carnet, 2025

 

 

 

 

 

 

 

 

2 Janvier

 

Le temps est au beau. La Promenade des Anglais pourrait se rebaptiser la promenade des Italiens tant il y en a en ces débuts janvier. Dans leurs grands manteaux lourds, déambulant frileusement ou faisant de larges gestes vers l’azur sans aucune menace. Les enfants viennent butter sur vous avec leurs tricycles, les plages sont, comme dans « Mort à Venise », investies de ces voyageurs du Nord, emmitouflés dans leurs couvertures, lunettes noires au regard porté vers le large. Ils n’attendent rien, mais frileusement.

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3 Janvier

 

A Bernard :

 

C’est vrai que le 26, la cuite fut et restera mémorable. Le garçon de café voulait même nous offrir un verre et ne savait pas comment faire pour qu’on accepte. Tu aurais encore mieux trouvé ton chemin. On a commencé en plein grand soleil, on a fini dans le noir. Mais on a compté les étoiles et les années-lumière.

Je ne te surprendrai pas en te disant que ta lecture de mes analyses est tout à l’opposée ce ces analyses mêmes qui sont écrites noire sur blanc.

Une chose est tout de même récurrente chez toi, même si je n’en parle pas récemment, c’est cette idée que tu as que les gens de l’islam « finiront bien par se rendre compte que dieu n’existe pas ». Il ne s’agit pas tant d’ailleurs d’y croire, que d’imposer géographiquement une aire civilisationnelle où tout un système de foi, d’organisation et de transcendance se démarque de nous. Ça fait depuis le VII° siècle que ça dure. L’Islam est expansionniste par essence. Il a conquis l’Afrique du Nord, il a conquis pas mal de territoire en Asie. L’Afrique sub saharienne devient quasiment une dépendance musulmane sunnite (avec gri gris locaux), et l’entrisme des frères musulmans commencent maintenant à toucher l’Amérique. Et tu voudrais que l’Islam ne croit plus en l’Islam. D’autant que celui-ci nous méprise pour deux raison : quand nous étions chrétiens ils nous craignaient et nous combattaient comme des adversaires dignes. Et la seconde, corollaire, c’est qu’aujourd’hui, les idéologies du XIX et XX° siècle nous ont mené vers un monde dé spiritualisé donc méprisable pour eux. Nous étions mécréants parce que chrétiens, nous le sommes doublement pour avoir perdu la part spirituelle de notre vieil Occident. Ta réaction concernant Notre-Dame est assez édifiante.

Ce que je ne comprends pas non plus :

Mon égoïsme naturel supporte assez bien que ces régions soient à feu et à sang, j’espère pour les habitants que le calme reviendra. Les priorités restent : la paix (rien de pire que la guerre), ensuite la nourriture et enfin l’éducation (surtout des filles), le reste est du babillage.

1) la contradiction : en gros, je me fous d’un pays à feu et à sang… mais j’espère que la paix etc. rien de pire que la guerre….

2) l’important c’est la nourriture, l’éducation des filles, le reste du babillage.

Excuse du peu. C’est plus qu’un chantier en ruine, pas besoin de babillages c’est vrai (d’ailleurs lesquels) ?

C’est ce genre d’obscurité qui nous attend. Ce sont les plus zélés et les plus pourfendeurs du christianisme (en gros au début du XX°), qui aujourd’hui sont d’une extrême bienveillance quant à l’islam dans notre Occident. La France est à deux doigts d’avoir le visage suivant : les zones islamisées (banlieues, périphéries etc), mais aussi les voiles de plus en plus présent dans l’espace des centre-ville, et de l’autre, les zones commerciales qui voient les caddies se remplir et qui se gorgent de tout ce qui peut s’acheter et se vendre. Nous ne nous méfions pas des islamistes mais eux ne nous perdent pas de vue. (Les frères musulmans sont là pour ça et font très bien le travail qui est le leur). Notre sentiment de supériorité est tel qu’on croit encore que ça passera…

Comme je te l’ai écrit sur la messagerie zimbra, celle-ci remarche. Elle est plus confortable pour moi. A l’avenir je t’écrirai sur elle.

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6 Janvier

 

A Bernard :

 

Pour Résurrection évidemment tu as bien fait. Une faute de frappe qui a échappé à ma relecture.

L’année se termine en effet entre des portes ouvertes sur des résurrections et des concassés d’avenir.

Notre-Dame a décidemment plus d’avenir que nous. Mais n’est-ce pas son rôle de se dresser encore le temps de tenir debout cette civilisation qui penche…?

 

Janvier est commencé. Le carnet aussi. L’image choisie pour illustrer 25 est une sorte de jumelle qui accompagnait l’année 24, création de la même période.

Je t’ai fait parvenir par whatshap un article que m’avait envoyé Cécilia, le matin même, sans savoir que nous envisagions un projet sur Marchand des Raux.

J’avais même oublié qu’au bout de la pointe de Saint Hospice, il y avait effectivement un vitrail et une série de pastels sur le thème du saint protecteur de la presqu’île.

J’ai moi-même dans mon salon un Saint Hospice que je te présenterai.

Mon idée concernant ce portrait de Marchand :

    1) reportage autour de la chapelle au vitrail (avec les tableaux qui s’y trouvent)

    2) une anthologie brève des œuvres (toutes périodes confondues)

    3) un rappel des œuvres existant dans tous les pays, les institutions, universités où se trouvent ses œuvres -universités américaines, Suède etc.-

    4) quelques portraits du peintre et des documents rares.

Il y a souvent Caravage dans ma poésie. C’est un peintre qui était d’une grande violence. Fascinant pour moi. Comment pouvait-il à la fois entrouvrir de tels clair-obscur sur le monde, d’un raffinement extrême, et mener une existence de rixes continuelles l’amenant à fuir de villes en villes, malgré le soutien de puissant protecteurs lassés. Une dernière image de lui, la dernière qui s’offre à notre imagination : fuyant un dernier territoire (Malte), remontant de Naples vers Rome, il oublie ses dernières créations dans une goélette qu’il va se mettre à suivre parallèlement le long de la plage. On le retrouvera épuisé, mort aux portes de Porto Ercolo. La réalité dépasse la légende.

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7 Janvier

 

A Bernard :

 

Je voudrais juste revenir sur Sansal, puisque le Président en a enfin parlé hier : Je ne sais quels médias auraient expliqué que Sansal chercherait le martyr (c’est même revenu à tes oreilles). Certainement une échappatoire devant leur lâcheté à avoir à le défendre. (Il est loin le temps de Rushdie) J’en ai même entendu dire « qu’il l’avait bien cherché » ! On a les médias qu’on peut. Probablement que l’écrivain n’est pas le bon soldat à défendre. Parce que d’une part, un algérien critiquant le régime actuel pourrait être pour eux un relent de colonialisme revanchard. D’autre part, critiquer l’islam aujourd’hui demanderait un courage que ces médias-là n’ont pas. Le président lui-même y est allé en mode mineur pour demander la libération de Sansal. Et la raison on la connait. On la cultive depuis cinquante ans, dans nos jardins, dans nos banlieues, dans notre universalisme humaniste. On a façonné un cheval de Troie qui porte le nom d’antiracisme. La répression des émeutes de juin 23, comme la possibilité de libérer Sansal, sont dépendantes de la possible réaction des algériens de ce qu’on nomme maintenant sans complexe « la rue arabe », la poudrière qui, au moindre déplaisir causé à Alger, devient une balle ou le couteau possible dans les rues de France. La réponse est venue sans tarder avec cette histoire « d’influenceurs » sous OQTF qui ne sont que les portevoix des menaces d’Alger depuis que la France s’est rapprochée du Maroc. La France qui veut s’en aller ferrailler du côté de l’Est serait-elle incapable de faire revenir un vieillard (franco-algérien) malade dans les geôles d’Alger ? On mesure la voix de la France, à l’international, à l’aune de cette réponse. Je me devais de te présenter ce que je pense de cette histoire. ………………………………………………………………………………………………………………………

Y est fier de sa montre connectée. Il peut même écrire et envoyer des messages. Le tout premier message qu’il m’a envoyé, hier : « tu fais quoi » …

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Un autre message que j’envoie cet après-midi, à bon nombre de correspondants, qui vaut mieux que mille réflexions :

 

« Il est étonnant que Jean-Marie Le Pen vole la vedette à Charlie, le jour anniversaire de ce même Charlie. C’est ça entrer dans l’Histoire ».

Sur toutes les antennes, sur tous les relais médiatiques, l’évènement mûrement préparé du dixième anniversaire de « Je suis Charlie » a été emporté par l’évènement attendu mais comme toujours dans ces circonstances, imprévisible, du décès du fondateur du Front National.

La place de la République à Paris est investie par le champagne (Veuve Clicquot quand même) qui coule à flots. La France révolutionnaire en culotte courte de l’Ouest parisien réinvente les crocs de bouchers à usage de opposants. En même temps que les revendications des agriculteurs sont interdites au cœur de la ville.

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10 Janvier

 

A Bernard :

Les civilisations sont certes mortelles. On le sait, non pas depuis Valéry, mais déjà depuis Platon qui écrit dans « la République » que le déclin d’un monde se doit faire en douceur (transition dirait-on aujourd’hui). J’ajouterai que je ne vois aucun contentement à ce constat. (« cultivons notre jardin « est une exquise proposition individuelle voltairienne, mais pas très géo politique…) Tu voudrais dire que Sansal a opéré un sacrifice volontaire ? N’aie crainte, il n’y a pas de dimension religieuse là-dedans. Simplement un rapport de force imposée par l’Algérie pour des raisons de Sahara. Avec un Président français qui, en guise de préambule à un premier quinquennat, parle de « crime contre l’humanité » durant la guerre d’Algérie (peut-être depuis le début de la colonisation ?!), c’est pain béni pour son homologue depuis huit ans bientôt. Et là, tu ne réponds pas à ma question : que fait aujourd’hui notre pays pour le libérer ? Passer par le front de l’Est d’abord ? Abattre les russes et montrer combien nous sommes fort ? L’abandonner plutôt, mais avec indignations… L’Algérie ne comprend que la force. La France a peur. Et la peur ça se voit. Elle a peur parce qu’elle a des banlieues truffées d’algériens (oui, avec des papiers français) de la troisième génération à qui on a inculqué (dans l’Education Nationale hélas et par leur différent civilisationnel et religieux) la haine du pays où ils vivent. C’est une réalité que même les idéologues qui haïssent notre pays reconnaissent (les enseignants se censurent pour éviter d’être les futurs Samuel Patty). Comment expliquer que pour ces raisons-là, le président M ne soit allé à la marche contre l’antisémitisme l’an passé, comment ne pas penser à de nouveaux « Juin 23″ à la moindre susceptibilité froissée ? Les leviers existent pourtant (geler les transferts de capitaux, supprimer les laissez-passer consulaires, supprimer l’aide au développement, et évidemment annuler les accords de 68 privilégiant l’immigration algérienne…ouf !) Non, la menace interne n’est pas une idéologie (laquelle ?), mais une réalité qu’on constate chaque jour. Certains médias se contentent d’entonner comme il se doit le sinistre  » Circulez, l’ordre règne dans le doux pays ». … Je me désole, mais ça ne m’empêche pas de continuer mes promenades en quête de couleurs et de formes. La collection du début 25 n’est pas mal non ? Je t’enverrai, classées, les différentes séries. Mais d’abord il faudra que je vide mes doc du portable. Je viens d’apprendre que dans les cérémonies d’investiture de Trump, le « guignol » Zemmour est le premier invité officiel pour la France.

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13 Janvier

A Bernard :

Je vois que le plus gros de l’orage grippal est passé… à nos âges c’est un mauvais moment à passer (hallucinations ?!) mais peut-être qu’à deux c’est plus solidaire. Quant à nous, on passe au travers pour le moment. Nous ne sommes pas vaccinés pour autant. Les risques sont encore avérés pendant trois semaines… Tu auras remarqué que je suis inquiet. Je ne peux le cacher. Même si la théorie du grand remplacement (qui n’est qu’une observation pour des yeux décillés) n’est pas de Zemmour. Et je ne vois pas en quoi je m’apercevrais de la folie de ce Zemmour. Je pense au contraire, qu’à l’Assemblée européenne Sarah Knafo fait des commentaires plutôt pertinents (je t’ai envoyé une de ses réparties lumineuses sur l’absurdité des commissions européennes). Quant à Le Pen mort, en effet, il rejoint la répugnance collective d’à peu près tout le monde moralement correct. J’avais pourtant trouvé que certaines de ses thématiques correspondaient à des préoccupations actuelles. Vais-je sombrer dans l’infamie ? ? Cela ne nous dit toujours pas combien de temps encore la France va baisser pantalon devant un pays qui nous nargue. Même Rushdie avait eu un sort moins désespérant. Les trente glorieuses ? On y est encore. Pour combien de temps ?

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14 Janvier

Bernard :

Parlons plutôt de la Poésie, du site pour être plus précis. J’ai profité de la crise de virus pour revoir le menu et j’ai fait une révolution copernicienne, si si, j’ai inversé, dans le menu, le titre de l’année avec le numéro de l’année. Comme ça, la suite de menu est plus cohérente, et côté POESIE les peintures de chaque année ne sont plus gribouillées avec des couleurs et des fontes différentes.

Le vin est bon, mais il a trainé devant l’élément de chauffage le plus violent de l’appartement, et il est presque tiède, ça renforce son fruit, pas mauvais, mais un peu trop chaud quand même.

Maria et Jean-Philippe débarque ce soir, j’espère qu’on ne leur refilera pas le virus, qui devrait avoir disparu, mais sait-on jamais ?

Le Pen est mort, tout à fait inutilement parce que malheureusement sa fille le remplace amplement, dans toute ses dimensions, répugnance incluse, et dire qu’il y a des électeurs qui peuvent voter pour ces bouffons, surprenant, et comme disait Vialatte, c’est ainsi qu’Allah est grand, sagesse indépassable, un modèle.

Je ne comprends pas ton discours sur le comportement de la France vers l’Algérie, (baisser la culote, ramper, lâcheté, …), tu voudrais qu’on déclare la guerre ? Pourquoi pas, ce serait peut-être une solution.

Sur le grand remplacement, oui, j’ai eu un flash la dernière fois, je me suis demandé quelle réalité tu étais en train de décrire, est-ce que tu voyais de ta fenêtre passer des hordes arabes, comme à Poitier en 732.

Pour te décontracter va voir « Bird », dont le sujet est une sorte de sous-groupe multi racial qui s’est bricolé un univers dans l’épaisseur de la société anglaise. Le personnage de Bird est un poème vivant

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A Bernard :

 

Que répondre ? Rien Que Vialatte s’occupe de son Afrique. Je pense que finalement Geoffroy de la Gasnerie (cf Carnet…) irait plutôt dans le bon sens soviétique qui consiste à n’autoriser le droit de vote qu’à ceux qui l’auraient mérité. Une manière de filtrage préalable, une élégance de n’avoir pas de mauvaise surprise. Et surtout pas de nausée électorale. Paris ouest vote à gauche c’est connu. Paris ouest descend dans la rue pour casser. Ça commence à se savoir. Donc Paris ouest est dans la répugnance. Paris aurait-elle une maturité politique à aucune autre pareille ? Concernant l’Algérie, je suis stupéfait qu’on ne voit pas les mêmes voiles (parfois le costume traditionnel descend largement sur les Nike). Mais peut-être que Paris est moins bien loti que nous. Enfin Allah est grand et Mélenchon son dernier prophète. Je suis consterné aussi qu’aucune association féministe n’encourage lesdits voiles et tout le remugle qui va avec. Voilà, on peut continuer ainsi un dialogue improbable qu’il vaudrait mieux éviter tant il semble ne pas pouvoir s’entendre sur quoi que ce fut. Pas même sur le réel…. Parlons poésie plutôt et je m’en vais voir la révolution copernicienne annoncée ! Je ne suis pas sûr que le changement soit positif : Les titres sont uniformisés alors qu’avant ils avaient une personnalité marquée. Le chiffre de l’année peut bien rester uniforme (ce n’est que le temps imperceptible qui passe…) mais le titre de l’année mérite de conserver son caractère unique. C’est mon avis. De plus ces titres faisaient partie intégrante de « l’affiche » annuelle.

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15 Janvier

 

A Bernard :

 

On a atteint les 2 degrés, hier matin. Avec un soleil triomphant sur le bord de mer. Pas de vague et même quelques déments pour se baigner. J’avoue que ta décision d’inverser les données dans « l’affiche » annuelle m’a surpris. J’aimais bien la personnalisation de chacune de ces affiches. « Hors les murs » par exemple : installé dans l’image, l’année en est éclairée. Ce qui différencie une image annuelle d’une autre c’est son intitulé, plus que le chiffre de l’année. Si on doit se souvenir d’un texte, d’un poème, on se réfèrera plutôt à son titre. D’autant que le chiffre inclus dans l’affiche n’apporte que la succession du temps d’année en année sans donner au lecteur plus d’info sur son originalité. D’autant que les titres uniformisés en petit caractère en bas de l’affiche perdent de leur impact. Pour l’instant on laisse. On réfléchit. On reviendra ultérieurement. J’ai presque fini le Sansal : 2084. J’ai toujours un peu de mal avec les orientaux. Il écrit avec une très grande maîtrise. Mais cette histoire de ville cadenassée séparée d’une autre « libre » et « dévoyée » des valeurs religieuses, aurait gagnée à être plus simple. Comme le Kamel Daoud, on est dans la ciselure orientale, un peu précieuse à mon goût, de même que les pâtisseries orientales se nomment toujours « les délices de quelque chose … » Malgré toute la sympathie que j’ai pour Sansal, n’écrit pas 1984 qui veut. Par contre, je t’ai signalé sur whatshap, un ouvrage qui m’a frappé vers 2004/2005, « Mondes en collisions » de Immanuel Velikovsky. Livre grandiose. Si tu es lecteur de sciences fiction, ici on est dans l’analyse comparative de faits relatés dans la Bible et leur interprétation scientifique. Velikovsky est solide en matière astronomique (il est cité dans les programmes Apollo), et il a l’analyse du psychiatre pour la déduction. D’autre part Freud, puis Einstein ont débattu avec lui. Il a par contre eu des démêlés avec les pharisiens de la science (J’ai pensé au « conseil scientifique » du temps du confinement). Voilà, ce livre est une véritable aventure dans les astres (Les chapitres se nomment simplement Venus et Mars). Qu’en pense Science et Avenir ? Sur wikipédia comme toujours, on ne se risque à rien. J’ai le titre de l’année 25, qui sera aussi le titre des 2 premiers mois (s’il y a de la poésie encore en février, on ne saurait prévoir…) : CAHIER DE PATHLOGIES PITTORESQUES

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16 Janvier

 

Les napolitains sont bruyants, démonstratifs et très attachés à leurs idoles. Ils ont dans leur constitution cognitive, comme inscrit au plus profond, l’hérédité des drames telluriques. Mais ils ont aussi la fidélité en amitié.  Après plusieurs mois de silence, je reçois un message de Mario, de la Taverne des Spagnolis, avec écrit : « Cio zio Luigi, ecco il mio nuovo numero »…

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17 Janvier

 

A Alain Jacquot :

 

Cher Alain, je te remercie de me transmettre le programme du printemps des Arts. Du premier coup d’œil, on voit la qualité et l’originalité de l’édition 2025. Bruckner/Wagner, Mantovani/Monteverdi (j’ai souvenir d’une œuvre de celui-là inspirée de Gesualdo -aussi provocante et rugueuse que celle de celui-ci), puis j’ai écouté la bande annonce parlant des programmes qui tourneront autour de Boulez (Mantovani, en huit minutes, expose les divers jalons de sa création et l’importance de l’homme inspirateur d’institutions). Nous avons encore le souvenir de cette semaine où on a entendu successivement Répons, Sur Incise, une conférence du compositeur au Palais Rainier (nous étions au premier rang) et la création du concerto pour violoncelle de Carter avec vol plané de la partition, et en prime, Alain Damiens qui se jetait du haut du podium criant « Pierre, Pierre » . Plus Cage que Cage…Une édition inoubliable ! Je ne crois pas me déplacer pour cette édition (j’ai de plus en plus de mal à sortir le soir). Mais je continue de penser que Nice pourrait s’inspirer de ce type de programmation. Je te remercie encore mille fois pour ton attention

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21 Janvier

 

A Bernard :

 

Pour les voyages j’ai une optique différente. Je suis d’accord qu’après 15 heures d’avion, se mettre en rang et faire la file pour accéder aux caisses des curiosités, ça a un côté consommation qui prend de plus en plus l’allure d’inconvénient de supermarché. Le monde rapetisse et l’accession aux raretés culturelles se banalise. J’ai omis de dire dans mon récit sur les Indes que j’avais rencontré à Bombay un type du Pub Latin (qu’on ne fréquentait pas d’ailleurs), dans le même hôtel ! On est évidemment tombé dans les bras l’un de l’autre. Le monde était déjà devenu un goulet d’étranglement que les pro du tourisme avaient canalisé pour les chevelus des sixties. Dans mon cas, ça laisse au moins un souvenir insolite.

D’un autre côté je ne me vois plus pénétrer la forêt amazonienne de nuit le couteau entre les dents et la lampe torche entre lianes hostiles et ombres fantomatiques.

Les voyages je ne les considère plus, sauf à visiter les inévitables superlatives curiosités de types que tu cites comme ces monstruosités « à ne pas manquer », que comme un changement dans le rythme et les modulations d’un séjour. Je m’imprègne d’une lumière rare, d’un paysage odorant, d’un coucher de soleil particulier. Bref je m’extirpe de mon être-là (comme dirait Heidegger), pour vivre une tranche de géographie ou un moment unique dans les lieux que je n’aurais plus l’occasion de revoir. Les attraits culturels sont évidemment d’importance, mais figure toi qu’à Venise je ne suis allé qu’à l’Academia di San Rocco (52 Tintoret quand même), et nous avons évité de faire d’autres musées. On s’est cantonné exclusivement à la Venise sous le ciel… La prochaine fois, on en verra quelques autres. Il faudra presque que ça vienne de façon improvisé. Je dis ça, mais pour voir la Cène de Léonard à Milan il faut un délai de trois mois. (On peut voir une copie pour les plus pressés !). Donc je crois que je pourrais m’en passer. Idem pour la Sagrada Familia, on s’est contenté de l’extérieur.

Je comprends par contre que tu commences à fatiguer : tu as probablement vu ce qu’il y avait à voir. Peut-être que la Colombie (où à part le musée de l’or de Bogota, les musées sont secondaires) serait une surprise pour toi : pays jeune, paysages et végétation qu’on ne connait guère en Europe etc.

Je pourrais moi aussi me passer de la plupart des pays du monde. Sauf des régions de France et de l’Italie et de l’Espagne.

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Ce matin c’était ma dernière visite au Docteur Lévy. Vingt-deux années qu’il suit l’évolution de mon hypertension. Il prend congé après bien des années derrière ses volets éclairés que je peux apercevoir chaque fois que je passe boulevard Victor Hugo. Il sera remplacé par deux jeune cardiologues après la fin de l’été.

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J’ai envoyé un message de bons vœux à Katy de Cahors, notre adorable logeuse. Elle a répondu dans les cinq minutes. Adorable à l’image que je garde de cette ville.

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24 Janvier

 

A Bernard :

 

100 millions de touristes, c’est la rançon du magnétisme qu’exerce le pays. Avec ses 550 000 km2 on a encore la chance de pouvoir dispatcher tout ce monde entre le Mont St Michel, la Côte d’Azur, les volcans d’Auvergne, les vins du bourguignon et la Tour Eiffel. J’en ai laissé en route. Mais c’est vrai que ça n’aura qu’un temps. Estrosi qui n’est pas un foudre d’originalité habituellement, a décidé d’interdire les gros navires de croisières sur le port de Nice, A l’étranger, des mesures voient le jour comme à Dubrovnik où on limite l’entrée des touristes dans la vieille ville etc. Ce qui m’attriste c’est plutôt la désindustrialisation du pays. Si on continue on fera comme la Grèce, on vivra de la vente de tour Eiffel avec la neige qui tombe quand on la met à l’envers. On remplira les plages de parasols pour millionnaires désœuvrés etc. C’est un choix qu’ont fait nos dirigeants. On mérite mieux. Evidemment nous faisons partie de ceux qui peuvent se permettre, comme on dit, de cultiver notre jardin. Et je voyage aussi… Je suis content de mes dernières réalisations. Tu les auras bientôt dans la boite

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28 Janvier

 

A Bernard :

 

Remarque, ce que nous avouons est platonicien (ce que je suis de moins en moins) et suppose un établissement de lois préexistantes que le temps de l’humanité mettra, avec plus ou moins de célérité, à dévoiler. La « PREEXISTANCE » serait d’ailleurs un beau titre de poésie à venir. Ce qui prouve une existence mathématique en soi et des lois dans l’univers c’est que notre ciel, nos planètes, et plus loin encore, toutes ces structures cosmiques relèvent d’un ordre que les scientifiques ne font que dévoiler à la faveur des outils qui sont en leur possession. Et ces lois structurantes existent jusqu’aux confins des mondes. Ce qui peut supposer un plan existentiel, une volonté d’harmonie. A voir. Ce qui me terrifierait, à notre niveau d’humains, serait qu’on établisse les lois (il doit pourtant y en avoir) de la beauté de Mona Lisa. On a encore le bénéfice du doute, on subodore des règles ou on se réfugie sur les proportions du nez en rapport à l’équilibre d’une certaine forme des lèvres, puis des yeux venant éclairer tout ça etc. mais on reste encore sur cette illusion que la beauté se réfugie dans son mystère. Et c’est tant mieux. Et tant mieux aussi qu’on ne s’accorde pas tous à aimer la même Mona Lisa. Les lois concernant la beauté doivent intégrer des processus fluides et même intégrant le regard de celui qui éprouve ce sentiment de beauté. Une sorte de participation entre objet et sujet. On créera malheureusement des stéréotypes exposés sur catalogue, avec une grande finesse de réalisation dans les prochains projets transhumains. A des fins d’eugénisme ou de mariage par correspondance etc. Hélas. Mais j’ai confiance dans notre aptitude à désirer nous émerveiller. … Comme il existe peu de hasard, je viens de trouver, juste avant nos courriers sur les maths, dans la collection Point, un petit bijou de Eric Lagadec « l’Odyssée cosmique, une histoire intime des étoiles ». Je ne l’ai pas encore commencé mais il nous aidera à creuser.

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Bernard est d’un naturel optimisme, c’est surement son côté scientifique : « les musulmans vont bien se rendre compte que Dieu n’existe pas ». Spinoziste.

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Baudelaire aurait encore dit « pauvre Belgique ». Ce pays qui hurle à l’extrême droite à peine l’on constate que la capitale européenne est une ville qui s’islamise à grande vitesse.

Et conséquemment, incapable même d’assumer le match de foot Belgique-Israël délocalisé en Hongrie… !

Belgique qui passe en différé de deux minutes (!) la cérémonie d’investiture de Donald Trump, afin d’« analyser » préalablement le contenu du discours inaugural (La RTVB de service public épluche ainsi avant diffusion !).

D’analyser et de souligner les dérives immorales d’un scrutin largement voulu par les américains.  Seule la Corée du Nord, ce soir-là, a exhibé un tel sens du cordon sanitaire.

L’antisémitisme est comme le cholestérol. Il y a le mauvais, et il y a le bon. Il y a celui de la bête immonde et celui qui garantit, du Jourdain à la Méditerranée, sans aucun complexe, l’existence absolue de la Palestine.

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29 Janvier

 

A Bernard :

 

J’espère que tu seras là en mai-juin, rappelle-toi, c’est en cette saison qu’il y a les mimosas roses à Garibaldi. On ferait de nouvelles photos. Et puis quel cuite le 26 décembre ! Inoubliable, avec des vins à la hauteur de l’évènement. Il faudrait une plaque commémorative disant « ici, et à cette table, un 26 décembre deux héros de l’ivresse on fait honneur à Bacchus, et n’ont pas fait que semblant », quelque chose comme ça.

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Après passage à Nice, après la Place Garibaldi, les mimosas roses, quitte à tanguer un peu, un passage par la Camargue n’est presque qu’une légère déviation naturelle. Un pas de côté…. C’est vrai que vers Les Saintes Maries, Aigues-Mortes surtout, les chevaux et les flamands rose, les traditions taurines, c’est à deux pas. La Camargue a été une des premières régions que j’ai fait découvrir à Cécilia en 84. Aujourd’hui déluge.

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DISTANCE TEMPORELLE

Des chiffres insignifiants, pourtant : 56, 57, puis 70 et 100…

56 correspondant à l’âge de mon père lorsqu’il disparut. C’est moins, d’une unité, que le 57 qui représentent le nombre d’années depuis mon départ du Maroc et mon retour il y a quelques années.

Lorsque j’ai fait ce pèlerinage en 2022, mon père aurait eu cent ans. J’en avais  soixante-dix. Les nombres et leur langage ont leur secret chiffré.

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31 Janvier

 

A Bernard :

 

Tu feras au mieux, j’en suis sûr. Et puis, il n’y a peut-être plus grand chose de nouveau à voir, mais les mimosas roses on ne s’en lasse pas … Merci pour le retour des titres dans le corps des affiches. Il ont de l’épaisseur. Je suis plongé dans la vie tourmentée de Caravage. Les après-midi sont pluvieux. Le matin je prends maintenant mon café sur la place Rossetti, au Kalyce, juste en face de Sainte Réparate. A défaut d’y revoir ceux du Sauveur, (à part quelques rescapés), les serveuses sont vives et souriantes. On attend les beaux jours, comme tu recevras les poésies dès demain.

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3 Février

A Bernard :

Tu te doutes bien que je ne vais pas répondre à des réponses auxquelles tu avais déjà émis avec détails une teneur savoir qu’on vit dans un pays fracturé à tel point qu’il n’y a plus même d’échange possible. L’Assemblée Nationale en est le reflet parfait. Sauf que ceux qui gagnent les élections ne sont pas représentés au gouvernement. Par haute moralité, par nécessité sanitaire… On a changé les têtes mais c’est la même équipe. Bouffonnerie.

Je ne répondrais donc pas sur les différents points que tu évoques, mais toi, tu en énonces pas mal, je cite  » à part collecter les jérémiades des paumés (ça leur fera toujours plaisir, mais qui sont-ils ces méprisés ?!) ceux qui votaient communistes…ceux qui font une fixette sur le chômage, le lendemain sur la violence dans les villes et les banlieues, ensuite le trou de la sécurité sociale et passant d’un sujet à l’autre sans recul (sic)… Tu as beau ne pas avoir, parait-il les mêmes lunettes que moi, les raisons invoquées – c’est toi qui cite -sont bien réelles, et pas vraiment si légères que ça !

Bigre ! moi, je les trouve plutôt glaçantes. Mai 68 est né de l’ennui dit-on. Je vois qu’aujourd’hui les raisons de la colère ne manquent pas. Et je ne vois pas, en ce qui concerne ce que tu énonces, de quoi prendre avec mépris et hauteur (ou indifférence, ou lubies) ces mêmes raisons. Pour moins que ça on a des gouvernements qui tombent. Et d’ailleurs…. Mais 11 millions d’électeurs (peut-être plus depuis) qui n’ont pas droit de représentation gouvernementale. La morale du pays est sauve.

Quant à Sansal, je me doutais bien que tu oubliais vite mes réponses. La guerre contre l’Algérie c’est ridicule… Il y a cette réponse aux actions possible de la France à l’égard de l’Algérie dans mon courrier du 10 Janvier (sans compter les précédents). Voilà, on peut continuer ainsi, mais sans bien avancer.

 

Alain Jacquot n’est pas à Nice, mais vit maintenant près d’Annecy (sa deuxième femme est de là). J’ai des échanges téléphoniques et lorsqu’il descend sur Nice on va déjeuner à la Table de Marie (excellente table) il tient d’ailleurs toujours à payer le Champagne. Il est de Chalons sur Marne. Son destin est tragique. Excellent pianiste, prometteur vers 18 ans, il a passé la main dans une scie circulaire électrique et a perdu la main droite. Le pire pour un pianiste. On a travaillé ensemble depuis 1980. On a quelques complicités musicales et quelques expériences de concerts mémorables. C’est vrai que j’oublie toujours que c’est lui qui fit le montage des « clameurs »…

 

Je confonds les maths et la physique. Je pense que ça fait un beau complément. Les nombres imaginaires ? moi c’est plutôt les mots parfois… et même les phrases entières….

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4 Février

 

A Bernard :

 

dialogues de Cormac Mc Carthy, même si je suis ignare en la matière, sont plutôt incroyables. Lorsque j’aurai terminé « la course à l’abîme » de Fernandez, j’irai voir cette « Odyssée cosmique » de Lagadec. Ça me changera de la bio assez fascinante de Caravage. Une vie de violence, de stupre et une étonnante intimité avec soi-même qui tient du miracle formel (même à une époque où le 16/17ème siècles ne manquaient pas de génies.). Pour mourir sur une plage sur les côtes aux abords de Rome. Assassiné probablement. Mais on n’aura jamais la preuve. Je suis étonné qu’on n’ait pas encore fait de film sur cette existence singulière et très en contraste, comme sa peinture. Enfin je connais déjà la fin. Mais je n’en suis pas à sa première bio, celle-ci étant quand même un pavé de 800 pages. J’apprends pas mal de choses sur ses protecteurs de la famille Sforza Colonna, sur les relations entre cardinaux et aristocrates locaux etc. Le défaut de Fernandez, c’est cette manière d’appuyer avec délectation à chaque fois qu’il peut sur les descriptions de jeunes gens évidemment très beaux, très sensuels, très comme il les aimerait dans son lit. C’est presque militant. Mais il est très scrupuleux à suivre toutes les étapes de cette existence qui n’excède pas 38 années… J’avais vu à Naples un des plus beaux tableaux qu’il ait jamais peints : « les sept œuvres de miséricordes » qui est exposé dans un musée presque insignifiant au bord de Spaccanapoli, la rue grouillante qui sépare la ville en deux. On croirait que le tableau a été fait à ce même endroit de misère et de fascination féroce pour la vie.

Ma copine Geneviève m’a apporté un livre très complet et quasiment neuf sur Ludovic Brea. Une étude approuvée par le cercle Bréa. Du coup, je me promène dans les églises du Vieux que je ne connais finalement pas. Hier je suis resté un bon moment à celle de Saint Martin et saint Augustin, après la fameuse treille et juste à côté du collège Ségurane. Il y a une Déposition de croix éblouissante. Je t’envoie quelques clichés.

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5 Février

 

Deleuze a une répulsion pour les racines de l’arbre, pour tout ce qui porte racine.  D’où le saut dans l’inconnu, le rhizome horizontal et la connexion aléatoire vers l’altérité.

 

Tout ce qui n’a pas de passé débouche sur un terrain vague.

