.

C’est ainsi, pour épilogue, que le Nono n’assista pas au mariage de sa fille aînée, ayant attendu longtemps, seul, devant la cathédrale Saint Pierre alors que le mariage eut lieu à Saint François d’Assise.

Et Nonina de dire : « Ma ! è stonato il nonno ! », ce qui peut se traduire du sicilien par « mais il est étourdi le grand-père ! », avec une nuance intraduisible qui fait la part aussi à la notion péjorative d’un âne buté qui n’en fait qu’à sa tête.

Tellement stonato le Nono que la première fois qu’il prit l’avion à soixante-dix-neuf ans, un peu agacé de ne pas sentir l’avion décoller, il demanda à l’hôtesse « mais quand est-ce qu’on démarre ? », il se vit répondre « mais monsieur, nous sommes au-dessus de Madrid ». J’ai eu un grand-père maternel qui relève de la légende…

L’église était close. C’est depuis les arcades, de l’autre côté de la rue, qu’on a fait un cliché pour le souvenir.

-vous n’avez pas le droit dit une jeune fille passant devant nous, indiquant les gestes que faisait le policier dressé au pied des marches de Saint François.

Sur la photo on verra en effet le pauvre fonctionnaire agiter les bras en signe de mécontentement.

Ce qui nous apprend que les marocains sont très méfiants quant aux prises de vues qui laisseraient des traces du visage d’un quidam qu’on pourrait éventuellement reconnaître.

On pense encore aux sbires de ce matin au Palais Royal. Pas le droit non plus de photographier les cimetières, pas le droit de prendre le visage des femmes etc.

Le ciel est couvert sans être menaçant, les rues un peu humides et moites dans ce périmètre en lisière de la médina où les terrasses de café sont saturées. Nous flânons au milieu des librairies ambulantes, nombreuses du côté de la Poste. Le café de la Renaissance est brillant de ses mille feux et de ses couleurs de fruits. Puis à l’angle de l’avenue, je tiens à en avoir le cœur net. L’ancienne rue de la Paix, aujourd’hui rue Gazzah, après avoir été rue de la Libération, est riche en immeubles de style colonial, dont le très bel hôtel de la Paix, et c’est aussi une rue mythique qui abritait la quincaillerie d’un malicieux juif albinos, aux lunettes à verre épais, qui me faisait un peu peur, Monsieur Chicheportiche. Le magasin était saturé de l’odeur du savon et d’une anarchie de mille ustensiles en plastique et en métal léger. C’est aujourd’hui un très chic magasin d’objets d’art avec éclairage tamisé. Je n’ose y pénétrer pour mesurer mentalement l’espace et les volumes de l’ancienne boutique.  Mais le plus important était à l’angle de la rue, Le Nain Bleu. Le seul magasin de jouets de toute la ville. Existerait-t-il encore ? Eh bien, il est encore là, bien vivant avec ses toiles bleues et ses deux vitrines donnant, l’une sur la rue de la Paix et l’autre sur la rue à arcades qui remonte vers la gare. C’est le magasin qui est à l’origine de tous ces objets de désirs que peuvent déclencher ces lieux de rêves d’enfant. J’y cherchais surtout les modèles réduits de voitures à l’échelle 1/43, en particulier celles des marques Dinky Toys et Solido. Et mes parents m’en offraient généreusement à certaines occasions. Je rangeais ces petits trésors sur le manteau de cheminée de ma chambre, et n’osais que rarement les faire rouler de peur de les abîmer. A m’en rendre malheureux. Ces voitures miniatures finiront bien plus tard dans le capharnaüm de la chambre de mes cousins qui ne prirent pas tant de soins avec ce qui n’était, pour eux, que des jouets qui ne demandaient qu’à s’entrechoquer.

Devant cette vitrine du Nain Bleu, j’eus probablement ma première interrogation sur l’avenir, ma première question métaphysique. Une réflexion sur le temps et sur la finitude déjà, à l’âge de sept ans peut-être, qui peut se résumer ainsi :

Si je devais mourir maintenant, devant cette vitrine, qu’est-ce que j’aurais manqué sur cette terre ?

La réponse est venu cet après-midi, au même endroit : plus de soixante années de mon existence pourrait défiler sans qu’on omette un seul instant. Voilà ce que j’aurais manqué.

Nous faisons notre provision de vin à la petite cave qui jouxte le Terminus. Sur quelques mètres carrés à peine éclairés, les clients (ceux du bar ?) entassent les bouteilles dans des cabas, des sacs, on croirait qu’ils s’approvisionnent pour tenir un siège.

Ce soir nous restons fidèles au Bar Terminus où nous sommes attendus, si j’en crois la célérité que mettent les serveurs à nous indiquer les bonnes tables disponibles à l’étage. L’ambiance des grands soirs est revenue. Au comptoir, dans la lumière rouge, les buveurs sont au coude à coude, les petites canettes de bière envahissent les tables et Dylan a repris du volume sonore.

C’est l’heure où le ciel se découvre dans un franc crépuscule, les éclairages commencent aussi de jalonner l’avenue, et du haut de notre étage on peut voir l’essentiel de cette carte postale féérique du cœur même de Rabat. J’ai comme le pressentiment que c’est la dernière fois que j’assiste, depuis ce Terminus mythique et de ses rangées de piliers à hauteur de notre regard, la féérie qui crible de lumière cette fin du jour.  


Lundi 21 Mars


Encore un soleil sans nuage au réveil. Ce sera forcément une journée de lumière pleine.

C’est par le tram que nous descendons à l’arrêt du 16 Novembre, en lisière de la Tour Hassan en majesté. Arrivé sur le bord de la rive du Bou Regreg, les quais d’aujourd’hui ont été très largement élargis qu’ils en font une véritable promenade rectiligne.

Malheureusement la piscine du Club Nautique de Rabat, sur cette rive, a été détruite. C’est là que j’ai appris à nager vers sept ans, me laissant guider par un géant qui n’était autre que le gardien de but de l’équipe du club de waterpolo. Il était russe, s’appelait Ignatiev. Avait-il dix-huit, vingt ans ? Il est le seul à ma connaissance qui eut pied dans cette piscine et quand il levait les bras il est rare que le ballon passât au fond des filets. Le club du CNR partageait ses adhérents entre ceux du club proprement dit et ceux du CVAR (Club de Voiles et d’Aviron de Rabat), ces derniers étant plus turbulents, et aucun ne faisait ni de la voile ni de l’aviron. Les rivalités et les provocations entre les bonnets rouge et bleu et les vert et blanc étaient incessantes. Il y avait parmi les plus âgés des adolescents, des figures de matamores et des enfants de milieux défavorisés qui trouvaient là un exutoire bien innocent. Un de ceux-ci allait devenir une vedette de la fin des années soixante, Vigon, qui eut probablement la fierté de fréquenter, du moins une photo en atteste, Johnny et Sylvie. Et sur une autre photo, on le voit aussi poser avec Jimmy Hendrix à ses débuts, à qui il ressemblait par le métissage et le chapeau cherokee. Il avait peut-être seize, dix-sept ans lorsqu’il faisait le beau à la piscine.

C’est là aussi que la fille Van Den Buch (Véronique ?) jouait les sirènes, plongeant inlassablement, fendant l’onde et les cœurs, et ressortait luisante, la peau tannée et brune comme un pain d’épice.

La piscine disparue (il ne reste que de très rares vestiges photographiques sur internet), les quais permettent certainement, pour ceux qui prennent le temps, de longues flâneries sur cette rive largement aménagée. Tout au bout du quai, une sorte de galion se positionne merveilleusement comme observatoire permanent de ces lieux sublimes.

La lumière du matin présente la dernière boucle du Bou Regreg avant qu’il n’embrasse, en passant au flanc de la citadelle de pierre, la casbah des Oudaïas, et ne se jette dans l’océan.

Celle-ci, depuis les quais de cette rive, apparaît émergeant dans la lumière comme un îlot au-dessus de son rocher, tout à la pointe extrême de la ville. Cette lumière, à ce moment optimal du jour, en rend le moindre relief comme des ciselures blanches et de taches de couleurs entre le fleuve et le ciel dans sa pleine pureté. Dans une parfaite harmonie, le tableau présente trois nuances de bleu. Celui du ciel, celui du fleuve plus sombre, et celui des bateaux, le plus souvent des barques bleues.

Une ou deux fois des pêcheurs à l’affut nous hélèrent, nous proposant une traversée en barque pour quelques dirhams.

Pour varier la perspective, il faut passer de l’autre côté du fleuve, enjamber l’immense pont, à deux stations de tram de distance, sur la rive de Salé.

Après le port de plaisance tout nouvellement aménagé, nous pénétrons dans l’enceinte de la Marina et ses longues rues parallèles qui longent le Bou Regreg. Les constructions sont tellement récentes que la plupart des appartements ne sont pas encore habités, les emplacements réservés du rez-de-chaussée indiquent seulement par des panneaux ce que seront les futures activités commerciales.

 Un des rares commerces déjà en activité est une agence de location de véhicule. Devant l’entrée trône une superbe Lamborghini du plus électrisant rose métallisé, avec deux hôtesses souriantes, donnant au quai une petite allure de Miami sur Rabat/Salé …

….

Depuis ces alignements de petits immeubles, la vue sur l’autre rive est à couper le souffle. Le regard porte jusqu’en amont de la tour Hassan, et se perd jusqu’à la pointe extrême de la citadelle des Oudaïas. Avec le fleuve qui souligne, en plan intermédiaire, la panoramique unique du paysage.

Entre les allées de la Marina et le fleuve, il y a un gigantesque espace naturel, sablonneux et laissé en friche peuplé d’oiseaux et de varechs, où l’on peut longer de près les quais où sont accostés les bateaux. Certains sont de très vieux pointus sur le dos, qui attendent d’être repeints, d’autres sont simplement échoués à même le sable, paraissant abandonnés, d’autres, des thoniers sont au flanc du quai, et la tonalité qui en ressort est toujours ce bleu marqué de quelques liserés de jaune ou de rouge sur les coques, avec tout en fond de tableau, les mille nuances colorées de la casbah juchée sur son ciel.

C’est une harmonie ancestrale et unique que cette alliance du fleuve impassible, des taches mouchetées que font les barques, et du ciel comme un drap bleu, que pas même Marrakech ou d’autres villes du Maroc ne sauraient avoir : l’alliance de l’eau, du ciel et de la ville entre les deux.

Avant l’embouchure, les espaces sablonneux font place à la vraie plage de Salé, comprise entre l’extrémité de la Marina et la rencontre du fleuve et de la mer.

Nous marchons longtemps sur ces étendues grisâtres jusqu’à une jetée où les vagues inlassables viennent frapper, dans un grand boucan océanique, la pierre, se métamorphosant en de grandioses giclées vers le ciel et disparaissant en de diaphanes voiles d’embruns.

Et c’est au pied de la citadelle et de ses murailles que se fait la jonction du fleuve et de l’Atlantique dans des remous impressionnants.

Nous immortalisons, au pied de la casbah, quelques clichés de nous, avec des bouquets de genêts, des fleurs sauvages de ce début de printemps, et les sinuosités naturelles du relief.

De l’autre côté, sur la vaste étendue plane qui donne sur le vieux Salé, on aperçoit dans un halo lointain et presque indistinct, le cimetière musulman fantomatique dont on devine les taches minuscules de jaunes, de rouges ou de vert.

Revenus vers la Marina à près de midi, nous rêvons devant un verre de rouge de Meknès, dans l’un de ces restaurants du port de plaisance à peine sorti du sommeil.

Par curiosité, nous pénétrons dans une somptueuse agence de promotion des marinas, l’agence Fairmont, promotrice des plans d’ensembles urbanistiques. Le catalogue est éloquent, et l’on se prend encore à s’imaginer propriétaires d’un deux ou trois pièces face au fleuve, sur une terrasse avec vue tout à la fois sur la Tour Hassan et sur la casbah, la rive aux thoniers et aux barques bleues.

Pourrais-je réellement habiter de nouveau dans une ville qui m’avait vu enfant, mais vidée de tous ceux qui surent m’aimer, développer mon éclosion et protéger mon âme ?

Et puis les dangers, les risques de ces plaques tectoniques civilisationnelles qui nous sont inconnues, qui se réveilleraient un jour… Le Maroc a vécu en paix, d’une paix royale entre 1912 et la fin des années soixante. Quarante-quatre ans exactement jusqu’à l’indépendance reconnue de 1956. Puis les occidentaux sont partis progressivement, dans le calme. L’œuvre de Lyautey a été reconnue par la royauté et le Maroc en garde un souvenir respectueux. Les cendres du Maréchal, en 1961, lors du rapatriement vers la France et le Panthéon, ont été saluées silencieusement tout le long de l’avenue Mohamed V. Le Maroc a su éviter les fins affreuses de l’Algérie française. Qu’en sera-t-il demain dans ces pays où nous avions grandi ensembles ?

Dans la médina, nous allons au gré des couleurs, des parfums, hostiles ou non, à la rencontre de portes ciselées, de ruelles sombres. C’est l’heure où le soleil est encore très haut.  Nous pénétrons dans le Marché Central où les étals des poissonneries viennent à peine de passer les grands jets d’eau, et dans la direction du sud, franchissons Bab-el-Had, la porte du marché.

C’est en fait le débouché d’une très large place, un nœud où stationnent les bus, les cars qui sortent de la ville. Une sorte de terminal au pied des remparts, le point de rencontre de ceux qui partent et de ceux qui arrivent. C’est aussi le lieu où règne une grande confusion, où certains véhicule stationnent comme ils peuvent, chargés d’animaux de la campagne, de meubles et de tout ce qui fait la rencontre de la ville et des banlieues éloignées.

C’est donc en taxi que nous prenons la direction du bord de mer. La sortie de la ville est interminable. Je ne reconnais rien de ces quartiers qui mènent vers le sud, dans le grouillement d’une circulation intense, d’immeubles vieillis, de commerces de rue, de triporteurs et de marchands ambulants. De cliniques en tout genre. Beaucoup de cliniques dentaires. Dans des immeubles on ne peut plus troubles. Le chemin s’éclaircit et la circulation se fluidifie lorsque nous approchons les bords de mer.

Et puis nous passons devant un long mur blanc et une entrée au-dessus de laquelle on peut lire « Pax ». C’est là le cimetière chrétien, à l’écart de la ville. Le lieu de larmes et de souvenirs pour Nonina qui a enterré dans les années trente, le premier de ses garçons, le premier André. Je n’ai pas le cœur d’y aller, ni d’y revenir un autre jour. De même que Cécilia me proposait d’aller à Aïn-el-Aouda. Mais la ferme familiale a disparu. Des témoins m’ont raconté qu’en un premier temps les bâtiments servirent d’entrepôts pour les troupeaux itinérants, puis bien plus tard, tout fut rasé, même la maison. Il ne resterait donc plus que la terre revenue à son état primitif. Quant au village il est certainement méconnaissable tant la corne de Rabat a poussé jusqu’à avoir englobé le village. Pauline y est morte à trente-trois ans et je n’ai personnellement que de vagues réminiscence du village lui-même. Que sont devenues l’auberge du « Lapin qui fume » et la boulangerie des Foulana ? Des vestiges pour la mémoire.

Le taxi s’engage un certain temps sur un tronçon autoroutier, ce qui fait que l’ancienne route côtière, sinueuse et parfois dangereuse, a disparu, soit elle se situe bien plus près des falaises surplombant la mer. C’était une route serpentant le long des rochers hostiles et périlleux où parfois jaillissaient des écumes de vagues qui venaient frapper les creux des rochers et parvenaient tout là-haut sur notre passage à lécher d’embruns nos véhicules.

Le taxi finit par rejoindre une route plus conformément près de la mer. Nous croisons des anses formant de petites criques que je crois déjà reconnaître, et après le panneau signalant Témara, il nous dépose au lieu indiqué Plage des Sables d’Or. Il aurait pu nous laisser n’importe où ailleurs que devant ce panneau dont je veux bien croire qu’il s’agit de l’endroit sauvage et quasi désert qui était celui que j’avais connu, aujourd’hui peuplé de petites maisons de bois, de quelques débits de boissons ambulants et de chemins étroits menant à la plage.

C’était une des plages que nous fréquentions le plus souvent le dimanche. Il y avait aussi les contrebandiers et surtout avec l’oncle André nous allions plus loin, sur l’une des plus isolées, la plage de Skhirat.

Avec l’Atlantique on comprend immédiatement les mouvements de la mer. Les contours et les récifs semblaient faire émerger une sorte de ville d’Ys à marée basse. Et là nous arrivions à marée montante. Il est donc impossible d’apercevoir, ce qui faisait la physionomie si particulière de cette plage, l’étonnant banc de rochers faisant face au rivage, se révélant progressivement couronné d’un bloc surmontant l’ensemble comme un chapeau ou une tour de tank nettement visible à marée basse, donnant de l’ensemble l’étrange similitude avec un sous-marin émergé. Ces bans rocheux étant totalement engloutis à marée haute.

Et puis la sensation si particulière du sable sous les pieds. Un sable réellement doré et fin. Et sur la gauche du rivage la grande jetée de rochers avec tout au bout à contrejour, le phare.

Avec Cécilia, nous jouons de la position du soleil, des vagues à rythme sonore et régulier. On dispose de chaises de plage et d’un parasol abandonné, comme il y en a, étrangement au hasard, à distance, sur toute l’étendue de la plage, pour donner du relief et un cadre à nos portraits, dos aux vagues et au rivage. L’étendue est quasiment déserte, on n’aperçoit que quelques groupes épars au loin, et seulement le bruit monotone et régulier de la marée qui continue imperceptiblement de réduire la bande de sable dans sa largeur. Le soleil est déclinant mais encore haut dans le ciel. Nous marchons à l’opposé du phare sur la bande de sable au plus près du rivage jusqu’à de petites dunes sur lesquelles sont des habitations d’été. Au pied de celles-ci, des massifs de plantes grasses et vertes, avec quelques touches de fleurs roses ou mauves contrastant vivement avec la blancheur dénudée des sables. Certaines de ces maisons paraissent abandonnées, aux marches de bois souvent disjointes, et depuis la terrasse de l’une d’elle, des perspectives s’ouvrent sur l’ensemble de la plage avec le phare presque disparu dans un halo à l’horizon.

Face au soleil déclinant mais encore fort, des avalanches de clapotis de vagues, de lumière insolemment réverbérée sur des rochers crochus et sur les sables brunis et lissés par les flux et reflux du rivage.

Deux cavaliers apparaissent, cheminant lentement et lourdement sur le sable, jusqu’à offrir le plus beau des Gauguin à contrejour jamais peint.

Dans ces espaces désertés, une seule oasis parmi les maisons fantômes, la « Felouk », le seul hôtel ouvert en cette saison, où nous prenons un verre derrière une immense baie vitrée, pour y vivre le spectacle permanent et immobile de ces immensités, en attendant ces fameux couchers de soleil qu’aime tant Cécilia.

C’est vers dix-neuf heures trente ou plus que le soleil semble rejoindre le phare tout au loin, que la surface de la mer se couvre d’une pellicule d’argent et qu’à contrejour les rochers forment des masses obscures et fantastiques avec lesquelles s’inscrivent violemment en contrepoint lumineux, les sables dorés.

La dernière photo est une prise de Cécilia, totalement silhouettée dans le contrejour, regardant le ciel avec une sorte de grosse explosion solaire à l’horizon et le phare sur l’arrière-plan, une chaise vide au premier plan.

Comme un au-revoir à ces sables que je ne reverrai probablement plus.

Ces abords de la plage, où les voitures garaient sur des petits chemins de sables froids, mangés de joncs, depuis lesquels l’on voyait déjà la mer, ont fait place à de somptueuses villas à portails ostensiblement ornés et démesurément élevés à proportion de l’idée que se font les propriétaires des lieux. Quelques maisons modestes demeurent parmi ces riches villas, mais la mer n’est plus visible d’aucun endroit.

Pour ces maisons riches ou moins riches, de partout le sable s’impose.

Sur le chemin du retour, le taxi semble prendre cette fois la route que nous prenions au plus près de la côte déchiquetée. Sur le bord, des vendeurs d’énormes pastèques qu’on avait mal à embrasser complètement tant elles étaient volumineuses, attendaient le passage des baigneurs près de leurs carrioles chargées plus qu’il n’en faut. Des paillotes abritaient des vendeurs de poissons encore frétillants dans d’immenses paniers, et le soleil bas faisait d’impressionnantes ombres sur le devant de notre retour. Les paillotes ont disparu, les vendeurs de pastèques, apparemment n’étaient pas là aujourd’hui, mais les ombres se profilent toujours devant nous dans une lumière crépusculaire qui sculpte les reliefs comme coupés aux angles, et rendent d’hallucinantes saturations de tons sur des paysages que je crois reconnaître par endroits. Comme dans un film qu’on n’a plus vu depuis longtemps, il est une illusion, ou est-ce une réelle réminiscence, d’avoir traversé tel ou tel paysage, cheminé sur telle ou telle route. Ce qui est très nettement l’impression ressentie en ce retour de plage.

Posant le regard à l’opposé du rivage, sur les mamelons qui se dressent à l’intérieur des terres, certaines barrières en bois en forme de rectangle barré sur leur diagonale, et certaines maisons posées à l’écart, me disent que ce sont celles que je rencontrais lorsque nous longions ces rivages. Avec ce sentiment, si on peut dire, de « déjà vu » dans un chaos d’images qui, elles, sont les paysages reformés d’aujourd’hui.

Mais toujours dans cette lumière si particulière du soleil qui se couche. L’impression est encore plus forte à mesure que nous pénétrons dans Rabat, par les tortueux virages qui précèdent l’entrée réelle dans la ville. Ces immeubles bas qui recevaient les jours de grosses vagues les embruns et les écumes léchant presque le devant des édifices, les jaune et les teintes blafardes que prenaient soudain les fins du jour.

Et puis au détour de quelque virage, la mer disparaît sur notre droite et nous voici rendus près des remparts de Bab-el-Had. La lente remontée après le marché central sur l’avenue Mohamed V à peine encore dans le jour mais subtilement éclairée jusque chez notre breton du « Petit Beur ». Le joueur de luth continue depuis toujours la longue litanie, esquissée du bout des doigts, et paupières closes, cette histoire fiévreuse du désert éternel.


Mardi 22 Mars


Je ne suis jamais allé au Lycée Descartes. Je ne saurais même dire où il se situe.

Pas plus que le lycée Gouraud où la génération qui m’a précédé avait fait ses études. Je sais que l’architecture de ce lycée était dans la lignée des édifices coloniaux du centre-ville. Lorsque j’eus fini mon cycle d’école primaire à Ronsard, mes parents ont pris la décision que j’irai à l’Institution La Salle où était déjà le cousin Georges. Après la déception de ne pas suivre Balmelle et tous ceux qui avait été mes collègues du primaire à Descartes, je me suis rendu conscient de mes capacités d’adaptation. Cette dernière année passée en sixième, dans un lieu où je ne connaissais personne, fut une des plus belles tant l’organisation et la qualité de l’Institut était de haut niveau.

Le mini bus gris Mercédès conduit par le frère André venait me prendre à l’angle de ma rue pour poursuivre vers le quartier de l’Agdal où le ramassage scolaire commençait. Il y avait peu de place dans le véhicule, une dizaine, et chaque matin on avait droit à un circuit qui menait sous les peupliers d’une belle forêt. Lorsque la tournée était accomplie, nous longions pour finir, sur toute leur longueur, les remparts à l’est de la ville. On passait donc devant la triple porte qui donne sur le Chellah, et on continuait jusqu’à la descente d’où l’on apercevait la plaine du Bou Regreg. C’est dans cette large descente que se situait l’ambassade des Etats-Unis. Je me souviens que durant toute la fin de l’année 63, le drapeau américain était cerclé d’un bandeau noir. On appelait ça un drapeau en berne.

L’Institution avait aussi un goût très sûr pour l’organisation de séjours à la montagne ou à la mer durant les vacances ponctuant l’année, dans des régions d’exception, ou simplement pour des sorties d’une journée, mais toujours merveilleusement ciblées. J’ai ainsi fait connaissance sur le sable d’une plage idyllique, avec le premier scorpion que je ne vis jamais en remuant maladroitement une lourde pierre. Je fis connaissance avec des cèdres du Liban géants ployant sous la neige des vacances de Noël du côté du Moyen-Atlas.

Ce matin, ce n’est pas par cet immense détour que nous rejoindrons l’Institution La Salle, mais par le chemin qui était celui que je faisais habituellement à pied venant de l’école jusqu’à la maison. L’orientation en est facile. Il suffit de prendre, depuis notre hôtel, l’avenue Moulay Hassan, passant devant l’immeuble des Phosphates et rejoindre sur la droite légèrement en montée la partie haute de l’avenue d’Alger. Comme dans d’autres quartiers, le temps a passé, les rues se sont élargies, des immeubles neufs se sont installés et ont eu tout le temps de vieillir. Je reconnais à leur vétusté certaines constructions qui ont bravé la frénésie de construction, mais j’avoue ne pas avoir située la fameuse clinique Dubois-Roquebert que je croyais être à mi-chemin sur la montée de l’avenue d’Alger. C’était la clinique du chirurgien du roi.

A-t-elle disparue, elle aussi ?

Mais par la plus grande des surprises, une enseigne modeste indique, au-dessus d’un immeuble décati, « Office d’information ». Ça y est ! C’est en y pénétrant que nous savons que le Maroc n’est pas encore tout à fait décarboné !

Nous sommes reçus par un personnel d’une grande gentillesse, mais complètement affolé devant notre demande de plans de la ville et de renseignements pratiques. On ne vient plus depuis bien longtemps chercher ici ce qu’il reste de prospectus et de vieux plans concernant la ville. Et pourtant on nous déniche plusieurs guides touristiques en français, en espagnol ainsi que des plans anciens de Rabat. C’est maintenant plus pour le souvenir que pour faire usage de ces précieux documents durant ce séjour qui tire plutôt à sa fin.

L’avenue d’Alger culmine sur ce grand rond-point avec à droite la montée vers l’ambassade des Etats-Unis (que le petit Mercédès descendait tous les matins), la descente vers la Tour Hassan au milieu, et sur la gauche, la discrète rue de Tunis (?), légèrement en courbe, où était l’Institution de la Salle. Aujourd’hui rebaptisée Institut Culturel du Bou Regreg. On y enseigne toujours. Depuis la maternelle jusqu’à la fin du secondaire.

Il y a du monde à l’accueil. On nous demande de patienter un moment. Quelques minutes plus tard, c’est le Directeur de l’établissement lui-même qui se présente et nous fait les honneurs de la visite. La cour de récréation est toujours sur la même structure, avec un vaste espace dégagé, mais sans arbre et sans ombre, avec le léger mouvement arrondi que font les enfilades de classes et les piliers bleus à rythme régulier, constituant le corps de l’établissement. Puis proche de l’entrée, l’escalier qui grimpe aux classes de l’étage. Depuis le haut, j’ai souvenir que les jours de rêverie et de paresse, je me perdais dans la vue délectable sur ma gauche, de la plaine du Bou Regreg qui se perdait dans les vapeurs d’un paysage indistinct à l’horizon. C’est l’heure de la récréation au moment où nous arrivons. Pour les photos souvenirs il faudra attendre que la cloche sonne… Le Directeur nous fait la visite du sous-sol où une belle salle de projection a été aménagé tout en ayant l’air de déplorer que l’espace de la chapelle ait disparu. Chapelle sombre où se déroulait à tour de rôle, les confessions auxquelles devaient se soumettre à un aumônier ceux qui était en préparation de la communion solennelle.

Lorsque la cour s’est enfin vidée de ses volières d’élèves, on peut mesurer le bel espace récréatif, et sur les photos que Cécilia a prises on peut apercevoir au loin le Directeur et moi un peu perdus entre les piliers bleus rythmant l’arrondi du bâtiment et l’espace de la cour paraissant immense, dans le silence et l’absence des frénésies de la récréation.

La vue sur la plaine est toujours aussi majestueuse si ce n’était l’implantation du nouvel opéra et du gigantesque ensemble vertical encore en construction. Revenant vers le centre par le même chemin, le long du mur aveugle qui jouxte l’Institution, il y a aujourd’hui l’école André Chénier qui a dû être délocalisée, mes souvenirs la situant bien loin des frères de La Salle.

Les écoles relevant de la Mission Culturelle avaient toutes de beaux noms (Albert Camus, ainsi baptisée dès l’année de sa mort, André Chénier, Paul Cézanne, Pierre de Ronsard, et peut-être d’autres que j’aurais oubliées). Je suppose qu’elles existent toujours dans les différents secteurs de la ville.

Sur le chemin, un peu à l’écart, à hauteur de l’école Chénier, une somptueuse villa qui pourraient être celle d’un prince ou d’un proche du roi. Avec façades plaquées de céramiques d’un bel émeraude, d’arcs outrepassés, un étage avec corniches, fenêtres larges et environnement boisé. L’abord de l’édifice est évidemment largement sécurisé, mais une plaque discrète à l’angle de l’entrée laisse apercevoir Ambassade d’Angleterre. Effectivement, après le fameux rondpoint de l’avenue d’Alger, nous sommes à l’orée du quartier des ambassades.

Cet après-midi, c’est un peu le pari risqué d’une prospection loin des lieux de tourisme, allant peut-être au-devant d’une franche déception, car déjà dans des périphéries extérieures aux remparts Est, à nous rendre au quartier de l’Aviation, celui qui m’a vu naître ou presque, entre les premiers mois de mon existence jusqu’à l’âge de cinq ans et demi.

La distance dans le temps remonte ici à pratiquement soixante-cinq années et plus en arrière.

La lumière est forte lorsque le taxi franchit Bab-el-Zaër (porte est) avec le Chellah à gauche, comme on l’apercevait tous les soirs en rentrant avec la 4CV de mon père. Le taxi est prévenu qu’il s’agit d’aller en direction de la cité Mabella. Puis c’est une longue ligne droite qui finit en légère montée, aujourd’hui large de quatre couloirs où il n’y en avait que deux. Le chemin redescend et peut, si l’on ne bifurque plus, aller jusqu’à Aïn-el-Aouda, mais je sais sans l’ombre d’un doute, qu’il y a un virage à gauche, à angle droit, que je reconnaîtrais entre mille, autant par intuition qu’en me fiant à la distance approximative, qui devait durer, à allure moyenne, le temps que m’indiquait mon horloge intérieure, avant le moment de tourner, celui de pénétrer au quartier de l’Aviation.

Et dès que le véhicule a passé le virage, à ma grande surprise, je vois à peu de distance, l’école qui porte le nom de ce quartier et que j’aurais imaginée visible seulement un peu plus loin. Je la reconnais dans toute la simplicité immuable de son parallélépipède à deux étages, tout en longueur, d’un simple ocre clair, avec ses fenêtres à intervalles réguliers.

Le taxi nous dépose sur le trottoir opposé et je ne peux que confirmer que ce ne peut en être une autre. Elle a survécu, alors que tout l’environnement pourrait être un environnement qui me serait presque étranger, tant les constructions ont poussé en hauteur, parsemés de ces rides invisibles que la vie dépose même sur les pierres.

Dans l’allée perpendiculaire à la façade, c’est bien ce petit chemin qui allait droit vers de grands arbres, autant qu’il y en avait aussi sur l’autre bord de ce chemin. L’entrée est toujours la même, avec ses massifs de bougainvilliers grimpant jusqu’au-delà de la porte, vers le haut des murs.

La porte est ouverte. Il n’y a aucun accueil, aucun guichet. C’est immédiatement que je me retrouve au cœur même de la cour avec un drapeau chérifien sur ma droite, et tout au fond les salles de classes de maternelle. On n’en voit pas les baies vitrées, fermées par de larges volets verts. Mais c’est bien derrière elles que plonge le mystère de ma première existence d’écolier et de première vie sociale du plus loin de mon enfance.

La végétation dense tout autour a donc été mangé par des immeubles, et le champ que l’on parcourait parmi les herbes et les fleurs à la même saison n’existe plus. C’est dans ce champ que l’on cueillait ces fameuses fleurs jaunes dont la tige avait ce goût de vinaigrette quand on les mordait.

Il y a maintenant, probablement dans ces espaces disparus, un collège ou un lycée où les garçons ont un uniforme et les filles portent le voile.

Après l’école, dès la sortie, le chemin vers la maison tournait légèrement sur sa gauche, puis ensuite, une longue ligne droite, avec la succession de toutes les villas et maisons basses qui étaient la caractéristique de ce quartier étendu et tranquille. C’est là que j’ai vécu, dans les dépendances d’une belle villa où s’étaient installé la tante Louisette (tante de mon père) et celui qu’elle avait épousé, qu’on appelait l’oncle Batty. La villa, après la grille d’entrée, avait une belle allure avec son chemin de graviers, qui se divisait en deux, contournant la maison et son arsenal de fenêtres en arrondi, avec un bassin qui faisait face et une multitude de plantes, de nénuphars, et de fleurs qui assiégeaient les murs. Nos dépendances étaient bien plus modestes à l’arrière du bâtiment. Nous n’avions qu’une seule pièce et les toilettes étaient à l’extérieur.

Certains samedi matin j’attendais sur le pas de la porte la traction Citroën de l’oncle Jo dont j’entendais le ronflement et le bruissement sur le gravier du chemin, bien avant qu’elle n’apparaisse à gauche de la villa, ce qui était, le cœur battant, le signe que nous partirions pour la ferme d’Aïn-El-Aouda.

C’est sur une des parties contournant la villa, que sur les bordures d’arbres j’appris à connaître la morsure des orties. De l’autre côté de ces arbres il y avait un vaste champ où l’on allait chercher, par paniers entiers, les petits gris.

Tout cela a bien sûr disparu. Et toutes les autres maisons basses qui donnaient une sorte de rythme régulier le long de la route jusqu’à la cité Mabella, cité qui abritait les casernes de la police, sont maintenant remplacées par une inévitable enfilade d’immeuble gris et noirs, d’immeubles qui grimpent à quatre ou cinq étages, avec à l’entrée d’improbables épiceries, de commerces d’urgence et de strictes nécessité.

Soixante années ont décapé toute trace qu’on ne pourrait ressusciter que dans d’hypothétiques et miraculeuse cartes postales noir et blanc.

Il y a bien encore quelques maisons ruinées, quelques arbres antiques qui attendent la pelleteuse et l’érection de nouvelles constructions. J’essaie mentalement d’y voir des vestiges improbables de lieux que j’aurais croisés.

Je n’ai pas le cœur de poursuivre plus loin, n’espérant plus évidemment trouver même quelques poussières de ces habitations qui seraient aujourd’hui centenaires et qui ont rendu les armes à l’urbanisme d’aujourd’hui.

Une fois, m’a mère dut être passablement distraite, et crut me perdre aux environs de cette villa. En ce temps-là les enfants de quatre ans n’étaient pas surveillés d’aussi près qu’aujourd’hui. C’est la petite chienne « Katy », un fox-terrier dont on avait du mal à voir les yeux, qui la tira par le bas de la robe et lui indiqua en trottinant devant elle, jusqu’à la cité Mabella au lieu où ma mère me retrouva dans un jardin d’enfant que j’avais déniché seul, jouant dans le bac à sable.

Nos pas nous mènent à nouveau vers l’école, le seul point où l’imagination et la réalité tangible des soixante-cinq années de distance se rejoignent. Sur le trottoir d’en face, il y a certainement, dans ces quelques minuscules épiceries et boucheries qui portent bien l’âge des petits commerces miraculeusement et immuablement encore debout, ceux qui étaient déjà là quand ma mère y venait faire ses courses. Seule peut-être, une image de pharmacie à l’enseigne verte clignotante aurait disparue de ce mirage.

La fin d’après-midi approche, grise comme le quartier de l’Aviation. Sans être menaçant, le ciel s’est donné un léger voile de mélancolie. Le taxi nous laisse au pied du minaret, par le même chemin qu’à l’aller. Sur la place Mohamed V, les mouvements d’étudiants sont denses sous l’ombre des arbres. Depuis l’immeubles des Phosphates, nous redescendons pour la dernière fois cette avenue où défilent Balima, les longues arcades grouillantes, les librairies aux livres à même le sol, le palais de justice de l’autre côté, puis le cinéma Colisée, la poste et la banque du Maroc, et enfin, à l’endroit où l’avenue rétrécit, le café de la Renaissance et le cinéma, jusqu’à poursuivre vers la médina.

Suivant les indications téléphoniques d’Hélène, Cécilia a bien envie de voir pour cette dernière soirée le fameux restaurant Dar Zaki qu’elle nous a recommandé.

C’est par la porte sud, Bab Bouiba que nous empruntons chaque fois, celle qui jouxte le marché central, que nous pénétrons. Le soleil revient comme s’il s’était réservé la lumière de la vieille ville. Nous poursuivons droit devant sur cette rue Sidi Fatah qui coupe la médina d’est en ouest comme un prolongement, dans un simple goulet, de l’avenue Mohamed V. Les commerces se raréfient dans ce secteur, les rues sont blanches et s’ouvrent sur des petits commerces d’artisans, de cordonniers ou des échoppes minuscules qui échappent aux grands débordement de la rue Souika.

C’est en se perdant dans ces dédales, croyant nous situer dans les parages du Der Zaki que l’on aperçoit une ruelle abondamment fleurie, aux murs et aux portes bleues, aux plantes grimpantes et aux fenêtres ornées de jarres et de pots de fleurs, faisant de cette impasse un théâtre poétique que l’on croyait seulement réservé aux rues de la casbah.

Depuis l’ouverture d’une porte, un jeune homme d’une quinzaine d’années ou à peine plus, nous invite à pénétrer dans son antre. C’est à la fois un atelier d’artiste et une galerie d’exposition improvisée en forme de grotte. Malgré l’isolement de cette vaste pièce, les peintures se déplient dans toute leur luminosité. Ce sont pour la plupart des peintures sur tissus. Toute une série est encore fixée par des épingles de lavandière comme on le ferait pour des linges à sécher. Notre artiste déplie avec une certaine gravité lente les trésors de sa création. Des fantasias pour l’essentiel, des scènes de la vie de la casbah, et puis les monuments principaux de la vile, Tour Hassan, palais du roi, et les mille tortuosités non identifiables de la médina. Pas un instant le jeune homme n’a suggéré que toutes ces œuvres étaient à vendre. Il profitait là d’une occasion peut-être plus rare qu’on ne croit, de montrer avec fierté le travail qui se faisait dans cette antre qui nous était tombé dessus par le plus grand des hasards.

Dar Zaki est introuvable dans ce labyrinthe. Nous revenons donc vers l’épine dorsale de la médina, la rue Souika et ses cavernes d’Ali Baba, ses vendeurs indolents à l’entrée des trésors, à l’ombre des toitures de bois qui laissent passer les rayons encore vifs du soleil.

Une ruelle, qui à elle seule est un labyrinthe, s’ouvre sur un long dallage peint entièrement de cœurs de tournesol sur fond bleu comme les barques du Bou Regreg. Les portes sont sculptées et comme cloutées et peintes aussi dans des tonalités de rouges et de jaunes, tout en motifs géométriques, avec à chaque coin de l’entrée, des jarres fleuries.

Le génie des lieux a suffi d’habiller de quelques rehauts de couleurs la simplicité d’une ruelle pour en modeler un relief imaginaire et une âme de mille et une nuits.

Et puis au-dessus d’une porte, au sommet arrondi et d’un bel orangé, l’inscription Dar Zaki, le restaurant cherché comme un prétexte. Nous n’avons finalement pas trop envie de passer la soirée dans des dédales à perdre le sens de l’orientation pour le dernier soir. Nous aurons d’autant moins de regret qu’il s’agit du soir de fermeture. A quelques pas de là, nous rejoignons la Rue des Consuls, prolongement tout à la fois de la rue Souika et en total changement d’orientation vers la sortie de la médina rejoignant les remparts.

A partir du XVIII° siècle et jusqu’en 1912, tous les diplomates et les représentants des puissances étrangères étaient tenus de résider dans la célèbre rue des consuls. Ils avaient ainsi facilement accès au souk aux esclaves, situé au bout de la rue, et pouvaient y acheter leurs compatriotes capturés par des pirates et vendus aux enchères. La rue des consuls a ainsi trouvé très tôt sa vocation commerciale. A partir de la fin du XVI° siècle, la ville, connue sous le nom de Salé-le-Neuf, excellait dans sa principale activité : la piraterie. Ses corsaires célèbres dans toute l’Europe sévissaient sur l’océan atlantique et jusqu’en Cornouailles. Les marins capturés étaient alors vendus comme esclaves aux puissantes familles de la région. Plus chanceux, les chrétiens devaient être rachetés par les diplomates de leur pays qui disposaient d’un budget pour ces rachats. La course en mer contre les chrétiens procurait à Salé la totalité de ses ressources et elle devint le premier port du Maroc. Salé-le-Neuf conserva son activité de piraterie et continua à faire trembler les navires étrangers pendant bien des siècles.

Nous sommes probablement à l’emplacement où était ce marché aux esclaves. A ciel découvert, dès que l’on coupe à angle droit vers les murailles et que l’on sort de la Rue Souika. C’est aussi l’endroit où l’on trouve les plus beaux tapis. Nous nous arrêtons devant ceux à larges motifs géométriques comme des peintures abstraites. Le petit homme qui tient boutique me parle de la qualité de ces œuvres d’art berbères mais à aucun moment il n’oriente la conversation sur la vente de ces magnifiques Rabat. Nous nous comprenons bien, il sent qu’il a affaire à un voyageur venu de loin dans le temps, et il me parle comme si je tenais l’échoppe de la rue d’à côté. Je lui dis que je viens du quartier de l’Aviation, que je n’y ai pas retrouvé la maison que je cherchais.


– Le Maroc avance, Rabat construit beaucoup.


J’ai eu pendant plus de cinquante ans un véritable Rabat. Il est entré dans l’appartement que j’ai encore vu il y a quelques jours, et il m’a suivi durant tous mes déménagements successifs. Je ne m’en suis séparé qu’il y a une dizaine d’années. Il était usé jusqu’à la trame. Lorsque nous l’avons acheté il avait une épaisseur de laine drue et souple à la fois de plus de cinq centimètres.

Le tapis de Rabat est une référence mondiale d’un art rarement égalé. Moins ancien que ceux issus des régions berbères, le Rabat égale en réputation les tapis d’orient. Les laines viennent toujours de France, de différentes régions du Maroc et d’Australie.

La rue des Consuls est largement ouverte sur les remparts à droite et tout au fond sur la porte des Oudaïas. Il est temps de voir une dernière fois la mer. Le ciel alterne entre le gris et quelques trouées qui laissent deviner un beau crépuscule.

Le long de la route après la grande porte de la casbah, derrière le parapet qui longe le rivage, c’est le large, avec le soleil qui descend vers l’horizon. Ce soir, les vagues viennent doucement finir leur course sur le bord des sables. Il n’y a pas de vent et une grande quiétude descend aussi sur la ville.

De l’autre côté des remparts, c’est presque la même stupeur que l’autre matin, à Salé. Le grand cimetière musulman de Rabat s’étend en pente douce, aussi vaste mais plus massif, au-delà des murs blancs de la médina, à l’extrémité ouest de la ville.

Avec toujours autant de taches de couleurs vertes et jaunes en touches légères, et s’étendant jusqu’au plus loin que le regard peut porter.

Nous redescendons dans le silence qui prélude à la fin des aventures les plus belles, avec ce mélange de tristesse et de fatigue de tout le corps d’avoir vécu dans une douce tension permanente que la fin du périple voit se répandre comme une bouderie dans les moindre de nos fibres.

Par la rue des Consuls qui commence à s’éclairer, nous traversons la médina et sortons par la porte du mellah, la dernière porte sur l’avenue Gallieni (Hassan II) avant la rive du Bou Regreg.

Puis la remontée une dernière fois de l’avenue Mohamed V. L’hôtel Gaulois est devenu dans sa patine aussi distingué qu’un palace, comme l’hôtel de la Paix, dans leur indémodable style début XX°.

Les éclairages sur l’avenue composent deux rangées lumineuses qui tracent le chemin que le regard accompagne dans son axe, jusqu’au minaret.

Durant ce dernier parcours, depuis la mer jusqu’à notre Bar du Terminus, j’ai une pensée pour ce terrain vague que je n’ai plus jamais resitué, mais que je sais fermement avoir existé quelque part entre la ruelle descendant de l’immeuble de Lucia et le débouché sur l’hôtel d’Orsay qui jouxte le Terminus, où je jouais avec un certain Kamel à des aventures fantastiques, dans les éboulis de végétations et de pierres et les arbres qui poussaient comme des orties. Ce ne peut être qu’à cet endroit où se trouve aujourd’hui une petite place sobre sans plus aucun arbre ni aucune anarchie végétale pour nourrir mon imagination.

Le Terminus nous attend avec ses avalanches de popcorn, son Médaillon, ses lumières rouges, ses salamalecs, ses entrechocs de mini bouteilles de bière, son écran où défilent des matchs que personne ne regarde, que résonne le son des années soixante et la voix cassée de Dylan, « Knock nock nockin’ on heaven’s door… »

C’est finalement au « Tajine wa Tanjia » que nous passons la dernière soirée. Deux messieurs à une table près de l’entrée en sont à leur seconde bouteille de rouge. Les lumières violentes se répandent en tournoyant sur les murs, et les chants berbères antiques ont fait place à des musiques plus conformes au Rabat d’aujourd’hui. Nous remontons une dernière fois l’avenue Moulay Youssef, fantomatique à cette heure où la nuit tombe avec le visage de la ville qui s’endort.

Mercredi 23 Mai


C’est un temps qui retient ses larmes. De gros nuages se bousculent d’un ciel annonciateur de départ, de cette couleur grise comme un rite, une symbolique de la fin de voyage.

L’hôtel est en effervescence à l’heure où se met en place la petite comédie des pourboires, quand les femmes de chambre, les serveuses et les personnels d’accueil accompagnent du regard les départs. C’est la gouvernante, plus prompte que les autres, et probablement parfaitement expérimentée, qui aura intercepté les billets laissés sur la table de nuit. « …merci, merci pour l’équipe des femmes de chambre ».

Nous restons un long moment sur un banc, face à l’immeuble de mes grands-parents, sous les gros arbres, comme si je cherchais à parler à ces absents.

Je me sens devenu comme un paquet lourd.

Du côté de l’immeuble des Phosphates, non loin de l’ancienne rue de Sète, se trouve le petit musée de l’Histoire des Civilisations, réunissant les civilisations préhistoriques, les civilisations antiques et les civilisations islamiques.

Des enfants assistent à une conférence faite d’abord en français et ensuite en arabe.

On y voit de magnifiques bronzes de Caton, de Juba II, des céramiques de plusieurs milliers d’années, de superbes Vénus ou Aphrodite, des cadrans solaires mérénides, des figurines de gazelle venues du Chellah, et ce crâne d’homo sapiens exceptionnel de l’homme de Jebel Ighoud, vieux de trois cent quinze mille ans.

 Encore très proche de nous dans l’échelle de l’humanité

Dans la rue d’à côté, un magnifique restaurant, le Koutoubia, peint de ce bleu de casbah, avec un panneau, « depuis 1956 ».

Peut-être que dans un espace de temps qu’on ne peut définir, les âmes reviendront sur les balcons, le long des rues, dans les maisons habitées, que les rides et les craquelures s’effaceront, que les témoins de mon enfance me souriront de loin.

Je suis peut-être venu pour préparer cet avenir.

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POSTLUDE


 Le douanier de l’aéroport tarde à me rendre mon passeport. Visiblement il passe alternativement son regard sur le passeport et sur mon visage :

– Vous habitez Nice ?

– Oui, comme vous voyez…

– Ah, vous savez, j’aime beaucoup Nice ! J’essaie de m’y rendre le plus souvent possible. Mon plaisir, c’est de prendre mon café du matin Place Masséna, à l’Hippopotamus.

– !!!

–  Vous habitez Nice, ah ! vous avez bien de la chance !

                                                                                                          (Fin de « Rabat »)


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27 Mars


Merveilleuse rencontre dans le temps entre le troisième Concert Royal de Couperin et les Six contrejours inspirés et renvoyés en miroir et en alternance par Gérard Pesson.

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1 Avril


Dans les rayons des librairies, il n’y a quasiment aucun récit de voyage sur le Maroc, sauf le Pierre Loti. On y trouve toutes sortes de récits sur les mers et sur les montagnes, les exploits d’alpinistes et de navigateurs. Les déserts ont aussi leurs adeptes, les soifs, les oasis, les points d’eau d’Afghanistan et de l’Asie Centrale. Probablement les lointains échos de Marco Polo. La Mer Rouge de Monfreid a même donné lieu à des feuilletons dans les années soixante. La Chine a les faveurs d’explorateurs anciens, le pôle Nord et la Terre Adélie, l’Afrique sub saharienne aussi, bien qu’on ait du mal à situer des frontières souvent mouvantes. Le Maroc offre pourtant un imaginaire infini de couleurs et de saveurs, du Delacroix grandeur nature. Il n’est qu’à longer les remparts de Rabat ou les forteresses de Marrakech, les bordures hostiles des côtes atlantiques, rien ne manque. La littérature de voyage a les faveurs des seuls sables ou de la glace hors du royaume du Maroc. On y rencontre même ces temps-ci, vers le Tibet, une « panthère des neiges ».

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Risible :


« A défaut d’une dernière cène, nous vous offrons une nouvelle scène dans notre Théâtre des franciscains »

Pub grand format :

« Créer la biodiversité qui crée la diversité ». Chercher les idéologues.

On a longtemps cru à l’existence d’un « adagio d’Albinoni ». Il s’agit en fait d’une composition de 1945, d’un certain Raimondo Giazotto qui était producteur à la RAI. Plus grave dans la supercherie, un historien italien qui fit remonter l’existence de la musique de la Marseillaise à 1782, à un concerto de Viotti, donc bien avant la date de la composition de Rouget de l’Isle. Il y a par contre, le premier mouvement du 25° concerto pour piano de Mozart qui dessine, lui, une ébauche possible de la Marseillaise…

Et puis dans le genre convaincant même des solistes et d’éminents chefs d’orchestre, comme Menuhin et Pierre Monteux, ce fameux concerto « d’Adélaïde » de Mozart qui est un faux, mais un vrai Marius Casadesus. Il fallut aller au tribunal pour rendre à chacun selon ses mensonges et ses vérités.

En fait, on nous a toujours menti ou presque. Tous les musiciens russes étaient ukrainiens : Kipnis, Richter, Gilels, Oïstrakh et mille autres. Qui sont donc les musiciens interprètes russes ? En reste-t-il ?

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Glenn Gould voulait un piano émasculé pour jouer Bach. Perahia un piano lyrique.

Peut-être Gould allait-il voir ce qui est derrière la matérialité et la neutralité de l’instrument trouvant aussi plus que d’autres sa propre lyrique de Bach.

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Lettre en réponse à une X :

L’écriture est une pratique difficile et solitaire. Ça demande pas mal d’expérience avant de composer quelque chose de présentable pour un public.

Pour raconter sa vie le mieux est de prendre période par période, de trancher en épisodes et de se concentrer sur chacun d’entre eux.

Bref, de planifier avant de commencer. Comme on nous apprenait à l’école : avoir déjà la vision d’ensemble…

Je ne pourrais pas et ne souhaite pas entretenir une correspondance avec toi.

Notre histoire est derrière nous. Elle est ce qu’elle est, et je ne souhaite pas y revenir.

Merci de me comprendre.

Mais je te souhaite sincèrement, si ce n’est une tocade, de trouver les plus belles satisfactions dans l’exercice de l’écriture.

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7 Avril


A Bernard :


Tu n’as pas écrit durant ton absence, mais tu t’es bien rattrapé. Je n’ignore plus rien de ton PC et de tes mélanges gazeux de mobylette.

Comme je découvrais ton courrier tard hier soir, je ne suis pas encore allé sur le site, j’aurai la surprise tout à l’heure de voir l’accent aigu sur l’encrée. Il y a des choses que je ne sais pas encore faire sur l’ordi comme mettre les accents sur les majuscules.

Ma fille peut encore changer d’avis et de destination. Son copain pose un sacré problème : ici, il gagne très bien sa vie. Il a des clients plein son carnet du côté de Saint Paul et des environs. Il refuse même certains chantiers. En Colombie il ne serait plus qu’un "jardinero" comme les autres et ils sont en général considérés comme peu. Sans compter un salaire qui serait dérisoire. Sans compter qu’il ne parle quasiment pas l’espagnol. La solution serait qu’ils se dirigent vers la Guadeloupe, qu’ils connaissent pour y être allés en navigateurs, mais les guadeloupéens ne les accueilleraient pas à bras ouverts. Ils sont assez réticents pour ne pas dire racistes lorsqu’il s’agit de non natifs de l’île. Donc, donc, je pense qu’Hélène passera quelques mois en Colombie où un de ses oncles l’accueillerait avec les enfants, pour qu’elle ne regrette pas de ne pas faire "cette expérience". Rodolphe les rejoindrait une fois tous les trois mois. La scolarité ne poserait qu’un problème psychologique pour les petits, puisqu’il y a une école française à Pereira. Voilà, on en est là pour l’instant.

En ce qui concerne Heidelberg et le stage linguistique de Cécilia, ce n’est plus d’actualité. Les stages de langues payés ne le sont plus que pour la langue anglaise. Donc, changement de cap. Ce sera Dublin en Juin… Londres nous y étions allés en 2018, et l’autre ville en lice était Chester, près de Liverpool. On a choisi Dublin. On pourra redescendre en car vers Cork, prendre d’autres cars pour la campagne, les moutons, les croix celtiques, les ruines grises sur fond vert etc. je compte sur tes lumières pour éclairer notre cheminement en Irlande. Mais on en reparlera.

Autre projet, la Norvège en Septembre. Ce n’est pas que ce soit le meilleur moment, mais ce projet est venu suite à un voyage que fait mon beau-frère Pablo (qui nous avait reçu à San Francisco -Sacramento-) sur toute l’Europe. Il tient à voir les aurores boréales tout au Nord de la Norvège. Il nous a proposé de l’accompagner dans cette aventure. On l’avait déjà revu vers 2017 ou 18 et on leur avait fait découvrir (avec sa nouvelle femme) les richesses cachées de la haute Provence.

Nous irions une semaine avant de les rejoindre pour faire une partie de l’itinéraire des églises en bois. Les fameuse stavkirks uniques en Scandinavie.

Tout ça évidemment ne sont que projets (fermes), mais il s’agit encore de ne pas sauter sur une mine entre temps…

J’avance, à propos de mines, comme sur des œufs dans mon récit sur Rabat. Plus lentement que pour n’importe quel autre voyage. Tu n’auras la lecture intégrale, et donc le carnet de Mars et d’avril que lorsqu’il sera achevé.

Je tiens à ne pas trahir l’esprit de ce pèlerinage et me concentre sur les moindres détails, en espérant de rien omettre, ne rien trahir…

Donc, je ne l’écris pas d’un trait, je laisse des temps de réflexion d’autant que je suis sollicité assez souvent ces temps-ci par d’autres contraintes matinales.

Un petit livre qui pourrait t’intéresser discrètement paru sur les présentoirs : "La disparition de Paris" de Didier Rykner avec photos comparées du Paris d’il y a peu et d’aujourd’hui.

Un autre sur Gustave Thibon sur la psychologie des foules.

Un énième ouvrage de Onfray, cette fois à quatre mains avec Eric Naulleau : la Gauche Réfractaire.

Encore trois jours pour connaître le nom des finalistes du marathon démocratique : et comme dans la meilleure tradition des grands shows : "And the winner is …".

… Forza Zemmour, et Marine au second tour.

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11 Avril


A Bernard :


Soirée électorale : bien sûr nous sommes déçus. Mais je compense en sachant que tu ne l’es pas.

J’ai expliqué à Y. "qu’est-ce que c’était d’aller dans un bureau de vote", il a eu un "ouh …" qui voulait dire beaucoup.

On a acheté un baby-foot qu’on a mis sur la terrasse ; On se fait des défis…

Je t’écris peu ces jours-ci, je suis concentré sur les moindres émotions concernant le récit. Je traque le détail !

J’ai peur en me relisant de voir un peu trop de toujours et de aujourd’hui, de comme avant ou de maintenant…

Je me concentre de sept heures à 8 heures et demi. C’est suffisant. Plus, ce serait de la fatigue musculaire.

Je marche, le cardio m’exhorte…

On a du mal à faire un montage de réservations en Irlande mais ça va se faire. Entre Dublin et Cork. J’essaierai, comme les clebs, de humer aux arrêts de bus, les herbes vertes, les croix celtiques des cimetières et les moutons dans les prés.

Et plus, avec de la chance.

Remercie Fabie pour le lien d’Ophélie. Nous devrions être de l’autre côté du fleuve, à 800 m de Temple Bar.

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12 Avril


Bernard :


… Zemmour est rangé pour le moment ; peut-être qu’il reviendra si Marine Le Pen est élue ? Je suis toujours pour Macron/Pécresse/Hidalgo/Bayrou (même s’il n’est pas candidat) /Jadot, et je pourrais même ajouter Mélenchon/Roussel, mais à la marge, des gens qui savent compter, c’est mieux.

A Bernard :


Tu me chagrines. Tant de candidats aussi peu fait pour s’entendre, que tu mets dans la même salade. Et que tu dis savoir compter… Bref, tu élimines ceux-là et tu gardes pour moi les deux autres dit "d’extrême-droite".