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6 Février

 

A Bernard :

 

Brigitte Fontaine est certainement la sœur de Bernard Fontaine qui avait un physique à la Jules César jusqu’au bleu délavé de ses yeux, avant de prendre les coups mortels que l’on sait. J’aimais bien ces vendredis où il venait faire le coq au milieu de ses courtisanes des deux sexes dans le fond du Porter. Quand il était fin soul, je lui parlais à part de bien d’autres choses entre une heure et deux heures du matin. Il était très gentil et savait parler aussi à ceux qui n’était pas dans le cercle en peloton étanche de ses élèves de théâtre. C’était l’époque où il avait décroché quelques petits rôles, dont un, dans un film avec Belmondo. La scène se passe dans un bateau ou dans un bar du port de Nice, et le Bernard en question, à la grande surprise de la petite cour, ne fait qu’une apparition de trois secondes sans même faire entendre sa voix de théâtre magnifiquement timbré à la J.L. Barrault. Sa sœur, si c’est elle, me donne de l’urticaire quand je la vois apparaître. Poétesse des beaux quartiers, tant dans sa tenue, sa voix et ce qu’elle a à dire.

A propos de bouddhisme et du sort eschatologique des humains, j’espère que tu n’as pas manqué ce film passé hier sur une chaîne très culturelle qui traitait du catholicisme intégriste, façon danger pour la société progressiste. Je n’avais pas remarqué qu’un tel danger pouvait se lover si bassement dans des éducations à faire froid dans le dos. Evidemment la critique critiquant a donné trois étoiles à ce moment de conscience aigüe de la société contemporaine. Pourquoi pas quatre, c’est manquer de courage. Film, qu’évidemment, comme tu t’en doutes, je me suis précipité à ne pas voir. Quant à la notion de paradis, genre nirvana, je me souviens de bien des délires des années 60/70 où c’était chaud et même bousculade autour des mandalas de la libération.

Voilà, j’ai entamé timidement, alors qu’il y aurait tant à écrire, sur les pathologies pittoresques de cette année nouvelle.

Les jours sont étonnamment au beau depuis dimanche, et Caravage est empêtré dans ses démêles avec les pouvoirs aristocratiques en tous genres, sans compter la bassesse de ses pairs jaloux du génie, Henri IV venant se marier avec Marie de Médicis pour favoriser le pouvoir catholique romain contre le parti politique espagnol défendant le protestantisme (les deux pays se disputant les faveurs vaticanes pour la primauté européenne). Aujourd’hui, et avec l’aide du même Vatican, la France a plutôt misé confortablement et sans état d’âme sur l’avenir du parti communiste islamique.

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Yves Le Bras, chercheur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, démographe médiatique, expose son livre sur les présentoirs de la librairie Sorbonne à Nice. Le titre d’abord : « la race blanche n’existe pas », puis immédiatement en quatrième de couverture, confirmation : la race blanche n’existe pas, c’est un concept victimaire d’extrême-droite. Il faut donc laisser, leur en déplaise, l’Occident aux non-blancs ».

Ce Le Bras enseigne : Dans une Ecole Pratique ? De Hautes Etudes ? En Sciences Sociales ?

A-t-il encore des élèves ? Est-il joignable ? N’est-il pas un simple fantôme, un déconstruit complet qui hante les couloirs et les plateaux télévisés ? Une première erreur de l’IA ?

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7 Février

 

A Bernard :

 

Deux constatations rapides : Le RN n’a pas d’alliés. Ce sont 11 millions autour de mêmes projets, sans aile droite, gauche ou autres. La Gauche est un assemblage de plus en plus aléatoire de 5 partis sous la casquette d’un lider maximo (O. Faure est inexistant et doit son siège à son leader… les écolos c’est qui ? Tondelier, Jadot ?) .

Alliance, exclusivement, de circonstances électorales.

Le centre a été battu aux européennes, rebattu aux législatives et continue de gouverner. On a changé les têtes (ils vont décidemment tous y passer), mais cette extrême minorité (Macron et LR) demeure responsable de l’immobilisme de fait qui en résulte. Faute de majorité introuvable. C’est la République des barons de l’ancien monde.

Ça me fait penser, à l’Atlantide de Platon qui, dans sa description possible de sa cité idéale, imaginait deux îles reliées par un tissu calcaire centrale faisant tampon. Le tissu calcaire s’effondrant, les deux îles se voyaient définitivement injoignables, voire irréconciliables. L’Atlantide, par métaphore a pu représenter une image idéelle de cet extrême centre macroniste. Toute proportions gardées…

Tu disais, dans un courrier récent que tu fulminais contre ces votants qui exigeaient d’un président des miracles de père Noël. On n’en est plus là. Le déficit est immense sur tous les dossiers. Ceux que tu énumérais dans ton dernier mail (la sécurité, le pouvoir d’achat, le chômage, l’immigration et quelques autres) sont tous en constat d’échec. Mai 68 aurait rêvé d’une telle situation, et pour une bonne raison cette fois ! L’exemple le plus flagrant d’impuissance, l’Algérie actuelle. Pas un mot du Président M, pas une ligne de conduite visible concernant tout de même un ressortissant franco algérien dont l’Algérie a fait un évènement international. Et parce que devenu international, M se devait de répondre. En actionnant les leviers à notre disposition : geler les capitaux à destination de l’Algérie, suppression des visas pour toute demande du sud vers la France, interdiction du sol français à toute demande de (faux) étudiants, taxes sur tous les produits et surtout suppression des accords de 68 (accordant soit dit en passant des avantages énormes et discriminant par rapport à d’autres migrants d’autres provenances ). Nous avons, aux yeux du monde, un président qui n’a plus même la volonté d’assurer la sécurité la plus élémentaire : les attaques au couteau sont quotidiennes, la justice relâche immédiatement les délinquants, les peines planchers ne sont jamais effectuées, les juges ont d’ailleurs relâché l’influenceur OQTF, et même cassé son statut d’OQTF : la honte et l’impasse diplomatique.

M a accéléré la république des juges. Mitterrand disait « les juges ont eu la peau de la monarchie, ils auront la peau de la république ». L’Europe est régie par des juges qui font l’état de droit. Voilà pour les griefs qui viennent à l’esprit. Il est loin le temps de la V° République qui mettait d’abord la France, puis l’Etat, et après (si l’intérêt de celle-ci le permettait), le droit… Aujourd’hui on a mis les choses à l’envers. Quand bien même on voudrait faire respecter la souveraineté nationale, les traités européens et la CEDH nous seraient supérieurs en droit. Seul un référendum placerait la volonté nationale au-dessus des lois européenne. Mais depuis le « non » à Maastricht on ne se risque plus à donner la parole aux peuples. Les présidents des divers pays européens ne sont plus que des shérifs de comté qui ne sont maîtres que de régler des affaires secondaires. L’impératrice von der Leyen veille effectivement à la gouvernance des ploutocrates financiers. L’ambition de M est simplement de devenir calif à la place du calif. C’est sa seule constance sur le long terme que je lui reconnaisse.

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8 Février

 

A Bernard :

 

Jimmy a raison. Le syndicat de la magistrature est bien plus nocif encore que Cohn-Bendit. Des 4 pouvoirs, c’est celui, aujourd’hui, qui a la main. Avec le Conseil Constitutionnel (Fabius président) et le Conseil d’Etat qui détricotent tout ce qui peut être proposé à l’Assemblée et au Sénat selon le vent (ce sont des amortisseurs, sinon plus encore…). Ce qui fait que les plus maigres propositions de loi se trouvent amendées et reconduites à l’état de nudité (cf la loi sur l’immigration de 2024). Si ce n’est le renvoi par la CEDH ou les traités européens annulant ce qui ressemblerait à un semblant d’autorité ou de souveraineté nationale. Donc, vois-tu, le pouvoir est bien encrassé. De plus, Jimmy t’en parlera, ce syndicat a osé « le mur des cons »… Avec ces juges d’extrême gauche, il y a un fossé entre le jugement et l’application des peines (d’où des OQTF en liberté ou des récidivistes à la pelle). On est loin de ce bon vieux Churchill et de sa maxime qui, bien sûr, a fait long feu.

Quant à ce que tu m’as fait parvenir du ministère de l’Intérieur, c’est la liste des représentants constituant l’Assemblée Nationale. Tu remarqueras que le RN n’est allié à personne. Et que ces députés représentent en effet 11 millions d’électeurs. Demain, bien plus.

Quant à la manière dont les français votent, c’est vrai qu’ils sont assez versatiles et que les médias ne se privent pas de leur dire comment déposer le bon bulletin de vote. Rappelle-toi Céline déjà :  » les journalistes, on ne peut leur en vouloir, ils ont faim… pour un plat chaud, il vous envoie un homme en prison… pour un peu plus encore, il l’envoie à l’échafaud ». Je m’excuse pour le style, c’est de mémoire…

Jaquemart-André, j’ai souvenir qu’on avait eu des contacts avec eux pour une expo (1978 !) sur les vénitiens quand je travaillais à Chagall du temps de Pierre Provoyeur (aujourd’hui Inspecteur Général des Musées de France). Je l’ai vu sur internet, il se berce maintenant dans un Paris mondain…

Pour la « course à l’abîme » tu peux y aller, on ne s’ennuie pas.

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11 Février

 

A Bernard :

 

Juste un mot concernant le poème qui cite Einstein. Il est dit, d’après la relativité que, à la vitesse de la lumière, si le cops pouvait être transporté dans l’espace, son temps serait courbe, et « relativement » au temps passé sur terre on en reviendrait moins « chargé » de temps. D’où mon visage de jeunesse ne prenant pas une ride.

Le nasard est effectivement quelque chose que j’ai utilisé pour la sonorité du mot. La définition n’est pas très compliquée. Retiens simplement que c’est une figure de résonance qui se superpose au-dessus d’une autre dans la musique d’orgue.

On est déjà le 11 c’est vrai. J’ai bien peur qu’il n’y ait que très peu d’écrits, très peu de poésie ce mois-ci. A bien y penser, j’ai déjà donné beaucoup ces quinze derniers années (celles de la régularité). Il y a peut-être un tarissement qui se profile. Mais je sais qu’il y aura des éclairs, des feux avant l’extinction…

Si on regarde bien, sans comparaison impossible et improbable, il n’y a que Aragon et Hugo (lui, plus encore) qui auraient écrit autant.

Maintenant que restera-t-il de moi ?

Je me promène souvent le matin sur la Prom. C’est la saison où le soleil sort au-dessus du phare de Villefranche. Les lendemains de pluie, avec les lourdes trainées nuageuses, on peut avoir des ciels magiques.

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Je viens d’achever la « Course à l’abîme » de Dominique Fernandez. Une bio romancée sur Caravage. Celles-ci ne sont pas légion. Et cette dernière a le mérite de dilater le temps, de prendre soin de bien cadrer la vie du peindre dans ses milieux lombard, romain et napolitain. Jusqu’à Malte, et jusqu’à la plage tragique de Porto Ercole, en plein soleil. Avec l’assassinat probable et le vol de de l’un de ses derniers tableaux, « David avec la tête de Goliath ».

On y retrouve avec précision les tenants du camp espagnol et du camp français dans leur course à l’influence auprès du pouvoir papal. Henri IV converti au catholicisme, épousant Marie de Médicis à Florence, pour lesquels on joue pour la première fois un « opéra » (Orphée et Eurydice de Jacopo Peri), devenant ainsi favori dans cette course. Parmi les figures historiques accolées au nom du peintre, j’ignorais qu’Orazio Gentileschi avait fait partie des amis sincères du Caravage du temps de leur rencontre à Rome. Peut-être son seul véritable ami. Le Mario du roman, ami de cœur et amant, a-t-il réellement existé ou constitue-t-il une synthèse de ceux qui ont été parmi ses conquêtes masculines ?

On apprend aussi, étonnamment, que les « Sept œuvres de charité » prescrites par Saint Matthieu, tableau conçu pour Naples, sont en réalité six. A ces six œuvres, s’ajoute « l’enterrement des morts », à la demande du commanditaire napolitain. Ce qui donne une idée de l’importance de la mort qui, à Naples, ne manque pas de s’inscrire au fond de chaque habitant au pied du Vésuve.

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Je découvre presque en cachette les églises baroques du Vieux-Nice. Elles sont souvent fermées, on s’y trouve souvent seul. Il y quelques jours, Je redécouvrais la beauté structurelle de la magnifique Saint Martin/Saint Roch, au-dessus d’une ruelle tourmentée, attenante au Collège Ségurane. La Piéta de Ludovic Bréa est une des plus belles, des plus dépouillées. Malheureusement exposée sur un des murs d’une chapelle latérale dont l’angle ne permet pas d’en avoir une vision frontale.

Ce matin c’était Sainte Rita. Insignifiante à l’extérieur, presque dans un état de désolation, et si lumineuse à l’intérieur.

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14 Février

 

A Bernard :

 

Non, ce n’est pas tant d’être reconnu qui me préoccupe, mais si j’avais un lectorat, j’aurais peut-être une idée de la valeur de ces années de poésie. Je sais que je me reconnais moi-même dans tout ça, mais est-ce suffisant ?

Je continuerai. Peut-être à un autre rythme. J’ai l’impression que j’ai déjà beaucoup écrit. Sur l’écorce des arbres, sur les sables …

 

Le big bang, j’ai toujours pensé (écrit) que les scientifiques, en tant qu’en première ligne sur les sujets concernant les causes premières, nous prenaient pour des crédules incapables de comprendre qu’une explosion initiale se faisait par la rencontre d’éléments provoquant explosion. Donc, j’ai écrit quelque part que le big bang, s’il a eu lieu, n’est pas un commencement, mais une fin de processus. Les éléments premiers, s’ils sont premiers sont donc antérieurs à l’explosion qui rendit l’expansion universelle. Quid de ces éléments premiers, que faisaient-ils dans les parages etc. Ces scientifiques n’ont pas plus de profondeurs que les philosophes antiques qui n’avaient pourtant pas les outils d’aujourd’hui.

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15 février 25

 

C’est avec Y. qu’on s’en va déguster les huitres au Café de Turin. Il était triste hier soir de me voir différer sur ce projet d’aller à Nice. Il a fait honneur au plateau de douze unités, puis a un peu calé pour les six suivantes. Il était radieux devant ses coquilles posées les unes sur les autres comme une petite pyramide. On en a goûté nature, puis au citron et même au vinaigre échalote. Il en aura finalement mangé sept…

C’est sous un soleil de treize heures qu’on a pris la crêpe échalote au Kalyce, face à Sainte Réparate où il a gardé un silence admiratif sous la coupole et devant les tuyaux d’orgue. Puis on a remonté l’avenue Médecin, le Carnaval et ses déhanchements, son bruit et ses éclats de lumière. On a également fait une visite chez Séphora où Y. aime bien aller depuis la dernière fois. On y a fait la connaissance d’une vendeuse dont je me doutais bien à l’accent qu’elle venait de Colombie. On est revenu avec des échantillons plein la voiture.

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16 Février

 

Raphaël Glucksmann dit qu’il serait plus à l’aise à Manhattan que dans le Cantal. Je comprends très bien qu’on n’a pas envie de voir s’établir de tels personnes dans le Cantal.

Qu’y ferait-il ? Que saurait-il faire dans ce département de champs, de foins et de parfait équilibre écologique, de montagnes, de géants et de volcans.

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17 Février

 

A Bernard :

 

Comme tu vois, j’arrive à peine à répondre à tes courriers. Nous sommes en période de vacances scolaires, et tout le monde s’implique à s’occuper des deux enfants. J’ai donc mangé les huitres avec Y. au café de Turin. Et puis il n’y a pas de vacances sans revoir un peu ce qu’il y a dans le cartable, histoire de ne pas trop perdre sa souplesse.

J’ai quand même un peu de tranquillité l’après-midi. J’avale les lectures avec célérité. Je crois que l’intensité et la répétition fréquente favorise la rapidité à lire. Dans notre cas on devrait avoir une faculté d’absorption virtuose. Ça n’a pas toujours été mon cas. Je vais bientôt achever le Jean Sévillia et commencer un Pierre-André Taguieff sur les problèmes du Moyen-Orient.

Concernant les différents malerei à venir, laissons un peu décanter. J’ai fait de nouvelles images à partir de photos que je t’ai envoyé comme prototypes. Depuis, j’ai amélioré leur sort. Donc on attend un peu. Et puis je les mettrais dans l’ordi une fois le choix établi et enfin dans la box. Tu n’auras plus qu’à ranger dans le site.

Cinq lecteurs en moyenne hebdomadaire, je ne savais pas ! Mais comment y entrent-ils sans avoir eu le lien ? Car je suppose qu’il s’agit d’inconnus. En ce qui concerne mes connaissances, elles ont dû y aller une fois par politesse. Sinon jamais. Les gens ont peur d’avoir à donner un avis sur la poésie, domaine hautement irrationnel. Ils préfèrent ne pas aller lire des choses qui, soit les laisseront dans l’incompréhension, soit ils s’y sentiront carrément étranger, soit ils y seront frontalement hostiles. Donc évitement généralisé. Je suppose que j’aurais eu des lecteurs plus curieux si j’avais écrit des romans, des livres d’histoire ou des essais lisibles et accessibles. Bref, les gens de l’entourage sont souvent les plus réticents. Pour ne pas avoir à se justifier et pour éviter à donner un avis mal assuré. Alain Jacquot fait partie de ceux-là. Sa sensibilité est assez éloignée de la poésie (littéraire). Il a eu beau aveuglément monter le catalogue des clameurs, il m’a avoué un jour n’être jamais allé au-delà de Victor Hugo. Esprit hautement rationnel, Breton et Aragon, lui sont étrangers. Il n’est donc allé voir le site qu’une fois et depuis a fui le sujet. Je ne lui ai même jamais demandé son sentiment. C’est un parfait exemple de lectorat parmi les personnes que je peux côtoyer.

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19 Février

 

A Bernard :

 

Malerei devait forcément devenir une rubrique importante. C’est toute la partie plastique et chromatique, complémentaire à celle des mots.

Tu ne me sabres pas du tout le moral en parlant de la solitude et de l’isolement de ma position. C’est le lot des poètes. Souvent. Presque toujours. La légende veut qu’ils se fréquentent entre eux, qu’ils boivent de l’absinthe dans les bars, qu’ils s’en vont sur les routes etc C’est vrai et c’est caricatural. Les destinées sont parfois moins pittoresques. Par contre, je n’envie pas même ceux de la collection « poésie Gallimard » dont je me demande ce que certains font à cet endroit. Encore une fois, il est si difficile d’établir une hiérarchie dans le domaine (il suffit souvent d’avoir les bons copains dans le bon réseau). Je me suis finalement contenté de partager ce qui a bien voulu sortir de ma sensibilité avec toi. C’est peut-être aussi bien que de partager un beau secret. Et puis le site existe, il est beau, vif et il y aura encore quelques belles pages et quelques surprises dans le temps qui reste.

C’est vrai aussi (j’écoutais parallèlement sur France M) que même les confections de musiques physiques passaient par une sorte de passe. On demande aux instrumentistes aux artistes n’ayant pas encore « fait leurs preuves » de donner les quantités de follower (s’il s’agit d’une chansonnette, c’est plus facile que pour un quatuor à cordes), ou de passer , comme de plus en plus dans l’édition de livres, par une participation à l’élaboration technique du produit (techniciens, preneurs de sons, location de salle d’enregistrement, publicité etc Les techniciens étant considérés comme de très pointus professionnels, ce qu’on ne demande pas forcément à un imprimeur). Leur participation est donc autrement plus pénalisante que pour les écrivains. Ils s’en sortent souvent en participant à des concerts rémunérés et en se greffant en « ripiénistes » dans des ensembles déjà structurés ou établis.

Voilà, la situation n’est pas désespérée mais presque.

Février sera maigre, je l’avais senti dès le début d’année. Mais je sais que tu ne considères pas mon travail sur ce seul constat

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24 Février

 

A Bernard :

 

Nous c’était fin Juillet 83, donc bientôt 42 ans. On s’est connu tout bêtement un soir sur la terrasse du pub Carlone, face à la fac. Le lendemain je l’invitais à aller à la piscine (j’étais très nageur en ce temps-là). C’était son anniversaire. Elle devait repartir définitivement vers le 15 septembre, date de la fin de ses études à Masséna. J’ai tellement harcelé la famille au téléphone durant tous les mois d’octobre et novembre, qu’elle est revenue le 23 décembre avec valises au complet et aller simple Bogota/Nice. On s’est marié un 22 décembre de l’années suivante.

 

Tu connais l’épisode de Le Clézio. C’est quelque part dans le site (ou dans Nice de jour et de nuit). C’est Keke qui me l’a présenté dans le quartier Jeanne d’Arc. Ils étaient voisins d’immeuble. Des écrivains niçois, du moins ayant vécu à Nice, il y en beaucoup. C’est un lieu inspirant. Mais ils ne font qu’exceptionnellement partie de ceux que je lis.

 

Le mois s’achève quelque part dans la semaine qui vient. On a un carnaval pluvieux, comme de tradition. Le mois poétique ne sera finalement pas tout à fait stérile. Il y a quelques éclairs encore. Du moins je l’espère. Les vacances scolaires s’achèvent, mais les enfants repartent mercredi pour un aller /retour très court vers Futuroscope.

J’ai vu qu’il y avait une expo Dolce Gabbana (je sais ce n’est pas notre quotidien) à Paris. Les quelques images de costumes, de verreries et autres pièces de collection m’ont fait penser au Musée de la Scala de Milan.

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25 Février

 

L’ARCOM, société d’observation de la parole publique contrôlant le réseau national hertzien, et partant, l’attribution et l’éventuel renouvellement des chaînes télévisuelles, se dit, dans le plus bel oxymore qui soit, « administration indépendante ». L’intitulé, est déjà suspect s’il ne faisait rire. Ou tristement pleurer.

Comment une administration de ce pays, ne serait-elle pas au service d’une instance supérieure à laquelle elle doit son existence ?  L’arcom n’est hélas rien d’autre que le simple faux nez de monsieur M.

Le Canal C 8 cessera donc d’émettre à la fin du mois. Ne répondant pas aux critères de ladite instance administrative. Foulant aux pieds les plus élémentaires libertés d’expressions publiques.

Comme en pays soviétiques, le verrouillage par des lois et des mesures d’encadrements juridiques préparent en amont l’irréversibilité des décisions de cette organisme d’état qui cachent les finalités troubles de ses fonctions.

Jeudi 28 au soir, un écran restera noir.

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26 Février

 

A Bernard :

 

Poète ambulant …. D’autant plus qu’à cette époque le poète occasionnel naviguait dans les cercles étroits de la nuit où beaucoup se connaissaient. C’était la première approche d’un public. Seuls, ceux des salons bourgeois avaient accès à des gens d’édition. Les poètes de rue plus rarement, ou à titres d’auteur pittoresque. Souvent le poète et le chansonnier se confondaient. J’ai connu au Tube dans les années 70, un diseur qui braillait ses poèmes dans la fumée, vaguement accompagné par un piano. Il avait sa petite réputation. Longtemps la poésie a été chanté, vieil héritage orphique. Aujourd’hui, pour prendre une image cosmique, on dira que la poésie n’a plus de centre, plus de contours où la limiter. Elle est inscrite même au cœur des autres arts. Ce qui fait que les textes lus deviennent ingrats à certains. La diffusion du livre papier étant arrivée à saturation, le domaine poétique a du mal à tenir un projet rationnel pour l’éditeur. D’où la participation quasi institué pour les nouveaux venus. Ce qui ne nous rassurera pas pour autant, c’est que les musiciens, parfois les plus accomplis passent également par un justificatif , rationnalisant par-là les sommes investies. Tout évolue dans des méandres économiques… Le temps d’Apollinaire était encore à échelle humaine. Rimbaud a écrit si peu, il a même fui le milieu littéraire et pourtant… Aujourd’hui il serait aussi dans ces fameuses bouteilles qui vont à la mer. Qui juge la poésie ?

 

Je viens de finir l’Odyssée cosmique de Eric Lagadec qui a travaillé à l’observatoire du Mont Boron. On y apprend que l’univers est encore bien plus vaste qu’on ne croit. Ce qui manque de poésie, c’est que pour obtenir des images de télescope, ce ne sont pas des images « réelles » qui sont proposées directement, mais au travers d’ordinateur qui calcule une transcription fidèle, dit-on, des tréfonds de l’univers. On y obtient les images de ces astres flottant épars à plus de 3 milliards d’années lumières.

J’alterne mes lectures entre fiction, essais historiques et là j’ai tenté ce voyage dans les astres. Quand on entre dans l’hydrogène, les atomes d’hélium, les quantités de protons et de photons, je ne rêve plus, je m’endors…

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28 Février

 

A Bernard :

 

On a bien déliré hier sur les distances cosmiques, mais on n’est pas loin du vrai.

Je reprends les chiffres depuis le livre de Eric Lagadec :

13,8 milliards d’années, le début de notre histoire cosmique

4,5 milliards d’années, formation de la Terre.

Plus loin, page 167 :  » l’humanité est perdue dans un univers large d’au-moins 93 milliards d’années lumières et contenant des milliards de milliards de galaxies, contenant chacune des milliards d’étoiles ». Serait-ce seulement la largeur … ?!

L’éternité est une sorte de Sisyphe pas rigolo qui consiste à compter chaque grain de sable de la planète et à recommencer des milliards de fois…

Lagadec admet toutefois que l’univers n’est pas infini. Ce qui est plutôt encourageant.

Comprends-tu maintenant l’expression chers à ces courageux gaulois qui craignaient plus que toute chose, que le ciel ne leur tombe sur la tête.

Qu’y a-t-il de tangible, de factuel dans ces observations ? Les télescopes ne se heurtent-ils pas, passé une certaine distance, à des déformations de l’espace-temps dans le domaine du visible, à un enregistrement linéaire des données inscrites dans un programme mathématique ? Ni aurait-il pas de trous (invisibles) dans le tissu cosmique ?

Tout ceci me fait penser à l’histoire taoïste qui consiste à regarder le doigt du sage lorsque le sage vous indique la lune. Mais en inversé.

 

Carnaval cet après-midi. Pour une fois la journée sera totalement ensoleillée. Tant mieux pour les pauvres vieux touristes qui font de la peine sous la grisaille de Masséna. Je vais continuer mon histoire de nuages, pas très loin d’ici, ce qui est bien pratique.

 

Omission/contradiction :

13,8 milliards d’années nous mène au big bang

 

Quid de ces 93 milliards d’années-lumière minimum de dimension universelle ?

 

Il y a un loup quelque part…

 

En tous cas, regarde bien les étoiles en Normandie. On les voit mieux que dans nos villes.

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2 Mars

 

A Bernard :

 

Allons-nous dans le trou noir ? Après trois bouteilles, la réponse est oui. La vache a été mangé et je sais qui l’a mangé. Une vache normande, c’est ce qu’on voyait sur les paquets de beurre quand j’étais petit. Il y avait le nom de d’Isigny. Peut-être que c’est une cousine de celle qui venait dans ton pré. Tu as de la chance d’avoir une maison normande. Tu l’as acheté l’année où j’ai commencé le carnet et quand Jacques est mort.

J’ai commencé l’Archipel du Goulag. Figure-toi que je ne l’avais jamais lu. C’est parfois amusant si ce n’était atroce. Parmi les motifs d’enfermement j’en ai relevé un d’assez cocasse, presque surréaliste, que Breton et Eluard, à quatre mains auraient pu commettre : « parti en déportation pour avoir enguirlandé un arbre de Noël, ce qui était une intention manifeste de mettre le feu à une école ». Je crois qu’on aurait tous aimé écrire une phrase pareille. L’écriture de Soljenitsyne est fluide. Les catastrophes s’enchainent plus vite que les pages qui défilent.

Les enfants nous envoient des images de Futuroscope. Les sciences évoluent vite, il faut faire face aux générations qui arrivent, et remballer les vieilles découvertes.

Nice est la seule ville qui remballe aussi Carnaval avant mardi gras. Lequel arrive le 4. Et les festivités sont officiellement finies depuis hier.

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Andromède devrait percuter notre galaxie dans cinq milliards d’années. Cela se fera sans dommage parait-il.

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4 Mars

 

A Bernard :

 

… En tous cas merci pour ces paroles qui ne peuvent que m’encourager. C’est vrai que maintenant j’ai du mal à me satisfaire de mes écrits. Ils ne jaillissent plus comme il y a 20 ans. Je déchire sans hésiter. Je crois que j’ai un peu peur des redites ou des images qui deviendraient convenues. Ce qui a été écrit n’est plus à dire. Ou autrement. Si ce que je mets encore sur le site a quelque valeur tant mieux. Mais ça ne coule plus avec le même débit. Même le soleil débite ces milliards de TNT tous les jours. Et ce n’est pas inépuisable. Pardon pour l’audace de la comparaison.

Tu pars donc en Irlande le 12. Jusqu’à quand ? On va vers les beaux jours. On sera aussi absents du 9 au 17 Avril. Pour ces fameuses Pouilles, plusieurs fois programmées et remises.

Soljenitsyne prend son temps. Le temps de la captivité. J’avoue que la traduction (coll Point) privilégie surtout le contenu et laisse une méchante impression quant au style. Peut-être est-ce le fait de 4 traducteurs ?!

Je ne crois pas beaucoup à toutes ces gesticulations européistes sur la nécessité d’intervenir sur le front (ou entre les lignes si j’ai bien compris). Tout ça est remué abondement par les médias afin de vendre une fois de plus l’idée d’Europe fédérale lorsqu’une peur se présente à l’horizon (Covid par ex.). Quant à l’insanité de fédérer la bombe, carte majeure de l’indépendance, (c’est à cette fin qu’elle avait été conçue), je trouve qu’elle ne pouvait venir que de quelques cerveaux ayant décidemment perdu le sens de l’essentiel. Les frontières sont bonnes à défendre quand elles se trouvent menacées en Ukraine, mais restent ouvertes aux quatre vents (algériens) lorsqu’il s’agit de la France et de l’espace Schengen. Non Poutine n’a pas l’intention de camper sous la tour Eiffel. Il faudra que Zelenski admette qu’on a déjà 3000 milliards de dette publique. Que sa sébile est déjà pleine. Croit-on vraiment que l’Ukraine pourrait gagner contre une nation nucléaire ? Elle ne peut aujourd’hui s’en tirer qu’avec des concessions indéniables. A suivre.

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6 Mars

 

A Bernard :

 

Je ne sais si Trump remue la poussière, mais en tous cas il semble donner le tempo. Et comme tu dis souvent, le reste n’est que … Du moins on a vu depuis quelques jours que l’Europe, égale à elle-même, se réunit et prépare une réunion pour ce jour. Avant de conclure qu’il faut une union européenne plus conséquente. Comme disait je ne sais qui, le numéro de l’Europe c’est lequel ? Pour le reste à venir j’ai déjà donné quelques pistes dans mon dernier courrier : La proposition d’une Europe commune de la Défense (Dieu merci l’idée de distribuer -mutualiser- la bombe) est impossible). C’est ce qui reste de la souveraineté de notre pays. C’est ce que j’ai retenu de neuf de l’allocution d’hier soir.

Donc on voudrait aujourd’hui une Europe commune von der leyenisée alors qu’elle achète des avions aux américains depuis toujours. Une Allemagne qui a tout fait pour que notre parc nucléaire d’électricité capote à des fins idéologiques d’écologie (Les allemands sont très verts). Ce qui fait qu’on se gèle depuis la fermeture de certains réacteurs…

 

– Je comprends maintenant le silence de Paris face à Alger. Les algériens faisant partie des Brics se permettent de nous provoquer avec le soutien indirect des russes (on se croirait revenu aux « évènements » algériens des années 50) sans qu’on bouge le petit doigt. Ces mêmes russes ont tout fait depuis des années pour qu’on parte de l’Afrique (pour s’y mettre). Et on entend dire qu’ on se prépare à augmenter notre potentiel militaire afin de sortir de la dépendance américaine.

Avec de l’argent que nous n’avons plus (on va refaire surement le coup du quoi qu’il en coûte ) et pour un résultat qui prendrait des années d’investissement.

 

Dans cette situation géopolitique je vois mal comment l’Europe (le voudrait-elle) pourrait parler d’une seule voix. Nos intérêts sont divergeant (des accords à 27 c’est quand même plus complexe qu’à 2 ou 3…) et il ressort de tout ça que l’utopie de Fukuyama a fait long feu. Cette Europe mercantile, idéologiquement sortie de l’Histoire, régulée par les seules lois du marché mondial a vécu. (25% on prend sur la gueule ! : retour à la puissance, hélas, seule réalité dans une table de négociation ; Staline : le Vatican, combien de division : tout ça est bien connu et bien oublié)

Cette Europe qui devait nous débarrasser de la guerre devenue impraticable, empêtrés que nous étions dans d’affreuses nations rances et frileuses, nous a montré une vérité bien cruelle. On n’a jamais été aussi vulnérable depuis 1945. Irons-nous nous battre pour défendre l’Europe ? Elle n’existe que comme entité géographique mais pas historique. Non. On ne le ferait que pour ce qui fait une communauté historique, pour défendre une hérédité de mode de vie, une culture à défendre (les blocs musulmans, les indiens, les chinois ont bien compris ça).

Voit-on notre belle jeunesse créolisée mettre les treillis et aller s’exposer sur le front de l’Est ? Verra-t-on les fiertés minoritaires et wokisées aller défendre des frontières étrangères qu’on a naïvement abattu chez nous ?

Nous sommes dépendant militairement des Etats-Unis, dépendant pour l’énergie de la Russie et économiquement des chinois. Belle équation à résoudre. L’Europe encore ?

A deux ou trois pour des projets ponctuels, peut-être, mais de grâce plus de ce projet fédéral intégral de commissaires non élus s’octroyant le pouvoir et dont les traités et les normes nous empêchent parfois de tailler les haies comme on le voudrait.

Je conclurai en disant que si j’étais banquier, je ne ferai aucun crédit à Emmanuel M. Qui se voit bien à la tête de cet empire de fous.

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Une Europe de la Défense en 2025 ? Des crédits budgétaires supplémentaires, sans augmentation d’impôts ? C’est la ligne à suivre depuis hier.

N’est-ce pas Pierre de Villiers, général en chef des Armées qui fut limogé en 2017 ? Une des premières décisions du jeune Président M dont le différent portait sur le budget de la Défense.        De Villiers envisageait simplement une augmentation du budget de la Défense en vue de ce qui pourrait se produire aux frontières sur l’échiquier géopolitique d’aujourd’hui.

Noticule :

M parlait hier dans son allocution de la « patrie », une référence bien rare chez cet aspirant empereur d’Europe. En fait de modèle, il s’agit probablement de Romulus Augustule.

Mais qui sera donc son Odoacre ?

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9 Mars

 

A Bernard :

Les discussions de café seraient moins approfondies que celles des petits déjeuners ministériels ? Je commence à en douter. Le bon sens peut jaillir de n’importe où.