Quelle autorité médiatique s’autorise donc à décerner les brevets de fréquentabilité et de compétence morale ?

Nous irons donc en Irlande. Mais c’est une petite folie : 600 euros rien que pour l’avion en cette saison. Ce sera le caprice du printemps (de haute saison).

Je continue, comme une thérapie, pas à pas, le récit. Ce n’est plus un récit. Mais une sorte de testament sur le thème "d’on ne remet jamais ses pas dans ses propres traces".

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15 Avril


A Bernard :


Mon travail avance. Ce matin 60 lignes. Le récit avance doucement, je n’en suis qu’au matin du second jour, mais la tournure du récit sera un peu différente des autres.

J’y suis plus proche de la caméra au poing que de la vision générale. J’inclus aussi quelques dialogues savoureux qui ne s’inventent pas et ne se décrivent pas.

Hier après-midi, arrachage de dent. Ma dentiste est une vraie artiste. On ne sent pas même les craquements que fait la dent quand on force l’arrachage.

"Ouvrez les yeux, c’est terminé".

J’aime les ruines parce qu’elles se fondent dans le paysage, elles en sont le décor d’aujourd’hui. Ce sont généralement des édifices isolés (abbayes, prieurés ou châteaux dans le paysage). Mais pour les édifices "vivants" (Notre-Dame est tout de même insigne), je pense qu’il faut respecter la charte de Venise et reconstruire (si possible) à l’identique.

Notre montage hôtelier est fait ; Il n’y a plus qu’à attendre Juin.

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17 Avril


A Bernard :


Drôle de Pâques cette année. Hélène et Cécilia sont positives à la Covid. Depuis hier soir on joue à cache-cache dans la maison.

Cécilia a passé une nuit douloureuse.

J’ai d’ailleurs peut-être contracter le virus, mais je n’en sens aucun symptôme. Ou l’incubation est-elle lente.

Donc on va essayer de s’éviter. Et puis on ne verra pas les enfants. Les chocolats s’en mêlent aussi. Ils sont pollués…

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Bernard m’assure que je ne suis qu’un mammifère (omnivore tout de même), et par oxymore, que la mort, que le néant, existent. Qu’il n’y a d’ailleurs qu’un vaste océan de néant et que même les pierres seront englouties par le soleil qui sera englouti etc. M’en étais-je rendu compte ? Mais mon affreux scepticisme a des doutes sur toute ces certitudes d’athéisme scientifique.

La raison est l’illusion de toutes les illusions. Nous sommes dans un théâtre où le rideau se lèvera un jour et ôtera le voile de l’illusion.

Je suis la voie sage de Calderon… La vie est un songe…

La vieille route spirituelle de notre civilisation millénaire n’est donc qu’un leurre au regard de la certitude rationnelle. Enfin le vrai triomphe ! Noël et Pâques  désubstantialisés de leur contenu. Restent le chocolat de Pâques et les boules du sapin de Noël. On y tient plus que tout. Absurde ? Non, la tradition, la rationnelle, s’est simplement déplacée, vidée de contenu. C’est la fête et seulement la fête. Et on daigne s’en contenter.


LA VIE PLONGE DANS LE VIDE POUR ABSOLU ET INVERSEMENT


Tout a commencé par le Big Bang ? Comment l’origine de l’univers peut-elle être inaugurée par une sorte d’explosion initiale ?

Pour qu’il y ait une explosion, il faut une action contradictoire, une opposition de deux énergies qui provoquent une réaction. Donc tout d’abord de la vie. Comment prétendre à ce phénomène sans admettre que des éléments premiers, antérieurs à la réaction, soient déjà existants. Une sorte d’errance de soupe primitive stagnant antérieurement et réunissant à point nommé les conditions miraculeuses de l’explosion.

Le Big Bang serait en fait, non pas le point initial, mais l’achèvement de toutes les conditions qui vont développer avec nécessité les enchaînements qui ont donné tous les existants dans l’univers. En cela seulement, ce phénomène explosif concourt à instaurer les lois de réactions et d’enchaînements chimiques et les lois mécaniques de causalité.

L’univers jusqu’à ses confins pourra se déployer, et d’ailleurs continuent de le faire.

C’est cette causalité qui pose un problème à l’antériorité des antériorités. Dans ce jeu de poupées russes, au plus loin qu’on remonte dans l’explication du développement de la matière et, plus complexe encore, de la vie, on remonte à un X inconnu qui soulèverait l’énigme de la Création.

Parce qu’il est bien connu, et les rationalistes ne me contrediront pas, que de Rien, d’un Néant, on ne peut engendrer ni les éléments premiers, ni a fortiori l’explosion qui aurait concouru à la naissance et au développement des mondes.

L’énergie de Picasso fait passer du néant l’existence de Guernica : la création.

En sens inverse, tout ce qui a grandi, atteint les limites de ses potentialités, retournerait à ce néant dont on dit qu’il est une certitude, plus encore, une existence.

Ce qu’on ignore de la Création, de ses causes et de ses mobiles, est pareillement ignoré lorsqu’on parle de la dissolution de l’Etre dans un vide absolu, à défaut de n’avoir jamais pu creuser au-delà de ce voile de silence où chacun est amené à passer.

La voix des origines, celles de la Création ne nous ont donné aucun signe. Mais nous serions passés de rien à quelque chose. Je fais le pari qu’on traversera le même voile d’ignorance qu’on ne peut pas appeler un rien, un retour au rien, pour se situer dans une dimension qu’on aurait quittée, aujourd’hui oubliée, comme après un rêve.

Parce que je ne peux que conclure, et se seront les limites de je que je crois, comme Calderon, que la vie est un songe, et les songes mêmes, songes.

Au-delà des mystifications quelque peu mystiques des religions, de l’imaginaire ou justement de l’irrationnel, ou plutôt en en creusant sa quintessence, se situe ce quelque chose, au-delà de la suffocante Raison.

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A Bernard :


On est un peu dans les vaps mais ça frissonne moins qu’hier. Je n’ai pas eu de symptômes respiratoires, ni de toux caractéristiques. Cécilia s’en est tirée moins bien, avec pas mal de nausées, vomissements etc.

Mais quelles drôles de fêtes. On n’a pu voir les enfants. Même Hélène. Ils ont passé deux jours chez leur autre Mémé.

A part ça, il fait beau et presque chaud. Ça se refroidit le soir.

Fête du vent à Paris ? Quelque chose que j’apprécie modérément, quand je suis emmitouflé sous la couette et que l’orage rugit au loin, que les greniers grincent, que les éclairs font Jupiter, et que le château est au bord de la falaise

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19 Avril


A Bernard :

Cécilia se remet. Heureusement. Parce que moi, j’empire. Mauvaise nuit. La bête descend doucement vers la poitrine. La toux est encore sèche mais je vais passer par les mêmes phases que Cécilia.

Courbatures, douleurs diverses, pertes d’énergie. Je n’aurais pas dû sortir hier. Il faisait si beau.

Je vais me faire tester ce matin pour éviter d’avoir la quatrième dose trop rapprochée.

Donc pas de récit aujourd’hui. Mais je tiens un bon filon narratif.

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20 Avril


C’est très sérieux : on exclut avec fermeté de Wimbledon tous les joueurs russes et biélorusses.

Et Dostoïevski dans les librairies ?

Navalny, l’opposant à Poutine a pris position depuis sa prison en faveur du vote Macron. De quoi se mêle-t-il ?

Je suis étonné qu’on n’ait pas de messages appelant à voter Macron de :

            -Jésus-Christ

           -Gandhi

            -Bouddha et Lénine

           -du pape François évidemment, et de quelques autres valeureux témoins de moralité.

Le médias sont d’une impartialité…

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21 Avril


A Alain Jacquot :


Merci Alain pour ton courrier.

J’ai vu que tu m’avais appelé ce matin, mais depuis deux jours je ne me réveille que vers 8 h, ce qui est très tard pour moi, et mon téléphone devait être dans le salon.

Je suis sans force, et aujourd’hui seulement je commence à émerger. Le résultat d’un test fait hier matin a confirmé mon cas "positif".

Cet après-midi j’ai pu poursuivre mon récit sur Rabat qui sera interminable, tant je grossis la loupe sur toutes les notes éparses qui se voient grandir de détails toujours plus précis. Je me fais entomologiste de mon passé….

J’ai fermé la dernière page des lettres de Onfray et Naulleau hier soir. C’est étonnant cette coïncidence dans nos lectures. Je pense que c’est dans la direction inévitable des courants de pensées auxquels nous faisons confiance, plutôt, comme tu le dis, que ceux qui roulent pour un pouvoir aujourd’hui disqualifié et les idiots utiles qui sont dans le déni de tout réel. J’émettrais quelques réserves sur les chapitres concernant Marine Le Pen et sur les jugements portés sur son père. Je n’oublie pas que les thématiques posés dès les années 80, et les solutions préconisées par Jean-Marie Le Pen, paraissent aujourd’hui prophétiques. Ce que ne font qu’effleurer les lettres.

Eric Zemmour a porté durant cette campagne le flambeau du vieux guerrier, celui d’un choix de civilisation, qui est le socle même de toute interrogation sur l’avenir de notre France, sur le modèle à suivre, et bien entendu, il n’a pu être entendu que par ceux passés au travers du moulin à prière médiatique, féroce et sans scrupule dans l’invective gratuite (l’extrême droite etc.)

Céline disait : "on ne peut pas en vouloir aux journalistes, ils ont faim. Pour un repas ils écrivent une page de venin et vous éliminent socialement. Pour deux repas ils vous envoient à l’échafaud".

Sans état d’âme.

On en est là.

Les paratonnerres servent toujours les coquins.

Mon voyage à Rabat m’a plongé dans une sorte de psychanalyse soft, dont le trauma n’est autre que la nostalgie que je porte depuis toujours.

Nostalgie d’avoir été trop heureux ? Mais l’enfance n’est-elle pas le seul paradis à perdre ? Un paradis dont on se doit inévitablement de se défaire. Ce qui a durci les limites de mon paradis sont les contours géographiques délaissés loin durant si longtemps, sans que j’en aborde jusqu’à ce jour les rivages. Voilà pourquoi mon dernier séjour n’est pas un voyage comme les autres. Je resterais maintenant en paix, j’ai remis les pieds sur ces rives, j’y ai senti la présence et le cadre de ce qui fut, ce Cythère enfantin, cette "île joyeuse" que j’ai retrouvée dans l’état, comme après la visite d’un vieux grenier. Je peux dire, comme à la fin de l’histoire : "et tout s’est passé comme il se devait".

PS

J’ai vu le débat hier soir. Ce fut un affrontement, sinon de chars, du moins d’une armada d’arguties technocratiques.

Coups rendus pour coups rendus. Est-ce suffisant ?

A aucun moment la question fondamentale de l’avenir civilisationnel de notre pays n’a été réellement posée.

D’avoir laissé cette question dans des marges subsidiaires aura des conséquences très bientôt.

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A Bernard :


Je ne suis pas fort en informatique, mais s’il faut l’être autrement, j’en viens à des conclusions identiques par intuition et par une de mes sagesses qui n’est plus à démontrer, elle.

Il est dommage que tu n’aies pas lu mon article de la semaine passée (tu l’auras forcément très en retard, mais les preuves indubitables que j’apporte concernant l’existence de Dieu peuvent bien attendre quelques semaines).

Mais pourquoi donc fallait-il que la seule confiance en ces outils que sont les mathématiques et l’informatique, mènent à péremptoirement conclure à l’existence de Dieu ?

Avait-on besoin de ces preuves-là ?

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Dans la rubrique des disparus, il y a deux ou trois jours : Nicolas Angelich et Radu Lupu. Deux sorciers du piano. Le même jour.

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FANTAISIES


Thibaud, Cortot, Casals, deux nationalistes français et un rouge catalan pour le trio de chambre le plus célèbre du XX° siècle.

Je montre à Y. la dent arrachée que j’ai gardé pour lui faire apprécier quelle taille et quelle forme elle avait une fois enlevée.

Elle est belle, non ?

Oui, oui, maintenant remets-la.

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J’ai trouvé « Plan de Dieu », Côtes du Rhône, 15°…

Bon sang, mais c’est bien sûr !

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DE DIEU


Bernard :


… ou encore le principe à chaque effet une cause, implique que dieu existe ; un bon oui

Encore autrement dit, notre raison est un outil qui n’est pas suffisant pour comprendre le monde, et qui même, parfois, se trompe ; un bon outil mais avec ses limites

Par contre je ne comprends pas où l’informatique intervient ; je t’en dirai plus quand j’aurai la revue.


A Bernard :


Je pense avoir bien lu. Mais peut-être qu’entre nécessité logique et existence effective, il y aurait nuance, voire non concordance.

D’où la méfiance de mon intuition de soumettre à la seule raison (rassurante à bien des égards, mais peut-être aveuglante parce que justement sans faille logique et unidirectionnelle).

D’autres questions viennent à se poser : de quelle nature serait le créateur et sa création ? Comme dit Leibniz, quel plan sur la comète ? ou Voltaire affirmant sans trop de risques : Dieu simplement horloger de l’univers sans lui attribuer de sens.

Probablement qu’on peut certifier que c’est en dehors de nos catégories de bien et de mal.

Malgré tout, dans toute création il y a volonté d’extraire un sens. Dieu a-t-il créer sans volonté "nécessaire" ?

Quand Picasso fait surgir Guernica, ce n’est pas un magma informe (quoique l’exemple pris…), mais volonté de donner un visage et un sens. La Bible dit " le monde à son image".

Tu recevras ton abonnement avant mon article. Tant pis. Tu n’en seras que plus indulgent.

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(suite)

Un nouvel Onfay qui pourrait cette fois arrêter ta curiosité : "Les Anartistes"

Une surprise sur les précurseurs des précurseurs en art (Cage, Klein, Duchamp etc.).

Cet Onfray écrit donc à quel moment du jour et de la nuit ? Et même en écrivant simultanément avec les mains et les pieds, il va trop vite encore.

J’irai voir demain en librairie, dès fois que dans la nuit…

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22 Avril


A Bernard :


Le but est encore moins de lire tous les Onfray que de lire tous les Maigret si j’avais le sens absolu des fictions.

Plus sérieusement je n’ai pas lu tous les Onfray "universitaires" des débuts. Mais ceux qui inaugurent la période des trimestriels (6 ou 7 en tout), de Front Populaire, n° indispensables pour les témoignages de penseurs libres traitant de sujets sociétaux. Tu te réfèreras à chacune des thématiques et tu verras, c’est assez exhaustif. Les signatures souverainistes (c’est la devise des périodiques), mais venant de tous les côtés de la bonne volonté.

Et puis, il y a un petit jeu avec deux potes de chez Sauveur qui sont plus fans que moi. On se fait le débrief des derniers ouvrages.

Mais je lis autre chose aussi. Pas beaucoup de fictions, je ne suis pas bon public, j’ai du mal à m’emballer. Je ne lis plus la poésie des autres, elles me tombent des mains, comme la mienne doit tomber des leurs.

Je ne sais si tu as lu ce bijou ciselé qu’est "A Rebours" de Huysmans, le livre le plus faisandé (et érudit) de la littérature française. Un contre Bouvard et Pécuchet de l’Odyssée du savoir.

Un livre de l’époque que j’aime comme toi, le tournant du XX° siècle.

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23 Avril


A Bernard :


Je vois que tu doutes aussi du « Plan de Dieu ». Le viticulteur de Saint-Jeannet m’a dit que le réchauffement de la terre avait fait monter en moyenne de 1° et demi les vins à vinification égale.

Et si tu regardes les discrètes indications sur les étiquettes, un vin comme le Chateauneuf du Pape (ce n’est tout de même pas un vin à couper à l’eau) qui titrait 13° il y a trente ans (le Rhône a toujours été fort en degré), fait 14 à 14 et demi aujourd’hui. Même certains grands Bordeaux grimpent … cela n’a pas d’incidence sur la qualité gustative.

Et rassure-toi, j’en ai goûté certains, c’est tout à fait buvable. Dont ce Plan de Dieu.

Bien sûr ça cogne…

L’eau dans le vin c’est ça qui a perdu les Grecs. C’est ça qui perd toujours tout le monde.

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24 Avril


Bernard :



Onfray n’a pas écrit autant de livres que Simenon, seulement 115 compte wikipédia, alors qu’il y a déjà 103 Maigret, et plein d’autres choses, sous 27 pseudonymes (toujours wiki pour les infos !) Je me contente d’avoir balayé les Maigret, parce que c’est une lecture envoûtante, parfois ça sonne comme du Chandler, qu’il faudrait que j’aille revisiter un peu.

J’hésite à la relecture, parce que je me dis qu’ayant peu d’année encore à vivre, il serait plus astucieux de voir des choses nouvelles, et puis ce raisonnement imbécile se heurte vite à l’envie, ou plutôt au manque d’envie de nouvelles aventures, et du désir de retrouver des choses connues et appréciées : l’exploration et la nouveauté c’est pour les jeunes. D’autant qu’il y a encore plein d’ouvrages de mes auteurs favoris que je n’ai pas lus, et même des Céline inédits annoncés pour bientôt.

Par contre, l’avantage que tu as avec Onfray c’est qu’il continue d’écrire, et en quantité, tandis que Simenon s’est arrêté, hélas ; et puis ce n’était pas un bon analyste politique, juste un petit bourgeois qui vivait en Suisse : scandale !

A Bernard :


… Qui a vécu discrètement dans une rue descendante du vieux Cagnes. Il y a une plaque qui échappe souvent aux flâneurs. Pas qu’en Suisse.

A Cagnes, il y a aussi Modigliani qui a transité un moment dans une belle villa de type toscan, ou tout simplement méditerranéen, avec cyprès alentour, arcades à l’entrée etc. Il vivait bien sûr de Plan de Dieu et n’a pas passé de moments malheureux dans ces lieux-là.

La comparaison entre Simenon et Onfray s’arrête évidemment à la somme impressionnante de leurs publications. Se seraient-il appréciés au café du coin ?

Dimanche de votation. Ici c’est un temps d’abstention. Grisaille et refroidissement.

Hélas.

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25 Avril


Macron a obtenu un second mandat présidentiel. La surprise n’en était plus une depuis quelques semaines de campagne de diabolisation de son opposition. La France est heureuse, elle va pouvoir descendre dans la rue dans peu de temps.

Les Républicains ont tous rallié la bonne cause depuis le premier tour et l’islamo-gauchisme est également une ligne dont le nouveau président devra tenir compte. Les maastrichiens ont gagné. Les drapeaux européens flottaient sur le Champ de Mars en nombre plus important que les drapeaux tricolores.

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28 Avril


A Bernard :


Le virus continue de trainer à la maison. Ça se traduit par des toux grasses qui n’en finissent pas. Cécilia a repris le travail et moi mes écrits qui se trainent aussi. Le matin je suis frappé de cette peur de la page blanche. Une fois lancé c’est mieux, mais j’ai tous les jours ce sentiment que ça va coincer à un moment ou à un autre. Très désagréable sentiment. Parce que justement j’ai une idée précise de ce que doit être le déroulement de mon récit et que je crains d’en omettre des replis dans la perspective qui doit être les leurs.

Donc ça traîne…

Avril a donc été un mois maussade. Et je ne sais pas si le fait d’avoir à repartir avec le même président m’enthousiasme autant que toi.

La perspective d’une guerre généralisée me semble une folie totale. Les américains apparemment y tiennent. Nous n’avons rien à gagner. Si le plus vaste pays du monde s’allie avec le plus peuplé, nous n’existons plus. D’autre part l’Europe (fédérale) n’a aucune souveraineté ni aucune armée commune. La France a, à peu près de quoi tenir une semaine de conflit, sinon l’arme nucléaire, avant de se faire vitrifier complètement. Et c’est le pays d’Europe le mieux militarisé. Une preuve de la faillite de cette Europe technocratique est que l’Allemagne, au lieu de se fournir en avions Rafale, a préféré acheter 35 avions américains. On voit où se situe la réelle dépendance et soumission de certains.

J’attends comme toi les futurs Céline dont on parle depuis un ou deux ans. En fait j’ai repris depuis mon retour, l’ouvrage de Arnaud Tessier sur le Maréchal Lyautey.

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1 Mai


A Bernard :

 

On se remet peu à peu. Les enfants reviennent à la maison.

Une chose qui doit avoir un rapport avec le virus, ce sont les cauchemars. En quantité depuis quelques semaines. Peut-être est-ce un hasard…

Nous sommes le 1 Mai, donc la poésie va partir dans la journée.

Mais le mois d’avril a surtout été occupé par le récit, qui va lentement. Ne rien omettre, ne rien négliger.

Hier chez Sauveur on occupait quatre tables. C’est la preuve du printemps.

Le Céline est-il arrivé ?

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5 Mai


A Bernard :


Je viens de voir ton message avant de passer à la douche. Je n’ai pas pour autant perdu ma matinée puisqu’il n’est que 8h 53 et que je viens de terminer deux pages de plus du récit. Crois-moi, je ne chôme pas. J’ai besoin de travailler peu de temps mais intensément. Donc une à deux heure par matinée. J’en suis à la moitié et un peu plus. Je le redis : c’est mon testament marocain. Je ne veux pas en négliger le moindre pli.

Ta patience n’en sera que plus satisfaite à ton retour d’Italie.

J’espère qu’à part le bleu (remarqué d’Avril) la poésie se situera au niveau de janvier et de février (en qualité).

La santé s’est stabilisée. Je me sens guéri. Cécilia a encore pas mal d’embarras pulmonaire (comme un rhume qui traîne), mais on a eu le pire derrière.

Et on peut revoir les petits.

On prépare déjà l’Irlande (15° en Juin). il faudra des vêtements lourds.

Et pour la Norvège (Septembre au nord d’Oslo !) ce sera pire.

Bon séjour dans le sud. Cette année, après le Maroc, on change d’hémisphère. Pour une fois …

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La psychanalyse est-ce bête ! Je revois la formulation de Lacan sur l’amour : « Aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ».

Combien moins fade et emprunté le vers de Racine dans Bérénice : « Ne donne point un cœur qu’on ne peut recevoir ».

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6 Mai

A Bernard :

Ce n’est pas que j’associe vacance et beau temps, mais c’est quand même mieux pour faire des photos ou pour simplement profiter mieux des paysages et des sites à visiter.

La mode du soleil systématique est venue des bains de mer.

Bien sûr je sais qu’en Irlande on risque d’avoir des surprises climatiques, mais je m’y prépare. L’herbe n’en sera que plus verte.

Pour la Norvège c’est plus problématique. Nous devrions aller bien plus au Nord qu’Oslo, et là je ne sais pas si on ne rencontrera pas un froid polaire dès le mois de septembre.

Je sais aussi qu’à Salzbourg qui n’est pas si loin de nous, en septembre il y a souvent une neige impressionnante.


Le récit en est maintenant à la fin du 19 mars. Patience, on devrait vite arriver au 23. Puis point final.

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7 Mai


A Monique Ariello :

Je suis ravi que tu tentes une sortie loin de ta tanière en faisant un concours international. Les Leçons de Ténèbres sont de plus un sacré thème qui ne court pas les rues…

Je suis toujours à me débattre avec mon récit de voyage à Rabat. On pourra lire ça bientôt sur le site. Tu y retrouveras peut-être quelques éléments de souvenir.

Vers le 15 Juin nous serons en Irlande et en septembre le frère de Cécilia nous a convaincu de monter au nord de la Norvège pour les aurores boréales… Pas banal. Mais j’appréhende un peu les gros froids qui nous attendent.

Notre fille Hélène envisage de passer un an ou deux en Colombie (une lubie). Elle fera progresser son espagnol qui est déjà assez fluide.

Voilà, toujours la bougeotte. Avant que les articulations ne se rouillent…

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9 Mai

Aujourd’hui Steph aurait eu soixante-dix ans. Il est parti depuis si longtemps maintenant.

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11 Mai


A Alain Jacquot :


Je ne sais si tu es né vieux, mais quant à moi je n’ai jamais été adulte avant d’en avoir l’âge. Le ton de ce message reçu hier m’a paru venir d’une dent quelque peu dure. J’espère que ce courrier n’était pas initié par un peu de rancœur. Nous n’avons pas toujours été au même moment d’accord sur certains sujets, et je me souviens en effet d’un certain regard croisé avec Luzignant, bien que celui-ci n’était pas entendu pour les mêmes raisons. Je considérais, et peut-être encore maintenant, qu’il y avait un côté encens et rituel formel dans les 3 Petites Liturgies. Je me revois très bien dire "c’est une musique qui sent l’encens". Luzignant aurait eu une approche plus coupable puisque son jugement devait porter sur les constructions harmoniques générales de Messiaen. Mais reproche-t-on à Celibidache de détester Berlioz pour des raisons de "fautes" d’harmonie ? Le cas de Nietzsche est franchement idéologique. Plus que sa détestation d’un Schumann bourgeois, il en veut à Wagner qu’il avait toujours idolâtré, d’avoir conçu Parsifal et de revenir aux sources du christianisme. Quant à Rousseau, laissant ses six enfants à Genève pour venir défier Rameau avec son "Devin du village" et se faire le promoteur facile d’un italianisme dont l’idéal mélodique selon lui, serait " de s’endormir, bercé par les anges"Quel idéal ! Trouver le sommeil et ronfler à l’opéra…

On peut aussi en vouloir à tous ces professionnels d’ostraciser systématiquement telle ou telle version de la Damnation. Markevitch est souvent moins visé que l’Orchestre Lamoureux qui ne fait pas "sérieux" pour ces critiques qui ne prennent pas de risques en élisant dans telle tribune le LSO de C. Davis ou le dernier Gergyev. Ces renards ont de même ignoré la Mer de Celibidache avec Munich. Les exemples peuvent se multiplier.

Chopin n’est pas, comme tu sais, mon idéal de compositeur. Je n’en reconnais pas moins que certaines versions des concertos me touchent. Et nouvellement j’ai été intéressé par les seules symphonies (surtout pas les ballets) de Tchaïkovsky, la 4 surtout et la 6. Mravinsky aide beaucoup c’est vrai. Mais tu dis juste quand il s’agit de complaisance mélodique se vautrant dans un épanchement de soi en y embarquant des foules d’auditeurs. Un détail me fait sourire : personne n’a jamais relevé la relation de telle phrase de son concerto pour violon avec la chansonnette de Dario Moreno "Si tu vas à Rio", ce qui est pour le moins éloquent. Si l’on veut creuser encore, dans la troisième de Beethoven, une transition pour le moins malheureuse aurait accouché de "elle avait de tout petits petons"… Imagine-t-on une bluette inspirée de Daphnis ?

Les voies de la musique sont décidément parfois surprenantes, mais une chose est certaine : nous n’avons jamais tardé à reconnaître que Atys en 87, était l’évènement absolu d’un spectacle total qui a peut-être été égalé mais jamais dépassé depuis.

Je t’embrasse, ami, et espère en effet te voir à Nice lors de ton passage.

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13 Mai


Teresa Berganza est morte à quatre-vingt-sept ans.

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18 mai


A Jacquot :


Non, je ne me sens pas blessé parce que je sais que cette histoire de Messiaen est revenue souvent dans l’album aux souvenirs et qu’elle a pu te toucher. (Dans ton sms tu dis "je ne suis pas près d’oublier"). Par la plus grande des coïncidences j’ai ce jour-là contribué à une fausse connivence avec Jean-Louis qui a par ailleurs, comme dit ce matin, une conception toute théorique de Messiaen. Mon approche et mon ressenti sont purement instinctifs, et mes jugements sur le compositeur ont évolué les années qui ont suivi. J’ai conservé malgré tout un grand respect pour Luzignant, pour son humanité, sa discrétion, son absence d’ambition et sa profonde connaissance des œuvres. Je lui demandais un jour "pourquoi tu ne composes pas". Il m’a répondu presque gêné qu’il ne saurait faire que du mauvais Brahms. Ce dont je ne doute pas. Parce qu’il y a de brillants grammairiens qui ne sauraient faire que du "à la manière de". C’est souvent le dilemme des forts en thème qui ne connaissent bien que les règles. Qui peut le plus peut le moins. Il m’a fait aussi la confidence, mais à quelques autres aussi, que pour lui, sa zone de confort c’était Fauré. C’est dire son absence de conviction dans les musiques de notre temps. Et ce n’est pas faute de les connaître. Il avait lu avec intérêt le plan de ma dissertation sur "les clameurs, les folies dans la musique" du temps de Paradiso.

Voilà, on conservera ces petits évènements dans la malle aux souvenirs, aux propos hasardeux, et aux regards entendus on ne sait pourquoi.

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22 Mai


Ce matin le ciel est bas. Y. dort souvent chez nous dès le vendredi. Les enfants ne pourront aller à la piscine, il fait trop gris. Je décide donc de faire un long tour près du Loup en direction de la mer. Je lui montre les panneaux sur le bord des chemins, je les lui fais lire, lui explique que Villeneuve-Loubet, barré d’un trait rouge sur toute la diagonale du panneau signifie que nous sortons de la commune, il découvre aussi le chemin Auguste Escoffier, sa coiffe de cuisinier sur une photo, puis celles peintes en jaune de sa coiffe et de ses moustaches qui ponctuent sur le sol à rythme régulier la balade Auguste Escoffier menant jusqu’à sa maison natale, aujourd’hui musée qui lui est consacré. Nous rejoignons ainsi le bord de mer avec les pétarades des voitures du rallye d’Antibes Côte d’Azur. Y. est ravi, nous approchons de près les bolides en concentration derrière l’hippodrome. Je lui explique les modifications sur ces véhicules, comme les barres de protection, les échappements par deux ou par quatre. Il est fier de poser devant les voitures aux publicités multiples.

Nous refaisons le chemin inverse jusqu’à un arbre exceptionnel ou nous pénétrons sous le feuillage qui abrite à sa base tout autant qu’une cabane, par le simple déploiement de ses branches si ténues qu’elles pourraient presque protéger complètement de la pluie. Il n’a pas rechigné à faire ces neuf kilomètres sans même qu’on ait emporté une bouteille d’eau. Un vrai petit dur.

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23 Mai


A Bernard, retour de son séjour dans les Pouilles :


 Puglia, quel beau titre ! ce sera peut-être une idée pour dans quelque temps… Tu as en effet rendu un récit en une traite, et bien condensé. J’avais l’impression d’y être. Bravo.

Le sud, que ce soit en Italie ou en Espagne, c’est le cœur de la latinité.

C’est vrai aussi qu’ils affichent bien leur latinité religieuse, et souvent en grand format, quel que soit le genre. Ça peut aller de l’architecture, point de gravitation de la ville, jusqu’aux images d’Épinal doloristes et kitch.

Et puis l’olivier ! La Sicile en était truffée. Mais des oliviers à l’image du sicilien classique, trapus et courts de taille. Façonnés à l’image de ceux qui en tirent la quintessence.

Les oliviers viennent au nord jusqu’à la limite de la Provence, après c’est le Dauphiné et la délimitation d’avec le nord. On dit que la Provence s’arrête à Sisteron, après c’est un couloir assez rude qui change le visage géographique.

Pour finir avec l’olivier, il y en a un au-dessus du lycée Estiennes d’Orves (du Pub Latin), qui serait millénaire. Je l’ai décrit il y a quelques années (carnet), et de tout là-haut, du haut de ses collinettes, on a une impression de Grèce antique. On voit en tout petit un paysage large qui va jusqu’au cap d’Antibes.

Les saints ont une place importante. Le haut de l’échelle humaine, le modèle que chacun n’atteindra pas évidemment. Mais que les mamma vénèrent et proposent en exemple. D’où les images pieuses, les saints Christophe etc. Même à l’âge adulte. Et même chez les messieurs les plus bourrus.

Pendant ton séjour, on en a profité pour canoniser le saint père de Foucault, saint et martyre du désert algéro-marocain. Ils ont attendu que je revienne de Rabat. C’est sympa.

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Je viens de parcourir tout le périple photographique de Fabie. Bravo aussi. Comme toujours un reportage exhaustif et de grande qualité.

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J’en suis au début de l’après-midi du 22 mars. Comme tu vois, je vais vers la fin. Ce diable de séjour m’a donné du mal, parce qu’il est différent des autres récits : j’y travaille souvent en temps réel. Au cinéma on dirait en plan rapproché ou caméra au poing : une sorte de narration qui serre l’action de près autant que possible. Contrairement à d’autres voyages où je survole les points d’intérêt, sans autres considérations. Donc ne t’étonne pas d’y trouver des descriptions d’orientation, des successions de points cardinaux (un peu comme si je prenais le lecteur par la main) ou des longueurs descriptives. (J’ai aussi évité l’écueil du Lisbonne de Pessoa…)

La poésie de ce mois aura été plus maigre.

Je prends encore un peu mon temps. Mais quand j’en aurais fini, ce voyage si singulier sera pour toujours dans le marbre de la mémoire.

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24 Mai


Il n’est pas facile de résumer Saint Simon, ou plutôt si, après avoir évité les interminables tunnels de son œuvre, on peut cerner une idée majeure qui est de passer du gouvernement des hommes à l’administration des technologies.

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Sur une théorie des valeurs, une réflexion pour aujourd’hui et demain…


Le roseau au chêne : « je ne meurs pas, je plie mais ne rompt pas »

Le chêne au roseau : « oui, moi je meurs, mais comme un chêne »

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Un haut gradé militaire : « l’objectif de la France est de défendre en priorité et avant tout la France et pas l’Ukraine. Sur cent canons, nous en donnons trente à l’Ukraine… ». Mue par la seule morale de la solidarité avec l’agressé. Est-ce raisonnable ?

Et l’armée française c’est quatre-vingt mille soldats : le Stade de France.

Quelle voix peut-on avoir sur cet échiquier ?

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25 Mai


A Bernard :


Je parlais d’oliviers maigres à la ferme de mes grands-parents. C’est parce qu’ils étaient jeunes comme moi et que je ne les ai jamais connus que comme ça. Mais dans les plaines des environs les oliviers étaient drus et vigoureux et grimpaient bien plus haut que ceux de Sicile, vraiment trapus et disciplinés dans le sens d’une meilleure pratique de la cueillette. L’olivier c’est aussi toute la culture des pays du sud. On peut, en Espagne, parcourir du regard des champs à perte de vue sans qu’il y ait autre chose que des champs d’oliviers. Du jaune et du vert. Je te conseille, quand tu viendras par ici, d’aller aux collinettes, tu y verrais cet arbre vraiment superbe qui est tout au sommet et dans une perspective qui laisse voir très loin, jusqu’à Antibes. Il est protégé et il y a un panneau qui indique l’âge.

Le récit arrive à sa fin (j’en suis au dernier après-midi), il résiste encore comme Pénélope à la tentation de se voir achevé plus rapidement. La conclusion ne va pas être facile. Y en aura-t-il une d’ailleurs ?

Mais je suis soulagé. Il ne devrait rien manquer d’essentiel. Il devrait avoir la dimension du récit des Indes, peut-être un peu plus large.

C’est vrai que la chance et le destin ont voulu que je retourne à Rabat au moment propice. N’ayant pas, comme certains, fait des allers retours entre leur ville de naissance et le présent, ils ont ainsi banalisé et normalisé leur rapport avec leur passé. N’ayant pas fait la même démarche, par négligence ou par insouciance, ce retour a pris une dimension ulysséenne.

Je pense que pour Denis Chollet, il est peut-être temps. Mais il est probable qu’il n’a pas eu la même nostalgie de la chose.

Avec tout ça je n’ai pas eu trop de temps ni d’envie de me pencher sur les drames qui frappent. Je crois que la complexité des conflits autour de l’Ukraine ne peut se résumer de façon manichéenne comme présentée dans tous les journaux et les émissions "spécialisées » : d’un côté la bonne démocratie, de l’autre l’affreuse dictature. Comme dans tous les conflits, les enjeux en amonts du temps des belligérances sont tout autant cruciaux : (traité de Versailles dès 1918, fusées et matériels militaires otanesques aux portes de la Russie aujourd’hui) …

Pour le reste, sur le plan bien de chez nous, il sera bien temps après les élections, de faire le compte des mécontentements, des cocufiages et des contradictions d’alliances contre nature.

La poésie a été maigre ce mois-ci comme tu verras. Je n’avais pas tant la tête à ce type de concentration. J’ai même laissé s’envoler quelques beaux lambeaux par négligence.

Ce dimanche, le temps n’étant pas propice à la piscine, Y. a fait avec moi une longue balade de plus de neuf kilomètres le long du Loup. Il est résistant et ne se plaint jamais. Un vrai petit bonhomme.

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26 Mai

Le macronisme c’est l’ouverture aux Brutus et aux Rastignac dans le cercle du pouvoir.

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28 Mai


A Bernard :


Le récit est maintenant dans la box, avec le carnet à jour en date du 25 Mai. Récit clos le 27 au matin, subitement. J’ai senti qu’il n’y avait plus rien à ajouter sous peine d’alourdir.

J’avoue avoir négligé pas mal de domaines dans le carnet, ne publiant pour l’essentiel que de la correspondance, et quelques réflexions en avril, un peu éparses. Ce qui fait que toutes les effervescences relatives aux retombées électorales sont allées (heureusement ?!) à la trappe.

La poésie suivra début Juin. Elle est maigre mais assez compact à première vue.

Pour en revenir au récit, tu verras des différences dans ma courte post face :

1) C’est vrai que je considère qu’un voyage est terminé quand je l’ai "embaumé" si tu permets l’expression. Mais c’est vrai aussi, et Rabat n’y échapperas pas, je me réserve la possibilité de modifier ou d’ajouter des parties ou des détails durant un certain temps (le temps d’une certaine spontanéité). C’est aussi vrai qu’un récit n’est pas non plus momifié pour autant, et continue d’être vivant.

2) La lecture de Rabat est un peu différente de mes autres textes : j’utilise des plans longs, des plans séquence dit-on au cinéma. Je fais durer parfois, au risque de l’ennui pour le lecteur, le dédale des lieux et évènements, ne gommant pas le mouvement lui-même de l’action (la description d’un lieu à partir du taxi par exemple, le cheminement d’un point à un autre pour donner au mouvement lui-même la valeur d’une séquence mémorable), ce qui revient à suivre le mouvement lui-même comme une respiration. Au risque de plus de longueur, là où je survolais des évènements dans d’autres récits de voyage. Parfois la transition est brutale. C’est la première fois que j’écris comme on penserait la matière d’un film. Mais peut-être que tout ça n’est que théorique et que tu daigneras trouver dans ce texte une certaine fluidité, ce qui est finalement le but.

3) Je parlais de conclusion possible hier. Tu n’y trouveras qu’une pirouette, courte et spontanée. Et anecdotiquement vraie…

Le texte de préambule, les explications de ce pèlerinage étant assez longs et les motivations claires au début du récit, il n’a pas été nécessaire d’alourdir par une conclusion tirant en longueur.

Voilà. En espérant ton indulgence pour cet écrit un peu à part.

La chaleur est arrivée subitement et fatigue les organismes. Faut-il associer santé et régime alimentaire ? La santé me semble être le fruit d’un capital génétique remontant aux générations d’une lignée ou de la double lignée qui aboutit avec soi en dernier wagon. C’est un peu la même chose que de considérer l’acquis et l’inné. L’acquis peut très vite entamer l’inné par l’insolence qu’on aurait d’user de cette santé. Mais parfois il y a des miracles, des comportements quasi suicidaire (abus en tous genres) qui résistent à la logique d’érosion de ce capital santé. On espère tous en être, on espère surtout vivre comme on en a envie. Certains s’économisent et attrapent des maladies fatales. D’autres brûlent leur santé par tous les pores et vivent comme des miraculés.

A consommer sans modération :        brocolis

                                                                     sardines à l’huile

                                                                       kiwis

                                                                      épinards

                                                                       mangues

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31 Mai


Le dernier jour d’une décade. Demain soixante-dix ans…

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5 Juin


C’est avec quelques jours de retard que l’on fête mon anniversaire. Mais qu’on le fête avec la dignité qui sied maintenant à ce grand âge. Avec toute ma petite famille. Rien n’aura manqué, pas même les superbes photos où figurent mes petits-enfants, Hélène et Cécilia autour du patriarche assis en bout de table. La roue tourne, je suis maintenant du côté de ceux qui se laissent faire, qui profitent de tout ce petit bonheur d’être au centre de cet évènement grave que d’avoir atteint le chiffre du début d’une nouvelle décade à venir.

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6 Juin


A Bernard :


Je vois que tu vis ta pleine vie de gentleman farmer avec les vaches dans le pré mais aussi Maupassant et Flaubert, et Proust qui aura, même si on ne le considère pas entièrement comme normand, réussi le tour de force de convertir la ville de Illiers en Illiers-Combray. Ce qui lui vaut bien un brin de normanditude comme tu dis.

Moi, parmi les œuvres "normandes", ce serait Salammbô que je relirais bien au rythme d’une fois tous les deux ans. Pour l’ampleur de la fresque. Monumentale. "Cétait à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardin d’Hamilcar". Ça commence comme ça, et ça continue tout pareil.

Hier matin j’étais chez Sauveur avec quelques-uns du dimanche. En principe je n’y vais jamais les dimanches. Et à la table d’à côté un grand blond avec tout un attirail de voyage, sac à dos, cheveux longs et des yeux tout britanniques qui me demande une explication d’un Gaston Leroux : "pourquoi est-il écrit "je crains de ne pouvoir vous accompagner, plutôt que "je crains de ne pas pouvoir vous accompagner ?" Emotion. Surémotion dans les rangs ! j’ai dû expliquer que c’était pareil, et que la langue française avait des caprices et que Leroux avait utilisé une tournure plus littéraire. Le gaillard était irlandais, alors tu penses, on a remis le coup à boire. C’est ainsi chez Sauveur. Il ne se passe pas un jour qu’il y ait une table voisine qui s’agglutine à la mienne. Parfois pour une rencontre éphémère. On a pu parler de Glendalough. Ce doit donc être à une vingtaine de km au sud de Dublin comme je le pensais. Et puis quand j’ai parlé de ma crainte de la pluie, il a eu, je ne sais pourquoi (et pas je ne sais pas pourquoi), un vrai rire en forme de fusée…

Il est reparti avec son Gaston Leroux comme il était venu.

Samedi nous avons donc fêté mon nouvel âge qui se voit entrer dans une zone ouverte comme un boulevard, avec ma petite tribu au complet. Ce fut bien réussi. J’ai le privilège maintenant de laisser aux autres le soin d’organiser, de décider et de choisir le cours des évènements. Je me laisse porter par la vague. C’est un petit côté patriarche.

Côté lecture, je suis moins littéraire que toi en ce moment. Je lis "L’archipel français" de Jérôme Fourquet. Une vision assez juste de l’évolution sociétale de la France. Très structurée et pleine de tableaux, de pourcentages et de statistiques qui trahissent bien l’origine du politologue sondeur professionnel.

Je viens à peine de finir mon récit que je vais devoir me préparer au suivant. Cécilia prend l’avion dimanche prochain et je la rejoins le samedi qui suit.

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10 Juin


A Bernard :

Il n’y a rien qui ne soit déjà dans la version que tu as lue, donc la version définitive.

Ma mémoire a fonctionné comme prévu. La réalité a même aiguisé certaines séquences (épisode de la piscine, les plages).

L’épisode du Nain Bleu est d’autant plus extraordinaire qu’il est vrai : j’ai réellement eu cette pensée du temps qui aurait pu gommer 60 années si…

Je suis maintenant projeté vers l’Irlande. Comme Cécilia part" en éclaireur" demain vers 15 h, je me concentre sur les distances, les lieux où il faudra impérativement aller etc.

Elle aura le temps de savoir les modes de transports, les lieux, les horaires etc.

J’avoue qu’en huit jours il y aura forcément des exclusions de sites. Notamment bon nombre de "vaut le voyage" le long des falaises et des bords de mer. C’est ainsi.

On s’est concentré sur des axes éloignés les uns des autres : Dublin, Cork et Galway.

La seule (in)certitude, la pluie. L’assemblage du gris et du vert pour une fois paraît presque logique.

Je remarque que pour la première fois tu fais une lecture de récit en plusieurs fois : comme dans un vrai livre !

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A propos de J Mc Laughlin, si tu as en mémoire le carnet, j’en parle je ne sais plus quelle année, pour l’avoir reçu au conservatoire et pris un pot avec lui à la cafeteria d’en face ; il parle très correctement le français et s’est montré assez sympa. On a parlé des conditions du concert du soir et des modalités d’éclairages mis à sa disposition. Il s’est ensuite montré exigeant et pour le moins maladroit avec le personnel technique.

Sa tyrannie s’est confirmée en répétition où le pauvre bassiste noir n’arrivait pas à comprendre un contretemps (syncopé tout de même) qu’il exigeait de lui. Il était au bord des larmes. On était au bord de l’injure.

Et je peux te dire qu’il n’avait pas de manchot dans son trio. Ce détail de syncope a duré au bas mot cinq minutes.

Autre impression nettement désagréable : singeant M. Davis, ou simplement parce qu’il a joué avec lui, il a passé les trois quarts du temps du concert en tournant le dos au public.

Je préfère le souvenir du concert mémorable de San Francisco avec De Lucia et di Meola.

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Un détail encore. Si tu n’as pas encore vu ce concert de San Francisco (1980) qui dure plus de 2 heures, tu y verras ce qu’on fait de mieux en guitare.

Par contre, avec du recul, je ne peux m’empêcher de sourire devant tant de nombrilisme quand il s’agit de cet instrument. A croire que la guitare est encore considérée comme un sexe "augmenté" dans l’esprit du public (des filles). Cette immaturité me fait aujourd’hui sourire. Dans le trio Mc Laughlin, Di Meola, et De Lucia on est au comble de l’enflure technique. Du genre "tu sais faire ça ? regarde donc ce que je sais faire aussi !" et ainsi pendant deux heures. Ce qui compte c’est d’aller le plus vite possible sur le manche. Le public réagit immédiatement à celui qui en met plein la figure. C’est puéril et bien américain. Peu importe d’ailleurs les morceaux. La musique importe peu. Ce qui compte c’est de montrer au public que lui ne saurait faire ça… D’ailleurs on sort de ce type de concert assez réfrigéré. Tant de dextérité pour quoi dire ?

Avec Steph on avait vu un concert vers 71 au théâtre de Verdure, Mc Laughlin accompagnant Pharoah Sanders. Il était plus discret à l’époque.

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11 Juin


A Bernard :


Peut-être que ça t’aura échappé, mais au chapitre des marinas de Salé je pose la question de savoir si je pourrais vivre à nouveau à Rabat. Et j’y réponds. Même avec une panoramique en amont du Bouregreg, de la Tour Hassan et de la casbah tout à droite avant l’océan, la réponse est non. La chance qu’ont eu ceux qui ont vécu cette mixité de civilisations au XX°siècle, n’est plus vraiment possible aujourd’hui. D’ailleurs le flux migratoire est en sens inverse et pas souvent pour le meilleur. La cousine Mireille m’a dit que nous avons encore quelques personnes de la famille qui vivent encore là-bas, du côté de Meknès. Le Maroc est resté un pays calme, et comme je l’ai écrit, symboliquement, le rapatriement des cendres de Lyautey en 61, a été exemplaire de respect et de gratitude. C’est fou ce qui me fut donné d’occasion d’assister à des évènements historiques depuis le balcon de la "Nonina". Bien que je n’étais pas en âge de bien comprendre tout ça. J’ai fait des recoupements plus tard avec ce qu’en ont écrit les historiens.

Bien sûr je ne pouvais avoir de violence en constatant ce qui a changé. Qu’est-ce qui ne change pas ? J’ai, comme tu l’as dit, pris acte de soixante années d’absence. Paradoxalement j’ai retrouvé intacte la librairie. Miraculeusement. Jusqu’aux boiseries qui suintaient l’usure et la patine salie, et que la photocopieuse intéresse plus les clients que les livres d’art ou de philosophie. La piscine et ses naïades sont parties. Mais surtout tous ceux qui sont au ciel !

Voilà, c’est maintenant écrit, gravé et rangé pour ceux qui voudront revenir y faire un tour.

Je trouve le douanier pourtant bien précis : "Place Masséna, Hippopotamus… Ah, vous avez bien de la chance d’habiter Nice."

J’ai consigné cette dernière séquence (réelle) pour symboliquement montrer que ma vie est finalement attachée à deux villes seulement, comme un devin m’avait dit un jour "Votre ligne de vie est coupée en deux. Un évènement grave va partager votre avenir brutalement". Maintenant je sais que c’est la Caravelle "l’Orléanais" qui nous déposa un 16 juillet 64 sur l’aéroport de Nice. En deux, coupée.

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14 Juin


A Bernard :


Pour Rabat, comme pour les autres "voyage", le récit va se trouver en même temps dans le carnet, puisque c’est un évènement du 16 au 23 mars, et aussi dans "voyage" à la suite du précédent, "ciels en val de Loire".

L’idéal serait de grouper les 3 récits r’batis ensembles. Mais ce serait peut-être trop d’avoir 3 fois le même.

Donc, raisonnablement : Carnet et Voyage. Même traitement que tous les autres récits.

Et comme tu dis "Rabat/Aïn el Aouda" et "Fenêtres sur Rabat" resteraient des "souvenirs".

"Rabat", une incursion réelle dans la ville.

Je m’en vais peut-être aussi lire ce "Lieux". Y-a-t-il d’ailleurs d’autres vecteurs que de décrire le passé, le présent et de constater le terrible caillassage du temps entre les deux.

Et plus on remonte dans le passé, plus le caillassage…

Mon cousin me demandait hier des photos rares que je possède, de membre de la famille. Entre autre, l’anniversaire des 90 ans de la Nonina entourée de ses 4 filles (les 3 siennes et celle qu’elle a élevé).

Il ne reconnaissait pas un de ceux-là (le mari de celle qu’elle a élevé). Évidemment entre deux clichés, il s’était passé presque soixante années…

Je viens de ressortir "Le Livre des Tapis" de Fabio Formenton, que j’avais eu pour 2 sous aux bouquinistes de la Place du Palais. Il réussit le tour de force de parler des tapis de Turquie, du Caucase, de Perse, de Turkestan, de Chine et puis c’est tout. Chercher l’omission. Je m’en vais lui envoyer quelques-unes de mes photos…

Une parution récente chez un éditeur inconnu -totem- édite une vingtaine de chroniques de Giono parues dans "le Dauphiné, sous le titre "les Héraclides". Je n’ai pu que sauter dessus.

Cécilia est très déçue de son arrivée à Dublin. Son hébergement prévu par l’organisme du stage l’a envoyé dans un bled au nord, 2h 50 de trajet à l’aller, plus 20 minutes de marche dans Dublin. Idem au retour. Chez une logeuse que c’est pas possible tant c’est vétuste et à la limite du sale. Le chien vient même, trempé de pluie, dans les chambres des locataires. Je me dis que c’est la dernière tentative de ce type de stage. Ces conditions limites sont justes bonnes pour de jeunes étudiants dont on profite.

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16 Juin


A Bernard :


Je prends les produits de la terre comme le vent qui nous brinquebale de tous côtés ; Il y a des parfums, des saveurs à découvrir encore, des accords inédits. Comme tout le monde j’ai mes préférences, j’ai un centre de gravité culinaire, mais je sais bien m’adapter comme dit quelque part dans le dernier récit.

Je cherchais désespérément les "Lieux" de Pérec dans les rayonnages à la lettre P de toutes les librairies de Nice, et bien sûr je ne le trouvais pas. Ce n’est que ce matin que je vois qu’il est dans les "nouveautés". Pavé énorme de 600 pages peut-être. J’ai feuilleté et j’ai trouvé trop de décousu. Je ne tiendrai pas la distance. Pour des lieux qui ne me sont peut-être rien. Certes, le rapport du souvenir à la description d’un même lieu dans les zones improvisées du présent et de mémoire pure, peuvent avoir un intérêt, mais j’ai senti que je ne serai pas accroché sur une telle distance.

Donc je te laisse cet exercice de longue haleine.

Par contre (tu vas penser que je commence à manquer de perspectives), mais je me suis laissé tenter par la version poche de la bio croisée de De Gaulle/Mitterrand de Onfray dont j’avais fait l’impasse lors de la sortie en version originale. Le récit commence sur la côte sud de l’Irlande, tout près de Cork en juin 69 sur une lande ventée et déserte … C’est peut-être pour ça.

J’ai acheté un petit cahier rose presque rouge pour mon séjour. J’en ai toujours un qui correspond à une couleur allant bien avec le pays traversé. Mais le vert avait été choisi pour Florence et le Maroc dernièrement. Donc tout est chamboulé. L’essentiel est qu’il rentre dans la poche de ma veste, que je puisse dégainer facilement.

Au fait que mange-t-on en Irlande ?

J’ai oublié de te dire que vous aurez la chance, pour les cent ans de Xenakis, d’avoir à nouveau les « Polytope de Cluny » à Paris. Dans les mêmes lieux que lors des concerts de 1972 je suppose.

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A Monique Ariello :


Je suis ravi que tu lises le récit sur Rabat. J’y ai mis toute la mémoire que je pouvais conserver de ce passage de ma vie, tout le cœur que j’avais gardé de ces moments de mon enfance. J’en suis parti à l’âge de douze ans, ce qui est suffisant pour structurer une première partie de l’existence. Partir bien plus tard pose des problèmes qui ressemblent à des fractures. Partir à quatre ans comme toi, il ne reste pas grand-chose. C’est peut-être mieux. C’est peut-être dommage. Je garde de ce pays cet indéfinissable point de rupture entre la petite enfance où tout germe, et le passage à l’adolescence qui a correspondu à mon arrivée à Nice. Un jour on m’a dit "ta ligne de vie est coupée en deux, tu auras un bouleversement qui sépareras ton destin en deux". Ces balivernes, je ne les ai jamais crues, sauf que finalement, ce devait être ce fameux 16 juillet 64, quand la caravelle s’est posée sur le sol de Nice. Avec mon enfance derrière moi.

J’ai pu la revoir, par fragments, par bribes comme un archéologue attentif à la moindre rognure de trottoir, à la moindre balafre d’un mur et jusqu’à parfois ne plus rien retrouver de traces.

Les couchers de soleil sur les sables d’or sont toujours aussi jeunes.

Merci pour le lien d’avec ton site. Il y a des sculptures magnifiques que je n’avais pas vues, aussi belles que des œuvres de primitifs du Moyen-Age.

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A Bernard :


Je m’adapterais pour les poisson/pomme de terre et pour tout le reste.

Mais comment se distinguent-ils des fish/chips anglais ? Je pensais qu’ils faisaient surtout de l’agneau (mouton, brebis peut-être)

Je crains que 8 jours soient bien courts pour un tour de falaises C’est assez impressionnant. C’est même imposant pour la photographie.

J’ai déjà des vertiges.

Cécilia est logée bien plus près du centre de Dublin. Elle va mieux.

J’ai écrit "Irlande" sur mon nouveau cahier. Canines à l’air, falaises debout.

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26 Juin


Retour d’Irlande. De Dublin, Glendalough, Cork, Kinsale, Cobh, Galway et de ses environs.

Le séjour a passé comme une flèche.

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A Bernard :


Arrivés hier 25 vers minuit passée, fourbus. Mais avec beaucoup de chance. A l’aéroport de Dublin à 9 heures, nous sommes partis d’Angleterre à 21h. Tous les vols pour Nice et Lyon étaient "cancelled". Sauf le dernier. Et encore a-t-il fallu que Cécilia emploie le meilleur de son anglais pour faire convertir notre Dublin/Nice direct en Dublin/ Heathrow et Heathrow/Nice. La correspondance étant malgré tout impossible à prendre (Heathrow étant une gigantesque plateforme (4 miles à pied pour rejoindre le quai d’embarquement final. Prendre une navette nous exposait à un nouveau contrôle bagage, queues etc)). Il a fallu prendre le risque de prendre un vol 2 h avant celui qui nous était proposé. Et on a ainsi pu avoir 2 places grâce à la gentillesse d’un coordinateur qui a bien voulu prendre en compte notre souci. Mais jusqu’à l’ouverture des quais, on a eu en prime l’angoisse de l’annulation depuis Nice.

Ouf !

Je te dirai l’essentiel du séjour dans un récit qui va suivre. Je serai moins long que pour le précédent. Et c’est déjà la fin du mois. Jusqu’à quand le temps va-t-il dégringoler à cette allure ?!!

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Béatrice Martin joue une magnifique copie d’un Ruckert du XVII°. D’Anglebert et sa Suite d’Armide, et les Sauvages de Rameau. La très exubérante Marches des Scythes de Pancrace Royer.

Ce dimanche, après l’Irlande, la chaleur est suffocante.

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J’ai enfin entendu « la Cathédrale engloutie » jouée par Debussy lui-même, grâce à la mémoire des rouleaux enregistrés (1906 ? 1910 ?)

Mais qu’est-ce qu’il la joue vite !…

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IRLANDE   (18 – 25 Juin)


Samedi 18 Juin


Quelle cocagne que d’aller vers l’Irlande, même avec l’appréhension des carottes à l’eau !

Quitter une semaine pleine la canicule qui s’abat sur la France !

Prévu pour quinze heures cinquante, le vol 545 pour Dublin aura pas mal de retard. Sur les quais d’embarquement je ne comprends pas un mot de ce que disent les irlandais rentrant au pays. Derrière moi, des françaises distinguées font l’inventaire de l’Irlande, Joyce, Beckett, des pubs et de la bière.

L’avion est tout vert, et même de plusieurs verts. C’est l’élégance affichée d’Aer Lingus. Il va falloir s’habituer à cette couleur.

On va enfin quitter la chaleur étouffante. Il est dix-sept heures passées lorsque l’on décolle. Les informations à bord ne seront données qu’en anglais exclusivement durant tout le vol. Histoire de bien s’habituer à cette musique de la langue pour laquelle j’ai tant de mal. Et puis, au prix où sont les billets (quatre fois plus chers que pour Séville) …

Cécilia m’a précédé d’une semaine pour un stage d’anglais et c’est elle qui m’accueille donc à Dublin. Cette semaine n’aura pas été une sinécure. Les conditions d’hébergement ayant été désastreuses de saleté et de vacarme dans la maisonnée. Le chien de la logeuse venant même tremper la moquette infecte de sa chambre, de son pelage inondé de pluie. Le logement étant, pour achever le tableau, à deux heures de route de l’école.

Le moral n’était pas au mieux si j’en crois les premières descriptions.

Sortant d’une grande brume, l’île apparaît, grise et compacte, puis près du rivage, des îlots et des phares scintillants comme autant de loupiotes sorties de la grisaille.

Le ciel se reflète sur de grandes poches d’eau encadrant des presqu’îles. Puis c’est l’atterrissage.

A l’arrière d’un bus à étage, on déboule depuis l’aéroport à une allure insensée jusqu’au centre de la ville. Des espagnols bruyants et d’une vulgarité insigne se vautrent dans leurs éclats de voix durant le temps que le bus nous brinqueballe de gauche et de droite à en avoir le vertige sur ces larges avenues.

Le ciel est bleu. Uniformément. La ville est pavoisée, où que se pose le regard, de ces fameuses couleurs arc-en-ciel qui annoncent, au travers d’affiches, de fanions, et même encadré du drapeau d’Irlande d’un côté et celui de l’Europe de l’autre, au-devant des bâtiments administratifs, la tenue de la Gay Pride de l’année durant le week-end de la semaine prochaine. Les vitrines des commerces sont également d’un grand enthousiasme démonstratif.

La longue avenue qui mène à l’hôtel Hazelbrouk est composée de maisons de briques rouges aux entrées précédées de quelques marches d’escalier, uniformément, à rythme régulier, comme à Londres ou New-York. Nous sommes sur une parallèle de O’ Connell, une artère qui trace le cœur de la ville, et il n’y a pas un arbre. Mais des gens assis sur le bord des trottoirs, des canettes de bière vides et des détritus autour d’eux. Des enfants en haillons tournent autour de leurs mères. C’est l’Europe de l’Est, les déracinés, le Pakistan et pas mal d’Afrique. Quelques rouquins perdus, parlant seuls, une bouteille à la main. Des cris viennent trouer la disharmonie de cette Gardiner Street. C’est un peu, en raccourci, le Bronx.

Depuis Gardiner jusqu’à O’Connell, une rue étroite avec en bordure d’O’connell, une statue de pied en cap de Joyce, lunettes lucides, chapeau vissé sur le front regardant le ciel d’un air peu convaincu. Sculpture grise, se fondant aux couleurs sales des immeubles qui lui font paysage.

Et puis, longeant les murs, à pas lents, la pauvreté qui ne se cache plus.

Généralement, il y a les villes qui étourdissent, qui font peur parce qu’on ne les connaît pas, presqu’asphyxiantes, ces villes qui nous ignorent et qu’il va falloir séduire comme elles auront aussi à nous séduire. Puis, il y a celles qui éblouissent du premier coup. Celles qu’on va aimer sans comprendre. Dublin ne répond à aucune de ces deux dispositions mentales. J’imaginais une cité tentaculaire, alors que le périmètre de son centre-ville paraît appréhendable en peu de temps. Il suffira de quelques deux trois jours.

Il y a les villes qui jaillissent d’un surcroît de couleurs, de lancettes colorées et d’un costume d’arlequin au détour d’une rue, d’une allée d’arcades ou dans la perspective d’une place qui surgit soudain. Dublin est une ville où on a l’impression d’attendre le bus dans le crépuscule balafré de murs mats et décatis de ses briques rouges. Un peu provinciale, et au rythme passif d’une certaine lassitude.

La Liffey est le fleuve qui traverse la ville. Depuis un de ses ponts, au soleil couchant, les maisons brûlent ce soir dans les lointains et se reflètent sur le fil de l’eau frissonnante. Il y a un léger vent qui a déchiré les dernières velléités de nuages.

Maintenant, c’est le poumon vibrant, intense et inévitable de Temple Bar. Ses rues pavées, l’assourdissante vague des sons perceptibles de ses bistros, de ses pubs même portes closes, paraissent grossir de l’intérieur d’un trop plein de vibrations. Nous sommes sur un périmètre allant d’une rue parallèle au fleuve et couvrant simplement l’espace de quelques rues, lesquelles semblent prendre l’énergie de trente-six quartiers en quelques points névralgique de ce centre incontournable de la vie animée et dite branchée de la ville. Les rengaines électrifiées des ballades irlandaises aux guitares et aux accompagnement divers, dans la plus haute intensité du volume sonore à en fracasser les tympans, n’épargnent aucun de ces lieux ensevelis d’ombres, de bière et de corps agglutinés suintant les uns sur les autres. Une manière de défier la solitude dans l’irrespirable. Dublin s’est donné ici sa raison de dire en toute hystérie qu’elle existe, et qu’elle existe dans la plus vrombissante des manières, comme un cri et un rire essoufflé dans le fond de la nuit.

Dans la nuit des contrastes, on y côtoie les prémisses d’un Occident à bout de souffle, de hordes d’anciens vikings croisant d’autres hordes pour trinquer à tout et à rien, le temps d’éructer des mots sans suites, de gestes pathétiques, et du fracas qui se voudrait porter les signes de l’allégresse.

« …qui se tordent le cou pour mieux s’entendre rire » …

Le contraste est criant dans ce tableau où à même le sol, sans que les fêtards ne s’en émeuvent ou même ne s’en aperçoivent, des corps croupissent dans le creux d’une ruelle, presque foulés par les masses débordantes de leur ivresse. Certaines ombres s’aventurent hideusement jusqu’à faire la manche sous votre menton, aux tables des rares terrasses. Des rires jusqu’à la fureur déchirent la nuit de Temple de ces filles dénudées jusqu’à l’extrême comme des louves, laissant une impression lucide d’une lointaine Rome parvenue à son presque terme. Puis, tout aussi félins, de jeunes ombres, le capuchon relevé sur la tête aux lunettes noires qui glissent furtivement dans la nuit.

Une capitale moderne.

Un condensé de parfait carnaval qu’offre la gesticulation de ces masques fiévreux, en rangs serrés de foules bariolées, denses et fantomatiques.

Nous revenons vers l’hôtel vers vingt-trois heures. La nuit vient à peine de tomber. La Liffey a des reflets verts et rouges au-dessous de ses ponts, la circulation est encore extrêmement intense et des grappes de noctambules ne sont pas encore entré dans la gravitation vertigineuse de Temple, mais s’y précipitent avec hâte. Dublin est prise d’une frénésie de vivre.

Dimanche 19 Juin


Vers les six heures trente, sept heures, le visage de la ville est un visage encore endormi et Gardiner Street désertée en ce début de dimanche. Dublin semble nous appartenir tant elle semble délestée des dernières furies de la veille. Encore peu de circulation dans tout le centre. Le long de la Liffey, tout au loin, le long d’un quai, un magnifique voilier est accosté, un trois mât, vestige de traversées atlantiques échoué là, et recevant le premier soleil de la matinée. Sur le même quai, sous des arbres maigres, une étrange œuvre d’art composée de multiples personnages représentant « la famine », thème récurrent de cette épisode qui vit les anglais affamer les irlandais et provoquer la dernière vague migratoire de ceux-ci vers le Nouveau Monde. Ce sont des corps de métal amaigris, long et osseux, des visages creusés et des postures d’imploration. Des femmes portant des bébés dans leur bras, les yeux au ciel et des expressions de désespoir sans violence. Ce pourrait être une illustration de certaines solitudes urbaines d’aujourd’hui dans les rues de la ville.

Un peu plus au sud-ouest, en direction de Christchurch et de la cathédrale, l’animation des rues commence doucement à enfler. Sur une toute petite place, une statue de bronze, lisse, luisante et sûrement décolorée par les mains qui l’auront caressée, représente une poissonnière et sa charrette à poissons. Nous sommes à Suffolk Street. C’est l’hommage à Molly Malone. Si on évoque son nom devant un supporter de l’équipe gaélique de Dublin, il pourrait bien se mettre à chanter.

La légende dit que Molly Malone serait poissonnière le jour, et prostituée la nuit. Mais d’autres sources parlent d’elles comme d’une femme chaste. Les paroles de la chanson sont bien assez claires :


Dans la belle ville de Dublin où les filles sont jolies

J’ai pour la première fois posé les yeux sur la douce Molly Malone

Alors qu’elle poussait sa charrette

A travers les rues larges et étroites

En criant : « Coques et moules ! Fraîches, bien fraîches ! »

Dans des rues encore calmes et désertées, aux maisons de briques rouges se profile, au-dessus d’un océan de fleurs et d’abondants parterres de végétaux, la flèche de la cathédrale Saint Patrick. De style nettement anglican, elle se fond avec le ciel redevenu momentanément gris, se mariant aux taches éparses de boutons d’or, de gerbes proprement soignées et aux mauves sauvages.

Remontant vers le fleuve, l’église de Christchurch où fut donné pour la première fois le Messie de Haendel, est encore fermée à cette heure.

Nous passons, étrangement solitaires, à Trinity College d’où furent issus des gloires irlandaises de la littérature, militaires et politiques, dans un ensemble de bâtiments carrés et cossus. C’est sur la droite de l’entrée que se dresse l’immense bibliothèque qui accueille pour un temps le précieux et unique Livre de Kells dont on apercevra seulement des panneaux représentant des détails des entrelacs caractéristiques des enluminures de ce trésor médiéval roman.

C’est en longeant une large avenue, d’où partira en fin de matinée le car pour Glendalough, que se situe sur tout le flanc de celle-ci, le Saint Stephen’s Green.

Joliment aménagé, on y voit des cygnes posés comme des corbeilles sur l’herbe grasse, un héron ébouriffé qui semble s’être battu tant ses plumes sont en désordre, puis des bassins à nénuphars, des haies savamment taillées, des massifs de fleurs faisant taches sur les pelouses vertes, et au fond du jardin sous des arbres gigantesques, des bustes de Joyce et de Rabindranath Tagore.

Cécilia me montre cette découverte qu’elle a pu faire lors de son stage, juste dans le prolongement de Saint Stephen. Dans une rue longeant l’autre entrée du jardin, une façade et une entrée totalement anodine d’une église en brique d’un ocre clair, est flanquée de ce que l’histoire a retenu des quatre premières maisons victoriennes de la ville : à l’origine, les propriétaires de ces maisons étaient les seules ayant accès à ce parc naturel, jusqu’à ce que la famille Guinness en fasse l’acquisition et le dote de magnifiques infrastructures telles qu’on peut les découvrir actuellement dans l’aménagement des jardins. La famille Guinness s’étant par ailleurs montrée d’une générosité discrète auprès de multiples dublinois.

Quant à l’église, après avoir pénétré l’espace d’un long narthex assez insignifiant, l’émerveillement nous saisit par une architecture toute de lumière néo byzantine, néo ravennate, avec des colonnettes latérales surmontant une minuscule tribune à hauteur de l’autel, des murs tapissés de vitraux modernes du plus bel effet, et des scènes bibliques en bas-relief colorés.

Les départs pour Glendalough se font en fin de matinée près d’une des entrées du Parc. Nous sommes parmi les premiers à l’heure prévue. Nous rencontrons de nombreux jeunes étudiants exubérants, des colombiens et d’autres sud-américains comme on en rencontre souvent ici. Le ciel se charge de gros nuages. L’ensemble monastique se situe à une cinquantaine de kilomètres au sud de Dublin et la route est extrêmement tourmentée au travers d’une campagne verdoyante et d’un ciel maussade que ne rencontrent que de rares villages.

Puis c’est le débouché au creux d’un immense vallon mamelonné de toute part, dans l’isolement d’une nature encore vierge si ce n’était de discrets chemins balisés menant au monastère. Nous sommes au cœur du parc national des monts de Wicklow.

Glendalough est la première destination que j’avais cochée de longue date.

Juste après un bref sentier qui embrasse du regard l’ensemble du site, légèrement à l’écart d’un chemin menant aux lacs, c’est l’enchantement irlandais du vert et du minéral.

Le monastère a été fondé au VI° siècle par le saint prêtre Kevin, un ermite. Au fil du temps, de nombreux disciples et dévots vinrent le rejoindre, et étendirent Glendalough en y implantant l’ensemble nécessaire d’églises, de dépendances, propres à installer durablement un profond lieu de vie et de culture spirituelle.

L’activité du hameau dura de nombreux siècles, jusqu’en 1398, date à laquelle l’ensemble monastique fut dévasté par les Anglais, laissant ainsi de véritables ruines. Les seuls vestiges encore visibles sont ceux qui sont aujourd’hui dressés dans cet univers du bout du monde.

C’est le gris qui domine sur les vastes étendues de ce vert profond, contrepointé par le gris chargé du ciel, dont on ne sait jamais s’il menace ou s’il est sur le point de libérer la lumière.

Dès après le franchissement du petit pont, le paysage s’ouvre sur l’église ou la chapelle d’entrée, et toute une myriade de tombes dont émergent les stèles. Des stèles celtiques à la croix souvent cerclée au sommet de celle-ci. Des tombes éparses, dont on ignore presque tout puisque les inscriptions ne délivrent que peu de caractères encore lisibles pour les plus anciennes. Des tombes qui semblent signifier des morts tombés dans le désordre hasardeux du destin. Comme si elles avaient poussé spontanément au moment de la mort des moines ou de ceux qui vécurent ici.

Et de l’herbe que l’on foule sans savoir réellement si l’on marche sur de fictives allées ou sur les pierres tombales que rien ne semble séparer.

Puis au sommet de cet ensemble de tombes, comme pour souligner l’harmonie en perspective, sur ce paysage en légère pente, le très haut cylindre d’une tour ronde qu’on dit être le lieu d’entrepôt de livres rares et d’objets saints qu’on aurait érigé pour leur conservation.

Outre qu’il est étrange d’édifier pour une raison de conservation une tour de trente-trois mètres alors qu’il eut suffi de bâtir un édifice plus fonctionnel horizontalement, la forme même et l’emplacement au cœur d’un véritable cimetière, me fait plutôt penser à une lanterne des morts dominant l’ensemble du hameau et visant à veiller sur les âmes au-delà même de l’obscurité.

D’où que nos pas nous mènent dans ce périmètre de ruines, les perspectives sur les monts environnants, les lumières varient et composent des tableaux d’une grande sérénité. Les tombes elle-même créant une harmonie improvisée.

Glendalough se dit plus joliment à nos oreilles Glenn da loch, en irlandais, ce qui signifie entre deux lacs.

Et c’est sur un chemin couvert d’immenses arbres, de chênes et de hêtres que jaillit, dans la matité de la lumière, ce vert minéral et cette pierre grise mangée de mousses et de fougères, que se profile le lac du bas. Distant d’un peu plus d’un kilomètre, en léger vallonnement, le lac débouche sur un amphithéâtre en plein ciel de montagnes moyennes où les reflets de celles-ci se lisent sur les bords du lac faisant miroir. C’est à ce moment que les caprices du ciel et un vent frais viennent chasser ce qu’il restait de traînées de grisaille dans le fond des vallons. Le soleil émergeant, le visage de la nature s’en voit spirituellement transformé, les verts, les mauves des massifs de fleurs, et le ciel promenant ses dernières grosses charges de nuages compacts, ponctuent une transfiguration continue, jusqu’à alléger ce retour lumineux vers le monastère.

Revenu au cœur des ruines, le corps de l’église principale, à ciel ouvert, ne laisse de lui que les murs d’enceinte, le linteau de l’entrée principale, et l’abside en cul-de-four. L’harmonie en est d’autant plus délicate que depuis une des portes donnant sur une perspective du cimetière, une biche solitaire et farouche se glisse entre les stèles. Longtemps, elle arpentera les arbustes et les buissons sans se soucier de trop des visiteurs et des curieux, allant et venant indifférente, en toute grâce, comma faisant partie intégrante du paysage.

La lumière rend maintenant étincelants les parterres de mousses et de gazon, mouchetés de fleurs jaunes, de fleurs blanches, sous l’ombre des stèles fichées parfois de guingois, selon que les désordres du temps les auront inclinées ou laissées intactes dans le sol.

La couleur même des pierres de l’église et de tous les édifices prennent la teinte du gris vif des souris, où sous le ciel bouché à notre arrivée ce même gris se mêlait d’une nuance brune et humide comme modelée par la glaise épaisse et grasse de cette terre de Glendalough.

Le soleil décline lentement sur ces herbes éternelles quand nous quittons les ruines. L’hôtel du lieu est situé juste un peu à l’écart, sous un épais maquillage d’arbres dans un cadre propice à un séjour qui enchainerait les levers du jour et les crépuscules sur ce site enchanteur.

Nous avons parcouru plus de dix-sept kilomètres à pied depuis ce matin. C’est maintenant le retour en bus vers Dublin où les rues sont moins animées vers le parc Saint Stephen. Les avenues paraissent plus larges parce que plus désertes et le rythme du dimanche enveloppe d’une certaine somnolence le début de soirée. Nous dînons de ce fameux fish and chips baignant largement dans son gras à la fenêtre d’un restaurant qui nous fit grâce de la force de ses décibels habituels. Peut-être est-ce la trêve du dimanche soir ou le miracle d’un établissement qui respecte encore sa clientèle.

Nous passons devant la sculpture du Joyce, dans le crépuscule rougeoyant et les façades des maisons de la même teinte, dans un contre-jour lui donnant une stature dramatique inattendue.

Lundi 20 Juin


Dublin au petit matin réveille la faim des goélands dans de déchirantes stridences, affreuses et carnassières. C’est le signe que le jour s’est levé. Depuis mon lit de Villeneuve, ce sont les dialogues sages des oiseaux qui donnent les dernières recommandations aux oisillons et signifient la fin de la nuit. A Dublin, l’acier des cris lugubres et la proximité de la mer a le lever du jour plus aiguisé.

Départ pour Cork par le car de huit heures, sur les quais particulièrement négligés et sales le long de la Liffey.

L’arrivée à Cork se fait avant midi sur la place Saint Patrick qui laisse entrevoir une ville aérée, large et placide. Deux rivière parallèles sont le point de repère traversant. Notre hôtel est dans une rue calme, bordée d’arbres à l’angle d’une avenue proche du centre-ville et de la gare routière. Ça sent déjà plus le sud, un sud relatif, mais tout de même moins froid et moins gris que le matin blafard de Dublin.

L’absence de traduction en français ou en d’autres quelconques langues, autant dans les points d’informations hôteliers que dans les offices de tourismes, donne parfois de fâcheuses surprises. L’Irlande vit dans la certitude que l’anglais est universel et qu’il n’y aura aucun effort à faire envers les visiteurs de ce pays. D’autant qu’elle met un point d’honneur, paradoxalement, à traduire en gaélique la moindre indication le long des routes et sur les panneaux de circulation des villes.

Ainsi, par erreur de compréhension d’une carte de menu, je me suis vu servir un méchant amoncellement de betteraves enchâssé ou plutôt écrasé entre deux couches de pain brûlant baignant dans une harmonie improbable de sauces exotiques à manger avec les mains.

C’est depuis la fenêtre de l’hôtel qu’on avait aperçu cette charmante terrasse sur un toit, paraissant animée de dames à chapeaux léchant des glaces, de belles manières de bras pour se défendre du soleil, qu’on imaginait les meilleures intentions culinaires.

Sitôt arrivés à Cork, nous voilà partis pour Kinsale, petit port à quelques kilomètres et une trentaine de minutes d’autocar. C’est sous un soleil radieux que nous découvrons un petit havre portuaire aux maisons bariolées comme des bonbons. Une fois passée le quai, ce sont des maisons basses, rouges ou jaunes, mauves aux fenêtres bordées de bleu, qu’on s’attendrait à voir sortir les nains et Blanche-Neige, ou servir de décor à quelque dessin animé sous un soleil qu’on imagine mal être un soleil d’Irlande. On trouve même une maison jaune au portail bordé de rouge qui vend des fleurs. On sentirait presque la paille venue des champs. C’est presque trop, mais irrésistible sous cette lumière qui aurait pu être celle de Burano !

Sortis de ce périmètre exubérant, sur un promontoire nettement visible depuis les rues qui l’entoure, l’église au clocher gris et austère. Elle domine de toute sa masse mi médiévale, mi anglicane tardive, toute la baie de Kinsale. Les croix celtiques, comme à Glendalough, sont fichées en terre, pêle-mêle sur une pente douce dans l’enclos paroissial.  Une jeune fille que je n’ai pas trop osé regarder, mais que j’imagine adolescente, était allongée à l’ombre de grands arbres, faisant un décor impromptu entre deux tombes celtiques en écoutant gentiment des musiques dont quelques notes égrenées parvinrent nettement jusqu’à moi.

Nous faisons ensuite le grand tour qui longe les quais, puis les rues qui s’égrènent en divers tortillons, avec parfois un retour de ces maisons de couleurs, quelques jardins discrets et des bistros cachés aux enseignes bien affirmées. Les navires à quai sont de petits plaisanciers et le dessin que fait le bassin semble bien grand pour une si petite ville.

Au loin, très haut sur l’autre versant du port, sur une presqu’île pénétrant loin dans la mer, une maison de couleur jaune encore, attire le regard comme un poinçon dans le paysage, noyée dans une forêt indisciplinée d’arbres sombres.

La moindre virgule dans l’environnement de ce petit port devient une véritable poésie sous ce coloriage presque méridional.

Revenu face aux quais, sur la placette principale de ce cœur du port où les bistros sont au coude à coude, nous buvons quelques verres chez Edwards, aux murs également jaunes criards qui rendent plus mémorables encore les clichés de notre passage ici. Il est dix-sept heures.

J’avais prévu, pour ce passage en Irlande, cette étape de Cork où de superbes maisons de couleurs étaient alignées comme on en voit dans les rues de San Francisco. Des maisons plus modestes peut-être, mais dans des rues pentues et d’un alignement du plus bel effet. Ce n’est qu’après avoir arpenté à peu près tout le centre de la ville et demandé à un vendeur de superette ce qu’il en était de ces maisons, qu’on apprit avec surprise qu’elles n’étaient pas à Cork, mais à Cobh (que l’on prononce Cove). J’ai pensé à un moment que ces alignements pouvaient se situer sur les hauteurs de la ville, sur quelque colline, on m’a plusieurs fois confirmé, prospectus à la main, que c’était à Cobh qu’elles se trouvaient toutes.

Il s’agissait donc simplement d’un raccourci mensonger de la part des éditeurs de plaquettes publicitaires. Cork étant le centre de gravité d’activités et le lieu géographique le plus important du Sud-Est de l’Irlande, on a publié des images de la ville voisine, comme on ferait des Marinas de Villeneuve-Loubet des architectures de la ville de Nice…

La déception passée, il est décidé de nous rendre demain en direction de Cobh qui est en effet juste à quelques kilomètres de Cork.

Cork présente pourtant bien des attraits à l’heure où le soleil descend sur la ville. Des rues à petits bistros où les maisons se mirent dans les eaux des rivières. Les deux bras qui traversent la ville sont si paisibles que c’est un vrai jeu que de suivre le long des berges le reflet et les couleurs qui changent à mesure que s’amenuise la lumière. D’autres longues rues restent animées et tout paraît calme et lumineux, sans cette matité de couleurs et de décati que peut respirer Dublin.

Nous dinons sur l’une des rues où, semble-t-il, les restaurants sont concentrés entre les deux bras de rivière dans le cœur historique de la ville. Dans un pub de très belle conception, nous sommes servis sur une banquette à la lumière feutrée comme savent les composer les anglo-saxons, d’où l’on peut apercevoir au travers de parois de verres ondulées et jaunis avec la plus délicate discrétion, nos voisins proches. On nous servit, non pas un jarret de bœuf, mais semble-t-il, la cuisse entière et voire plus encore, avec des champignons des bois et de multiples autres accompagnements.

A vingt-trois heures trente, au travers de la baie vitrée de notre chambre, on peut encore voir des nuages épars sur un fond orangé et bleu les lueurs du jour qui n’a pas disparu.

Mardi 21 Juin


C’est le jour le plus long de l’année. Au réveil le vrai ciel irlandais est de retour. Tout au bout de notre rue bordées d’arbres maigres, nous rejoignons un des bras de rivière qui semble vouloir mener, tout au fond du paysage, à un clocher gothique perché sur un promontoire dominant l’ensemble. Et puis, comme tout est toujours mouvant dans le ciel du pays, à mesure que nous approchons du clocher, longeant les quais de la Lee, de belles trouées de bleu indiquent que nous n’aurons pas à craindre la pluie.

Il est indiqué, en pénétrant l’enclos de l’édifice, que le labyrinthe tracé dans l’herbe, au pied de l’abside de l’église, avec une vue dégagée sur la ville, est une réplique de celui de la Cathédrale de Chartres. Il y a d’ailleurs dans la physionomie d’ensemble de ce bel édifice une ressemblance un peu appuyée du gothique français qui trahit un chantier qu’on peut dater courant XIX° siècle. L’impression est largement confirmée lorsque on atteint le portail principal de la façade occidentale, où les saints et les apôtres aux statues colonnes et sur l’ensemble des portails font ressurgir le fantôme de Chartres. J’ai particulièrement apprécié les attitudes de certains vieillards à la posture prophétique, et surtout deux superbes vierges folles dont le dessin et le galbe se souviennent encore de la statuaire grecque.

Nous sommes à Saint Finn Barre, du nom du saint patron de Cork. Selon la tradition, et avant la fondation du monastère, le saint aurait vécu à Gougana Barra, à la source du fleuve Lee. Le nom « Fionnbarr » signifie celui qui est juste.

La cathédrale telle qu’elle apparaît aujourd’hui est une conception de l’architecte William Burges, très fidèle aux modèles du XIII° siècle, ne laissant rien de ce que fut l’édifice durant les différents chantiers qui ont précédé depuis le VII° siècle.

La partie la plus remarquable est la voûte sainte entièrement peinte, au chœur de l’église, où foisonne une profusion extraordinaire de personnage bibliques ailés et sonnant de la trompe, centrés autour de la figure du Christ qui laisse à penser qu’il s’agit d’une Jérusalem Céleste.

Pour en prendre réellement la mesure, il est presque nécessaire de se tordre complètement à quatre-vingt-dix degrés pour en obtenir une vision d’ensemble parfaite !

Revenant vers le bras le plus large de la Lee, vers le nord de la ville, les rues sont plus anciennes, certaines façades d’immeubles ont une patine et un charme indéfinissable que n’avaient pas les architectures rencontrées depuis hier. C’est probablement le cœur de Cork, avec ses boutiques vieillottes, ses balcons fleuris, avec de larges murs aveugles animés de gigantesques peintures en trompe-l’œil, rendant de la vivacité lorsque le ciel viendrait à en manquer. Le charme opère de plus belle lorsqu’on débouche sur les quais du fleuve, et comme souvent lorsqu’on ne cherche plus quelque chose, on la trouve ! Une partie des maisons de couleurs que je cherchais hier se trouvent être sur la rive opposée à la Lee et se reflète magnifiquement sur la surface du fleuve. Ce ne sont pas celles qui figurent sur les catalogues trompeurs, mais d’autres maisons plus modernes, aux chromatismes qui me firent immédiatement penser à celles qu’on peut voir sur les rives de l’Inn à Innsbruck.

Mais les « small dwells » se trouvent toujours à Cobh.

C’est sur la rive du fleuve que se situe l’arrêt de l’autocar pour Cobh.  Dans le feutré tranquille de ce car, la campagne défile parsemée de maisons, de lacs et de pierres sèches. Les horizons s’adoucissent à mesure que les nuages s’effilochent dans les lointains. Aux abords de Cobh, sur l’autre rives d’un lac, c’est une double rangée de maisons basses et de couleurs vives qui se reflètent à la surface de l’eau comme un village fantôme. Puis la route devient sinueuse, les derniers kilomètres menant à Cobh sont une véritable percée dans un paysage de collines. On y verrait bien un golf tant l’herbe est ici domestiquée. De loin on aperçoit, depuis les prémisses de la ville, le clocher pointu qui domine la ville largement arborée.

Les maisons colorées sont de simples construction de bois dans la plus belle harmonie, aux toits pointus comme dessinées par une main d’enfant. La pente est très raide depuis la première maison jusqu’à la dernière qui disparaît presque dans la perspective de la rue. Suivant l’endroit où l’on se place, on peut apercevoir dans l’arrière-plan, le clocher. Des massifs de fleurs ponctuent, à rythme régulier, la descente vers le cœur de la ville. Il y a, en effet, un petit côté San Francisco dans la profusion et l’exubérance de tant de couleurs.

Puis, c’est le débouché sur la place du petit port fortement animée. Des chalutiers sont sur les berges, des excursions se préparent pour quelque île environnante, et tout semble riant et en parfaite harmonie. Depuis la pointe d’une des jetées, on a une vision complète des quais du port et l’alignement des maisons basses dominées par l’impressionnant clocher effilé semblant trouer le ciel.

Cobh a la particularité d’entretenir la mémoire des victimes du Titanic. Cent trente-huit personnes originaires de la ville auraient péri durant le naufrage. Un musée garde la mémoire détaillée de ces évènements. Il y a même un hôtel qui porte le nom. Je suppose que toutes catastrophes  peuvent s’y produire …

Cobh est aussi une ville qui se mérite. La grimpette vers l’esplanade de l’église, après le poisson pané/frites le long des quais, est une épreuve courte mais violente. De là-haut, on domine toute la baie étroite de la ville, le port et les maisons accrochées à la colline. Une d’entre elle pourrait résumer l’identité du pays. Verte, du plus franc vert, tout en bois au toit pointu, surmontée du drapeau irlandais.

Depuis l’espace ouvert de l’esplanade défilent en sens inverse de celles vues à notre arrivée, toute une rue montante jalonnée de ses autres maisonnettes de couleurs, sur une perspective d’arbres, de jardins intérieurs et de ciels bleus criblés de nuages.

Cobh a le charme des villes de province bien peignée, dans un écrin naturel de maisons basses, d’arbres en abondance et d’une animation portuaire discrète et colorée. Une petite ville au sourire jeune et sincère. On y vivrait.

Le retour se fait par le même trajet bucolique traversé de villages dont on aperçoit surtout au bord des routes les clinquantes façades de pubs encore en sommeil.

Pour l’avoir remarqué à l’aller, et n’ayant eu le bon réflexe de préparer mon portable, je sais qu’au détour d’un certain virage, où le car devra ralentir, il y a une superbe ruine solitaire, une sorte de tour carrée, meurtrie par le temps, et dont le reflet à cette heure du jour, se dédouble sur la surface immobile d’un petit lagon.

C’est en fait aujourd’hui le jour le plus long, celui d’hier n’était que son jumeau distingué par quelques minutes de moins. Cork est encore en pleine lumière et nous ne sommes pourtant qu’au sud-est du pays.

Les rues sont uniment animées. Elles ne manquent pas de ce relief que le soleil sait donner comme une grâce sur les choses qu’il touche. Les restaurants suintent maintenant le gras le long des zones piétonnes.

Viandes de bœuf en stew

Sandwiches de bœuf au cheddar et mille précautions de sauces en tube, plus quelques autres attractions qui n’ont pas l’air pires qu’ailleurs.

Bouteille de rouge à dix-neuf euros. Bien moins qu’ailleurs.

L’Irish stew était une daube sur une variation de courge et de céleri. La bouteille d’un vin de Chili court en bouche, facturée avec surprise, trente euros :

« la bouteille à dix-neuf , comme signalée par l’astérisque, est réservée aux clients ayant préalablement consommés quatre verres au comptoir ou en salle à l’apéritif. ». On comprend et on apprécie ici les amateurs décomplexés…

Entrer parfois dans un restaurant relève d’une lecture attentive, comme par devant notaire, des conditions qui vous attendent dans les toutes petites écritures du contrat …

La nuit blanche, au sens où elle trainera sa lumière revenue jusqu’à plus de onze heures, semble cousine de ces nuits que j’ai connues au Danemark, se profilera longtemps derrière les fenêtres de la chambre en flocon épars.

Auparavant, on entend comme dans toutes les villes d’ici, rugir les sonos aux heures où surgit l’angoisse de l’âme du pays, où la voix se force à l’éraillé, les filles se contorsionnant aux accords élémentaires du blues, et les capuchons furtifs à lunettes noires arborent leur plus beau mal narcissique.

La nuit ne finit pas de finir dans cette Cork encore jeune.

Mercredi 22 Juin


1) Explosion d’angoisse vers six heures trente ce matin. Ou « ce qui se ressent d’émotion quand quelque chose d’essentiel ne se trouve plus ou s’est égaré ». Qui, conséquemment, se résume en un axiome, « Comment tout ne tient qu’à un fil » :

Nous étions rentrés le plusnormalement la veille au soir après l’épisode du « Woodford », et voilà que jetant un œil sur l’ensemble de la chambre, je ne vois plus mon sac. Ni dans le placard, ni près du lit sur le fauteuil, ni près du meuble où je prends mes notes, à aucun endroit.

La tension monte entrevoyant confusément les conséquences.

Le sac contenait l’ensemble de mes documents, la carte d’identité, les papiers de la voiture, diverses assurances, la carte bleue etc. Tout ce qui se trouve habituellement dans un portefeuille placé dans un sac à dos de ville.

« IL EST où, LE SAC ?!! »

Battements de cœur, et sueur froide s’ensuivent. Cécilia sort de la salle de bain enveloppée d’une simple serviette.

« Tu as bien regardé de partout ? …Il va falloir attendre midi. Dans ces restos ils ne doivent pas ouvrir avant … On ne pourra pas non plus prendre le bus de sept heures trente. Et puis comment retrouver l’endroit … c’était dans quelle rue ? »

Un sentiment similaire à celui que procurent les tremblements de terre vous saisit à la gorge.

Dans la rage désespérée de ceux qui agissent mécaniquement, je refais un tour des lieux. Rien dans le placard, près du meuble, du fauteuil, sous le lit…

Sans trop y croire et tout aussi mécaniquement, j’ôte mon blouson du dossier du fauteuil, et c’est de là que jaillit la petite masse noire de mon sac !  Comme un cadeau de Noël…

Comment avait-il pu se faire oublier avec tant de discrétion ?

L’épisode n’a pas duré en temps réel plus de cinq minutes.

C’est ainsi, finalement, qu’on se retrouve en tête de gondole à sept heures sur le quai de la station de car en partance pour Galway.

Ce sera le trajet le plus long, puisque quittant la côte sud-est, passant par un arrêt furtif à Limerick, histoire de réunir tous les noms de villes comprises dans la fameuse chanson de Sardou, nous serons aux portes du Connemara dans le nord-ouest quelque quatre heures plus tard, traversant toutes les nuances de changement de paysages et de variations de ciels et de passagers. Jusqu’à ceux ne parlant plus même l’anglais. Ce qui nous permit de saisir les chantonnements gaéliques absolument incompréhensibles de la langue de ceux de la terre profonde. « Au pas des chevaux »

Galway fait partie des villes dont je parlais précédemment, celles qui parlent au cœur au premier regard. Dans la lumière riante, depuis la fenêtre du car qui nous dépose à la gare, on change d’atmosphère. Le square Eyre est animé, et on sent tout autour des rues et des architectures un je ne sais quoi de désinvolture d’un climat qui sourit. Dès la sortie de la gare, une plaque de nom de rue attire mon regard : « Frenchville Lane », cela confirme comme un présage la suite que nous espérons riante aux portes de la région des lacs.

Et puis face à la gare et au parc, un pub, « Thirteen on the green ». Pourquoi miser plus loin ?

Nous voici donc installés dans les boiseries du pub où coulent à gros débit les pintes au comptoir. Des adolescentes trinquent avec d’improbables matelots, quand intervient l’épisode 2 d’angoisse foudroyante, sur le thème « PUTAIN, LES VALISES !! »

La serveuse blonde et souriante, vêtue dans un noir strict, n’a pas plutôt servi nos deux verres que Cécilia pensant déjà à l’heure qu’on nous avait indiqué pour poser nos bagages chez l’habitant, se rendit compte que nous étions les mains vides…

La serveuse blonde qui n’avait évidemment pas suivi, eut le temps d’apercevoir Cécilia courir vers l’extérieur faisant claquer les battants de porte de l’entrée. Le rythme donné à la scène dû paraître animé vue du comptoir côté serveuse.

Cinq longues minutes plus tard, Cécilia faisait à nouveau battre les battants de porte flanquée de deux valises à roulettes. Reprenant le tableau initial, nous voici à nouveau côte à côte dans le fond de nos sièges, la serveuse se demandant quel pourrait être le prochain tableau de genre.

Par chance le car était resté à quai à Frenchville Lane. Quelques minutes de trop et il se serait évanoui on ne sait où. Dans les valises il y avait mes médicaments pour la semaine, les adresses de nos futurs hébergements et de quoi ne pas finir le séjour poisseux avant le retour. « Thirteen on the green »

Sur le chemin de « Light House », nom de notre adresse chez l’habitant, la légèreté de l’air, le soleil franc et le petit bras de lagune que nous longeons tout le long d’une interminable route rectiligne, déjà un peu à l’écart du downtown, sentaient bon l’alignement des maisons individuelles.

La maison à trois niveaux, au toit pointu, est blanche comme peinte de ce matin, avec des liserés bleu-marin le long des rampes, parfaitement coquette.

L’habitant s’avère être une habitante, blonde et très walkyrie. J’ai immédiatement pensé « oui ma colonelle, bien ma colonelle ».

« Vous déposerez les clés dans cette boîte à lettres en sortant, vous poserez vos valises sous le colimaçon de l’escalier, oui, là, bien au fond, en attendant mon retour à seize heures etc. ». Malgré tout souriante.

Et puis la chambre au premier étage est soignée et lumineuse (comment ne le serait-elle pas avec une colonelle) avec une large baie vitrée donnant sur le bras de lagune, et tout au loin, sur l’autre bande de terre, des maisons basses isolées et d’incessants mouvements de goélands dans le ciel. Un petit paradis.

Revenus vers « le 13 sur le vert » et plus en haut, sur le grand Eyre Square, c’est le début de plusieurs trouées d’harmonieuses et très vivantes rues piétonnes. Les couleurs et l’air qu’on y respire sont presque méridionaux. Avec, ce qui est plus rare en Irlande, d’innombrables terrasses de cafés alignées les unes après les autres, et de magasins, dans une débauche de façades colorées et de musiciens de rue.

Tout au bout de ces rues parallèles, une grande place à l’ombre de platanes, suivie d’un pont immanquable, menant vers un autre bras de terre qui surplombe un de ces filets de mer qui vient jusque dans le cœur de la vieille ville.

En suivant le chemin découvert sur la longue jetée, le paysage se compose, de l’autre côté, d’un quai enserrant le cœur de la ville (« the Long Walk ») et ses rangées de maisons alignées dans de parfaites harmonies de couleurs au pied du bras de mer (« River Corrib »). Parfois une voile traverse ou longe entre les deux rives. Des barques isolées ajoutent à ces beautés de cartes postales en faisant un lien entre les deux rives. En longeant cette perspective sur Claddagh Quay, des criques et des replis abritent des cadavres de bateaux dont un, très émouvant, semble avoir été dépecé par les misères du temps. On y voit avec tristesse des parties entières de la coque éventrée laissant apparaître les entrailles échouées sur les galets et le travail de la rouille sur les parties métalliques. Sur une autre anse, une forme de bateau échoué a épousé à fleur d’eau, comme un caméléon, la vase et la mousse dans l’eau morte où il a terminé sa course.

Suivant certaines perspectives, des jarres de fleurs au premier plan donnent une profondeur qui marie à merveille ces éclaboussures en bouquets avec les maisons tout au fond du paysage.

Des goélands dorment sur de très vastes berges et ne craignent presque plus la présence de ceux qui approchent. L’un d’entre eux, très baudelairien, déploie largement ses ailes, prenant son envol sous la répétition des prises de vues, comme nous invitant à un autre voyage.

Une enfant, non loin de là, répète inlassablement, comme une crécelle métallique, une formule incompréhensible destinée à vendre son orangeade. Une enfant dont la mère a dû apprendre, par cet instinct dont ont été mû les migrants conquérant de l’ouest américain, le sens du commerce et la valeur de l’argent dès le plus jeune âge.

Le soir, nous jouons le même 13 sur le vert dans la salle basse au fond du pub où l’on nous sert de très roboratives viandes avant que ne viennent les violons électriques et les chanteuses de ballades.

Revenu à « the light house », au bord de cette étendue de mer qui longe Lough Atalia Road et se jette plus loin dans la mer du Nord, nous sommes depuis la large fenêtre, comme sur le bastingage d’un navire, à contempler l’horizon découvert de la bande de terre et ses maisons au loin qui s’allument progressivement comme des îlots épars, jusqu’à la nuit qui n’en finit plus de venir.

Jeudi 23 Juin


Les rideaux tirés indiquent que le ciel a changé. Le gris irlandais sur le vert des pelouses, les rangés d’arbres au bord du bras de mer semblent, avec la pluie crachotante, installé pour la journée.

« Quai Numéro 2 » à Frenchville, (c’est le gouverneur de la gare qui le dit dans la plus grande lassitude), le seul bus de la journée pour Cliffs of Moher. Les falaises les plus célèbres d’Irlande.

Départ vers onze heures trente pour une cinquantaine de kilomètres. Le bord de mer est sinueux et les arrêts sont fréquents. Pour la première fois, au sud de Galway, apparaît le nom de Keogh qui reviendra fréquemment aujourd’hui. Des fermes, des hameaux portent ce nom. Mais aussi des bouteilles de bière. Puis sur la côte découpée, dès les premiers kilomètres, ce sont les près tout à gauche, la mer souvent à flanc de falaises étant sur la droite où nous sommes positionnés. Les premiers moutons gras apparaissent dont la tête est à peine perceptible tant ils sont enveloppés de laine. Les vaches sont rousses, (au retour on en verra de toute noire !) encloses dans ces fameux près clôturés par des saillies de pierre sur des sols souvent en escalier. C’est le paysage classique. C’est l’intérieur du Burren Way qui montre son visage de tourbières, de pierres sèches et de landes infinies.

Puis la route, sans quitter le bord de mer, avance vers toujours plus de dépouillement et de landes austères et pierreuses. La nudité le dispute à l’opulence des nuages sur le vert rendu encore plus vif sous le ciel gris. Les tracteurs maculés de gras prennent souvent toute la largeur de la route sans se soucier le moins du monde de notre passage. Le plus spectaculaire se sont les bus qui se croisent, surgissant au dernier moment, jusqu’à se frôler et parfois faire entendre un méchant frottement sur leur flanc. Les conducteurs bien aguerris savent négocier ces passages frontaux qui se font au rythme du pas des chevaux.

Parfois le bus quitte le tortueux chemin de bord de mer pour rejoindre quelque village à l’intérieur des terres d’où surgit un château ou traverser une forêt inattendue tellement profonde qu’elle semble absorber toute lumière. Les paysages présentent dans leur nudité austère un certain cousinage avec le désert des Agriates, du moins ce qu’il m’en souvient, et à des percées luxuriantes de végétations bordant le chemin. Ce sont des tortillons de routes avec des maisons isolées et parfois des hameaux qui ne veulent pas mourir, des landes ventées qui respirent la cruauté de la solitude.

Au hasard du cheminement, les lieux traversés se nomment Kilgolgan, Kinvarra, Béal an Chloga, Bally Vaughan. Bien d’autres encore. On s’éloigne bien loin des vocables anglais. Béal an chloga, Kinvarra, feraient plutôt résonner, dans une archéologie des noms, une survivance du vieux viking.

Des phonèmes qui résonnent de ces contrastes de pierre et du vert étincelant des prairies.

Passé Black Head, la route ne quittera pas le front de mer et tout au loin le chapelet des îles d’Aran, les Seven Churches….

Le ciel timide hésite à se dévêtir de ses franges de gris, mais laisse poindre des trouées de bleu, de plus en plus persistantes à mesure qu’on approche des falaises de Moher.

Puis c’est l’arrivée, après Doolin quand le large plateau dénudé laisse seulement deviner la découpe du paysage.

Et enfin, la vue d’ensemble, large et sans limites jusque dans les fonds de l’horizon. D’un noir granitique, comme vomi d’un volcan, d’un vert d’Amazonie comme de larges poumons qui respireraient de toute cette mer qui frappe au creux de la pierre. Le spectacle est à une échelle échappant aux normes, et si ce n’étaient les foules en grand nombre apparaissant comme autant de fourmis, c’est à une forme d’éternité terrestre que se dégage ces fronces gigantesques plantées comme une délimitation de frontière symbolique à l’ultime de l’Ouest avant le large. Une sentinelle puissante de front géologique.

Cliffs of Moher (on Moher en gaélique) est une dentelle de falaises noires, une ciselure sereine et tout à la fois féroce, une frisure d’innombrables replis géants où l’on imagine à leurs pieds le fracas furieux des eaux qui se battent depuis la nuit des temps avec de larges reflux d’écume blanche disparaissant et revenant comme un mouvement de balancier.

La lumière crue est ingrate en ce milieu d’après-midi et impose ses contrastes le long du découpage des huit kilomètres de pénétration de ce pieu géant, à la manière d’une presqu’île. On aperçoit, en y prêtant attention, des grappes d’humains, minuscules et dérisoires le long des chemins de crêtes.

L’alternance des nuages finement peignés par des vents d’altitude et du bleu profond du ciel, brosse un cadre grandiose de puissance sereine, une perfide cruauté de dagues de pierres hostiles, à force de ne pas entrer dans les dimensions habituelles de l’échelle humaine, laissant un rien d’effroi à la pensée de vivre au rythme hors du temps de ces masses géantes et néanmoins sublimes au sens kantien.

C’est en fin de journée que la lumière caresse le mieux ces falaises. Il ne nous sera pas donné d’y voir le début de ce moment magique. On devra se contenter d’imaginer ce commencement d’agonie du jour libérant le feu des couleurs plus tranchées de la pierre et les ombres lovées dans les replis géologiques.

Avec les traînées de nuages tout à l’horizon qui en rythment et en filtrent la perspective…

C’est dans une sorte de bunker, sous une épaisse croûte de ce vert des falaises que nous reprenons notre souffle au buffet de ce bout du monde. Comme pour les enclos et les fermes des environs, les bières au nom de Keogh se déclinent dans toutes les nuances d’étiquettes de bleu, de vert ou de rouge. Et c’est une de mes pensées qui va vers Bernard, peut-être à quelque ancêtre, à quelque racine commune qu’il aurait dans ces landes étranges.


C’est vers dix-huit heures trente que ce Magical Mystery Tour, cet irish mystery tour, reprend sa route vers Galway.

J’aurai, entre temps, vu de près, sur un bord de route désert, juste avant l’arrivée du bus, non loin des falaises, ces immenses champs d’herbes désolées et battues des vents, bordés de murets de pierres rugueuses qui touchées de près laissent voir des taches rousses de mousses séchées et les angles tranchants qui donnent l’idée qu’on peut se faire d’une pierre qui vieillit lentement.

De l’eau des sources et du sel qui mange les rivages.

Par le même chemin de retour, la dramaturgie n’est plus la même. Elle est décuplée. Ce que le ciel réservait de volatile, d’impalpable et d’enveloppé d’un voile léger sous la lumière de début d’après-midi, a fait place à de profondes crevasses de ciel, de grandioses coulées blanches défilant derrière les vitres, avec les maisonnettes, les enclos de pierres, les lacs de même, reflétant l’état du ciel dans de parfaits miroirs lointains. C’est l’enchantement déjà d’un lent crépuscule de jaune et d’orangé derrière le voile épais des nuages d’arrière-scène, le rougeoiement du soleil sur un théâtre de pierre et d’eau.

Ce sont les dernières vaches, les derniers moutons du Burren Way, jusqu’au miracle du château de Dunguaire qui apparaît au détour d’un large virage, dressé dans sa tour isolée à laquelle ne manque qu’une volée d’oiseaux sortis des tourelles pour devenir une parfaite réplique d’une ruine de Walter Scott. Je parle de miracle parce que, contrairement à la surprise causée à l’aller, le château était attendu dans les parages malgré la difficulté rendue par le bus en mouvement. J’eus le temps donc d’armer et de cadrer ce crépuscule qu’aucune peinture classique n’aurait pu saisir.

Comme les falaises de Moher, Dunguaire est attendu dans le paysage irlandais parmi les plus pittoresque et les plus romantiques.

Et il était sur notre route.

En coup de vent…

Le cadrage et l’harmonie de chacun des plans furent parmi mes plus belles et plus inattendues réussites photographiques. Photos prises en rafales et presqu’en fermant les yeux.

C’est le nez derrière la vitre du bus que s’achève le défilement continu d’une lumière mélancolique, que se déploient toutes les nuance de terres, de ciels et d’eaux, et de géologies insolites, avec les plus inattendus des clichés dont il suffisait de déclencher sur tel ou tel moment du scénario continu (je dirais presque qu’il eut suffi de déclenchements aléatoires) pour obtenir les plus belles des visions de ce Burren Way crépusculaire.

Des myriades d’adolescents investissent le bus de piaillements, et de ce délicieux accents qu’ont les jeunes filles qui parlent une langue claire et presque américaine en moins impériale et moins gutturale. C’est la jeunesse qui s’en va finir la semaine dans les lumières de Galway. Nous passons à rebours sous les fenêtres de la colonelle sous une lumière qui creuse de ses premières ombres le paysage, jusqu’à rejoindre Frenchville Lane.

Restera, pour finir, avant le début de notre dernière soirée ici, un beau portrait de Cécilia sous les arbres au bord du bras de mer, au pied de notre maisonnette de Lough Atalia Road.

Sur Eyre Square , derrière les bouquets d’arbres, la façade et le auvent de tuiles noires, un peu austère du Skeffe, cache un hôtel ancien aux multiples salles, aux marqueteries de bois et un bar à chacun des deux niveaux de restaurants. De quoi donner le tournis dans un maelström de lumière subtilement distillées donnant paradoxalement l’impression de nous trouver dans un lieu intime. C’est le miracle de la personnalisation des espaces, qui tout en s’individualisant, s’imbriquent harmonieusement les uns dans les autres par le serpentin des escaliers montants, descendants, et par le jeu des lumières. C’est évidemment là que nous passerons la soirée. Le pavé de bœuf au poivre est aussi réussi que s’il avait été servi dans une brasserie parisienne.

« Vous avez deviné. Le chef a passé cinq ans à Paris. Et puis, bravo, la France est devenue numéro un au classement international de rugby. Mais je crois qu’il sera difficile de battre l’Irlande pour la Coupe du monde l’an prochain… »

Le sourire du maître d’hôtel laissait deviner un jugement hâtif. Mais nous sommes à deux pas du 13 sur le vert …

C’est sur la table ronde depuis notre grande fenêtre ouverte sur le bras de mer, les maisons qui font des petits points jaunes sous la grande lune blême, que je prends soin de noter tous les sortilèges de ce jour.

Vendredi 24 Juin


Cela devait être la virée vers Clifden, la petite ville la plus à l’Ouest au cœur du Connemara. Mais le 13 sur le vert a tourné, les nuages matinaux ont fait place à une pluie constante et froide qui ne laisse aucun doute sur la persistance d’un temps défavorable aujourd’hui.

Nous annulons sans trop de regret la dernière ballade irlandaise et comme un ennui ne vient jamais seul, l’annonce d’une grève des contrôleurs aériens sur les aéroports de France nous fait accélérer le retour vers Dublin. Et annuler aussi la dernière étape à Drogheda trop risquée.

Au revoir colonelle … C’est sous la pluie fine et tenace, sous les K Way et le vent, qu’on fait, en sens inverse, le chemin qu’on avait fait sous un soleil de printemps, goélands sur les horizons.

Après trois heures de bus sous la pluie et de rares éclaircies, ce sont de longues négociations à l’aéroport de Dublin. Notre billet est finalement validé pour un vol en début de matinée du samedi, évitant le blocage intégral du dimanche.

KALEIDOSCOPE EN MOUVEMENTS LENTS


Revoilà Dublin, ses rues grises, son ciel partagé. Nous logerons à l’Hôtel Arlington à la porte d’entrée sculptée en plis et torsades du meilleur style, d’un extraordinaire décorum de la salle d’accueil et du vaste espace du rez-de-chaussée, surement du début du siècle dernier, menant aux différentes salles à manger et aux salles de petits déjeuners aux boiseries sophistiquées. Si vaste que tout le bas de l’édifice est compris dans l’espace du pâté de maisons depuis la rue qui longe la Liffey et s’étend derrière jusqu’à la première rue parallèle au fleuve.

Mais pour l’essentiel, dès que l’on monte aux étages, le masque tombe de ces toujours affreuses moquettes épaisses et maculées.

Revoilà Dublin le long des quais qui longent le fleuve. Tout au loin, sans avoir à faire bien des efforts, c’est la flèche de Christchurch qui indique le chemin à suivre.

Il y a toujours beaucoup de roux et de rousses dans le pays. Ce n’est pas qu’une légende.

Les filles et les femmes, même d’un certain âge, ont aussi les cheveux manga. Le rose pâle est majoritaire, mais aussi le bicolore, rose et vert pomme, puis le multicolore plus hardi encore.

La Gay Pride s’annonce. Le week-end sera chaud. « Les hétéros au poteau, libérez les animaux » entend-on simultanément depuis Paris…

Les bus de la ville sont systématiquement verts, de ce beau vert « Glendalough ».

L’urbanisme de Dublin fait trop souvent penser à la méchante coulisse d’un décor de théâtre. Même dans le plus central de la ville, au bord du fleuve, peuvent déboucher à angle droit de multiples ruelles à entrepôt, des hangars qu’on ne saurait cacher au hasard des rencontres.

Plus souvent encore, dans de même ruelles ou dans des impasses, des maisons de briques essoufflées d’usure aux fenêtres noircies d’une ancienne activité ouvrière.

Dublin ne semble jamais trop éloignée de ses périphéries.

Et Joyce statufié semble lui-même dubitatif.

Dear dirty Dublin (Ulysse, septième chapitre, Eole)

Mais tout est recouvert par l’agitation du Temple Bar.

Nous y prenons un dernier verre, sur une terrasse loin du Temple lui-même, où nous sommes seuls.

« Bien sûr c’est autorisé de consommer à l’extérieur ».

Le vrombissement des basses dans le « clair » – obscur du bistro fait trembler les murs. Il est dix-neuf heures. Ce dernier verre sent le verre d’une veillée d’arme. On trinque. Dommage d’écourter le séjour.

Dublin et toute l’Irlande parlent exclusivement anglais, parfois gaélique. Même dans les aéroports, aucune traduction n’est nécessaire. Pas plus sur les menus touristiques.

Pourtant, on y rencontre beaucoup de mexicains, de sud-américains. Quelques rares français et des allemands de loin en loin et quasi silencieux. Des jeunes et puis des vieux comme nous. On se fait l’effet de parler une langue venue de loin, une langue archaïque peut-être. On a trouvé qu’un seul îlien s’essayant gentiment au français, à Kinsale. C’était au point d’information. Il en avait le souffle coupé. J’ai senti qu’il était heureux qu’on ne s’attarde pas.

Lorsque je demande qu’on me répète une phrase trop rapide, l’interlocuteur répète avec un exact même débit de phrase.

La devise de l’île pourrait être « adaptez-vous à moi, de moi à vous je ne ferai pas le premier pas »

L’Irlande est-elle une forme de Corse dans son essentialité identitaire ? Est-elle par simple principe écartelée avec sa zone du Nord ? Dans le bus, on lisait fréquemment « Belfast, 130 km, Belfast, 120 km… ». On m’a demandé s’il y avait une frontière. On m’a même dit (parmi ceux qui n’y sont jamais allés) que des murailles protégeaient les zones nord et sud une fois la nuit tombée…

Le coup du pont levis…

Nous n’aurons jamais autant voyagé en autocar. Une manière encore différente de traverser du pays. Mais sans en saisir les nuances. Comme un film qui défile sans arrêt sur image.

J’ai aimé subjectivement, comme peuvent aimer ceux qui traversent dans l’intimité des chemins parcourus dans les plus banales des promenades, ces parcours menant de Suffolk Street et Molly Mallone, montant vers William Street, puis sur la droite, Stephen Street prolongée par les maisons de Golden Lane aux briques dormantes de leur dimanche jusqu’à l’angle de Saint Patrick, côté Bridge Street. Ouf !…

 C’est là que d’un dimanche on a mesuré les belles proportions de la cathédrale bordée de ses jardins fleuris que Cécilia confondait la semaine précédente avec Christchurch.

Ai-je pris le temps d’aimer Dublin ?