La situation actuelle est évidemment préoccupante. Si une possibilité de paix se présente ça ne pourra qu’être positif. On n’imagine pas vraiment ce que sont les conditions de ceux qui vivent la guerre. Quant à l’Europe elle n’a pas l’air d’avoir une position bien nette. Une augmentation des budgets de défense ? Même au bistro on aurait pu en avoir l’idée. Mais n’est-ce pas le Président qui, alerté par Pierre de Villiers dès 2017 demandant des crédits de défense en augmentation s’est vu limogé ?

Attendons donc.

Mars est conforme à sa réputation capricieuse. Le plein soleil ce matin avec des risques de crues cet après-midi.

Une occasion pour finir le dernier Onfray « l’autre collaboration ». Où il s’agit de Sartre, Beauvoir, Garaudy, Derrida et quelques autres dans de tortueux parcours intellectuels. En attendant la revue trimestrielle Front Populaire, fréquentée par les souverainistes de tout horizon.

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10 Mars

 

A Bernard :

 

Je réponds sommairement. Tes réponses sont très tranchées. Ce sont les réponses de G. Attal à la virgule près.

Plus d’Europe ; Egale rien du tout. Cette Europe militaire n’existe pas.

27 pays qui tirent chacun pour soi quand il faut prendre une décision. Sur la défense justement, les allemands, les hollandais achètent américains. Et leurs avions ne peuvent être opérationnels qu’avec accord des dits américains ; Plus d’Europe ? Comme on disait naguère plus de communismes, toujours plus C’était ça qui faisait que ça marchait mal…

800 milliards ; c’est le fantasme de madame von der… (et dire qu’on a mis des mois à trouver un budget). Et de quel droit nous demander de mettre encore la main à la poche alors que nos députés se battent pour savoir où faire des économies ! Les commissaires européens décideraient à la place des peuples européens ?

J’ai remarqué que tu avais tenté de reposer la question  » quelle volonté charnelle… ». Tu t’es arrêté en route.

Et puis les frontières on les accommode comme on veut. Je me souviens que le Général les voyait quelque part de l’Atlantique à l’Oural.

Et puis envoyer qui sur le front de l’Est ? on n’est plus même capables de s’être fait respecter en Afrique de l’ouest (Wagner au Mali).

Et c’était des militaires professionnels. Envoyer les classes d’âge des ex conscrits. Je sens venir déjà comme de l’indiscipline. Et des binationaux qui vont faire jouer le bi…

On a donc du mal à mourir pour la France.

Je suis désolé on ne meurt pas pour l’Europe.

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11 Mars

 

A Bernard :

 

Le problème est inquiétant. Mais je ne me fais pas d’illusion : nous ne pouvons faire d’Europe que civilisationnelle. Alors oui, nos alliés naturels sont géographiquement nos voisins. Maintenant, l’Ukraine/tampon restera dans une paix relative et je ne crois pas à cet abandon géopolitique des Etats-Unis. Trump en a parlé avec beaucoup trop de virulence pour être vrai. Il veut, dans ses deux priorités, découpler tant que possible la Russie de la Chine, et protéger les intérêts économiques de son pays, ce pourquoi il a été élu. Il veut que nous prenions les responsabilités qui devraient être les nôtres. C’est plus pour l’Allemagne qu’il vise comme premier dépendant des E.U. A nous d’augmenter nos budgets de Défense (les doubler serait au moins la moindre des choses). Mais une Europe parlant et agissant ensemble pour une construction militaire est impossible : nous ne sommes qu’un conglomérat de pays, et on ne fait de défense que vitale et souveraine. C’est comme un corps humain : ce qu’il reste d’une intégrité physique.

On va attendre les prochains évènements d’Arabie Saoudite.

Entre temps on pourrait faire respecter nos valeurs dans notre propre pays. : le voile veut maintenant s’inviter sur les stades de foot (la ministre des sports y « serait » favorable), l’islamisme qui grignote chaque jour est un souci majeur. Et tous les maux inhérents à cet islamisme-là. Nous ne sommes peut-être pas d’accord sur certaines choses, mais tu reliras mes arguments (carnet) pour que nous n’ayons pas à revenir sur ces sujets.

Donc demain l’Irlande. J’espère que tu n’auras pas le temps qu’il fit ici depuis hier midi : petite pluie féline et constante, ciel bas qui rendent les palmiers tout à fait incongrus.

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16 heures (Suite )

Je dis simplement que l’Europe fédérale (avec des commissaires qui ne représentent personne) n’est qu’une structure bureaucratique. Avec toutes les contraintes empiétant sur les structures existant en chacun des pays concernés. On voit bien qu’on ne peut rien décider au Parlement sans que ce soit détricoté par un Traité européen. Les traités ayant priorité sur les textes de lois nationaux. C’est là où le bât blesse.

Dans le contexte qu’on connait aujourd’hui, je remarque que les E.U. ne représentent qu’eux-mêmes, le Russie idem et l’Ukraine idem. Où voit-on que si on ne fait pas l’Europe, on serait réduit à cette image de « tente » sous laquelle se replier ? L’Ukraine est bien contente de son tipi, les américains apparemment aussi. Le japonais, petit pays, est fier de garder jalousement ses dimensions sans chercher à se fédérer avec qui que ce soit. Et puis l’Ukraine a l’air bien heureuse d’avoir retrouvé son indépendance en 1991. N’était-elle donc pas si bien fédérée du temps de ce conglomérat soviétique ? Elle a repris ses pénates, elle s’est retrouvée libre. Ce que fait l’Europe fédérale c’est retrouver (l’union fait faussement la force) ce qu’était l’entité du bloc soviétique il y a trente ans ! Un comble… Non pas pour faire le bonheur de l’humanité mais tout simplement du business.

Au départ ce n’était que ça. Jusque-là encore, rien à dire. Un marché ouvert, élargi le plus possible. Mais une union pour « arriver juste à temps  » ce ne serait qu’une hydre sans âme. Une technocratie. Une technocratie n’a jamais constitué un peuple.

 

Quant à la vidéo que je t’ai fait parvenir, c’est d’une part :

1) on ne pourrait organiser un tel débat sur nos chaînes « publiques ».

2) le germano-égyptien qui parle sait de quoi il parle

3) tu as raison, tous les musulmans ne sont pas des terroristes, mais on les voit rarement donner leur sentiment sur la question. Cela me rappelle encore une fois la guerre d’Algérie où les musulmans restaient muets quand on parlait du terrorisme FLN et qui, lorsque la balance a penché de leur côté, étaient fiers d’avoir sur la fin (comme les Résistants de 1946) participé à la Libération de leur Algérie. Les Frères musulmans font un travail remarquable en Occident, et particulièrement en France. Ils font pour leur cause (je le répète, il s’agit d’imposer au monde la loi musulmane) plus au quotidien que n’en peuvent faire les terroristes/repoussoirs. Les Frères musulmans travaillent sur le (très) long terme. Le terrain est tout à fait propice ici.

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à Monique Ariello :

 

Très belle inspiration qui me fait plutôt penser à quelque Chagall serein sur fond de Terre biblique…

Mais la Divine Comédie est si riche et si large qu’on peut aussi y trouver des moments de calme.

Encore bravo.

L’exposition aura certainement le succès qu’elle mérite auprès des connaisseurs .

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13 Mars

 

NUAGES

 

C’était en Juillet dernier à Kaisersberg. La forme des nuages prenait des tournures irréelles que seuls ceux-ci donnent autant profondeur à imaginer. J’ai souvent l’habitude de dire il y a aujourd’hui de magnifiques chou-fleur dans l’azur. Expression presque classique du descriptif céleste. Mais ce jour-là, entre deux rues étroites, en levant la tête, c’est le roi Davis qui apparut. Dans une traînée de manteau à la manière des mariées de la Tour Eiffel ou, plus encore, des mariés de Chagall flottant au-dessus des chaumières de Vence. Le Roi David en majesté, tout en courbe cambrée, au dessin ferme, les mains posées sur les cordes de la harpe, qu’on en entendait presque les inflexions vocales. Puis ce fut un autre Roi David, plus petit qui s’est installé au-dessus du premier comme en parallèle, comme deux vagues venues du fond de la création, entourées toutes deux de massifs informes et cotonneux. L’instant éblouissant ne dura que le temps que les rois perdent progressivement le fil de la chanson. Plus loin, au-dessus de la fontaine aux voyageurs de Compostelle, un lion dévorait le cou d’une gazelle dont la contorsion ondulante zébrait le ciel sans voile si ce n’était que la scène elle-même éblouissait de sa dramaturgie nuageuse l’azur serein du moment.

Il y dans le nuage, la plus extatique des harmonies de l’éphémère. Harmonie parfaite et parfois incomplète, où il ne manque qu’un bref élément comme dans un puzzle incomplet. Et c’est à cet instant que l’imagination du rêveur ajoute la pièce manquante. Parfois la scène est achevée comme ce jour où les rois David faisaient vibrer l’air suffoquant au-dessus des toits de Kaysersberg. Il y a dans le nuage, le plus beau des imprimés éthérés qu’on ne saurait approcher, qu’on ne saurait retoucher et qui, dans sa course résume la trajectoire du vivant dans cette création sui generis, d’engendrement de la forme qui se fixe un court instant, et qui file sans à coup vers sa dissolution.

L’image même du temps qui passe.

Aucune manifestation de la main humaine, pas plus la théâtralité de la Sixtine, ne saurait proposer grandeur nature, une telle monumentalité qu’on croirait certains matins de février, au lendemain de pluies abondantes que la traînée du lever s’accompagne au travers des rayons de soleil, de Moïse de retour du Sinaï. Parfois on croirait entendre gronder mentalement les derniers feux des Commandements eux-mêmes dans les zébrures effilochées sur fond d’éternité.

Il n’est pas jusque dans certaines formations énigmatiques, d’harmonie abstraite, échappant à toute logique, sinon celle d’une infinie poésie indéfinissable, qui ne trouve une perfection apparentée à celle de l’Art de la Fugue.

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Le quatuor à cordes de Boulez est quelque chose de difficile à partager. Il relève de l’intimité la plus enfouie en quelque cinquante-cinq minutes qu’en expose le quatuor Diotima. Du coup, cette nuit, j’en ai aussi écouté celui de Luigi Nono, Fragmente-Stille an Diotima

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Je voyais une belle grande affiche annonçant « le Menteur » de Pierre Corneille. Puis sur le même format que le nom de l’illustre dramaturge, le nom de la metteuse en scène. Si on avait pu d’ailleurs pousser le nom du dramaturge, on l’aurait aisément passé par-dessus bord. Mais on enrage, car le nom de la metteuse en scène est déjà dans les oubliettes.

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24 Mars

 

A Bernard :

 

J’écoute Schönberg et j’entends aussi la voix de Nuria. Je l’imagine, c’est maintenant une vieille dame de 94 ans… On reste toujours avec ses souvenirs. Et moi je me perds un peu dans cet immonde archipel du goulag. Je ne l’avais pas lu. C’est pire encore que ce qu’on imagine. Le diable est dans les détails. La méchanceté humaine. Tu fais bien de tailler les arbres. Une certaine forme de sagesse. Les petits sont partis hier en croisière. Ils doivent être à Barcelone. Et demain peut-être à Rome. Je n’aime pas les croisières. J’aime la liberté du voyage en voiture. Bientôt on sera dans le talon de la botte. Matera, Bari, Vieste. Tu seras tenu au courant. Et puis il y aura un récit.

We don’t playing because we grow old we grow old because we stop playing . C’est très vrai.

Je vois que vous avez eu un séjour radieux, sans pluie. Et puis le Livre de Kells ! Lorsque nous étions à Dublin, c’était le jour de fermeture. Donc pas de Livre. Une des gloires de l’Irlande.

Je continue mes bords de mer, mes nuages. Mars est un mois capricieux, le ciel change. J’ai adopté le Kalice. La terrasse prend tout l’espace de la place Rossetti. On croirait entendre battre le coeur de Nice. Et puis il y a la plus belle fille du monde qui vient un jour sur deux. Donc, j’y vais deux fois plus. Entre dix heures et onze du matin, le soleil franchit le sommet des maisons d’ocre et on est inondé de lumière. Je me fais un peu penser à Thomas Mann, vieillard frileux dans les espaces ensoleillés de son sanatorium. Manque à peine la couverture sur les genoux. Dimanche, j’étais le seul autochtone. Que des chinoises, des allemands… Et comme Sainte Réparate était ouverte, on a pu entendre à la fin de la messe, l’orgue jubilatoire, pleins jeux. Ça m’a fait penser à un concert mémorable de Michel Chapuis (vers 76), le pape de la musique d’orgue de Bach.

Le mois poétique sera plus exubérant que je ne pensais. Il y a même quelques belles tournures.

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26 Mars

 

A Bernard :

 

PARENTHESE DOULOUREUSE MARS 25

Je ne me suis pas fait trop de souci pour la page d’accueil. Je me doutais qu’il s’agissais d’une petite transformation technique provisoire.

J’ai bien du mal avec cet Archipel qui a tant changé (pour ceux qui ont bien voulu lui accorder du crédit) la vision de soixante-quinze ans d’Histoire révolutionnaire. Et dire que l’Histoire semble repasser les plats quand il s’agit de voir venir les dangers. Le monde d’aujourd’hui étant au moins aussi douloureusement exposé que celui d’il y a un siècle. Le totalitarisme prendra certes un autre visage mais pas moins exposé. Plus encore même au sein de nos sociétés. Le débat sur la visibilité toujours croissante de l’Islam est un symptôme hélas plus qu’une illusion comme d’aucun pourrait le croire. Si l’on excepte LFI qui a pris la responsabilité de voir dans cette avancée spectaculaire pour demain, une chance pour nous (et un électorat neuf pour lui). Tu remarqueras, que lui appelant « le grand remplacement » de ses vœux, les médias ne bronchent pas, les débats deviennent de plus en plus aigus sur le sujet. Tu me demandais, il y a peu, en forme de dérision, si je voyais des musulmans sous mes fenêtres, je te dirais donc, que je n’en vois pas d’où je suis (et je suis encore assez loin géographiquement), mais sur l’avenue Jean Médecin, on se croirait dans le Rabat d’aujourd’hui ou dans Bruxelles… L’intrusion des frères musulmans dans sa stratégie de conquête gagnent tous les jours. Aujourd’hui le débat sur le voile dans le sport, demain l’enseignement « autorisé » dans les écoles. Tu peux croire ma vision des choses pessimistes ou tout simplement déformé, ou idéologique tendancieuse. Je préfère entendre le boxeur franco-iranien (Manchipour) réfugié en France à l’âge de 11 ans qui répondait aux médias évidemment favorables à la « liberté » de porter le voile, que celui-ci n’était que le prémisse d’un linceul dans lequel on sacrifie les femmes. Et tout commença ainsi en Iran. Je me souviens du temps où Khomeiny était logé à Neauphle le château, sa première décision une fois rendu dans son pays, fut de considérer l’Occident (et donc la France qui l’avait accueilli) de grand Satan. L’Iran est restée depuis dans les ténèbres. Depuis presque 50 ans. Manchipour a dit aussi que l’Iran savait mieux que n’importe quel pays ce qu’était l’Islam. Toutes les lignes de conduites de la vie ordinaire y sont conditionnées. Et c’est là aussi qu’il y a le plus d’athées. C’est dire si l’étau est insupportable.

La démographie pour le renouvèlement des générations étant en mode SOS, je me souviens aussi que Boumediene disait déjà dans les années 60 : « le ventre de nos femmes est le ventre révolutionnaire qui verra le drapeau de l’Islam flotter dans votre pays ». Paroles audacieuses ?

Voilà, j’espère que tu ne prendras pas ce courrier pour une fadaise (sachant qu’on n’appréhende pas souvent les problèmes sous le même angle), mais je pense que le temps passant, les évènements tendent à me donner souvent raison. Ce qui, dans le cas présent, me navrerait

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26 Mars, c’est la date anniversaire de la mort de Debussy. C’est aussi celle de naissance de Boulez. Aucun musicologue, à ma connaissance, n’a jamais fait le rapprochement. Chaque année pourtant…

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27 Mars

 

JE NE VAIS PAS (PLUS) AU CINEMA

 

« Les beaux jours » (2013), comme son nom l’indique n’est pas un film de jours heureux, mais le nom d’un centre de loisirs sur la côte normande. On s’y ennuie ferme apparemment dans ce milieu bourgeois. On est du côté du Tréport apparemment. Les vues extérieures restent sobres et du plus poétique.

J’ai eu la version télévisuelle. C’est bien assez suffisant.

C’est une réalisation de femme, Marion Vernoux. Pour les femmes. Il faut croire que lorsque celles-ci s’expriment c’est souvent en état d’hémiplégie. On s’adresse aux femmes et on parle de problèmes de femmes. Cela aurait eu déjà de quoi me faire bailler. Et pourtant Fanny Ardant n’a jamais été aussi belle, charnelle, filmée de si près qu’on y chercherait, dans le plus grand réalisme revendiqué, les taches de vieillesse nouvelles tout autant que les plis mous des bras dénudés, dans des poses où, paradoxalement elle demeure sublime, avec les ravages du temps qui passent sur son corps comme le bon vin dont on use abondamment ici. Les gros plans sont sciemment répétés dans les scènes de sexe entre le jeune homme et la bourgeoise d’une petite soixantaine. On fait quelques clins d’œil d’escapade dans des lieux coquins à la manière des films porno (parking, sous-sols). Ça reste très bourgeoisement enrobé. La réalisatrice a de l’expérience.  Le faire valoir a juste un peu plus que les filles de la bourgeoise. Ces filles ont entre trente et trente-cinq ans, elles ont chacune des enfants. Ce qui fait que la bourgeoise s’avère être une joyeuse dans la plus stricte tradition française de la femme le mari et l’amant. Je te trompe, on se trompe et le spectateur est prié de trouver ça dramatique, parfois comique. On n’a jamais trouvé mieux en France depuis l’invention de la fin du christianisme illustré. Jusque-là je n’aurais rien d’autre à subir qu’une énième variation sur le thème. Mais le film est plus intérieurement torturé encore, parce que fait par une femme proposant le portrait en gros plan d’une femme. Narcissiquement. A aucun moment n’est dessiné le rapport de la bourgeoise grand-mère avec ses filles, et encore moins avec ses petits-enfants. Non. Ce qui importe c’est de savoir combien de temps cette improbable aventure de fesse va durer. « Me diras tu, me préviendras-tu quand tu en auras assez ? ». (On croirait Jane Fonda revendiquant une pimpante sexualité à quatre-vingt ans…) Commencée comme un jeu, une provocation à l’ennui, le passé est gommé par le présent du besoin animal. Et au spectateur de croire à l’amorce d’une histoire d’amour dont les mots sont toujours pudiquement inarticulés. Mais d’amour on ne peut faire plus foireux tant même le scénario n’a pas l’air d’y croire. Comme les phrases dont on ne comprend que ce qu’on peut. Avec Fanny Ardant cela devient une signature.

L’ennui fait donc des ravages.  Et la femme prend naissance à la naissance de son désir. Vision de femme, vision perverse. Madame Vernoux nous mène à penser que l’animalité de la femme est là revenue, jamais démentie, ce qui par un second paradoxe serait la phase ultime de l’évolution de la femme. Libérée et redevenue du plus pur animal. Le désir assouvi. On se mord la queue si je peux dire. Femme animale, animal revenu. On n’a vraiment pas avancé. Femme de chair, d’animalité, se débattant entre un mari dentiste débonnaire et un amant X qui eut pu être Y ou Z. Ce qui compte pour la réalisatrice, c’est le drame du désir de la femme. Toutes les autres femmes du centre de loisirs s’avèrent également, au hasard de la progression du film, des sacrées baiseuses, chacune à sa façon, sans autres états d’âmes que de dévoiler une vie de baise, de baise intense. Comme Fanny Ardant qui, pareil au cygne, va y aller de son plus beau chant. Ce ne pouvait être qu’un film de femme, laquelle ne peut avoir ou ne veut avoir une vision autre ou élargie du monde. Le désir de la femme, et rien que lui, l’importance de son moi, la qualité de ses non-dits, de ses ruses de ses faussetés, de ses trahisons, le portrait de pied en cap de la femme de toujours.

Laquelle est, en plus, aujourd’hui ravagée de solitude et d’égoïsme à l’âge du retrait, mais pas à celui des derniers feux de l’animal qui s’assouvit.

Perdue à l’instinct de vie. Sinon à la sienne et sa condition bourgeoise. Animal transitoire. Film crépusculaire d’un féminisme faisandé avant même d’avoir eu à envisager une quelconque finalité de celui-ci. Mais peut-être n’est-ce qu’un « autoportrait à l’animale » que donne à voir la réalisatrice ?

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28 Mars

 

Rendez-vous avec mon cousin Georges et un ami à lui. Ils sont venus pour un congrès du Lion’s. Nous passons la soirée dans un resto charmant du bord de mer à Juan les Pins. Souvenirs du Maroc, de la ferme d’Aïn el Aouda.

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29 Mars

 

Ce dimanche maussade, nous déjeunons au « Panama », Place Garibaldi. Cécilia fait la connaissance d’Anne-Marie Jacquot. Un bon moment devant le Saint Emilion. On sent la fin de l’hiver.

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31 Mars

 

COUPS DE JUSTICE

 

Marine Le Pen écope de la sanction maximale.  On se demande comment pour une faute concernant l’emploi du personnel suppléant de son parti à des fins partisanes peut donner lieu à une sanction si disproportionnée.  On a voulu signifier qu’avec l’argent européen on ne pouvait pas se permettre la moindre entorse. Cent mille (!) euros d’amende, quatre ans de prison dont deux avec sursis et surtout cette fameuse inéligibilité ( exécution provisoire de la procédure) sur les quatre années à venir c’est-à-dire les prochaines présidentielles de 27. La faute n’ayant pas même entraîné de détournements de fonds ni d’enrichissement personnel, on a vu des jugements plus cléments pour des délits autrement plus graves (Fabius et le sang contaminé par exemple : aucune charge retenue). Dans le jugement porté par ce trio de magistrat on eut pu attendre la simple lecture du droit et l’application « proportionnée » de la loi. Ce que demandait par ailleurs le Conseil Constitutionnel. On n’attendait pas des juges qu’ils se fussent posés en juge de moralité en interférant avec l’élection présidentielle à venir. Le vrai nœud de l’affaire. Car la sanction d’inéligibilité n’est plus de nature directe avec un quelconque usage des fonds européens alloués au député et ses suppléants, mais relève d’une entrave à la démocratie. Les juges ayant directement, et en toute connaissance de cause, décidé qui devait ou ne devait pas être candidat aux prochaines élections présidentielles.

Ce sont les électeurs seuls qui posent le bulletin de vote sur le nom des candidats. Quels qu’ils soient. Concernant Marine Le Pen, c’est onze millions d’électeur qui se voient entravés. Par trois petits juges (Costa-Gavras aurait-il fait un film aujourd’hui sur ces entourloupes judiciaro-politique ? J’en doute). Mais on entend déjà des milliers et peut-être des millions d’électeur qui ont le temps de gronder d’ici deux ans. Messieurs les juges, à force de trop avancer sur des terrains arbitrairement politiques vous finirez par voir inversées les mauvaises causes que vous servez.

On a assisté aujourd’hui à une sorte de coup d’état judiciaire. La république des juges était annoncée depuis pas mal de temps, elle peut prendre naissance à la date d’aujourd’hui.

Même Moscou s’est étonnée (on ne sait d’ailleurs si ce n’est pas avec une touche d’admiration pour la technique magistrale… on sait là-bas de quoi l’on parle).

« Les juges ont eu la peau de la royauté, ils auront celle de la république » répétons-nous, et répèterons-nous inlassablement avec François Mitterrand.

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JE NE VAIS PAS (PLUS) AU CINEMA

Hors-normes . C’est le nom du film. J’ai manqué le générique, donc je ne connais le nom du réalisateur. C’est angélique à souhait, c’est idéologique en diable. Et ça passe évidemment sur la 7.

Imaginons, une seconde une Association de bienfaisance faisant du bénévolat en faveur de l’enfance handicapée, des petits délinquants, des autistes en tous genres, profonds et plus légers, bref, de tous ce que la société ne parvient pas à intégrer dans son tissu social, gérée par une bande de rabbins et menée par Bruno Haroche, dans des locaux où évoluent aussi des secrétaires voilées, des musulmanes arabes et des noires sub-sahariennes, laquelle association travaille main dans la main avec une autre menée par Malik, s’aidant mutuellement au travers de toutes les vissicitudes qu’on peut imaginer. Du blacks blancs beurs pour le meilleur et toujours pour le meilleur. Hors-normes, on pense tout de suite à la marginalité de tout ce monde de laisser pour compte. Non, le hors-normes, ce sont ces associations de bienfaisance qui n’ont pas l’agrément, qui n’ont pas leur statut réglementé conformes aux diverses dispositions légales de sécurité et autres petites obligations paperassières. Ce sont d’ailleurs les seuls moments où l’on voit apparaître des citoyens qui semblent des français originaires de la France d’avant : les contrôleurs, les enquêteurs/inspecteurs empêcheurs de vivre ensembles. On voit également, au seuil d’un des bureaux de l’association, un quidam qui se plaint du bruit effectué par la petite ruche en activité et les quelques éclats commis par les gentils délinquants. Les Institutions comme l’hôpital, les centres éducatifs spécialisés n’ont pas plus la sympathie du réalisateur parce que ce n’est pas avec amour et sainteté laïque qu’ils s’y prennent avec leur patients et malades. Mais avec la chimie médicamenteuse. Donc les institutionnels out également. Reste donc ces saints, car sous l’angle du film, ce sont de vrais saints d’aujourd’hui, qui à force de patience, d’amour bourru et d’abnégation, portent la misère fraternelle de demain dans ce monde promis à une diversité heureuse obligatoire. Exactement l’inverse, hélas, de ce que le réel nous flanque chaque jour au visage à chaque coin de rue.

Il est certain que le rôle du cinéma n’est pas forcément de mettre ses pas dans celui du réel. Nous faire rêver est certes louable et souhaitable. Mais illustrer des thématiques sociales en les faisant entrer dans les chaussures trop étroites d’une idéologie et d’un modèle politique trop voyant, ne peut que le desservir.

Vincent Cassel y est malgré tout excellent. Les autres aussi. J’ai pu capter finalement le nom des réalisateurs : Eric Toledano et Olivier Nakache.

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4 Avril

A Bernard :

C’est vrai qu’il y a tant à dire que je ne peux m’empêcher de commenter le monde et le pays fantastique où nous vivons. Je me traîne tellement dans le Goulag que j’ai parfois envie de m’évader, de franchir les barbelés. Il me reste moins de cent pages. Rien ne nous est épargné : les coups, les privations, les nuits debout sans dormir dans des cellules de cinquante centimètres de long et de large, dans le noir, à devenir fou. Je ne parle pas même des claustrophobes. Et dire que lors de sa parution les sceptiques furent nombreux…de Beauvoir est allé jusqu’à dire « ça ne changera pas notre idée de la construction indéniable de ce pays qui est enfin sorti du monde des exploités »…

La longueur de l’ouvrage fait que j’accumule les lectures à venir. Gomorra notamment, de Saviano, qui récidive avec le récit détaillé de l’assassinat du juge Falcone.

Avec la chaleur qui vient progressivement, les nuages du matin ont moins d’intérêt.

Dans une semaine nous serons soit à Vieste soit à Matera. On roulera avec une petite Toyota.

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5 Avril

A Bernard :

Avril est déjà commencé, c’est affolant ! Départ mercredi. Je ne sais plus trop à quelle heure. Escale à Rome et arrivée un peu plus tard à Bari. Puis on prend la route (j’espère qu’on ne perdra pas trop de temps pour la location déjà faite d’une petite cylindrée). Avec une immatriculation italienne on risque moins les PV (360 euros la dernière fois). Les italiens ne ménagent pas les immatriculations étrangères et tous les prétextes sont bons. On fera une petite halte à Trani en remontant vers le parc régional du Gargano. Première nuit dans la petite ville presqu’île de Vieste.

J’aurai terminé d’ici ce mercredi l’archipel infernal. Soljenitsyne ne nous épargne rien. Chaque chapitre traitant soit de la maladie des prisonniers, soit du rôle des gardes-chiourmes dans les camps, soit des femmes à la merci des hommes redevenus animaux etc. Chaque chapitre traitant donc jusqu’à épuisement les misères de 10 à 25 ans renouvelables parfois de l’existence en enfer. On s’achemine vers la mort de Staline, mais ça continuera encore quelques temps.

Pour changer, à mon retour j’ai « Gomorra » de Saviano qui attend. Pour y retrouver encore Naples. Saviano vient de sortir un récit très documenté sur le juge Falcone. Je reste fasciné par cette région, cette ville, et jusque dans le labyrinthe de sa vie subversive.

Nous allons plus tranquillement dans des lieux plus sereins. Pour Matera ce sera 3 nuits. Histoire de ne rien manquer. Ni du lever ni du coucher, ni des moindres recoins.

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6 Avril

A Bernard :

Bravo pour ce calcul de Science et Avenir. Nous sommes donc dans la parfaite année trinitaire. On ne voit pas pour autant l’année s’éclairer plus que ça. Et pourtant ça creuse en tous sens. Peut-être mal.

Le Soljenitsyne a attendu aussi dans mes cartons trois ou quatre ans, puis je l’ai saisi à défaut d’un autre ouvrage. Aucune parmi les lectures en retard ne me tentait plus que ça. C’est souvent le problème quand on ne se rue pas immédiatement sur le dernier livre acquis. Il faudrait toujours prendre le livre qu’on vient d’acheter dans l’élan du désir. Après on s’entortille un peu en hésitations et certains livres achetés sous coup de foudre, ne se lisent que longtemps après. C’est mon triste défaut d’accumulation. C’est pire encore avec les musiques (que je ne conçois que sur supports physiques) que je décèle parfois longtemps après.

Quant au « Goulag », c’est vrai que c’est un ouvrage/témoignage qui porte un fond exceptionnel de charge émotionnelle. Quant au style, c’est très médiocre, peut-être parce que de ce russe écrit dans des conditions inhabituelles, quatre traducteurs se sont mis à la tâche. Ça se lit donc plutôt comme un document d’exception sur une réalité d’exception. Je ne pense pas que Poutine « ait inventé au moins pire ». Sans pour autant lui donner un brevet d’humanité démocratique. Ce qui serait beaucoup demandé. Toujours est-il que de Lénine en Staline les records en ignominie sont toujours debout (goulag commencé dès 1919 !). Et figure toi que ces désastres humanitaires étaient motivés par le souci de rendement économique et la scélérate idée de contrevenir tout à la fois aux opposants possibles (opposant à quoi ? certains étaient illettrés) et à une main d’œuvre gratuite à l’échelle d’un continent. Un esclavagisme que même les pires esclavagistes des 17 et 18° n’avaient pensé à réduire en esclaves leur propre peuple.

On n’a pas beaucoup progressé : l’Europe version fédérale n’existe que comme conglomérat ayant promis la fin de l’Histoire par le libre-échange et la mondialisation heureuse, et nous trouvons sous le tapis le retour de la puissance, de la force brutale et des impérialismes qui se jettent sur la moindre faiblesse. Et pas que d’un côté. On a l’impression qu’on arrive à un point où les trois empires potentiels s’éveillent en un même élan. Une vraie chaudière où l’Europe demeure impuissante et hémiplégique voire schizophrène : l’Allemagne achète des avions américains, pour vendre ses Mercédès aux mêmes américains, l’Europe sacrifie l’agriculture française sur l’autel du Mercosur (toujours pour des Mercédès en Argentine et au Brésil). Bref, jusqu’à quand tant de (fausse) naïveté et d’hypocrisie ? Air Liquid et Schneider qui sont les industries françaises les plus performantes au monde dans leur domaine sont taxées d’un côté de l’Atlantique, et nullement encouragées de l’autre par nos amis européens… Quant à la Défense, nous n’arrivons pas même à faire respecter la loi dans les banlieues du narco trafic. On déplace des écoles primaires devant l’ampleur des deals. Quant à l’Algérie, affaire en cours. Nous en sommes aux courbatures des courbettes…

Je viens de commencer le dernier Dominique Fernandez « l’Italie Buissonnière ». Il s’agit d’un ouvrage sur les escapades en dehors des sentiers battus artistiques. Un peu comme je l’ai souvent fait à la découverte de telle Vierge en bois dans le fin fond de l’Auvergne, ou de tel ruines d’architecture au fond des vallons de l’Aveyron etc. Fernandez commence par le sud, la Sicile, et remontera jusqu’aux limites de l’Italie du Nord. Et bien figure toi qu’à propos de drône, il y a dès les premières pages un lieu que j’ignorais : Gibellina. Gibellina Vecchia, Gibellina Nuova. Une cité ayant été détruite par un séisme violent, reconstruite en béton, du moins les rues et les murs à découvert, comme un extraordinaire labyrinthe, genre Mycènes ou Pompéi artificielles. Vue du ciel c’est époustouflant, dans les travées mêmes, on est dans de la pure sublimation historico poétique. C’est l’oeuvre de Alberto Burri qui fait passer Christo pour un plaisantin. Je crois que pour les photographies à drônes on ne peut mieux rêver. Ça se trouve dans l’Ouest de la Sicile, vers Trapani, enserré de montagnes et d’oliviers alentours. Xenakis y a donné le spectacle nocturne de son Orestie. Tu peux voir quelques aperçus de Gibellina sur le net.

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17 Avril

A Bernard :

Nous sommes arrivés assez tard hier soir. La correspondance Rome/Nice nous laissait juste de quoi courir d’un quai à l’autre pour l’embarquement. Enfin, on l’a eue de justesse.

Je suis encore tellement crevé que je vais me reposer un jour ou deux avant de reprendre toutes mes notes.

On a eu la chance d’avoir le soleil tout le long de ce séjour, sauf les deux derniers jours. Les images de la côte, photographiées avant la pluie montrent bien l’émeraude de la mer aux lieux dit de la Grotta della Poesia et de la Torre Sanandrea au sud de Lecce. Je t’enverrai les images.

Il y a une séquence malerei qui pourrait témoigner de ces quelques jours.

Je m’en vais reprendre un peu le rythme d’ici.

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C’est Hélène qui vient nous chercher à l’aéroport après ce Bari/Nice et sa correspondance à Rome bien éprouvante nerveusement. Dans les vols de courtes distances, on ne nous sert plus même un verre à boire et les espaces à l’intérieur sont de plus en plus réduits.

Il pleut sur Nice depuis plusieurs jours. Nous avons été chanceux.

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POUILLES         (9/16 Avril)

Lorsque Charles Gounod découvrit Naples, il sut pourquoi il avait aimé Rome. Tout à l’opposé, Berlioz quittant pour une brève escapade la Villa Médicis de Rome, eut la révélation de l’effervescence napolitaine. Il s’ensuivit chez l’un une musique plutôt vieillie et chez l’autre des fulgurances proprement volcaniques. C’est aujourd’hui dans un décor bien différent que les routes, au sortir de Bari et d’un rêve romain ou napolitain, s’avèrent bien monotones, où les paysages, certes, sont loin de se révéler les plus avenants d’Italie. De larges plaines parsemées d’habitats isolés, de maisons ruinées, taguées, laissées au bord des routes côtières, avec la mer que nous longeons à distance. De longues lignes droites et plates, jusqu’à Foggia, avant d’entrer dans le tortueux parc régional du Gargano.  Une trentaine de kilomètres dans des forêts d’oliviers et au-dessous de nous, fugitivement, suivant les perspectives et les lacets de la route, les eaux émeraudes d’une côte rocheuse. Puis soudain, comme apparaissant en un prélude inaugural, l’image du promontoire élancé sur toute sa longueur de la ville de Vieste, comme saupoudrée d’un sel posé sur sa presqu’île, blanche et placide depuis des siècles.