L’église de Christchurch est ouverte ce vendredi. Une belle exposition d’icônes orthodoxes avec des saint Georges inévitables, une Vierge tout de blanc, de nacre et d’argent, puis des Jésus barbus le regard en coin. L’église en elle-même a le caractère des gothiques des plus tardives.

A la Cathédrale, une cohorte d’uniformes au guichet. Nous tentons le tout pour le tout : « Nous voulons entrer simplement pour prier…

– Oui, mais ce n’est possible que durant l’office, assis et sans déambuler »

– !!!  (Ligotés ?)

L’avion de neuf heure trente est annulé ce samedi. On le convertit après une heure de palabres pour un vol vers dix-huit heures trente pour Heathrow. C’est une journée commencée tôt dans l’aéroport, lourde d’incertitude jusqu’au dernier moment, jusqu’au moment où l’écran lumineux affiche le numéro d’embarquement à 19 heure 55, signe que la grève aura épargné le dernier vol de nuit vers Nice …

En gaélique le mot revenait souvent sur les autoroutes, dans les aéroports aussi, une sorte de rosebud irlandais : « AMACH »

……………………………………………………………………………………………………………………….28 Juin


A Bernard :


Pourquoi Elvis. C’est susurrant souvent, c’est très suave ostensiblement.

Maintenant on y a tous vécu des souvenirs d’enfance.

Maintenant est-ce biblique, une basse, une guitare, un piano ?

Je ne pourrais plus écouter ça, la trame semblant pour moi usée. Surtout me sentant seul à mourir.

Le récit sur Dublin a commencé hier matin. Je vais lentement, je relis souvent, je travaille comme un couturier. Je ne serais jamais un grand prolixe ni un spontané satisfait.

Je vais arriver à envier les Sylvain Tesson.

Rabat n’a pas encore été mis sur le site, à la rubrique Voyage. On pourrait oublier ce détail.

Il y a une série de Reflets dont tu as eu la primeur avant mon départ, que tu recevras quand j’aurai sélectionné les meilleures images. Ce sera pour la suite des 7 reflets.

Après les retrouvailles avec les hautes chaleurs, on annonce la pluie.

Je continue à l’ombre, les vies parallèles (De Gaulle/Mitterrand) d’Onfray. Un peu de notre adolescence.

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29 Juin


A Bernard :


Vient de paraître "l’île du couchant" de Gilbert Sinoué. Un roman qui situe son histoire au temps de la grande période du Maroc, époque de Moulay Ismaïl.

Avec une foultitude de personnages et une belle couverture représentant le fameux Delacroix qui campe le personnage du sultan que je croyais être devant une des portes du Chellah, mais la couverture corrige en disant que c’est une des portes d’enceinte de Meknès. C’est pourquoi je ne la reconnaissais pas.

Comme c’est un roman je ne sais si j’en viendrais à bout, d’autant que c’est truffé de dialogues.

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Je viens de découvrir une réelle perle de Othmar Schoeck, Elégie, qui est un ensemble de vingt-quatre lieder, sorte de pendant au Pierrot Lunaire de Schönberg, en plus libre et sans les aspérités théoriques.

L’impression dès la première écoute, (bien que je n’ai saisi que « « nachtigall » et « morgen » dans les paroles) est d’un récit onirique où l’accentuation de la voix fantomatique du baryton traverse les états d’âme les plus souples et les plus complexes. Je connaissais certains lieder de Schoeck chantés par Fisher-Diskau, mais jamais ce cycle qui lui aurait tant convenu.  Christian Gerharer est le seul aujourd’hui à pouvoir rendre les couleurs et la transcendance d’une théâtralité du dire qui croise souvent la pleine vocalité lyrique. Un chef d’œuvre ignoré.

On peut encore entendre ce magnifique Arthur Loosli qui est le seul, à ma connaissance qui ait interprété ce cycle au disque.

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30 Juin


On vient d’une génération où l’incroyance s’est définitivement installée, mais où dans chaque famille il y avait au moins quelqu’un qui restait sincèrement le dernier représentant d’une foi et d’une culture catholique, comme un témoignage d’une survivance qui allait basculer.

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2 Juillet


Dans une vitrine de la librairie Masséna : « Pourquoi les pauvres votent-ils à droite ? »

Insensiblement depuis des décennies, la gauche a déplacé son curseur idéologique. La gauche européiste et mondialiste a abandonné, à la suite de Mitterrand en 83, la défense des classes laborieuses (ce qu’on a appelé la Parenthèse, jamais refermée…), lesquelles classes laborieuses étant depuis longtemps parties chez Le Pen, père et fille.

En face, les « élites » macroniennes sont composées, en plus des valets médiatiques et de soutiens à la conception technocratiques (saint simoniennes) de « star up nations », de démolisseurs de la notion même de Nation, source de conflit disent-ils, de « refus de l’autre » et de replis sur soi.

Mais qu’en est-il de cette réalité depuis le 24 février ? La France défend d’un côté ce qu’elle s’horrifie de voir de l’autre : la nation.

La France et le monde entier se ruent pour défendre, chacun se montrant le plus zélé, « une nation et un état souverain », contre l’agression d’un autre état nation souverain. La France veut défendre le Poucet contre le méchant ogre. Mais qu’en est-il de la France dépendante de la monstrueuse administration composée de commissions européennes non élues qui dicte son ogresque et souvent kafkaïenne règle du jeu actuel ?

On entend de plus en plus de mauvaises langues dire de la France qu’elle serait la cinquantième étoile de la bannière américaine…

Une commission européenne a demandé que l’IVG soit inscrit dans le marbre de la Constitution européenne. De quoi se mêle cette Europe ? Toujours de plus en plus mêlée aux évolutions sociétales. Est-ce que la loi Veil est mise en danger ?

D’avoir signé des traités dans les années 2000, oblige-il chacun des pays à s’accorder unanimement à chaque mouvement idéologique naissant d’une même voix et d’un même chœur ?

Pourquoi donc l’Europe devrait-elle répondre d’un si bel unisson sur des sujets aussi différemment perçus dans les cultures de tels ou tels pays européens ?

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A Bernard :

Tu as donc fait une ballade condensée aux environs de Paris à une heure de distance. Pourquoi aller loin quand on a à voir à portée de main ?

Je me souviens aussi de Séraphine de Senlis, femme de chambre un peu simplette et ultra mystique, qui peignait la nuit et qui réinventait des espèces végétales comme des lanternes pour s’éclairer, comme d’autres des alphabets.

Un autre peintre, suisse je crois, dans le même ton d’égarement que Séraphine, le peintre Wölffli. Artiste rare et lui aussi interné évidemment. Ce n’est pas les alphabets qu’il réinventait mais des codes musicaux qui parsemaient son œuvre comme des guirlandes.

Je remarque que dans tes réflexions post lecture poétique tu t’arrêtes à certains textes et pas à d’autres que j’aurais pensé plus propices à attirer l’attention.

Comme quoi on est mauvais juge de ses propres écrits.

Ulysséenne, qu’en penses-tu ? j’avais préparé le titre en pensant déjà à Dublin, Ulysse, Joyce, alors que rien dans ce mois de Juin poétique n’y fait allusion, ou si peu.

Je vais me concentrer sur les "reflets" dont je t’avais parlé.

Le récit avance, peut être que vers le 15 ?? … Mais il ne faut pas trop rêver.

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3 Juillet


On est dans l’impasse à former un gouvernement capable de dégager une réelle majorité sans passer par le jeu probable des alliances improbables. C’est un peu la situation de la France avant la grande migration d’été.

Par contre certains sont reconduits dans leur ministère. Tel l’indispensable Gérald Darmanin.

Indispensable ministre de l’Intérieur, responsable d’un scandale international à quelque jours des législatives, lors de la finale au Stade de France entre les équipes de Liverpool et du Real de Madrid, d’avoir accusé, devant une commission du Sénat, les supporters anglais de fraudes au faux billet et d’avoir provoqué des désordres aux alentours du stade, ce qui n’était qu’une pure calomnie, et d’avoir par contre nié (« …échos très nauséabonds » a-t-il dit) les réelles violences, filmées en un premier temps, puis escamotées, comme dans les meilleurs gouvernements de pays vermoulus, les déferlement de hordes de racailles émanant des banlieues environnantes.

Le même Darmanin, petit-fils de harkis, s’est rendu responsable en d’autres temps pas si éloignés, d’avoir posé à Alger, une gerbe au monument des martyrs du FLN.

C’est ce genre de ministres en qui le président de la république dit avoir une entière confiance.

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4 Juillet


Fête américaine. Nationale. Verra-t-on Macron, manche de chemise blanche dans « Tutti frutti » ou « Hound Gog » entre Little Richard et Elvis Presley ?

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Pourquoi le « Florence » est-il devenu « le Flor », « La Fourchette », « The Fork » ?

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8 Juillet


A Bernard :


Tu veux dire que Onfray est plus dans le réel… "dans le siècle", mais il ne fait pas des livres mondains. Lorsqu’il parle des gilets jaunes, il fait un arrêt sur image d’une situation actuelle.

Lorsqu’il fait le portrait de Macron (Foutriquet), il remonte la généalogie du personnage.

La nef des fous est un journal de la période folle que nous avons vécu depuis 2020. Ce sera un précieux document dans 10 ans, du genre "comment avons-nous pu…"

Et ainsi de chacun de ses ouvrages. Il n’est pas bien perçu des médias d’une manière générale (Libé le situe même à l’extrême droite". Mais venant de Libé ou du Monde, qu’est-ce qui n’est pas à l’extrême droite une fois passé le centre gauche… ?

C’est étonnant que tu ne lises plus Onfray. Je me souviens d’une époque (2008 ?), tu le citais dans tes lectures indispensables. C’est l’époque où j’ai commencé à lire ses livres. Mais pas ceux qui relève d’une plus "pure" philosophie universitaire (l’hédonisme, les philosophes antiques etc.)

Il s’est installé dans le siècle, c’est vrai, mais il a une lucidité que beaucoup d’essayistes "engagés " n’ont pas.

Sartre illustre plus le philosophe dans le siècle qui a pris le risque de se tromper (la cause du peuple après l’impasse de l’être et le néant : double impasse).

Je ne suis pas cinéphile en effet. Le dernier coréen que j’ai dû voir c’est "Printemps, été, automne, hiver, printemps" de Kim Ki Duk, Çà remonte à 2004.

J’aimais bien aussi Hong Sang So. Mais je préfère les japonais (Dolls de Kitano m’a ému : je m’en inspire dans la fin du Nocturne à l’arche de Noé). Mais j’avoue que ça ne suffit pas pour être un cinéphile.

Je suis dans le récit. La chaleur m’empêche d’écrire au-delà de 10h du matin. Le récit sera plus bref que le précédent, d’autant que le voyage a été amputé de 48 h à cause des grèves.

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Dans un rayon de livres sur la musique : « Mozart était une femme ». Qu’est-ce qui n’est pas femme aujourd’hui ? Certaines ont rêvé de féminité chez Mozart. Une écrivaine l’a donc maintenant rendue fluide.

Demain Wagner ?

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10 Juillet


A Bernard :

… Je suis allé voir Sally Gabori. C’est remarquable. Je me sens parfois un peu dans cette veine.

Le Freud de Onfray a fait pas mal de bruit vers 2012. Il s’est mis à dos tout le clan des laudateurs professionnels comme Roudinesco. C’était pourtant un travail d’Histoire sur Freud, son entourage et ses méthodes. Une idole à ne surtout pas toucher dans les salons. Les femmes en raffolent. Comme dans la Vienne du début XX°.

Je te conseillais "Vies parallèles" (référence à Plutarque) parce que traitant des destins croisés de De Gaulle et Mitterrand. C’est un peu l’époque de notre fin d’adolescence. Puis Mitterrand la grande illusion des années 80.

Comme lecture d’été j’ai un "Stravinsky" de Lionel Esparza qui produit des émissions sur F. Musique. Du léger avec ces chaleurs. Une bio comme j’en ai lu cent.

Et puis ma petite chiffonnière du Sauveur m’a offert la correspondance de Flaubert (d’occasion), que certains considèrent comme son chef d’œuvre. Pratique, parce qu’on peut sauter des lettres. En ce moment je ne peux rien écouter sérieusement (sauf en voiture avec la clim) et je ne finis aucune lecture. Je peine pour mon récit. Je ne m’y consacre qu’une petite heure le matin.

Je t’ai envoyé "a kind of apocalypse", suite à une promenade à l’heure où les ombres sont démesurées vers 7 heures, à Vaugrenier. Je me suis presque fait peur dans le viseur…

On verra pour le titre définitif.

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11 Juillet


A Bernard :

On a aussi dans la commémoration de Proust le volume des Essais qui vient de paraître. Avec tous les pastiches. Indispensable.

Un pastiche que je n’ai jamais retrouvé et que j’avais eu en main est celui à la manière du Maeterlinck de Pélléas et Mélisande, "Je n’ai pas retrouvé mon porte manteau" sur la même angoisse que "je ne pourrais plus sortir de cette forêt" etc.

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Comme s’il suffisait de l’avoir écrit à Bernard ce matin, je retrouve le Pastiche de Pélléas quelques heures plus tard dans la Pléiade des Essais. Il est situé dans une partie de la Correspondance et s’adresse à Reynaldo Hahn.


… « Notre ami Proust dont les lecteurs connaissent les pastiches, a une immense admiration pour Pélléas et Mélisande. L’autre jour, il sortait d’une réunion avec un ami qui ne pouvait trouver son chapeau. Marcel Proust improvisa le duo suivant. Que le lecteur mette sous les questions la déclamation pressante, rapide, la gravité mélancolique, la mystérieuse cantilène de Debussy, et il sentira la justesse extrême de ce petit pastiche, non pas de la pièce de Maeterlinck, mais du livret de Debussy (et il y a une nuance).


PASTICHE DE PELLEAS ET MELISANDE I


Markel : Vous avez eu tort de laisser ce chapeau ! vous ne le retrouverez jamais !

Pélléas : Pourquoi ne le retrouverai-je pas… ?

Markel : On ne retrouve jamais rien … ici … pour toujours.

Pélléas : En nous en allant nous en prendrons un, qui lui ressemble !

Markel : Il n’y en a pas un qui lui ressemble !

Pélléas : Comment était-il donc ?

Markel (très doucement) :

C’était un pauvre petit chapeau comme en porte tout le monde !

Personne n’aurait pu dire de chez qui il venait … il avait l’air de venir du bout du monde … !

Pélléas : Il me semble que ma tête commence à avoir froid pour toujours. Il fait un grand froid dehors. C’est l’hiver ! Si encore le soleil n’était pas couché. Pourquoi avait-on laissé la fenêtre ouverte. Il faisait là-dedans une atmosphère lourde et empoisonnée, j’ai cru plusieurs fois que j’allais me trouver mal. Et maintenant tout l’air de toute la terre !

Markel : Vous avez, Pélléas, le visage grave et plein de larmes de ceux qui sont enrhumés pour longtemps ! Allons-nous-en. Nous ne le retrouverons pas. Quelqu’un qui n’est pas d’ici l’aura emporté et Dieu sait où il est en ce moment. Il est trop Tard. Tous les autres chapeaux sont partis. Nous ne pourrons pas en prendre un autre. C’est une chose terrible, Pélléas. Mais ce n’est pas notre faute.

Pélléas : Quel est ce bruit ?

Markel : Ce sont les voitures qui partent

Pélléas : Pourquoi partent-elles ?

Markel : Nous les aurons effrayées. Elles savaient que nous nous en allions très loin d’ici. Elles ne reviendront jamais.

PASTICHE DE PELLEAS ET MELISANDE II


Lettre à Reynaldo Hahn (peu après le 4 Mars 1911)


Mon petit Gunimuls,

Je vous remerki beaucoup de votre petite lettre, la plus gentille que j’aie jamais reçue de Gunimuls et qui m’a fait beaucoup pleurer. Je vous avais fait un joli petit pastiche de Pélléas mais je suis un peu fastiné pour vous le kospier, c’est Pélléas (Gunimuls) et Markel qui sortent de soirée, et qui ne peuvent retrouver leur chapeau. Je vous cite des petites guninelseries de ce pastiche mais il n’est gentil qu’en bloc. (Il faut chanter en même temps).

Pélléas (dans l’antichambre) : Il faisait là dedans une atmosphère lourde et empoisonnée, et maintenant –tout l’air de toute la Terre ! – (très doux) : on dirait que ma tête commence à avoir froid pour toujours.

Markel : Vous avez, Pélléas, le visage grave et plein de larmes de ceux qui sont enrhumés pour longtemps. Ne Cherchez plus ainsi. Vous ne le retrouverez jamais. On ne retrouve jamais rien –ici- Mais comment était-il ?

Pélléas : C’était un pauvre petit chapeau, comme en porte tout le monde !  On n’aurait pu dire de chez qui il venait. Il avait l’air de venir du bout du monde.

Pour qui connaît le texte d’origine, il y a là une subtile refonte de répliques originales mais sans cesse détournées dans le sens de la dérision et d’une absurdité parfaite.

Texte rare et longtemps oublié quelque part dans une vieille édition des « Pastiches et Meslanges ».

On en avait fait une lecture du temps de Jean-Louis Luzignant.

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Devant leur prolifération, la Mairie de Paris, selon l’adage qui veut que puisque nous ne pouvons faire régner l’ordre, organisons le désordre, les rats ne seraient plus ce qu’ils étaient mais, avec la bénédiction écologiste, renommés des « surmulots », sont estimés dorénavant par leur travail de rongeurs en sous-sol comme adjoints de salubrité pour la Mairie de Paris.

Parfois, inactifs, les surmulots sortent sur les grands boulevards.

Changez le nom et vous changerez la fonction.

Un cafard s’appelle aussi une coquerelle. Ce qui est également le nom du récent Président écologiste et insoumis de la Commission des Finances à l’Assemblée Nationale.

……………………………………………………………………………………………………………………..  Mais quel coiffeur pour Boris Johnson ? Il démissionne.

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12 Juillet


Juliana , comment va !

Nous avons, comme tu l’as constaté, voyagé encore cette année !

Rabat a été un choc pour moi. J’ai pu retrouver une partie de mon enfance (57 ans après…) et j’ai mesuré ce qui avait disparu pour toujours…

C’est le charme et les risques des pèlerinages.

Puis, l’Irlande au mois de Juin. Cécilia a commencé par y faire un stage de langue (elle cotise tous les ans pour ça, ce qui permet de nous retrouver ensuite à l’endroit du stage)

Il y a quelques années, c’était Londres, cette année, point de départ, Dublin. Puis Cork, et Galway. Donc la capitale, le sud-est et le nord-ouest. C’est tout ce qu’on peut ambitionner en huit jours …

J’espère que les "photo/reportage" de ces séjours t’ont plu. Le Sud et le Nord, comme le chaud et le froid…

Le récit de l’Irlande sera bientôt sur le site. Et rejoindra Rabat qui est déjà en ligne.

J’espère que ton problème informatique n’est pas trop grave et que ton adresse mail est toujours la bonne adresse ! Et que mon courrier te parviendra.

Le tien n’est toujours pas arrivé.

Voilà, j’ai été ravi t’avoir de tes nouvelles. Et bravo pour tes expositions permanentes dans ce restaurant. C’est une excellente idée d’exposer dans des lieux de grand passage.

Je t’embrasse bien fort  ……………………………………………………………………………………………………………………….

Dans ma classe de philo, Vincent Descombes était ennuyeux comme la pluie.  Que ce soit d’Aristote, Lacan et la psychanalyse, Descartes et la raison, aucune lueur ne sortait jamais de ses discours fades et mortels. Dans le débit des phrases, dans l’absence de convictions.

Bien des décennies plus tard, j’ai appris qu’il était devenu Directeur de l’Institut des Hautes Etudes de Sciences Sociales. Comment pouvait-il en être autrement ?

Comme pour Freud et la science psychanalytique, le XX° siècle a promu le social au rang de science. Descombes le timide, Descombes l’étriqué, est enfin chez lui.

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J’entendais la voix de Giono cet après-midi, une voix qui m’est familière, la voix de l’année de sa mort, 1970. Il parlait de son indifférence à la plupart des expressions artistiques de son temps. Un soir qu’il était allé à un concert pour une œuvre de Mozart, un des seuls avec Haendel qu’il eut aimé, il se sentit obligé de sortir après l’entracte, en pleine exécution de Daphnis et Chloë : « Je supportais si peu Ravel, que je préférais sortir entendre les bruits familiers de la rue qui me redonnaient vie après les affreuses dissonances que je venais d’entendre ». Giono l’écrivain du XX° siècle, le plus intimement musical qui fut, qui inclut à la fois le foisonnement mystérieux des cigales, les passions qui sentent le rance et celles qui courent sur les toits, l’austère grandeur de la Grèce antique et celles de la Provence charnelle, insensible à Daphnis ! Giono qui n’aime pas plus le cinéma auquel il aura contribué jusqu’à nous tirer des larmes et qu’il renie, y compris les grandes aventures entreprises avec Pagnol : « Oui, Angèle trouve grâce à mes yeux, mais le cinéma m’a bien vite lassé » …

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19 Juillet


La forêt brûle en Gironde depuis plusieurs jours. L’ampleur de la catastrophe est unique. Le feu présente à certains moments d’incandescence des flammes de près de cent mètres à la verticale. L’épicentre de ce gigantesque incendie se situe sur la commune de Teste-sur Buch.

Les habitants de la commune ont été prudemment évacués et autorisés ultérieurement, avec l’aide des pompiers, à venir récupérer des vêtements et des produits de nécessité immédiate.

Hélène s’amuse depuis un an ou deux à revendre par le biais d’un site de vente d’occasion, toutes sortes de vêtements ou de chaussures, revendues parfois, par effet de mode, plus chers qu’elle ne les avait achetées.

Surprenant une adresse d’une de ses acheteuses sur l’étiquette d’un colis, je pus lire ce matin avec étonnement : Madame X, Teste-sur-Buch, 341 rue Vulcain…

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21 Juillet


à Patrick Scrocco :


J’aime beaucoup la pertinence de Gabrielle Cluzel sur CNews, que je regarde comme toi.

C’est un îlot de liberté dans les débats où elle sort souvent, au grand dam de ses détracteurs, vainqueur dans ses confrontations…

Il est évidemment intolérable qu’on puisse publiquement l’agresser. Qui plus est devant ses enfants.

Mais notre pays est tombé en déliquescence. Il n’y a qu’à voir les derniers "incidents" de Lyon. Sans compter les statistiques des agressions à l’arme blanche.

Le député Ozoul a bien répondu à Dupont-Moretti que la France était devenue un coupe-gorge. Ce que je crois sans mal. Au sens propre comme au figuré. (Une agression au couteau toutes les 44 secondes).

Ce que le ministre de la Justice refuse de voir. Comme Macron, quand on dit il y a "insécurité", il répond : "pas de problème, on aligne les sous". Alors que le problème n’est pas dans l’injection permanente d’argent,

(tu en sais quelque chose avec ce qu’étaient les zones d’éducation prioritaires) mais dans le traitement du mal à la source : Quelle France veut-on pour demain ? Quels citoyens pour demain ? Quels futurs réservistes (imaginons …) dans un futur conflit ? Quelle indépendance et quelle liberté ? Et pour tout dire, quel mode de vie ??

La crise sanitaire a déjà posé quelques-uns de ces problèmes.

Autant de problèmes éludés par le Président qui est coupé du réel, mais aussi des élites européistes depuis leur deuil mitterrandien. Leur seul avenir est cette machinerie eurocratique qui pèse peu face aux colosses des nations fortes. Car, que je sache, la Chine, comme "l’affreuse Russie", et même l’Inde, sont bien des Nations !!!… Et pas des fédérations ou des conglomérats de commissions technocratiques.

Comme toi, je déplore cette misère qui s’abat sur nous tous les jours, par absence de volonté. Darmanin, le garant de notre épée de Justice, est toujours en fonction, alors que la décence aurait dû l’amener à la plus discrète des démissions… Mais on a la justice que l’on peut et l’indécence dans nos gouvernements n’a rien à envier aux états vermoulus.

J’attends comme toi la résistance de ces quelques créneaux de liberté qu’on peut encore avoir lorsque l’on reverra à la rentrée notre belle Charlotte d’Ornellas, Christine Kelly et Bock-Côté qui tire plus vite que Lucky Luke…

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A l’occasion du centenaire de la naissance de Xenakis, les éditions Actes Sud ont publié le livre de sa fille Mâkhi, « « Xenakis, un père bouleversant », qui entre pour la première fois dans l’intimité, la généalogie du compositeur, et les multiples aspects de sa vie publique.

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26 Juillet


L’été est brûlant, plus que tous les étés précédents. Les hortensias refusent de faire des pompons. Les feuilles sont calcinées pour moitié. Il n’y a que le romarin qui n’en finit pas de prendre du volume, et le palmier qui s’épanouit. Les roses trémières s’essoufflent et présentent aussi des signes de brûlures. Elles donnent cette impression des enfants malingres qui ne savent pas grandir. Il est évident que le climat de Touraine leur convient mieux. La nature souffre. Les quelques légumes plantés se font discrets.  Les tomates cerises avancent doucement, elles restent longtemps vertes et dures.

Il nous est aussi difficile de respirer à certaines heures de la journée. Vers dix-sept heures, la fournaise plombe et seuls les cigales envahissent la forêt que les oiseaux paraissent déserter. Le bassin est vide et les corbeaux, les corneilles ne passent plus par notre jardin. On n’entend que les tourterelles en fin d’après-midi qui froufroutent entre les branches de notre arbre.

C’est un été qui irait bien avec la torpeur de certaines harpes cosmiques de Xenakis, Kraanerg ou les Polytopes de Persépolis. En rêvant d’un monde fluide, d’un paradis d’eau debussyste.

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Le 12 Janvier je notais qu’un projet d’écologie politique avait été envisagé dans la forêt des landes, consistant à abattre des hectares de pins afin d’installer des centaines de milliers de capteurs solaires. Le projet avait été refusé par une commission habilitée à prendre une décision. Je notais également que la forêt introduite sur le littoral des landes n’était pas le fruit d’un projet de pure décoration ou d’esthétique bourgeoise sur ces bords de mer, mais le meilleur moyen de retenir les eaux de pluie sur une région où les orages sont souvent agressifs.

Après la catastrophe de ce mois de Juillet dans ces mêmes lieux, les professionnels de l’écologie ne saisiront ils pas une nouvelle opportunité ?

Choix cornélien :  – abattre des arbres

                                  – saisir l’énergie solaire

–  brûler des arbres

– replanter des arbres                             

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27 Juillet


On nous avait dit Christine Kelly vaguement malade, absente pour une opération bénigne. Mais quels médias de service public aurait révélé qu’elle était menacée de décapitation ?

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30 Juillet


Scriabine est mort d’une pleurésie le jour de Pâques. Il ne put bientôt plus respirer. Ses dernières paroles furent « qui est là ? »

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Ce soir c’est l’anniversaire de Cécilia. C’est à son tour un bel âge. Les enfants sont là jusqu’à la nuit. Le gâteau, les bougies …

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Un berger grec, voyant sur les images d’un reportage un orchestre dirigé par Mitropoulos, eut une réflexion inattendue : « tous ces musiciens pour faire danser un seul homme !? »

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2 Août


La ville de Nantes est-elle aujourd’hui celle dont parlait Julien Gracq ? On sait qu’une ville change plus vite que le cœur d’un homme, mais la ville va si vite, Nantes dit-on, mais Rennes aussi, naguère si calmes, qu’elles semblent aller à la vitesse de futures insurrections.

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A Bernard :


…A l’heure qu’il est je pense que vous n’êtes pas loin du retour. J’en ai profité pour prendre mon temps. J’ai pris une allure de croisière estivale. Les récits de la première moitié de l’année sont finis, corrigés, augmentés et prêts à entrer dans la malle aux souvenirs.

Vous avez dû aimer la Slovénie. Nous y étions passés en coup de vent (2, 3 jours en 2018) sur la route de Padoue et Venise.

On a failli monter vers Méolans pour voir l’expo de Monique Ariello et ses "Baltiques", mais aucune place au camping du coin. Peut-être en septembre, mais sans l’expo.

Reste un projet en octobre d’aller aux îles Lofoten en Norvège (aurores boréales etc), mais voilà que c’est Cécilia maintenant qui voit de la guerre partout, incessamment et tout et tout…

D’autant qu’on serait à deux pas de la Russie. Et alors ai-je répondu.

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Voilà qu’il y a des deux ou trois fraises grosses comme des balles de golf au pied du citronnier. La nature est surprenante.

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PETITE INCISE AU LIVRE DE MICHEL ONFRAY


Dans ses « Vies Parallèles, De Gaulle/Mitterrand », Michel Onfray pousse tellement loin le manichéisme entre les destins de l’un et de l’autre qu’il n’a pu que tomber lui-même dans la contradiction et plus gravement, l’omission.

Bien évidemment, sur la plupart des domaines qu’il analyse, la Résistance, le développement culturel de chacun, (l’un dans la Pléiade, l’autre auteur du seul pamphlet « le coup d’état permanent »), l’entourage politique (Elisabeth Tessier (!), Jack Lang d’un côté, Bergson pour la pensée, André Malraux de l’autre), la balance pèse de peu du côté de Mitterrand dans chacun des domaines analysés. Mais la contradiction est flagrante lorsque, justifiant un passé d’ultra droite chez Mitterrand, jamais démenti jusqu’à sa mort, il se voit donc accusé conséquemment d’être seul responsable des attentats et des exactions militaires durant la guerre d’Algérie comme Ministre de l’Intérieur de la IV° République (Onfray allant jusqu’à justifier « le crime contre l’Humanité » de Macron) dont les chiffres empruntés au seul Benjamin Stora sont horriblement faux, pour faire de De gaulle un libérateur (encore) et un décolonial parfait, (par là-même faisant implicitement du FLN, non pas une force de terrorisme, mais un légitime parti de héros et de doux poètes à opposer aux français d’Algérie qui n’ont quasiment aucune existence dans l’ouvrage d’Onfray, sinon l’armée française coupable de toutes sortes d’exactions, et elle seule). Et celui-ci appuie bien sur la plaie lorsqu’il fait de Mitterrand un vichyste, un nationaliste fidèle à ses origines maurrassiennes, pétainistes (ce qu’il fut) mais qui bascule étonnamment dans le libéralisme maastrichtien trahissant en second rideau les raisons (socialistes) qui le menèrent au pouvoir. Mitterrand aurait donc toujours été un affreux nationaliste catho (jusque dans ses actions en Algérie) bien que finissant en fin de carrière comme un des chantres les plus vifs de l’Europe de Maastricht.

Deux domaines particulièrement honnis par Onfray.

N’eut-il pas été plus simple de dire que Mitterrand aurait tout fait et son contraire pour accéder au pouvoir ?

A sa décharge, je dirais que Mitterrand a le tort de penser l’Algérie comme avant la Toussaint rouge (1954), c’est-à-dire comme une partie encore charnelle de la France. Mais à la même époque qu’en pensait l’opinion, et qu’en pensait de Gaulle au fond de lui-même ? L’Algérie n’était-elle pas légalement la France ?

La contradiction n’est pas moins énorme quant à ce qu’il peint ici du général de Gaulle, mais vite esquissé, perçu finalement comme libérateur de l’Algérie en décolonisant avec tant de légèreté ce qui avait été considéré comme trois département liés indissociablement à la Nation. Dans l’ouvrage d’Onfray, le seul fait d’avoir été « Algérie française » relève du mauvais choix (tiens donc, après près de cent trente années de droit du sol, les « pieds noirs » et les européens d’Algérie se trouvent être par l’effet d’un légitime (!) FLN, des indésirables à jeter à la mer. Ce qui fut fait).

Guerre de Libération dit-on, légitime. Mais est-ce oublier que les musulmans ont également colonisé de force ces territoires naguère déjà occupés par les romains puis les chrétiens (Saint Augustin y est né), que ces mêmes tribus d’arabes musulmans contraignirent les berbères et les kabyles, avant d’être eux-mêmes dominés par les ottomans durant trois siècles, sans que ceux-ci construisirent quoique ce fut dans ces territoires, sinon entretenir les haines entre tribus tout le long de ce Maghreb, avant enfin que ne cessassent les pirateries en Méditerranée qui furent à l’origine de l’intervention française en ces mêmes territoires. Cent trente ans, le temps de construire et même d’inventer un pays moderne (Ferrat Habas), jusqu’à lui donner son nom.

De Gaulle, incarnant à lui seul la France, n’a-t-il pas commis l’erreur de négocier officiellement avec le FLN comme interlocuteur, reconnaissant par là-même son statut légitime à l’international ?

Seul le recto d’un général libérant (une manie) le dernier bastion colonial est présenté dans un raccourci ahurissant par Onfray, évitant le verso fourbe de ce qu’on peut nommer une trahison pour deux millions de français d’Algérie roulés dans les discours et les atermoiements successifs  d’un chef de l’Etat qui a cautionné par indifférence et mépris pour ces populations françaises, (voir les textes de Alain Peyreffite)  et pour ne pas remettre en cause les accords d’Evian, les horreurs de la rue d’Isly, où consignes furent données à l’armée de rester l’arme au pied, celles du 5 Juillet à Oran, et les massacres de harkis, lesquels furent l’honneur de la France de ce dernier cycle infernal.

D’autant que pour la première fois de l’Histoire de France, une victoire, chèrement acquise sur le terrain militaire, fut convertie en défaite par les multiples clauses des accords d’Evian signés comme un rouge au front de la mauvaise conscience, pour complaire à un général pressé d’en finir, quel que soit les modalités de la transition historique, avec ce dernier bastion d’un passé colonial.

Là aussi, Onfray, si prompt à peindre un Général n’agissant que suivant les désirs « du peuple », semble ignorer que l’on arrache à leur pays deux millions d’enracinés, dont il expédie simplement, en fin de ce chapitre douloureux, la nécessité de devoir accepter leur sort, au titre des pertes et profits des « Raisons d’Etat ».

Pour une figure d’Histoire qui n’aurait jamais fait couler le sang, de Gaulle a donc néanmoins contribué à faire jeter à la mer deux millions de Français dont la propagande médiatique en métropole en faisait « des bandits coloniaux qui feraient mieux de se réadapter ailleurs mais pas à Marseille ». (Gaston Deferre).

La réception à Paris et ailleurs, d’une manière générale, n’a pas été meilleure.

La France n’avait pas encore appris la générosité de l’altérité.

Depuis on ne jette plus personne à la mer. C’est contre les droits de l’homme, parait-il.

N’eut-il pas mieux valu, avant de signer le moindre accord, exiger le retour des populations françaises (une fois acquis le principe forcé de la sécession) dans un laps de temps raisonnable, encadrées et sécurisées par les autorités militaires et non livrées aléatoirement à la vindicte et au ressentiment sanguinaire, tout en préparant l’opinion en métropole ?

Eut-ce été trop demander à sa Grandeur ?

Que Michel Onfray voue un culte au Général, nul n’en doute, (tout le monde se bouscule au portillon du plus fan),  mais un penseur et un historien aussi informé que lui se devait de plus d’honnêteté dans un épisode si sensible où, pour prouver la grandeur et la magnificence de celui pour qui il fait pencher la balance dans son livre, il présentât jusqu’à la caricature les seuls chiffres des victimes adverses, qu’il balayât comme le fit de Gaulle d’un revers, des populations qui étaient chez elles en Algérie autant que les nouveaux émancipés, et ignorât dans son exposé  jusqu’aux réels enjeux qui furent ceux d’une Algérie partagée en cet affreux épilogue d’une guerre qu’on a pudiquement appelé durant huit ans, les « évènements ».

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6 Août


Dans le petit opuscule de Lionel Esparza on apprend au moins quelque chose. C’est depuis le fauteuil 111 du Théâtre des Champs-Elysées que Stravinsky assista au beau scandale du Sacre, le 29 Mai 1913.


A Bernard :


Et oui, les courriers font du chassé-croisé. J’ai bien apprécié le reportage de Fabie, il est assez explicite. Je n’y ai pas répondu. Je me sens toujours gêné d’avoir à répondre comme c’est souvent le cas devant des documents de facebookers, du genre "Ah ! mais comme vous avez dû prendre votre pied etc". Mais j’ai partagé.

Votre séjour a été plus complet que le nôtre. Nous n’avons passé que deux jours à Ljubljana (avez-vous vu le quartier alternatif -j’ai oublié le nom- près de la gare ferroviaire), mais c’est vrai que la ville devait être certainement plus grise du temps de Tintin. Certains villages sont charmants mais l’hiver assez mortel. Et puis Piran avec la mer chaude, la vue depuis les collines qui surplombent (c’est féérique la nuit), et la belle place près du port.

Je me souviens que Stef avait envisagé de traverser le pays. Un mélange entre l’Autriche et la Suisse, en beaucoup beaucoup moins cossu.

Avec un véhicule on est toujours en liberté. C’est aussi avec une Fiat 500 que nous avons traversé la Sicile. Et dès le premier jour de location on est tombé (c’était un dimanche) sur une tranchée qui barrait la route dans un virage. Le pont avant aurait pu céder… et les vacances se terminer.

J’ai un vague souvenir des trois mousquetaires (je ne suis pas allé jusqu’à 20 ans après). J’ai lu aussi le comte de Monte Christo, mais c’est surtout les films qui ont laissé des traces des uns et des autres dans ma mémoire. Je n’ai pas ton courage de remettre le couvert pour une littérature qu’on lit adolescent. Mais après mon séjour en Val de Loire, j’ai bien relu "le Grand Meaulnes"…

Tu recevras des images (« les reflets 8 » qui iront à la suite des autres), plus la série complète de "A Kind of Apocalypse". Comme je n’aime pas ce titre, on en trouvera un autre.

Puis il y aura les photos prises depuis l’autocar (et uniquement celles-ci, c’est la règle) avec leurs imperfections, mais aussi la spontanéité et célérité nécessaire.

Je suis allé chez l’ostéopathe. Tout vient de mon foie. Les douleurs à l’épaule, l’insensibilité relative de la plante de mes pieds, tout. Donc je suis un peu inquiet. Je me limiterai comme en 2020 à deux verres par jour. Verrais-je les prochaines cerises ?

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9 Août


A Bernard :


Simon Hantaï, c’est le père. Je sais qu’il y a un gros catalogue d’expo actuelle de ses manies décoratives et parfois subtiles. Je l’ai rencontré personnellement quand je travaillais au Musée Chagall. On avait parlé de … Boulez et du Marteau sans Maître. Depuis il a eu trois fils, tous les trois musiciens baroques (qui ne fait pas de baroque aujourd’hui ? : le retour réel de l’Ancien Régime décomplexé est là.). Le plus connu est Pierre (claveciniste), puis grandirent Jérôme (gambiste) qui a enregistré une partie des Livres de viole de Marin Marais, et le petit dernier qui joue avec ses frères, c’est Marc le flûtiste. Il y en a deux autres qui ne sont pas musicien. A défaut d’exposition je regarde de loin ce qui s’expose. Une seule manif d’importance ici, le regard croisé (décidément à la villa Matisse on s’abonne aux duos) Matisse/Hockney. J’ai jusqu’au 18 septembre. On laisse d’abord passer la chaleur.

Que l’Europe ait eu une longue et nécessaire gestation c’est dans la nature des choses. Question de voisinage et d’échanges. Question de culture et de religion commune. Avec tous les soubresauts historiques de dominations et de déséquilibres économiques favorisant ou non les rapports de force. Nous sommes dans la constitution progressive des état nations libres dans leurs destins dans la seule Europe comme entité naturelle (géographique).

Les "Etats-Unis d’Europe", c’est bien autre chose. L’intitulé lui-même résume ce que sont ces états européens devenus. C’est l’Europe artificielle de Maastricht, pyramidale, d’un conglomérat administratif, juridique et économique dont les règles sont édictées par des commissions non élues. Une sorte de soviet (n’ayons pas peur des réalités), qui installe sous son pouvoir autant de nations ayant substitués leur souveraineté pour une entité supérieure, sans tête (on cherche encore la queue).

La raison en est simple. On oublie de dire qu’au lendemain de 1945, au-delà du Plan Marshall, ce sont les E.U qui décident, non seulement de reconstruire, mais de mettre la main sur cette Europe décidément bien turbulente. Jean Monnet (homme d’argent au service des américains) a été l’artisan avec Robert Schumann (les soi-disant pères de l’Europe, avec Hallstein) dont chaque élan, chaque mot constitutionnel, chaque prospective du futur européen passaient par les E.U. Ce qu’on peut résumer en disant "une Europe supplétive américanisée" (politiquement, militairement et stratégiquement. De Gaulle avait résisté à cette influence). Cette Europe du libre-échange économique (elle n’est que ça), n’a pas de souveraineté. Les commissions sont interchangeables en fonction des besoins. Dans un conflit gravissime (et on flirte avec en ce moment), fera-t-on comme pour la crise sanitaire : sauve qui peut !! ?

Un seul exemple du retour nécessaire de la souveraineté : les allemands, conscients de la réelle mainmise des américains (et pour cause) ont acheté 45 avions porteurs de missiles nucléaires américains et pas les avions de Dassault. Quel meilleur exemple de cette Europe décharnée, hypocrite et sans avenir (parce que sans passé) ? De l’autre côté de l’Atlantique, les américains font capoter un contrat de 50 milliards pour l’industrie Dassault avec l’Australie sur simple injonction, sans que l’"Europe" bouge le petit doigt.

Résumé : à un député européiste, un autre souverainiste répondit "votre Europe a soixante ans, la nôtre deux mille ans". Le cadre de ce courrier ne permet pas de développer un sujet si épineux ; mais comme tu sais, je ne partage pas l’optimisme des convaincus de l’Europe de Maastricht.

Ça fait bien longtemps que je n’écoute que France Musique et France Cu quand je me lasse de certaines émissions. Mais surtout pas de chaînes d’info et surtout pas France inter, radio de service public qui ne respecte pas la neutralité et le pluralisme d’opinion. Et qui le revendique.

Je suis à l’eau pure, depuis trois jours sans qu’il m’en coûte. C’est un peu plus calme, c’est un peu plus triste.

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15 heures.


à Bernard :

Finalement je lis pas mal. Boire de l’eau empêche de lever le coude et permet donc de tenir un livre et de tourner les pages. Je viens de finir en une après-midi, un petit ouvrage (anodin dans l’espace d’une grande librairie), de Paul Fournel, avant-dernier président de l’Oulipo, sur Jacques Anquetil. ("Jacques Anquetil tout seul"). Un petit ouvrage dont la modestie trahit bien l’authenticité émotionnelle d’un sujet qui n’attirera pas les (trop) fins lettrés. Pour me rendre compte que c’est dans l’univers de notre enfance commune (il est un peu plus âgé que moi), que nous avons traversé les mêmes épopées héroïques autour d’une table de salon en poussant de petits cyclistes en plastiques et qu’on refaisait les étapes de légende du Tour. On y retrouve en moins de 150 pages tout ce qu’on a toujours voulu retenir de ces années 60 dans l’univers du vélo et de ses figures légendaires. Je te passe les détails d’un univers qui t’es probablement étranger, mais comme tu fais maintenant plus de vélo que je n’en ai fait petit, je suis heureux qu’un oulipiste écrive sur ce héros du vélo auquel je m’identifiais comme le fait l’auteur du livre. Jacques Anquetil s’est retiré en 69, c’est-à-dire dans ce temps même que j’opérais une mue à la fin de mon adolescence.

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Un mot encore sur l’Europe, en réponse : en quoi ma vue est-elle "ancestrale" ? Je me suis efforcé de monter par quelques exemples que cette Europe, qui a l’air d’une panacée de tous les rêves du consumérisme libéral, était hypocrite et illusoire. J’ai essayé aussi de montrer qu’en cas de nécessité d’une autorité militaire (ça peut arriver), il n’y a pas de souveraineté européenne. Que les allemands ne jouent le jeu que quand ça les arrange (l’achat des avions américains etc.)

Je parle bien d’une Europe d’aujourd’hui. Si tu appelles ancestrales une vision européennes des nations, c’est également la question que se posent certains parlementaires qui ne sont pas encore des ancêtres.

Je sais qu’on a du mal à s’accorder même sur certaines notions. Mais tu as raison, la guerre russo ukrainienne n’est pas prête de trouver une issue. Et c’est là que nous ne sommes pas crédibles.

On en revient à cette Europe qui n’a pas de souverainisme, parce que fédérale, conçue uniquement comme un marché. Il n’y a pas que le libre échange des marchandises dans les intérêts des peuples.

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10 Août


Bernard :


Je n’ai jamais été un passionné de vélo et donc de Tour de France. Mais Anquetil je connais, avec Poulidor et Obama et beaucoup d’autres qui agitaient la radio quand j’étais petit. Pas un passionné de vélo, ni d’aucun sport, à part le beach volley féminin, mais pour des raisons inavouables. Il y a aussi tous ces bruits agaçants de dopage qui hantent le cyclisme professionnel (cf les aventures de l’américain Lance Armstrong) mais je me doute que tous les sportifs sont à la même enseigne, et d’ailleurs je ne vois pas d’inconvénient à se doper. Pour moi le sport professionnel est un spectacle et donc les acteurs font ce qu’ils veulent et ils gèrent leur corps comme ils en ont envie.

à  Bernard :


Ah ! c’est drôle ce lapsus ! Obama pour Ocana ! Enfin, je regardais aussi les nageuses olympiques, ruisselantes comme Véronique Van den Buch qui habitait au-dessous de l’appart de ma grand-mère à Rabat.

Et je n’avais que 9 ou 10 ans. Elle glissait comme un beluga sans mouvements violents. Elle était plus que championne olympique. Elle nageait au CNR…

J’ai une cicatrice au coin de la lèvre que je dois à de méchants barbelés, en essayant de passer de l’autre côté d’un champ. C’est un peu à cause de la fille Van den Buch que j’ai dû traverser ces champs. Pour une raison que j’ai oubliée.

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11 Août


Ce matin la pluie légère et régulière, est tombée. Quelques minutes seulement malgré les grands fracas de tonnerres. Nous sommes depuis plusieurs jour, comme les boliviens des hauts plateaux, à attendre que le ciel tombe enfin sur nous (saurons-nous à l’avenir danser les danses rendant la pluie propice).

La France entière est sous incendie, toute la façade atlantique brûle 90 000 hectares (!), on déplace des milliers de personnes, on abandonne momentanément des habitations, les forêts laissent le visage désolé de landes calcinées et fumantes. On parle déjà d’un manque d’eau dans les semaines qui viennent.

On parle aussi, (à la rentrée ?) d’un virus, (venant encore de Chine…), plus puissant encore que la Covid, au taux de létalité de cinquante à soixante-quinze pour cent.

Faut-il faire mourir les inutiles ? L’apocalypse déjà ?

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« L’île du Couchant » de Sinoué. On y voit, sous nos yeux, la naissance d’un Maroc qui va vers son unification sous Moulay Ismäil, le Roi-Soleil alaouite.

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à  Bernard :

"L’Europe" a cru momentanément avoir raison, mais comme tu dis, un méchant cygne noir (le retour du réel et la souveraineté comme moteur des destinées) passe dans le ciel.

Finalement, la lecture de "l’île du couchant" de Sinoué" est un vrai plaisir. Le style importe peu, l’auteur vise à l’efficacité narrative. Il sait faire des scènes mélo, des scènes d’action, et surtout il respecte (j’en suis sûr) scrupuleusement les moments d’Histoire du Maroc, du temps de l’unification sous Moulay Ismaïl. Ce roman est doublement venu au bon moment : après mon séjour, et au moment de l’été.

Ce matin il a plu à grands fracas de tonnerre. On était heureux comme des boliviens des grands plateaux. Sauf que ça n’a duré que quelques minutes. Au moment où je t’écris, la fraîcheur est passée comme si on avait rêvé.

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On interdit les joueurs russes du prochain Mondial de football, les joueurs de tennis de la plupart des tournois médiatisés. On a interdit de Jeux Olympiques les basketteurs ayant contrat avec des clubs russes. Quand va-t-on interdire les touristes russes ? Et Dostoïevski, toujours exposé en librairie. Et « l’Archipel du goulag » ? Soixante-quinze ans après la fin de la Guerre, et déjà avant la prochaine, c’est le retour de la vertueuse Epuration.

Pour aller vers un monde absolument et résolument porté au Bien, toutes les interdictions seront autorisées.

On a déjà eu l’impasse du pass sanitaire. Pour notre bien.

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13 Août


La bibliothèque de Nice propose depuis quelques temps des livres abandonnés dont les particuliers se débarrassent. Des livres qu’on peut récupérer sur un présentoir à la sortie. On y trouve de tout. Du catalogue français-anglais de la visite de l’université d’Oxford aux romans de Cronin, des dictionnaires en lambeaux, des prospectus, de la série des Angéliques à de vieilles éditions de poche de la Nausée, des OSS 117 et des Maigret défraichis, puis parfois quelques perles dans des états présentables. C’est une mode aujourd’hui que de faire circuler les livres. Les appartements sont devenus trop petits. Il y a aussi un point du Vieux Nice où des donateurs, pareillement anonymes, déposent, sur la Place de la Tour à même le sol, des livres qui s’entassent mais disparaissent assez aisément dans la journée. Lorsque c’est donné, on voit des gens qui ramasseraient des dictionnaires sino-japonais pour la seule raison que c’est gratuit. Certains voraces viennent carrément avec des cabas et font le plein comme des chiffonniers.

Pour faire lire la jeunesse de nos jours, il y a une idée à creuser. Un concours à organiser, des reconnaissances d’auteurs sous forme de jeu.

 Et puis il y a ma copine Geneviève qui officie à l’entrée de Sainte Réparate avec l’accord du curé de la cathédrale. Elle a sa grande valise ouverte, sa casquette gavroche inclinée sur le coin de l’oreille et revend des livres, des catalogues et toutes sortes de publications, jusqu’à des numéros de Paris-Match décolorés ou des vieux vinyles. La première fois que je lui ai pris un Giono, elle m’a dit, en prenant ma pièce de deux euros, « vous devez beaucoup aimer la nature ». J’ai trouvé que Giono méritait mieux que cette banalité, mais j’ai souri, et depuis on se reconnait, on se dit quelques mots. Je lui apporte moi aussi des livres pour éviter de me noyer sous le nombre. Et puis avec le temps, à force de passer devant le bistrot que je fréquente, elle s’arrête et boit son blanc que je lui offre parfois. J’attends la perle rare, l’édition du coup de foudre. Ce matin, décidant de me séparer de tout un tas de Platon, j’ai pensé à elle, plutôt que de les déposer à la Médiathèque. Ça lui ferait quelques sous. Mais elle n’était pas devant la cathédrale, il n’y avait pas même la valise qu’elle laisse seule lorsqu’elle est découragée. Parfois on lui pique son emplacement. Des Roumains qui estiment que la vieille dame n’a pas l’exclusivité de la margelle à l’entrée, et surtout que l’emplacement est optimal pour mendier à l’entrée et à la sortie des messes.

Comme elle n’était pas là, je suis revenu après un passage à la bibliothèque où m’avaient attendu miraculeusement deux magnifiques volumes reliés du « De l’amour » de Stendhal. J’ai pensé qu’elle pourrait en tirer quelque profit. Mais décidemment ce n’était pas le jour. Et puis les mendiants tenaient la place tout le long de la façade de l’église.

Trimballant ces deux gros et lourds volumes, je me suis vu comme insistant bizarrement pour donner ce petit trésor qui semblait, inconsciemment ou par le plus malheureux des hasards, ne pas devoir lui être remis aujourd’hui.

Paraphrasant Lacan, un sourire au fond de moi, je repensais à cette définition qu’il donne « de l’amour »: « quelque chose qu’on ne possède pas qu’on donne à quelqu’un qui n’en veut pas. »

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Hier encore, au même endroit qu’il y a cinq ou sept ans, je vois, depuis ma table de chez Sauveur, Ernest-Pignon-Ernest qui s’engouffre dans la rue Droite, vers Lascaris.  D’un simple regard, je lui signifie que je l’ai reconnu, tout en l’invitant d’un geste discret à venir à notre table. Un autre que lui aurait simulé et aurait porté le regard plus loin. Il s’arrêta soudain et me fit comprendre, du peu que j’ai entendu de sa voix, depuis l’angle de la rue, qu’il ne pouvait pas. Ce que je compris parfaitement. Deux fois de suite eut tenu du miracle.

J’explique donc à mon voisin de table que dans les mêmes circonstances, il y a quelques années, l’artiste était venu à notre table et avait accepté d’immortaliser un cliché de nous deux tout plein de simplicité.

« Tu vois Stephan, tu as devant toi un monsieur de génie. Tu en auras vu au moins un dans ta vie. » Notre ami allemand croyait que j’avais le verre de trop.

Ernest Pignon avait pourtant, à quelque pas d’ici, sur la Place Yves Klein, une exposition rétrospective de son œuvre, s’étendant sur deux niveaux du MAMAC, en même temps qu’un immense kakemono de dix mètres flottait au vent.

Recevant deux Président de la République successifs dans son atelier, ayant posé ses sublimes dessins de Pasolini ou du Christ dans les rues de Naples, au pied des soupiraux ou sur des murs décatis comme compléments à des fins de réalités transcendantes, l’humilité et la disponibilité du bonhomme n’en sont pas moins de ces des qualités qui habillent les plus grands.

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14 Août


Déjeuner à Mougins pour cette veille d’Assomption. A « l’Amandier ». C’est une fois de plus Hélène qui nous offre cette découverte gustative. Le village, que nous avions traversé il y a quelques années, semble aujourd’hui dans la phase d’aseptisation à son stade terminal. Hormis le magnifique musée des arts antiques, établi sur l’emplacement d’un ancien moulin, ce minuscule village, vestige d’une époque où Picasso travaillait à des histoires de minotaures ou de scènes pastorales, est devenu un vivier coloré où chaque pas de porte est habité par un « artiste ». Les ruelles sont lisses, jaunies et sableuses d’avoir été poncées.

Le bonheur de vivre avec un tel panorama au Nord, sur la large plaine de Plan-de-Grasse, sur le mont Aigoual et les myriades de communes au pied du village, devrait suffire sans se mentir d’un supplément d’âme d’artiste.

Comme à Paris, et dans les tendances générales du monde de l’art, cette mode du gigantisme faussement mi- jouet et réellement mi- décoration intempestive, à l’inspiration réaliste, vernissée et creuse, à la manière des Koons, sévit dans les moindres recoins du village. Ici, la thématique s’oriente vers « la germination » des produits de la terre. On a droit à une horrible fraise géante de quatre à cinq mètre en érection, plantée sur un socle couleur rouille brut de fonderie en plein cœur d’une placette innocente qui n’en demandait pas tant. Chaque rue est ainsi infestée d’artichauts, d’aubergines, et de haricots de métal, (avec indiqué sur chaque cartouche, « aubergine » « artichaut » etc. comme si le sens de ces objets aurait pu nous échapper (!), avec un faible pour les piments plus vermillon pur encore que nature, monstrueusement répandus dans le moindre jardinet, réalistes à faire rougir, et comme vus au travers d’une méchante loupe.

Je tairai le nom du concepteur découvreur de nature.

Un hiatus dans le paysage, et un viol véritable de laideur et de prétention.

(Devant le Palais Pitti de Florence déjà, une affreuse meute de loups en métal verni, crocs en poupe, plantés dans leur bronze par suffisance d’un probable ami du premier magistrat de la Ville, se répandait à l’entrée de l’honorable façade).

Ce n’est plus à Mougins le combat de l’esprit et de la matière, mais le triomphe de l’usurpation culturelle sur l’harmonie d’un vieux village.

La chapelle enfouie dans le tortillon des ruelles possède par contre un orgue baroque tout à fait remarquable au buffet vert amande comme on le fait généralement pour tous les instruments sur la route des orgues de Provence.

 « L’amandier » est un merveilleux balcon en terrasse, donnant sur la plaine, protégé de hauts platanes, et des pierres d’un ancien moulin qui ne mentent pas. La dégustation nous console avec ses multiples préludes et amuse-bouche, ses courgettes en fleur servie froide, farcie de confit de poulet au fromage blanc au basilic et citron vert, ses tortellinis de mousseline de saumon et homard, fondue de poireaux au Noilly-Prat, bisque crémeuse, suivi du veau cuit à basse température, petits pois à la française, finissant dans les tartes citron-meringuée, sorbet, gel citron-lavande et les mignardises du jour.

Les vrais fruits et légumes, relevant d’un registre supérieur dans l’art de les accommoder, se trouvait tout simplement aujourd’hui dans nos assiettes.

Avec un Sancerre simple, « le tournebride » de chez Vincent Gaudry, vigneron.

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15 Août


A Bernard :


Je me doutais que l’amertume dans sa gravité de poème t’aurait interpellé comme on dit maintenant. Mais ce n’était que l’écorce de ce mois de Juillet… Les masques en question sont de vrais noms de masques africains, sud-américains, asiatiques et océaniens, qui ont servi de tambour battu et de trompes à souffler. « Masques » est donc un poème qui prend sa valeur quand il est dans son oralité. Ce qui n’est pas forcément le cas de mes écrits habituels.

Je travaille en ce moment à Noctuor 2. Les écrits sont moins volumineux, mais restent sincères et compacts.

Hier, nous avons honoré le "menu dégustation" à "l’Amandier" de Mougins, offert par Hélène pour mon anniversaire. Je te passe le détail de cette demi-journée que j’ai suffisamment consignée dans le carnet.

Comme toi pour Dumas, je me laisse tenter par la suite du Sinoué sur l’édification du Maroc sous la dynastie des alaouites (« Le bec de canard »).

Le temps devient plus humain depuis hier, un léger vent nous accompagne.

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16 Août


A Bernard :


Les noms de masques ne sont pas inventés. Je les ai recopiés en fonction de leur proximité acoustique imitant des sons percussifs. (On peut ajouter des trompes vers la fin du poème)

J’avais déjà en 2003 composé une "petite cantate phonémique pour Berio" (dans Hôtel des parfums) suivant le même principe, mais en plus précis, et avec une intention de la mettre en scène.

J’en avais discuté avec un collègue compositeur qui avait trouvé l’idée réalisable : il y a des ensembles vocaux qui réalisent parfois l’impossible imaginable…

Le plus génial dans le genre reste Clément Janequin (XVI° siècle) qui a composé les "cris de Paris", les "oiseaux" et "la bataille de Marignan" sur le principe de l’onomatopée. Je t’incite à écouter ça à titre d’info. Et pour le plaisir.

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Non seulement le concerto pour violon de Tchaïkovski est bavard, mais il emprunte sans aucun masque, dans son final, la mélodie de désespoir de don José au quatrième acte de Carmen « Ah ! ne me quitte pas Carmen… » composé juste trois ans avant …

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18 Août


J’écoutais, comme venue des profondeurs de l’âme et des racines de l’enfance, une très mélancolique mélodie de Canteloube (était-ce Braïlero ?), et je me disais « mais qui aujourd’hui connaît ces mélodies-là ! ». Qu’est-ce qu’on peut bien se dire aujourd’hui d’une colline à l’autre du côté de Saint Nectaire, d’Issoire ou depuis le cœur des volcans ? J’avais l’impression, durant le temps de la mélodie, que ces vieilles douleurs faisaient ressurgir d’une vénérable géographie qui m’est pourtant étrangère, ce vieux fond primordial et patrimonial qui est propre à chacun d’entre nous, à l’endroit des berceuses et des premières transmissions dans l’enfance, dans la douceur de l’oralité, d’un monde ancien qui nous est transmis.

Le répertoire recueilli par Canteloube, (quelques quarante chants d’autrefois harmonisés), est-il encore même murmuré dans le fonds des campagnes ?

Je parierais que dans le Clermont-Ferrand des années deux mille, il n’est plus aucun adolescent qui a ouï une de ces sources.

Je songe aussi à ce texte d’introduction mis en exergue du Gaspard des Montagnes, où le vent des nostalgies, des nuits étoilées et des anciens bals ne souffle plus.

Henri Pourrat, avant même le début de cette œuvre emblématique de l’Auvergne, situe ce qui va suivre en disant « Aujourd’hui, Gaspard et tous les autres sont morts ».

D’une mort qui emporte un monde qui ne sera plus celui de ces vieilles mélodies enracinées.

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A Alain Jacquot :


Passant souvent sous les fenêtre du café de Lyon, voyant aussi que l’affiche annonçant le prochain festival datait de …2020, j’avais un pressentiment qui se trouve aujourd’hui confirmé par l’annonce que voilà :

Tristement :

« Nice : La fermeture du CIRM, le centre de création musicale, est actée.


REQUIEM. Les élus Verts de la ville s’émeuvent de la disparition d’un « nouveau lieu de culture » à Nice, alors que la capitale azuréenne est candidate au label de capitale européenne de la culture en 2028.

Il organisait le festival de musique contemporaine depuis 1978 dans la capitale azuréenne. Le Centre international de création musicale (CIRM) de Nice, l’un des huit de France, va cesser ses activités à la fin de l’année, selon des sources concordantes. Le conseil d’administration « a voté la fin de l’activité à la fin 2022 », a précisé le directeur technique et représentant du personnel Camille Giuglaris, qui dénonce « un gâchis ».

Les trois salariés devraient quitter leur emploi dans le cadre d’un licenciement économique. « Le matériel va aller au conservatoire régional de Nice et les nombreux enregistrements iront à l’Université Côte d’Azur, tous deux partenaires », a-t-il aussi expliqué, s’interrogeant sur « les conditions de cession et l’avenir de ce patrimoine ».
La musique contemporaine « continuera à vivre »

A sa présidence depuis un an, Sylvain Lizon, évoque des « difficultés structurelles » et déplore que « le CIRM n’ait pas connu le même développement que les autres centres nationaux ». Le responsable, également directeur de la Villa Arson, assure que la musique contemporaine « continuera à vivre à Nice ». Le CIRM disposait d’un budget d’environ 700.000 euros, assuré à parité par l’Etat et les collectivités locales. »

………….

Alain Jacquot :


Triste nouvelle, malheureusement inévitable.

Et j’ai peur que François Paris ait bien contribué à ce fiasco. De nombreuses irrégularités de gestion ont été soulignées pendant son mandat, en totale contradiction avec les statuts de l’établissement. Et il est devenu inévitable que les financeurs n’aient pas voulu continuer à soutenir cette action.

Pour ce que je sais, par Mme Yvette Hancy, tu vois cela remonte loin, le CIRM disposait d’un capital placé quasiment supérieur aux dotations annuelles demandées.

Moi qui ait travaillé en direct avec lui, assisté à des réunions préparatoires où tout était totalement manipulé par ses soins, demandant tout en imposant ses conditions aux établissements (opéras, conservatoires, orchestres et artistes), exigeant des conditions techniques sans aucune contrepartie ni collaboration réelle de la part du CIRM. Je peux t’assurer que le conservatoire de Nice s’est trouvé pieds et poings liés à chaque fois dans les projets, car tout était annoncé sans concertation préalable. Cela depuis 2006, 2007, ce qui a dû continuer… Leur seule collaboration était d’amener et de disposer quelques panneaux publicitaires avant les concerts…

Nous avons vu grâce au CIRM des choses extraordinaires, dont nous avons profité personnellement, tant de concerts et autres manifestations uniques au monde. Jean-Etienne Marie doit se retourner dans sa tombe.

Anne Jouy avait fait une fois une allusion au stage que nous avons fait dans les locaux du 33 av Jean Médecin, et l’avait traité d’escroc …

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20 Août


A Bernard :


Pour Molly Malone, je ne me serais pas permis d’interpréter quoi que ce fut ! C’est la légende du cartouche au-dessous de la sculpture à Suffolk Street qui m’a donné tous ces détails.

D’autre part, je mentionne aussi le verso de la légende qui en fait une femme chaste….

Pour la langue, si les irlandais ne parlaient pas l’anglais, ils ne parleraient qu’entre eux. Comme les bretons.

Ce qui m’a tout de même gêné se résume par cette devise de mon cru : "adaptez-vous à moi, de mois à vous, je ne ferai pas le premier pas".

J’ai essayé d’être précis dans le récit et dans le rapport aux évènements ou aux personnes rencontrées. A Dublin, le hasard a voulu qu’on soit relégué (à une rue parallèle près, dans une sorte de Rue Trachel dublinoise). Près du centre-ville, mais déjà marginale, un vrai petit Bronx. Sur le plan, quand il a fallu réserver une chambre on ne pouvait savoir. D’autant que le prix prohibitif de la chambre laissait supposer un hôtel confortable. A deux pas du Liffey et de O’Connor (donc très central) …

Je maintiens que Temple Bar m’a laissé un goût de décadent, bruyant et frénétique. Est-ce seulement une question d’âge ?

C’est vrai que quand la pluie laisse place à la lumière revenue, l’air semble plus subtil. Comme nous avons ici un éternel soleil, on a du mal à mesurer les contrastes. Et ceux qui transitent par chez nous semblent bien mesurer notre chance. Mais c’est vrai que l’Irlande a de la poésie plein les falaises et les sentiers battus, les lacs et les pierres.

On a fait un programme maximal pour simplement sept jours pleins. Et nous avons été épargné par la pluie. Les deux derniers jours (dont un annulé) les soucis de retour ont commencé.

Tout cela mérite un autre séjour plus long et plus complet encore !

Rashomôn est un film extraordinaire. Il y a dans la narration (quatre récits d’un même évènement) un précédent dans un roman de Giono (Les âmes fortes) où deux femmes reviennent sur la vie du défunt durant la veillée mortuaire. Le visage et son envers, sans qu’on ne sache jamais ce que fut réellement le personnage.

..

J’ai beaucoup négligé le travail de photos (pas même mises encore sur ordi !). Le déménagement de Hélène nous met pas mal à contribution (ils vont devoir vivre à 4 dans un 25 m carré provisoirement pendant deux ans…en attendant la maison construite), donc bazarder pas mal de mobilier, en vendre et en jeter.

Il y aura un photo/poème ou un Malerei avec une vingtaine de clichés dont le critère est d’avoir été prise exclusivement depuis les vitres du car durant le Burren Way (le titre est tout trouvé…)

Il y aura aussi des masques !

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21 Août


Plus avancé et moins attendu qu’un jugement sur « l’Ode à Staline », le Général de Gaulle reconnut que « Du con d’Irène aux Yeux d’Elsa », il y avait eu du chemin.

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« Peut-être la condition humaine toute entière n’est-elle qu’une phase dans l’évolution d’une espèce déterminée d’animal de durée limitée de sorte que l’homme est sorti du singe et retournera au singe sans qu’il y ait personne pour trouver le moindre intérêt à cet étonnant tombé de rideau de comédie. De même qu’avec le déclin de la culture romaine et de sa cause la plus importante, l’expansion du christianisme, un enlaidissement général de l’homme s’est mis à envahir l’Empire romain, il se pourrait aussi qu’un jour, le déclin de la culture terrestre en général provoque un enlaidissement qui atteigne des sommets bien supérieur et finalement une bestialisassions de l’homme, jusqu’au simiesque »

– Humain, trop Humain – (cycle de l’humanité)

En lieu et place d’enlaidissement, j’aurais plutôt écrit « perte d’énergie » ou « paralysie de l’action ».

D’autre part, je renvois Nietzsche aux réelles « causes de la grandeur et de la décadence de l’Empire romain » dans le Montesquieu qu’il a certainement tenu en haute estime et qu’il ignore de manière hypocrite.

Mais n’est-on pas déjà dans cette phase d’impuissance ?

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ECOLOGIE TOUJOURS


… Quelques « écarts » :

– Les Jeux olympiques d’hiver se sont déroulés à Pékin sur de la neige
artificielle.

– En France, des stations de ski éclairent des pistes jusqu’à minuit
pour que « les lève tard » puissent skier en nocturne.

– La Lufthansa effectue 8.000 vols "à vide" pour garder ses slots.

– La plupart des grands matchs de foot se déroulent en soirée sous les
spots de méga projecteurs qui consomment à tout va !

– Les huit nouveaux et gigantesques stades de foot appelés à recevoir la
Coupe du monde au Qatar sont climatisés (dans un désert !).

– Le plus grand paquebot du monde :
Wonder of the seas va promener
7000 passagers, 2300 membres d’équipage…) et tourner en rond sur les
mers.

– Les milliardaires s’offrent des voyages dans l’espace à des
conditions “astronomiques”,…

– Et pendant ce temps, "par souci d’écologie" on va interdire à certains de rouler avec des voiture diesel un peu anciennes qui s’en servent comme outil de travail.

Ces voitures diesel qui polluent chez nous sont expédiées en Afrique où elles continuent à rouler et ne polluent plus par enchantement !

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22 Août

à Bernard :

 C’est vrai qu’il faut s’occuper. L’esprit surtout, mais aussi l’espace d’une journée entière. Se faire un planning. Le matin passe assez vite, avec le courrier, les écrits à recopier quand il y en a. Puis les pages qui viennent s’ajouter.

Il y a bien le jardin, mais après l’avoir arrosé, il est si petit que le débroussaillage ne se fait que une fois ou deux par mois. Quand je vais chez Sauveur, c’est l’heure du ballon et l’heure des conversations. Au bout de deux heures, il faut y aller. Puis la Fnac par réflexe. Ou la librairie Masséna.

L’après-midi, c’est mon côté cérémonie (comme le jardin ou le thé chez les japonais zen), c’est le moment de la cuisine. Ça peut prendre du temps. Je m’y implique plus que pour ce que ça représente. C’est parfois un défi d’avoir à faire fusionner tout un tas de légumes, de poissons, d’y mettre du vin blanc ou du pastis, des curry (les rouges ou les verts, les doux ou les forts ?). Tout ça prend bien une bonne heure. Et parfois on ajoutera la surveillance des cuissons. Bref, il reste encore deux bonnes heures pour des lectures. Puis parfois la maison se remplit, les petits dans tous les sens. Je regarde vers dix-huit heures mes émissions sur CNews. Jusque vers 20 h. Et rarement au-delà de cette heure. Les nouvelles du JT sont prohibées. La suite, c’est le début de la nuit. De la musique ou encore de la lecture. Parfois je me laisse tenter par de bons replay. Dernièrement Satyajit Ray. Et l’affreuse mise en scène d’Intolleranza.

Mais c’est vrai qu’on peut être frappé par une certaine monotonie du rythme. Mais que la contemplation du ciel …

Nous regardons défiler nos dernières années. Je les espère encore longues et en bon ordre de marche. Je me suis étonné (au sens propre), en regardant une des photos prises lors de mon anniversaire, voyant à quel point je ressemblais aujourd’hui à ma mère. Les yeux fatigués et cette espèce d’expression d’espièglerie dont j’ai hérité. Il va falloir d’ailleurs que je pense à ma cataracte.

Avec cette chaleur, les heures passent moins vite. Et puis les longues marches matinales vers Vaugrenier vont recommencer.

Malgré mon abstinence complète, j’ai du mal à perdre du poids.

Peut-être irons-nous vers les Alpes du côté de chez Monique Ariello, depuis le temps qu’on ne se connaît pas encore.

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24 Août


SIX MOIS PLUS TARD, L’UKRAINE


Cela fait maintenant six mois que la guerre montre ses dents. On a parlé de guerre mondiale, on a pris des décisions, des entrevues et des pourparlers ont révélé les premières mises des uns et des autres, on a abattu les premières cartes. Les contours sont aujourd’hui largement dessinés. D’un côté l’agresseur, et de l’autre le petit poucet qui reçoit la foudre tout en donnant des coups de pieds en retour. L’univers occidental dans son ensemble s’aligne moralement sur la position de l’agressé. La France, une des premières à réagir lorsqu’il s’agit de droits, d’agressions, penche habituellement du côté de ceux victimes et lésés de ces mêmes droits. Quitte à avoir parfois une vision avec le nez trop près de l’échiquier.

Il s’en est suivi, dans un ballet assez ridicule de va et vient entre Paris et Moscou, des entrevues avec le chef de l’Etat russe. On aurait déjà dû avoir quelques doutes sur la considération dans laquelle le chef d’état russe tenait la France en estime. Autour d’une table ovale d’un blanc immaculé, Macron se trouvait à près de cinq mètres de son interlocuteur. Comme du temps hiérarchique de la vieille aristocratie ou lorsque dans un couple de nobles celui-ci n’a déjà plus rien à se dire. Cette scène a été, à dessein, montré dans le monde entier. Quelques autres chefs d’état subirent la même scène symbolique faisant penser, par analogie cynique, à un réflexe de situation sanitaire.

Dans le sens que certains sentaient mauvais.

Bien que donnant le change en multipliant les regards carnassiers et serrant le poing sous le menton, notre chef d’état s’en est retourné laissant en guise de projet, un atermoiement verbal et l’image d’un interlocuteur « manquant de crédibilité ». Comprendre que le président des « en même temps » n’avait pas mis longtemps à dévoiler ses tiédeurs.

Quelques mois plus tard la France se retire du Mali et laisse la main aux mêmes russes en lieu et place de nos soldats. Y aurait-il à voir là une conséquence de ce qui s’est échangé à Moscou ?

Donc, le ballet des mesures économiques pouvait commencer. Et la France de découvrir qu’une guerre, entre les deux tours d’une présidentielle, même lorsqu’on ne l’a pas encore ouvertement déclarée ou subie, a un coût.

(Ce qui fit le succès, durant la campagne, du thème du « pouvoir d’achat » (pour le plus grand bonheur du président sortant) qui venait occulter celui, terriblement plus courageux, corrosif et décisif, du « choix civilisationnel »).

L’intérêt supérieur de la nation ne devait-il pas nous situer au-dessus de cet apparent mirage de la veuve et de l’orphelin à défendre à tout prix ? L’intérêt de notre pays n’avait-il d’autre coup à jouer que de miser unilatéralement sur le seul plan de la morale ?

La Turquie, qui détient une des clés du chantage à l’immigration vers l’Europe, ne siège pas à cinq mètres en face de l’interlocuteur mais bel et bien tout à côté du monarque russe.

Le symptôme de cette défaite ou de ces balbutiements diplomatiques actuels tiennent à ce que, aidé évidemment en cela par la position américaine qui nous confirme nous situer dans le camp du bien, est que nous voilà de plus en plus enfoncé dans la voie de l’aide inconditionnelle à l’Ukraine. On pourrait ajouter, sans contrepartie.

Et sans alternative. Et jusqu’où pourrait-on l’aider ? (Zelinski qui n’a rien à perdre, a même l’audace d’inviter au feu nucléaire !)

La voie de l’idéologie des droits de l’homme est décidemment terriblement sensible en France.

Il faut remarquer cet autre symptôme de l’unilatéralité et de la partialité de la raison : la propagande inévitable, l’abondance de livres nés spontanément comme attendant depuis longtemps de traiter le conflit. La vraie vie cachée du dictateur, les héros martyrs etc. Le positionnement médiatique donnant une image corrompue et diabolique d’un côté, la main sur le cœur de la victime offensée de l’autre. La guerre des propagandes fait rage. Sans nuances aucunes. Mais est-ce nouveau ?

L’Inde et la Chine observent. L’inde et la Chine ne défendent jamais la veuve et l’orphelin. La France toujours. La politique du coq qui fait du bruit. On l’a vu en Syrie. Au mépris des Français eux-mêmes, et au risque de se prendre les pieds dans le tapis diplomatique sur le long terme.

Les conséquences s’en sont faites sentir assez vite, comme dans chaque conflit qui prend de l’ampleur. Le gaz russe devient difficile à négocier. Celui de l’Algérie (amie des russes) pèsera demain tout autant, affaiblissant pour ne pas dire annulant nos exigences en matière de retour des délinquants criminels et clandestins algériens par milliers sur notre territoire. Les matières premières, les produits importés difficiles à maintenir au prix d’il y a six mois. L’inflation a augmenté après des années de taux d’intérêt à zéro. Les revendications des gilets jaunes paraissant presque maintenant comme un instant romantique de la vie sociale devant les troubles économiques qui se profilent. D’autant que les hausses et les pénuries potentielles se verront aggravées par le réchauffement climatique où l’eau elle-même va devenir une arme rare comme on le constate avec cet été particulièrement difficile.

Déjà des écologistes ayatollesques demandent d’interdire les piscines privées.

Et tout ceci n’est que le panorama transitoire de lendemains qui ressemblent à une impasse.

Macron, il y a quelques mois : « nous mettrons l’économie russe à genoux »

Ce 24 Août, au conseil ministériel de la rentrée : « L’ère de l’abondance est finie. Nous allons vers de grandes restrictions ». Les sanctions sont renvoyées à l’expéditeur.

Faut-il donc sans condition soutenir l’Ukraine ? La France ne peut-elle voir que de façon manichéenne le combat du bien et du mal auquel nous ne sommes d’ailleurs pas inexorablement acculés ? Se faire l’avocat de l’agressé est une chose, se glisser dans sa peau en est une autre.

L’Europe ayant du mal à parler d’une seule et même voix (es), c’est celle des États-Unis qui le fait à sa place. Ses désirs sont souvent devenus nôtres. L’Europe s’est éloignée depuis longtemps de la realpolitik. L’Europe est un artifice commercial idéologique qui sert de bouclier à une Amérique qui n’a plus l’assurance d’être seule au sommet de la puissance économique mondiale. Dans vingt ans elle aura peut-être passé la main.

L’Europe de Maastricht parle comme un écho en canon de la partition américaine. L’Europe souffre de ce ventriloquisme d’asservissement occidental.

Le vieil antagonisme frontal entre l’Est et l’Ouest resurgit à la (dé)faveur de cette guerre en Ukraine. Ce sont les mêmes enjeux, les mêmes risques d’embrasement connus durant la guerre froide. Avec cette fois-ci, non pas les missiles de Cuba tournés vers la Floride, mais le regard des pays de l’OTAN tourné vers la Russie, à la porte même de celle-ci. La Chine ne réagit pas militairement bien que proche des russes, l’Inde attend le jeu des futures alliances (le BRICS). La Russie s’est peut-être déjà tournée durablement de ce côté-ci du planisphère.

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25 Août


ECHEC


L’Europe telle que conçue par Maastricht devait reléguer les guerres nationales aux oubliettes de l’Histoire…

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26 Août


MUSIQUE CONTEMPORAINE


Francis Poulenc avait du génie. Comparé à lui, Karol Beffa écrit comme on n’ose plus le faire depuis l’entre-deux guerres, avec le génie de Poulenc en moins, la tristesse en plus.

Il fut un temps pas très éloigné où l’avant-garde de la génération 1920 (Boulez, Stockhausen etc.) rebutait le grand public parce qu’elle parlait un langage nouveau éloigné des considérations relatives aux sentiments, quand Beffa et son complice Guillaume Connesson sont déjà vieillis avant d’avoir été jeunes, lisses, sans aspérités de caractère et frappés du syndrome du déjà entendu. On pourrait résumer en disant qu’il y a un demi-siècle la nouveauté faisait fuir, aujourd’hui cette même musique contemporaine, sous prétexte de se concilier le public d’aujourd’hui, ronronne et accouche de la plus plate banalité avec la complicité de la critique spécialisée. Les voies d’une sensibilité nouvelle, sans la radicalité de ceux de 1920 se trouvent plutôt du côté de Gérard Pesson, Robin de Raaf, Tristan Murail, Georg Friedrich Haas ou Pascal Dusapin. Et puis Jean-Louis Florenz disparu trop tôt en début de siècle. Libres et indépendants.

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28 Août

 

Je me défais de beaucoup de livres. Tous mes Heidegger disparaissent dans des cartons, exceptés Le Principe de Raison et Acheminement vers la parole. Tout un tas de Platon que je n’avais pas encore donné à Geneviève. Puis d’autres qui s’entassaient dans la poussière. Aujourd’hui tout s’échange, se vend. C’est le retour du troc, du débarras et du trop-plein. Et puis on ne peut vivre indéfiniment avec tant de livres qui dorment. Surtout les oubliés, ceux qui restent dans l’ombre, sur les étagères les moins visitées. D’autres en profiteront. Je fais aussi de la place pour des lectures à venir. 

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DEMON DE SEDUCTION


J’apprends que Bruno Walter a eu le malheur de perdre sa fille en 1939, tuée par un mari jaloux d’avoir été trompé avec la célèbre basse Ezio Pinza. Celui-ci chantait Don Giovanni quelques années plus tard au Metropolitan de New-York (des enregistrements de 49 et 52 existent) sous la direction de ce même Bruno Walter. De réelles versions d’anthologie, d’autant plus légendaires ! D’une séduction renouvelée …

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30 Août


De son voyage de trois jours en Algérie il semble que Emmanuel Macron a consommé du kérosène pour de nouvelles gesticulations. C‘est sous les huées qu’il a écourté un bain de foule improbable, le sourire aux lèvres comme schizophrène imperturbable, dessinant un sourire figé d’un saisissant contraste devant l’hostilité grondante de la foule.

De ces entrevues avec le président algérien, comme depuis des décennies, ce fut la litanie des sourires par devant de celui-ci, comme de ses prédécesseurs, et la haine inoculée à la population, rappelant à chaque occasion, dès que nous avons le dos tourné, que les malheurs et les misères du pays sont dues à l’affreuse colonisation, masquant l’incurie de soixante années de corruption du FLN.

La réconciliation des mémoires ? Il faut être deux pour ça. D’un côté la France n’a de cesse depuis toujours de battre sa coulpe au point de prendre, dans une sorte d’élan suicidaire, l’entière et exclusive responsabilité des maux sans exiger que l’Algérie en prenne sa part.

De l’autre côté, le chantage algérien qui ne vit que d’accusations, de cris d’indignation et du chœur des pleureurs et des pleureuses.

Le voyage du président français s’est donc soldé par des promesses de rapprochements et de coopérations futurs, et une simple augmentation de nos approvisionnements en gaz de huit pour cent.

Laissant sans réponse palpable le dossier brûlant et de plus en plus explosif des délinquants clandestins sur notre sol. Et pour cause. Nous n’avons plus la main ni l’autorité suffisante.

Et puis, du plus profond de l’Histoire, est-ce avec les dirigeants des FLN successifs ou avec le peuple algérien que la France espère une réconciliation ?

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Librairie Masséna, vers quinze heures. Des pépiements d’oiseaux à l’étage.  Des adolescentes odorantes se précipitent et s’agitent au rayon psychologie. Puis encore deux autres, puis d’autres encore, successivement, toujours entre Freud et quelques ouvrages de bien-être. Les autres rayons sont plutôt désertés. C’est étonnant ce succès des gongs tibétains, ce retour de l’encens, des bougies et ces manuels du comment faire face au stress et comment positiver en dix leçons.

La psychologie a progressé. A la portée de toutes. Dans la Vienne de Freud, les grandes bourgeoises payaient le prix de leur hystérie, non pas au prix d’un manuel de développement personnel à dix euros, mais l’équivalent de quatre cent euros d’aujourd’hui la séance, renouvelable quatre fois par mois de préférence, auprès du gourou Freud.

Qui n’a jamais guéri personne.

Mon ostéopathe m’a dit « vous avez un problème de foie. Même votre douleur à l’épaule vient d’une mauvaise circulation d’un sang qui encombre le foie. Les gammas et les transaminases ne doivent pas dépasser le seuil de la normalité indiqué d’autant que ce seuil est très généreux et tient compte des différentes ethnies des plus résistantes aux plus fragiles. La biologie voit très large ». Il me conseilla ensuite quelque hygiène de vie meilleure. De faire du yoga, de la méditation. Entendant « méditation » ça tombait bien, il me semble que j’y étais à l’aise, que j’avais fait plusieurs années de philo et que je n’ignorais plus rien depuis la sagesse grecque aux derniers frémissements de la pensée occidentale. Il a paru dubitatif comme si je n’y étais décidemment pas. Méditer aujourd’hui n’est plus une réflexion sur le monde et sur soi, mais une technique consistant à respirer, à répéter mentalement un mantra, une formule incantatoire (il faut évidemment que ça vienne de loin, des Védas ou d’ailleurs …) jusqu’à plus soif. En position du lotus. Une ascèse dit-on. Rentrer dans le flux du grand Tout, respirer, « méditer » quoi …

On n’en finit jamais avec les psys. On n’en finit jamais avec l’Orient.

Je garderais mon mal de dos.

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 31 Août


La déclaration du ministre des finances, suite à celle de Macron, il a quelques mois, parlant d’une même voix, passe en boucle sur les chaînes d’info : « Avec les sanctions prises à leur égard, nous allons mettre l’économie russe à genoux ». Et comme pour la crise sanitaire, nos visionnaires ne savent plus aujourd’hui comment nous expliquer qu’on aura froid cet hiver, que l’électricité augmentera de trente-trois pour cent et que les entreprises seront sujettes à coupures de courant.  De l’autre côté, les russes n’ont jamais autant vendu de gaz à leur partenaires, payé en roubles. De plus, côté gouvernement français, pour des raisons électorales, et complaire idéologiquement à la frange écologiste, la France a fermé des centrales nucléaires et s’apprêtait à en fermer d’autres, avant de faire le plus beau des rétropédalages devant les conséquences du conflit ukrainien. L’énergie nucléaire étant la seule industrie française tenant encore debout, ne pollue pas, ne coûte rien et assure notre indépendance énergétique. Que les allemands, côté vert (décidemment) voudraient jalousement affaiblir, voire disparaître. Nos gouvernants, à défaut de savoir prévoir, derrière cet aveuglement pathologique de fibre européiste, sont-ils même encore des gouvernants français ?

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2 Septembre


A Bernard:


Les textes sont à jour. Août a été un mois difficile pour la poésie. Plus rare. Plus mince. Rien n’est prévisible en poésie.

Il tombe un peu de pluie. On s’éloigne de la fournaise. J’espère qu’on aura beau temps au bord de l’Adriatique.

Je vais me plonger dans "l’Histoire des rois francs" de Grégoire de Tours, seul témoin historique de la naissance de notre histoire au VI° siècle.

Je viens de finir " la Bête du Gévaudan" de Moriceau, un spécialiste des loups. Passionnant. De quoi ne pas faire plaisir à Hélène Grimaud.

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3 Septembre


Évite la lecture des russes. Il pourrait y avoir une certaine ambiguïté, voire un soutien formel à des dictatures. Il faut toujours penser en terme de résistance triomphante…

Trêve de plaisanterie.

… Je réponds maintenant à tes réponses :

Ma fille s’est engagé à construire sur un terrain acquis il y a peu. La signature a été posé récemment. Maintenant, sur ce terrain elle a prévu un pavillon où nous pourrions avoir une place indépendante. Mais tout ceci est encore bien formel, l’intention est louable, mais je ne compte pas me rendre dépendant avant longtemps. Sur le terrain, il faut compter entre un et deux ans pour que la maison soit habitable. Ils ont un budget pour à peu près 100/120 m2 et piscine. (Deux fois par semaine ils vont voir l’archi pour de multiples retouches). Entretemps ils vont vivre à 4 en studio (25 m2) durant tout ce temps. En attendant la dernière autorisation en conformité de la préfecture. Voilà, c’est un projet qui a du corps et qui motive sur le long terme et c’est mieux que la fuite en avant vers la Colombie.

Les masques vont venir. Ce ne sont pas des créations. Mais de simples photos de masques authentiques des différentes cultures citées dans le poème.

J’en reviens au carnet (je vais être long !) : j’ai parfois l’impression que tu me lis en survol. L’épisode concernant la" méditation" n’était pas de ma part une folie de pratiquer celle-ci. C’était un second degré. Je suis comme toi, les abêtissements des ritournelles et autres mantras incantatoires m’affligent. C’est pour ça que je finis ma rubrique en disant que mon mal de dos n’est donc pas prêt de partir.

De même pour l’Europe. Tu dis " L’Europe n’y peut rien (la guerre) , parce que pas assez intégrée, et non le contraire ." Donc, si j’ai bien compris "pas assez " encore de cette Europe ?

J’ai fait sinon un long développement sur le sujet, du moins j’y reviens souvent. Et tu sais ce que je pense.

Comment faire plus complaisant (et convaincu) que la France envers cette Europe ? Comment faire plus convaincu que les allemands qui mènent l’attelage de cette Europe sous assistances absolues américaines(voir les 45 avions américains achetés par l’Allemagne, ça c’est pas de l’Europe !) pour faire plus encore ?

Comment faire un "plus" d’Europe avec une Allemagne qui a imposé ses affreuses éoliennes (le paysage c’est aussi de l’écologie) et que nous avons suivi par complaisance, négligeant, voire éliminant, notre indépendance nucléaire (eux reviennent au charbon) !! Avec le nucléaire on n’aurait pas eu à réduire nos consommations alors qu’on nous demande déjà de vivre chichement cet hiver !

Paradoxe de l’Europe. (Cela me fait penser aux communistes devant l’évidence de l’échec qui pensaient "parce que pas encore assez de communisme")

Faire plus de traités, régenter plus encore, faire plus d’administratif qu’on ne fait ?

La vérité est que l’Europe de Maastricht est un vulgaire marché de libre échange et rien que cela. Peut-on vivre seulement de consommer sans plus d’horizon que cela ? Même les jeunes de l’Islam méprisent cette unidimensionnalité.

Et paradoxe des paradoxes, c’est chez les boomers et la génération baba qu’on prône le libre échangisme, en un mot le matérialisme, pour toute valeur occidentale.

La vraie indépendance c’est la souveraineté. La Chine l’a, la Russie l’a, L’Inde et tout un tas de pays cohérent l’ont. L’Europe n’en est pas une. On l’a vu avec la crise sanitaire ; on le verra avec l’Ukraine. Nous n’avons, ni les uns ni les autres, les mêmes positions géostratégiques et géopolitiques.

On a dissous la France de toujours dans une force de substitution dont elle n’est qu’un élément et n’est plus maîtresse d’elle-même. Faudrait-il déconstruire jusqu’à l’os cette vieille civilisation, sa mémoire, ses modes de vie ?

La preuve, même Taïwan veut être indépendante. Petit pays qui ne se résout pas en être dissout dans le gros ventre chinois. L’Ukraine veut vivre comme Ukraine. Et la France dit les comprendre et les défendre! Il n’y a pourtant que cette France qui se croit plus forte se soumettant à un conglomérat de substitution (plus fort parce que plus grand… !). Contre-exemple : l’avion rafale a coûté moins cher que l’avion européen et a plus de qualités.

Ce que nous ne voulons pas voir, c’est que cette Europe se veut naviguer sous pavillon allemand (avec derrière eux les américains). (Pas un média ne bronche aux déclarations croissantes de bellicisme de Biden).

Je suis désolé d’avoir été si long mais c’est le nœud de tous nos problèmes d’aujourd’hui et de demain. Voire entre autre notre impuissance d”état de droit" lié à la Cour européenne des DDH pour virer un vulgaire imam.

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Dans Grégoire de Tours, il y a comme chez Tacite, cette implacable prise sur le réel, sur les seuls faits, négligeant les développements et les aspects psychologiques des actions humaines. On tue, on agit, on s’allie, se trahit, on meurt et on accède aux successions comme autant d’évènements inévitables et fatals, sans qu’aucun jugement ne soit porté par l’auteur de cette chronique exceptionnelle et unique parce seul à tenir le récit de tout ce temps, que sont ces histoires de nos rois francs du sixième siècle. En peinture ce pourrait être de la couleur sans mélange avec des traits acérés.

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Rossini a cessé de composé à trente-sept ans. Plus d’une centaine d’opéras pour l’essentiel. Ensuite il est entré en cuisine.

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5 Septembre


A Bernard:


… On a passé maintenant les quinze ans de collaboration. Ce n’est pas banal. J’avoue que notre association m’a aidé à devenir plus constant dans le temps. Il n’y a plus place pour les temps morts.

On a certainement passé le cap Horn de la vie. On remonte vers une lumière inconnue, terra incognita. Combien de chemin encore avant l’arrivée ?

Je t’envoie un dernier effluve de Rabat, ou si proche. Depuis les jardins de Bouknadel, près de la fameuse plage des Nations, celle des noyades (cf carnet) où il y a ce délicieux jardin.

Qui devrait trouver sa place dans Photo/poème.

La série des Noctuor est finie. Je suis ravi qu’elle t’a plu.

On pense déjà à traverser l’Italie, ça vient très vite. Départ le 16. Je prends le relais un peu plus au sud de votre randonnée…

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Bientôt Ravenne, les plaines d’Emilie-Romagne. On ne s’est jamais encore aventuré par là. J’aurais probablement l’impression qu’on put avoir ceux qui connurent la fin de l’Empire d’Occident. Mais Byzance a su s’enfoncer dans la plus raffinée des fins d’Empire.

Remarquables vases communiquant: à la même date de 1493, Constantinople est prise par les ottomans et c’est la fin, et très loin de là, un monde nouveau va éclore sur les rivages des Amériques.

La France est le pays de la première byzantologie sous François Ier.

Emile Bréhier qui a écrit un vaste ouvrage, un classique sur Byzance, ses lois, ses structures et la configuration de sa civilisation, n’a que quelques mots sur Ravenne et ses mosaïques.

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J’ai retrouvé trace d’un camarade de mon enfance à Rabat, Joseph Polizzi. Sa photo est apparue sur l’écran de l’ordi alors que je cherchais tout autre chose. Il est exactement comme il était du temps du patronage de l’église Saint François, sinon qu’il doit avoir soixante-douze ans et que je soupçonne la photo d’avoir déjà quelques années… J’ai donc poursuivi et appris qu’il habitait la Grande-Motte. Par d’Avant il m’a été difficile de laisser un message directement. Je ne sais s’il lui parviendra. Il naviguerait entre l’Italie, le Maroc et la France. Il est toujours célibataire et a travaillé dans l’infographie.

Il fait partie de ceux qui figurent sur la photo anniversaire de mes dix ans, avec des yeux de charbon et un joli nœud papillon. Il était présent ce jour-là avec son frère Bernard. Mais c’était surtout au cinéma, du côté des péplums et des capes et d’épées qu’on se retrouvait. Que sont-ils devenus?

Je prends une longue inspiration et je lui téléphone bientôt …

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7 septembre 22


Le XX° siècle aura été le siècle de la fin de la spiritualité chrétienne en Occident, commencée avec les élans de la Raison. Mais pas la fin de la religion. Par un effet de vase communicant, là aussi, le christianisme vivait le commencement de sa longue agonie, évincé symboliquement de l’espace publique en 1905, par la loi de séparation de l’église et de l’état, date à laquelle, non moins symboliquement, la Révolution soviétique prenait son premier essor, définitivement confirmée en 1917. La religion de l’homme nouveau, avec ses dogmes, ses rites, ses apôtres et ses folles et illusoires espérances, pouvait s’étendre, comme une Pentecôte, sur tout le siècle et sur tous les continents.

Aujourd’hui débarrassé de l’Empire soviétique, la religion des Droits de l’Homme a pris la suite.

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8 Septembre


A Bernard:


Il est certain qu’il y a un public pour cette littérature. Chez Masséna tout un rayon est engorgé de voyages dans l’arctique, les montagnes (la neige plait beaucoup), les sommets, les exploits divers ou l’exotisme. Depuis Marco Polo jusqu’à Sylvain Tesson, passant par Nerval et Flaubert à qui l’Orient allait si bien. Puis Loti que j’aime particulièrement (à Valparaiso, notre logement était juste une rue au-dessous de celle qui porte son nom et il n’avait pourtant fait qu’une escale au Chili :c’est dire la dimension qu’il avait à l’époque : il est bien oublié aujourd’hui, sauf dans ce rayon-là. "Rarahue" est un chef d’œuvre sur l’exotisme tahitien, d’ailleurs c’est la reine de l’île qui lui a trouvé son pseudo. Il s’appelait Louis Viaud).

Bref, je suis d’accord avec toi, il faut faire un fichier à envoyer à un éditeur. Je sais que tu sais procéder.

J’ai seulement peur que tout ceci manque hélas d’un peu d’exotisme. Sauf Les Indes. On pourrait d’ailleurs commencer par ce texte. Puisqu’il est chronologiquement le premier.

"Pâques … en Suisse" pourrait y figurer avec mention préalable ("virée sur les nuages de l’adolescence". Pareil pour les Indes). Et puis d’avoir soudoyer un portier de nuit n’est plus si terrible. Il y a prescription…

Sur le net j’ai demandé la liste des grandes maisons d’édition de voyage. Comme je le pressentais, elles sont plus ou moins spécialisées (Orient, exploits sur les mers et les montagnes etc.). Flammarion semble avoir plusieurs subdivisions qui correspondraient à mon travail. Je tiens ta proposition pour bonne. Et bien sûr on partagera le champagne et les gros chèques.

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9 Septembre


A Bernard:

… Onfray a encore dégainé. "Puissance et décadence". Lis au moins la quatrième de couverture.

Indépendamment du livre, Front Populaire présenterait une liste souverainiste pour les européennes. Je crois que ça se précise déjà pour 2027. Avec Zemmour en plus, ça klaxonne déjà sur ce segment. Un signe ?

J’ai aussi acheté la sorcière de Michelet.

La reine d’Angleterre est morte. Il va y avoir pleins de petites républiques qui vont fleurir de ci de là…

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Bernard:


J’ai lu le quatrième de couverture du Onfray. Je ne savais pas qu’il avait viré souverainiste à ce point. Du coup il m’intéresse moins. Je considère que c’est un combat dépassé, je suis totalement satisfait que la France disparaisse dans l’Europe, et par exemple, soit découpée en régions, bretagne normandie centre pays basque …, et qu’on n’en parle plus. Les états nations c’est du XVIIIe siècle, c’est fini, il faut passer à l’Europe nation (avec ou sans Macron à sa tête).

Les anglais pleurent leur reine. Cette réaction me surprend. Il paraît que la royauté avait un intérêt financier, comme moteur du tourisme. Ça me rendrait presque royaliste.

Demain départ pour l’Alsace, une belle région.

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à Bernard:


Comme tu y vas légèrement. Les nations dépassées ? Je me promets de ne plus te parler de ça. (D’abord les états nations c’est du 16° siècle). La démocratie est millénaire, donc dépassée, hop.

Dépassé les nations hop! obsolète, puisqu’on nous le dit avec tant d’insistance. Dépassé par où, par qui ?

L’Europe nation ? L’Europe régionaliste ? Mais tout cela fait beaucoup de contradictions.

La royauté moteur de tourisme ? Ça alors ! je ne te suis plus…

Peut-être que les racines profondes de ce qui constitue un peuple ont moins disparu chez nos meilleurs ennemis que chez les vermoulus républicains de cette France décharnée et seulement mercantile. Mais qui ne vend plus rien…

Je ne sais où tu vas chercher ça. Il doit bien y avoir une réalité quelque part.

Je ne te répondrais qu’attablé devant un verre.

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Je viens de commencer le Michel Onfray. Certainement qu’il me faudra plus de temps pour le lire qu’il n’en a mis pour l’écrire. En marge de la parution de l’ouvrage, on apprend par les diverses promotions médiatiques la décision d’un prochain engagement pour les élections européennes au travers de nombre de représentants de «Front Populaire». Un banc d’essai en quelque sorte.

Une liste souverainiste, anti Maastricht, c’est dit en quelques mots. La France diluée dans l’Europe est une catastrophe.

«La France n’est pas ingouvernable, elle est ingouvernée –si on me permet ce néologisme-. Et elle est ingouvernée parce que la dilution de la souveraineté du pays dans le condominium européiste depuis Maastricht a privé la Nation de toute puissance. Le Traité de 1992, obtenu de justesse malgré une immense propagande d’état, a retourné la souveraineté contre elle-même afin de décider souverainement de la fin de la souveraineté. Ce fut un suicide…

La France a perdu en puissance, elle a gagné en décadence. Ce fut un contrat social invaginé. La Nation ne décide plus du destin d’un peuple, c’est une Commission non élue qui gouverne à sa place.

L’Etat ne sert plus qu’à museler un peuple désormais de trop». M.O.

C’est martelé depuis longtemps.

Osera-t-il, comme il le laisse largement supposer, sortir de cette Europe?

Mais je crois aussi depuis longtemps que notre Président, comme le dit avec un humour non dénué d’une pointe de vérité, mais aussi comme un vœu personnel, mon ami Bernard, se verrait bien, non pas devenir, comme le qualifie son valet le plus servile, Alain Duhamel, Emmanuel le Hardi (!!), mais Macron premier empereur d’Europe. Européiste zélé, élève appliqué et attentif à l’endroit des multiples Commissions, bradeurs autant que faire se peut de son propre pays, avançant avec la confiance de l’aveugle vers une Europe toujours de plus en plus contraire aux intérêts du pays pour lequel il a été élu, devançant souvent les désirs les plus fous de nos meilleurs partenaires allemands, adepte amusé du wokisme américain, qui plus que lui mériterait le sceptre du «fol» impérial?

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10 Septembre


A Bernard:


J’ai essayé de rentrer dans l"anomalie" de Hervé Le Tellier, prix Goncourt (cette année ?). Je ne l’ai pas acheté, je l’ai pris dans une boîte à livre (on en trouve de partout).

Rien à faire. Dès la première page, le ton sent l’artifice. Phrase courte, familiarité des expressions etc. La recherche d’un ton, d’un style M’avez-vous lu ?

J’ai pensé il y a maintenant bien longtemps que le carnet aurait pu suivre une stylistique plus débraillée, puis j’ai vite renoncé. J’ai eu en main le long journal de Lawrence Ferlinghetti (1960/2000). Là-aussi on sent l’artifice du langage mi parlé mi déhanchement jazzy, chaloupement et désinvolture qui sonnent faux. On imagine ainsi le Village Vanguard. Idem pour Kerouac dont on fête je ne sais trop quel anniversaire. Ça vieillit vite, à moins d’être indulgent.

Par contre, "Le Moment Fraternité" de Régis Debray est une belle surprise. Et en léger rapport avec notre dernier courrier.

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11 Septembre


Churchill aquarelliste… Il peignait la Côte d’Azur, (comme le nouveau Charles III), les reliefs, les ports entre Nice et la frontière italienne. Comment peut-on, dans une même vie être tout à la fois homme d’Etat, orateur, prix Nobel de littérature l’année du couronnement d’Elizabeth II, et fumer quarante-quatre mille kilomètres de cigares?

Et boire comme un diplomate russe.

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KANT


Vivre de raison est rassurant. Comme dans une sphère, un enclos, la raison imprime le sceau de l’action forcément morale. La raison rassure d’être dans le champ privé du juste et du bon. Du moins du confortable et du relatif dans une perspective du moindre mal, de la moindre perte.

Kant aurait-il, au-delà de ce périmètre, franchi, au-delà des zones de la connaissance, les turbulences incognitives du pouvoir de l’intuition et de l’imaginaire, voire de celles confinant au sacré, le domaine hors champ de ce qui n’est pas la raison?

Si Dieu est Dieu pourquoi et comment serait-il réductible à la seule raison?

Le livre ouvert de la connaissance et de la science au sens kantien n’est rien au sens de Montaigne (que sais-je? sous-entendu, à part l’inessentiel).

Toute connaissance n’est simplement et seulement concevable que dans le cadre fixé des conditions a priori de l’entendement, l’espace et le temps.

Au-delà des savoirs empiriques n’y a-t-il pas un inconnu (non pas du connaissable en puissance cartésien), une dimension irréductible à la Raison?

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14 Septembre


Karl Heinz Stockhausen, comme Claude Debussy est né un 22 Août, tous deux à l’aurore d’un matin prémonitoire; d’une aussi étonnante évidence que l’indissociabilité du cinéma et de Louis Lumière

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Godard est mort. Godard intouchable. Une fois de plus on a eu droit à une énième diffusion du Mépris. Est-ce que ce cinéma a vieilli ou est-ce la plus belle supercherie de ces soixante dernières années?

Brigitte Magrino m’écrit: «Godard était marrant, moi je l’aimais bien». Et voilà, c’est bien suffisant.

«Et mes fesses, tu les aimes mes fesses…

– Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire …

– ton mari est mexicain? J’ai jamais vu un mec si con.

– J’suis pas infâme. Je suis une femme…»

Son cinéma en est truffé. Entre almanach Vermot et fausse candeur tirée au cordeau.

On joue dans ses films comme on lit le Bottin. Jean-Pierre Léaud en fera une marque de fabrique.

Dissociation de l’image (écrasement des dialogues) et envahissement de la bande son.

Bêlement en Mai 68: sa décision de fermer boutique, de boycotter le festival de Cannes, «vous me parlez de zoom, de travelling et de contreplongée quand les ouvriers de Renault sont en grève!» Grandiose… Des fois que ce soit une vraie révolution…

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RAVENNE    -16/19 Septembre-


Vendredi 16 Septembre


Elle a levé la tête vers le ciel et dit:« è la chiesa di Giovanni Evangelista», appuyant avec une certaine force et comme conquise par le sacré de la chose, sur la fin du nom de l’église, Evangelista … C’est la première merveille dans le ciel de Ravenne, entourée d’arbres faisant parterre de feuilles déjà automnales sur tout le pourtour du parc et de la Via Farini. A deux pas de la gare ferroviaire et de l’hôtel Minerva plongé dans la rangée de platanes et de marronniers tout le long de la Viale Maroncelli.

La petite vieille a continué tout doucement, appuyée sur son déambulateur, avec l’expression satisfaite d’avoir pu «aiutare si possibile», (aider si possible) les deux étrangers que nous ne manquons pas d’avoir l’air.

L’intérieur est sobre avec deux travées latérales, rythmée par les classiques piliers à chapiteaux corinthiens tout hauts perchés, le plafond plat de bois orné, comme presque toujours en Italie, et déjà comme avant-goût, sur les murs latéraux, des tronçons successifs de mosaïques récentes aux thématiques de la pêche miraculeuse ou la traversée de la Mer Rouge. De belles compositions sobres, mais ce n’est encore qu’une entrée en matière. C’est dans un silence lisse et luisant de patine que ce Baptiste évangéliste est le premier à nous accueillir.

Dans l’église la plus ancienne de Ravenne nous dit la petite dame…

On nous avait promis de gros nuages et une après-midi remplie de grisaille. Et durant toute la traversée latérale de l’Italie ce ne fut qu’une constante sérénité de lumière, de Piémont, Lombardie, en Emilie Romagne. L’arrivée en ville est semblable à l’entrée dans un gros village arboré, sans frénésie, parvenant très rapidement à destination.

Puis immédiatement après le parc, la Via Roma, à main gauche, San Apollinare il Nuovo sous le ciel translucide et la première tour-clocher circulaire, en moyen appareil de briques couleur ocre, si caractéristique des édifices d’ici. Le vent léger mais constant expliquant peut-être la grande limpidité du ciel déclinant. D’une lumière d’esprit.

Etonnamment c’est un sentiment de quiétude et de lenteur qui se répand tout le long des rues peu fréquentées et comme somnolentes d’un rythme provincial.

Si calme et si tranquille qu’on retrouve juste au moment de traverser la chaussée vers l’entrée de Saint Apollinaire, la petite dame qui eut, le temps de notre visite à l’Evangéliste, de parvenir à cet endroit de la Via Roma où se situe l’entrée: «E quella con molti, molti mosaici…»

Elle ne sera, en effet, pas avare en mosaïques…

Saint Apollinaire le neuf est un des parfaits joyaux de la ville. On pourrait y déambuler sans jamais se lasser. La description même détaillée ne donnerait pas l’impression vivante de tant de lumière nuancée et de sobriété somptueuse sur ses surfaces murales hors du commun. Parler de Ravenne c’est, d’abord et évidemment, s’immerger dans l’exceptionnel fond de mosaïques qui est à la ville ce que sont les peintres phares de la ville à Venise ou les Greco à Tolède.

…  

… Nous sommes revenus hier soir après un séjour paisible et de toute beauté. Les quelques clichés que je t’ai envoyés illustrent à peu près, tout à la fois les immenses trésors accumulés depuis les byzantins, et la quiétude d’une ville qui respire une forme de province italienne, ni trop décrochée (on n’arrive malgré tout pas à trouver ces fameux maillots des équipes de foot auxquels s’identifient les enfants !), ni trépidante, comme pourraient le laisser imaginer ces merveilles sans égales. Au sens propre, parce que l’art de cette époque ne se retrouve aucune part ailleurs qu’ici, pas même à Palerme, du moins avec une sensibilité différente, moins ancien et sur d’autres tonalités.

L’Italie a inventé d’une certaine manière la "déconstruction" de l’autoroute. Tout le long des six cent kilomètres du trajet, ce ne sont que faux travaux, panneaux, points d’exclamation, messages subliminaux de danger, circulation réduite à deux, voire un seul couloir, donc véritables ralentisseurs à des fins que tu imagines, de pollution moindre, et de préparation future à rester chez soi comme on ne prendra plus l’avion bientôt que pour des raisons rationnellement justifiées.

On atteint donc l’absurdité tout le long du trajet, croisant en permanence de fausses protections magnifiquement déployées d’un personnel de travailleurs fantômes, de plots de séparation annulant une voie sur des kilomètres, jusqu’à être parfois (par la grâce de chicanes de déviation) renvoyés sur la voie de l’autoroute venant en sens inverse, afin que nous roulions tous sur une voie unique à plus faible vitesse bien sûr.

Tout cela issu de tables rondes ministérielles traitant des dossiers sécurité et écologie tout à la fois.

Le but étant comme dans d’autres domaines, non pas d’améliorer ce qui fut considéré comme un progrès ou une innovation dans l’ordre de la communication au sein de la communauté des humains, l’autoroute en l’occurrence, mais d’en réduire la portée, d’en briser le fonctionnement, voire d’en détruire le sens même sous peu de temps.

Mais Ravenne n’a pas été déconstruite heureusement. Par sa perfection et sa sobriété structurelle, Sant’ Apollinare s’aborde dans le sentiment d’une nudité absolue, si ce n’était l’animation des surfaces rendues vivantes par la composition des mosaïques de couleur et la description des scènes bibliques sur la longueur interne à l’allée centrale, des deux travées menant à l’abside.

En fait d’animation, il s’agit en l’occurrence de la procession au rythme d’une avancée cinématographique de la communauté des martyrs. D’un côté les saints martyrs, de l’autre les saintes.  

Là où défilait une procession de la cour ostrogothe, après la conquête byzantine de Théodoric, sera réalisée une longue avancée de vingt-six saint martyrs menée par Saint Martin.

En symétrie, faisant face, un cortège de vingt-deux saintes, précédées par les Mages, se dirige vers la Vierge à l’Enfant. Le contraste est saisissant entre les vingt-deux vierges hiératiques et les mages aux pantalons à la dominante de vermillon, largement inclinés en signe d’humilité à mesure qu’approche l’enceinte des anges et du trône marial.

D’aucun des personnages du cortège ne se distingue par l’attitude, sinon une hiératique sérénité drapée de blanc, une couronne à la main. Et notre regard manque à embrasser la scène complète dans le sens de la continuité.

C’est alors que nos pas s’arrêtent à la contemplation de chacun d’entre ces portraits, de leurs drapés tous eux-mêmes différents, dans la plus parfaite attitude et la plus haute spiritualité. Avec comme commune présence, une émanation spirituelle du regard déjà posé vers un ailleurs bienheureux.

Vingt-deux et vingt-six visages dans les nuances les plus subtilement individualisées marchant vers une même sereine destinée !

Dans l’une des niches, avant même le début de la procession, je m’attarde longuement aux trois navires superposés les uns au-dessus des autres, dans un souci d’entrer dans un même cadre, sur fond bleu, s’apprêtant à franchir deux colonnes de pierre signifiant l’entré dans quelque port.

Il devient impossible de distinguer autrement que par des images de livre d’art, les scènes beaucoup plus réalistes et narratives se situant au niveau le plus élevé des parois de la nef où s’inscrivent vingt-six panneaux de la vie du Christ, dont les Noces de Cana, la Multiplication des pains, la Rencontre avec la Samaritaine, la Cène et, l’Incrédulité de saint Thomas.

Autant l’église respire l’harmonie, en une parfaite ordonnance symétrique, autant le petit cloître ferait penser, par son naturel échevelé de sapins et d’herbes négligée, au cloître d’un obscur curé de province.

En remontant la Via Roma dans l’autre sens, on atteint la Via Diaz qui marque l’entrée de la zone piétonne, les pavés et les arcades jusqu’à la large Piazza del Popolo. Comme toutes les places italiennes, elle porte les marques de l’élégance. Deux colonnes, comme des trophées romains, rythment la perspective sous l’édifice du Palais communal et ouvrent un magnifique espace rectangulaire jusqu’à l’angle de l’église Santa Maria del Suffragio. Le bâtiment baroque, à l’opposé du palais communal, accueille la préfecture aujourd’hui et pour longtemps recouvert d’un épais voile de protection sous lequel des travaux de réfections minimisent le beau paysage urbain que forme l’ensemble de la Place. C’est le cœur de la ville aux terrasses de cafés et aux bâtisses en pierres taillées faisant l’intersection des différentes orientations allant vers les palais et les vestiges multiples de Ravenne.

Remontant vers le Nord, nous sommes à deux pas du marché couvert et d’un tortillon de rues s’amincissant à mesure que nous nous approchons de la Basilique de San Vitale.

Et là, le paysage devient romain. J’entends par romain tout ce qui touche l’ocre des pierres, les pins et l’azur du ciel. Et ce soir ce trinôme est agrémenté du feu d’un crépuscule accentuant le relief de la pierre dans le frémissement d’un temps qui s’est arrêté. A la mesure de ce qui nous attend.

Sur la droite du parc longeant le grand ensemble de San Vitale, par une simple porte, on pénètre dans une bouche d’obscurité. Mais immédiatement, comme épousant le volume du plan en croix grecque, le bleu du Mausolée de Galla Placidia dévoile une voûte du plus beau bleu que puisse revêtir l’infini du ciel étoilé d’or.

Dès la porte d’entrée, à hauteur d’homme, lorsque les yeux s’adaptent, dans la lunette axiale, la préfiguration du martyr de Saint Laurent laisse supposer que le mausolée lui est dédié. Sur les trois autres, successivement, le Bon Pasteur, et diverses scènes naturalistes de paradis dans des entrelacs de végétaux, de brebis et de motifs décoratifs.

La coupole s’ouvre sur le ciel de la mysticité et pour ceux qui lisent les Ecritures, sur la plus sereine des théologies de plein ciel. De plein ciel dans une nuit d’étoiles.

Sur les arcs, des paires d’apôtres aux gestes d’éloquence prophétiques, et des colombes, des fontaines jaillissantes.

L’intersection des bras de la croix est surmontée d’une coupole. Et sur le fond bleu parsemé de l’or des étoiles, les évangélistes de part et d’autres, suspendus comme navigant sur un océan cosmique.