Nous sommes, depuis Bari, dans le talon de la botte italienne, sorte de face cachée de la lune touristique.

Saupoudrée de sel diaphane, telle apparaît la ville sur son promontoire à flanc de rochers, long comme une lame effilée depuis l’entrée de la ville historique. C’est du côté est que la perspective tout en longueur prend toute son extraordinaire beauté. C’est au crépuscule aussi que la lumière prend tout son sens. Dans la blancheur et les ombres contrastant sur tout le flanc depuis le haut de la ville jusqu’à l’église San Francesco qui semble faire face au destin de la cité et donner le dos à la mer, à la pointe la plus étroite et extrême de ce banc de terre péninsulaire. Comme une meringue rêvée, une harmonie de gâteau suspendu.

Depuis la Place Garibaldi où nous sommes logés, du balcon s’ouvre la ville blanche dont on aperçoit les premiers lacis qui traversent le cœur encore invisible de la cité ancienne.

Vieste est un coup de cœur presque prévisible. Tout y parle immédiatement du sud, et d’un sud qui n’est pas l’opulence ensoleillée et démesurée de la côte napolitaine au point d’orgue panoramique du Vésuve sur Naples, mais une blancheur où les masses noires des vieux à moustaches aux regard vifs et curieux, tranchent tout le long des murs des rues. Des grappes de pépés vêtus de sombre, comme issus de clans divers où les femmes semblent exclues, des gens d’ici depuis toujours qui continuent leur histoire hors du temps, chapeaux vissés sur le front, où tout simplement se traduit l’étonnement de voir déjà apparaître les premiers visiteurs saisonniers dans les lieux de leur enfance. C’est le sud comme on l’imagine, pleins de ses secrets et de silence contenus.

L’entrée dans la vieille cité se fait un peu au hasard des ruelles, mais la logique veut que pour atteindre le fameux point de vue sur le flanc crépusculaire, sur toute sa longueur, il faut monter au plus haut. Après avoir atteint le Castello Svevo aragonese très largement démantelé, ouvert sur une large place, on redescend à la Chianca Amara d’où la vue est imprenable. « Pierre amère » où les ottomans massacrèrent les habitants ne pouvant être vendus comme esclaves !

Depuis un escalier, donnant le meilleur angle sur la péninsule, on aperçoit distinctement les maisons blanches, à flanc de falaise, l’anse formé autour de petites criques, le trabucco et l’église San Francesco en point d’orgue tout au bout du paysage. La perspective permet de saisir le foisonnement de cactus et de buissons épineux accrochés au promontoire. Par de subtils dédales on atteint la cathédrale romane Santa Maria Assunta, puis par les rues perpendiculaires au flanc du promontoire, on est saisi par l’étroitesse de celles-ci reliant par des arcs de pierre les maisons de part et d’autre, soulignant la clarté ouverte sur le ciel. On achève la promenade le long de la Via Ripe.

La nuit tombée, au sortir de la trattoria de la Piazza Garibaldi, il est clair que la saison est encore dans l’engourdissement et la frilosité. Les ruelles tout à l’heure blanches sont à présent jaunies par les éclairages violents sur de larges places endormies, aux restaurants fermés, aux chaises empilées, semblant un vaste décor blafard et fascinant dans sa nudité attendant de se réveiller, où l’on croise de loin en loin quelques passants furtivement égarés.

Nous achevons la promenade sous la lumière bleue du rivage aux vagues régulières, avec la perspective de l’église San Francesco fantomatique sous ses lumières blanches de lampions, comme vigile sur la cité.

Les pugliese , les gens d’ici, semblent prévenant et vivre au rythme agréable de cette cité enchanteresse. Notre hôtesse n’en finit pas de sourire et de répondre à toutes sortes d’attentes de notre part. Ce matin, devant l’absence de table suffisamment grande, c’est sur un chariot à roulettes et un large fauteuil à dossier haut quasi directorial, de faux cuir blanc, qu’elle vient nous servir un petit déjeuner somptueux.

Ce matin de notre deuxième jour ici, la lumière a fléchi, le ciel est gris, quelques embruns de pluie pulvérisée changent la physionomie radieuse de la veille. Les couleurs demeurent néanmoins tranchantes et mates. Les murs jaunes et gris, les écailles apparentes gardent le charme des couleurs qui, se métamorphosant se renouvellent dans la beauté. Les dédales nous mènent vers San Francesco, tout à l’extrémité de la péninsule. Derrière, c’est la mer, et le phare. L’église se présente, solitaire comme un dernier rempart à l’’extrême pointe de la péninsule, sur une esplanade d’où l’on peut admirer et embrasser, depuis le parvis, la ville qui s’accroche sur son promontoire rocheux, en légère déclivité vers l’intérieur des terres. Apparaissent cette fois dans une lumière opposée à celle d’hier soir, l’église romane, les maisons d’ocres jaunes et rouges, et l’on peut même deviner tout en haut d’où nous étions hier, les marches d’escalier qui rendent le plus beau point de vue sur la ville.

L’eau est noire ce matin et sur le chemin de ronde ou si ce n’est un chemin de ronde, au flanc de l’église, le sentier de promenade longeant à fleur d’eau le pourtour de la rive, un magnifique trabucco dans l’axe du lever de soleil encore légèrement voilé. Les trabucchi sont une spécialité des côtes escarpées d’Adriatique, notamment entre Vieste et Peschici plus au nord. Ce sont d’étranges plates-formes en bois à l’image de cabanes enfantines, dénuées de tout artifice qui tiennent au-dessus des flots de larges filets tendus sur une armature plane de plusieurs mètres carrés, filets descendus et remontés à l’aide d’un treuil à contrepoids. Pêche ancestrale et sédentaire, puisqu’il n’est plus besoin de traîner ses filets en mer, c’est une technique qui connaît un certain cousinage, la pêche au carrelet, sur le littoral Atlantique français.

Le Padre Pio se révèle de plus en plus présent dans les rue de Vieste, et nous continuerons à voir son effigie loin encore dans les villes et villages de la région. Un magnifique buste se dresse ici au flanc d’une chapelle discrète sur la rue principale traversant le centre de la ville.

A la sortie de Vieste, le soleil s’est miraculeusement levé, et sur la gauche, redescendant vers la route de Bari, apparaît la longue plage de sable dorée et le colosse de calcaire en forme de pain de sucre, comme dressé au pied de l’entrée de la ville et désolidarisé de tout le flanc de colline calcaire bordant la ville au-dessus. La plage est désertée sur des kilomètres, là où bientôt se dresseront des centaines de parasols ordonnés comme autant de soldats protecteurs autour de matelas à farniente. Nous restons un long moment les pieds délicieusement enfoncés sur ces sables faciles à la couleur pain d’épice, les yeux tout là-haut dressés vers le fabuleux colosse de Pizzomunno avec à l’horizon des bandes de cirrus drus faisant de large mouvement de trainées bleues au-dessus de la mer.

Et le colosse a sa légende. Elle dit que sous son enveloppe gît le cœur tendre de Pizzomunno, un humble pêcheur qui prenait chaque jour la mer à bord de son bateau. Les sirènes tentèrent en vain de l’envoûter par leurs chants, mais il restait fidèle à la belle Christina, qu’elles entraînèrent par dépit dans les abysses. Fou de douleur et de désespoir, l’amoureux se transforma en pierre. Heureusement, selon la légende, les deux amants se retrouvent tous les cent ans pour une nuit passionnée.

C’est en sens inverse, du moins jusqu’à Foggia, que nous traversons la route aux paysages impersonnels et monotones en direction de Trani.

La pointe élevée du clocher de la cathédrale nous guide presque dans le centre-ville tortueux, tout en se repérant aussi par des échappés de mer à l’intersection de rues étroites. Une particularité de la cathédrale de Bari, est qu’elle n’occupe pas, contrairement à sa position naturelle, le cœur de la ville ou peu s’en faut, mais se situe ici de façon excentrée au bord de la mer, sur une vaste esplanade, comme en exposition privilégiée pour les visiteurs que nous sommes. Comme à l’écart, et pour mieux s’imposer. Car en effet nous ne retiendrons de Trani que cette merveilleuse esplanade protégée que n’approcheront, ni de loin, ni de près, aucun véhicule au pied de la cathédrale, ni aucun signe de notre monde contemporain. Comme du temps où elle fut conçue.

Quelques rares ombres fugitives à l’heure éloquente de midi traversent la large place, descendent vers le rivage en contrebas et disparaissent en silence. La cathédrale est vraiment élevée. Elle aurait été conçu aux évènements concernant Nicolas le Pèlerin au cours de la période de domination normande. L’histoire raconte qu’il débarque à Trani après avoir été maltraité et que plusieurs miracles se produisent avant et après sa mort. Commencée à la fin du XII° siècle, la cathédrale est consacrée en 1143 avant même d’avoir été achevée. Ce n’est qu’en 1200 sous l’impulsion de l’évêque Bertrand II que l’édifice sera achevé à l’exception du clocher.

Midi, l’heure éloquente du silence dans la ville, mais aussi de la fermeture de l’édifice. Nous ne verrons que l’imposant portail de bronze vert ouvragé et massif, encadré de part et d’autre de lions gardiens des lieux. Ce sont deux lions, d’une série inattendue, que l’on verra désormais dans l’encadrement de maints édifices dans la région. Soit seuls, soit dévorants quelque humain sous le poids de leur corps. A cette heure, je n’en ai pas trouvé la signification et encore moins compris la systématisation de ces gardiens de cathédrales dans les Pouilles.

La ville semble ralentie à cette heure, quelques belles places négligées mais fort bien dessinées s’offrent à la découverte. Peu de bistrots où prendre un verre, pour ne pas dire aucun sinon au cœur d’une de ces jolies places où l’on sert le vin de la région. La culture de la terrasse et de la libre consommation n’est irréversiblement pas dans la culture italienne.

C’est vers Bitonto que nous poursuivons par une campagne assez désolée, tant par l’uniformité que le manque d’imagination de la nature dans ce sud qui s’essouffle, plat et monotone. Bitonto, sur le parcours, est une anarchie de constructions contemporaines, sales et assez désolantes qui font penser étrangement que la municipalité est aux mains de progressistes fervents, tant les véhicules saturent les rues au point d’avoir à peine de quoi s’engager à l’angle de celle-ci parmi les stationnements en dépit du bon sens.

Le centre historique occupe un espace qui semble plus un aménagement pour rares curieux qu’un centre actif et attractif, indifférent au tumulte de l’environnement. On ne peut pénétrer dans la belle cathédrale gothique de type toscan. Elle possède de très sobres surfaces murales à arcades supérieures animées par des personnages fantastiques autant que par des saints disséminés tout là-haut. Alentour et dans un périmètre assez timide, quelques belles demeures anciennes, de type Renaissance, somnolent dans leur vert de gris.

BASILICATE

Et puis c’est le passage tout symbolique de la région des Pouilles à celle de la Basilicate en grimpant dans l’intérieur du pays. Altamura sur notre droite, sur la route de Matera.

La ville historique est très nettement délimitée par des murs d’enceinte. L’entrée se fait par une large porte sur une longue ruelle montante jusqu’à cette cathédrale opulente bien que défigurée par de gigantesques travaux de ravalement et d’aménagements des chaussées. Ce n’est pas la seule ville à faire subir ces désagréments sonores et visuels. Ce sont les mois de printemps qui préludent à l’été et au toilettage indispensable à la saison active, mais aussi probablement à des années de négligences.

Le portail d’entrée est comme je l’avais soupçonné, encadré par deux lions aux piliers de part et d’autre. Deux lions cette fois rugissant, gueule ouverte. Le portail lui-même, très richement encadré de motifs sculpturaux sur toute la surface de pierre qui invite à l’entrée. Des motifs végétaux, animaux, mais surtout, une Annonciation partagée en deux épisodes : l’ange annonciateur dans la niche gauche de l’entrée et la Vierge en adoration sur la droite, les bras croisés sur la poitrine en signe d’humilité. Au-dessus, au tympan, une Vierge en Gloire dominant la Cène de plus petite proportion.

L’intérieur est saturé de boiseries colorées aux plafonds compartimentés de diverses dimensions, aux caissons plats et marquetés, comme on en verra presque partout dans la région.

Derrière l’autel, visible depuis l’entrée de la nef, une magnifique Ascension de la Vierge, peinte par un certain Castellano en 1546, et au premier plan, au-dessous, un Christ en bois polychrome d’époque romane.

La visite est complétée par une inattendue crèche aux personnages à dimensions humaines ou presque, saisis dans des postures très réalistes.

La ville eut pu donner un visage plus séduisant si ce n’était ces nuages de poussière et ces éclats bourdonnants et chaotiques d’une cité en rénovation. Peut-être une autre fois.

Et puis soudain, au détour d’un virage : Matera Nord ! et un peu plus loin, une autre échappée, Matera Sud !

Bien que prévoyant un minimum les voyages et l’organisation des séjours, tant en Italie qu’en France, je ne m’étais encore jamais soucié de l’arrivée à Matera. Il allait de soi que Matera, comme Conques ou Collonges-la-Rouge, ou Rocamadour, apparaitrait comme un écrin au faîte d’un paysage conçu pour elle. Comme une harmonie absolue dans un paysage absolu. Une Matera antique sortie du néant au détour d’un virage, avec soudain, l’apparition !

Et puis voilà que Matera Nord se présentait à nous. A l’orée d’une grande ville, d’une ville banale !

On m’avait pourtant dit : « c’est l’une des rares villes au monde qui a été habitée de manière continue pendant la préhistoire. Depuis 1993, le vaste quartier des « sassi », le cœur de la ville antique, et le parc des églises rupestres, font parties du patrimoine mondial de l’UNESCO, qui les a définis comme l’une des structures urbaines organisées les plus incroyables au monde, un chef d’œuvre absolu du génie et de la capacité d’adaptation…La ville des sassis est aujourd’hui le lieu idéal où vous n’avez qu’à traverser les rues étroites où les maisons se chevauchent, s’ouvrant sur des cours, des escaliers, des allées et des places. Vous plongerez dans d’incroyables églises rupestres avec plus de cent cinquante lieux de cultes creusés dans la roche et vous trouverez des fresques de pierre gardée dans un silence profond »…

On a dit aussi que seule Alep… mais elle est maintenant détruite. Puis aussi une certaine ville millénaire en Irak…

Mais voilà, nous sommes maintenant dans une ville inattendue, une ville comme une autre, et nous avons rendez-vous avec un quidam pour la remise des clés et un numéro de téléphone qui ne répond pas. Et qui finit par répondre. Une voix de l’autre monde, dont on se sait si elle a la vieillesse des temps anciens ou si elle s’est fêlée un jour.

La voix finit par apparaître et nous rejoindre devant un parking sous terrain.

« Je suis Antonello » C’est l’apparition du « simple » biblique qu’on pourrait intituler en un tableau de circonstance, pour faire plus biblique que biblique, « le simple à la remise des clés ». Personnages parlant dans une même phrase, une improvisation d’italien, d’anglais et d’un français appris il y a longtemps. Il nous assure qu’avec la protection d’Antonello, la police ne nous verbalisera pas, que le chemin depuis la maison où nous serons logés, jusqu’à la voiture que nous laissons devant le commissariat, sera facile à retrouver (!)

C’est par la longue Via Stigliani où flotte le drapeau italien ouvrant sur les archives municipales que le paysage va se métamorphoser peu à peu. A main droite un square. Le temps d’emprunter quelques dédales descendant d’un chemin pavé ou plutôt composé de tessons de pierres concassées de couleurs que l’on parvient devant la maison. Nous sommes déjà dans un décor hors du monde. A quelques cent mètres peut-être de la ville que nous venons de quitter. Antonello nous introduit dans l’appartement que nous avons loué. Ouvrant grand la fenêtre de la pièce principale, c’est toute la panoramique de Matera la biblique, Matera l’antique, qui s’ouvre à nos yeux !

En fait la ville ancienne, la ville intemporelle s’est laissée approchée progressivement par la ville nouvelle jusqu’à la tutoyer en ses premiers méandres. La Matera éternelle s’avère maintenant être structurée en un cirque ou un amphithéâtre profondément ancré en creux, en panoramique, comme Gavarnie, projetée comme sur un écran large avec, à l’heure où nous découvrons stupéfait ce paysage unique, la pierre plongée pour partie dans l’ombre grise des reliefs des maisons et des ruelles informelles, et tout là-haut, comme défiant la position haute où s’ouvre notre fenêtre, le Duomo et la partie supérieure de la colline, dans sa lumière chaude et brûlante de crépuscule.

Aucun paysage urbain rêvé dans les plus luxueux palaces ne pourraient envisager de proposer à ses clients les plus fortunés fussent-ils des princes ou des rois du cinéma, plus spectaculaire ouverture de fenêtre.

Avec le spectacle des heures changeantes du jour et de la nuit.

Antonello nous dit que les voûtes de la maison sont taillées dans le tuffeau et que celles-ci craignent l’humidité et la vapeur des cuissons. Nous voici plongés aux heures anciennes de l’habitat de la Matera antique. Avec le confort moderne.

On ne se lasse de voir la lumière évoluer depuis le chant crépusculaire jaune et quasi lyrique jusqu’à la nuit descendant doucement dans des tonalités de gris bleu et de voir apparaître, dans un ciel limpide, une lune ronde défiant sur son flanc le clocher du Dôme. Matera s’est recouverte de silence. Les premières lueurs de la ville apparaissent.

Puisque je fais allusion au panoramique et à l’exceptionnelle disposition structurelle de cette cité, je rappelle que le cinéma n’a pas manqué de profiter des avantages naturels à situer ses décors dans de tels reliefs. Le premier, dès 1964, qui s’empara de Matera fut Pier Paolo Pasolini pour son « Evangile selon Saint Matthieu » tourné en noir et blanc, ce qui à rebours me paraît plus encore plonger Matera dans une sacralité dénuée de tout artifice. Beaucoup d’autres vinrent encore, jusqu’à Mel Gibson et sa « Passion du Christ » au début de ce siècle.

Antonello, avant de nous quitter, avait dit : « Da Nico , allez-y de ma part, vous y serez traité comme chez moi, et vous y serez chez vous »

Maintenant les lumières rendent les rues fantomatiques. Les éclairages exposent les maisons, les perspectives dans un rapport chromatique halluciné de mauves et de gris, de bleu d’outremer et de jaune blafard. Nous entreprenons la descente vers le cœur de la cité, au travers du silence des venelles, de ruelles voûtés et d’incessantes séries d’escaliers vers la via Fiorentini, formant saillie au creux d’un vallon naturel.

« Le Boteghe » (les bouteilles) prend une place importante dans cette rue avec l’avantage d’une petite terrasse. Le vin du pays y est excellent, mais comme souvent, le bouquet prometteur fait place à une finale légère et sans consistance. C’est le pugliese dans sa modestie et son naturel. Qui pourrait lui en faire grief ?

C’est là qu’on trouve des caveaux entiers de vins d’ici. Comment les italiens peuvent-ils faire autant de vins de petits propriétaires dont aucun ne franchit l’anonymat des limites de la région ?

« Le Boteghe » est juste à côté de chez Nico dont on aperçoit l’enseigne rouge à quelques pas de là. Nous n’y serons peut-être pas traités comme chez Antonello, mais tout paraît confectionné selon le savoir local. Nous sommes renseignés par Fabiola qui conseille de prendre prochainement le touk-touk de Donato. Il parle Français couramment et manie à longueur de journée la petite pétrolette touristique qui fait visiter les moindres recoins de Matera. Elle ne peut faire voyager que deux personnes à la fois.

Par d’autres ruelles fantômes à cette heure, la via d’Addozio conduit à l’église San Agostino aux confins des Sassi Barisano. Depuis l’épingle à cheveux où elle se situe on a une perspective classique de la cité dans son nocturne. Quelques marches d’escalier plus haut, avant de rejoindre notre via San Rocco, c’est San Pietro Barisano et sa statue d’ange échevelé, à la renverse, les bras largement ouvert vers le ciel.

Le lendemain, au lever, le soleil est éblouissant. La montée vers le Dôme est raide, d’autant que les diverses rues qui se croisent, montantes ou descendantes, demeurent toutes pavés de ces pierres concassés et rapidement douloureuses pour les pieds.

Depuis le parapet de la Place du Dôme, c’est toute la ville qu’on embrasse du regard. Mais cette fois à l’opposé de notre perspective d’hier soir. Le soleil du matin éclaire maintenant de manière éblouissante la partie de la colline d’où nous sommes arrivés. Au loin on aperçoit tout petit, mais comme point de repère, le drapeau italien de la via Stigliani, et nous passons de longues minutes à tenter de situer où se trouve la maison d’Antonello. C’est à peu près ce que font tous les curieux qui comme nous, cherchent le lieu, l’hôtel de leur résidence, parmi le lacis des ruelles disparaissant entre les diverses architectures qui s’offrent à nos yeux. La densité de lumière annule en effet le relief réel des habitations pour ne présenter, dans ce panorama grandiose qu’une variété infinie de nuances de bruns et d’architectures saturées de jaunes. Finalement on aperçoit distinctement la fenêtre au balcon de fins barreaux verticaux et à sa gauche la petite fenêtre donnant sur la chambre d’enfant. Le toit apparait également voûté, suivant la forme en berceau que l’on retrouve dans la chambre principale. C’est un vrai plaisir de situer, parmi la profusion des maisons à l’informité de la pierre antique, l’endroit où nous séjournons.

Le Duomo, dédié à la Visitation, remonte au XIII° siècle et a été bâti après que la ville eut transformé Matera en archevêché. C’est ici que sont célébrés les cultes de la Madonna delle Bruna et de Saint Eustache, les deux protecteurs de la ville. Le style roman-apulien toujours visible à l’extérieur, tandis que les décorations et l’architecture intérieure présentent toutes les caractéristiques de la période médiévale. Au portail principal se trouve la statue de la Madonna della Bruna, tandis que sur les côtés, apparaissent, Saint Pierre à droite, et Saint Paul à gauche, mais aussi le bas-relief de Saint Eustache. L’imposante rosace romane rappelle le thème de la roue de la fortune. L’intérieur à trois nef se caractérise par une variété de chapiteaux remontant à la fondation de l’église. De riches décorations du XVI° et des œuvres en pierre dont la Madonna della Bruna et celle du Jugement Dernier. Le plafond en bois plat, comme souvent est ici d’un chromatisme exubérant.

C’est en redescendant de ce sommet de la colline, par de tortueuses ruelles, qu’on aperçoit sur une vaste esplanade, San Pietro Caveoso, bâti dans le Sasso du même nom au début du XIII° siècle sur une pente surplombant la rivière Gravina. San Pietro était une des quatre églises paroissiales de Matera avec la Cathédrale, San Giovanni Battista et San Pietro Barisano. La façade est caractérisée par trois portail d’inspiration baroque, chacun surmonté d’une niche avec une statue, la Vierge, saint Pierre et à droite saint Paul. Ce qui m’aura intéressé particulièrement et que personnes ne semble avoir remarqué, c’est la qualité des chapiteaux figurés de belles dimensions et aux attitudes particulièrement réalistes, que seuls rendent les appareils permettant de zoomer avec fiabilité. On y devine des personnages, interrogatifs (il y en a un qui semble perplexe, se triturant la barbichette, d’autres se grattant le menton en signe d’interrogation) du plus bel effet.

Dans l’une des chapelles latérales, la beauté de l’ange et celle de la Vierge est tellement remarquable qu’on aurait pu les isoler à l’admiration de tous. Les plafonds plats des trois nefs sont particulièrement riches en scènes historiées.

Depuis San Pietro et sa vaste esplanade, on voit au-dessous de nous, la gorge qui voit couler la Gravina et tout là-haut, les différentes grottes au nombre incalculable comme autant de porosités creusées dans la pierre tendre. Depuis la rivière et le pont fait de lianes et d’autres composants rudimentaires, le chemin, comme un col de haute montagne, abrupt et en lacets, révèle les quelques courageux qu’on aperçoit de loin en loin telles des fourmis qui se dirigent vers les cavités.

… Par de même ruelles tortueuses, rencontrant des murs d’ocres, d’anciennes demeures de maîtres, comme de modestes habitations, jusqu’à cet immense éperon rocheux comme sorti d’un éboulis cosmique où se situe l’entrée de San Giovanni in Monterrone et Santa Maria « de Idris ».

Les noms même nous rappellent que nous sommes loin des saints et des appellations habituelles des régions plus au Nord. L’influence byzantine et les sources d’inspirations locales prévalent, particulièrement dans ces cavités. Plus qu’à tout autre endroit, nous sommes ici en terre biblique. Un décorum unique où on pourrait voir surgir, sur l’esplanade qui mène à Santa Maria de Idris, Saint Etienne et ceux qui lui jetèrent les premières pierres sans qu’on soit plus étonnés que cela.

Le caractère austère et tout à la fois aéré de ces lieux peut aussi plonger l’imagination au temps des catacombes où la foi épousait le mystère et la douce protection des pierres.

Le complexe actuel dans ce sasso caveoso caractérise l’une des plus fortes images de la Matera secrète. Les deux églises où nous pénétrons sont presque complètement creusées dans la roche. On ne peut laisser pénétrer que quatre personnes à la fois. Santa Maria de Idris doit son nom au XIV° siècle à la présence de citerne et de bassins de collecte d’eau. Le maître-autel est surmonté de la fresque de la Vierge avec les « mezzine », les cruches utilisées pour la conservation de l’eau, à ses pieds.

Les peintures murales figurent des prophètes dans les saillies supérieures qui surmontent une arche. A la droite de la Madone d’Idris, la scène de la Conversion de Saint Eustache patron de la ville. Sur les parois latérales, une Nativité. Encore à droite, Saint Antoine de Padoue, à gauche de l’autel, Saint Michel Archange. Une porte à gauche du maître autel permet de rejoindre l’église voisine de San Giovanni di Monteronne qui conserve un cycle de fresques tout à fait inouï.

C’est un petit passage qui permet de pénétrer dans la seconde église depuis le début du XIX° siècle Dédiée à Saint Jean Baptiste, elle date du XII° mais aurait été passablement remaniée.

En entrant, à gauche, un Christ Pantocrator des 12 et 13 °, exemple notable du partage étroit des deux églises latine et orientale. A côté un saint moine du XII° porte une tunique. Je pense à Saint Benoît dont l’iconographie traditionnelle le représente souvent avec une capuche.

Plus loin encore Saint Michel et saint Nicolas, puis une magnifique niche avec à droite les fresques de Saint Pierre et saint Jacques le Majeur.

A gauche une Annonciation et au-dessus un Baptême du Christ dans le Jourdain.

Ces images de l’Annonciation sont d’autant plus fortes et belles qu’il est interdit de photographier en ces lieux où j’aurais tout de même réussi à « voler » quelques clichés dont je serais probablement pardonné…

En redescendant de ces colosses de pierres, on rejoint la Via Buozzi qui s’élargit tout en présentant une légère déclivité montante. Les pavés y sont presque civilisés. La lumière de fin de matinée rend parfaitement l’angulosité des maisons et l’austérité de ces pierres uniformément brunes et dorées. On croirait avec l’intensité de la lumière à quelque illusion de décor artificiel. Cette Via est comme la ligne de partage entre toutes les ruelles de part et d’autre du vallon partant de la Piazza San Pietro. Nous y prenons un verre sur une petite terrasse ombragée, le temps de souffler après l’austérité des églises du dessus. Cette Via Buozzi rejoint la Via Ridola à hauteur du Palazzo Lanfranchi, Via qui constitue la lisière jouxtant la ville nouvelle. Maintenant les terrasses de café et les restaurants abondent, le caractère de Matera se fondant en douceur à la ville extérieure.

Depuis un parapet, près du Palais Lanfranchi, c’est une perspective nouvelle qui s’ouvre depuis ce balcon panoramique et un éclairage de plein midi, la ville devenue grise et blanche avec des trouées vertes sur fond d’azur saturé.

Un accordéon égrène de vieilles mélopées qui s’évanouissent dans le vallon.

L’église Santa Chiara présente dès l’entrée un immense Christ de bois, plus grand que nature, enveloppé d’un linceul rouge transparent laissant apparaître un corps torturé, sanguinolent, presque choquant et inapproprié au seuil de l’église, à la Grünewald. Plus loin et tout le long de la nef, les tableaux sont également recouvert d’un tissu de façon à ce qu’aucune peinture, même les plus grandes, ne soient visibles ! Il aura fallu le temps d’une certaine perplexité avant de comprendre que cette mise en deuil de tout le décorum artistique était le fait de la semaine sainte. En Italie du Sud, comme en Espagne, on ne néglige pas le cérémonial doloriste. On a même cru l’espace d’un moment, et d’une folle illusion, que l’église avait été sécularisé, voire « prostestantisée » !  On en sourit encore…

Tout au bout de la Via Ridola, à l’angle de la Via San Francesco, se trouve cette étrange église du Purgatorio. D’un baroque étrange, par son architecture, sa façade faisant penser plutôt à un chevet à la rondeur légèrement convexe. L’intérieur qu’on aura aperçu de façon fugitive (une partie de l’édifice présentant une exposition qu’on n’a pas voulu troubler), présente un magnifique plan en forme de croix grecque défini par quatre paires de colonnes qui soutiennent un dôme en bois aux dominantes de vert amande, des évangélistes et de divers pères de l’Eglise.

C’est par la Via San Francesco qu’on débouche sur la très belle Piazza Del Sedile, qu’on entend les bribes de phrases musicales provenant du Conservatoire, l’entrée et le porche de ce Conservatoire faisant face à un des endroits les plus animée de ce « ring » qui enserre Matera. On y fait halte, cette fois pour la pizza au San Daniele.

La Piazza Veneto est le cœur sensible du flux incessant de la Matera touristique. Les terrasses de café y sont plus fréquentées et au centre on y voit cette « antica riserva idrica scavata nella roccia ». Depuis cette place, on s’oriente soit vers la ville nouvelle et la Via XX Settembre ou, rentrant dans la ville ancienne, via san Biaggio où nous avons rendez-vous à hauteur de l’église San Giovanni avec notre Touk touk Donato.

San Giovanni est probablement l’église la plus emblématique de cette architecture romane apulienne. La seule à rivaliser avec ses sœurs baroques. Réputée depuis l’origine, elle vaut par la structure simplissime et le dépouillé qu’on ne s’attend pas de trouver dans un pays d’exubérance baroque généralisée. Ce qu’on remarque moins, c’est le détail d’un personnage isolé sur la façade à droite de l’entrée, en moyen relief. Il est allongé de tout son long et présente la particularité de lever le poing, comme l’aurait fait avec force et conviction un damné de la terre dans des temps plus proche du nôtre. Une préfiguration prophétiquement léninienne probablement…

Aussi surprenant, deux gargouilles sur le flanc droit, toujours par rapport à l’entrée, composées de deux éléphants, ce qui semble bien rare en un temps où le souvenir d’Hannibal n’a pas forcément marqué la conscience populaire des tailleurs de pierre médiévaux. Ni les récits de Marco Polo, plus proche et plus contemporains de l’époque, mais bien peu connus des artisans maçons.

On l’entend venir de loin la pétrolette. Un moteur deux temps probablement, au son typiquement hoquetant que fait l’engin qui s’immobilise devant San Giovanni. Donato s’exprime en un français tout à fait fluide malgré un accent très prononcé.

Avec le recul, je me suis demandé si cette virée dans le cœur de Matera était bien utile en touk touk ; on sent bien que Donato veut nous mener où il a ses habitudes et surtout nous faire visiter les lieux où ses compère et amis ont quelque chose à vendre. Nous sacrifions à l’achat de deux petites terre cuites décorées de coqs censés représenter l’artisanat local typique. D’autant que ce sont des coqs qui sifflent.

Visiter le musée des miniatures me semble tout aussi inutile. Pourquoi s’extasier devant des reproductions assez malhabiles de la ville lorsqu’on peut profiter de Matera grandeur nature !

Pareillement inutile le musée de l’habitat qui montre les lits, le foyer, les costumes, les coiffes traditionnelles et les divers objets tels qu’on pourrait en rencontrer n’importe où ailleurs.

Donato se met pourtant bien volontiers en quatre, nous décrivant tel mur d’enceinte, telle tour qui servirent autrefois à la défense des hauts de la ville, tel monument parmi les plus bibliques et les mieux conservés depuis la nuit des temps. Il débite tout son savoir de cicerone d’une voix monocorde comme c’est souvent le cas dans la profession, ne faisant pas même semblant de réciter son histoire pour la première fois.

C’est presque avec insistance que je lui fais comprendre que ce sont les églises rupestres qui ont les faveurs de notre curiosité. Comme le touk touk ne peux s’égarer fort loin des axes de circulation, il restait à voir les plus secrètes des églises flanquées au pied de la ville, au versant proche du Sasso Barisano : La Madonna delle Virtù et san Nicola dei Greci. Celle-ci trahissant, par son nom même, ses origines byzantines.

Il faut grimper un moment à même la roche, sur un sentier escarpé pour atteindre ces grottes vivantes de l’art le plus hiératique et le plus monumental qui soit.

Ce complexe rupestre dont les origines remontent à l’an mil est l’un des exemples les plus élaborés de ce qu’on nomme « l’architecture en négatif », c’est-à-dire des lieux procédant de creusements reproduisant les éléments de l’architecture construite. Ce complexe s’étend sur plus de mille trois cent mètres carrés, aménagés sur plusieurs niveaux, dont deux églises comme l’indiquent les noms indissociables de ces lieux. Depuis le chevet, au fond de l’une d’elle apparaissent des personnages magnifiquement hiératiques accolés les uns à côté des autres d’où émergent probablement des saints et des saintes de l’iconostase byzantine. C’est ici qu’auraient été tournées certaines scènes de « La Passion du Christ » de Mel Gibson, dernière inspiration cinématographique en date à Matera.

Donato nous quitte un peu plus loin, à l’entrée de San Agostino, non sans avoir immortaliser un cliché de Cécilia et moi, sur l’une des perspectives des plus classiques de la ville et le Sasso Barisano.

Depuis notre fenêtre ouverte généreusement sur la nuit qui tombe, on ne se lasse pas de la métamorphose permanente de la lumière sur le lacis et les venelles mystérieuses de la ville.