Jamais représentation de l’infini ne m’était apparue avec tant de prégnance dans un volume tout à la fois restreint et comme ouvert sur le sublime des attitudes, des formes spiritualisées et de la parfaite maîtrise chromatique. Les artistes ayant, de plus, fait coïncider en une adéquation sûre, l’expressivité des représentations à la mesure des espaces définis par le volume du mausolée.

Pénétrer dans Galla Placidia est comme avoir eu la clé d’un trésor dormant dans les profondeurs.

La lumière est encore plus rasante au sortir du mausolée, et le ciel, par la plus belle illusion, semble avoir pris des couleurs de cette voûte céleste. La basilique est à quelques pas de là.

Le revêtement en brique présente la sobriété typique des églises ravennate. Le plan est octogonal et comporte deux tours sur les côtés. On pénètre par une porte sans faste à échelle humaine, qui donne directement sur le chœur et le presbytarium.

Si Saül, le soldat persécuteur féroce de christianisme, est devenu Saint Paul sur le chemin de Damas, il dut ressentir cette sorte d’éblouissement qui prend en levant les yeux sur la lumière de San Vitale, par la grâce architectonique d’une dominante de vert éclairée d’une lumière graduée, nimbant l’ensemble du chœur comme le ferait la lumière de «L’Apparition de l’église éternelle»de Messiaen, en ascension progressive et ogivale, offerte à une contemplation inouïe.

Les artistes ravennates ont eu le génie de concevoir le jeu de la lumière de manière audible et synesthésique. Celle-ci pénètre à l’intérieur par des angles différents selon la hauteur des fenêtres, puis est fendue par l’architecture, faisant ressortir l’éclat des mosaïques et des marbres.

Nous restons médusés. La seule description du presbytarium est un exemple parmi les autres.

La cour impériale est placée sous l’autorité de celle du ciel.  C’est le plus beau défilé visible aux panneaux latéraux encadrant l’abside. Théodora domine le panneau de droite d’un manteau pourpre brodé d’or et d’une couronne ornementée de perles. En majesté entouré de sa suite.

L’empereur Justinien campe au milieu du panneau gauche, flanqué de l’évêque Maximilien et d’un cortège de patriciens et de soldats. L’aspect frontal des personnages et leur disposition sur un seul plan cernent les volumes et confèrent une dimension divine aux personnages historiques. Certains visages, isolés de l’ensemble, sont de véritables portraits.

Ce sont les cortèges virtuoses les plus éblouissants de San Vitale.

Si Galla Placidia était une musique de chambre absolue, la basilique attenante en serait le complément symphonique avec chœur, double et même triple chœur! …

La lumière descend doucement sur la pierre, le ciel baigne encore le paysage   italien de toute sa romanité.

Nous redescendons par le même entrelacs de ruelles, la Via Marini, le marché couvert et l’attractive Piazza del Popolo, puis contournant par Via Gardini et le Musée de l’Archevêché déjà dans l’ombre, la place de ceux tombés pour la Liberté, jusqu’au Palais della Provincia et la superbe Piazza San Francesco, avec sur sa droite une rangée d’arcade abritant de petits cafés aux terrasses encore animées et de skateurs bien innocents que la police fera fuir comme des lapins dès l’arrivée d’une bien insignifiante voiture banalisée.

L’Italie a encore le respect d’une certaine autorité…

La perspective de la Piazza est un chef d’œuvre d’urbanisme. Vue de face, dans un parfait rectangle, une rangée d’escalier menant sous les arcades (ce qui faisait donc l’attrait des turbulents skateurs), la façade dépouillée de l’Eglise San Francesco décalée en légère dissymétrie sur la gauche, encore flambante des derniers feux du crépuscule sur toute sa partie haute, et tout à droite, dans un petit parc le Musée et le tombeau de Dante.

En fait de tombeau, il s’agit d’un austère mausolée ouvert sur un bas-relief représentant le poète imaginant, dans une position inspirée, quelques vers inscrits dans le marbre. La dépouille elle-même repose un peu à l’écart dans le jardinet attenant, sous un amas de feuillage d’où émerge une simple inscription dans la pierre.

Comme nous avions déjà vu un tombeau de ce même Dante à Florence, à l’église Santa Crocce, la question se posait de savoir où est réellement enterré le poète…

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DANTIS POETAE SEPULCRUM

Il se trouve qu’historiquement il est mort à Ravenne. Son corps fut déposé dans le sarcophage actuel le long de la route, à l’extérieur du cloître de Bracciaforte. Ce n’est qu’à la fin du XV° siècle qu’il fut déposé au côté ouest du cloître où nous sommes. Peu de temps après les florentins réclamèrent tout ce qui concernait Dante. Et c’est, soutenu par Michel-Ange, que le Pape Léon X, issu de la famille florentine des Médicis, émit le vœu de récupérer les restes du poète. Lorsque les émissaires du pape ouvrirent le sarcophage, les ossements avaient disparu. Les moines franciscains avaient creusé un trou à travers le mur du cloître et dans le sarcophage pour mettre en lieu sûr les restes du poète qu’ils considéraient comme l’un des leurs.

Dans l’espoir que les reliques soient rendues à la commune de Florence, en 1829 la ville fit réaliser un grand cénotaphe dans la basilique de Santa Croce. Celui-ci représente le poète assis et pensif, soulevé «en gloire» par l’Italie, tandis que la poésie pleure prostrée sur le sarcophage.

La ville de Florence qui n’a toujours pas obtenu satisfaction, ne peut que fournir chaque année l’huile nécessaire à alimenter la lampe du tombeau à Ravenne.

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C’est à quelques pas de la Piazza, à l’endroit rétréci de la Via Ricci, devant la terrasse d’une taverne saturée de belles dames et de messieurs patientant, endimanchés de vendredi soir, que la CADE’ VEN attire notre attention. Contrairement à ce qu’on rencontre en Italie en général, où les bistros paraissent toujours flambants neufs dans leur métal brillant et leur plastique glacial, les boiseries chaudes, les garçons vêtus de très strict noir et blanc, les lumières indirectes, de très hauts plafonds, et surtout l’absence de ces horribles fonds sonores, nous ont convaincus de pénétrer. Un des officiants nous dit sur un ton extrêmement poli à voix basse «C’est vendredi, nous sommes désolés mais tout est réservé».  La dame au chignon très relevée sur le haut, les lunettes baissées sur le nez, s’avance vers le serveur, et comme par l’effet de quelqu’un à qui on aurait négligemment donné un coup sur le bec, nous voilà immédiatement placés à un des meilleurs endroits de la taverne. La colonelle certainement…


Samedi 17 Septembre


La Pluie. Avant même la fin de la nuit, les grondements dans le ciel, des jaillissements de lumière. Derrière la fenêtre ce matin c’est encore très chargé.

Les premières gouttes de pluie dès la sortie de l’hôtel le long de la Via Farini, puis avant même de parvenir au petit bistro au bout de l’avenue, le vent en rafale. Une spécialité de l’Adriatique.

Je n’aime pas les bistros italiens qui manquent de charme, qui manquent de ce négligé qu’on sent dans les petits cafés de France où la patine du temps a marqué de gravité ou de dérision les moments passés au comptoir ou aux tables où se sont faites les révolutions, les rencontres les plus inattendues et les rendez-vous assidus dans le brouillard enveloppant des journées qui ne demandent qu’à être perdues.

Ici les bistros sont dans toute la clarté de l’amnésie. On ne leur imagine pas avoir une histoire, une mémoire quelconque du passage du temps. Ce sont de simples lieux anguleux et métalliques qui n’incitent pas à rester ou à y donner rendez-vous, propres, étriqués et fonctionnels. Mais l’expresso y est toujours excellent.

Ce matin nous prenons hâtivement le café à la terrasse d’un minuscule établissement de Via Farini où les croissants sont systématiquement fourrés de crème ou de confiture; pas moyen de trouver quelque chose qui ressemble à des œufs, du jambon ou de vrais croissants. Ici les croissants n’ont que la forme des véritables, et les répliques sont parfois tellement bien réussies qu’on les confondrait avec les pur beurre…Mais «Tutti questi sono dolci».

Des gâteaux, des viennoiseries en vitrine.

Habituellement je vis à Rome comme les romains, j’ai la curiosité des plats du pays traversé, et souvent ce sont de belles surprises. Je ne suis pas difficile, j’adapte ma curiosité aux multiples découvertes possibles que procurent les voyages en matière culinaires comme d’ailleurs pour le reste de ce qu’offre les séjours à l’étranger. Mais la chantilly et le sucre glacé dès le matin, je ne m’y fais pas. C’est tout de même drôle cette appétence exclusive qu’ont les italiens pour le sucré…

Comme il devient impossible de nous disperser et de mener nos investigations trop loin pour l’instant, le Baptistère des Ariens se trouve être justement après les arcades de la Via Diaz et une petite ruelle sur la droite, dans une sorte de goulet où apparaît l’octogone du baptistère dans toute la simplicité et l’austérité de sa pierre. Ses proportions durent être parfaites si ce n’était cet affaissement que subissent ces vieux édifices comme Galla Placidia et celui-ci, enfoncés en terre de presque deux mètres depuis l’origine, donnant l’impression d’un évident tassement de l’ensemble.

Le nom lui-même intrigue, Baptistère des Ariens, avec un i… C’est Théodoric qui établit l’arianisme comme religion officielle vers la fin du V° siècle. Il fait construire le baptistère dit des Ariens, selon la doctrine d’Arius qui niaient la nature divine du Christ, pour la distinguer de celle des orthodoxes (qui eux-mêmes suivaient la doctrine catholique).

PARENTHESE

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Il aura fallu venir à Ravenne pour comprendre un de éléments fondateurs de notre histoire de France: pendant la nuit de Noël, durant les dernières années du V° siècle, (la tradition a retenu la date de 496, plus tard encore peut-être), le roi Clovis s’est fait baptiser par Saint Rémi à Reims, en compagnie de trois mille de ses soldats. Avait-il été converti par l’invocation du Dieu de Clotilde qui lui avait procuré la victoire de Tolbiac, comme l’a prétendu Grégoire de Tours? Une lettre de Théodoric fait allusion à une récente victoire du roi qui aurait vu périr devant Tolbiac le roi des Alamans. La lettre est de 506 ou 507. Et l’histoire de la conversion du roi mérovingien a visiblement été recomposée par l’historien des Francs pour l’assimiler à celle de Constantin au pont Milvius.

 On a contesté que son baptême pût être légitimement tenu pour l’acte fondateur de la Nation française. Bon nombre de chefs barbares étaient, bien avant lui, déjà chrétiens.

Mais ce serait passer à côté de la véritable signification qui donne à l’évènement sa portée décisive. Clovis, instruit des mystères chrétiens par Rémi, embrassa en fait la foi nicéenne à la différence des autres chefs barbares, qui a l’instar des Goths, avaient au IV° siècle, adopté le christianisme sous la forme de l’hérésie arienne.

En faisant pleinement sienne le dogme trinitaire, Clovis avait adopté la foi qui était celle de la majorité des habitants de la Gaule romaine, celle des élites de l’aristocratie gallo-romaine passée en masse dans l’épiscopat lors de l’effondrement des structures politiques de l’Empire romain d’Occident.

C’est donc bien devant cet octogone ravennate que s’explique pour moi, et la signification du baptistère des ariens, et la confirmation que Clovis par son baptême, signe l’acte de naissance de la France comme nation.

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De la structure d’origine, il ne reste que la partie centrale octogonale, et les quatre petites absides sur les côtés. A l’intérieur, seule la décoration en mosaïque de la coupole demeure intacte, alors que rien ne subsiste des riches décors en marbre et des stucs qui embellissaient les parois.

La merveille demeure la coupole. Il faut d’ailleurs une bonne souplesse des reins pour embrasser du regard l’ensemble du cercle tout là-haut qui compose cette coupole. Dans le médaillon central, comme dans tous les baptistères, le Christ recevant l’eau symbolique des mains de Baptiste. Le vieil homme chenu qui assiste à la scène est dit-on la personnification du fleuve Jourdain. Autour de la scène centrale, toute une théorie d’apôtres, séparés les uns des autres par des palmiers en rappel de leur martyr. C’est ici la même iconographie qu’à San Apollinare il Nuovo. Pareillement, dans leurs mains, la couronne symbolisant la victoire de l’Esprit.

Les gardiennes du lieu, bien que protégées dans un mince réduit doivent ainsi passer la journée dans la monotonie de la pluie au seuil de l’édifice, n’en perdent pas moins le sourire. Mais regardent-t-elles encore la merveille qui les auréole au-dessus de leur tête?

Une avalanche d’eau et de vent glacé s’abat dans les rues qui mènent à la Piazza del Popolo, comme si un courant aspirait avec furie les ruelles désertées de la ville ancienne. Les seules personnes rencontrées présentent, lorsqu’on les croise arc boutés et luttant contre le vent, les baleines des parapluies hérissées et vaincues dressées vers le ciel. Nous trouvons refuge dans un de ces petits cafés somnolents et feutrés où les clients lisent les dernières nouvelles devant des chocolats et d’abondantes pâtisseries. Une petite musique entêtante et triste de quatre notes et deux accords, comme du mauvais Satie, tourne en boucle, ajoutant à la monotonie. Depuis notre large baie vitrée, la Piazza bien que déserte, n’en est pas moins belle, battue de bourrasques à déchirer oriflammes et drapeaux aux balcons de l’hôtel de ville.

Depuis cet enfer météorologique, rasant les murs le plus souvent entre deux flaques, c’est par la Via Gardini qu’on atteint le Dôme et le Musée de l’Archevêché, dont on avait repéré déjà le baptistère sur ses flancs et l’imposante coupole.

Nous nous aventurons dans le labyrinthe des multiples salles regorgeant de témoignages lapidaires de la Rome antique. C’est avec cette ignorance de l’épigraphie, de l’anonymat des vestiges et des messages codés des choses de la pierre, en enviant l’intérêt que trouve un chercheur aux multiples stèles, inscriptions et autres bustes de personnages antiques, que je ressens souvent cette impatience de ne saisir la portée réelle de tous ces témoignages dormant dans ces salles. Nous déambulons au milieu des règnes de tel ou tel empereur, de tel fragments de pierre et d’éclats signifiants d’inscriptions et de visages antiques, que le sens m’en échappe presque toujours.

Puis, parmi les couloirs et les dédales de toutes ces salles, un étroit escalier mène sans prévenir à la merveille de la Chapelle archiépiscopale de San Andrea.  Comme pour Galla Placidia, c’est d’abord le silence de l’ombre qui prélude aux scintillants des bleus qui émergent lentement. Le miroitement des myriades d’éclats de tessons colorés.

Prévu comme oratoire privé, cette chapelle est le seul édifice destiné au culte orthodoxe comme en témoigne le message polémique véhiculé par les mosaïques exaltant le rôle du Christ en opposition à la pensée arienne.

Dans le petit atrium rectangulaire, la voûte en plein cintre est décorée de motifs de lys blancs et d’oiseaux qu’on croirait s’étendre au-dessus de nous, et pourtant dans la plus délicate intimité, l’épanouissement d’un ciel infini.

Dans la lunette au-dessus de la porte d’entrée figure un Christ guerrier portant une croix qu’il pose sur son épaule, et de l’autre main un livre ouvert sur la phrase «Ego sum via, veritas et vita».

L’impression de monumentalité est inversement proportionnelle à la dimension de la chapelle. Encore une fois les architectes et les magiciens de la mosaïque ont hissé en un condensé virtuose les représentations du cosmique dans un espace minimal.

La mosaïque de la voûte centrale présente les quatre archanges, alternés aux symboles des quatre évangélistes et sous chacun des arcs vingt-huit figures en médaillon, le Christ et les apôtres en rappel de la foi de l’église en celui-ci.

C’est comme une éternité solaire qui se diffuse sous l’espace réduit d’un si petit oratoire. Dehors, les bourrasques continuent avec une lumière sale et grise derrière les fenêtres, et contrastent violemment avec les bleus et les ors où nous sommes.

Redescendus sous le vaste dôme, le contraste est encore plus saisissant. L’église est terriblement sombre, et malgré les visiteurs encore en nombre important, semble désertée, tant l’espace est ouvert et disproportionné par le vide qui l’habite, en regard de l’énergie que dispensait il y a quelques instants la chapelle San Andrea. L’église me fait penser à un petit Vatican sans contenu tant ses dimensions ont été conçues si largement que la lumière n’y pénètre par aucune fenêtre. C’est à ce genre de détail qu’on mesure que le christianisme d’aujourd’hui porte des vêtements trop grands. Malgré tout on s’y sent bien, comme si nous nous étions égarés et que personne ne viendrait à notre recherche, perdu dans un silence apaisant. On y rencontre donc des chromos sans intérêts, peut-être quelques chefs-d’œuvre égarés qui nous auraient échappé, et surtout des statues naïves du XVIII°, dont une semble avoir inspiré le sculpteur d’un portrait tout perruqué de Voltaire.

Le bedeau sonne énergiquement la cloche de midi et l’heure de fermer boutique. Nous nous retrouvons sous les bourrasques qui fouettent l’auvent et les hauts piliers de l’entrée.

Une multitude de jeunes italiens, plus que de touristes, attendent comme nous un ciel meilleur. Deux jeunes emmitouflés nous indiquent au plus court le chemin vers le Popolo et la piazza San Francesco.

Et puis toujours ces affiches, «Dante sinfonia», «Dante au Théâtre de la ville», «Dante Requiem» et bien d’autres affichettes annonçant des spectacles, des expositions. Etrange.  La première explication est qu’ils aiment bien leur héros. Au point d’avoir combiné pour conserver la sépulture contre les arrogants florentins.

Mais tout de même.

Ce sont les méditations qui nous animent dans le refuge du moment. Un bistro absolument désert, propre et calme, peut-être sur la Via Guerrini, avec au moins trois ou quatre serveuses désœuvrées qui n’attendaient que nous. L’orage s’est momentanément calmé. Le vin de Romagne de midi est excellent.

Mais pourquoi Dante est-il donc annoncé comme une rock star?

Je comprends enfin qu’il s’agit sans aucun doute d’une commémoration. Et pas n’importe laquelle. Le sept centième anniversaire de la mort du poète. Et même, le sept centième (et un an de plus) de sa disparition, 1321. A deux jours près, (le 14 du mois) nous arrivions exactement pour saluer l’évènement. C’est donc naturellement que nos pas nous mènent vers San Francesco.

La galerie sous arcade qui longe la partie longue du rectangle de la Place, depuis le haut de ses marches fait face, de l’autre côté, au jardin donnant sur le Musée Dante. Quelques statues contemporaines plantées là, assez intempestives, se veulent donner un visage coloré et agressif du poète. Nous sommes non sans humour, dans la zona dantesca de Ravenne. En attendant l’ouverture, nous goûtons le San Giovese et le chardonnay local à l’intérieur d’un bistro avec cette vue donnant sur le jardin et le tombeau déjà encombré de monde.

Le musée, loin de ressembler aux innombrables bâtiments cossus regorgeant de chefs-d’œuvre historiques, est en fait un long couloir d’exposition d’œuvres comme autant d’hommage à Dante, clairement ouvert sur l’extérieur. Cela va de reproductions de portraits ou de scènes de réminiscences bien connues, détournées symboliquement de leur sens d’origine, à de pâles créations aux lisières, soit de la mièvrerie (ce qui en l’occurrence aura manqué de pertinence) soit ostensiblement cauchemardesques s’agissant de l’Enfer, mais trahissant des mains d’artistes trop juvéniles pour avoir saisies pleinement les profondeurs et les arcanes de la pensée de Dante. Une seule d’entre elles a attiré mon attention, le «Minotaure enchainé». Une représentation d’un taureau assis et résigné, les jambes croisées et les poignets liées par des chaînes.

Puis, par la modeste rue des poètes et des artistes, à défaut de me souvenir du nom de cette rue que nous longeons, des plaques de marbres indiquent à intervalles réguliers sur les murs, les noms de ceux qui vinrent à Ravenne, Hermann Hesse, Klimt, Henry James, Jung, Yourcenar, Jean-Paul II, Diaro Fo, prix Nobel, et quelques autres qui avaient dû précéder le long de la partie que nous n’avons traversée.

Nous nous perdons doucement dans la pluie. Le chemin ne ressemble plus à celui de mon orientation qui commence à faillir. Il devient risible de dramatiser de telles conditions inconfortables tant elles semblent exagérer par contraste la sérénité de cette ville. Ravenne est discrète et fait le dos rond. Les passants, probablement des ravennates, attendent sous les arcades, le parapluie ouvert à leurs pieds, sans aucune impatience apparente. La ville se fait timide et sans humeur.

Même le gris des façades et l’eau qui coule au pied des immeubles semblent maintenant revêtir le charme de la patience et de la sérénité.

Ce détour d’une austère poésie nous a mené vers l’enceinte extérieure plus au sud, nous laissant tout à la curiosité de ces plaques de noms célèbres, jusqu’aux lisières de quartiers modestes et populaires. Jusqu’à la Porta Nuova.

Et puis quittant les serpentins de la ville historique, nous longeons longtemps depuis Zagarelli la Viale Baldini qui fait une boucle autour du grand parc public. Au loin, le fantôme de la massive Santa Maria in Porto dans les brouillards qui se lèvent.

L’automne est tombé du ciel, et sous nos pas, ce sont des parterres continus de feuilles de marronniers et de bogues encore vertes. La pluie a cessé et les nuages laissent apparaître de timides trouées de bleu qui ne demandent qu’à poindre. Tout le long du chemin qui mène maintenant vers l’hôtel c’est une éblouissante marqueterie de végétaux déposés prématurément sur l’asphalte, faisant une vaste mosaïque de jaune et vert sur le sol.

C’est le long de cette avenue Baldini, sous ces amas de vert et de lumière délicate que l’on a connu peut-être les plus beaux moments de ce séjour. Il y a notamment une photo de Cécilia qui souritd’un sourire s’ouvrant de ces lumières timides et ascendantes malgré le plein après-midi, d’un plein épanouissement comme cheminant sur la voie royale et droite sous les marronniers de la fin de l’été.

Depuis la chambre j’observe l’évolution des gros massifs de nuages compacts et torturés. Il y a comme un théâtre céleste de mouvements de masses cotonneuses qui respirent où ne manqueraient que de furieuses galopades de Phaëton. Le ciel est devenu jupitérien. Je me délecte de ces métamorphoses de ciel durant un temps très long depuis la fenêtre. Ce repos de fin d’après-midi donne une grisante faiblesse à nos corps meurtris de pluie et de vent. On voit aussi depuis hier, poindre la partie supérieure du mât d’un navire à quai. Ce qui fait penser que derrière l’immeuble qui masque celui-ci, se trouve à quelques pas, dans l’axe de l’hôtel, le Canal de la Porte de Ravenne.

Et pour profiter de ce début de crépuscule, nous longeons après la Via Maroncelli, cette sorte de forteresse basse qui mène vers le Mausolée de Théodoric.

C’est dans un parc immense, avec des allées qui longent des orangers par centaines que se dressent dans toute sa modestie le mausolée. Sa coupole, tout en rondeur ressemble à s’y méprendre à une sphère d’observatoire astronomique. L’ensemble laissant une impression assez massive et presque militaire. Mais il n’est plus temps d’y pénétrer à cette heure.

Le soleil en sa fin de course ajoute au silence la poésie des cyprès dressés en contrejour comme des langues obscures vers le ciel. Nous sommes seuls à cette heure sur cette vaste étendue de jardins et d’allées, jouissant des derniers rayons faisant déjà de gigantesques ombres sous nos pas.

Contournant le parc, nous parvenons au plan d’eau du canal de Ravenne. C’est un quartier de docks et de chantiers tout au loin qu’on ne fait qu’apercevoir faiblement, jusqu’à se perdre à l’horizon. On y voit sur le pont qui s’élève au-dessus du bassin, la lumière maintenant devenue irréelle, opaline sur la surface immobile de l’eau. Les reflets de ces constructions lointaines se mirant dans une découpe très nette sur ces surfaces d’eau sans frémissement, se prêtent par un jeu de l’imagination à une sorte de mirage de la ville d’Ys venue des tréfonds de l’eau, et de nuages bouillonnant qui auraient surgi sur tout le pourtour du bassin.  C’est une vision singulière de Ravenne qu’on ne doit probablement saisir par miracle qu’après que le ciel fut lavé de toutes ses tourmentes et durant très peu de temps avant de disparaître.

Le navire à la coque rouge, qu’on ne pouvait qu’imaginer depuis notre fenêtre, est un fin voilier dressé sur ses cales qui contraste avec le fond de paysage que compose le méchant immeuble qui grimpe au ciel de toute sa triste grisaille.

Ce soir de samedi le CA’DE’VEN est saturé bien plus encore qu’hier au soir. Il semble qu’on se prépare à une fête ou un évènement tant les gens s’agglutinent dans la première salle près du comptoir, jusqu’à lever les verres tout près de la colonelle.

Même scénario que la veille. Un serveur me signifie que ce soir on fête un anniversaire, faisant signe de la main que tout est complet, réservé alentour.

La colonelle, une fois encore, sans un mot, nous dirige vers une table qu’on n’aurait pas mieux choisie nous-mêmes. Avec encore un San Giovese qui prend la couleur de la soirée.

Dans la grande tablée au centre de la salle, on fête tranquillement l’anniversaire de l’un d’entre eux. Jusqu’au moment du gâteau, des bougies, des étincelles d’artifice et des «happy birthday» particulièrement nourris. Et puis, lorsque le gâteau fut découpé, nous eûmes la surprise de voir venir à nous le héros de la soirée accompagné de son épouse se détachant de leurs nombreux invités, nous porter une énorme part de ce gâteau, et dire gravement en confidence «je viens d’avoir cinquante ans».

«Vous verrez, ça commence maintenant» ai-je répondu.

Je cherche encore la signification de ces parts de gâteau d’anniversaire qui ne furent partagées qu’avec nous,et aucune autre table de la salle? La colonelle?

Dimanche 18 Septembre


Nous avions hier omis, dans la confusion des rafales de pluie, la visite du Baptistère Néonien ou des Orthodoxes qui jouxtent le Dôme. Ce matin les rues sont encore plus calmes, on n’attend plus que les cloches qui sonneront dans une heure ou deux les célébrations dominicales. La lumière est rasante, les cyprès du jardin dressés comme des dagues. Nous sommes les premiers visiteurs. Il n’y a que quelques jeunes filles qui attendent aussi au guichet. L’entrée est légèrement sous la surface du sol. L’octogone s’étant également affaissé comme à Galla Placidia et comme au baptistère des Ariens. C’est malgré tout un des édifices les plus somptueux et les mieux proportionnés parmi les sites sacrés de la ville.

L’évêque Ursus a fait construire la cathédrale au V° siècle, et le baptistère est le monument le plus ancien de Ravenne, de forme octogonale comme tous les baptistères paléochrétiens. Dès l’entrée, une cuve monumentale en marbre. Octogonale aussi. Et là-haut, la merveille comme un soleil tournoyant, la coupole.

C’est au V° siècle que l’évêque Néon décide la réalisation de l’ensemble décoratif. Ce qui frappe le plus est la qualité des bleus, encore différents des autres, qui servent de fond aux douze apôtres dans le second cercle qui succède à celui du baptême au centre de la coupole. Plus que dans le baptistère des Ariens, le mouvement des personnages est aérien. Il semble animé d’une désinvolture et d’une aisance des plis des toges que n’avaient les autres, plus hiératiques et moins expressifs, bien qu’exactement de la même époque. On peut en déduire qu’il y avait dès ces temps anciens une marge d’interprétation ne relevant pas d’une simple codification figée, mais une liberté de sensibilité prise par les artistes concepteurs de ces mosaïques.

Une autre explication pencherait vers l’audace des artistes orthodoxes désirant se démarquer des ariens par une autorité et une personnification quasi subjective des différentes figures représentées dans l’aisance et l’affirmation d’une conception religieuse supérieure.

C’est dans un prodigieux silence, simplement troublé par quelques déplacements de colombes amoureuses que nous restons les yeux au ciel à la contemplation de ce cheminement spirituel, d’une harmonie parfaitement achevée sur elle-même.

Nous sommes à deux pas de la Piazza San Francesco. En redescendant la via Ricci, nous passons devant CA’DE’VEN’ fermé à cette heure, et sous les arcades des brocanteurs du dimanche. On y trouve tout ce que les greniers et les malles aux souvenirs peuvent offrir de tentations et d’inutile. Ce matin, on y rencontre de très extraordinaires machines à coudre Singer, dont une, flambante neuve de 1901. Presque de l’âge de naissance de ma grand-mère.

Parvenu à la Piazza, en levant la tête, on devine à hauteur des toits, des terrasses en surplomb donnant sur l’ouverture de la Place, avec une perspective probablement des plus sublimes. Soleil levant, soleil couchant.

L’entrée du Palazzo Della Provincia se situe sous les arcades, face au Musée Dante. On y pénètre par une charmante cour intérieure à la fontaine tintinnabulante et une avalanche de végétaux drus et gras.  Des escaliers se présentent au fond du jardin, des tourelles et par l’une des spirales montant sur un muret, on se trouve à l’angle du côté du clocher de l’église San Francesco et de l’autre bord du muret on a une vue complète sur l’ensemble de la Place. Je suis au bord du vertige.

Quelle plus belle perspective que ces ombres encore rases de dix heures qui s’agitent tout en bas, le musée Dante et les terrasses des bienheureux vivants sur les toits de la bâtisse dans l’axe de la Place! Descendant par le même escalier je remarque une statue en buste d’un sage antique; un Platon de pierre ou un quelconque autre penseur barbu en contreplongée du clocher de l’église, donnant à la perspective une veduta italienne des plus classiques. Un clocher franciscain, une figure de sagesse antique de pierre blonde sous des vagues végétales éparses et des paquets d’azur.

Au pied de l’une des tourelles, la crypte Rasponi. On aurait pu s’attendre, dans ce cadre enchanteur, à un lieu à la hauteur du beau palais de la famille du même nom. Elle a en fait été reconstruite après des destructions du quartier en 1922 et abrite une série de mosaïques de pavement assez pâle.

La remontée vers San Vitale a pris son rythme dominical de marché de rue, de flâneurs sous le soleil, et de pierres blanches sur tout le pourtour de la basilique. Les environs de San Vitale au matin ont pris le visage riant et délicat d’un défilé de rues paisibles et de clarté légère contrastant avec les crépuscules accentués et romains des fins d’après-midi. Nous cherchons le Domus, la Maison au Tapis de Pierre.

C’est en 1993, que durant des travaux de restauration de l’église Sainte Euphémie, on découvrit à plusieurs mètres au-dessous du sol, une série d’édifices allant de l’époque républicaine (III-II° siècles) à l’époque paléochrétienne (V-VI° siècles). Le Musée est présenté comme un ensemble souterrain de vestiges à parcourir en surplomb de passerelles de verres. Le bâtiment le plus remarquable est le paléochrétien composé de quatorze pièces et trois cours, entièrement recouvertes de mosaïque polychromes. Equivalent à sept cent mètres carrés de décors raffinés, d’entrelacs géométriques et de scènes parfois indistinctes faute de pouvoir les approcher depuis notre passerelle. Parmi les plus beaux, heureusement rapportés sur une surface murale, la Danses des Génies des quatre Saisons en forme de ronde, aux symboles des grappes de raisins en couronne, de flûte de pan, de manteau lourd et de visage tourné vers le soleil. Plus loin, un Bon Pasteur, paisible et solitaire, figure habituellement liée à la période paléochrétienne.

Le Museo Nazionale fait partie de l’enceinte même de San Vitale. Le noyau d’origine provient de collectes d’objets d’art effectuées par les moines de Classis, devenu propriété nationale à la fin du XVIII°. Parmi les plus belles salles, celle des «byzantins» aux madones aux sourires éphémères et aux postures hiératiques et douloureuses qui rappellent les multiples représentations de vierges en bois vues dans cette extraordinaire caverne de merveilles sur le port de Mykonos.

D’autres salles rassemblent des ivoires, des étains, des céramique et un couloir impressionnant d’armures et d’objets de guerre.

Mais la plus somptueuse curiosité est le réfectoire des moines qui abrite un cycle de fresques détachées de Sainte Claire de Ravenne, exécutées par Pietro da Rimini, un des peintres les plus importants de l’école de Rimini, dans la mouvance de Giotto. On y devine aux plafonds des Vierges à l’Enfant, des mages et des Annonciations.

C’est par un dédales de ruelles, plus entièrement ancrées dans la Ravenne populaire et anonyme de maisons simples et sans histoire, sans passé visible qu’on redescend via Pietro Alighieri, San Giovanni Baptista qui croise la via Ghiselli, et toujours par de petites maisons basses, nous rejoignons les murailles qui longe la via Rocca jusqu’à rejoindre Maroncelli et ses marronniers jaunes.

J’avais cru San Apollinare in Classe un peu à l’écart, mais il faut bien compter cinq kilomètres «en dehors de la ville». Le soleil est encore bien haut et l’arrêt de bus est sur la place de la gare ferroviaire. C’est dimanche et tout semble un peu ralenti. En demandant le numéro du bus qui s’y rendait, nous tombons sur deux françaises qui confirment que c’est bien le 4. Elles viennent de passer quelques jours à Venise et firent une belle boucle de trois jours ici.

C’est toute la ville et les quartiers extérieurs que nous traversons. A travers les vitres du bus, nous voyons filer la via Roma  riche encore de surprises, puisqu’après Saint Apollinaire le Neuf, dans l’enfilade, à quelque trois cent mètres se trouve la façade austère du Palais de Théodoric pareillement en briques rouges, désossé et offrant sa large façade au pied de la chaussée. Quelque cent mètres plus loin, au pied d’un vaste espace, le léger recul permet d’apercevoir en majesté un beau dégagé de l’église baroque de Santa Maria in Porto dont nous avions aperçu hier le dos de son fantôme impressionniste depuis le jardin Baldini.

La ville est maintenant clairsemée de maisons basses, et la plaine vers Saint Apollinaire est désespérément plate et sans aspérités aucune. Cette partie dans le sud de Ravenne fut autrefois une région infestée de marais et il en reste encore quelque chose dans la physionomie inachevée du paysage.  Ce qui permet de distinguer déjà tout à l’horizon le haut clocher de la basilique.

Comme à notre arrivée sur San Vitale c’est toute une flambée de pins qui nous enserre, un parterre innombrable de bouquets et de pompons, comme une signature du paysage antique. Une longue allée mène à la façade Ouest.

Et c’est là, dans l’ancien port de Classis, érigé par César Auguste pour défendre les intérêts romains sur l’Adriatique, que se dresse solitaire et comme échoué, l’ensemble basilical consacré à la fin du VI° siècle.

Ce sont quelques maisons, un hameau replié sur quelques rues et une route poudreuse qui composent aujourd’hui cette lisière de Ravenne et cette avant-scène à la basilique posée sur l’étendue infinie de la plaine.

De l’intérieur, rien ne subsiste du revêtement en marbre qui couvrait les murs à l’origine. La première impression est que la nef, et ses deux travées latérales, est infiniment plus longue que celle d’Apollinaire le Neuf ou des autres églises procédant du même plan. La seconde impression est d’être dans l’intérieur d’une église infiniment plus vaste en rien troublée par une foule pourtant importante.

Le regard est assez vite attiré par ce qui constitue la principale curiosité, le décor du chœur en mosaïques.

Il mérite que je le décrive même brièvement tant il diffère d’un quelconque autre modèle.

En haut, au centre, le thème de la transfiguration symbolisée par la Croix et à la croisée des bras de celle-ci, contrairement à d’autre Christ en gloire, un simple médaillon à peine visible de loin. Puis les bustes des prophètes Moïse et Elie au milieu de nuages colorés. La main de Dieu figure au-dessus de la composition.

Dans la partie du bas, et c’est le plus vaste et le plus remarquable espace du chœur, au centre d’un pré fleuri, la figure centrale d’Apollinaire, le saint patron. L’originalité, pour l’époque, est la conception quasi bucolique et naturaliste de cette espace qui donne l’impression d’être improvisé autour de la figure du saint. Et bien que l’alignement régulier de la rangée de brebis forme chapelet le long de la scène, la représentation des arbres, de tous les éléments végétaux, de même que les quelques animaux paissant alentour, il ressort une impression générale d’improvisation et de dispersion sur le thème d’un ancien paradis au jardin spiritualisé.

Les mosaïques des murs latéraux de ce même chœur représentent sur le panneau de gauche, trois épisodes de sacrifices de l’Ancien testament:celui d’Abel, de Melchisédech, et le sacrifice d’Isaac. Les mêmes épisodes que l’on retrouve à San Vitale, ici fusionnés en un seul. Dans le panneau opposé, l’Empereur Constantin IV entouré de ses frères et de son fils, en train de remettre les privilèges accordés à l’église de Ravenne.

C’était la dernière merveille, comme un vaisseau échoué dans cette plaine morne au sud de la ville.

Dans la prairie faisant face à l’entrée Ouest de l’édifice, on a planté dans ce vaste décor à perte de vue, ce que je suppose être un troupeau de tristes buffles d’une sculpture d’ensemble en métal gris où jouent quelques enfants amusés sur le dos des plus accessibles d’entre eux.

L’attente à l’arrêt de bus prend lui aussi l’allure d’un dimanche de western, où ne manquerait que l’harmonica en fond sonore sur une image de ruelle battue par l’ennui et le calme un rien désolé de cette périphérie.

C’est à la via Roma que l’on s’arrête. C’est la rue que l’on aura le plus souvent rencontrée, à croire que tous les chemins y mènent. C’est après Apollinaire le Neuf que l’on rencontre la façade large du Palais de Théodoric et surtout, puisque l’on ne l’avait aperçue que de loin, Santa Maria in Porto à la façade baroque triomphante, qui semble ici comme une anomalie romaine où se trouve dans l’une des chapelles, une vierge grecque très vénérée.

Sur les pelouses alentour, on a pris soin de poser une très pertinente sculpture moderne à l’angle d’un aileron de l’église représentant un fier cheval de bois sur un socle haut perché et peinturluré comme un sioux sur le sentier de la guerre.  Le contraste avec la majesté de l’édifice en était si grand que nous n’avons résisté à faire les derniers portraits de notre séjour avec cette sculpture pour fond.

Sous les allées des grands marronniers à hauteur de Saint Jean Evangéliste, nous rencontrons les deux françaises du début d’après-midi:

«Oui, c’est le départ demain… Le sublime c’était évidemment San Vitale et Galla Placidia, mais ce Giovanni Evangelista a tout de même un charme inexplicable».

Venir à Ravenne est un antidote aujourd’hui contre les désespoirs et l’absurdité du monde. Ici l’humanité est en marche.

Nous venons de vivre les derniers jours de l’été.

Ravenne est la ville des marronniers de brume

des Giovanni Evangélista et dei piccolli angeli

des vierges en éclats de pierre de rouge et d’or fin                                      

Ravenna alla zona dantesca au tombeau de poète dérobé

Ravenne aux chapelles qui montent d’outrebleu

vers les dômes

Ravenne a la lagune qui respire la nuit sous les fenêtres

à l’infini des lazzulis

Ravenna que j’aime de la respiration

de ses matins de pierre

Ravenne la guerrière de ses bouquets de pluies

des cernes des brumes et des Apollinaires

Note:Dans sa très courte «Vie de Dante», Bocacce parle des Ravennais et de Ravennaises …

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21 Septembre


Hier encore à Téhéran et ailleurs dans le pays, des femmes interceptées par la police des mœurs, jetées en prison. Une d’entre elles, battue à mort pour avoir laissé dépasser quelque mèche de cheveu.

Silence de toutes les nuances de féminismes en France. Sinon que celles-ci encouragent habituellement au nom de la libre expression et de la diversité cult(e)urelle, les femmes à porter le voile à Paris, quand celles du Moyen Orient sont lapidées pour vouloir s’en libérer.

Le Président Macron, lèvera-t-il le voile sur la question lors de sa visite aujourd’hui à Téhéran?

Non, Pas même avec Darmanin.

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A Alain Jacquot:

Si tu as l’occasion de faire une parenthèse entre deux Paul Paray, je te recommande dans les valeurs actuelles de la musique d’aujourd’hui ce très excellent Georg Friedrich Haas dont on a esquissé le portrait au téléphone.

Il doit être autrichien, né à Graz. Ses quatuors à cordes sont extraordinaires. On pourrait parler d’un après Scelsi, ou celui-ci revisité. On en trouve chez Wergo. Les CD deviennent de plus en plus "indisponible actuellement" chez Amazon.

Et pour cause, on ne réédite plus. Sauf les enregistrements de légende sous pavés cartonnés (horribles pour la conservation).

J’aime bien un aussi qui a l’air de ne pas trop y toucher, né en 58, Gérard Pesson. Les quatuors à cordes aussi, tout en délicatesse française, mais des mélodies et 3 cantates assez échevelées.

Un hollandais, Robin de Raaff avec son "Atlantis", cantate dédiée à Pierre Boulez. Bien sûr ça m’a mis sur la voie de 4 symphonies, de concertos pour piano, violon, violoncelle, bref de l’excellent.

Et puis le défunt Jean-Louis Florenz (2005) qui restera le meilleur de la génération 1947, comme Murail et quelques autres.

Et puis Dusapin à l’insolente créativité mais qui refuse obstinément de composer sur un livret de langue française (France je vous hais, un vieux fond de sartrisme semble imprégner le discours en ressentiment d’une certaine élite)

Mais on est loin de Connesson qui a épinglé un portrait de Claude François dans sa longère normande et qui gagnerait à se cantonner dans l’illustration de musique de film….

… et de Karol Beffa dont le cursus de conservatoire (avec les honneurs et les entrées dans les lambris élyséens) s’affiche dans toute entrée en matière comme autant de décorations d’amiral d’empire soviétique.

Et puis, pour finir, à France Musique on a la nostalgie inconsciente de l’Ancien Régime. C’est tout baroque du matin au soir. L’oreille est caressée. On nage dans la frilosité. Et ce, quel que soit les profils d’émission.

On en est à chercher dans les fonds de bibliothèques de province.

Mais les mêmes qu’insupportent les musiques d’aujourd’hui se pâment dans les plus improbables MAMAC de province. L’œil et l’oreille n’auraient pas reçu la même éducation.

J’exagère à peine.

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25 Septembre


A Bernard:


Je viens de recevoir la carte postale d’Alsace. Elle vient rejoindre les autres sur la table ronde du salon.

Une bien belle région très typée. Peut-être as-tu vu les cigognes que j’avais aperçues en partance pour le Sénégal ce printemps. Elles devaient être au rendez-vous de l’étape alsacienne…

Les saisons passent.

Dans les pays de neige, en voiture électrique, il deviendra difficile de faire plus de quelques dizaines (une centaine) de kilomètres sans risquer les bouchons, les files d’attente, l’absence de recharge etc. La paralysie pourrait être totale. Et pas seulement l’hiver. On a eu un bel exemple de paralysie en Italie dernièrement. Y a-t-on pensé ?

(Mais c’est vrai que le but est de revenir à l’immobilité relative).

On a eu enfin de la pluie. Comme à Ravenne, moins les rafales de vent. On a eu de l’eau pour plusieurs moins. Je suis dans le récit du séjour. Je peaufine doucement.

La poésie de septembre sera brève, la poésie était de partout…

J’ai commencé "le grand Coeur" de J.C. Ruffin

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28 Septembre


Ce soir, dans la symphonie n°5 «Réformation» de Mendelssohn, à ma grande stupéfaction, on entend très nettement aux cordes, dans le premier mouvement, le thème du Prélude de Parsifal, exposé deux fois en creux et à découvert, entre deux passages de cuivres. Cette symphonie ayant été composée largement avant 1850, il est évident que Wagner la connaissait et s’est servi consciemment de ce thème. Il est à signaler que la symphonie Réformation peut s’arrêter là. Elle a donné, avec ce thème aux cordes repris par Wagner, une des plus belles structures dramatiques de tous les ouvrages du XIX°. Le reste de la symphonie ne m’intéresse pas plus que du Mendelssohn habituel. 

C’est en écoutant tout à la suite cette symphonie suivie par le prélude de Wagner, dans un enregistrement de Toscanini, que j’ai remarqué la filiation. Ce Mendelssohn, j’avais dû jusqu’à présent l’écouter d’une oreille distraite. Quant à ceux du Conservatoire je n’ai jamais entendu quiconque faire le rapprochement.

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1 Octobre


Après la foudre et les tonnerres de cette nuit, le ciel est rendu à une extraordinaire limpidité qu’on pourrait voir les reliefs au-delà des Baous et de la ceinture de montagnes vers Saint Jeannet.

Comme je ne vais plus chez Sauveur depuis plusieurs longues semaines, je rencontre ceux qui m’ont cru mort (les rumeurs…) sur la Place Saint François, Fabrice, Kamel et Thomas à la petite boulangerie sous les arcades. On se croirait presque en Italie. La Place a bien changé. Le bar de la Bourse est devenu un restaurant asiatique haut de gamme, parait-il et le nouveau Saint Ef est déjà grouillant de monde avant midi. Il faut croire que les frayeurs cataclysmiques de la nuit ont réveillé des instincts de vie ce matin.

Le Gotheborg était annoncé depuis la fin du mois dernier. Il devait faire escale au port de Nice pour quelques jours. On l’aperçoit de loin de toute l’élégance d’un qui a tout du Vaisseau Fantôme, depuis la place de l’Ile de Beauté. Bien que derrière lui, des géants de la croisière s’installent maintenant depuis l’élargissement du port autorisant les monstres de la mer qui donnent la méchante impression de le broyer de tout leur acier.

Le Gotheborg est présenté comme le plus beau et le plus ancien trois mâts en bois du XVIII° siècle (en fait il s’agit d’une copie stupéfiante de reproduction à l’identique, y compris l’illusion du vieillissement!) isolé de tout son flanc le long du quai Ribotti pour le bonheur d’une journée comme aujourd’hui.

La foule est nombreuse, et comme dans les musées, les réflexions qu’on entend durant la longue file d’attente sont navrantes. «Qu’est-ce qu’ils ont dû s’emmerder à construire ça», «est-ce qu’il naviguait encore avec des galériens», « avec cette foule, c’est sûr, ils vont le rentabiliser» etc. Autant de bêtises devant ce splendide oiseau échoué par si beau temps. Le drapeau suédois est fièrement dressé à la poupe et les liserés le long de la coque portent aussi des couleurs bleus et jaunes qui se fondent dans le ciel. C’est un grand moment de bonheur que de tourner, que d’aller et venir le long de son flanc, de lever les yeux au ciel, d’en saisir le mouvement élégant des cordages, la matité des bois de la coque et les canons, la hauteur des mâts et tout là-haut dressés, les plates-forme larges qui se confondent à cette heure avec le passage du soleil.

Y., venu un peu plus tard avec Cécilia, est fier de son appareil photo.Nous passons une bien grande partie de l’après-midi le long du quai, le passage d’une telle élégance valait bien qu’on lui rende hommage.  Le soleil décline et passe lentement sur l’autre flanc du navire. La figure de proue, une sorte de sirène musculeuse et géante, jaune et fière, se dresse assez monstrueuse maintenant, en pleine lumière.

……………………………………………………………………………………………………………………….4 Octobre


A Bernard:


…Ton courrier m’a fait bien plaisir, il redonne de l’élan.

Le titre n’a pas posé de problème je suppose ? Il m’a été inspiré d’un titre de Bruno Mantovani, "Sette chiese". C’est exactement ce qu’il me fallait.

On supprime les titres quadrimestriels. Pour éviter que le titres ne commencent à se bousculer.

Et pour la troisième fois, je dis dieu a passé de mode. "Notre époque est né ayant perdu la foi comme la précédente est née avec. Sans savoir. Comme ça". Je cite de mémoire la première phrase de l’Intranquilité de Pessoa.

On pourrait par ailleurs commenter ce fameux début, reprenant les propositions en éludant une conclusion si hâtive :"Sans savoir". On sait pourtant très bien historiquement que toutes les civilisations sont accompagnées et se développent avec leurs totems. (La partie non émergente de l’élan vital symbolisé par une croyance à une transcendance de soi). Ce qui est le ciment raffermissant le groupe, au-delà des spécificités de chacun, et transcendant l’individu.

Et je ne suis pourtant pas étonné de t’entendre dire "avec ou sans, l’humanité ne s’en porte pas plus mal". Ce que je ne crois pas. Le désespoir et les affreuses absences de repères en Occident attestent aujourd’hui de ce dérèglement de boussole.

Tu me rétorqueras " l’homme raisonnable se doit d’admettre qu’il n’y a rien dans le ciel, et la pauvreté de sa condition est son lot".

Quel orgueil.

Et quelle certitude.

Si je cite Kafka c’est justement parce que c’est un symptôme. Pas une vérité. J’admire Kafka et Beckett, mais pas leur vision du monde.

Pour une fois, nous faisons un vers ensemble, un bout pour toi, un pour moi : «la finitude est solide / pour les bâtisseurs de glaise ». C’est donc une bande-annonce pour la poésie d’octobre. (Les vers les plus matinaux qui soient)

J’ajouterais : " Et ils se vautrèrent dans la raison ".

"Vielleur" est en fait une adaptation généralement admise pour le joueur de vièle. Le mot juste serait plutôt vihuéliste. Qui est tout aussi beau. Je ne l’ai pas choisi (c’était tentant), mais il attire toute la lumière sur lui…

Aller à Ravenne est un antidote contre les petits désespoirs et l’absurdité du monde. Là-bas, l’humanité est en marche.

Masaccio c’est pareil. Le renouveau de la nouvelle peinture. Notamment à la chapelle Brancacci de Florence. Je lis un petit volume de Daniel Arasse ("Histoires de peintures" mises en lectures de séries d’émissions sur France-Culture. Spécialiste d’histoire de la peinture. Et ça pourrait se lire dans le train).

Ruffin, j’arrive au bout du Jacques Coeur. Très belle fresque de l’époque de Charles VII, grand roi, père de Louis XI, grand roi. On connait mal ce grand argentier devenu l’homme le plus riche du monde qui eut un amour contrarié avec la belle Agnès Sorel, maîtresse du roi Charles. On connait son portrait par Fouquet.

Et puis j’ai acheté hier «Rouge Brésil» dans l’édition (le Figaro) qu’on voit en ce moment, reprenant les meilleurs millésimes du Goncourt. Mais je lirais aussi "Le parfum d’Adam" (un ensemble d’écologistes, pour sauver la planète, en arrive absurdement à sacrifier l’humanité). Absurdité de l’homme sans dieu.

Le paradis perdu versus péché originel 21° siècle… A réfléchir.

Relire les ouvrages magnifiques, classiques depuis longtemps de Michel Vovelle et Philippe Ariès sur la mort. Définitif.

Outrebleu, évidemment, quelle faute ! En pensant à Soulages.

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7 Octobre


A Bernard:

Je n’ai pas changé, aujourd’hui comme à dix-huit. Je pense d’ailleurs qu’on a connu les mêmes homosexuels et je n’ai jamais rien eu contre eux, tu le sais bien. Seulement ils n’en faisaient pas tant. Du moins les médias, les associations etc. ne battaient pas tambour. (Jusqu’au sein des écoles primaires : "la première priorité de l’Educ. nat. est la lutte contre l’homophobie" -Vincent Peillon- La première priorité ! ). On voit où va l’Éducation "Nationale".

Le seul qui frôlaient les murs c’étaient peut-être Palmieri, mais c’était à cause de ses dents. Et desa parano. Il laissait l’impression d’être poursuivi par un essaim d’abeilles en montant Grosso. (cf carnet). Ça nous faisait rire.

J’en connais d’autres qui se contentaient d’être discrets et qu’on n’a jamais montré du doigt. Et on ne considérait pas les gens en fonction de ça. Justement parce qu’il n’y avait pas de problème…

Seulement aujourd’hui on a affaire à un lobby, un puissant pouvoir qui fait chantage à la minorité discriminée (à des fins de transformation du monde social, transmission des générations, abolition du patriarcat, droit d’avoir ce que la nature ne peut pas donner etc.). Du chemin à parcourir ? Jusqu’où ?

J’avais un collègue canadien très ouvertement homo, qui me disait justement dans ces années-là : " tu verras bientôt, la normalité et le pouvoir ce sera nous". Il ne rasait pas les murs et il était toujours proche des directions successives et des hiérarchies qui en était. Il y avait desdiscothèques privées où l’accès était réservé…

Je suis loin d’être gonflé. Comment peux-tu penser qu’à titre privé la sexualité des autres m’intéressent ?

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8 Octobre


MAIRIE DE PARIS


«L’homme est le seul à polluer la planète».
Il est le seul à connaître le péché originel et, à défaut de l’admettre, il est le seul parmi les espèces vivantes à connaître le sens de la culpabilité.

 Il est le seul aussi à ne pas contrôler la régulation de son espèce. Les animaux, lorsqu’ils deviennent trop nombreux sur un territoire, mettent en application ce que disait déjà Machiavel dans son Tite-Live à l’endroit des humains: ils entrent en guerre sur les territoires où la nourriture vient à manquer et ils rétablissent, en écartant les plus faibles, l’équilibre dans les espaces mis en danger. Une sorte de rationalisation instinctive de l’organisation de l’espèce, avant que ne fleurisse le cancer de la surpopulation des clans dans un même espace de vie.

Hier, les portes de la Mairie de Paris (pourtant bien hautes et bien cossues), ont été franchies par une horde d’une centaine de migrants, soutenue par des associations (et peut-être la complaisance de la Mairie elle-même – les portes ne pouvaient-elles pas être verrouillées?), et quel qu’ait été l’origine et les raisons de ces migrants de pénétrer sur le territoire, ont exigé le droit au logement et la prise en charge de leurs besoins.

La meute n’était composée que de mâles africains, ce qui contredit le fait qu’en temps de guerre les combattants fassent front à l’ennemi et les femmes soient mises à l’abri. Apparemment c’est le contraire en Afrique.

… 

Ils furent reçus par une délégation de l’adjoint au Maire. Un compromis «momentané» aurait été envisagé pour des logements dans le 9° arrondissement.

On croyait le Paris intra-muros à des prix prohibitifs.

Quel arrondissement pour le prochain assaut?

Parmi certains slogans: «on accueille les ukrainiens et pas les africains». Outre que bien souvent la France, et depuis longtemps, donne une image de son paysage démographique qui fait la part belle à l’Afrique, quelle règle lui interdirait de choisir la provenance de ses migrations? En toute souveraineté.

Quelle règle autoriserait la venue du fin fond de l’Afrique sous les fenêtre de l’hôtel de ville de Paris exiger le droit d’être logé?

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A Bernard:


Les poètes sont changeant. C’est vrai que je lis rarement des romans. Pour moi, tout est dit, avec et depuis César Birotteau qui m’a appris plus sur les mécanismes du capitalisme, la spéculation et la turpitude humaine que je n’ai pu en apprendre dans toutes les théories de philosophie universitaire. Comment a-t-il pu faire d’ailleurs pour ne pas tuer le roman ?!!

Et puis d’abord je n’ai pas lu Rouge Brésil, mais le Grand Coeur. La bio "risquée" de Jacques Coeur. Figure-toi que je l’ai finie cet après-midi pluvieux, et je ne sais si c’est la pluie, mais ce livre m’a ému. Dans la post face Rufin justifie le travail qu’il a dû faire en amont. Natif de Bourges comme Coeur, il a plongé dans les archives et les historiens spécialisés qui ne font que le portrait "technique" de Coeur, alors que Ruffin tente avec tous les risques de prendre le personnage de l’intérieur, et surtout les rêves qui l’ont animé dans les différentes phases de sa vie, sa trajectoire (l’objet du roman).

D’autre part, il est né à deux pas de la maison natale du héros et le Palais de Jacques Coeur aurait été près de la Cathédrale, à cheval entre le Moyen Age flamboyant et l’essor de la Renaissance en France dont le grand argentier sera le promoteur involontairement. Magnifique portrait du temps de Charles VII, grand roi. C’est du roman, mais l’auteur en est conscient et il a l’humilité de dire qu’il a tenté (le génie en moins -dixit) de faire avec Jacques Coeur ce que Marguerite Yourcenar a fait avec les Mémoires d’Hadrien.

Tu parles de mon goût pour cet écrivain, alors que je ne le lis que depuis quelques jours. Rufin n’était qu’un nom pour moi. Mais c’est vrai que j’ai dû tomber sur l’ouvrage qui pouvait me retenir (Moyen-Age, Renaissance, Charles VII, père de Louis XI – Le "Louis XI" de Murray Kendall fut longtemps mon ouvrage d’Histoire de référence).

Et puis nous avons un nouveau Prix Nobel de littérature. Dylan l’a eu, tout est permis. J’avoue que là, avec "cette première femme française (entend-on comme une crécelle) ça pèse son bon paquet de sociétal ! Le comité Nobel n’a pas pu faire plus porté par le bon courant féministe. Le Nobel de la Paix cette année, c’est aussi pour l’Ukraine. Le comité doit s’aligner sur l’Eurovision de la chanson. Ou la récompense des bons élèves.

Bref, c’est un honneur que Kundera ne l’a jamais eu, ni Soljenitsyne, ni Giono ni Céline, ni quelques autres que j’aime bien et qui portent un peu plus haut que Mme Ernaux. Que je n’ai pas lu – sinon un chapitre – Mais je la devine dans les grandes lignes.

J’ai tenté Boualem Sansal, dont je partage certainement les idées sur l’hostilité totale à l’Islam et la récurrence générationnelle du FLN ("Alger Poste restante", un pamphlet), mais le style est d’un français qui ne supporterait pas 300 pages.

Pour en revenir à Jean-Christophe Rufin, son Jacques Coeur a trouvé le bon compromis entre le pur roman et la trame très documentée, sans affèterie aucune.

Je vais reprendre des lectures qui me ressemblent peut-être plus avecles "Histoires de peintures" de Daniel Arasse (grand public et facile, ce que je fais toujours après une lecture de longue haleine).

Et puis aussi la partie Liban/Palestine du voyage en Orient de Flaubert. Que du sans surprise. Pourtant dans ce voyage il sait être leste là où il affleure seulement la volupté dans ses romans : page 291 : "… deux de ses élèves, âgés de douze ans environ, s’entreculaient à la porte du couvent ; l’un d’eux avait appris la chose d’un chrétien qui l’avait dépucelé moyennant la somme de… Selon le supérieur, la pédérastie est ici excessive. Grand excès d’homme mais pas de femmes, des femmes on n’en veut pas." J’avoue que le verbe entreculer m’enchante si ce n’était la signification.

Je verrais bien volontiers le film de Jean-Claude Carrière sur Goya. L’affiche est très très belle.

Je te promets un super malerei avec mes nouveaux vitraux. Les belligérants en voudront-ils ?

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Cette nuit (8/9 Octobre), insomnie. La pluie tombe très fort. La conscience des choses et la sensibilité sont toujours impeccablement en éveil dans ces états de passivité nocturne. J’entends du fond de mon crane la voix de basse profonde de Giorgio Tozzi –j’ai du mal à en imaginer un autre- comme au plus beau de ma passion pour la théâtralité musicale de Berlioz, ce que je crois être tout à la fois le sommet de son geste théâtral et de sa veine mélodique, dans une œuvre dont on parle plus rarement que d’autres : L’Enfance du Christ.

Le monologue du songe d’Hérode:

                        «Oh misère des rois, régner et ne pas vivre

                        A tous donner des lois et désirer de suivre

                        Le chevrier au fond des bois»

Dans la longue introspection qui continue, et le dialogue qu’entretient Hérode avec les mages, Berlioz n’a jamais été si proche de la dramaturgie shakespearienne, par le geste rejoignant la force du contenu, dans une plénitude mélodique qu’il a lui-même rarement atteinte. Le monologue est bâti sur une progression du doute d’Hérode qui s’achève dans un coupable soulagement par la décision de massacrer ceux qui attenterait à son pouvoir (le songe d’un enfant venu qui prendrait sa place). Tous les moyens du génie de Berlioz sont mis en œuvre culminant dans l’extrême violence des chœurs, de la voix du soliste et de l’orchestre, dans la cataclysmique conclusion de cette scène inaugurale du Prologue:

Eh bien par le fer qu’ils périssent!

Je ne puis hésiter

Que dans Jérusalem A Nazareth à Bethléem

Sur tous les nouveaux-nés mes coups s’appesantissent

Malgré les cris, malgré les pleurs de tant de mères éperdues

Des rivières de sang vont être répandues

Je serai sourd à ces douleurs

La beauté la grâce ni l’âge ne feront faiblir mon courage

Il faut un terme à mes terreurs

Ces éclats de terreurs, et ces monstrueuses effusions de sang innocent, je les écoutais il y a bien longtemps pour trouver le sommeil sous l’avalanche virtuose tout à la fois des chœurs, d’un orchestre tendu à son paroxysme et de cette voix éperdue de basse qui finissaient par m’endormir.

Aujourd’hui c’est dans l’insomnie que ressurgissent ces mêmes fantômes.

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10 Octobre


Nous sommes pris, l’Occident dans son ensemble est pris, dans l’enclume par deux marteaux qui œuvrent vers le même façonnement de notre futur: le marteau du wokisme qui n’a d’autre but que de mettre fin à la société occidentale au travers de l’homme blanc présupposé responsable de tous les maux depuis l’origine, et le second marteau, de l’islam comme théocratie à venir qui rejette toute forme d’existence de la femme.

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A Bernard:


C’est à chaque fois la même chose. Quand j’ai fini un récit de voyage, j’ai toujours l’impression qu’il est vide, que le contenu est d’une grande immobilité. J’y décris souvent les monuments, les intérieurs des édifices, et je me dis que le lecteur n’est pas forcément concerné. Mais pour moi, c’est le cœur même du voyage …

Evidemment Flaubert.

C’est Yourcenar qui aurait dû être au Nobel, il y a longtemps.

Comme Malraux en son temps. Entre Camus et Sartre. Avant ou après.

René Char avait été envisagé (les dossiers étaient prêts, tout, les comités etc.). On ne lui a pas attribué à cause de Saint John Perse qui venait de l’avoir. On n’a pas voulu donner l’impression que c’était un prix qui se confondait avec un concours littéraire franco-français. Abondance de biens…

Tu as remarqué que les années passent et les Nobel on les oublie vite.

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C’est venu à l’improviste. Je n’attendais pas ce «Londres», je savais que c’était en prévision. Il m’est tombé dessus, une avalanche de volumes à Masséna.

Dès les premières pages, du grand Céline.

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Dès les premières pages, ce "Londres" me ravit. J’y retrouve immédiatement ce rythme du "Pont", de l’inénarrable Guignol’ s band, le livre qui m’a le plus fait rire de toute la littérature (avec Monsieur Homais). Et Bouvard et Pécuchet. J’avais, dans mon bureau des années 90, photocopié et affiché en grand la première page de ce roman, lorsque les deux compères se rencontrent au bord du canal Saint Martin et qu’ils découvrent qu’ils sont tous deux employés aux écritures. Je terminais la page photocopiée à la phrase Et alors ils se considérèrent, Grandiose. Une véritable odyssée de l’ignorance.

As-tu été tenté par le Goya ?

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15 Octobre

J’entends les vibrants chœurs de Maïdan et le Requiem pour Larissa. Et aussi la sixième symphonie de Valentin Silvestrov. Il y a donc encore de grandes musiques inspirées.

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17 Octobre

«Alors que le Moyen Age, l’Antiquité, voire l’humanité toute entière depuis ses premiers balbutiements avaient vécu dans la conviction d’une âme substantielle, on voit naître, dans la deuxième moitié du XIX° siècle, une psychologie sans âme. Sous l’influence du matérialisme scientifique tout ce qui ne peut être vu avec les yeux ou appréhendé avec les mains est révoqué en doute, ou même soupçonné de métaphysique, devient compromettant. Seul est désormais scientifique, et par la suite recevable ce qui est manifestement matériel ou ce qui peut être déduit de causes accessibles au sens.»

«L’homme à la découverte de son âme»                                                                                                                                                            C.G. Jung

Ce qui rejoint implicitement, sans qu’il ait eu à définir les raisons de la disparition de la foi au XX° siècle, ce fameux préambule de l’Intranquilité de Pessoa.

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18 Octobre

Pharoah Sanders est mort ce 29 septembre. J’avais vaguement entendu la nouvelle le jour même. Et puis cet après-midi, un portrait de lui à la Médiathèque.

On l’avait interpellé un soir de juillet 71, la veille d’un concert au Jardin Albert I. Stef et moi l’avions raccompagné depuis le bistro «le Biarritz» jusqu’à l’Hôtel Plaza. Il avait un drôle de chapeau sur la tête, le même probablement que celui qu’il porte sur l’album «Instant Karma». C’était quelque temps avant mon départ pour les Indes.

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FRAGMENT D’UN REFLET DE SOCIETE

Meurtre d’une fillette de douze ans, Lola, massacrée, violée et jetée dans une malle en plastique. Meurtre d’une femme de quarante-sept ans à l’arme blanche à l’heure qu’elle se rendait à son travail tôt le matin. Vingt-trois coups de couteau donnés par un homme en colère. Loin du drame passionnel. L’un et l’autre ne se connaissaient pas. Le même jour, en deux lieux différents.

Pour des raisons qui effraieraient ceux même de la fameuse théorie de l’acte gratuit.

Impuissance de l’Etat à nommer le mal. Le point commun entre ces deux meurtres: des personnes frappées d’une décision d’Obligation de Quitter le Territoire Français non respectée.

La barbarie s’installe comme un mal dont on s’accoutumerait à la douleur.

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Depuis une semaine il n’est plus question que de Lola. Morte dans les conditions les plus diaboliques. Tuée froidement et lentement par une femme de vingt-quatre ans, personne frappée d’Obligation de Quitter le Territoire Français datant de trois ans. Comme plus de cent cinquante mille OQTF qui ne sont pas exécutées.

L’Etat ne semble pas plus sentir aujourd’hui le poids et les conséquences de ses irresponsabilités.

Le véritable écueil que rencontre l’état français dépendant de son adhésion de principe à la Commission Européenne des Droits de l’Homme à laquelle celui-ci s’est soumis, rend impossible l’exécution des décisions nationales d’Obligation de Quitter le Territoire Français. S’il refuse d’affronter cette Commission alors que des raisons bien naturelles de sécurité intérieure l’imposeraient (ce qui ne semble pas être le chemin pris par nos gouvernants), aucune décision de l’Etat ne pourra être respectée, dont ces scandaleux milliers de refus d’OQTF.

Y aura-t-il un procès de l’Etat pour le drame de Lola?

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25 Octobre

GROSSESSE DES HOMMES

Puisque l’homme peut aujourd’hui, de même qu’une quelconque femme, se trouver dépositaire du fruit de ses entrailles, (affiche confirmant le fait par le Planning Familial (!) –par tolérance…) on peut aussi se souvenir que Rabelais glisse «A Dieu rien n’est impossible, et s’il voulait, les femmes auraient dorénavant leurs enfants par l’oreille!» Et l’homme donc!

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Parmi les centaines de définitions de Dieu dans la chapitre XXXV de «La Chair de l’Homme» de Novarina, la pire me paraît être, par la double négation qu’elle implique, celle de Michel Foucault «La mort de Dieu entraîne la mort de l’homme» auxquelles il aura tant œuvré.

Il y a aussi celle d’Artaud, plus scatologique.

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A Bernard:

…Tu as raison, ces noirs s’ouvrent sur l’espace et j’aime bien ce titre sobre de peintures noires. C’est un peu comme "cassé le tunnel du temps", avec d’autres moyens utilisés.

Tu remarqueras que dans deux d’entre ces noirs apparaissent les couleurs bleue et jaune de l’Ukraine. Ce n’est pas d’avoir voulu donner une signification à ces peintures. Cela reste abstrait et j’espère lyrique tout simplement.

Fractal et prolifération me conviennent.

Te rends -tu compte qu’on ne peut aller à la Fnac ou présenter sa carte bleue dans certains endroits sans qu’on demande si on veut faire un don ! Peut-être est-ce le début d’une guerre participative. Déductible d’impôts ?

Depuis quelques temps j’écoute deux compositeurs (là encore un hasard) ukrainien et un autre estonien. Ce n’était jusqu’à présent que des noms pour moi, sauf Arvo Pärt qui rayonne aussi bien en Europe de l’Ouest.

Pour Valentin Silvestrov et Arvö Part ce sont souvent de grands aplats sonores, des lacs gelés et des ciels gris limpides.

Chez Pärt il y a un mysticisme épuré jusqu’à l’os. Si tu vas dans la collection ECM, on trouve tout ce monde.

Mais aussi un Lituanien Péteris Vasks. Mêmes impressions de grands espaces, forêts ou plaines jusqu’à des confins invisibles. Musique à conseiller aux anxieux et autres dépressifs. Mais pas que.

Ça compense un peu le fameux réchauffement.

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LA GRANDE MISERE «DE QUELQUES FUGUE A PLUSIEURS VOIES» QUI SE DOIT D’ETRE EDITEE: MES RECITS DE VOYAGE.

Bernard:

J’ai cherché une sorte de référence à ton ouvrage, un précédent, un plagiat par anticipation, en quelque sorte : j’avoue ne pas encore en avoir trouvé. Quel livre pourrait ressembler au tien ? Les livres de Monfreid ? l’usage du monde, de Bouvier, voyage avec un âne dans les Cévennes,  … Ou autres récits de voyage de Montaigne, de Flaubert, de Proust, de Céline, Loti, … et de tant d’autres. Non, nul part je n’ai rencontré ce type de livre qui énumère des dizaines de voyages et de souvenirs. Le livre d’Olga Tokarczuk, les pérégrins, est très général, trop, mais c’est un excellent livre.
Si je trouvais un titre qui ressemble à ton ouvrage, j’irai voir où il a été publié et je ferai le siège de l’éditeur.
Je me suis promené sur le site (…..). J’ai regardé les 100 premiers, ils sont tous ciblés sur un voyage, ou un thème, rien de la liberté qu’on trouve dans ton livre, passant d’un pays l’autre, d’une période à l’autre. Il y a bien le livre de Nicolas Lonjou, 50 voyages pour découvrir le monde, que je n’ai pas lu, et ne lirai pas, mais j’ai l’intuition que ça n’a rien à voir avec ton livre.
En attendant, j’ai fait une première liste, en prenant les éditeurs qui ont une rubrique "voyage" (il y en a peu) et " Essais & Documents", parce que je ne case pas le livre dans le genre roman, développement personnel, bien être, …

A Bernard:

C’est exactement ça. Les voyageurs proposent une destination unique, sinon une aventure, dans un lieu préalablement attendu par le lecteur. Ça peut être le seul passage du cap Horn, comme la longue pérégrination en quatre-vingt jours dans le désert, etc. Les aventuriers ciblent un lectorat qui n’attend que de se voir proposer une perspective unique avec qui plus est, l’exotisme qui l’accompagne (comment vivent les gens du pays etc.).

Je pense que ça vient de la déformation à laquelle sont soumis les téléspectateurs qui ne reconnaissent que les "sujets" traités par les médias (reportages, faits divers ponctuels dans toute leur unicité). Quand le sujet est épuisé ils passent à autres chose.

C’est vrai qu’en faisant moi aussi mes recherches au travers des rayons "voyages", j’ai ressenti ce malaise de ne pas trouver d’ouvrages dans le genre de ces. Serait-il atypique ?

Ce qui pourrait justement se poser comme un atout ou une singularité.

Le paradoxe peut s’expliquer parce qu’il s’agit d’une fragmentation du Carnet et le contraste des lieux n’en est que plus inattendu dans le déroulement du récit.

Espérons que la bouteille parvienne sur quelque grève propice.

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27 Octobre

A Bernard:

TOMBEAU

Pierre Soulages est mort. Tu auras remarqué qu’il a attendu que je m’essaie à des peintures noires. … "Ce grand espace galactique où se promène Einstein"

Un coup de dé jamais n’abolira le hasard.

J’écoute tous les soirs (très très tard), un des mouvements de "Pli selon Pli" (Boulez 1958).

Certains ont prédit la fin de l’Histoire, Pli selon Pli synthétise tout le XX° siècle et s’aventure même aux déclamations du Nô et aux conquêtes culturelles d’extrême Asie.

J’ai racheté le Andreï Roublev de Tarkosky (1969), mais je n’ai pas de lecteur. J’ai des dizaines de trésors lyriques en attentes.

J’ai commencé de lire "la nuit des orateurs" de Hédi Kaddour. Une nuit dans la Rome cruelle sous le règne de Domitien où Lucretia va tenter de sauver sa vie et celle de son époux, de Pline et de quelques sénateurs.

Bien sûr l’écriture n’est pas de Tacite. De m’être mis à l’eau me fait m’engouffrer dans des romans.

Je relis certains de mes textes de 2009, 2010 … je les reconnais à peine.

Mourir à 102 ans et tenir encore parfaitement debout. A force de rester dans le noir on s’habitue peut-être à cette vie d’après.

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28 octobre

A Bernard:

Soulages est mort à 102 ans. Elliott Carter est mort à 104 ans (né la même année que Messiaen) et composait encore à 102. (En toute lucidité).

J’ai assisté à la création de son concerto pour violoncelle (voir carnet, évènement/anecdote d’avril 2006, printemps des arts de Monte Carlo)

J’ai bien envie de faire quelque chose autour de cet évènement. Je ne sais pas quelle forme prendrait ce clin d’œil.

Si cela avait été du temps du conservatoire, j’aurais bénéficié des supports audio et visuels mis à disposition.

Le rapprochement des longs aplats de l’un avec la rudesse et les veloutés de violoncelle (entre autres) de l’autre, auraient pu mener à l’entrechoquement de ces deux géants centenaires.

Je vais y réfléchir. Et en parler à Jacquot avec qui j’ai encore des contacts mais qui est aussi en retrait professionnel.

Il me vient comme ça des désirs de mises en scène des sons, des images. C’était un peu une de mes activités dans les années 90.

J’avance dans «la nuit des orateurs». Tacite est en danger.

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A Alain Jacquot:

Pierre Soulages est décédé il y a quelques jours, à 102 ans. Il y a des personnes dont on n’imagine plus qu’elles peuvent un jour nous quitter tant on s’habitue à une jeunesse et une fraîcheur d’esprit qui semblent ne plus devoir décliner.

J’avais visité dans les anciennes prisons du port de Nice l’expo qui lui était consacrée, dans le plus grand dénuement des salles et des couloirs dont j’imagine que le noir rendait aussi un rapport particulier avec l’âme du lieu.

C’était aussi, pour marquer par anticipation toute symbolique, quelques jours plus tard, l’enfermement universel dans lequel on allait se trouver au mois de mars 20.

C’est avec Elliott Carter, ses œuvres pour violoncelle, qu’il conviendrait de faire un rapprochement. Dans certaines d’entre elles des équivalents de grands aplats rauques et lents feraient merveille dans un "montage"…

Tu te souviens évidemment du soliste de la création de son concerto, devenu rouge comme pivoine sentant l’énorme liasse de pages de partition se dérober et tomber au pied de Pierre Boulez. Et que tout finit dans un large sourire avec reprise de l’œuvre à son début.

Le numéro de Diapason de ce mois est riche. Je te le dis de suite : j’ai acheté dès qu’il est sorti le duo Kaufman/Tézier. Et j’ai été déçu. Comme aux plus beaux jours des duos de compères qui font valoir une inutile supériorité dans l’air de bravoure, on retrouve ce défaut dans l’ensemble des plages de l’enregistrement. Impardonnable parce qu’on est là en studio et que ces écarts tolérés sur scène sont insupportables dans une gravure qui se doit de veiller à l’équilibre psychologique des rôles. En plus, la prise de son écrase la perspective dans un désir de niveler les deux voix sans que l’on sache parfois où est le ténor et où est l’autre. Le tout avec des tempi trop rapides probablement pour signifier un débordement d’enthousiasme. Bref, le plus inattendu, c’est qu’à la question "à qui de par le passé vous fait penser votre partenaire ?", l’un est l’autre avouent une passion pour Georges Thill. Alors là, j’ai commencé à trouver intéressant l’interview…

Dans ce même numéro, une confrontation sur l’opus 110 de Beethoven. Dans l’ordre Arrau, Kempf, Kovacevich, Brendel. Rien de surprenant. Sauf que Kovacevich mériterait peut-être d’avancer encore un peu. J’ai essayé des écoutes comparées à l’aveugle (Cécilia choisit l’ordre de passage), et ce pianiste est souvent celui qui gagne ! Il m’arrive de deviner comme hier que «les Pins de Rome» sont d’Ozawa avec Boston. L’oreille travaille et sculpte une drôle de mémoire. Comme celle dont parlait Raymond Dumay, la mémoire par élimination : ce ne pouvait être Toscanini, ce ne pouvait être Silvestri etc. donc c’était…

Il y avait hier chez "Chemchak" une émission sur le foisonnement musical du temps de Mussolini. Avec bien des surprises, dont Stravinsky, grand admirateur du Duce. On ne lui en a apparemment jamais voulu.

Toujours dans Diapason, en moins spectaculaire, une intégrale des sonates de Mozart par Robert Levin sur pianoforte. J’avais beaucoup aimé son clavier bientempéré sur différents instruments il y a une trentaine d’années. Un musicien discret mais qu’on n’oublie pas.

Et puis j’écoute Arvo Pärt. Une bouffée d’âme le soir venu. La Litany surtout. Il s’est inspiré des très anciens Pérotin et Machaut. Pour lui, après la fin du XVI°, point de salut. Il n’a peut-être pas tort. Il appelle son système "tintinabuli", ce qui ne peut que s’accorder aux clochettes célestes.

Je viens de finir le choix de mes récits de voyage (c’est un domaine probablement plus "payant" pour un éditeur). On a commencé avec Bernard les relectures d’orthographe et les quelques tournures qui me paraissaient boiteuses.

Il a donc fallu relire deux fois 400 pages ou à peu près. Ensuite j’enverrai le tout à X éditeurs comme autant de bouteilles à la mer…

Voilà, j’espère te voir. C’est maintenant la formule consacrée, mais en ces temps incertains c’est déjà une chance qu’on ne se perde pas en route.

Embrasse bien Anne-Marie pour moi.

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J’aimerais encore écrire à la manière de ces poèmes d’octobre 2019.

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30 Octobre

A Bernard:

Je n’ai pas chipoté devant les vitraux de Conques. J’ai pensé que Soulages avait dû se plier à un exercice exigeant qu’il se dépouille de lui-même et qu’il se fonde dans un vaisseau dont la structure ne permettait pas qu’il fît ce qu’il voulait. Le résultat est d’une bienveillante neutralité plutôt qu’une affirmation subjective de l’artiste. Une manière d’hommage qui va jusqu’au dépouillement. C’est ainsi que travaillaient les artistes du temps des cathédrales.

Ces vitraux j’ai pu miraculeusement être à leur hauteur l’été 21. L’été on a le droit de grimper à la tribune de l’édifice et de parcourir tout le périmètre de l’édifice. Tout là-haut on a une drôle d’impression…les gens sont tout petits et font la queue, attendant leur tour pour grimper. Sous fond de musique populaire, à l’orgue vénérable, de "que je t’aime" ou "non, rien de rien"… (l’enthousiasme de l’été se prête à des laisser-aller étonnant)

Si tu veux voir des vitraux contemporains de très haut vol, c’est à Brioude qu’il faut aller. Un moine coréen, rendu à la foudre de la basilique Saint Julien, (il n’a plus quitté la ville) a composé de réelles créations personnelles, violentes et passionnées. (Carnet : Ciels en val de Loire).

Comme toi, je prends mon temps pour "Londres". Je n’en suis qu’à 150 page ou à peine plus. C’est très dense et les tournures de phrases, les expressions sont une véritable jungle émotionnelle. Mais j’avoue que «le Pont de Londres» (seconde partie de Guignol’s band) est plus concis, moins éparpillée dans le sens où l’action est elle-même plus resserrée. Où pour une fois Céline se laisse aller à des sentiments inhabituels (envers Virginie la nièce du colonel). Mais ce Londres première manière est quand même un évènement.

En parallèle je continue "la nuit des orateurs". C’est une longue nuit de doute pour Tacite : sera-t-il exécuté par Domitien ? Toute une partie de la vie de l’historien défile et se trouve révélée dans le contexte du Sénat, à l’intérieur de son palais etc. C’est bien écrit en plus. J’ai donc ressorti mes "Histoires" de Tacite. J’en lis de simples phrases au hasard. C’est comme regarder le pan d’une fresque. Peut-être un prélude à un voyage vers Pompéi. On en parle. Si la guerre ne tombe pas à la même date, si mes artères etc.

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1 Novembre


Au travers de sa complaisance systématique envers les revendications minoritaires, de même que devant l’évidence «indiscutable» de l’éco terrorisme, ce qui importe dans la doxa médiatique n’est pas tant la liberté d’expression si fréquemment revendiquée par ailleurs, que de recourir, comme à un paravent, à un discours «émancipateur» justifiant toutes sortes de disqualification des pouvoirs institutionnels (y compris par la désinformation intentionnelle, l’omission ou le chantage à un quelconque retour des vieilles frayeurs ou plus communément du vieux monde).

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3 Novembre


A Bernard:


C’est vrai que mes envois ont la régularité d’un feuilletoniste. Un vieux non-dit entre nous… Il est arrivé jusqu’à 11 mois d’attente, exceptionnellement…

C’est vrai que le volume (textes poétiques surtout) est aujourd’hui plus réduit. Je me souviens de ce que disait une des sopranos les plus illustres du siècle, Léonie Rysaneck :’Mes ennemies observent avec envie mes aigus, sachant qu’un aigu est quelque chose qui ne revient plus dans l’inépuisable potentiel apparent de nos ressources’. Ce qui ne l’a pas empêchée de produire des aigus fortissimo et pianissimo dans les rôles les plus dévorant durant quarante années au plus haut niveau. Ses ennemies ayant rendu les armes depuis longtemps. Mais elle disait vrai. Les aigus ‘stratosphériques’ sont comme le cours de la vie : sans retour.

Ce que j’ai écrit n’est donc plus à écrire. Il reste moins à faire qu’il n’a déjà été fait…

Je me souhaite toutefois autant de ressources que Rysanek…

Thésée et Orphée sont cités en octobre. L’Orphée serait plutôt celui de Monteverdi (l’allusion à l’hôtel des 2 Guerriers (implicitement le ‘combat de Tancrède et Clorinde’), une allusion à mon séjour à Mantoue donnant sur la place ducale d’où le compositeur fit entendre pour la première fois un opéra -cet Orfeo- à deux pas de ma fenêtre ouvrant sur l’immense place. Je n’en ai pas dormi de la nuit.

Dans un genre (bien) plus léger Offenbach est un génie. N’a-t-il pas été surnommé le ‘Mozart des Champs-Élysées’ ?

Qui de l’homme ou de la femme est le plus félon dans l’histoire édifiante des arts ? je n’ai pas fait le compte. Fidelio et Lady Mac Beth sont renvoyés dos à dos.

Concernant ‘mes claquettes…’c’est la phonétique la plus appropriée que j’ai trouvé pour exprimer en un mot le sentiment de frayeur…

Ce carnet d’octobre a surtout été un mois ‘épistolaire’. Indispensable pour nous situer dans le temps.

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La langue française est la seule grande langue à disposer de deux mots, là où l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’italien n’ont que «dream», «traum», «sueno» et «sogno», nous avons «rêves» et surtout nous avons «songe». Et l’un peut d’ailleurs s’opposer à l’autre. On fait de mauvais rêves, on ne fait pas de mauvais songes. Toute l’histoire du monde pourrait se résumer sur la grandeur de ce mot.

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4 Novembre


Après tant de contradictions, d’ordres, de contrordres, de confusions et d’ignorance sous le masque de la dimension scientifique, jusqu’à perdre le plus élémentaire bon sens durant ces années 20 et 21 nous en serions arrivés à éternuer dans le creux des genoux.

La France est encore le seul pays qui persiste dans ses erreurs. Contrairement à L’Allemagne et l’Italie, elle refuse de réintégrer dans ses hôpitaux les soignants non vaccinés. «Lorsque le Conseil Scientifique…»

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«Dans la famille Drucker, je demande le fils… la sœur…. le frère… le frère du frère.»

C’est ce qu’on appelle une dynastie. La haute compétence. Des pros dans le milieu.

Dans les médias, dans le show-biz, la retraite à soixante ans, à soixante-cinq, soixante-dix ans, n’est pas à l’ordre du jour. Les élites.

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UN TRES BEAU TEXTE DE JEAN FRANCOIS REVEL QUI REMET A LEUR PLACE LES DELIRES DE L’ECRITURE INCLUSIVE ET LA FEMINISATION DES MOTS : > Byzance tomba aux mains des Turcs tout en discutant du sexe des anges.
> Le français achèvera de se décomposer dans l’illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots.
> La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme.
>
> Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une fripouille ou une andouille.
>
> De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et celui des droits de l’homme aux hommes ?
>
> Absurde!
>
> Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels.
>
> Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit «Madame de Sévigné est un grand écrivain» et «Rémy de Goumont est une plume brillante». On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme.
>
> Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un substantif un article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer de sexe. Ce n’est qu’une banale faute d’accord.
>
> Certains substantifs se féminisent tout naturellement: une pianiste, avocate, chanteuse, directrice, actrice, papesse, doctoresse. Mais une dame ministresse, proviseuse, médecine, gardienne des Sceaux, officière ou commandeuse de la Légion d’Honneur contrevient soit à la clarté, soit à l’esthétique, sans que remarquer cet inconvénient puisse être imputé à l’antiféminisme. Un ambassadeur est un ambassadeur, même quand c’est une femme. Il est aussi une excellence, même quand c’est un homme. L’usage est le maître suprême.
>
> Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement, qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’Etat n’a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse.
>
> J’ai entendu objecter: «Vaugelas, au XVIIe siècle, n’a-t-il pas édicté des normes dans ses remarques sur la langue française ?». Certes. Mais Vaugelas n’était pas ministre. Ce n’était qu’un auteur, dont chacun était libre de suivre ou non les avis. Il n’avait pas les moyens d’imposer ses lubies aux enfants. Il n’était pas Richelieu, lequel n’a jamais tranché personnellement de questions de langues.
>
> Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe, ensuite à ce que l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à longueur de soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible la tâche des enseignants. La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en torturant la grammaire.
>
> Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique: faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes.

Et encore, trouverait-on à redire quant aux métiers de la politique, aux métiers de pouvoir. Le Premier Ministre actuelle étant une femme, Le Ministre des Armées du précédent gouvernement, également une femme. Sans compter les bataillons de ministres plus obscurs et les cohortes de sous ministres inutiles, de secrétaires d’Etat et de sous secrétaires. Jusqu’au Porte-Parole du précédent gouvernement. Des ministères inventés pour le rehaut et la revalorisation de ces mêmes femmes, Ministère de la femme, ministère de la Condition Féminine etc.

Au rang «inférieur», si on peut dire, la Mairie de Paris est aux mains d’une Maire réélue, sans qu’une quelconque qualité de son bilan ou qu’aucune griffe de supplément d’âme majeur n’ai été constatée pour autant. Madame Hidalgo ayant apparemment bénéficiée dans sa réélection de la prime à la sortante comme dans une bonne vieille commune de province. C’est dire que le sexe n’entre en rien dans la manière dont on choisit nos responsables en la matière. De même on ne compte plus les villes, petites, moyennes et grandes, à la tête desquelles on a une femme. Strasbourg étant devenue quasiment une ville pilote en matière d’écologie politique portée par une femme. Les candidates à l’élection présidentielle ayant des chances réelles étaient au nombre de trois (où l’on retrouve inévitablement la même madame Hidalgo représentant un des partis jadis majeur dans le pays).

On pourrait ainsi dénombrer tant et tant de ramifications depuis lesquelles les femmes influent dans les domaines les plus variées sans même qu’on y prête attention. Mais on va toujours, on veut toujours aller vers plus d’égalité

Le non-dit féminin, au-delà de l’injonction à redéfinir les bases de la présence sexuée jusque dans cette révolution du langage, la réalité politique n’étant en fait rien d’autre pour elles que de prendre, de façon décomplexée, le pouvoir.

Suppression de la sphère politique et de ses magistères de l’homme blanc occidental de plus de cinquante ans.

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9 Novembre


«La nuit des orateurs» de Hédi Kaddour est un roman qui révèle une telle précision historique dans la mise en scène des personnages que cette œuvre est devenue un parfait descriptif du temps de Tacite. On y voit évoluer Publius Cornelius Tacitus époux de Lucretia amie d’enfance du futur empereur Domitien qui n’était du temps de son adolescence qu’un giton vendant ses charmes contre les colonnes des palais, parvenu au sommet de l’Empire, Flavie, la maîtresse de l’historien, rivale turbulente de l’épouse, Pline le jeune , Martial le poète courtisan, Juvénal la sève montante de la littérature, Pétrone l’affranchi dressant un portrait de la Rome satirico-chaotique, le tout donnant matière à la future œuvre que décrira de son côté, par les faits d’armes,  l’intrigue de palais et le mouvement de l’Histoire, Publius Tacitus.

La mort par déchéance immédiate, est omniprésente en conséquence des moindres faits et gestes, comme à se brûler au-devant de trop de lumière, plus proche encore à mesure que les marionnettes s’élèvent dans les hiérarchies du pouvoir.

La lecture du roman présente donc une double vision du premier siècle de notre ère. Celle en prise directe de l’historien à laquelle il est indispensable de revenir et, en double éclairage, l’œil du romancier qui met en scène Tacite lui-même qu’on imagine témoignant fébrilement de l’Histoire de ce temps-là.

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Tacite serait né en Gaule narbonnaise entre 55 et 57. Probablement à Vaison ou Fréjus (Forum Juli). Un varois en quelque sorte. Le plus littéraire de l’Histoire.

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Proudhon disait «qui dit humanité dit mensonge».

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14 novembre 22


Bernard:


«Hélas oui, il n’y a pas de défense européenne. A partir de ce constat, deux voies soit plus d’Europe incluant une défense commune, soit un retour vers une indépendance et donc moins d’Europe. Je ne pense pas qu’avec ses 5 chars et ses 3 avions la France puisse faire quoi que ce soit, donc je vote pour plus d’Europe, qui se sera équipée de matériel français, américain, chinois ou autre, ce n’est pas le problème.»

Réponse:

Tu vois bien qu’il y a contradiction entre le constat d’une défense ‘commune’, inexistante parce qu’impossible (sinon ce serait déjà fait), et le ‘plus d’Europe’ avec du matériel d’où qu’il vienne…

Outre que ce n’est pas un supplément d’Europe que d’avoir du matériel chinois, ‘ou autre», c’est le symptôme de ce manque de cohésion européenne, dans une Europe qui se délite par ailleurs sur tous les autres sujets (le ‘divorce’ actuel avec l’Allemagne, les menaces qu’on envisage pour l’Italie en matière de migration. Belle cohésion !).

Pourquoi ? Parce que les intérêts réels des uns et des autres ne peuvent coïncider en même temps ni dans le même sens. Qu’on ne peut avoir d’accords qu’au coup par coup comme toujours. Que l’Europe fédérale est un leurre comme était un leurre le pouvoir central bureaucratique de la Russie soviétique. D’autant que le référendum de 2005 qui avait refusé Maastricht a conduit à l’usurpation de la volonté populaire depuis.

Maintenant comme tu le dis, si la position de laFrance doit éventuellement se contenter de se dissoudre dans le mouvement qu’implique les E.U. et qu’on doive s’en satisfaire, je ne vois pas ce que peut faire cette pauvre Europe actuelle. Les allemands l’ont compris, il n’y a que la France de Macron qui croit dur comme fer à ‘la souveraineté de l’Europe’. Aucun autre pays n’y croit plus depuis la crise du sauve qui peut sanitaire. Staline disait bien ‘le Vatican combien de divisions ?’. Pareil pour nous. Et encore, au travers de ce que tu ne sembles pas croire (5 chars, 3 avions …) nous avons la seule armée européenne actuelle digne de ce nom. Et l’arme atomique. Qu’on a dû qu’à l’indépendance ‘Nationale’, n’en déplaise,qui était la nôtre, et que l’Europe était une Europe des nations.

«Donc il faut s’allier avec des partenaires en qui on peut avoir confiance quelque temps (l’Europe, les US, … Bernard)».

C’est bien ça, quelques temps, des accords au coup par coup selon les forces qu’on peut opposerà ceux avec qui on fait un accord… Et pas une fausse Europe tecnoburocratique qui règlerait par substitution la marche de nos forces…. Comme on dit ‘mieux seul que mal accompagné’. Même Taïwan a compris ça. Et pourtant, une puce géopolitique… La liberté à (a) ce prix.

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15 Novembre

A Juliana:

Ravi d’avoir enfin de tes nouvelles…
Je vois que tu n’es pas restée inactive, et tant mieux. Je me doutais bien que tu avais un projet absorbant qui justifiait ce long silence. Bravo.
Tes dessins sont vifs et totalement dans l’esprit de ce jeune public que tu cibles.
Et puis je crois que tu dessines comme tu souris. Avec naturel, sensibilité et sincérité. Bravo 2

Mes dernières nouvelles datent de septembre où nous étions à Ravenne. J’ai beaucoup aimé la ville. Un peu provinciale, sans trop de touristes en cette saison, avec le charme des petites villes paisibles et puis évidemment, les merveilles, les mosaïques byzantines…
Depuis on ne bouge plus. Et on prépare le prochain voyage. La Norvège probablement (nous devions y aller avec Pablo qui n’a pas pu venir en Europe). Cécilia a un peu peur de la guerre. La Russie est à quelques kilomètres du Nord de la Norvège (îles Lofoten, le plus beau du pays). Je suis un peu déçu. Regarde aussi les ‘stavkirks’ (églises en bois -surtout Berglund, Urnes et Heddal… Je les verrais bien dans tes illustrations…). Et puis j’aimerais que nous allions au Sud de l’Italie, dans les Pouilles et dans cet extraordinaire village de Matera (Basilicate) où la pierre est comme le gruyère, truffée de trous, de grottes et de peintures du début du christianisme. Ceux qui y sont allés disent qu’on a l’impression de traverser un village au temps du Christ (le film de Zeffirelli !). Rien n’a bougé depuis…

Voilà pour les projets.

Je suis en train de préparer avec Bernard le prochain livre : DE QUELQUES FUGUES A PLUSIEURS VOIES ( jeu de mots avec voie et voix)

Mais tu peux déjà le lire : ce sont tous les récits de voyage depuis 10 ans (+ Rabat I et II, les Indes et Colombia).

400 pages, c’est long pour un lecteur. Surtout que mes récits ne racontent pas d’aventures, je n’ai pas lutté contre des tigres ou vaincu le Cap Horn, je n’ai pas traversé des forêts infestées d’insectes, je n’ai pas bravé la mort en grimpant l’Himalaya etc. je n’ai fait que traverser des capitales, des régions magnifiques et j’essaie de partager mes séjours avec des lecteurs indulgents.

Il faut maintenant trouver un éditeur. Travail pour 2023.

C’est l’anniversaire de Liweï bientôt. Hélène prépare un piquenique géant. On espère qu’il fera beau. Il y aura des photos bien sûr.

Y. est gentil avec son grand-père. Je le fais travailler le soir quand il vient à la maison. Je lui ai appris à dessiner des étoiles (deux carrés décalés l’un sur l’autre -avec une règle-). Il a ouvert des yeux tout ronds…

J’espère que tu vas bien. Tes dessins montrent tout l’optimisme que tu as en toi, la vie, le dynamisme, et des couleurs qui émerveillent. Bravo 3

Lors de mon dernier voyage à Rabat, je me souvenais encore des petits livres d’enfant que ma mère m’avait acheté et que j’avais gardé longtemps encore…

Donne-moi de temps en temps des nouvelles, des photos lorsque les images expriment plus que les paroles. Et puis peut-être à bientôt.

Peu de nouvelles de Boni. Elle vit à Menton. Elle a vu Dylan à Paris. Donc elle va bien…

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16 Novembre


Le froid devient plus vif. Nous ne chauffons plus la maison, les convecteurs sont vieillissant. On se couvrira en conséquence. La France grelotte paraît-il.

Encore deux ou trois cent migrants au port de Toulon. L’Italie n’en veut plus. Le dilemme à l’Assemblée n’envisage d’autre possibilité que de les laisser revenir au port d’origine ou les recevoir avec tous les égards qu’on n’ose pas même imaginer pour nos clochards et nos déjà trop nombreux miséreux augmentés des réfugiés successifs qui dorment au vent sous les ponts de Paris. Notre grandeur, notre humanité, notre patrie des droits … me font penser à cet arrogant et fier aristocrate définitivement démuni qui continue de jeter encore l’argent qu’il n’a plus dans le «Salon de Musique» de Satyajit Ray.

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17 Novembre


EN ABSURDIE, IQUISSEN … ET AUTRES


En vrac: l’imam d’une commune du Nord de la France est jugé coupable, par décision administrative, de tenir depuis «des années», lors de ses prêches dans une mosquée, de violents propos publics contraires au plus élémentaire respect des lois de la République (antisémitisme, propos incantatoires contre les valeurs du pays, et plus grave, incitation à la désobéissance aux us et coutumes de ce même pays). Donc expulsable.

Né en France, mais n’ayant jamais demandé la nationalité française, le Maroc accorde le visa consulaire pour réception dudit imam. Le jour de la remise en centre de détention provisoire, il est constaté comme dans les meilleurs feuilletons où le méchant policier est ridiculisé, l’oiseau s’est échappé de la cage. On le soupçonne en Belgique. On le confirme en effet dans ce pays quelques semaines plus tard.

Entre temps, frappé de cette arrêté d’expulsion (OQTF), la Cour européenne des Droits de l’Homme invalide la décision préalablement autorisée par le Conseil d’Etat, invoquant ses cinq enfants nés sur le territoire (sur lequel l’imam possède des biens fonciers en quantité) et «s’étant fait discret depuis quelques temps déjà»

L’Europe ayant une bien étonnante conception de l’harmonisation des actes législatifs et des décisions judiciaires, les lois belges ne reconnaissent pas les faits imputés à l’imam Iquissen et refusent de le remettre aux autorités françaises. Dans le même élan, le Maroc refuse maintenant, devant le ridicule de la situation, de recevoir ce ressortissant pour le moins indiscret.

L’imam parade sur des images télévisées depuis la Belgique et clame son innocence, sourire aux lèvres avec avocate bras dessus bras dessous.

Après des semaines d’indécisions judiciaires, l’imam se voit signifié un arrêté de renvoi du territoire belge. Vers où? Vers la France.

Donc, après des semaines de valses et de cavales judiciaires, l’imam va revenir en France dont on voulait l’expulser, puis le récupérer une fois fui vers la Belgique et demain remis aux autorités marocaines qui n’en veulent plus et dont le ressortissant ne veut surtout pas aller: une des raisons pour lesquelles la Cour des Droits de d’Homme refusa de le voir partir au Maroc est que sa sécurité et son intégrité physique pussent être menacées.

Iquissen crachant et bavant au mégaphone sur le pays qui l’a vu naître mais ne voulant surtout pas aller dans celui de ses origines dont il partage les valeurs religieuses, les mœurs, les coutumes … et le passeport, le voilà bientôt revenu après moult gesticulations estivales, dans notre cher pays.

L’Etat de Droit? Le droit à la paralysie?

Comme un bonheur ne vient jamais seul, la France qui a finalement accueilli les deux cent trente-quatre migrants que refusait l’Italie est rappelée à l’ordre par les britanniques qui paie pour que la France «retienne» les migrants désirants se rendre en Angleterre.

Donc, d’un côté les autorités françaises ne savent plus comment contenir des clandestins en tous genre venus du Sud, de l’autre elles se battent sur les plages du Nord pour les retenir dans les limites du territoire… Surréaliste.

Le Ministre d’Etat, Gérald Darmanin, comme Louis de Funès dans Fantômas, ne démissionnera pas.

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La «Messe de l’Homme Armé» de Guillaume Dufay fut donné en 1436 pour la dédicace du Dôme de Florence, reflétant les proportions de la nef, de la croisée, de l’abside et de la hauteur de la coupole dans une musique aux deux voix inférieures qui évoluent à des vitesses différentes et dont les deux niveaux de hauteur ainsi que les mètres imbriqués symbolisent plus encore le cœur de la structure de Brunelleschi.

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A Bernard:

 

Tu as bien fait de me prévenir du dernier (petit) Onfray (l’auteur des anagrammes est Jacques Perry). Sans être un adepte maniaque comme j’en connais, l’anagramme est une tournure d’esprit que je pratique rarement. Je n’ai jamais retenu que la ‘cagade à Ballif’ (nom d’un compositeur) donnant ‘le calife à Bagdad’ et encore je ne suis pas bien sûr que l’anagramme soit parfaite. Le livre est subtil. Je ne résiste pas à t’envoyer quelquesperles comme :

– Esprit des lumières/les empires érudits

– les essais de Montagne/Idées soignant les âmesqui restent dans la parfaite adéquation raisonnable.

Mais il y a plus débridé et plus long :

L’atome d’Epicure danse dans les rayons de lumière/solennel amas d’une myriade de particules dorées (ouf !)

etles génitoires d’Abélard/le gredin est si adorable

Le tout est commenté tant bien que mal par le philosophe. On sent que le rire n’est pas loin. Et le travail sur les mots, secondé par un bon logiciel.

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18 Novembre


LETTRE OUVERTE PESANTE A TOUS CEUX QUI PARLENT DE TAUROMACHIE


Je profite de la niche parlementaire où l’émotion d’aujourd’hui sera chassée demain aussi rapidement que celle qui l’aura suscitée, c’est-à-dire comme une guigne parmi les autres qui ne manqueront pas de nous émouvoir à nouveau.

C’est avec beaucoup d’affliction que j’observe depuis plusieurs jours toutes sortes d’arguties concernant ce que personne ne sut ne serait-ce que nommer avec justesse, à savoir l’art tauromachique. J’ai ouï des expressions aussi brèves et sans appel, parant au plus pressé des joutes oratoires qui se réduisent on le sait souvent par «je suis pour ou je suis contre».

Et je propose en préambule un florilège de la fébrilité des orateurs improvisés, tant dans la rue que dans la plus autorisée des travées parlementaires qui en dira plus sur l’exact état théorique du sujet:

D’abord la question qui tue: «Qui est pour la corrida?» puis le long fleuve de sang qui s’ensuit ou qui le suscite derrière la coulisse invisible«Mon combat contre les souffrances animales- un animal qui n’a rien demandé- l’intolérable barbarie qu’on ne saurait tolérer au XXI° siècle- respectons les traditions- je respecte les traditions mais celle-là, non- s’il y a tradition, donc je suis pour- bientôt c’est aux chasseurs qu’on s’en prendra- la majorité des villes du sud vit de ces tradition, c’est comme les santons- Hemingway aimait la corrida- on ne peut le suspecter de ne pas aimer les animaux, la preuve, le vieil homme et la mer- «on achève bien les chevaux»- je n’en ai jamais vu mais c’est répugnant- et le gavage des oies, hein!- il faut faire cesser cette boucherie- c’est un commerce sans lequel on aurait plus encore de chômeurs-

Même les magistrats, les sénateurs, les élites, et les éditorialistes les plus pointilleux en d’autres circonstances, semblent désemparés et participent de même à la cacophonie ambiante.

Voilà qui en dit plus sur nous-mêmes que sur un sujet qui ne fait apparemment pas l’unanimité. Ce qui n’empêche pas les déboulés intempestifs des arguments qui fusent comme autant de coups de corne tête baissée dans un débat où l’âme même de ce dont on parle est absente. D’abord, il n’y a pas à être fier. Nous nous drapons dans le sentiment de vivre un temps supérieur aux temps passés et prenons souvent pour cible un Moyen Age péjoratif ou les temps anciens souvent méconnus que l’on oppose à notre extraordinaire XX° siècle et à ce XXI° de progrès sociaux et sociétaux qui nous enchantent par la voie de ceux qui nous protègent. N’est-ce pourtant pas ce terrible XX° siècle qui vit l’impensable se produire: deux guerres mondiales, la bombe atomique larguées sur des populations civiles (les bombes de la démocratie), les camps d’extermination, Tchernobyl, l’idéologie mortifère des soixante-quinze années de communisme, et toute proportion gardée, pour rester dans le présent le plus actuel, une pandémie traitée scientifiquement dans la plus approximative et drolatique des manières si ce n’était que le triste état du monde en fut suspendu et modifié durant plus de deux ans.

Oui, la tauromachie est un art, elle a dû voir le jour quelque part dans la Crète antique où la nuit des temps apprit à célébrer le culte de Mithra. J’ai lu comme tout le monde «les Bestiaires» de Montherlant. Si vous allez au Palais de Cnossos on ne peut y échapper. Dans la salle des taureaux, d’énormes représentations de cornes acérées comme des dagues sur fond de murs rouges. Le culte de Mithra est une représentation symbolique de la lutte de l’intelligence contre la force aveugle, une anticipation en quelque sorte de l’épisode biblique de David et de Goliath.

J’en profite pour sourire à ces paroles de chanson inconséquente qui font autorité morale si elles ne beuglaient pas dans l’arène de la bonne pensée et qui parle du David contemporain comme d’«une danseuse ridicule». J’aimerais bien voir le chanteur, par ailleurs du sud, dire de face à un matador ces mêmes paroles les yeux dans les yeux.

D’autre part, et plus sérieusement, qu’est-ce qu’un taureau de combat? Approximativement sept à huit cent kilos de muscles et de testostérone chauffés au soleil de l’arène et une génétique programmée pour le combat. N’en déplaise aux bucoliques scènes imaginées par de doux orateurs, les taureaux sont de superbes mécaniques prêtes à déployer leur potentiel pour lequel la nature les a dotés. Et non pas des bœufs paisibles issus d’un illusoire paradis perdu.

L’art proprement dit, et c’est le cœur intime de la tauromachie qui échappe au profane, est une cérémonie cathartique du rituel de la mort, qui passe par différentes phases comme il peut y en avoir, et cela peut sembler un paradoxe, dans les figures imposées de la danse. Le public des afficionados connaît exactement les phases en question et sait très bien s’il s’agit, comme dans un opéra, d’une représentation de haut vol ou s’il s’agit d’un gâchis. Vous remarquerez que les images les meilleures, prises lors d’une course de taureaux, sont toujours celles prises lorsque le matador est au plus près de l’animal, tout près de la lame du rasoir. Rares sont les clichés, lors d’une grande corrida, où la grâce et l’ombre de la fatalité ne passent dans la lumière. Ce que le spectateur ignorant de cette magie de la mort ne peut voir au premier abord est que le torero tourne autour de l’animal en sens contraire, du moins l’art de celui-là est de mener l’animal à former un cercle avec lui comme pour un défi et une provocation, le plus étroitement possible, dans une manière de s’épouser au plus près de la fatalité. L’image même de la condition des vivants. La mise à mort n’est en fait que l’aboutissement naturel du processus. C’est à la fois le tango et le flamenco dans leur essence. D’ailleurs la magie flamenca revendique une sensibilité commune et se sait étroitement associée à l’art tauromachique par des fibres venues du fond des âges et du fond d’une âme commune. Dans toute l’œuvre de Manuel de Falla passent aussi la rythmique et le souffle profond de ce même rituel de la vie et de la mort.

Garcia Lorca faisant de sa poésie une manière de synthèse du Cante Jondo et de la tauromachie.

Nous sommes loin des bêlements d’un orateur agité qui manie non pas la muleta mais l’art bien fade de la jérémiade, prenant à témoin l’émotion que peut susciter bien évidemment la souffrance du taureau.  D’autant que le discours n’est pas sans une complaisance larmoyante reflétant bien notre monde actuel où le moindre bobo tout autant que les plus affligeants crimes ordinaires se commettent parfois dans un raffinement barbare sans que la responsabilité de ces mêmes politiques dans leur impuissance, ni ne s’émeuvent ni ne règlent en quoi que ce fut la triste réalité.

Et pour rester dans le registre de l’animal et de sa souffrance, le rapport présenté à l’Assemblée ne mentionne nullement un fait devenu autrement plus banal qu’il en est toléré en silence mais terriblement culturel et bien plus inacceptable, celui de l’abattage rituel perpétré dans les conditions les plus sordides et au mépris de la loi. La brebis n’est pas le taureau…

Il fut un temps pas si éloigné, où sur le service public de FR3, des courses de taureaux étaient commentées par les regrettés Pierre Albaladejo et le O combien national Thierry Rolland à des heures de grande écoute ou presque.

Le puritanisme progressiste est passé par là…

La mort n’existe plus.

La souffrance est enfin éradiquée…

 Je suis allé récemment dans un hôtel de Nîmes où séjournaient naguère Picasso, Ava Gardner et Hemingway, où un concours de nouvelles littéraires originales sur le thème de la tauromachie est encore organisé durant la feria de Pentecôte. On peut en voir encore les affiches qui commencent à jaunir.

C’était un temps où les tartuffes de l’émotion brute au fonds de commerce binaire du Bien et du Mal avaient la décence de ne pas s’afficher dans l’arène de leur approximation où le sort de la Nation se résigne entre leurs mains.

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J’aime Barenboïm qui fait quatre-vingt ans, qui dit que Debussy a créé un univers harmonique équivalent de celui du contrepoint dans l’œuvre de Bach.

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19 Novembre


Je vois une image d’une maison à colombage de Bourges au-dessus d’un magasin de torréfaction inscrit bellement dans la pierre. C’est là que nous avons fait halte avant de trouver le chemin de la cathédrale. Je découvre que c’est le lieu de naissance de Simone Weil et que Kaija Saariaho a composé un oratorio sur la Vie de Simone d’un texte de Amin Maalouf rythmé en douze stations.


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La politique est la recherche du bon équilibre économique et social dans le cadre d’institutions que protège le pouvoir régalien. La machine aveugle des majorités qui se concrétisent dans le suffrage des électeurs en est le reflet. Le verdict suprême.

Il est étonnant de constater les défenseurs d’un pouvoir vacillant dire que devant leur impuissance, leurs adversaires grandissent simplement sur les sujets qui sont mal traités. Mais c’est une évidence.

On n’a rarement, voire jamais sinon contrairement au bon sens, vu prendre une bonne décision par le pouvoir qui rendrait plus puissant un adversaire politique. C’est le contraire qui se produit. Quand les puissants disent par exemple «vous grandissez sur ce problème de l’immigration, c’est votre fonds de commerce!». Qu’à cela ne tienne: Réglez donc le problème en question. Allez au moins dans ce sens-là.

 Les vases communicants…

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L’ultracrépidarianisme triomphe dans tous les domaines. Les pouvoirs publics en matière de santé en ont fait étalage ces dernières années.

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21 Novembre


Ben Vautier a l’intention d’exposer au Musée d’Art Naïf quelque part entre 2023 et 2024. Nul doute qu’il obtiendra de la Direction de la Culture à Nice une tranche d’exposition temporaire à ces dates. Les vœux de Ben sont des désirs niçois. Il est tout de même loin le temps où il crachait sur l’art des musées, bien qu’il ait un étage pour lui dans ce MAMAC de Nice dont il est un héros pour le personnel administratif. Cela ne lui suffisant pas, il est allé chercher le plus petit musée qui soit, le plus discret, un rien isolé, mais un des plus beaux (une villa avec jardin construite par le parfumeur François Coty vers 1922), au point d’indiquer déjà comment s’y rendre en déclinant les diverses lignes de bus et de tram (on peut ne pas connaître, ce n’est pas Orsay). Je souhaite pour ce grand artiste officiel de Nice qu’une expo, (comment Ben n’y a-t-il pas pensé), un évènement qui consisterait à exposer simultanément dans tous les lieux de culture de la ville, des œuvres de cet artiste jusqu’au triste jour où il nous quitterait: ce serait le modeste thème de l’évènement.

La vieillesse n’est jamais en mal de recherche de confort et de dorloteries. Il est bien révolu le temps pontifiant des catalogues papier glacé à la gloire de «l’Ecole de Nice» à Beaubourg. Le temps fait son tri. Même à Paris.

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Macron a fait son choix. C’est Yseut (par dérision probablement d’Yseut la blanche) que la chanteuse se prénomme. Choisie donc par le Président pour être la marraine de la prochaine francophonie. «C’est quoi l’idée? » demande Boulevard Voltaire.

Yseut a quitté la France pour se réfugier en Belgique, «pays moins raciste que la France».

Elle a décidé de ne plus payer ses impôts:«Je ne dois rien à la France».

Des raisons de poids suffisantes pour le Président de la République.

Est-ce que Georges Soros paie aussi le Président?

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22 Novembre


A Bernard:

Le froid est bien là. Surtout qu’on ne chauffe pas du tout. Pas pour suivre les bons conseils du gouvernement mais parce que nos convecteurs sont si désuets qu’il faudra un jour les remplacer (et comme mes murs sont tapissés de meubles à disques, livres etc. il est difficile de bouger tout ça). Lorsqu’on branche le chauffage de ville, on en a la consommation en notes de frais, mais pas les effets. Donc on a décidé cet hiver de se geler tout bonnement. Je me fais un peu plus proustien et me couche plus tôt sans que ce fut vraiment de bonne heure. Après mes deux heures d’émissions quotidiennes de débats, de tables rondes qui sont mes seuls rapports avec la marche du monde, (je me refuse à ces grandes messes du JT depuis 5 ans), je me branche sur des musiques qu’on ne peut ouïr que la nuit venue.

Le baume du moment est celui de Lili Boulanger, l’extraordinaire compositrice du début du XX° (Dieu qu’il y avait de génies en ce temps-là). Elle a surtout composé des mélodies et de merveilleuses fresques chorales, uniques. Elle était la sœur cadette de Nadia que le monde de la musique connait bien pour être passé dans son salon de composition en début de siècle (dès 1914 jusqu’aux années 50 !). Ces élèves étaient Léonard Bernstein, Piazzolla, tout ce qui peut avoir de noms de compositeurs américains, Gershwin, Quincy Jones, Philipp Glass, Keith Jarrett (ces Köln Concert, Bordeaux concert, et Budapest en portent les traces) mais aussi tous les futurs grands européens doivent quelque chose à ‘Mademoiselle’. Compositeurs futurs et interprètes Tu tomberas probablement sur son nom au hasard de lectures. Incontournable. Son salon était Rue Ballu (9° arrondissement). Et le conservatoire de Fontainebleau. Et donc sa petite sœur composait, et disparut très tôt à 25 ans. Je connaissais ses œuvres depuis l’époque du vinyle, mais les docs sont rares et encoreaujourd’huion en voit émerger en étant attentif. Voilà, c’était la bio des soirs d’hiver.