Il fallait bien un troisième jour ici, pour ne pas avoir la désagréable impression de manquer quelque chose dans la ville de toutes les merveilles. A commencer par ce silence matinal qui s’élève depuis la fenêtre grande ouverte. Le silence sur ces reliefs creusés et ridés, comme mordus par le temps. En plissant légèrement les yeux, on pourrait croire à une cité dévastée après un bombardement. Cette Matera porte le poids des ans comme traversée par les griffures et les reliefs creusés autant par une antiquité certaine que par son vécu d’églises secrètes, de crèches rescapées, de grottes cachées et de chemins d’Histoire. Et puis la lumière, s’élevant en hauteur, éclaire en adoucissant les reliefs, et la ville s’éveille doucement.

Contrairement à la veille, c’est aujourd’hui par le chemin inverse que nous rejoignons San Giovanni Battista magnifiquement éclairée, aux éléphants espiègles et à l’homme au poing serré. Et par la Via del Corso nous rejoignons la façade de San Francesco d’Assisi. Ce matin, la Piazza est encore désertée à cette heure où nous y pénétrons. C’est un édifice du XIII°, bien que la façade trahisse un style tout à fait baroque, elle expose une aristocratique intervention probable au XVII° siècle. L’intérieur, avec une nef unique et des chapelles latérales, est orné de peintures d’artistes napolitains.

Et c’est le retour vers les Sassi Caveoso, par Ridola et enfin Buozzi, avant d’affronter sur ses amas de pierres qu’on croirait volcaniques, le haut du sasso, où quelques maisons isolées subsistent, l’entrée vers Santa Lucia alla Malve. Peut-être avec la grotte dei Greci, et San Giovanni in Monterrone, c’est sans doute la plus émouvante et la plus ancienne.

Il faut en dire peut-être un peu plus sur ce sanctuaire enfoui sous la roche.

C’est un des derniers qu’il nous reste à découvrir, d’une beauté austère et touché d’interdit photographique comme souvent les caprices administratifs le décident. Ce qui ne découragera pas Cécilia de « voler » quelques magnifiques clichés pendant que je simule un intérêt quelconque et quelques renseignements auprès d’une gardienne sur la beauté de la ville.

Santa Lucia prend le nom de la plante officinale spontanée qui poussait abondamment aux alentours et son excavation en église est datable aux environs du IX° siècle. Ce qui frappe dès l’entrée est la matière pierreuse. On croirait pénétrer en un monde préchrétien si ce n’était que, dès l’entrée surgit une Sainte Lucie aveugle sur laquelle est mentionnée la date de 1537 ainsi que la moitié du visage de Catherine d’Alexandrie. Puis le chef d’œuvre peut-être, immédiatement sur la nef de gauche, une rare icone byzantine apparait tout en hauteur. C’est la Madone qui allaite et sur la niche d’à côté, l’Evêque Grégoire. Tous deux seraient l’œuvre de Rinaldo da Taranto. Et ce sont les images que Cécilia et moi, à tour de rôle, avons spontanément choisi, sans nous consulter, de dérober discrètement à l’éternité du lieu…

Sur le revers de la façade, deux des personnages les plus fréquemment élus dans l’iconographie chrétienne, Jean-Baptiste et Saint Benoit de Norcia, le fondateur de la règle bénédictine faisant là le geste de la bénédiction grecque.

Depuis San Pietro Caveoso et le Dôme on peut encore avant midi embrasser la large vision de la partie éclairée du côté de chez nous, Via San Rocco où nous repérons maintenant sans difficulté la petite maison d’Antonello. Puis c’est la descente vers le Boteghe sur la terrasse en plein soleil, pour un autre choix de vin des Pouilles.

Flânant en d’autres ruelles, par des trajets omis les jours précédents, je reste attiré par une boutique d’artisanat qui me semble bien originale au milieu de toutes celles ne présentant que de grossiers souvenirs à touristes. Une jeune femme semblant ne se soucier de rien, travaille sur une palette, à l’ombre de son échoppe, une myriade des nuances colorées qu’elle applique sur de petites porcelaines d’une humble tradition de poupées locales. Celle-ci ont la particularité d’être extrêmement bien portantes. Je ne résiste à la tentation d’emporter deux de ses petites figurines…

L’après-midi glisse, il est temps de revoir par l’escalier large qui mène vers le Sasso Barisano, San Agostino où nous n’avions pu voir, la veille, la dernière grotte rupestre pour raison autoritaire du curé qu’il y a des horaires à respecter .

Le complexe monastique saint augustin est donc en position dominante à l’extrémité nord du quartier des sassi. Et c’est dans les structures sous-terraines actuelles que se situe le noyau originel de la colonie augustinienne présentant une série de salles hypogées où se trouvent des peintures encore émouvantes mais relativement récentes (XV/XVI° siècles ?)

C’est en remontant après le grand virage au-dessus de San Agostino, par les rues d’enceintes jouxtant la vieille ville que nous découvrons d’autres facettes de venelles jusqu’à l’orée de la via Stigliani où les mêmes compères d’hier sur le pas d’entrée de leur cavité nous invitent pour deux petits euros à pénétrer dans ce qu’il faut bien nommer une gentille escroquerie où les seules curiosités proposées sont d’anciennes barriques, des pressoirs et quelques outils agricoles abandonnés depuis des lustres et qui prouvent bien qu’on ne se souciaient pas de l’espace dans ces fonds caverneux.  Pour se faire pardonner, les compères nous ont parlé de nos présidents de la république qu’ils semblaient bien connaitre et invité à venir boire un verre à l’occasion.

Nous déambulons encore vers la Piazza Sedile où les harmonies du conservatoire fusent dans toutes les directions qu’on a l’impression que c’est le vent qui les diffuse alentour. Nous faisons plus ample connaissance avec le gentil serveur tunisien d’hier qui nous dit qu’il vit ici, à quelques vingt kilomètres et que sa vie est désormais à Matera.

Ce soir le ténor se fait entendre très fortement jusqu’à notre fenêtre ouverte. La fête du samedi bat son plein dans une des cours éclairées non loin du Dôme. Cela fait un étrange contraste avec le silence habituel une fois la nuit tombée. Mais le chanteur se fatigue assez vite et l’on n’entend plus qu’un grouillement d’éclats de voix et bientôt plus que les lumières figées au coins des rues. La crèche immémoriale.

Au Livre d’or quelques mots :

Merci Antonello pour votre charmant accueil.

Vous avez contribué à notre excellent et inoubliable passage à Matera.

Merci encore. Nous n’oublierons pas votre adresse ni la qualité de notre séjour.

Louis et Cécilia

J’ouvre les fenêtres vers les six heures. La ville est rouge orangée. Le soleil n’a pas encore passé la crête de la colline d’en face et il y a encore quelques traînées de nuages effilochés qui se brouillent dans les couleurs du lever. Mais déjà aussi des nuances de jaunes qui pointent comme un aigu dans le silence. Le spectacle est si prégnant que je pense à quelque ressenti synesthésique sur ces nappes de mauve orangé, de pourpre profond sur la ville endormie et ces « Couleurs de la Cité Céleste » de Messiaen qui tinteraient ainsi de ses carillons d’or et de ses nappes de cordes imperceptibles où les cuivres se seraient assoupis et que quelque flute ou un mélancolique hautbois dessineraient un survol en une courbe fragile au-dessus des rouges orangés pour venir se joindre à la promesse d’un azur encore timide. Les boules jaunes des éclairages de la ville ne sont pas encore éteintes et ajoutent des notes immobiles qui se joignent aux étoiles qui clignotent tout là-haut, à la lisière du cirque endormi.

Notre grosse Ford n’a pas bougé devant le commissariat. Les recommandations d’Antonello ont dû veiller sur elle. C’est dans le petit matin silencieux, comme sur la pointe des pieds que nous prenons la route vers Polignano.

RETOUR DANS LES POUILLES

Polignano a Mare est sur le bord de l’Adriatique. J’ai longtemps hésité à prévoir ici une étape pour une nuit. Pour y renoncer. Quelque chose me disait que la configuration de son site inouï rendrait aussi cette ville victime de sa beauté. C’est effectivement au cœur d’une beauté naturelle exceptionnelle que la ville historique nous saisit dans un capharnaüm une fois franchie la porte ouvragée qui donne sur ses venelles historiques. C’est tout à la fois Saint Paul de Vence et Saint Tropez, ou Bellagio au mois d’Août. Attirant comme le miel dans sa ruche, les pires goinfres avides de critiques touristiques. Les étoiles Michelin les plus élevées ne compensent pas le désordre provoqué conséquemment par la note maximale qu’il vaut mieux parfois se laisser inspirer par des lieux à la poésie moins tapageuse. Mais Polignano est effectivement une privilégiée de l’Adriatique. Pour ses eaux limpides, ses émeraudes au pied de son éperon rocheux et sa plage unique qui attire aux mois d’été les concentrations les plus folles en une anse où on eût pourtant aimé échouer du temps d’Ulysse.

Et puis, il y a Domenico Modugno, l’enfant du pays, les bras ouvert, cheveux au vent dans sa statue de bronze vert où posent pour un cliché emphatique des files de jeunes filles, et de moins jeunes, qui attendent leur tour. Sur fond de mer calme.

« Volare, Oh ! Oh ! Cantare, Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! nel blu dipinto di blu…

Felice di stare lassù »

Ces paroles résument exactement le survol de la ville de naissance du chanteur.

On a même croisé un bateau à moteur chargé de touristes chantant à pleine voix cette chanson des plus insignifiantes qui fit mille fois le tour de la terre depuis plus de soixante ans.

L’explication d’un tel débordement de curieux est évidemment la ville accrochée à même la falaise et plongeant sur les eaux émeraudes qui lèchent les rochers d’ocre de ses flancs. Et qui creusent, depuis bien avant Ulysse, en de multiples strates, comme des rides, la base de la falaise.

Depuis les quelques balcons qui dominent l’anse de la plage dont on perçoit nettement en creux, la forme en demi-cercle, des grappes de curieux s’agglutinent contre les rambardes de métal pour jouir d’un spectacle lumineux de roches pourpres, de plage immaculée et de ses eaux bleues et vertes dont on ne saurait se lasser.

De là-haut on perçoit comme des fourmis affairées d’autres curieux qui contemplent les curieux d’en-haut. Certains, des plus téméraires en bas, se fondent aux couleurs des rochers au ras des falaises et disparaissent par quelque cavité.

Depuis la place principale du centre historique, l’église de type médiéval, sans plus d’originalité qu’une sobre architecture maintes fois remaniée, s’ouvrent des ruelles qui toutes débouchent sur un de ces balcons en surplomb. C’est le cœur de Polignano.

Redescendant sur l’autre versant de l’anse formée par la plage, sur le flanc qui fait face à la ville suspendue, un large promontoire permet de fixer le point de vue le plus spectaculaire sur les maisons blanches, les fenêtres hautes et souvent sans balcon et les soubassements de roches sur lesquels s’est fixée la ville. La vue panoramique est ici exceptionnelle d’autant que quelques nuages inoffensifs viennent ajouter du relief à l’intemporel du paysage.

Depuis la plage, face à la mer, se trouve, sur la gauche, une sorte de tunnel qui traverse sur une trentaine de mètres, une partie de la falaise qui donne sur la base des rochers. Je m’y risque pieds nus, comme tous ceux qui franchissent la cavité et me retrouve donc sur un tapis d’algues dans une cuvette d’eau à hauteur de chevilles, jusqu’à déboucher sur le bord des rochers à la base même de la falaise. Depuis ce point de vue, je fais maintenant partie de ces fourmis que doivent avoir en point de mire ceux de là-haut où nous étions tout à l’heure. Depuis ma position, tout au débouché de la roche, sorti donc de la cavité, à hauteur de la ligne d’eau, petit lilliputien marchant sur des algues mauves, jaunes et vertes, je vois maintenant dans tout son mouvement vertical le flanc de falaise opposé, depuis le clapotis à la base des roches, jusqu’au sommet, le ciel aux maisons blanches et aveuglantes.

La Place principale est malgré tout attractive, et les terrasses ne désemplissent pas en cette fin de matinée. On sacrifie au verre de blanc à l’heure où le soleil monte bien haut et on en profite pour visiter l’église juste avant midi. La messe s’achève à peine et les fidèles viennent ajouter de la compacité à cet incessant va-et-vient sur la place. Le curé à l’air agité autour de deux ou trois paroissiens et semblent donner des conseils de metteur en scène, car j’entends l’un d’entre eux répéter plusieurs fois une même phrase sur des tons différents sous l’œil attentif du père curé.

Puis ce qui devait arriver, arriva. Mille fois plus toxique encore que mon imagination aurait pu le concevoir à cet instant : un vrombissement de tonnes de décibels vient soudain investir le centre de la place, partiellement vidée le temps de notre visite dans l’église, par une jeune hystérique d’à peine dix-huit ans ou moins, micro en main, contorsionnée comme un serpent crachant un venin inarticulé, se prenant peut-être pour Patti Smith, entourée de guitares saturées,  de trois  chevelus comme absents et bêtement impassibles derrière leur enfer sonore, envahir tout l’espace où nous sirotions il y a peu de temps.

La surface de l’eau sous la falaise dut légèrement frissonner…

J’eus aussi le temps d’apercevoir à mes côté le curé arborant un large sourire, dans la béatitude heureuse et toute moderniste de voir le ciel faire descendre ses anges si près de la paroisse.

L’expression faire place nette n’a jamais si bien convenue que ce midi où quelques clients écarlates, surpris en plein repas, regrettaient déjà une probable digestion difficile.

C’est ainsi qu’il n’y eut aucun regret de n’avoir pas fait étape dans cette ville trop belle pour jouir de sa propre beauté. Je regardais encore au loin, au cœur des méandres historiques, se perdant dans de parfaites perspectives rectilignes, coupées à angles droits, les quelques ruelles parallèles, blanches et droites, aux balcons ouvragés, fuyant toutes vers la mer…

Alberobello, c’est la raison même des Pouilles. Lorsqu’on parle de cette région, ce sont les petits pompons des maisons aux cônes gris que nous voyons. Lorsque j’annonçais à des amis que je partais pour ce sud de l’Italie, tous me dirent « Ah oui ! tu vas vers les petites maisons à toits pointus ! ». C’est vrai que dans tout voyage, un élément de paysage, un monument, symbolise toujours, comme en raccourci, les lieux que l’on va découvrir. La tour Eiffel, Big Ben, ou la Tour de Pise justifient en une seule image ce qui résume par un seul signifiant la ville traversée. Parfois, mais plus rarement, une musique suffit, Venise ce sera Vivaldi. Miraculeusement.

Les Pouilles se seront donc les petits toits pointus.

Bien avant l’arrivée à Alberobello, on aperçoit déjà, dans ces plaines plates et monotones, quelques cônes solitaires ou agrégés par deux ou trois, sous un ciel devenu gris. Nous logeons dans un quartier tranquille où il fallut descendre quelques marches raides pour nous retrouver dans une vaste pièce voûtée avec des piliers épais, à la manière des habitats troglodytique pour une quiétude assurée. Et proche de ces fameux trullis qu’on aperçoit au bout d’une rue descendante débouchant sur une vaste place où on les voit maintenant là, les unes contre les autres.

La déception, ici aussi, est grande.  C’est dimanche, et un de ces dimanches un peu grisâtres où les gens du pays se retrouvent à flâner dans les lieux touristiques des environs.  Chez nous, c’est Saint Paul de Vence ou une balade dans un village de l’arrière-pays. Ici, c’est le quartier des trullis qui attire. De longues ruelles blanchies, parallèles entre elles, où s’agrègent les uns contre les autres, séparées à peine par d’épais murs, des commerces en tous genres. Des produits du pays, des souvenirs aux devantures. Avec évidemment, ce que les images des livres sur la région ne montrent jamais, des grappes humaines lentes, et sans autre souci que de se laisser aller à la déambulation dominicale. Et puis bien sûr les selfies qui laisseront le souvenir d’un passage dans ces charmants ensembles de maisons de poupées. Quelques trouées de ciel bleu timides viennent habiller le paysage évitant la monotonie de ces ardoises grises sur un ciel entièrement bouché.

La déception venait surtout du fait que nous étions à cent lieues de cet habitat tel que le connurent les gens d’ici il y a un siècle. Disons, avant l’ère du tourisme de masse.

Il a fallu s’égarer vers le haut du quartier, dans une ruelle paraissant moins fréquentée pour apercevoir un champ ouvert sur un magnifique ensemble de maisons dont les cônes apparurent au loin. Le champ sentait l’herbe coupée, moelleuse sous les pas, perlée de fleurs blanches avec des arbres au premier plan de notre perspective venant habiller de leurs longues branches les maisons qui se profilaient en fond de paysage. C’est là qu’apparurent comme dévoilés, révélés dans leur environnement ces ravissants habitats aux toits gris sur ciel gris épousant en harmonie le vert de l’herbe et des arbres à peine sortis de l’hiver.

Un îlot d’authenticité à quelques ruelles de la frénésie artificielle et balisée des bimbeloteries.

Le miracle attendu.

La Vallée d’Itria est la vallée morne qui descend d’Alberobello plus au sud, vers Locorotondo et Martina Franca. Ce matin le froid est descendu, le vent aussi, promesse de temps bouché et de couloir venteux dans les villes à venir. C’est la route des trullis au milieu des champs, trullis jumelés ou trullis en triplés au milieu de campagnes cultivées, parfois défigurées par la présence par trop arrogante d’une architecture anachronique trop voisine. Certaines sont carrément au bord des routes, comme abandonnées, gagnant en charme et en authenticité ce qu’elles perdent en adaptation à la modernité du temps. Avec bonheur on peut saisir certains chemins pénétrant dans l’intérieur des terres et embrasser tout à la fois des champs herbeux piqués de coquelicots, de genêts et d’oliviers pétrifiés aux abords de trulli jalousement cachés dans des décors virgiliens.

La particularité de la vallée d’Itra est qu’on peut apercevoir depuis les lointains certains villages juchés sur leurs éperons rocheux.

Martina Franca s’aperçoit du haut de sa colline de quatre cent trente mètres. Avec déjà un vent aigre et persistant sous des nuages lourds.

La ville présente ses architectures assombries et mates. La superbe façade de l’église San Domenico toute en ocre rouge, d’autant plus rouge que l’absence de soleil en fait ressortir la matité de la pierre. Elle n’est bien visible que depuis une ruelle étroite en face qui permet un recul suffisant. D’un pur baroque du sud, elle pourrait rivaliser avec celles de Lecce. On y trouve à l’intérieur une Madone du rosaire tout à fait remarquable.

Les ruelles ont le charme des villages secrets. A chaque détour, de coins de rues, un balcon, un ensemble de fenêtres vient embellir la perspective pourtant bien sombre de ce matin.

Puis c’est Ostuni. Dans la province de Brindisi. Surnommée la « ville blanche », perchée elle-aussi à deux cent dix-huit mètre sur son éperon rocheux. On la voit de loin, dans un halo de gris. A huit kilomètres de la côte Adriatique, elle est tout à la fois une ville semi-côtière et une ville qu’on pourrait situer près des abords désertiques, une ville déjà africaine. Blanche, elle ne le sera pas aujourd’hui.

Ville aux ramifications méridionales de la Murge, zone essentiellement constituée de calcaires crétacés, donc dépourvue de cours d’eau, on l’imagine bien en effet aux abords d’un désert.

Dans le gris, le froid et les bordées de vent, certaines échappées derrière les murs d’enceintes se projettent sur la mer, séparées d’une triste bande de terre uniformément verte et monotone.

La cathédrale Santa Maria Assunta présente une façade d’un gothique atypique, avec une partie centrale au tympan formé de deux arcs rigides et des ailes par demi-lune ! La rosace est finement ciselée, l’ensemble lui donnant une élégance très citadine qu’on n’aurait imaginé dans la blancheur austère et dépouillée de cette cité historique.

Bizarrement, le climat d’Ostuni n’est pas typiquement méditerranéen.  Les hivers y sont, parait-il, rudes avec des températures moyennes de cinq degrés et des minimales souvent au-dessous de zéro. On sent bien qu’aujourd’hui la ville est à peine sortie de l’hiver. Le vent siffle et balaie maintes chevelures de femmes aux angles des ruelles. Il est évidemment difficile de trouver refuge dans un bistro. Après avoir sillonné tout ce qui se présentait de caffe et de   commerces fermés, on en trouve un, minuscule où se consoler d’un blanc vigoureux de ce grand sud venteux.

Lecce est dit-on la Florence du sud. Une Florence discrète, aux rues larges du quartier historique, larges et nues, débouchant sur des places larges et encombrées de ravalement de façades. Le théâtre antique est lui aussi ceinturé de barrières métalliques et d’échafaudages ne permettant pas de jouir d’une vue d’ensemble sur la place de la colonne de Sant’Oronzo.

Depuis la petite terrasse d’une œnothèque, je vois poindre déjà une des caractéristiques architecturales de la ville avec les magnifiques moulures d’animaux fantastiques soutenant une balconnade cossue d’époque baroque. S’y déploient une rangée de chevaux expressifs et fougueux, de bœufs et de licorne. Le maître d’hôtel, très stylé, propose une spécialité inattendue, un vin orange, mi- blanc, mi- rouge.

La nuit tombée sur Lecce présente une cité aérée, presque triste et sans chaleur, avec ses larges places peu animées, de grands murs d’ocre aux surfaces lisses semblant avoir grandies sans raison et profité à l’origine d’espaces infinis.

L’hiver est ici aussi à peine sorti de sa torpeur.

La Place du Dom expose aux faîtes de ses monuments des statues en plein éclairage qui se donnent sur la nuit noire comme fond de décor théâtral.

Il est bien difficile de choisir un restaurant dans ces ruelles sans terrasses d’où proviennent parfois des animations musicales brutales et trop caractérisées. On en déniche un, sous quelques marches, dans une sorte de caveau à peine éclairée pour de surprenantes pâtes aux oursins.

Le lendemain, le soleil revient timidement puis plus franchement. C’est autour de quatre des plus importantes églises que se dessine le chemin de cette matinée.

Le style baroque leccese est moins identifiable par les structures de ses bâtiments que par leur décor exubérant. C’est avec les animaux à la balconnade d’hier que j’en eus une première approche. Ce décor est travaillé à la manière d’ouvrages d’orfèvrerie. Il est né à la fin du XVI° siècle, à la conjonction de trois éléments :

Une victoire : celle de la flotte chrétienne à Lépante sur les Turcs. Elle met fin à mille années de terreur maritime, surtout dans le très convoité Salento.

Une dynastie : la très catholique branche espagnole des Habsbourg qui a régné à Naples de 1516 à 1713, championne de la contre-réforme faisant éclore un baroque à son sommet.

Une pierre :

L’exceptionnelle pietra leccese , au grain très fin et à la belle couleur blanche qui se dore au fil du temps.

C’est ainsi qu’on se trouve devant la basilique Santa Crocce, celle qu’on considère comme le sommet de ce baroque local. C’est d’abord la façade, large et mouvementée, rythmée par les treize télamons dont les atlantes soutenant quelque partie du monde en alternance avec des griffons et autres animaux fantastiques. Ensuite une profusion d’angelots, de saints, d’animaux, de fleurs et de végétaux, justifiant la définition d’un art de mouvement et d’exubérance échevelée. Contrastant avec un intérieur à la structure sobre et solennelle et des décorations en stuc, des dorures et des marbres polychromes. Dans le transept de droite on peut admirer l’autel des reliques de la Croix, œuvre du sculpteur Cesare Penna.

Le Dôme, avec son clocher de soixante-douze mètres de haut, domine largement la ville. C’est d’ailleurs le plus haut clocher du Salento. Au sommet de la coupole, un globe et une statue de fer représente Saint Oronce bénissant la ville. Les deuxièmes et troisièmes étages dominent d’un plaisir que ma sensibilité au vertige ne peut me permettre, la vue panoramique sur la ville et paraît-il, les jours de très beau temps, une échappée sur l’Adriatique et sur les montagnes albanaises…

Celle qui aura eu ma préférence, mais peut-être pourrais-je en dire autant au passage de chacune d’entre ces quatre chef d’œuvre leccese, c’est Santa Chiara en plein cœur de la ville. Si le plan architectural témoigne clairement de l’idée romane, la décoration reprend l’exubérante profusion du contorsionné typique du baroque. Les statues de bois qui occupent les niches au-dessus des autels, réalisées à Naples, représentent François-Xavier, Saint François d’Assise, Saint Antoine de Padoue. Il suffit de lever les yeux pour remarquer l’étonnant plafond en papier mâché imitant un plafond de bois.

San Matteo est celle qui incarne le mieux les canons du style, au point d’être qualifiée de « panthéon du baroque leccese ». L’espace intérieur est composé d’une seule nef, encadrée par douze colonnes sur lesquelles figurent tout autant de statues d’apôtres. Ce qui est remarquable, c’est le mouvement ascensionnel que font, dans chacune de ces églises majeures, les torsades chargées d’incrustations, ajoutant à la démesure échevelée de ces intérieurs. Entre ces sinueuses colonnes torsadées s’élèvent, chacune sur son piédestal, les statues de Saint Luc, Catherine d’Alexandrie, saint Marc, Sainte Elisabeth de Hongrie.

Lecce vaut peut-être plus par le détail de chacune de ces églises, de ces pierres délicates, de certains points de rue fuyant sur une perspective inattendue, que par une idée majeure qu’on pourrait se faire de l’ensemble de la ville. Toujours est-il que nous n’avons pas la prétention de rendre une synthèse de ce baroque leccese autrement que d’en conserver un fragment, une image bien incomplète.

La côte Adriatique fait déjà entendre ses Sirènes.

Cap au Sud de Lecce, sur les côtes du Salento, vers Torre del Orso. Le paysage est déchiqueté, aveuglant de luminosité qu’on en aurait l’illusion du sel adriatique qui se pose sur les bourgades. Les villages ne sont plus des villages, mais des effilochements de maisons encore à l’écart le long de la mer. Une fois à Torre, les maisons de pêcheurs indiquent que la mer est juste là, que la Grotta della Poesia sera la fin de la descente vers le sud. Ici, plus aucune trace d’un tourisme hédoniste de plages et de bains de mer. C’est le vent qui siffle alternant avec les silences des désolations intimes.

Le village est encore dans un sommeil de bout du monde au soleil de treize heures.

La grotta della Poesia ?   Le maçon finissant sa dernière pelletée de ciment sur son mur, d’un geste de la main signifiant autant la fatalité de la chose que l’évidence de la réponse : « là, au bout du chemin, sur votre droite. Ensuite il faut aller à pied, il n’y a plus rien ».

On marche un long moment sous les nuages compacts et denses d’une après-midi qui hésite entre la dramaturgie sereine d’un ciel de poésie et la charge progressive de l’orage à venir. Le chemin devient caillouteux, coupant sous les pieds, et suivant le phare indiquant la limite des terres déchiquetées, se dresse à l’extrême limite des végétaux ras et des pierres calcinées, le gouffre clos du lieudit de la grotte de la Poésie. Une sorte d’anomalie géologique. Il faut imaginer un cratère aux parois hautes d’une circonférence que j’ai mal évaluée, mais qui peut se compter en quelques centaines de mètres, et au fond du gouffre, une eau immobile, émeraude et mouchetée de taches noires. Au loin, sur le bord opposé du cercle irrégulier, quelques humains nous ont précédé, aux dimensions de fourmi au bord des parois. En cette saison, le lieu paraît hostile et dangereux, et je me prends à sourire songeant à l’imprudence fatale d’Empédocle précipité dans l’Etna, dont le volcan ne vomit qu’une seule de ses sandales.

A la haute saison, les baigneurs, par dizaine, descendent par des chemins non balisés, progressivement jusqu’à atteindre l’eau pour des baignades probablement inoubliables. En cette saison, on n’entend encore que le bruit assourdissant des vagues qui s’écrasent sur les rochers de la côte, séparées seulement que de quelques dizaines de mètres du gouffre dormant.

Le trou béant est flanqué à sa base d’énormes rochers noirs, par blocs émergeant, dont ceux qui se prolongent sous l’eau et constituent cette marqueterie d’émeraude et de noir en un tableau des plus fascinants.

Quelques kilomètres plus bas, c’est Torre Sant ‘Andrea. Le spectacle n’est plus exposé sur le concentrique d’un gouffre mais aux abords d’un chemin longeant les falaises de la côte. Quelques traces de végétations, de genets et un tortillon irrégulier indiquant le chemin à suivre. Jusqu’à l’infini.

Plus grandiose encore que ne peux l’être la grotte de la poésie, Sant’Andrea présente autant de facettes, autant de tableaux à fixer dans ces poésies imaginaires qu’il y a de points de vue sur la mer. Des géants émergent dans l’eau pareillement émeraude mais dont la profondeur et le mouvement grondant des abords du rivage dramatisent les scènes de pierres héroïques et comme triomphantes à se hisser à des dizaines de mètres au-dessus de l’écume qui frappe leurs flancs. L’harmonie de ces pierres blanches qu’on imagine de la même hérédité que celles des blanches églises leccese, et de la mer émeraude, pourrait fasciner des heures durant. Emergeant tel un rescapé géologique, la tour principale faisant face directement aux falaises où nous nous situons, montre les différentes strates d’évolution de son érosion. C’est le géant principal, flanqués de rochers moindres qui l’entourent à distance, au rythme d’une succession irrégulière.

Au hasard des perspectives du haut de la falaise, émergent des masses calcaires, des arches grandioses, des torses fouettés par les vents et l’écume, des passages d’émeraude sous les arcs triomphant de la pierre.

Je fis un cliché de Cécilia, hissée au sommet d’une de ces arches, apparaissant comme un repère presque imperceptible au-dessus de cette architecture naturelle, et comme à une autre échelle, d’une scène grandiose.

C’est en remontant vers l’intérieur des terres, à une douzaine de kilomètres de Polignano a Mare que se situe l’ultime étape, à Conversano, dans l’anonymat des terres pouilleuses. Loin de l’hédonisme et des séductions faciles de la ville côtière qui avait déjà livrée les quelques désagréments de son profil de carte postale.

Conversano est encore dans une sorte de torpeur hivernale et il ne fut pas difficile de lui accorder immédiatement une bienveillante sympathie. Par le labyrinthique de ses ruelles désertées en milieu d’après-midi, par ses surprenantes églises et ce ton d’Histoire enfouie qu’on n’aurait imaginée dans ce petit carré de ville.

Dès les premières venelles montantes, c’est l’église San Benedetto qui domine de toute sa hauteur la rue étroite, son clocher qu’on pourrait croire cubain, et sa coupole lumineuse aux fenêtres circulaires. Clocher qui annonce l’édifice depuis la route. Les éléments d’origine se révèlent du XI° sicle, d’un portail flanqué de lions, et à l’intérieur, d’une structure à trois nefs. Beau vaisseau lumineux.

Dans les parties hautes du chœur, de remarquables peintures, dont un Baptême du Christ de Paolo Finoglio.

Plus loin, la pierre blanche de la Cathédrale San Maria Assunta. Cathédrale romane qu’on s’étonne de voir sous ces latitudes, d’autant que sa façade et ses murs d’enceintes sont d’une sobriété du plus pur bénédictin. L’intérieur à trois nef, aussi, expose discrètement sur le mur de gauche une Vierge à l’Enfant du XII°, merveille d’icône byzantine.

Les ruelles filent sous les balcons et les murs blancs comme fait de sables solidifiés. On a vite fait le tour de la ville historique. On a l’impression qu’on y suit un chemin de dos d’escargot tirebouchonné. Parvenus devant l’église des Santi Cosma et Damiano, pleine à craquer, on a juste le temps d’apercevoir les luxuriances du plafond. C’est l’heure de la messe. Un quidam me glisse à l’oreille : « e la chiesa di san Cosma » , comme fier d’y rencontrer un visiteur venu de loin…

Plus loin, on a même réussi à trouver la terrasse d’un vrai bistrot, à l’ombre du château, comme un rappel que le retour est pour bientôt.

L’appartement de Conversano fait penser au vaisseau fantôme , tant il est spacieux, avec ses murs verts, ses chambres multiples, un couloir qui n’en finit pas et des balcons donnant sur les fenêtres closes de l’immeuble d’en face. Comme souvent, dans ces cas-là, je rêve, j’imagine ceux qui vivent derrière ces volets clos. Fenêtre sur cour.

Le vent souffle si fort qu’on croirait entendre crier dans la rue. La pluie peut-être pour cette nuit.

Ce sont deux petites bonnes sœurs à cornettes qui ouvrent les portes de San Cosma. Il n’y a encore personne dans les rues malgré l’heure avancée dans la matinée. Dès l’entrée, comme à l’ouverture d’un trésor aux éclats trop appuyés, c’est un jaillissement d’or qui saute aux yeux, un ruissellement de fines éclaboussures dorées qui enchâssent des peintures au plafond, des anges qui tombent du ciel et d’autres qui y montent.

Le décor intérieur est bien connu et voulu par le fameux Giangirolamo II d’Aragona (XVII°) avec ses excès dont la profusion donne une personnalité incontestable à ce joyau, pas plus grand qu’une chapelle en d’autres lieux. Un petit miracle qu’il eut été dommage de sacrifier sur l’autel de plus séduisantes villes. Santi Cosma e Damiano vient comme une ultime surprise dans ce baroque des Pouilles. Au plafond, l’harmonie des fresques sont de Carlo Rosa et de Cesare Fracanzano et parcourt tout le pourtour de la voûte.

Le voyage s’achève à Bari, dans le dédale des ruelles débouchant sur des cours privées ou passant sous des maisons de couleurs délavées. Bari la Vecchia surprend par des harmonies qui siéraient bien aux films d’Ettore Scola. Le linge pend aux fenêtres, mais lorsqu’on est allé à Naples la surprise est amoindrie. La ville historique manque encore cruellement de terrasses où déguster simplement un verre en attendant que le temps s’écoule. Les garçons de café tout de noir et blanc sont impeccablement prêts à recevoir le client pour l’heure du repas dès onze heures du matin et le gérant derrière le tiroir-caisse attend stoïquement la vague de midi. L’Italie, qu’elle soit du Nord ou du Sud, n’a décidemment pas la culture du bistro ouvert aux flâneurs.

La façade austère et quelque peu normande de la cathédrale domine tout ce paysage un peu surchauffé.

La visite de la crypte achève ce périple par la Vierge Odegitria (« celle qui montre la voie ») , désignant d’une main l’enfant Jésus, de l’autre la patronne de Bari avec Saint Nicolas.

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20 Avril

A Bernard :

J’ai du mal à entrer dans le récit (une intro de quinze lignes…) dont j’ai pourtant pris pas mal de notes. On continue de rêver et de faire la fête et les réveils ne sont pas propices à une bonne concentration. On va laisser passer ce lundi de Pâques. La poésie a été un peu oubliée, mais il y en aura encore d’ici la fin du mois. Les rêveries se cristalliseront bien dans quelques paroles…

Les après-midi, lorsque le calme revient dans la maison (c’est les vacances scolaires jusqu’à mardi), j’achève le France-Algérie écrit à quatre main par Sansal et Cyrulnik. Ecrit malheureusement déjà bien vieilli puisque datant de 2019. Mes lectures ne sont pas très gaies : le goulag, comme tu sais, et aussi un témoignage bref et émouvant d’un rescapé d’Hiroshima. Et puis un livre revigorant de Robert Redecker, philosophe contemporain, qui nous change de Deleuze et d’autres, toujours les mêmes, sur un Descartes inattendu, « miroir aux fantômes » au style fluide dont je ne m’étonne pas qu’on le retrouve dans le rayon littérature autant que dans celui où on pouvait l’attendre.