Et puis Vinteuil. C’est un peu son anniversaire de centenaire. Qui était-t-il ? Tout le monde a son idée. C’est du génie de Proust d’en avoir fait un portrait fragmenté, une mosaïque de personnages à moitié avoués et à moitié incomplets. Ça peut aller de la fameuse ‘petite phrase’ au salon de chez Swann, de la 1ere sonate de violon de Saint Saëns, à celle de Fauré, jusqu’au thème solennel de l’Enchantement du vendredi saint de Parsifal. Il y a donc de la place pour recomposer le Vinteuil en question…Je crois qu’il apparaît même dans ma poésie de Novembre… Les livres sur Proust se bousculent. Je vais rassembler le questionnaire complet (plus long qu’on ne croit) et tenter d’y apporter mes propres réponses.

Je m’en vais écouter l”Hymne au soleil’ de Lili Boulanger. Par ces temps de grisaille …

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Pour résumer nos échanges de ces derniers temps, je suis le seul (non parlementaire) à avoir foulé la cendrée ocre des arènes de Séville (le temple de la tauromachie, le Wembley du toro, le Twickenham de la corne) à l’heure crépusculaire qui accentuait le drame des jaunes et des ombres. C’est dans ces moments qu’on imagine les dimanches de feria, le drame de Carmen (qui a sa statue de l’autre côté du boulevard). J’ai probablement mis les pieds à des endroits où est passé Manolete. Il a suffi d’une protestation au guichet, prétextantgentiment que je ne voulais pas perdre de temps à entendre la conférence, que nous nous sommes trouvés propulsés dans l’espace déserté des arènes.

Je n’ai pas senti la souffrance animale, mais j’ai imaginé la solitude de celui qui tient la muleta. ………………………………………………………………………………………………………………………

L’OUÎ DU ROCK

« Et si le rock était la dernière musique sacrée ? Quelle est la métaphysique du rock ? Personne à ce jour n’a osé ou n’a pu l’écrire. Les rares penseurs qui ont tenté de le faire, philosophes à la traîne, à la peine ou universitaires laborieux, se sont mépris sur cette musique autant que ses pires contempteurs, croyant l’élever à une dignité ontologique au moment même où ils la rabaissaient comme eux à son contexte, à ses supports et à ses effets. Ce qu’est le rock essentiellement leur échappe toujours, à ces assis qui avouent écouter du rock dans le métro, dans leur voiture ou dans leur chambre – pour s’endormir ? Ont-ils connu la sueur, le sang et les larmes d’un local de répétition ? Ont-ils déjà risqué leur vie sur scène ? On peut tout savoir de la boxe, avoir tout lu et tout vu sur le sujet, on ne saisira jamais ce que c’est tant qu’on n’est pas monté sur un ring, pour prendre des coups et en donner, là est la vérité. »

Le dernier livre de Frédéric Gournay,Métaphysique du rock

(coupure transmise par Bernard)

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Réponse:

Bon, je vais être direct comme le boxeur.

Je suppose que l’auteur de ce livre est bien plus jeune que moi. Et comme tout le monde il a vu passer la lune derrière safenêtre. Le rockestun ovni indéfinissable ? Dernière musique sacrée? Ben ça alors. Ça pourra alimenter encore un moment en salive et en perspective de guingois tous ceux qui n’en n’ont pas encore parlé. Ou trop.

On m’a appris il y a longtemps que pour bien disserter il fallait choisir le bon sujet.

Les promoteurs du rock travaillent à faire croire depuis 60 ans que c’est la musique des émancipations, du motorique (comme notre monde vrombissant) et qui maintient les jeunes (et ceux qui le sont trop restés) dans la bonne marge, vent en poupe.

Il y aurait aussi une métaphysique du rock ?

Que personne ne pourrait définir ?

C’est en tous cas dans cette musique américaine que nous sommes tous tombés entre 10 ans et… Juste après la guerre. Imposée par l’empire américain.

Les premiers 45t que j’avais la permission de faire tourner vers mes 6 ans étaient les Presley numérotés de 1 à 7 (ensuite mon oncle qui les essayait en discothèque n’a plus suivi).

Dire ce qu’elle est ? Osons-le : quatre accords qu’on a le droit de faire hurler sur de trèspuissantshaut-parleurs dans des tenues de scène extraverties. Les quatre accords peuvent se démultiplier. Les extravagances aussi.

Le rock a la puissance de l’âge du moteur, de l’ivresse de la puissance du moteur. Donc une industrie de l’ivresse.

Il y a aujourd’hui des classes de ‘musiques actuelles’ dans les conservatoires des grandes villes. C’est dire à quel point la métaphysique du rock serait une sous métaphysique. Et une belle récupération.

Les instrumentistes s’y amusent beaucoup. J’y ai vu des élèves de guitare de 3° année qui feraient rougir Clapton. J’y ai rencontré à titre professionnel Mac Laughlin qui essaie de quitter ses vieilles peaux de rockeur qu’il n’a jamais été.

N’ont le droit de se prendre au sérieux que les stars du rock et ceux qui en touchent les dividendes.

Je reste un vieux connaisseur déserteur pour fréquenter encore la Rue Droite du Vieux Nice, ‘le Sauveur’ qui a donné un ticket gagnant à Dick Rivers, né dans cette rue où ses parents tenaient une boucherie bien connue.

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Le plus grave:

… «Ce qu’est le rock essentiellement leur échappe toujours, à ces assis qui avouent écouter du rock dans le métro, dans leur voiture ou dans leur chambre – pour s’endormir ? Ont-ils connu la sueur, le sang et les larmes d’un local de répétition ? qui risquent leur vie sur scène…»

Connaître les affres que souffrent les rockers en répétition et ailleurs?  Risquer leurs vies sur scène?

On croit entendre parler d’un qui reviendrait d’Afghanistan…

Ces faux affranchis de beaux quartiers qui écrivent sur le rock et qui voudraient en plus lui donner une dimension métaphysique, un terrain d’enjeu d’âge nucléaire –ah! la souffrance du local de répète- n’ont jamais connu du monde réel que ce que ma petite sœur (que je n’ai pas) a pu connaître du réel dans son univers de poupées en chiffons.

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26 Novembre

Sophie Chauveau écrit sur mille peintres de la Renaissance, Filippo Lippi, Botticelli, Léonard et déborde même sur le temps de Manet, de Picasso avec un détour du côté de Diderot. Ce sont des romans qui situent les artistes dans leur contexte. C’est peut-être là l’intérêt paresseux qui la rendrait attrayante. Je ne sais ce que vaut sa littérature. La matière est de premier choix. Aujourd’hui je ne pourrais y échapper, il s’agit de «La Fièvre Masaccio».

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27 Novembre

Je revoyais un écrit de janvier d’il y a deux ans, suite à un article de Agora, (Revue de l’Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire, publiée aux Presse de Sciences Po). Il y était affirmé sans rire qu’après 1945, le nombre de victimes occasionné par le pilon du capitalisme dans les guerres impérialistes (y compris peut-être celles tombées d’immeubles en construction ou qu’une grue aurait écrasée) était supérieur à celui dénombré par toutes celles des pays communistes durant le XX° siècle. C’est bien la vieille lune de Sciences Po qui n’a de sciences que le martèlement de son idéologie (à l’en tête de la République Française) depuis bien longtemps rangée auprès d’une gauche qui n’en finit pas de dicter une doxa qui nostalgise un régime dont on n’a jamais encore fait le Nuremberg. Les régimes communistes ont à leur crédit, si on peut dire, plus de soixante-quinze millions de morts, non pas dans des guerres traditionnelles où leur intégrité aurait été mise en danger, mais par la seule volonté d’imposer la recette unique du bonheur collectif sur terre. La structuration du bonheur en quelque sorte. Et qui continue de faire vivre une Chine (et d’autres) promise à la plus haute espérance économique du XXI° siècle.  Outre que les chiffres énoncés par l’Institut en question ne sont repris par aucun organisme autre que Sciences Po, plus grave, elle ouvre, depuis le premier septennat de Macron, ses portes au critère non plus de la méritocratie mais à l’ appartenance (à proportion) à la diversité discriminée qui ne se trouverait pas représentée dans le paysage socio-ethnique actuel, et tenant quoi qu’il advienne un cap résolument à la gauche la plus active si l’on en croit ses statistiques internes qui dénombrent trois élèves sur quatre formatés à cette doxa avant même de franchir le seuil de cette institution.

Sciences Po n’est aujourd’hui que l’échelon à l’étage supérieur de l’idéologie qui a animé l’Education Nationale depuis la fin de la guerre, avec une accélération sensible dans la radicalité depuis 68. Un cadavre qu’on n’a pas encore enterré.

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L’Ecole de la transmission des savoirs et de la formation des citoyens est à l’agonie. Elle accomplit aujourd’hui ce pour quoi on l’a programmé voici un demi-siècleadaptée aux nécessités du marché, elle fabrique à la chaîne une masse de consommateurs semi-illettrés et satisfaits d’eux-mêmes.

Soucieuse d’élaborer enfin l’égalité promise par le République en nivelant par le bas, elle a réussi à détruire ce que la France avait mis deux cents ans à élaborer.

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28 Novembre

BIEN SENTI

La réforme de l’orthographe imposée prévoit de simplifier la langue française.

Ainsi, le ‘ph’ de ‘pharmacie’ sera remplacé par un ‘f’ pour donner ‘farmacie’ ;
‘orthographe’ s’écrira ‘ortografe’ et ‘analphabète’ deviendra ‘analfabète’.

Or, chaque mot prend son sens dans ses racines : ainsi, le mot ‘analphabète’ est issu des deux premières lettres de l’alphabet Grec, ‘ alpha ‘ et ‘ beta ‘ précédées du préfixe “a” privatif qui lui donnent son sens originel, à savoir :
‘qui ne connaît pas les lettres’, donc ni lire, ni écrire.
Si désormais on écrit ‘analfabète’, il faut revoir l’étymologie du mot ; et par conséquent, son sens. Donc, ‘analfabète’ est issu de :
– ‘anal’ : qui a rapport à l’anus,
– ‘fa’ : note de la gamme,
– ‘bête’ : personne un peu sotte.
Un ‘analfabète’ est donc un con qui fait de la musique avec son cul !… Et de ceux qui font ces réformes à la con.  ………………………………………………………………………………………………………………………

Avec un ami vrai on ne rougit jamais de proposer la seconde bouteille.

……………………………………………………………………………………………………………………….30 Novembre

A Bernard:

Je crois que la gauche a des problèmes existentiels. Le PS ne se remet pas des 1,7% de Madame la Maire de Paris et que le conglomérat NUPES est une alliance de circonstances de tous ceux qui faisaient naufrage en solitaire et qui volera en éclat tôt ou tard.

Maintenant je te signale que Onfray se dit de gauche. Ce n’est pas du goût de certains de gauche pour qui tout ce qui se situe au-delà du centre gauche est d’extrême droite. On entend la litanie à longueur de journée.

Je ne sais pas si les entretiens de Houellebecq et Onfray sont humoristiques (et d’un humour de droite ?! -même là il y aurait des clivages…), mais depuis 2 jours les gens ne me parlent que de ça.

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1 Décembre

A Bernard:

Tu remarqueras que je présente aux éditeurs un ouvrage qui n’a pas la prétention de décrocher le Goncourt, mais un livre de récits de voyage. Il y a un pas entre une création littéraire pure et un récit de souvenir ou d’un temps qui s’échappe et qu’on veut retenir (le Carnet). J’espère que le ton est juste et que le style est néanmoins à la bonne hauteur. Ce que je crois dans certains passages correspondant à une réelle émotion. Sur quatre cent pages le lecteur trouvera son compte, à condition d’avoir un minimum de culture et de voyager un peu de ‘l’intérieur’.

C’est ce qui peut présenter un handicap dans ces temps de sensationnel et de sanguinolent.

La jeune Julianame répondaitce matinpar un long courrier où elle semblait ébahie par ces simples descriptions de Ravenne, au rythme d’une petite ville provinciale au temps figé face à l’Adriatique. Elle me disait être plus dépaysée que si elle avait vu un de ces films d’aujourd’hui maculés d’effet spéciaux et de banalités actives et violentes. Je décrivais le baptistère ou la voute céleste de Galla Placidia, c’est tout.

Je ne sais s’il relève de l’honneur de passer ou non à la tv, mais concernant Ferré que je considère comme un très grand de la chanson, qui fait hiatus lorsqu’il se pique de se situer du bon côté. On se souvient d’un anarchiste né dans de beaux linges monégasques venir garer à Saint Paul en Rolls en manteau de (vraie -je suppose, il pouvait- ou fausse) fourrure pour la pétanque. C’est idem pour un autre caricaturant qu’est Renaud qui assène tant de leçons de morale.

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2 Décembre

A Juliana:

Je reprends un point de ton message à propos de l’architecture : c’est vrai que les grands projets d’ensemble de Le Corbusier à Marseille ou Niemeyer à Brasilia ont bien mal vieillis. C’est le risque de l’innovation. L’erreur était peut-être de confondre plan social et création architecturale. Pareil pour les ensembles Antigone (l’architecte Bofill était très à la mode dans les années 70) à Montpellier, ville que j’aime beaucoup, mais la cité au centre-ville a mal vieilli aussi. Les grands noms de l’archi contemporaine sont tous aujourd’hui sur des projets colossaux à Dubaï ou dans les pays d’Arabie. Toutes les grandes innovationspoussent dans le désert (ils ne risquent pas de déformer l’image environnantepuisqu’ils partent de rien). L’idée c’est de défier le ciel.

Est-on heureux à huit cent mètres du sol ?

J’ai déjà le vertige quandje grimpe sur la table…

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4 Décembre

EUROPE DE MAASTRICHT

C’était déjà une trahison dès 1983, et pour ceux à qui on cachait encore les perspectives d’avenir, cela avait commencé en France avant avril 83. L’abandon du vecteur social, au cœur même du moteur politique qui était censé promouvoir la Justice et les avancées du peuple, fût-il en ce temps-là de gauche, fut vécu comme une parenthèse qui, comme la blessure d’Amfortas, ne cicatrisa jamais puisqu’elle ne se referma jamais. La grande orientation que le capitalisme occidental voyait à l’avenir se jouait sur le plan continental, par une refonte radicale, non plus d’une Europe commerciale comme elle avait été initiée dès les années cinquante (le Marché Commun), mais par un bloc constitutionnel dont chaque membre, délesté d’un certain nombres de prérogatives d’indépendances se voyait subordonné à une entité nouvelle, refondé sur l’interdépendance de chacun des signataires des nouvelles orientations et de traités faisant autorité première. L’Europe supranationale. Nous avons vu avec le temps qu’il s’agissait d’un jeu dont les règles montreraient l’absurdité du véritable enjeu qui se jouait, et ce, dès les accords de Maastricht qui signifiait la vassalisation de ces Nations au profit d’un conglomérat d’Etats administrés dorénavant par des Commissions non élues par le peuple et pour le peuple. On vit les élites se soumettre au postulat d’une idée encore jamais prouvée que «l’union fait la force», particulièrement en cette occurrence. L’idée, globalement, était de constituer une Europe formant une entité supranationale, battant monnaie et formant une seule voix de toutes ces anciennes puissances nationales, sources de conflits que l’Histoire récente se chargeait de renvoyer à la face de ceux qui s’opposeraient à l’idée généreuse de se fondre dans une union devenant à la fois un bloc répondant aux puissances émergentes asiatiques et à la voix toujours très tutélaire de la puissance américaine. On pourrait résumer d’un mot en disant qu’on misait sur l’euro contre le dollar. Le droit au chapitre. Donc une Europe s’ouvrant sur les marchés mondiaux, non plus en tant que pays historiques avançant en ordre dispersé souvent conflictuel mais d’une voix concordante de continent nouveau adapté aux besoins toujours plus grands de la consommation universelle.

La démocratie depuis lors n’est plus en état de s’exercer. Sinon par chantage à l’allocation. Comme on le voit avec l’Italie actuelle qui attend des fonds européens dont elle dépendra cruellement si elle ne se soumet aux lois supranationales relatives à l’accueil des migrants. Et ceci n’est qu’un exemple.

Les décisions réelles venant, non plus d’un Parlement National devenu simple chambre d’enregistrement, mais de Commissions successives de technocrates réglant tout en fonction non des intérêts de chacun mais de compromis successifs aux solutions souvent précaires et immédiates, absurdement contraires aux intérêts historiques particuliers des pays membres.

Plus grave, on a vu notamment se déplacer les avancées sociales au bénéfice des percées sociétales dans la vision contemporaine de cette Europe de plus en plus soumise aveuglément aux multiples revendications des blocs minoritaires. L’Europe avance comme une hydre révolutionnaire là où les simples intérêts politiques de chaque pays se voient passer sous les fourches caudines de minorités agissantes constituant l’aile progressiste absolue, recevant en cela le soutient toujours plus large, d’une part de lobbies et d’autre part, du Droit International à défendre les intérêts individuels lesquels se sont de plus en plus substitués aux droits fondamentaux des intérêts collectifs des nations. L’exemple le plus frappant est celui des derniers bastions de l’Est, Pologne, Hongrie, refusant certaines mesures sociétales européennes (venues après signatures des traités) minimisant leur souveraineté sur le plan de leurs lois en vigueur, changeant par-là entièrement la face sociale, économique et politique de leur pays. Toujours par le chantage aux allocations européennes.

L’Europe avance plus aujourd’hui par un progressisme sociétal que par une poussée plus ample des réponses à apporter aux nécessités sociales devenues criantes dans la béance des questions laissées sans réponses.

La démocratie issue de cette Europe devient fictive dès lors que seules les poussées sociétales y apparaissent comme le critère de la modernité et des «valeurs» républicaines. Ne pas adhérer revient à s’opposer à ces valeurs et à l’inéluctable bonne marche du monde. Au mépris de la volonté des peuples.

D’autre part, l’alignement aux idées et aux fantasmes propres aux Etats-Unis n’étant pas pour autant moins soumis qu’auparavant en matière idéologique. Le wokisme dévorant les universités françaises et européennes, les déconstructions à grands coup de burin niant l’Histoire même de chaque pays européen pour se solidariser avec un vieux traumatisme américain serait à lui seul le symptôme d’une Europe qui a échoué à se découpler de l’emprise américaine.

L’Allemagne, dont seule la France pense qu’elle constitue un couple avec elle, pousse l’été dernier le naufrage européen jusqu’à s’armer, sans prévenir, de quarante-cinq avions américains de la plus haute technologie à même de porter des ogives nucléaires, alors que les efforts coopératifs eussent été si simples à trouver partenariat avec l’industrie militaire française, première en Europe.

Le camouflet qui s’ajoute à l’incohérence, voire au cynisme.

Dans tous les domaines l’Europe chancelle. L’Europe est nue. Le terme même de «construction européenne» est un terme défini par les pères fondateurs financiers américains, amis de Jean Monnet.

Comme la Sagrada familia de Barcelone ou Sisyphe, toujours à poursuivre, toujours absurdement lié à un inachèvement structurel.

Cet hiver nous aurons froid. Nos capacités énergétiques ne permettant pas de produire en toute indépendance ce que nous avons toujours produit pour nos besoins fondamentaux. L’industrie nucléaire désirée par le Général de Gaulle, poursuivi par Mitterrand (seul domaine où il ne s’opposa pas ouvertement à son adversaire historique) a été détricotée par nos gouvernements successifs depuis trente ans, et le dernier mandataire, pour des raisons de basse considérations d’écologie politique, pour complaire aux «amis» verts allemands (encore eux) auxquels nous vendions (!) de l’électricité issue du nucléaire, a été démantelé ou peu s’en faut. Moribond. Demain en retard. Et cet hiver nous aurons donc froid.

L’Europe des minorités encore. L’Europe des avancées sociétales toujours. L’Europe verte.

Ajoutée à la bêtise satisfaite de nos dirigeants qui ne voient rien venir.

J’ajouterai: l’Europe verte utopique imposée par l’Allemagne. EDF étant il n’y a pas si longtemps encore, avant l’indexation du prix de l’électricité sur celui du gaz, le fleuron mondial de l’énergie. Il a fallu briser EDF pour plaire sans contrepartie à l’Allemagne dépendante d’une énergie française qui ne pouvait que lui déplaire.

Belle Europe.

L’hiver sera définitivement donc particulièrement froid.

Bernard:

«…Non, ce qui me dérange c’est le blocage d’un élan auquel j’ai cru, plus d’Europe, et pourquoi pas englober la Russie, voire la Turquie, et avec plus d’Europe, un mouvement non violent qui aurait dû aboutir à plus de paix et d’échange et de création et que sais-je. J’étais un peu nunuche, j’avais oublié les potentats qui ont une volonté personnelle et pas du tout en accord avec ma vision rose layette. Bon, on prendra du retard mais on finira peut-être par y arriver…»

L’aveu de Bernard étant en soi la réponse à la nudité angélique de l’idée que plus on est nombreux…

Ou la version contemporaine de «si tous les gars du monde…»

Ce n’est de la layette rose, mais simplement que à dix, vingt ou cinquante, la paix, l’équilibre ou la guerre ne viennent pas du nombre des signataires de traités, mais des intérêts forcément divergents sur le long terme de chaque signataire.

Mais le mal est fait. La France du nucléaire a perdu son indépendance, et pour cette erreur stratégique de complaisance se voit dans l’obligation de continuer un développement de parc éolien déjà vieilli et absolument monstrueux avant même l’aboutissement du projet. Mais le plus criminel en matière d’écologie est de se trouver présentement de devoir rouvrir des centrales à charbon et à acheter du gaz de schistes à l’Allemagne et aux Etats-Unis, ce qui nous fait retomber à la case départ des pollutions de base.

Sans compter que le rapport des dépendances a changé à notre désavantage.

Défendre l’Europe maastrichtienne c’est nier évidemment que les peuples viennent de loin, du fond des âges, que le façonnement civilisationnel s’est bâti différemment selon qu’on est latin, celte, nordique, qu’on a une histoire et une mémoire collective faisant ciment avec les couches les plus éloignés de notre passé, et que bouger ces données humaines dans leur sensibilité et leur être même pour bâtir une abstraction toute administrative improvisant au gré des grains qu’essuie le monde contemporain, n’est pas sans avoir pris des risques mortels.

Demain, notre avenir sera derrière nous. Nous avons tout fait pour nous désolidariser de la Russie sans chercher à lui trouver la position européenne qui lui serait revenue (l’Europe de l’Atlantique à l’Oural), plutôt que l’allégeance toujours et sans cesse réaffirmée à une Amérique elle-même de plus en plus essoufflée face aux puissances asiatiques du XXI° siècle. Notre Europe eut peut-être eu une autre chance d’exister. Dans l’indépendance de chaque Nation, le respect de leurs différences, et l’intérêt naturellement géopolitique de chacun.

Pour noircir en toute objectivité le tableau de cette Europe des artifices et des leurres, le défi des migrations de demain, dont l’Allemagne a senti le premier coup de semonce en 2015, jusque-là à son avantage dans son contexte de dénatalité, n’a pas même été dessiné à l’horizon des solutions de demain.

Les lois européennes, par la voix de la Cour européenne des Droits de l’Homme (le talon d’Achille) stipulant, si on comprend sans ambigüité aucune, que toute migration massive ne serait pas contraire au droits et à la nécessité européenne.

Contre la volonté de toutes les Nations d’Europe.

Se dissoudre, se fondre. Tel est à l’origine ce que se proposait ce conglomérat de nations ayant perdu le sens même de son être le plus absolu.

Comme Athènes, il s’agira de mourir en devenant une désincarnation universelle.

Il faut bien mourir de quelque chose.

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Nous fûmes conquis, investis, habités par le Nord de l’Europe vers le milieu du Moyen Age, nous nous rapprochons aujourd’hui dangereusement du «Camp des Saints» prophétique dont parlait dans le désert médiatique, Jean Raspail.

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7 Décembre

De mon sommeil un peu paradoxal:

« – On comprend qu’il y ait de plus en plus de gens sensés qui croient que la terre est plate. Surtout en France.

    -??

    – A cause du nucléaire! depuis cette affaire, on sent bien qu’avec MACRON CA TOURNE PLUS ROND»

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« –  Vous tenez là des propos de «Café du Commerce! »

    –  Ah bon! parce qu’au «Conseil des Ministres…»

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L’ORATORIO DE LIVERPOOL

Pierre Henry avait composé une Messe de Liverpool en 1967, commandée pour la création de la toute nouvelle église du Christ-Roi de Liverpool. Il faut reconnaître qu’elle est autrement plus convaincante que cet Oratorio de Paul McCartney.

Dans les années soixante leur chemin aurait même très bien pu se croiser. C’était le fameux temps de «Sergent Pepper» et de cette autre extraordinaire «Messe pour un temps présent» de Pierre Henry qui fut indirectement dans la trajectoire de l’univers pop rock un évènement qui touchait la même clientèle que celle de l’industrie des grandes diffusions médiatiques mondiales. 

Le pape de l’électro acoustique, («le Bresson, le Griffith des technologies électro-acoustique» (Michel Chion) à l’âge où la techno et l’électro des rave parties n’étaient pas nés), sur les terres de l’hégémonie rock des Beatles! …

Cela en est gentiment resté là. Comme des univers qui ne se croisent pas vraiment.

Et puis Bernard me dit avoir été perplexe à l’écoute de cet Oratorio de Liverpool de Sir Paul McCartney bien des années après la fin des Beatles.

Que lui répondre? Que chacun devrait savoir rester à sa place. Que cet oratorio est plus proche des «pomp and circumstance» (sans l’ironie de Sir Edward Elgar)et que ce n’est qu’une singerie maladroite et froide des œuvres de musiques sacrées de Haendel à Britten? La Grenouille qui veut faire le Bœuf? On était habitué à plus de simplicité et de spontanéité de la part d’un «des quatre» qui aurait dû se contenter d’avoir touché le plus gros loto du XX° siècle…

A Bernard:

J’avoue que c’est bienambitieuxpour Paul de s’être lancé un défi de près de deux heures sur un tel projet. Lui qui ne sait pas lire la musique (sinon des accords de guitare et quelques grilles d’accords sur 2 portées. Le génie mélodique lui est naturel mais les compos des Beatles ont toujours été harmonisées en studio par des pros qui «rhabillaient» les mélodies brutes et les techniciens faisaient le produit fini. Pour ne pas dire plus encore. Surtout après St Pepper, mais déjà certains titres de Revolver ou de Rubber Soul sont bien sophistiqués pour des "illettrés").
Il a bien entendu été aidé sur tous les plans. Il voulait laisser son nom accolé fortement à la ville de Liverpool. Les vrais créateurs de l’œuvresont restés dans l’ombre. Lui, a signé l’œuvre. Venant d’un autre, le produit n’aurait peut-être même pas vu le jour.

On sera indulgent. J’avais aussi écouté ça il y a longtemps, ça ne m’avait pas bien accroché et plutôt fait sourire. A ne pas comparer avec un oratorio de Bach ou de Charpentier évidemment.

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8 Décembre

D’AUJOURD’HUI LES SONS

J’écoute l’entretien de Pierre Boulez et de Claude Samuel vers 2005 où, dans les premiers échanges, il est question de ce qu’était la situation de la musique contemporaine dans les années cinquante: frileusement entretenue dans une distribution de concerts d’expressions de musiques des années trente, Poulenc Honegger, puis ensuite le gouffre. C’est à dire une stagnation et une critérisation toute conservatrice et sclérosante  des canons de la musique excluant toute forme vivante d’expressions nouvelles.

Il a fallu le hasard d’une génération bénie née autour de 1920/25 pour que des créateurs ayant vingt ans à la fin de la guerre prennent la parole. Pierre Boulez fut de ceux-là et l’on connait bien les conflits esthétiques et tout administratifs qui ont jalonné le début de la seconde moitié du siècle.

Une sorte de querelle toute traditionnelle des Anciens et des Modernes. Qui donna lieu à des créations d’envergure, parmi les essaims de compositeurs devenus les classiques d’aujourd’hui inscrits dans l’histoire même des mouvements esthétiques de ce temps-là.

Mais aujourd’hui? La situation serait quasiment pire encore qu’au moment de l’éclosion de la génération des Boulez, Stockhausen et Nono. Cherchant toujours la relève. Tristan Murail, Pascal Dusapin, Gérard Grisey, Philippe Manoury et quelques autres issus de la seconde génération encore pleine de sève, ont passé largement la soixantaine, et certains ont même disparu comme Jean-Louis-Florentz et Grisey. Encore n’ont-ils pas été aussi emblématiques que ceux de la génération précédente. Les combats et les vérités dans le monde de l’art se sont dilués dans l’indifférence et l’impuissance.

 La génération du début du XX°, celle des vieux pionniers, Maurice Ohana et Henri Dutilleux, a quitté la scène sans même les honneurs prodigués à tant de saltimbanques à décibels, pour peu qu’ils aient été dans les circuits de l’hyper médiatisation. Johnny en pleine lumière à l’église de la Madeleine, au même moment que deux autres génies n’eurent les honneurs que de l’enterrement anonyme.

Henri Dutilleux reçu pourtant les honneurs de Douai, sa ville natale lors de son attribution du Prix de Rome (et ce n’était que le Prix de Rome!), défilant en habit d’apparat dans un carrosse tiré par des chevaux. Honneur de chef d’Etat. Mais c’était un paradoxe d’avant la guerre…

J’entendais dire il y a peu: «le niveau de culture a-t-il baissé aujourd’hui?». La réponse tiendrait dans le fait que vers 1950, quarante mille viennois suivirent l’enterrement de Maria Cebotari (qui la connait maintenant?), un demi-million de parisiens suivirent Victor Hugo, mais mieux encore, en Colombie, à Cuba, la troupe de Louis Jouvet, fuyant la guerre, récitait Racine et Molière en français devant des parterres de francophiles locaux, faisant salle comble.

Malgré tout, et en même temps phénomène de réticence inexplicable, la création musicale buttait sur les académismes en tous genres.

Et si certains cherchent encore à dégager des tendances d’avenir, des espérances de paysages créatifs neufs et un miroir à l’expression musicale de notre temps, ils seront aussi solitaires et démunis qu’à la fin des années quarante. Les gages que nous donnent les critiques autorisés des milieux de la musique sont Guillaume Connesson, Karol Beffa et Thierry Escaich. Puis plus rien. Une maigre vitrine. Comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois, ces trois-là sont bardés de diplômes et de décorations comme autant de maréchaux d’Empire. Ce qui en fait par nature la raison et la caution offerte aux médias et aux représentants de la création contemporaine. Les seuls que l’on ausculte dans le monde fermé des augures en la matière. Et ils ne valent pas plus que les efforts qu’ils s’ingénient à griffonner sur de pales partitions diluées elle-même dans les soirées parisiennes grises de leur maigre créativité. On peut être un parfait grammairien totalement stérile à la moindre page d’écriture. L’industrie de l’illustration sonore hollywoodienne leur est ouverte.

Le public du XXI° siècle n’étant pas plus évolué que celui d’après-guerre non plus.

Il faut entendre telle actrice de cinéma ou décoratrice de mode parler de «Oui, cette chanson-là de Chopin, quelle merveille…»

La situation de l’Europe de la création est à peine meilleure. Georg Friedrich Haas et Olga Neuwirth dans les pays germaniques, Francesconi et Fedele en Italie, Pesson, Dusapin en France, quelques îlots. L’industrie américaine broie tout sur son passage, n’accréditant plus, dans son consumérisme sans frein, l’exemplarité passée de l’Europe occidentale qui servait de générateur et de miroir envié. Un archipel de quelques lueurs donc, émietté et sans dynamique représentative et c’est tout.

La grille des programmes de Radio France est devenue le miroir, par un retour amer et paradoxal, O combien inattendu des programmateurs d’émissions, des valeurs de l’Ancien Régime triomphant, de toutes les expressions du baroque musical et de leurs interprétations à la lueur de partitions, de codes et de manuels «historiquement informés».

Comme pour la pornographie d’antan, il faut attendre la nuit noire et silencieuse pour avoir droit à quelque émission diffusant un concert ou une courageuse chronique parlant de musique contemporaine. Lorsque les chastes oreilles ont fermé les yeux.

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9 Décembre

Bernard:

suis invité au centre culturel chinois

Je suis sur une liste de personnalités cibles d’un mailing culturel, et je ne sais pas pourquoi, peut-être à cause de mon grand âge, ou de ma barbe, certainement pas pour ma contribution à la culture chinoise ou autre. On ira pour voir comment la Chine s’est installée, à la hauteur de la place de la Concorde, mais de l’autre côté, rive gauche. Un coup de moto, quand même le plus pratique, malgré le froid qui commence à être piquant

Peut-être est-ce parce qu’on est allé plusieurs fois au centre culturel coréen, qui vaut son déplacement aussi, quoique raisonnablement limité. Mais Ophélie s’est entichée de ce pays, alors on est allé se renseigner. La Chine en aura pris ombrage et tente de nous recentrer vers l’empire du milieu ?

A Bernard:

 

Il faut toujours ménager la susceptibilité des chinois. Matois et ombrageux sous des visages lisses et impénétrables. Qu’as-tu donc à te reprocher pour être ainsi convoqué ?

Peut-être un masque omis ? Tu sais que les récalcitrants là-bas sont pris au filet et menés au cachot pour récalcitrance. Et devant tout le monde. J’ai vu ça. Enfin fais attention.

Avec Wings jusqu’où vas-tu aller ? Jusqu’au bout de l’enquête ? Paul is dead souviens-toi.

Connais-tu Norman Spinrad ? "Jack Barron et l’éternité". Certainement. Unscience-fictionde 69 qui semble revenir sur le devant.

J’espère que ces histoires d’Ukraine ne dureront pas autant qu’il me faudrait de temps pour lire le Tolstoï. Il existe un opéra (genre fresque évidemment) de Prokofiev qui dure 4 heures. Une splendeur. Bien sûr, ne parlant pas le russe on perd beaucoup. Mais les duo d’Andreï et Natacha sont superbes. Tout le reste aussi (peut-être cinquante personnages en scène). On le joue rarement pour les raisons que tu imagines.

Tarkovski en aurait bien fait le film pour les paresseux de l’écoute seule.

J’ai corrigé la seconde partie de l’envoi aux éditeurs. Raccourci de quelques lignes. La partie intermédiaire me semble inutile. Il ne faut pas leur mettre les nerfs avec des choses qu’ils savent déjà.

J’espère qu’Ophélie écoute de la belle musique coréenne. Il y a chez eux l’équivalent du Gagaku avec force orgues àboucheet des plages sonores très lisses, étirées et réduites à l’essentiel comme les jardins dont on modifie sensiblement le sable avec de longs râteaux. Zen. Sinon ils ont aussi comme dans tout le monde des musiques bien dégueu, mais chez les asiatiques ça garde toujours un joli côté miaulant dans l’aigu quand ils se forcent. Surtout elles.

Je regrette tellement l’époque où nous avions une fois par mois, (années 98/2002), des concerts de musiques asiatiques au Musées des Arts du même nom. J’y ai assisté à des concerts équivalent à voir et entendre del’Asiece qui chez nous auraient été Rostropovitch, Boulez ou Christian Ferras (mon violoniste decœur). Et puis des femmes à tomber à la renverse. J’ai même, dédicacé, un cd de Junko Ueda. Virtuose du satsuma-biwa, élève de Tsuruta la grande. J’ai tenté de lui parler plus longuement mais son sourire voulait dire "nous nous croisons le temps que le temps se fige". J’ai bien compris. En juillet (concert final de la saison), un opéra chinois en plein air (cf Carnet -inénarrable ici).

J’enrage de n’avoir plus gardé les programmes détaillés et les notices faites par Mme… qui était charmante comme tout. Puis avec un changement de direction… changement de tout.

J’ai découvert un cd de mélodies irlandaises qu’aimait Joyce. Mélodies vraiment anciennes auxenregistrementssans âge. Assez mélancolique. Et certainement authentiquement dublinoises.

Je me suis offert le n° spécial sur le long entretien Houellebecq/Onfray. Pas du tout ce que tu m’en avais dit. D’une très haute tenue intellectuelle. Le reste du n° idem.

Tu n’avais fait que répéter ce qu’en dit France Info (en tous cas une radio/service publique) qui connait si bien ses sujets qu’après les violences commises par les marocains en Belgique a cru bon de parler de réactions contre l’ancien colonisateur. Ouf !

J’attends ta venue. Prévois tout de même le traditionnel midi dans le Vieux Nice. Pour l’occasion on trinquera. Je suis toujours à l’eau depuis Août. J’ai reperdu onze kl. Je me sens mieux. J’espère ne pas m’y noyer comme Bruce Lee.

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Arvo Pärt héritier de l’âme des polyphonistes du XVI° siècle. Grandiose dans l’humilité.

Incompris pour cette raison. Compris pour d’autres raisons.

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à Jacquot:

Fischer-Diskau a un héritier depuis longtemps et je ne m’en étais pas aperçu. Comme souvent dans les chocs amoureux on ne voit venir la chose que bien après…

Je dis héritier parce que le timbre de voix est très voisin de son glorieux aîné. Mais aussi l’intelligence de cet allemand que je ne comprends pas mais que je sais quand il est parfaitement récité (il y a quelque part dans la musique des mots le sens dévoilé, la certitude que l’interprète est juste, qu’il est dans le vrai. C’est le cas ici). Je me souviens de Fischer à Salzbourg, clandestinement à la porte d’une master-class où un géant finlandais tentait pesammentun Hugo Wolf, que le maître ensusurrant les mots simplement remettait en place…

J’ai eu l’impression d’avoir volé un secret.

L’interprétation la plus sublime de Christian Gerharer est surement son "Elégie" (Othmar Schoeck), que même Fischer avait hésité à chanter au soir de sa carrière et y avait finalement renoncé. Le Graal des barytons lyriques. Cinquante minutes de la "totalité chromatique" vocale…

L’œuvre est hallucinante (au sens propre), une sorte de voyage d’hiver encore plus fantomatique que l’autre, avec d’incessants changement de couleurs de la voix que tout le prisme des nuances s’y déploie jusqu’à l’épure du blanc, le plus réellement halluciné.

De la faveur espérée au cauchemar.

J’écoute depuis longtemps ses Schumann (sont parus en intégral récemment) et ses Schubert, puis l’Elégie et le Nocturne de Schoeck.

Je savais donc, dès avoir raccroché le téléphone que j’avais oublié de te dire quelque chose. C’est fait.

J’ai achevé l’entretien Houellebecq/Onfray juste après. Et je m’en vais lire aussi le n° 11 de FP sur le thème de "la nouvelle gauche (im)morale".

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11 Décembre

Alma Mahler a fait des ravages. Il ne se passe pas deux jours sans qu’on ne parle d’elle. Devenue madame Gropius elle eut sinon des amants (quelques-uns) du moins de multiples soupirants. Celui que je trouve le plus loufoque est Kokoshka. Ayant aimé l’égérie plus que de raison et sans amour aucun en retour, il se fit confectionner une poupée à la ressemblance d’Alma et lui parlait. Il lui parlait en présence d’amis et de visiteurs comme si elle eut réellement été l’Alma connue auparavant. Il dormait apparemment avec la poupée dans le plus parfait ventriloquisme et le fétichisme le plus tragique.

Alma Mahler a aussi été Madame Gropius et Madame Werfel, mais qui s’en soucie. Lorsqu’on cherche à la cerner il s’agit toujours d’Alma Mahler, même pour les biographes. Aussi envahissante et détestable que Clara Schumann. Des femmes en avance dit-on.

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J’ai achevé ce soir une série de peintures jaunes qui succède donc aux «peintures noires» du mois dernier. Ce sont toujours les derniers travaux que je trouve les plus convaincants.

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14 Décembre

J’entends que les rappeurs, certains d’entre eux du moins que le degré de conscience peut hisser à certaines évidences, ne s’étonnent plus que leurs bases mélodiques viennent de Chopin, Brahms ou d’autres. Une vague ombre, comme un décor par trop contrasté. Ils en sont conscients. J’en conclue que ceux-là, outre que je considère leur forme d’expression comme la plus pisseuse qui puisse être, aiment surtout les secondes mains. Peut-être un peu comme leurs copines d’occasion.

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EN NOIR ET BLANC

Dans l’entretien de cinquante pages que s’accordent, Houellebecq et Onfray il est dit qu’il ne faut pas médire à ce point de la désindustrialisation du pays. Qu’il y a des secteurs, sans qu’on le sache ou le dise, qui se situent à la pointe des industries françaises exportatrices de projets et de grandes réalisations. On connaissait les architectes dans leurs tours d’ivoires bédouines à défaut de présenter ce qu’en son temps Le Corbusier proposait de plans urbanistiques, mais ce qu’on sait moins dans l’innovation française, c’est sa contribution à l’industrie du cinéma. Particulièrement aux blockclusters, parmi les plus énormes, en partie réalisés dans les studios d’étude français. Qu’il s’agit bien aussi d’une tradition imperceptiblement encore sensible, jusque dans l’appartenance du nom même de Walt Disney dont l’ascendance venait de d’Isigny en Normandie. Tout ceci étant fort probable, je n’y vois qu’une adaptation réussie c’est vrai, mais une preuve de plus que même lorsque la réussite est là, c’est dans un élan et une immersion dans le monde américain. L’Europe est tellement américanisée, et la France en est tellement imprégnée que lorsqu’elle fait ressortir ses talents, c’est en se mesurant à la culture d’appartenance universelle américaine. Les Start up françaises étant souvent localisées en Californie. On peut dire d’elles qu’il ne reste plus grand-chose de spécifiquement français. De même, lorsqu’on jette un regard sur les banlieues de notre pays on est plus proche du Bronx et des codes vestimentaires autour des stades de base ball ou de basket que dans un tableau impressionniste de Renoir. Venez comme vous êtes n’est-ce pas le cri de guerre de Mc Donald qui fit passer parallèlement dans le monde vestimentaire la primeur du confort, du sport et de la santé supplantant définitivement la fameuse élégance qu’on prêtait aux modes vestimentaires françaises?

……

Peut-être que Houellebecq a raison lorsqu’il explique le pourquoi des violences qu’occasionnent systématiquement les jeunesses nord-africaines lors de manifestation sportives ou autres. Etablissant un parallèle avec les communautés asiatiques de Paris, il en conclut que l’intégration et l’assimilation ne sont pas les raisons réelles de ces situations de violences. Les asiatiques vivant au dixième étage de leur tour du treizième arrondissement ne sont pas plus intégrés et parfois ne parlent toujours pas français, mais ne causent aucun souci aux populations pour la seule raison qu’ils sont habités par un sentiment de supériorité tranquille. De simples vieux souvenirs de leur passé. J’ajouterai qu’ils sont habités par une religion qui leur parle d’éternité et non pas de combats à mener demain et d’espaces à conquérir. De vengeance et de haine de celui qui ne partage pas sa religion.

Contrairement aux jeunes de la quatrième génération nord-africaines qui ont un jour ou l’autre entendu les anciens parler des modes de vie au Maroc ou en Algérie, l’évolution en matière de santé publique ou de progrès lorsque le «colonisateur» était installé au bled, contrastant avec l’état actuel des délabrements, notamment en Algérie. Il en est ressorti chez ces nouveaux français un sentiment tout à la fois d’impuissance et d’infériorité de n’avoir en aucune manière poursuivi ou participé à un développement qui avait pris ses racines et son plein épanouissement durant la présence française. Le contraste pour la jeunesse algérienne est criant. Le Maroc s’y met de son ressentiment à l’occasion de cette Coupe du Monde Qatari. De là viendrait le drame de ces civilisations qui se regardent face à face.

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15 Décembre

Le voyage de Chopin et Georges Sand à Majorque fut assez triste et grisâtre. Chopin n’en écrivit pas moins vingt-quatre Préludes dont Georges Sand dit «qu’ils sentaient le Paradis à plein nez» … C’est étonnant ce «sentir quelque chose à plein nez». C’est une expression que j’utiliserais plutôt dans le cas de quelque chose qui pue, du moins qui sent avec envahissement et sans nuance aucune (un mensonge «à plein nez»).

J’imagine le Paradis avec moins d’évidence. Mais question délicatesse, Georges Sand n’appelait-elle pas sa fille «ma grosse»?

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18 Décembre

Rue Puget, pour la gravure du Marteau sans Maître de 1956. L’enregistrement se fait chez les parents d’Isabelle. Il est midi, il fait beau, les rues sont pavoisées mais désertées. A seize heures, c’est la finale de la Coupe du Monde. La France perd sa seconde finale mais le spectacle est grandiose.

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«Le Guépard» de Visconti. Sublime scène finale: le bal.

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Boulez confesse dans un entretien qu’il gardait toujours dans ses programmes Pulcinella de Stravinsky parce que cela l’amusait. Pour savoir dans quel mépris il jugeait la musique néoclassique de l’entre-deux guerres (Poulenc, le Groupe des Six etc.), il est étonnant qu’il réservât un sort particulier aux œuvres de Stravinsky de la même époque. D’autant que ni Poulenc ni Honegger ne commencèrent leur carrière en cassant les vitres d’un Sacre du Printemps. Stravinsky aurait dû, après un tel bond en avant, être considéré comme renégat de lui-même, regardant vers des formes d’expressions passéistes ou néo quelque chose. La vérité est que Boulez aimait la musique de Stravinsky tout simplement. Il n’y a évidemment rien à justifier. Je crois qu’on peut aller, sans pêcher aucunement, pousser jusqu’à aimer Honegger. Je fais partie de ceux-là.

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24 Décembre

CLAP FINAL

Cette année a été principalement l’année de mes retrouvailles avec Rabat. Lorsque je penserai à ce millésime il devient évident que la cime en sera ce séjour du mois de Mars. Bien que riche par bien des aspects, l’évènement de ces retrouvailles éclipse un peu le reste de ce qui s’est passé cette année, et il me semble que plus tard, si le temps m’est accordé, ce retour vers mes lieux de l’enfance prendra tout le relief qu’il se doit de prendre.

Et il est d’autant plus douloureux de penser à ce séjour qu’il n’y en aura pas d’autres. Pas parce que le temps m’est compté, mais parce que, comme je le disais en exergue de mon récit, il ne me sera pas permis de revenir fouler les lieux où les absents ne peuvent revenir.

C’est un peu l’appréhension que j’avais avant d’entreprendre ce séjour. Je savais de manière assez imprécise que quelque chose m’empêchait, comme une retenue, de me laisser tout à la joie de revoir ces rivages. Evidemment je n’ignorais pas que tous les témoins disparus, parents, oncles et tantes avaient quitté non seulement cette ville qui nous réunissait mais quitté ce monde depuis longtemps pour certains. Mon père n’aura pas même connu les années quatre-vingt. Ma grand-mère bien aimée aura parcouru, comme une mémoire vivante tout un siècle. Née avec le siècle précédent («je ne suis pas né avec le siècle nouveau…pour trois mois», elle s’en est allé au seuil de ce vingt et unième qu’elle n’aura pas non plus connu pour très peu. Puis ensuite, toute la cohorte de ceux qui me précédèrent directement, finirent leur séjour sur cette Côte d’Azur ou dans le Nord (le grand écart familial) comme des dispersés. Partis depuis si longtemps que nous avions cicatrisé naturellement ce déplacement survenu un jour. Dépotés tour à tour. Sans violence. C’est la raison pour laquelle je ne parlerais pas de déracinement, même si le phénomène est le même. Phénomène réservée particulièrement aux sauvetages de ceux d’Algérie qui n’eurent ni le choix du départ, ni moins encore du moment de prendre la mer.

J’ai donc revu, il y a maintenant dix mois, les lieux et le rivage qui me furent familier. L’enfance qui fut la mienne en quelques fulgurances de couleurs, de pierres et de significations encore perceptibles et tangibles, de vestiges et d’endroits reconstruits ou disparus en lieux et places d’anciens édifices effacés du paysage. Le temps a frappé au hasard et c’est par chance que survécurent telle quelle la librairie de la marraine et les principales maisons d’habitation qui furent les nôtres.  Et plus encore, tous les établissements scolaires qui n’ont pas pris une ride ou si peu. Les couleurs dominantes, la clarté aveuglante des midis et le relief donné aux choses au couchant et au lever du jour.

Revenir un jour vers le Maroc est une tentation à laquelle je succomberais volontiers. Mais pas Rabat. Rabat, ce serait comme vouloir insister à mettre à nouveau mes pas dans le passé. Dans le passé de l’enfance avec ceux qui m’ont vu naître et sans lesquels mon histoire personnelle ne serait qu’une simple abstraction. Se serait vouloir traquer les lieux même où je ne rencontrerais que solitude ou pire encore, une profonde meurtrissure de revenant, de fantôme sur des espaces qu’on avait oublié ou feint d’avoir volontairement quitté. Je m’y sentirais vite comme un voleur dans un magasin regorgeant de richesses que je n’aurais pas le droit d’emporter. La ville me dirait à sa manière «que cherches tu ici que tu crois pouvoir trouver» et elle aurait raison de parler à la part de voyeurisme qui ne s’autorise qu’une seule fois ce retour vers un passé qui ne peut revenir. On parle ainsi de pèlerinage ou de retour aux sources. Cela ne peut décemment se faire qu’une seule fois, comme une permission, une pensée et un témoignage de mémoire vivante vers le monde aboli de notre premier âge.

Sinon le Maroc reste attractif pour le touriste que je pourrais être. La vallée du Drâa, le grand sud, les portes du désert, puis les villes bleues du nord, Chefchaouen, la Tanger de Matisse, l’austérité de l’Atlas…

Un jour peut-être.

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Magnifique Noël à la maison. Le soleil se lève juste à l’heure de passer à table sur la terrasse inondée de lumière.  Nous passons une grande partie de l’après-midi à tirer à l’arc. Y. est heureux de son arc et de ses flèches. On atteint deux fois, lui et moi, le dix du centre de la cible. Tout le monde est bien gâté.

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27 Décembre

La basilique Sainte Réparate reçoit vers onze heures une lumière extraordinaire qui donne l’impression que certaines de ses voûtes et de ses chapiteaux de stuc ont fleuris spontanément, d’une renaissance saisonnière. Ce qui est réellement nouveau ce sont des peintures inouïes à la chapelle qui précède le chœur. On y voit notamment une Déploration sur le Tombeau du Christ et de face une apparition à Marie Madeleine. Le résultat photographique que j’ai tiré laisse apparaître une lumière des plus franches à la façon de Redon pour l’Apparition, et une inspiration carrément Renaissance pour la Déploration. La basilique semblait à cette heure nimbée d’une grande douceur au point que jamais je n’avais vu tant de circulation joyeuse et de monde la tête tournée vers la transparence de la voûte.

Une fois chez Sauveur, Geneviève me dit: «C’est Ugo qui a fait les peintures».

Bernard arrive un peu avant midi. Il y a bien des visages que je ne voyais pas depuis mon retrait du mois d’Août. Donc nous trinquons.

Geneviève n’a pas manqué de m’apporter un très beau catalogue sur Piero della Francesca.

C’est sur la Place Garibaldi que nous déjeunons, Bernard et moi. Jusqu’au soleil couchant. Comme il se doit, arrosé d’un petit rouge du var bien vif.

Et puis d’une voix assez accentuée du Sud-Ouest, j’apprends que Mireille Deydier est décédée. C’est sa fille qui m’apprend la nouvelle. Je n’avais en effet pas eu de réponse à mon message pour Noël. Sans pour autant trop m’inquiéter.

Et dire que je ne la connaissais même pas, sinon d’une photo avec sa petite fille. C’était en fait la cousine de mon père qui se confondait avec ceux de ma génération tant elle était venue en dernier de sa fratrie.

C’est avec beaucoup d’émotion que je réponds au téléphone.

Encore une étoile de la galaxie Deydier qui s’éteint.

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Reprenant la table des matières de «La Vie des Peintres illustres» de Giorgio Vasari, je m’aperçois avec stupeur que Piero della Francesca ne figure pas dans mon édition qui ne comporte que la moitié des écrits …

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28 Décembre

C’est au rayon des CD de la FNAC: jamais personne ne se parle habituellement. Les gens jettent souvent d’un œil furtif ce qui reste encore de documents ou de disques qui laisseraient éventuellement tenter quand, à la hauteur des lettres alphabétiques entre D et F, un quidam m’interpelle poliment mais fermement: «Je n’ai jamais pu m’y faire! Debussy, je n’y arriverais décidément jamais. Pourquoi?!». Pourquoi est-il tombé justement sur moi? Il y avait une chance sur des millions pour que je rencontre cette personne et qu’on me pose cette question qui est à des galaxies de mon univers.

Je n’ai évidemment que très peu tenté de lui ouvrir les horizons sur lesquels il faudrait qu’il passe justement d’un univers mental qui est le sien vers les rivages du mien.

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29 Décembre

Le roi Pelé est mort. On ne parle que de ça. C’est presque indécent. Une émotion en chasse une autre. Le monde avance de moins en moins attaché à l’essentiel et ses émotions se remplacent à la vitesse de l’éphéméride.

Certains regrettent la défaite de la France dans cette dernière Coupe du Monde.

C’est regrettable en effet. Mais même si la France avait gagné, une défaite plus lourde était déjà inscrite avant même d’avoir commencé: le monde entier manifestement soutenait de tout cœur l’Argentine.

C’est bien plus humiliant que toutes les défaites sur le terrain.

Une autre réflexion avant d’oublier à la vitesse de nos émotions: La France devient un pays qui se déclasse sur le plan économique et social, dans les domaines les plus sensibles que sont l’Education, la Santé, la Justice, et jusqu’à la Sécurité la plus élémentaire. Et ceux qui voient la lumière dans l’émergence de notre pays au sommet du football pourraient constater que les sommets en ce domaine sont souvent de simples loupiotes momentanées pour des pays éternellement émergeants (le Brésil, l’Argentine et même d’une certaine manière l’Italie d’avant-guerre). Nous faisons le chemin inverse. On devient bon dans le roi des sports. On dégringole dans ce qui classe un pays vers le haut. On a sacrément perdu au change…

La France ne sait plus même se faire aimer. Double défaite…

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30 Décembre

A Bernard:

J’y vais, pas à pas. J’ai du mal à faire un choix. Il suffit d’un détail, d’un déséquilibre d’ensemble pour que j’élimine. Puis j’ai des regrets, puis je réfléchis.

Donc deux séries : quatre peintures dont on reconnaît l’origine. Et une seconde série de métamorphoses.

Un peu le mécanisme évolutif des fameux arbres de Mondrian. Sauf que lui allait vers l’abstraction déconstruisant jusqu’à l’épure. Et moi vers la prolifération abstraite de motifs s’agrégeant.

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Je pensais t’envoyer ce soir toutes les PEINTURES JAUNES. Le choix était trop hésitant et compliqué pour mon esprit fatigué.

Je ne t’envoie que la série 1 : quatre peintures.

Tout a commencé par quelques photos de feuilles mortes au pied de l’arbre. Dans cette série 1, tout est encore repérable à l’œil.

Je dois faire un choix concernant cinquante variations sur le jaune. Impossible de me décider. Trop de micro différences parfois, trop de ratages, même parmi les versions que je n’ai pas encore mis à la poubelle.

Je vais donc calmement faire une seconde série et te l’envoyer bientôt. Puis une troisième…

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Tu sais que tout commence à être dit dans le carnet … Concernant Maria Callas (que j’aime beaucoup), je n’aime hélas pas trop les compositeurs qu’elle a chanté (les italiens du bel canto, Donizetti etc.). Mais ceux qui l’aiment, comme tu sais, ne satureront pas. J’en fais partie. L’interprète est évidemment le symbole même de tout ce qui se chante.

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 à Monique Ariello:

J’ai tenté de te joindre au téléphone, mais c’était définitivement sur répondeur.

Je te souhaite donc une belle et bonne année pour 2023, espérant aussi que toutes ces menaces qui nous entourent, (celles de la violence des humains et celle des toutpetitsparasites vivants), passeront le plus au large de notre prochain avenir.

Je t’envoie quelques exemples de mes dernières PEINTURES JAUNES, CHEMINS DES FEUILLES MORTES

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Des traces très nettes de wagnérisme dans l’Ouverture de Traviata. Mais ça ne dure pas hélas…

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Ce soir c’est la mélancolie de Chaurasia qui flotte dans la maison. C’est un peu de saison.

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31 Décembre

Chez Sauveur vers midi. Il y a la foule des fins d’années. Ceux qui m’aiment bien sont là.

SOURIEZ …

Ce soir on ferme le rideau sur cette année. C’est le moment de choisir son appareil photo pour éterniser le passage du temps qui coule.

On se contentera d’immortaliser avec notre portable qui n’émet aucun son, au mépris des appareils qui font clac, qui font clic, trahissant par-là, c’est bien connu, la qualité de leur pauvre technologie, nous inclinant aussi devant ceux qui se permettent de somptueux sclack et plus délicats encore schhick de la plus belle race. Car il y a une aristocratie du son, une noblesse des hauts de gamme (Nikon ou Leica…) comme il y a une aristocratie des huit cylindres Maserati (qui auraient mes préférences).

On se contentera ce soir de simples belles images animées et de saisir au plus près de l’oreille la pétillance gracieuse des plus fines bulles de notre Canard-Duchêne.

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Ratzinger est mort deux jours après le dieu du football, c’est dur. Le monde a continué de tourner nonchalamment.