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21 Avril

A Bernard :

Nicomaque est un joli nom. Je l’avais déjà rencontré en philo. Chez Aristote et sa fameuse Ethique à Nicomaque. Enfin, il s’en est ensuivi une soirée où Jacques et moi avions déliré pour savoir qu’elle était la traduction la plus proche du propos d’Aristote : Ethique DE Nicomaque ou Ethique A Nicomaque généralement utilisé par les traducteurs. Avec le temps, je ne sais plus qui défendait telle ou telle option. Il faut dire que pour tenir une soirée entière c’était plutôt nos forces de persuasion qui était en jeu, à l’âge ou l’affirmation a beaucoup d’importance.

J’ai déjà (à peine) écrit une page sur les Pouilles. Je ne me déferais de ce séjour que lorsque j’aurais mis le point final. Donc je ne suis pas près de quitter ces Pouilles. Tu n’auras, sauf miracle, pas de récit, ni de carnet pour cette fin de mois. D’autant qu’il est prévu pour le long pont du 8 Mai, une virée en Ardèche. La grotte Chauvet, les villages de pierres, bref, un département qu’on connait à peine.

On nous promet une semaine encore mitigée. On ne quitte que rarement les vêtements d’hiver.

Saviano vient de sortir un roman sur l’attentat du juge Falcone. Il a le sens du roman, du dialogue et il écrit bien. Je ferais malgré tout l’impasse sur cet ouvrage, un peu trop proche de Gomorra, du même auteur.

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22 Avril

A Bernard :

Mitterrand maréchaliste, c’est une vieille histoire que beaucoup feignent de découvrir. Il est vrai que le tonton d’adulation c’est aujourd’hui de la vieille histoire. Le tonton cagoulard et titulaire tout à la fois de la francisque et de la médaille de la résistance, il n’y avait qu’un contorsionniste d’exception qui pouvait le réaliser. Il aura eu le mérite de fleurir chaque année la tombe du héros de Verdun. Mitterrand était donc comme 95% de Français d’alors. Mais ceux qui me chagrinent et me révoltent plus encore, ce sont les tristes figures de Sartre et de sa dame au chignon. De vrais résistants de 1946. Dire que Beauvoir a osé prétendre s’être faite exclure de l’Education Nationale pour fait de Résistance, alors qu’elle couchait simplement avec l’une de ses élèves dans des temps où on prenait ça moins légèrement qu’aujourd’hui. Elle n’a par contre jamais parlé de sa « résistance » à radio Vichy durant 3 ans ! Poste que Drieu La Rochelle lui avait trouvé. Ce qui n’empêche pas Sartre de cracher sur lui après 46… Ce qui est pardonnable dans un parcours de politicien, parce que c’est dans la nature du politicien, l’est moins lorsqu’on se veut autorité morale et politique de toute l’intelligentsia d’une génération. Et qu’on s’est lourdement trompé toute sa vie (Sartre).

Que la presse ressorte le parcours de Mitterrand en 2025, provoquant l’étonnement de certains, montre à quel point certains médias s’autorisent à rouvrir des dossiers lorsqu’il n’y a plus de risque. Ils passeraient presque pour d’honnêtes enquêteurs… On n’a encore jamais chiffré combien avait coûté Mazarine et sa mère, logées dans les lambris de la République. Pour le coup, en terme de détournement de fond, il savait aussi y faire. Mais c’était tonton. Les lecteurs de Libé, mes petits copains que je côtoyais à l’époque m’auraient traité de facho.

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15 h

A Bernard :

La vérité sur ce sujet avait été connu bien avant les « experts » de France Info. Qui, comme je te le disais ce matin, ne prennent vraiment pas de risque en disant ces vérités quarante ans après que celles-ci fussent connues de beaucoup.

Si de Gaulle ne s’en est pas servi, je vois mal Chirac ou Giscard, emprunter une voie de lèse-gaullisme (dans le recours à cette arme qu’est la collaboration : pour le reste ils furent de farouches anti Général) … Toujours est-il que Mitterrand aura eu la voie royale ouverte pendant longtemps. Mais autre temps, autres mœurs, aujourd’hui on accuse même faussement et absurdement ses adversaires de facho (ça marche toujours) et ceux au-delà du centre-gauche de fachos également (la ligne de tolérance est étroite).

Je te diabolise par ci, je te déclare moralement indigne par-là etc. Que feraient ces accusateurs s’il n’avait à lutter contre le diable lui-même ? C’est vrai que du temps de de Gaulle le niveau et la stratégie pour contrer les oppositions avaient plus de tenue.

A quelle sauce Mitterrand eut été assaisonné s’il se fut ouvertement déclaré de droite ? Ce ne sont pas les changements de pieds, les trahisons et les revirements qui manquèrent. Mais le privilège rouge (venant de lui ça prête à sourire) est au-dessus des jugements justement parce que relevant de privilège .

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Robert Redecker, présente le père de la philosophie moderne comme un déconstructeur de plus de mille années de dérives de la pensée, estimant que celui qui fit table rase, trois siècle avant Lénine, ce fut Descartes. Héros qui, lui, n’a pas été démenti.

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25 Avril

A Bernard :

On hésite toujours entre le printemps et quelques relents de froids hivernaux, mais j’ai adopté des vêtements plus légers. Les écarts entre le matin et le plein soleil de midi sont grands. Je marche en moyenne entre 7 et 10 km en ce moment. Sur la lancée des Pouilles.

Je suis comme les moines copistes, le matin je m’attèle à mes écrits de voyage comme ils notaient les heures et les minutes essentielles de la vie de leur temps. Mais dans mon cas il s’agit simplement de mon cheminement chronique de ci de là.

Nous avons réservé à Villeneuve de Berg, un appartement pour deux, plus deux enfants. Un petit village au cœur de l’Ardèche. Départ le 8 Mai, pour quatre petits jours. Un endroit stratégique entre les quelques villages pittoresques de Balazuc, Vogüe et quelques autres, et surtout un peu plus au sud, la Grotte Chauvet et Pont d’Arc avec la vallée de l’Ardèche et ses paysages contrastés. Avec les enfants cela fera un programme déjà bien rempli. Le reste sera improvisé suivant la capacité des petites jambes. On tournera autour d’Aubenas et son marché si on a de la chance, de quelques châteaux, mais j’avoue qu’il y aura de l’improvisation pour cette première. Y. est motivé par son appareil photo. Pour W., il y aura des chansons durant le trajet.

« Cinéma et expos »… Je suppose que tu tiens un registre de toutes ces expos !? On a beau être à Paris, j’avoue qu’au bout de quinze jours je mélangerais les lieux et les artistes exposés. Et dire que je ne vais jamais rien voir. Et on habite à quelques pas de la Fondation Maeght. Une hirondelle ne fait pas le printemps.

Ce que je regrette par contre, c’est de ne pas fréquenter d’artistes, pouvoir confronter des méthodes de travail, des perspectives artistiques etc. Au conservatoire il y avait des ouvertures très grandes au-delà du professorat et de la seule musique. J’ai fréquenté un temps le directeur de la fondation Emile Hughes à Vence (si vous passez par-là…). Il était prof de zarb à Cimiez, et à la retraite il a dirigé cette fondation. On lui prête de hautes protections iraniennes. Puis je ne l’ai plus vu.

Je n’ai plus même cette petite cour d’oiseaux éparpillés qu’étaient ceux de la Dégus, puis du Sauveur, les branches s’étant cassées. Je vais maintenant me fondre avec les touristes au Kalice place Rossetti où même les serveur(ses) me prennent pour un gentil retraité paisible. On ne m’y voit rarement avec plus d’une seule personne à la fois. Les seuls fidèles de ce temps maintenant révolu sont mes deux copines, Brigitte (du conservatoire) et Isa que je vois depuis dix ans sur ces mêmes parcours. On se voit une à deux fois par mois … à la Libé.

Voilà, j’en suis à peine à l’entrée à Matera, je m’y remets.

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28 Avril

A Bernard :

Finalement ces lectures sont complémentaires. J’en ai chié en lisant le Goulag où les gens en bavaient un maximum. Huit cent pages d’horreur c’est long. Même si Soljenitsyne taillait ses chapitres suivant qu’il traitait des souffrances par catégories (les camps, les prisons, les détenus spéciaux, les criminels de droits communs etc.)

J’ai changé d’ambiance avec le Descartes de Robert Redecker, interrompu pour cause de priorité pour la suite du Journal hédoniste de M. Onfray. C’est fou ce qu’il publie. Déjà troisième ouvrage de l’année. Je pense qu’il vit comme un moine, exclusivement porté par ses livres et ses émissions de tv. Ce qui est complémentaire et toujours dans le domaine de l’analyse du monde actuel. J’ai en réserve l’ouvrage assez dense de Kamel Daoud sur la décennie 2015/2025. Analyse de toutes nos misères contemporaines. Puis Gomorra de Saviano. Donc, tu vois, les bouquins se bousculent au portillon tant il est plus facile de les acheter que de les lire ensuite.

Nous partons finalement le 9 avec Y. seulement. Sa petite sœur a peur de partir trop longtemps loin de sa maman.

Le printemps est bien là, les feuilles des arbres environnant ont poussé en peu de temps et le vert est éclatant au travers de la fenêtre.

Ton projet de venir par ici en Juin tient-il toujours ? N’oublie pas que pour les fleurs roses de Garibaldi, c’est en Juin !…

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3 mai

A Bernard :

Je te suppose en Normandie, puisqu’un certain silence s’est installé. Il est cinq heures du matin, et depuis le retour d’Italie, j’ai cette crainte perpétuelle de la page blanche matinale. Je m’aperçois que l’exercice du récit de voyage est la chose que je crains le plus. Parce qu’elle est un judicieux panachage de sensations vécues qu’il faut transcrire, faire sentir au plus près de ce qui a été vécu, et de précisions descriptives tant géographiques qu’historiques. Avec la crainte de ne jamais viser le bon angle dans le choix du récit. La poésie n’est jamais tenue à quoi que ce soit. L’imagination y est libre et rien ni personne ne pourrait lui faire obstruction. Donc, paradoxalement la poésie ne me pose jamais de problème formelle. Elle dépend simplement des moments où il faudra que je saisisse cette petite musique qui se fait à peine entendre.

Voilà, je me suis mis à mon écritoire du matin et j’en ai tiré un épisode de Matera qui me semble convenable. On passera demain à la prochaine angoisse.

Inquiétude d’autant plus justifiée que le séjour en Ardèche interfèrera avec la fin du récit des Pouilles. Heureusement il ne s’agira que de 4 jours de voyage.

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5 mai

A Bernard :

Oui, nous avons des dialogues polygraphiques et poly mentaux comme d’autres font de la polyphonie ou Jourdain de la prose. Toutes les voies de communication sont les bienvenues.

Tu auras remarqué qu’il n’y a pas de titre pour avril. Nous dirons que c’est la suite de Nuria….

Avec Mai, je suis déjà sur le départ, il fait un temps de chien en ce moment. Et le matin je m’y mets dès potron minet. Mais j’ai bien avancé le récit des Pouilles. S’il n’est pas terminé avant le départ, la suite sera facile dès le retour : la tournure et le ton d’ensemble sont trouvés.

Je relis parfois les « répons ». C’est vrai que ça mériterait Gallimard, dans sa collection dévolue à ce genre.

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DROME/ARDECHE

  (8 au 11 Mai)

C’était surement dans les années quatre-vingt. Je ne me souviens plus aujourd’hui pour quelle odyssée en ce temps-là j’eus à traverser Villeneuve de Berg. Berg n’étant pas, de plus, un terme très usité en Occitanie, cela dût contribuer à la mémorisation de ce nom durant une quarantaine d’années. C’était à un feu rouge, sur ma gauche, le temps que peut durer un feu rouge. Un bistrot aux boiseries de façade que j’imagine torsadées, avec derrière un comptoir rectiligne qui n’en finissait pas, qu’épousait un miroir immense avec des imperfections d’usure aux angles, de simples tables qu’auraient pu connaître Verlaine, peut-être Proust, des tables de marbre aux pieds compliqués, ancrés solidement, des rangées symétriques le long du mur, un plafond cloisonné de boiseries comme au plafond des églises d’Italie, un lieu immémorial, le temps de cligner les paupières, le rêve d’une fête imaginaire, le temps d’un feu rouge.

Ce lieu s’imprima avec tant de force que j’en ai gardé le souvenir impeccablement contourné jusqu’à aujourd’hui. C’était le temps où le monde se refaisait dans les bars en bas de l’Université. C’est resté jusqu’à hier mon idée du bistrot idéal.

Comme il avait été décidé de faire un saut en Ardèche et de prendre Y. avec nous, c’est Villeneuve de Berg qui était la destination la plus stratégique pour visiter la région. Pour trois jours seulement. Le sud de l’Ardèche simplement, en déroulant tranquillement, avec la grotte Chauvet comme point d’orgue.

« … Un jour d’avril 1879, au retour de sa tournée quotidienne de facteur rural, Ferdinand Cheval, alors âgé de quarante-trois ans, bute sur une pierre si bizarre qu’elle lui rappelle un rêve qui sombrait peu à peu dans l’oubli : un palais féérique dépassant son imagination.

Il va consacrer trente-trois années de son existence à modeler, nuit après nuit, dans ce qui était à l’origine son potager, un monument d’obstination. Inspiré par la nature qu’il parcourt chaque jour, par les magazines illustrés qu’il distribue durant ses tournées de facteur, et enfin, par les cartes postales qui commencent à apparaître en 1890, il va bâtir un Palais unique au monde.

Moqués par les uns, critiqués par les autres, il consacre trente-trois ans, dix mille journées, quatre-vingt-treize mille heures à son Palais, sur lequel il grave « travail d’un seul homme ». Il achève son palais à l’âge de soixante-seize ans et se trouve assez courageux pour bâtir ensuite son tombeau, tout aussi singulier, au cimetière du village de Hauterives, durant huit ans. Il décède à quatre-vingt-huit ans, et y est enterré.

Avant sa mort, il a fait certifié « sincère et véritable » sa biographie attestant que seul, il a construit son Palais.

Indépendant de tous les courant artistiques, ne relevant d’aucune technique architecturale, le Pais Idéal est aujourd’hui considéré comme une référence mondiale de l’art brut. Ardemment défendu par André Malraux, le Palais fut classé monument historique en 1969, au titre de l’art naïf.

Ferdinand Cheval a été source d’inspiration et d’hommages de nombreux artistes, tels André Breton, Pablo Picasso, Tinguely, Max Ernst, Niki de Saint-Phalle…

« le soir à la nuit close

quand le genre humain repose

 je travaille à mon Palais

de mes peines nul ne saura jamais »

Je tournais le regard vers mon petit fils. Il avait les yeux brillants d’entendre tout un tas de choses dans cette salle où l’on passait un film noir et blanc sur la vie du célèbre facteur. On lui en avait touché quelques mots avant le départ. On avait choisi Villeneuve de Berg justement parce qu’on pouvait se permettre de grimper un peu plus vers la Drôme avant de parvenir le soir à l’étape. Autant passer par Hauterives, profiter d’un temps clément, et redescendre avant le soir.

Hauterives semble ne vivre, pour le peu qu’on en a vu, qu’autour de sa célébrité. Tout y mène, le panneautage, la facilité avec laquelle on parvient à l’immense esplanade où stationnent cars de tourisme et enfilades de véhicules. L’entrée du palais se fait sous une galerie végétale, comme pour en rendre un hommage préambulaire au débouché sur la façade Nord.

C’est sans doute là que Cheval achève son monument, au sommet de son art. Les modelages sont d’une grande finesse et la façade foisonnante. Serpents, biche, caïman, pélican, grenouille, Phénix, minotaure et autres figures imaginaires cohabitant sous l’œil d’Adam et Eve. Il est question ici d’enfer, de paradis, de vie et de mort.

« D’un songe, j’ai sorti la reine du monde » . C’est à l’angle de la façade Nord et celle de l’Est que se situe l’escalier qui grimpe à l’étage et où l’ensemble de l’architecture prend réellement un petit air de Cambodge ou de temple indien, avec ses quatre piliers soutenant une partie de l’édifice où l’on peut lire « Drôme, monument original ». C’est par l’Est que commence la construction, avec au centre la Source de vie sur laquelle veille un lion et un chien. Puis la grotte de Socrate et le temple égyptien. Mais le plus spectaculaire, confinant au monumental, ce sont les trois Géants au Sud-Est, César, Vercingétorix et Archimède.

Je perds de vue Y., il tourne autour de l’édifice, il fait prendre la pose à cette pierre vénérable. On grimpe ensemble à l’étage par l’escalier Sud-Ouest. La vue en perspective au travers d’une meurtrière, ou ce qui semble une fenêtre de tourelle, offre en arrière-plan un délicieux fond de glycines où la pierre usée se fond au végétal et à la luxuriance du printemps.

Dans la galerie, le palais entre dans l’onirique, si ce n’était déjà fait, dans des ornements de coquillages, de modelages tortueux et d’un bestiaire fascinant. Elle est parsemée de citations gravées, exprimant à la fois le labeur du facteur, sa modestie tout comme ses rêves de grandeur.

« ce rocher dira un jour bien des choses / ton i déal , ton palai s… », poème envoyé par le poète grenoblois, Emile Roux en 1904, qui a donné son nom au monument.

Descendant vers le sud, croisant plusieurs fois le Rhône de part en part, jusqu’à l’abbaye de Cruas. A deux pas des centrales nucléaires de Cruas-Meysse qui lâchent d’épais nuages lourds. Le village serait imprégné d’une fine pellicule blanche, imperceptible, mais bien présente, que la pierre de l’abbaye, mais est-ce une illusion, semble vénérablement blanchie dans sa majesté au bord de la rue principale. C’est l’heure des cigales en été. Aujourd’hui c’est le silence engourdi du soleil à son plus haut.

L’intérieur de l’abbaye est de style roman de grande sobriété, du plus classique, avec sa voûte en plein cintre et sa pierre claire et sonore. Aucun décor, sinon une ancienne peinture défigurée et indéchiffrable par le temps sur les parties hautes du mur exposé au nord. L’originalité du lieu est l’accession par une série, de part et d’autre de la nef, de marches menant à la crypte.  Crypte claire, nue, dépouillée d’un premier roman classique, probablement antérieure au XI° siècle. Depuis le chœur, on a la perspective des différentes arches en voûtes d’ogive et des chapiteaux sculptés d’animaux fabuleux et archaïques.

Un seul présente la tête d’un personnage ouvrant sa bouche sur ses dents nettement visibles, et laissant paraître deux parties d’une crosse d’évêque, ou d’un serpent mordu en son milieu (?).

De l’extérieur, le lanternon circulaire aux bandes lombardes signe de sa personnalité l’harmonie extraordinaire de l’édifice.

Nous tournons comme le soleil sur la place, autour du chevet largement dégagé, de ses oliviers trapus et de son unique haut cyprès donnant cette touche encore très méditerranéenne à Cruas. Sous les arcades d’un édifice faisant face à l’abbaye, une magnifique céramique murale de Fernand Lacaf (?) Y. vient s’y glisser, l’espace d’un cliché.

Dans la vallée, à quelques kilomètres de là, Rochemaure. Tout là-haut, noir dans sa ruine et sa solitude, rendu encore plus ténébreux au contrejour de treize ou quatorze heures, sur son éperon pointu, les restes de l’édifice qui donna le nom au village. J’explique à Y. que ce lieu dû s’appeler jadis « Roche au maure » ou « Roc au Maure » du temps des invasions. A ne pas confondre avec une quelconque roche au mort. Le petit comprend d’autant mieux la distinction que son nom de famille est Martel.

Des maisons comme des grappes compactes s’agglutinent en chapelet autour de ce piton géant. Même aujourd’hui il serait difficile de surprendre quiconque voudrait grimper tout là-haut par surprise.

Depuis le bistro du village, une jeune fille nous indique le chemin de la passerelle himalayenne. On y croise des randonneurs, des curieux et des cyclistes qui longent ce long chemin tranquille, rectiligne, protégé d’arbres menant à une sorte de Tower Bridge rural, d’où s’érige une tour dressée face à un des bras du Rhône qui à cet endroit géographique se divise en deux, et où une passerelle rejoint l’autre rive et l’autre tour. On comprend mieux l’appellation d’himalayenne ce type de pont, au tremblement que produit la structure métallique sous les pas. Au-dessous, le Rhône, même dans un débit diminué, tire de toute sa puissance, et de légers remous se laissent percevoir sur une eau jaunâtre. Tout le long du chemin de retour, on comprend mieux toute cette série de photographies d’art représentant des familles tibétaines à intervalles réguliers, à l’ombre des arbres.

Le dernier village avant l’arrivée à Villeneuve, c’est Alba-la-Romaine. Un de ces villages qui, dès l’entrée, révèle une indéniable harmonie de séduction. Depuis le pont qui suit immédiatement le panneau indiquant l’entrée, une large vue s’ouvre sur le château au loin et quelques toits de demeures de pierres sombres, ensevelies dans la perspective végétale d’où émanent des guirlandes de fleurs blanches au travers des arbres comme des muguets flottant et souriants.

Le village est en liesse. C’est le jour de marché, mais c’est aussi le 8 mai, et pour rejoindre la fête il faut emprunter des sentiers pierreux, coupants et sinueux qui descendent vers quelque vallon. Il y a tant de monde qui se croise qu’on croirait un chemin de pèlerinage.  Tout en bas se fait entendre une lointaine fanfare, enveloppante et enjouée et à mesure que le vallon se fait plus proche, commencent à apparaître, dans un décor inattendu, les premiers stands de fruits et de légumes, des pains énormes et des produits de pays, des huiles et des lavandes, puis tout un arsenal de brocante. On y vend aussi de petites chèvres, des bébés canards et des bébés oies. Sous d’énormes arbres abritant naturellement un comptoir improvisé, des buveurs de bières locales, des rondes d’enfants, des costumes régionaux, la fanfare, et une population de plus en plus dense. Les producteurs du pays s’y rencontrent, trinquent et font affaire. La fête, comme dans un Grand Meaulnes contemporain, se déroule ici loin du château, cachée et enivrée à l’écart du quotidien, dans le bucolique d’un temps clos, l’espace d’une ronde d’un jour férié. Le stand des vins d’Ardèche nous fait goûter le premier échantillon de notre séjour. Pour acheter du vin de basalte, c’est à la cave du village. Il faut poursuivre tout naturellement le long du sentier descendant de l’autre côté de la boucle, en pente douce cette fois, nommé, ça ne s’invente pas, le Sentier du Pinard .

Villeneuve de Berg est en sommeil, une autre manière de vivre le 8 Mai. Un dimanche en plus profondément sommeillant. Derrière l’église glisse immédiatement la rue saint Jean, puis celle d’Antoine Court, à l’adresse de notre maison.

  La surprise est d’avoir été logé dans une maison du centre de Villeneuve. Une maison Renaissance du XV°, sur deux niveaux, avec les chambres en haut. Une aubaine pour Y. qui n’a pas eu à partager sa chambre avec sa sœur. C’était un peu comme se trouver dans un décor de film. Le soir il n’aurait pas fallu rentrer trop soûl, les marches d’escalier étant irrégulières, hautes et usées par le temps.

On arrive à l’heure de l’annonce du nouveau pape Benoit XIV.

Je réveille Y. qui occupe la grande chambre du fond. Depuis la fenêtre on voit, derrière la maison en vis-à-vis, le clocher de l’abbaye cistercienne au cœur du village.

« Ardéchois un jour, ardéchois toujours… » . C’est avec ce mot de ralliement que j’aiguise la curiosité de mon petit-fils, à chaque fois qu’il sera nécessaire. Les croissants et les pains au chocolat de la boulangerie du coin nous paraissent énormes.

Juste un peu plus loin, sur cette rue aujourd’hui semi-piétonne, « le Café du siècle » aperçu il y a tant d’année, surgit dans le petit matin. Il est fermé. Il semble avoir été oublié dans un temps qui n’est plus. On y voit encore les tables et les chaises contre le mur face au comptoir. Le grand miroir est toujours là, le plafond en marqueterie aussi. Les vitres de la devanture ont reçu des éclats inexplicables.

Le village de Vogüe n’est qu’à une dizaine de kilomètres de Villeneuve. C’est sur la rive Est qu’on l’aperçoit de loin, du bord de la route. La masse compacte du château est éclairée tandis que le reste est encore dans l’ombre. On entend l’Ardèche qui gronde doucement en contrebas. Des venelles étroites et grises grimpent les lierres, les volets des maisons sont encore clos. La pierre est épaisse et le village se réveille doucement. Je photographie Y. au sourire radieux, rue des Puces, une des plus étroites de France dit-on. Celle aussi qu’affectionneraient les buveurs du coin dit-on. Quelques randonneurs matinaux semblent s’échapper du village par quelque mystérieux sentier et disparaissent du paysage.

Le château prend une place disproportionnée au cœur du village. Il demeure toujours la propriété de la famille du marquis de Vogüe qui marqua l’histoire du Vivarais. Depuis le parc, un sentier grimpe vers la chapelle. Tortueux et pentu, on y croise quelques maisons isolées et fantomatiques à la Hansel et Gretel, puis semble se perdre hors du village, bien qu’à certains endroits, à mesure que nous nous éloignons, quelques perspectives commencent à dessiner les toits des maisons et la majesté du château. Plus nous nous approcherons de la chapelle, plus les échappées se feront nombreuses jusqu’à permettre une vue sur l’Ardèche et l’ensemble de la vallée. Une fois parvenus sur l’étroite plateforme où est la chapelle, on distingue dans la pénombre de celle-ci un groupe de sculptures en bois représentant un maigre orchestre de clarinette, de violons et de contrebasse.

Le chemin du retour, comme à Alba, propose un sentier bien moins ardu, jusqu’à retrouver le lieu où disparurent tout à l’heure les randonneurs. Continuant le chemin qui longe maintenant l’Ardèche, on aperçoit sur la rive où nous avions garé, l’énorme et austère paroi rocheuse qui domine la vallée. Les canoës se font de plus en plus présents, l’émeraude de la rivière, comme les émeraudes de Colombie, se divisent en deux espèces, les claires et les sombres. L’Ardèche a adopté, à Vogüe, pour la plus profonde harmonie d’émeraude sombre.

Depuis la guinguette de « La Falaise », pour le vin blanc du pays, la perspective, dominant quelques ruines d’un ancien édifice, ajoute au romantisme de cette première étape.

C’est maintenant la route qui trace vers le sud par un couloir très nettement tranché de villages et de villes qui se succèdent. Ruoms est étonnamment attractive, avec ses immeubles neufs de couleurs et au bord de la route, son cirque Zavatta. On y voit, figés comme émergeant d’un magasin de peluches grandeur nature, un dromadaire et un chameau sur un paquet d’herbe en bordure de route, au pied d’un chapiteau bigarré, ne semblant pas plus effrayés par le flux incessant des véhicules que par notre présence insolite. Il est loin le temps d’une Ardèche dépeuplée comptant sur l’afflux de babas soixante-huitards venant poursuivre un idéal de robinson, élever poules et moutons sur des terres pauvres et arides. Je suis évidemment resté sur une image fausse d’un pays que nous voyons aujourd’hui dynamique dans sa marqueterie de vignes et ses zones commerciales intempestives aux abords de Ruoms et même de villes bien plus modestes.

C’est le sud qui mène inévitablement vers les Gorges et vers la Grotte Chauvet. Dès l’arrivée dans le périmètre de la grotte, on sent l’organisation d’un complexe sur lequel au bout d’une longue allée d’un environnement aride, surplombant un paysage jusqu’aux confins du pays, apparait le grand édifice circulaire de Chauvet 2, où se tient ce site trente-six fois millénaires enfoui dans les profondeurs et dans les conditions de la plus fidèle reproduction. Il en est dit ainsi de Lascaux et de nombreuses autres merveilles préhistoriques ne supportant pas la fréquentation trop intense de la présence humaine.

Douze heure trente. C’est notre tour.  L’afflux des visiteurs est ainsi filtré par groupe d’une trentaine de personnes équipées d’un méchant audiophone que se fait la déambulation sur une passerelle, que nous découvrons, en crescendo, les vingt-sept panneaux et les centaines de représentations d’animaux sous un éclairage hallucinant.

S’il y a bien un lieu qui nécessiterait une forte hypermnésie c’est bien ici. Une mémoire capable de retenir le continu de ces profondeurs millénaires dont il est interdit de rapporter aucun témoignage photographique.

Peint à l’ocre rouge, gravé au silex, tracé au doigt ou au fusain, le bestiaire prend vie tant les techniques de l’estompe et de la perspective sont maîtrisées.

Cécilia et moi regardons parfois Y., écoutant avec attention son commentaire adapté au moins de douze ans, les yeux agrandis par l’étonnement et l’insolite de sa première déambulation dans un tel lieu. Il y a quelque chose de sacré à traverser trente-six mille années, même si nous n’avons ici qu’une copie, d’imaginer un homme ancien œuvrer aussi à quelque image d’un sacré qui nous est inconnu et dont la ressemblance avec nous nous le fait paraître si proche.

Au terme d’un parcours de deux cent cinquante mètres, de quelques huit ou dix stations d’intense importance, sont apparus des bisons, puis des grands félins, des aurochs et des mammouths et rhinocéros, et ce qui m’a ému le plus, parce que peut-être plus intime, le dessin magnifique d’un hibou dont le corps serait figuré d’après un trait de griffes d’ours sur la paroi.  Merveilleuse osmose de la pierre et des moyens de figuration.

Le paradoxe est le voisinage dynamique d’espèce généralement séparées dans l’environnement de leur vie réelle. Il s’agirait alors pour les humains de ce temps-là d’archiver les espèces connues en une longue litanie mêlée de bisons et de chevaux, de rhinocéros et de panthères, en un film fantastique et irréel, donnant l’illusion d’une merveilleuse harmonie d’animaux en l’expression de leur mouvement.

Et c’est ici que les prémisses d’une perspective élémentaire prirent naissance. Et non à la Renaissance.

Chauvet-Pont d’Arc renferme donc la plus grande concentration au monde de félins (80), de rhinocéros (72), et certaines représentations demeurent uniques dans l’art pariétal paléolithique (panthère, hibou, bœuf musqué). 447 représentations d’animaux de quatorze espèces différentes. Voilà pour le catalogue…

Il se dégage de ces mises en scène une force et une vitalité qui tient autant à la dynamique naturelle de ces espèces animales qu’à l’œil acéré et à la jeunesse même de ces humains dans leur vigueur au berceau même de leur existence.

Le visiteur pénètre dans la salle du fond. Surgissent alors de la pénombre quatre-vingt-douze animaux, dont la plupart paraissent être en mouvement. Epousant merveilleusement les reliefs de la pierre, ce sont les fameux lions monumentaux de douze mètres de long.

En sortant des profondeurs, on aperçoit, le long d’une allée, au pied d’un muret, une plaque indiquant le trou primitif d’où les trois spéléologues, Eliette Brunel, Christian Hilaire et Jean-Marie Chauvet, s’engouffrèrent dans la cavité en 1994.

Au déboulé d’une route qui serpente depuis un moment déjà, apparaît soudain sur la droite, l’arche de pierre, noyée à cet endroit par des arbres masquant sa véritable dimension. Bien plus grande que les images vues du ciel, frêles et sans aucune idée de l’échelle réelle. C’est la fameuse trouée de Pont d’Arc.

Elle aurait échappée à notre regard, qu’on n’aurait pu faire autrement que de se demander à quoi correspondait ce parking immense sur l’autre bord de la route.

C’est par un chemin balisé qu’on voit au-dessous de nous, l’immense monument naturel qui enjambe l’Ardèche dans ses eaux d’émeraude. C’est une arche de trente-quatre mètres de haut, qu’une fois en bas, on regarde en levant bien haut les yeux, large de cinquante-neuf mètres. Sous l’arche, il y a très longtemps, ne se déversait là qu’un simple cours d’eau souterrain. On suppose que l’Ardèche, à la faveur de fortes crues, aurait abandonné son ancien cours pour glisser à travers l’orifice qu’elle a peu à peu agrandi, donnant naissance au Pont d’Arc.

C’est ici le paradis des kayaks, des canoës qui descendent doucement le cours de la rivière. Y. est évidemment tenté, mais à voir la manipulation délicate des messieurs casqués et sanglés maniant la pagaie, on se contentera sagement de descendre sur la plage et de voir évoluer les différentes embarcations. Le sable est gris, humide. L’eau est transparente.

Des sentiers à peine perceptibles, qu’on suit en se repérant par rapport à l’arche, nous conduisent après bien des contorsions dans les amas végétaux, des branchages qui écorchent et des dénivelés montant et descendant, au plus près de l’immense voûte jusqu’à être presque sous elle et dont on voit maintenant l’amas sublime des pierraille, ses failles et ses micro cavités, comme un arc de triomphe non domestiqué et surdimensionné, sous lesquelles passent, minuscules, des rameurs au ras de l’eau.

A cet endroit, où j’ai posté Y. pour le souvenir, on pourrait croire que l’arc de cercle, formant l’arche naturelle, nous enveloppe de toute sa puissance.

Nous remontons tous les trois, par des chemins d’herbes fines et soyeuses, à peine lisibles, verts et blonds comme des champs de blé.

C’est le début des gorges dont on voit au loin les falaises d’ocre, ses grottes creusées tout en haut des parois et les coulées géologiques de ce bleu de cian qui se serait versé dans la nuit des temps.

Ce matin la lumière est grise, et l’arrivée à Balazuc se fait par la route de Ruoms. Nous ne sommes qu’à une douzaine de kilomètres de Villeneuve. De loin déjà la pierre épouse les tonalités du ciel quelle que soit la lumière. Ce sont les lois de l’harmonie du ciel et de la pierre.

Dès l’arrivée, par le Nord et la route d’Aubenas, on longe la vieille école. Je ne peux m’empêcher de jeter un regard aux travers des vitres, de constater que les pupitres sont poussiéreux, et les tableaux, de l’ardoise véritable.

La rue des anciens combattant mène au promontoire où la nouvelle église paraît vouloir dominer l’ensemble du village du haut de sa position. J’ai tout de suite pensé à Van Gogh. Depuis les marches de l’église, des myriades de parterres d’iris mauves ou bleus s’éparpillent dans les allées. Le peintre eut aimé, le soleil en moins aujourd’hui, la profusion de ces mauves épousant la pierre sèche et le vert cru dominant.

L’architecture de Balazuc s’étend surement du X° ou XI° siècle jusqu’aux bâtisses cossues du XVIII°, autrefois protégées par des remparts. Nous en verrons des vestiges aux abords de l’Ardèche. En haut du village, la Tour Carré, deuxième donjon, abrite à la Place du Portalas, le point d’information. Depuis celui-ci, l’Impasse de la Pousterie descend vers un dégagement du paysage très large qui s’étend sur la vallée, traverse l’Ardèche et s’en va regarder jusqu’aux falaises abruptes qui semble protéger toute l’autre rive de l’Ardèche.

Par la rue Guillaume le Troubadour, on parvient à la Mairie, ensevelie dans une douce dolence de bouquets de végétaux, d’arbres maigres, qui dort de toute sa discrétion au Passage du sarcophage , où, effectivement dans le soubassement de la maison on peut apercevoir un magnifique tombeau dont la frise principale étale toute une théorie de magistrats romains.

Nous longeons la Rue Pons de Balazuc. On apprend que celui-ci participa à la Première Croisade et fut tué sous les murs de Jérusalem au début du XI° siècle. Depuis cette Grand Rue, sous des porches ou tout simplement par des ruelles montantes, on accède au cœur du village dont les noms chantent. Rue des voûtes, du Portail, de l’Echoppe et de la Calade, Rue du Portail neuf et rue des Ducs. C’est de l’autre côté de la Rue Grande que se situe, au bas du village, l’église romane enserrée de très près par de vénérables maisons nichées dans de jaloux environnements de verdures. A l’angle de certaines rues, la complexité de la pierre et des volets bleus semble de ne pas avoir été troublée depuis des temps de légende et de la belle aux bois dormant. Avec ça et là, toujours des massifs d’iris. L’église romane à la particularité de posséder un clocher à peigne, visible de plusieurs endroits du village. On peut même, par un vertigineux escalier, grimper jusqu’à caresser la pierre du clocher depuis lequel on voit s’étendre les tuiles roses parsemées de mousses des maisons environnantes.

Le village est très confortablement pourvu d’auberges, de terrasses ombragées et toujours sur la grand Rue Pons de Balazuc, un peu à l’écart du village, on se laisse tenter par le magnifique sous-bois qui abrite l’auberge de La Fenière . Une longue allée menant vers les tablées, des arbres qui recouvrent presque tout le grand espace ombragé, les iris sur tout le pourtour, et une cuisine alléchante. Dont une recette véritablement ardéchoise pour laquelle je ne me suis pas senti le besoin de lire plus avant le menu. Le nom local m’aura échappé, mais il s’agit d’une panse de porc farcie d’un hachis de blettes, de pommes de terre, de jambon, de poitrine de porc parsemé de fromage, d’une sauce à l’ail, le tout cuit à feu doux pendant quatre heures. (Pouytrolle !)

La route des Gorges est facile, parfaitement carrossée, et serpente après Vallon Pont d’Arc jusqu’à Saint Martin d’Ardèche. Nous n’irons jusqu’au terme de la route panoramique, mais depuis les quelques belvédères où nous faisons halte, la vue est saisissante. Parfois le paysage atteint le monumental et une grandeur quasi lyrique. La route surplombe la rivière comme si celle-ci avait, par une loi intime de la pierre et de l’eau, tracée les entrelacs improvisés et le lit tortueux qui déroule en majesté depuis là-haut. Les noms ne manquent pas de majesté non plus : Balcon de la Cathédrale, belvédère des Templiers, balcon de la Maladrerie.

Depuis le balcon des Templiers, qui doit son nom aux ruines d’une maladrerie de templiers posée en contrebas sur un éperon, c’est l’endroit où la boucle de l’Ardèche compose un méandre qui revient presque sur lui-même, paresseusement, encadrée par les magnifiques parois du cirque. Les canoës et les kayaks glissent comme de petits points de couleurs sur une eau d’émeraude continument sombre.

Le soleil s’est levé en fin du parcours des gorges, rendant encore plus contrasté, et parfois dramatique, les jeux de lumière entre la pierre et le lit de l’Ardèche.

Pour la deuxième fois, cette fois en plein soleil, nous pénétrons dans Alba la Romaine. Et cette fois nous nous attardons dans les ruelles médiévales, la place du château ensoleillée avec son bistro animé dont parviennent les éclats jusque loin dans les méandres du village. De nombreuses maisons du XV°, avec escalier extérieur, sont reliées par un ensemble de ruelles sous voûtes, notamment la Grand Rue et la Rue du Four.

Le château dresse sa masse sévère sur un piton de lave qu’on aperçoit dès l’entrée. Une fois au pied de l’imposante bastide, se dégage un caractère tout à la fois austère et sécurisant au cœur du paisible bourg. L’église Saint André, est relativement récente, du XVI° certainement, avec des réemplois de matériaux romains. Depuis le chevet j’éternise un portrait de Cécilia et du petit, au soleil déclinant. Derrière, insouciants, pris entre l’église et le château, des villageois semblent protégés par ces si rassurants édifices. Demain, pour notre départ, ce sera jour de marché.

Ce « Café du Siècle », je l’avais quelque part idéalisé, pris comme le modèle de ce que doit être le bistrot de village dans mon imaginaire.

Je pose donc le portable tout contre la vitre et fixe l’intérieur sur toute la longueur afin d’en immortaliser quelques clichés. Du plafond aux boiseries patinées, aux alignements de chaises et aux pieds torsadés des tables, au miroir immense, au comptoir interminable, lorsque vient à moi une grande dame blonde et élégante :

« – vous photographiez le café ? »

Je ne fus, pour tout dire, pas même surpris par la question.

« – Oui, il est remarquable. En passant par ici il y a très longtemps, j’avais remarqué déjà le magnifique côté désuet et aristocratique de ce bar qui, à force de classicisme, ne vieillira plus jamais. Quelque chose comme le bistro idéal. Mais je vois qu’en quelques dizaines d’années, il est réduit à l’abandon.

« – Vous avez raison, ce bistro est magnifique et jusqu’à l’an passé, il drainait toute une clientèle de fidèles, d’autant plus qu’il était doté d’un billard et que la cuisine du midi y était réputée.

« – ?

« – Il est définitivement fermé depuis que le patron s’est aperçu que sa femme le trompait avec un de leurs amis communs. Il s’ensuivit une sorte de folie, une bagarre et en peu de temps le bar a fermé. Les éclats que vous voyez sur les vitres autour de la porte d’entrée viennent de ces évènements. Depuis il est à l’abandon et à vendre. »

Je crus un instant qu’elle pouvait être la femme en question, puis j’ai pensé aussi qu’elle était peut-être mandatée par quelque agence pour trouver un client.

« – Toujours est-il que les deux niveaux de la maison sont indissociables et font partis d’une même propriété »

J’eus à peine le temps de lui dire que ce bistro avait eu une bien belle carrière et que je venais simplement d’en éterniser les lieux en quelques clichés.

Voyant Cécilia venir de la boulangerie d’à côté, je n’eus pas plus le temps de remercier cette mystérieuse dame qu’elle avait déjà disparue au coin de la rue.

Nous passons la dernière soirée à regarder le crépuscule brûlant, passant des jaunes éblouissant à des orangers soutenus et bientôt un pourpre sombre qui signifie que la vie de château s’achève maintenant. Mais ardéchois un jour

Romain d’Alba le lendemain ! Pour le retour, le passage par Alba est encore une aubaine. Dimanche, deuxième jour de marché après les festivités du 8 Mai. Les stands de produits du pays s’étendent depuis l’entrée du village en légère montée, jusqu’au bistro au pied du Château. On y trouve ce matin toutes sortes de pains géants, des fruits et légumes, des poivrons géants et des blettes géantes, des cerises par tonnes et des fraises (elles doivent regorger dans la région), mais aussi des produits artisanaux, de bois ou de céramiques. Ce qu’on cherche c’est évidemment les saucissons. Il n’y a que deux stands qui en proposent. Le plus attirants des deux est tenus par un étrange personnage tout en folklore, aux moustaches de cyclistes des débuts du XX° siècle et un tablier de vrai charcutier. Il ne fallait pas se fier aux apparence, il a vécu à Nice du temps de sa femme, et plus près encore de chez nous, à Saint Laurent du Var. Mais ça fait des années qu’il fait les marchés ici. On y va pour deux saucissons d’Aubenas et deux plus petits, l’un aux cèpes et l’autre au roquefort.

Tout à côté, semblant sortir d’une crèche, un couple de petits paysans farouches qui n’ose presque pas proposer leurs fromages de chèvre et de brebis. J’en choisi un de chaque, le plus dur possible. Il s’avère que ce sont, pour deux petits euros, les plus exquis fromages dégustés depuis longtemps.

Cécilia annonce à Y. que dans le Gard, en amont d’Uzès, se trouve le Musée du Bonbon Haribo. Il est évidemment ravi et ramène avec lui des senteurs qui resteront dans le véhicule durant plusieurs jours.

Et la dernière halte maintenant, à l’heure de midi, ou à peine moins, c’est Uzès. Que de cafés, que de bar sur le boulevard d’enceinte ! la ville est extrêmement vivante, et presque sonore entre deux terrasses de cafés. L’un deux où nous faisons halte présente à l’intérieur un magnifique escalier de bois ou d’ailleurs tout est en bois, se scindant en deux, vers la gauche et la droite et branlant tellement qu’il doit être dangereux le soir, passé une certaine heure.

On revoit la longue avenue qui mène à ce que je crois être la cathédrale avec son clocher cylindrique reconnaissable entre tous. On vient d’y célébrer un baptême. Le temps a tourné au gris, nous parcourons le centre de la ville sans trop nous attarder.

Sur l’un des murs non loin d’une des enceintes de la ville, une inscription dans la pierre qui rappelle que Jean Racine a passé ici en son temps :

Jean Racine, à l’âge de vingt-deux ans a séjourné en la ville d’Uzès, 1661-1662 :

« Et nous avons des nuits plus belles que vos jours »

Du 17 janvier 1662 …

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12 mai

A Bernard :

Nous sommes rentrés hier soir. Y. avait encore des étoiles dans les yeux. Moi aussi. Il y en a encore quelques-unes qui vont continuer de briller.

D’abord nous sommes montés jusque dans la Drôme, ayant tout le temps devant nous pour rejoindre vers 18 h Villeneuve de Berg où nous avions notre location. Première visite donc pour le Palais Idéal du facteur Cheval, cent km plus au nord. Ce n’est peut-être pas émouvant mais stupéfiant c’est vrai. Hauterives est entièrement dévoué au site. La ville est extrêmement ordonnée autour de ce lieu qui draine des cars de touristes et des véhicules en grand nombre. Malgré tout on n’a pas eu l’impression que devant le Palais il y avait tant de monde. J’ai même réussi à faire des photos sans qu’on aperçoive quiconque. Cheval avait buté un jour sur un étrange morceau de pierre et il lui revint en mémoire un songe fait longtemps avant. Un songe obsédant d’un palais idéal. Depuis ce jour, il avait alors 43 ans, il se mit réellement à le bâtir. Durant 33 ans, avec sa brouette et les quolibets qui ne manquèrent pas. Michel-Ange, lui, avait le Pape Jules II et la force de la foi vaticane. Le lieu est bien organisé, avec séance filmique d’image et de commentaires d’époque. Hauterives est un peu un centre du monde pour les rêveurs.

La surprise est d’avoir été logé dans une maison du centre de Villeneuve. Une maison Renaissance sur deux niveaux, avec les chambres en haut. Une aubaine pour Y. qui n’a pas eu à partager sa chambre avec sa sœur. C’était un peu comme se trouver dans un décor de film. Le soir il ne fallait pas rentrer trop soûl, les marches d’escalier étant irrégulières, hautes et usées par le temps.

Puis le vendredi, ce fut la grotte Chauvet. J’avais déjà vu Lascaux 2 il y a quarante ans. Je crois que Chauvet aura une carrière aussi brillante. Peut-être que l’environnement commercial y est un peu trop zélé, mais qu’importe. On n’y vient pas tous les jours. T’en parler est inutile, c’est comme se plonger dans une humanité trente-six fois millénaire, et toujours contemporaine. J’ai surtout admiré la manière d’utiliser les surfaces et les reliefs de la grotte.

L’Ardèche confectionne des saucissons d’anthologie. Et les vignes bordent constamment les routes. Je pensais la région désertique. Une vieille idée soixante-huitarde du temps où l’élevage des poules et des chèvres tenait lieu d’idéal.

A propos d’idéal, Villeneuve de Berg n’a pas été choisie par hasard. Nous l’avions traversée il y a quarante ans et j’avais été surpris par un café extraordinaire aperçu à l’arrêt d’un feu rouge. Mon bistro idéal… Le feu rouge a disparu, une zone semi-piétonne s’est installée et le bistro « Café du siècle » est à l’abandon. Il y a toujours les tables à l’ancienne, un comptoir d’une longueur impressionnante, rectiligne, d’une pureté d’abreuvoir, un miroir immense derrière lui et des éclats d’impact sur les vitres de la porte d’entrée. Durant la covid, le patron apprit que sa femme le trompait, et un épisode genre saloon de western s’ensuivit… depuis, le café est en vente ainsi que les parties hautes de l ‘immeuble. C’est une blonde charmante qui, me voyant photographier au travers des vitres, m’a raconté tout ça.

L’Ardèche est la seule région, à ma connaissance, qui propose dans ses cartes touristiques, en plus des villages de caractère, les bistrots de pays classés (appellation « bistrot de pays ») Chapeau !

La suite pour plus tard.

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14 mai

Camus dit « Si je devais choisir entre ma mère et la Justice, je choisirais ma mère ». Cette antienne, répétée à l’envi, va au-delà de ce qu’on lui aura fait dire depuis un demi-siècle. Par-delà le temps, cette vérité rejoint celle d’Antigone s’opposant à Créon, et plus loin encore, remonte au Jugement de Salomon, à savoir que ces trois attitudes impliquent qu’il se trouve une loi plus forte que la Loi. Celle d’une loi non écrite, non dite qui remonte à l’enracinement charnel d’un constituant légitime plus fort que la loi commune aux hommes.

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18 mai

A Bernard :

Les Alyscamps, c’est tout un monde. Bien sûr Van Gogh. L’église en ruine au bout de l’allée est émouvante. Et puis les cyprès. Es-tu allé voir la Maison LUMA conçue par Getty. On la voit, je crois depuis le Rhône. Elle est un peu excentrée par rapport à la ville historique. La dernière fois que j’y suis allé, elle venait d’être achevée.

Je suis encore dans mon séjour en Ardèche. Je n’ai pas commencé le récit. Il sera plutôt court. Je viens à peine de finir celui des Pouilles (enfin il reste quelques lignes). Tu recevras ça très bientôt.

On avait un projet d’aller à Budapest pour un week-end prolongé (la formule devient presque une habitude, trois jours par-ci, quatre par-là) … Et puis en cette saison, les liaisons aériennes sont saturées pour les dates qui nous intéressent (vers le 9 juin). Prague idem. Donc, on ira ailleurs. Tu auras la surprise.

Tu as déjà eu un aperçu de notre séjour en Ardèche qui a été une belle réussite. Y. a beaucoup appris. Je lui disais souvent  » Ardéchois un jour, ardéchois toujours ». Il a bien ri.

C’est aussi un pays plein de vignes, il y en a de partout et les supermarchés regorges de vins exclusivement de la région… Pays très vert aussi. Que je pensais un peu désertique et abandonné. Toujours ce préjugé venu des soixante-huitards (les poules et les chèvres…). Les fromages et les saucissons sont vraiment excellents. J’y ai mangé une spécialité dont j’ai oublié le nom à base de porc cuit dans sa panse avec des pommes de terre, des blettes et du jambon. Servie coupée en rondelles très larges Je me suis dépêché d’en adapter la recette une fois revenu chez nous.

Quand rentrez-vous ?

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19 mai

A Bernard :

J’ai fini le récit des Pouilles. Ça a été laborieux. Je sais pourquoi ces retours de voyage sont durs à mettre en écrits. Devant la page blanche j’ai du mal à revenir sur mes pas. C’est le syndrome de l’anti petit poucet.

Je ne te le fais pas encore parvenir car je voudrais écrire celui d’Ardèche en respectant la chronologie, donc l’insérer entre le 8 et le 11 mai. A moins que je te l’envoie pour que tu lises, mais sans l’insérer encore dans le site. La poésie sera maigre ce mois-ci. Il faudra s’y habituer. A moins d’un jet inattendu de temps à autres, je crois avoir beaucoup écrit dans ce genre littéraire. Peut-être même qu’un répit redonnera de l’élan. La poésie ne supporte le plan de travail mécanique. Je me félicite d’avoir eu ces quelques années torrentielles.

On ne sait toujours pas quelle destination donner à ce week-end prolongé du 9 Juin. Du moins quelle destination nouvelle. Nous avons déjà visité pas mal d’entre elles…

Tu me raconteras la Camargue.

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20 mai

A Bernard :

Finalement ce sera Budapest du 7 au 10 Juin. On a trouvé un autre voyagiste qui prend pour un forfait tout à fait convenable, les billets d’avion, un quatre étoiles au centre, le transport de l’aéroport à l’hôtel (aller/retour) et une promenade optionnelle au crépuscule en bateau sur le Danube. Pour 3 jours pleins. On aura pour le reste le temps de s’amuser…

Je commence le récit sur l’Ardèche. Il sera court, comme notre escapade. Tu auras donc encore un retard et un débordement sur le mois suivant. D’autant qu’il y aura bien quelques pages aussi sur Budapest.

Le temps se remet à l’incertitude, alternance de beau et de grisaille. Un printemps tremblant. Jusqu’au réchauffement climatique annuel.

Je viens de voir aussi des images de votre ballade. Je n’y suis pas tombé sur la Camargue, mais sur des sous-bois et du Land Art (je ne savais pas qu’on nommait ça ainsi). A Paris vous avez le coup d’avance. Mais j’avoue, ne pas courir systématiquement après les manifestations d’art comme tu sais. J’ai même raté le Carmen à Nice pour son cent cinquantième anniv.

Quand tu penses, ce pauvre Bizet, mort à 37 ans, du chagrin (dit-on) de l’affreuse réception de son œuvre. C’est aujourd’hui l’opéra le plus joué au monde depuis sa création. Ce qu’on sait moins c’est que les gens meurent souvent de ne pas connaître leur hypertension chronique.

Sur le guéridon :

Commencé : « avant qu’il ne soit trop tard » K. Daoud (chroniques 2015/2025), son pamphlet chez tract/ Gallimard aussi.

Xavier Driencourt : « France-Algérie, le double aveuglement »

Saviano : « Gomorra » (il est là depuis longtemps, les autres lui brûlent la politesse…). J’ai fait l’impasse sur son enquête sur le juge Falcone.

D. Fernandez : « le piéton d’Italie » (je ne quitte pas souvent Naples)

La Fnac n’a toujours pas reçu « la Meute » des amis Mélenchon. Ni sur les présentoirs, ni aux meilleures ventes, ni dans « actualité »

ni caché sous les autres…

Est-ce possible ? trotskyste un jour…

Heureusement il y a d’autres librairies.

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Pas revu « Taxi Driver » depuis très longtemps. Ça ne donne pas envie de connaître NYC. Même gratuitement en taxi.

Mais quel film romantique…

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29 mai

A Bernard :

Je suis ravi que constater que la messagerie fonctionne. J’en ai assez de Gmail, trop de conversation, manque de synchro avec les dernières discussions etc. Du coup, je sens zimbra en pleine forme. Pourvu que ça dure. Sinon on s’adaptera. Les Alpilles c’est Van Gogh, les sillons au premier plan et les petites montagnes pointues et grises sur fond d’azur. En Mai et Juin, c’est le meilleur. Le vin y est bon. Vous aurez peut-être seulement manqué la cathédrale de lumière des Baux avec Monet cette année. On a failli faire le déplacement, mais comme les enfants sont encore en classe, c’est Budapest qui a enlevé le morceau. On a l’hôtel du côté de Pest, pas loin du quartier juif et pas loin des ponts qui mènent à Buda. J’ai bien étudié les possibilités qui se présentent pour trois jours pleins. C’est facile, il y a de grandes avenues, et j’ai la cartoville, indispensable dans les villes de belles dimensions. Je finis laborieusement mon récit sur l’Ardèche. Je ne donne plus d’indication de date, ça paraîtra moins comme un journal de voyage, mettant simplement l’accent sur les choses et les évènements du séjour. Je dis laborieusement parce qu’en fait je ne m’y attèle pas régulièrement.

… C’est vrai que les monastères orthodoxes montrent encore les moines barbus et pittoresques dans le paysage de ces contrées. En Grèce, à Santorin je crois, on avait voulu visiter du côté de Fira un superbe monastère à la coupole blanc et bleu. Devant la porte d’enceinte, un gros moine coiffé de son calot particulier nous avait demandé ce que je crois avoir compris comme « qu’est-ce que vous faites ici, on ne visite pas », sans un signe d’amabilité et pas même bonjour. Dans la foulée, sort d’une porte latérale une nonne avec un couffin et deux bouteilles de blanc qu’elle lui tend sans même nous gratifier d’un regard. Considérant qu’on n’avait en effet rien à faire ici. En France, et en Europe, les monastères actifs ne permettent pas de rencontrer les moines. Généralement, ils sont dans la claustration, la méditation active et les supérieurs s’occupent de la bonne marche administrative. C’est vrai qu’ils sont moins pittoresques. Sache que les cisterciens se sont séparé de Cluny et de l’ordre des bénédictins au XI° siècle, qu’ils considéraient comme trop engagés dans le monde. Saint Bernard créa ainsi l’ordre de Cîteaux qui va donner entre autre le Thoronet, Sénanque et Silvacane, pour ce qui est de la Provence. Architecture austère et perfection fonctionnelle. Ce que j’admire, c’est que les plans, la réalisation et l’acoustique y ont jailli de leurs propres mains. Qu’ils ont longtemps été les détenteurs des textes anciens de la culture biblique et gréco-latine. … Sur le guéridon, j’ai presque achevé le Daoud « avant qu’il ne soit trop tard » Le Pierre Bayard « si les Beatles n’étaient pas nés » et quelques autres qui attendront encore comme « les derniers jour de LouisXVI », récit du procès et de ses derniers jours.

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1 Juin

Le PSG a remporté la Coupe des Champions par cinq but à zéro contre l’Inter.

Cinq mille policiers avaient été déplacés pour la sécurité à Paris. Cinq cent arrestations.

J’en conclus que ça fait cent arrestations par but, pour vandalisme, dégradations, et manifestations de barbarie.

Relâchés pour la plupart avant la descente sur les Champs ce soir. Pour la suite.

Il y a eu aussi dans ce même contexte deux morts. A Dax et à Paris.

La France a l’exclusivité du cauchemar les jours de fête. Pourquoi ?

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2 Juin

A Bernard :

Dans la box il y a déjà la poésie de Mai. C’est le volume III de Fragmente an Nuria. Avril étant le II. Pour ce qui est du carnet, rien n’a été envoyé. Tu recevras surement celui-ci avant notre départ samedi prochain. … Côté tomate, on a la chance d’avoir le cours Saleya et surtout le marché de la Libé. Il y a toutes sortes de variétés, les côtelés, les multi couleurs, les romaines et même les allongés. En cette saison autant en profiter. J’ai fait une parmeggiana il y a peu : aubergines tranchées en lamelles alternant avec de la mozzarella, un verre de 10, 12 cl de vin rouge, quelques feuilles de basilic frais, et en dernière couche une montagne de parmesan (qui viendra se mêler au reste durant la réduction) et le tout enfourné durant 35, 40 mn à 180. Le ketchup est une hérésie. Autant prendre des tomates hollandaises. On peut ajouter entre les couches de la sauce condensée en tube (la Panzani est parfaite parce que déjà aromatisée). … Je viens à peine de finir le Daoud. Rien à voir avec Houris bien qu’il s’agisse toujours des rapports faisandés entre l’Algérie et la France. il est bien placé pour en parler et sa voix est audible. On m’a conseillé « le Mage du Kremlin » de Giuliano da Empoli sur les coulisses du pouvoir en Russie et un « Bogota », de Santiago Gamboa, d’une série que j’ignorais qui propose un guide d’une ville à lire comme un roman (avec intrigues historiques etc.). Dans la série, il y a Rome, Istanbul et même la Thaïlande (pour un roman rapide). C’est chez l’arbre qui marche. J’ai fêté mon anniv de la plus sereine manière, c’est à dire en ne changeant pas grand-chose à cette journée. 73 fois que ça revient. Particularité de cette année, ça tombait un dimanche comme le jour de ma naissance. Le voyage vers Budapest sera vraiment très court. On arrive le samedi à minuit (pas de places autrement) et on rentre le mardi soir assez tard. On y retournera surement. … Comme ma mémoire est éléphantesque certains jours, je me souviens que l’anniv de Denis Chollet est le 4 Juin 51.

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Festival du Livre hier à Nice. J’y suis passé discrètement voir Any Duperrey sous un chapeau de paille et des cheveux noir sur une peau très blanche. Ce sont les mains qui trahissent le plus l’âge, la peau du visage étant tout de même un peu tirée. Elle reste malgré tout une des plus belles femmes des années soixante-dix, quatre-vingt.

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3 Juin

A Bernard :

Tu as donc la lecture en retard de mai. J’espère voir bientôt les nouveautés malerei et les textes des Pouilles et de l’Ardèche dans Voyage. Mais tu as tout le temps. Je comprends que les tomates et les herbes qui poussent demandent de l’attention. A propos de récit de voyage, je me suis laissé tenter par « bourlinguer » de Cendrars. Le récit de tous les ports où il a débarqué. Naples, Bordeaux, Venise etc. Gros volume serré de 400 pages ; Il y a un très long chapitre sur Gênes. Comme on ne fait jamais qu’y passer en coup de vent, je me servirais de cette lecture pour préparer une petite virée là-bas. En attendant Budapest ce samedi. Températures comprises entre 16 et 32. Donc petit bagage. Je m’en vais ce matin dédicacer à la Libé le Livre des Répons à une copine fervente. Mon festival du livre à moi

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6 Juin

L’aveuglement de certains juges peut prendre parfois un caractère assez inquiétant.

Demandant à une de mes amies juge ce qu’elle pensait de la réflexion du député Eric Ciotti , suite à la condamnation parallèle d’un boulanger ayant été pénalisé de 7500 euros d’amende pour avoir travaillé et ouvert sa boulangerie un Premier Mai, (je mets des majuscules pour appuyer sur la gravité toute syndiquée du délit) et un délinquant ayant tiré au mortier d’artifice sur un représentant de l’ordre public écopant uniquement de 500 euros. C’était évidemment suite à la nuit de désordre du dernier 31 Mai.

Réponse du juge :

– quelle démagogie !

Puis, plus loin :  – les amendes sont données en fonction des revenus des condamnés.

J’en conclus que la justice est plus pointilleuse à regarder le train de vie des délinquants dans un souci proportionné d’égalité que de traiter la nature du délit.

N’oublions pas que la Révolution française a été initié juridiquement et mise en place par toute une théorie d’avocats et de magistrats. Ce souci d’égalité étant l’alpha et l’oméga des magistrats d’aujourd’hui. On traitera le délinquant fiscal autant, sinon avec plus de sévérité, que l’auteur d’un homicide volontaire. Peut-être plus si on considère la haine toute militante qui anime cet esprit anticapitaliste jamais trop éloigné de celui de la Révolution.

Et n’oublions jamais : « les juges ont eu la peau de la monarchie, ils auront celle… »

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11 Juin

A Bernard :

Merci pour la mise à jour. Nous sommes arrivés hier soir assez épuisés ; Nous avons marché quarante-cinq kilomètres en 2 jours et demi (compteur du portable). Sous une chaleur d’Europe de l’Est, lourde. Heureusement on a eu un peu de vent. Budapest nous a enchanté, j’espère qu’il en restera des bribes poétiques. D’abord la formule choisie : pour moins de 800 euros, on a eu droit au vol, à trois nuits d’hôtel Marriott petit déjeuner compris, un véhicule nous attendant à l’arrivée et de même au retour jusqu’à l’aéroport. Plus une balade en bateau d’une heure et demi sur le Danube. (Qu’on aura manqué le premier soir (épuisés) et sans plus d’envie le second soir. Une excellente formule de toute façon. Avec un peu de chance, notre chambre au 4° étage n’avait pas de fenêtres mais une longue suite de baie vitrée. Avec l’impression de dominer la vaste Place qu’on voyait vivre sous nos yeux. Le bâtiment anciennement luxuriant nous faisant face plus ou moins décati aujourd’hui donnant encore plus ce côté film américain années cinquante. Ou New-York vue d’en haut.
Tu auras un descriptif plus complet quand tu auras le récit. Je m’aperçois qu’on fait de petits bons de puces, mais on se déplace souvent : avril, mai et juin successivement. La suite bientôt ….
En tous cas, c’est vrai que nous prenons ces voyages sous la forme de promenade, sans jamais se fixer obligatoirement sur les activités culturelles des lieux, mais plutôt en impros encadrées par la nécessité de ne rien manquer des divers quartiers et curiosités naturelles. Il nous est même arrivé de faire l’impasse sur les musées à Venise (à part la Scuola San Rocco : Tintoret et les églises majeures) mais de ne rien manquer de ce qu’offre la ville sous le plein ciel.

Cela fait longtemps qu’on voit monter cette marée musulmane et qu’ aucun de nos politique, sauf ceux qui fâchent ou ont fâché, ne l’avait jamais signalée. Aujourd’hui, cela semble sauter aux yeux de tous. Mais les solutions ? Tu cites, les coptes, les hindous ou les catholiques, mais seul l’Islam est une religion de conquête et ce, depuis le VII° siècle, pas plutôt éclose (conquête de l’Espagne). Même les territoire dits historique de l’Afrique du Nord ont été conquis par l’épée musulmane. Ceux-ci étant arrivés finalement en derniers conquérants (Algérie) après les chrétiens, et les byzantins.
Donc, lorsqu’on en fait entrer l’équivalent de la ville de Toulouse chaque année, on ne peut s’étonner de voir le paysage physique, social et demain politique, changer.

Je vois que tu lis attentivement ma poésie. Elle est moins volumineuse que jadis (j’en parle dans un précédent courrier), et j’ai l’impression que le domaine est bien fragile, l’inspiration ne dépendant pas de moi.
Je m’en vais récupérer un jour ou deux (on a pas mal picolé ) et je me mettrais à la rédaction de Budapest.

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BUDAPEST

7 Juin

La nuit est arrêtée. Figée dans cette salle d’aéroport. Nuit noire d’un ciel impersonnel. C’est le retard, comme souvent, des vols de nuit. Décollage prévu pour 22 heures 40. On verra donc Budapest très tard, peut-être à la bascule du jour qui va suivre. Le vol est évidemment mortel. Pas moyen de dormir ni de voir quoique ce soit au travers du hublot opaque.

Nous serons là au bord du Danube pour Pentecôte, le dimanche et le lundi. Un vrai week-end de Pentecôte complet. Cette nuit de samedi ne compte donc pas.

Mardi non plus. On n’aura que le souci de boucler les valises et attendre le véhicule prévu pour le trajet aéroportuaire, journée forcément cassée en deux.

 Le micro-van noir fait défiler, dans le feutré de la nuit sur Budapest, ses faibles lueurs de banlieues, quelques immeubles décatis et ruinés par le temps, abandonnés. On ne les voit pas, on les devine. Puis, imperceptiblement, la ville semble s’agrandir, des avenues parallèles fusent dans des lumières moins rares.  Nous ne traversons pas le Danube, donc nous venons du sud de la ville. Les boulevards se dessinent et le véhicule ne tarde pas à s’arrêter devant l’entrée cossue du Marriott de Josef Korüt , à l’angle de Blahà Luija ter .

Ter voulant dire Place.

Lorsqu’on s’évade des langues latines le nom des rues et des lieux virent souvent au cauchemar. Déjà l’agrégation des premiers mots que l’on essaie de lire, interminables, mesure le degré de fatigue à une heure déjà située entre le samedi et le dimanche.

Notre chambre au quatrième s’ouvre sur la ville, et du haut de notre étage, la large baie vitrée laisse entrer maintenant les flots de lumière de la Place encore intensément animée. Depuis là-haut on a la nette impression de ne pas être séparé du monde extérieur, ou mieux encore, d’être un point de survol sans démarcation avec une quelconque limite sur le devant de l’avenue tout en bas.  Comme si une partie de Budapest entrait dans la chambre.

Le bâtiment sur notre vitre droite, anciennement luxuriant du temps du bloc de l’Est, plus ou moins décati aujourd’hui, donnant plus encore ce côté film des années cinquante .

Comme une bulle au-dessus de la ville, le ciel aussi est rentré dans la chambre .

8 Juin

Et ce matin, en ouvrant les rideaux, c’est toute la lumière qui prend possession des lieux, le jour commençant à poindre peu après quatre heure trente. Le ciel est de feu comme nos paupières lourdes de peu de sommeil.

Il est encore tôt. La ville semble dormir, et rien de tel que le dimanche pour mesurer, au jugé, à vue de nez, la densité des déclassés et des pauvres d’une ville. Même la plus belle et la plus élégante ne saura cacher, dans le calme relatif de son dimanche ses trop pleins de misères. Les visages impénétrables, mats et brunis, le regard lourd, ce sont des familles roumaines itinérantes qui s’offrent au soleil, brunies autant par le soleil de Juin que par les ténèbres qui rentrent par les pores de leur marginalité.

La longue et large avenue Ràkoczi ut mène, après Astoria , à la synagogue sur la droite, et si l’on suit encore plus avant, on atteint le pont Erzsébet. La synagogue est fermée à cette heure. C’est la plus grande d’Europe et la seconde en dimension, après le Temple Emanu-El de New-York. On y entend les oiseaux alentours et à première vue, elle a ce côté byzantino-mauresque qu’on ne serait pas surpris de trouver sous d’autres latitudes.

Rakoczi possède quelques merveilleux palaces aux délicieuses façades avec d’élégants atlantes contorsionnés, presque michelangéliens faisant piliers à l’entrée des hôtels où les fenêtres à encadrement orthodoxe de la Belle Epoque d’Europe de l’est sont ici en grand nombre.

Des mosaïques signifiant des bouffées de printemps sous forme de femmes de pied en cap, fraîchement fleuries de style Art Déco, rythment en verticales les façades d’immeubles cossus. Tout semble parler de la ville triomphante de la fin du XIX° siècle.

C’est par le métro qu’on rejoint la station Kossuth Lajos ter . Budapest est une ville extraordinaire pour les gens de notre âge, les transports en commun sont gratuits et pas besoin de montrer de papiers d’identité, le sourire suffit.

L’espace est infini au pied du Parlement. La pierre est blanche, éblouissante sous l’azur sans rides. Et tout de suite, une cascade de héros de pierre enserre le Parlement. Comme protecteurs réminiscents de temps héroïques. Certains groupes de bronze noir sont mis en scène ou relatent quelques faits de haute Histoire. L’harmonie en est souvent convaincante.

A Budapest il ne sera pas rare de rencontrer des statues, même aux moments les plus inattendus. C’est un sens aigu de la pérennité identitaire qui se dégage de tant d’édification effusive, allant de l’héroïque au naïf anecdotique. Autour de ce Parlement, côté Danube, ce sont les souverains hongrois depuis les premiers chefs de tribus magyares, et côté Place, quatre-vingt-huit représentations de Princes de Transylvanie.

Plus modestement, mais tout aussi édifiant, à quelques pas de là, les soixante paires du Mémorial « des chaussures » en bronze, tout au bord du fleuve, commémorant l’assassinat de milliers de juifs durant la Seconde Guerre mondiale par les partisans nazis des « Croix-Fléchés ». Ces exécutions avaient lieu sur les quais et les corps étaient jetés dans le Danube.

Budapest c’est d’abord le Danube. Quatre cent mètre entre le Parlement et la rive opposé de Buda. Il y transpire de quelque endroit où l’on se situe. On y arrive, on y aboutit. Avec le Parlement qui a les pieds perpétuellement dans ses eaux. Depuis la colline de Buda le Parlement semble en vitrine. Nous y avons rendez-vous pour quinze heures quarante-cinq…

Depuis cette rive, côté Parlement, la perspective coure très loin sur la rive de Buda. On y devine presque miniaturisés, l’Eglise sainte Anne aux deux clochers aux bulbes de plomb vert, comme ceux de Salzbourg, Vienne et de ce temps de l’empire austro-hongrois, le haut clocher pointu et blanc de l’Eglise Matyas qui domine, l’église calviniste tout au bord du fleuve, le Bastion des Pêcheurs, et plus loin sur la gauche, le Château.

Le métro jusqu’à Skell Kalman … passant sous le Danube et réapparaissant à Buda. Le Danube sur l’autre rive. Et puis tout de suite, on sent qu’on est sur une colline. Les chemins, où que l’on aille, grimpent, et les bus sont bleus. Le nôtre c’est le 16.

Il nous laisse au bord d’un jardin, prêt de Budatower où tout paraît respirer un autre temps. Buda c’est l’âme romantique de la ville, le surplomb qui domine l’autre rive, depuis ses ruelles tranquilles et ses pavés chargés d’histoire, paraissant regarder son autre moitié depuis ses promontoires. C’est à hauteur de la discrète Porte de Vienne que se situe une petite niche d’à peine un mètre de hauteur, où personne ne s’attarde, où personne ne prend la peine de s’arrêter. C’est une scène d’Histoire en pierre polychromée en moyen relief d’un artiste populaire anonyme représentant le siège de la ville par les turcs. On y voit les assaillants repoussés au sommet d’une muraille et dans une scène voisine, dans le même cadre, un soldat s’apprêtant à décocher sa lance sur un turc enturbanné, déjà mort, déjà affaissé sur son cheval, parce que promis à la mort dans l’idée de l’artiste. Les trois élégants chevaux représentés sont les vrais héros de cette scène populaire d’une fraîcheur qui semble avoir été taillée à l’orée de la colline. Il est écrit : « BUDA VARA OSTROMANAK EMLEKEt ORZI » (« le château de Buda préserve les souvenirs du siège »).

Derrière la Porte de Vienne, l’imposant et sévère bâtiment des archives de la ville est enserré par un chemin bucolique qui se perd dans l’ovale de Buda, jusqu’à former une boucle se refermant après le château.

C’est par Orszaghàz utca, une ruelle pavé et silencieuse, qu’on parvient à Matyas Templon dont la flèche blanche tout en dentelles et aux tuiles vernissées s’aperçoit bien haute, depuis là où nous étions tout à l’heure, au Mémorial des chaussures. La foule est ici à son paroxysme, d’autant que la vue depuis le bastion des Pêcheurs et son chemin de ronde, plonge sur le Danube en plan panoramique embrassant de la plus sublime façon la ville depuis le plus au nord, jusqu’au-delà du Pont Erszebet, le plus au sud

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Des scènes d’hystéries sont souvent à redouter lorsqu’on parvient en ces lieux de haut tourisme. On avait déjà vu des asiatiques, (ce sont souvent elles qui s’illustrent en ces scènes débridées de nombrilisme), préparer bien en amont, dans une comédie costumée de fausse jeune mariée, collier de fausses perles et coiffures extravagantes, les futures photos qui témoigneront d’une vanité sans complexe.

Ce midi, ce sont deux femmes d’un certain âge qui alternent devant l’appareil photo, dans des postures caricaturales, le jeu des mains, des bras et des jambes, des plis des robes qu’on oriente selon l’expression qui accompagne la simulation de la surprise, le sourire carnassier ou tout simplement la fausse ingénuité devant l’objectif, avec la ville en contrebas qui sert d’alibi à leur folle mise en scène.

Buda est néanmoins l’âme bucolique de la ville quand Pest en est la dynamique et le développement actif contemporain. Buda est dépositaire de mémoire, Pest embrasse l’avenir de la ville.

Mariage d’une absolue complémentarité.

C’est donc un des écrins de la ville. On dit pourtant que tout y a été reconstruit et qu’il ne reste rien de la ville antérieure à la guerre. Qu’elle reste un artifice du style empire qu’elle a pu être par le passé.

Malgré cette possible vérité, les rues et les chemins qui bordent la colline confirment l’impression de pure poésie qu’on ressent dès l’abord même de la Porte de Vienne, puis les allées arborées où le temps s’est figé, les ombrelles et les poussettes marchent suivant les aiguilles d’un temps qui, lui, n’a pas disparu. On peut ainsi longer par la rue des Seigneurs, la Promenade des Remparts et quelques autres, cette crête de Buda qui domine avec une sérénité affirmée la face assumée du romantisme de Budapest.

C’est dans Fortuna Utca qu’on trouve, à une terrasse ombragée, le Restaurant « 21 Hungarian kitchen » pour y goûter le premier goulash et le rouge de Hongrie…

Depuis la déferlante du tourisme de masse, la moindre chapelle n’est accessible que moyennant un droit d’accès. La Cathédrale de Séville, la Sacra Familia ou le Dôme de Milan subissent déjà les assauts des audiophones les plus sophistiqués. Bienheureux les visiteurs de Notre-Dame. Mais tout, ailleurs, se monnaye et tout se sécularise.

Nous avons donc patienté pour le pass donnant accès au Bastion des Pêcheurs et à l’Eglise Matyas qui l’accompagne dans une belle perspective.

Le Bastion a été élevé à la fin du XIX° siècle en un ensemble néo-roman de remparts et de tourelles qui n’est pas sans évoquer un château de conte de fées, ou au mieux, de petits remparts de Carcassonne sans en avoir l’air. L’origine du nom viendrait d’un ancien emplacement d’une corporation de pêcheurs qui auraient participé activement à la protection de la ville. Soit tout simplement d’un marché aux poissons. Les sept tourelles symbolisent les sept tribus magyares, chaque chef, moustachus et casqués y étant représenté par une statue (à l’emplacement où nos asiatiques de tout à l’heure y faisaient leur danse du nombril) à l’ombre d’un porche couvrant un escalier descendant vers le Danube. Le chemin de ronde, ouvert sur l’un des plus parfait paysage urbain, large et serein, présentant en majesté le Parlement et tout le découvert de la rive opposée.

L’église Matyas s’appelait à l’origine Notre-Dame de l’Assomption, mais elle a pris depuis le 19° siècle le nom de Matthias Corvin, du nom du roi qui apporta les modifications et les agrandissements à l’édifice, mais aussi pour ses noces célébrées ici même avec la princesse Catherine de Bohème. L’empereur d’Autriche François-Joseph et son épouse Elisabeth (Sissi !) y furent couronnés souverains de Hongrie. Ferenc Liszt y composa et dirigea sa Messe du Couronnement pour l’évènement.

Dès l’entrée, le passage de la lumière à l’intensité de l’ombre nous rend aveugle durant un court instant. Il faudra s’habituer un moment avant de recevoir les éclats d’or et les coulées de peintures qui saturent le moindre espace des surfaces murales et tous les piliers. Lorsque la lecture des divers épisodes devient possible, on prend conscience qu’à Matyas, mais aussi dans la plupart des édifices d’ici, leur beauté est moins doloriste qu’au sud de l’Italie, avec toujours quelque chose de plus martial et un souci de fondre dans l’histoire sacrée des épisodes fondateurs et héroïques de la Nation. La conception de Jean-Baptiste ou des apôtres apparaissant avec une sensibilité autre, la Vierge moins contristée et le Christ même un peu conquérant.

Donc, à peine franchi le seuil, on est assailli par une profusion de peintures, de voûtes magnifiées d’or et saturées de rouge et de jaune. Murs et piliers habités de motifs géométriques ou végétaux de style néo médiéval. Sur la chaire de marbre polychromée figurent les quatre évangélistes et les Pères de l’Eglise. On ne compte pas moins de quatre chapelles latérales, dont celle de Saint Ladislas, et Saint Emeric, ornées de retables, de fresques ou de sarcophages.

Dans la nef, se succèdent les drapeaux des diverses provinces de Hongrie, ce qui accentue l’aspect demeure de châtelain, presque séculaire du lieu, même si le sentiment d’une forte mysticité émane de la pénombre chargée de cet or et ses tonalités chaudes auxquels manqueraient l’encens et un fond d’orgue pour parfaire un irrépressible moment d’élévation.

Revenus sous le soleil, entre le Bastion des Pêcheurs et l’Eglise Matyas, la statue de bronze tout d’un bleu/vert étincelant, du premier roi de Hongrie, Etienne Ier, sur son cheval caparaçonné, revêtu du manteau de couronnement, de la sainte couronne et tenant en sa main droite la double croix apostolique, symbole de la conversion du pays au christianisme.

Nous marchons plus au sud, vers le Château, pour découvrir avec tristesse, que tout semble avoir subi les affres d’un tremblement de terre, tant les échafaudages et de multiples travaux ont envahi tout à la fois la sérénité et la majesté des lieux.

Près de l’imposante porte qui ouvre sur l’esplanade du château, un rapace aux ailes déployés tenant une épée entre ses serres semble vouloir prendre son envol d’un pilier de la grille néo baroque fermant l’enceinte du château. Il s’agit du mythique Turul, emblème des tribus magyares. Plus loin, le funiculaire présente sa pente vertigineuse s’engouffrant jusqu’au pied de la rive ouest du Danube.  

Deux gardes en uniforme militaire devant ce qui pourrait être la Mairie de Buda, en tous cas un édifice administratif, képi vissé sur le front, le regard impénétrable et le corps parfaitement immobile en position de rigidité avancé, laissent une image de torture lente par inertie (en état de respiration camouflée ?) jusqu’au moment où, l’un d’eux, comme une mécanique actionnée sur minuterie, claque les talons et entame une marche à pas lent et large fendant l’espace comme deux lames de ciseaux.

Nous ne verrons pas, derrière les bâches obstruant les désordres du chantier, la fontaine du roi Matthias. Il s’agit d’une scène de chasse en bronze inspirée par une ballade romantique dans laquelle le roi rencontre la belle Ilonka.

C’est avec le bus bleu que nous descendons les lacets contournant la colline, embrassant doucement les espaces verts, les jardins et les statues de héros qui parsèment les décors au hasard des surprises, jusqu’à la rive du fleuve où le château apparaît maintenant miniaturisé comme un gâteau plat au sommet de sa crête.

Le bus nous laisse sur l’autre rive, après Jozseph Attila Utca aux abords de la grande Place Erzsébet . Par une perpendiculaire, on rejoint la Basilique Saint Etienne qui trône sur toute une foule amassée, et descendant des marches, jusqu’à rejoindre un parterre de mosaïque de pavement aux cercles entrelacés, un couple de mariés. Puis des belles, aux robes de circonstance, des bleues et des mauves, des chapeaux d’un autre âge, des messieurs aux costumes sombres impeccables, brillantinés, avec des ovations incessantes qui laissent supposées qu’il s’agit d’un mariage dont l’un des contractant appartient à un cercle sportif d’importance ou d’un influent dans la vie municipale. La Place est à la liesse, et comme il est l’heure de notre rendez-vous, la rue qui succède à Saint Etienne mène au travers de charmants espaces arborés, de jardins fleuris, directement à Kossuth Ter et au Parlement.

Le vin frais, sur une des terrasses aux abords du Parlement, fait patienter jusqu’à quinze heures quarante-cinq.

Il est rare qu’une ville s’identifie de façon aussi exclusive à un édifice, comme Budapest avec son Parlement. Nous avons la Tour Eiffel, mais aussi le Sacré Cœur, peut-être maintenant la Pyramide du Louvre. Rome s’identifie au Colisée mais aussi à la Trinité des monts. Budapest lie en une seule image, imposante et terrestre, le symbole de la ville qui est en même temps celui où s’y exerce son pouvoir politique.

Imagine-t-on à Paris le triste monument néo grec de l’Assemblée Nationale comme symbole de notre capitale ?

Majesté, somptuosité et éclat. Dès l’escalier et le hall d’entrée, ce sont ces épithètes qui s’imposent, par la profusion des dorures, des plafonds voûtés d’ogives polychromées aux divers couloirs. Au sommets des piliers rythmant les espaces de ces couloirs, des personnages représentant certainement des élus glorieux en costume traditionnel, des vignerons des femmes de la terre, des souvenirs encore des temps de rêves d’humanité conquérante, donnent une note de réalisme et de bonhommie à ces traversées joignant une salle à une autre salle, jusqu’au moment paroxystique de l’escalier menant à la salle de la Coupole. Nous sommes maintenant sous l’immense volume de celle-ci dont on voyait la forme extérieure il y a peu, depuis la colline de Buda. Comme à Florence, nous avons du mal à réaliser, une fois dessous, la dimension des dômes.

 Avant d’y pénétrer, une étrange et assez désuète scénographie militaire entame à pas lent et cadencé, une démonstration de sabre dont on entend dégainer et, après avoir fendu l’air, siffler sinistrement la lame rentrant dans le fourreau, sans qu’aucun trouble d’expression ne transparaisse sur le visage. Toujours ce sens du guerrier et de la figure du héros prêt à surgir.

La salle de la Coupole est le lieu où l’audiophone fait la halte la plus longue. C’est une immense salle circulaire contenant des témoignages de plusieurs siècles d’histoire, des statues de souverains et les blasons des anciens comitats. Au centre, la couronne. Couronne dite de Saint Etienne, rendue par les américains en 78 qui l’avait gardée durant la Seconde Guerre mondiale, est un magnifique exemple d’orfèvrerie du XI° siècle. La partie inférieure, byzantine est composée de plaques d’émail cloisonnées, serties de pierres précieuses. Au centre, la figure de l’empereur byzantin Michel Ducas. La partie supérieure, latine, est constituée de deux plaques d’or émaillées sur lesquelles apparaît un Christ en majesté.

La Croix oblique ou de guingois donne l’impression de s’être écroulée, ce qui soudain rend l’audiophone inarrêtable sur les raisons supposées de cette anomalie. Le temps et une manipulation maladroite paraissent être une raison suffisante.

Le sceptre serait à la fois d’origine égyptienne et hongroise, et le globe frappé de la maison d’Anjou et du règne de Charles Ier.

L’apogée de la visite est la salle des Séances de l’Assemblée, tout en bois et aux multiples dorures, en fait un modèle du genre. Juste avant d’y pénétrer, le salon des Députés exhibe les allégories polychromées des principaux métiers du commerce et de l’industrie.

On remarquera dans les couloirs, des bancs réservés aux députés et des porte-cigares numérotés, chacun correspondant à un parlementaire. Ces porte-cigares permettant aux fumeurs d’entendre un député dans l’hémicycle non-fumeur. Il en ressort qu’un bon orateur se mesure au havane qu’on lui sacrifie…

Dans la dernière salle des statues de marbre blanc, comme autant de guerriers à moustache et à épées lourdes, des héros supplémentaires, des cousins de Charlemagne qu’on n’aura pas identifiés.

Le temps se couvre, la lumière n’en rend pas moins un ciel évoluant dans des tonalités de nacre légèrement bleutées. Le Danube s’assombrit. C’est par le métro que nous rejoignons la station Blaha Lujza dont on apprend qu’elle fut en son temps un soprano léger qui triompha, entre autres, dans Madame Sans Gène de Félicien Sardou. On la surnommait le rossignol de la Nation. Elle eut droit à des funérailles nationales. Elle est maintenant une station de métro.

C’est depuis notre quatrième étage doucement halluciné qu’on voit les baies vitrées éclaboussées de gros éclats de pluie, le ciel noir et zébré, le bâtiment donnant sur l’angle de la rue menaçant ruine, l’ancien édifice administratif crouler dans une tragédie sombre, et les trams jaunes luisant comme des trains fantômes.

Le serveur de l’hôtel annonce immédiatement qu’il ne parlera qu’anglais. Il est ravi tout de même de servir le pinot noir du pays et le foie gras aux petits fruits rouges de saison. Ravi de prendre son billet de dix euros, ce qui est un pourboire énorme dans un pays où il faut convertir en beaucoup de zéro les colonnes de florins. Il sera le premier à demander au réveil de demain si le pinot avait été bon.

9 Juin 

Depuis la baie vitrée ouverte sur la Place Blaha Lujza, se dresse à quelque deux trois cent mètres, ce que je pris tout d’abord pour un clocher d’église baroque et qui s’avère être la partie supérieure ouvragée de type Art nouveau d’un hôtel où se situe le fameux New-York Café. Hier en fin d’après-midi, les gens faisaient la queue à l’heure du chocolat chaud. Ce matin, comme par enchantement, des places sont encore disponibles vers les huit heures trente.

« …L’édifice a été édifié à la fin du XIX° pour le compte d’une compagnie d’assurances américaine devenu rapidement le café le plus somptueux de Pest. Et le plus exubérant aussi, un véritables essaim d’actrices, d’intellectuels et de musiciens bourdonnaient parmi les marbres et les dorures de cette vaste ruche rococo. On y croisait des magnas du cinéma (Fox, Cukor, Goldwyn, Mayer), Kertész qui s’imposa à Hollywood sous le nom de Michaël Curtiz. Le café embouti par un char soviétique en 1956, a retrouvé depuis, son sublime décor de la fin du 19 °… ».

Nou s y avons trouvé la dernière table disponible. Pas tant pour la qualité du café dont le prix est évidemment exorbitant, mais pour le jeu des miroirs, des escaliers qui descendent vers la salle du bas, immense, précédée d’une arche de bois torsadé comme il y en a à chaque extrémité des escaliers. Pour y admirer les fresques des plafonds, la lumière des lustres opulents et les colonnes de marbre vénulés de différents coloris.

Comme au Bastion des Pêcheurs, le ballet frénétique des poseuses asiatiques vient surchauffer un peu ce lieu mythique plutôt calme à l’image du fond sonore extrêmement bien diffusé. On ne sait si les serveurs et les serveuses en costumes noir et blanc, admirablement déployés dans tous ce labyrinthe, ne constituent pas un ensemble plus important que celui des consommateurs.

La matinée ne suffirait pas à remonter intégralement la longue avenue Andrassy. Sur une carte de la ville, on la voit tracer une droite impeccable, aussi déterminée qu’une lame de coureau ne déviant pas de sa trajectoire. Le métro, pris à Blaha, nous laissera juste devant la façade de l’Opéra national. A première vue, il y a un petit air de l’Opéra de Vienne. De style néo-renaissance, la façade s’ouvre par un porche en saillie qui supporte une loggia. De chaque côté de l’entrée, deux niches abritent les statues de compositeurs hongrois : à droite, Liszt et à gauche Erkl. On n’accède pas, en visite libre, à l’intérieur de l’édifice.  Celles-ci étant réservées aux cars de tourisme qui ne manquent pas d’ailleurs d’arriver.

On pourrait ainsi continuer sous le charme de cette large avenue, mais elle parait interminable. Le métro nous déposera finalement à Hösök Tere , la Place des Héros qui est un peu la Place de la Concorde pour les hongrois.

Elle est réellement gigantesque. Composée au centre, d’une colonne, et derrière, deux colonnades en arc de cercle avec un ensemble de statues et de sculptures, le Monument du Millénaire. Celui-ci commémore les mille ans de la conquête magyare inauguré en 1896. La colonne centrale, haute de plus de trente-cinq mètres, soutient une statue de l’archange Gabriel debout sur un globe portant la couronne hongroise. Puis arrivent nos héros. A Budapest, on n’en est pas avare. Sur un piédestal, un groupe sculptural imposant montre le prince Arpàd à cheval, accompagné des autres chefs de tribus. Chevelus, moustachus, de bronze bleu vert.

Au sommet des statues allégoriques représentent le Travail et l’Abondance, la Connaissance et la Gloire. Sur l’une d’elle, légèrement séparée des autres, la Mort. Entre chaque colonne, on peut voir des statues de personnages historiques ayant marqué l’histoire du pays. Parmi les rois, Etienne I, Bela IV, Louis le Grand, Matthias Corvin, les princes de Transylvanie, quelques autres, et un homme du peuple Lajos Kossuth, héros de la révolution de 1848.

De part et d’autre de la Place, le Musée des Beaux-Arts et la Galeries des Arts.

On entre ensuite progressivement dans Varosliget , le « Bois de Ville » , d’où coule une poche d’eau suffisamment large pour devenir, l’hiver, la patinoire. En arrière fond, très romantique, apparaît le château de Vajdahunyad, sombre et farouchement abrité par un abondant périmètre d’arbres. Puis, parmi ces grandes étendues vertes d’un parc qui semble ne pas avoir de limite, se dresse la Maison de la Musique. C’est une réalisation récente puisqu’elle a été inaugurée en 2022.

Le bâtiment est ainsi conçu qu’il donne l’impression de se fondre harmonieusement aux longs peupliers qui l’entourent et par un toit flottant qui laisse passer la lumière par des « trous » irréguliers où ces peupliers, à certains endroits, semblent pénétrer comme dans une faille de papier crépons, pour rejoindre le ciel par ces orifices, et avec un peu de chance, des bribes de nuages s’engouffrant par le haut. Jaune et noir, constitué de figures géométriques décoratives irrégulières, laissant imaginer quelque ciel étoilé, de contours également irréguliers comme des sculptures de Miro. L’idée de l’architecte japonais Fujimoto était en fait d’évoquer un champignon poussant dans son élément naturel.

Fermant les yeux, j’imagine le vent, le vent se mêlant à l’architecture, aux arbres et aux harmonies de couleurs. Les jaunes et noirs, les verts et les nuances de l’azur dans le ciel. Se mêlerait peut-être aussi le « Lontano » de Ligeti avec ses micro polyphonies dilatant et contractant le temps à l’image de cette fusion de toutes les formes de Varosliget.

En lisière du Parc, le Musée Ethnographique présente la forme d’un navire ayant sombré par la proue à cent degrés. Ou comme fiché en terre par le nez… Le toit épousant une courbure de pelouse remontant, suivant un arc d’à peu près centre trente degrés. Au sommet duquel on peut avoir une vision complète de l’ensemble du parc, jusqu’au-delà de la Place des Héros. Malheureusement ma résistance au vertige ne me permit pas de grimper jusqu’au bout des marches métalliques. L’ensemble architectural, d’une conception résolument moderniste, bien que d’une extrême sobriété est en parfaite osmose avec le développement naturel du parc. Depuis quelques kiosques, des éclats lointains laissent deviner l’immensité des lieux.

C’est par un petit pont, à l’endroit où le lac laisse place à un mince bras d’eau, que se profile une partie du château. Un chemin étroit, et soudain ensauvagé, longe les flancs de l’édifice. On aperçoit sur le haut des parois les lancettes des fenêtres étroites. Parfois la végétation se fait si dense que le passage ne permet qu’une seule personne à la fois.  C’est seulement au bout du sentier, et non sans avoir fait un détour par un étroit pont de pierre où l’on aurait pu basculer dans le lac, qu’on arrive à l’emplacement de la fête du jour. 

Ce sont des baraquements plus ou moins permanents, où de gigantesques plats cuisinés dans des chaudrons presque trop odorants rivalisent avec des stands de bière chauffés à blanc, et des ventes de vins plus élégants, tout un lustre de victuailles saturés de parfums, de paprikas, de haricots et de fumées de liesse aux abords de larges pelouses à découvert où les tables et les bancs en bois sont déjà envahis par les premiers visiteurs.

Juste en face, après le bras d’eau ayant fait une boucle, le château ouvre son large porche à trois arches. La densité des promeneurs contraste avec l’étendue libre et quasiment désertée à l’emplacement de la maison de la musique ou du musée d’ethnographie, tant le parc est vaste. Les châteaux ont toujours intrigué, les châteaux donnent toujours cette sensation qu’on participe à quelque grandeur qui nous aurait échappé, une grandeur à laquelle on témoigne maintenant par notre présence, ne serait-ce qu’en suivant le guide, les pas post mortem d’un passé glorieux. J’ai rencontré un touriste perdu et bedonnant, il y a quelques années, qui, devant le Thoronet, demandait au bord de la route, avec la fébrilité de celui à qui allait échapper un pan de l’Histoire , « où est le château ? ».

Ce château de Vajdahunyad, cet ensemble hétéroclite et ramassé sur un espace assez réduit a été construit à l’occasion des fêtes du Millénaire, comme beaucoup d’autres lieux de commémoration, pour illustrer les styles architecturaux existant depuis en Hongrie. Ceci explique que dans un espace limité se côtoient roman, gothique, Renaissance et baroque. Le château ayant été inspiré par un édifice antérieur de Transylvanie, aujourd’hui dans sa partie roumaine. Après le porche sur la gauche se trouve la chapelle de Jàk. Le portail y est orné de douze sculptures dans la partie triangulaire de la façade représentant les douze apôtres. On aperçoit, sans pouvoir y accéder, au travers de grilles, le minuscule cloître où siègent bon nombre de lions, de chimères et d’animaux qu’on ne s’attendrait pas à voir dans ce lieu de paix et de silence.

Devant la partie baroque du château, un personnage étrange, en bronze bleu/vert, les traits dissimulés derrière une capuche, assis nonchalamment sur un banc de marbre, une plume à la main. Il s’agit d’Anonymus, scribe à la cour du roi Bela III.  

La visite du château se fait en traversant des salles presque exclusivement réservées à la chasse. On y voit des têtes d’élans, de cerfs, des cors de chasse, des collections de fusils et des tableaux illustrant aussi des scènes de chasse.

Avant de quitter le Bois de Ville, nous prenons un verre sur les tables de bois où viennent les odeurs des plats épais et des sauces marinées, des paprikas et des éclats de la buvette à bière où l’heure est à la liesse. Puis on nous vend deux bouteilles, à un stand de petits propriétaires.

La place des Héros est encore noire de monde. C’est à pied qu’on découvre maintenant Andrassy. L’avenue est large, et derrière d’épaisses haies, se profilent de magnifiques hôtels, des immeubles cossus de style Art Nouveau, des ambassades et des jardins privatifs discrets et luxuriants. Nous redescendons l’avenue jusqu’à Kodaly körönd , le grand rond-point où l’on prend le métro jusqu’à Blaha Lujza pour, un peu après Astoria, faire l’ouverture de quinze heures de la grande synagogue.

Elle est immense. Les grands jours, elle peut accueillir jusqu’à trois mille personnes. A l’entrée, un petit vieillard, veillant au grain, me tend une petite calotte en carton à maintenir sur mes quelques cheveux, par une petite barrette. En effet, tous les hommes ici, sont soit chapeautés soit ont une simple casquette. Seules les femmes sont nu-tête. Plusieurs rangées sont occupées par des groupes guidés en diverses langues. On y entend parfois des commentaires, des parenthèses sur les évènements de Gaza. Les regards sont soucieux, les guides parlent à voix basse.

D’inspiration byzantino-mauresque, à l’extérieur, avec ses deux tours à bulbe semblables à des minarets, l’intérieur est ceint des deux étages de galeries en bois, éclairées par de gigantesques chandeliers de plus d’une tonne chacun. La décoration est riche, notamment la voûte et l’arche d’Alliance où est conservée la pièce sacrée, la Torah.

A l’extérieur, dans la partie qui jouxte un des murs de l’édifice, les deux mille noms des personnes qui reposent dans le jardin où un saule pleureur en acier, aux branches fines et mobiles, honore la mémoire de ceux morts durant la Seconde Guerre mondiale. Mais tout est mémoire en ces lieux. Derrière le jardin, des immeubles ayant connus les évènements de 1956 n’ont pas été retouchés et conservent les blessures du temps.

Nous marchons longtemps jusqu’aux rives du Danube pour atteindre le Pont des Chaînes. C’est le plus fréquenté des cinq ponts de la ville. On a l’impression que tout ce qui traverse Budapest passe obligatoirement par là. Le fleuve est peu profond. Trois à quatre mètres, mais d’une largeur de quatre cent mètres au Pont des Chaînes. Le soir sous l’effet des illuminations, les câbles de suspension reliés aux deux piles en forme d’arc de triomphe ressemblent à des guirlandes de lumière. A chaque extrémité du pont, deux lions montent fièrement la garde.

La meilleure perspective pour photographier le Parlement, c’est juste avant de parvenir sur la rive de Buda. A l’heure où la lumière fige la pierre et le dôme inondé dès le début d’après-midi.

C’est un tram jaune qui nous mène ensuite tout droit aux Bains Gellert. Défilent devant nous sur l’autre rive les clochers à bulbes, les immeubles art Nouveau aux teintes nuancés et au loin, les quelques immeubles de verre rejetés heureusement au-delà de la ville historique.

La façade des Bains, côté Danube, est loin d’être impressionnante. On dirait même que la partie hôtel est à l’abandon. Des fenêtres sans volet, béantes, quand d’autres laissent paraître des traces évidentes de vieillissement. Par contre l’entrée des Bains, sur une partie latérale de l’édifice est somptueuse, avec écrit en bas-relief au-dessus de la haute porte « Grand Bains Gellert ». On y pénètre pour apprendre malheureusement que les bains sont fermés passé dix-neuf heures en cette saison. Par une des entrées vitrées on peut apercevoir les piliers se dressant de chaque côté du bassin couvert. Ce qui en fait tout le charme.

Tout là-haut, face à l’entrée des bains, sur la colline d’où partent des chemins escarpés, se dresse la statue de la liberté.

Après le Pont des Chaînes, juste à la sortie des Bains, c’est le Pont de la Liberté. Beaucoup moins fréquenté que le Pont des Chaînes. Magnifique, dans son vert cru et son métal scintillant, mangé de soleil à l’heure où nous le franchissons. Avec tout au bout, sur l’autre rive revenue, les toits pointus et vernissés, de tuiles vertes et d’ocre, du Marché Central. Il est fermé aussi. Face à l’entrée principale du marché, une zone piétonne s’ouvre en parallèle au Danube. C’est Vàci Utca, une des principales rues commerçantes, ouvertes aux magasins de luxe, aux restaurants avec terrasses et, pour un œil averti, une rue riche en immeubles Art Déco et Art Nouveau. C’est dans l’un d’entre ces restaurants sous abri en terrasse qu’on se laisse tenter par le goulash maison et un vin rouge âpre et extrêmement titré.

C’est à la nuit tombée, sous les beaux derniers feux de ces rues animées qu’on remonte par Irànyi utca, ses immeubles cossus, ses façades de classe, ses atlantes qui soutiennent les riches et larges entrées, puis lentement par Rakoczi ùt, jusque chez nous. La nuit scintille depuis les baies vitrée, Blaha Lujza nous réserve ses derniers éclairs. Tout au bout d’Erzsebèt korüt, la tour de l’hôtel du New-York Café rougeoie comme un phare sur la nuit.

10 Juin

Arthur Honegger avait intitulé un de ses quatuors à cordes « Pâques à New-York ». Pareillement, on pourrait appeler ce dernier séjour ici « Pentecôte à Budapest ». Ce matin, c’est déjà mardi, et nous serons dans l’avion vers dix-sept heures. Le séjour est quasiment derrière nous.

Le tram nous laisse bien tôt sur Kalvin tér , aux environs du Marché couvert. Il était fermé hier, ce matin il regorge d’activité. Sans être exceptionnel, on y trouve les quelques babioles qu’on compte rapporter aux enfants et puis de tout petits souvenirs qui marqueront le passage de cette Pentecôte radieuse. C’est autour du Budapest Eye qu’on rencontre cette extraordinaire façade de l’ancienne banque ottomane, d’une architecture datant du début XX°. Ici, verre et acier coexiste comme du temps des styles historiciste et Art Nouveau, façade couronnée par un fronton en forme de vague, décoré d’une énorme mosaïque, représentant Hungaria.

Puis plutôt que remonter Vàci utca, on prend la rive du Danube bien au sud, à hauteur du Pont de la Liberté, et l’on découvre une rive plus modeste, aux terrasses de café ou aux restaurants plus négligés, mais peut-être plus authentiques.  C’est juste après le pont Erzsébet que se trouve l’église de Notre Dame de l’Assomption, la plus représentative du quartier Belvàros. Celle qui est la plus près d’avoir les pieds dans l’eau du Danube.

Bien que d’un gothique tardif, l’intérieur est riche en trésors et en symboles. Notamment la relique de Sainte Elisabeth et une Vierge murale du XIV° siècle au maître-autel, découverte sous sept couches de peinture il y a quelques années seulement.  Sur le flanc droit, une représentation discrète mais infiniment émouvante de Marthe et Marie.

Et puis, peut-être le plus troublant pour moi, se trouvant dans la crypte. Outre une vierge noire de type byzantin, deux œuvres de Liszt sous un présentoir où l’on peut admirer la première page autographe de la « Missa Choralis » et la partition de sa main même, de « Via Crucis » pour piano et chœur.

Remontant le Danube, tout là-haut, du côté de Buda, on voit très nettement maintenant sur la colline boisée, la Statue de la Liberté, et près du Château, Saint Gellert (saint Gérard) enfoui dans des masses de verdure, tout droit dressé, tenant un crucifix bien haut dans le ciel.

La ville est belle, le soleil est au plus haut.

Viszlàt Budapest…

Ou comme on dit à la sortie des métros : Kijaràt !

Mon hongrois n’est pas allé plus loin.

Il y a quelques années, j’ai souvenir qu’à l’aéroport d’Edimbourg, on en était venu à parler voyage. La barman, au comptoir, me servant un verre, me dit « Je viens de Budapest » et je lui avais répondu « Budapest, oui, pourquoi pas … ».

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19 juin

A Bernard :

J’ai été un peu paresseux ces temps-ci pour t’écrire. D’une part je te crois en Normandie, avec taille des arbres et autres travaux virgiliens, d’autre part je n’ai que le matin pour m’occuper du récit de Budapest. Tu ne peux imaginer comme c’est contraignant de vivre à cinq (deux enfants) en permanence. Je commence d’ailleurs à fatiguer de cette situation qui perdure. Pour écrire, c’est comme un rituel : on a ses heures, ses moments d’inspiration ou ses moments de disponibilités maximales. Je préfère écrire deux pages entre 6 heures du matin et 7 heures 30, plutôt que réserver tout une après-midi pour le même résultat (voire plus, parce que plus de temps !). Est-ce que ça relève de la manie ? je pencherais plutôt pour une rythmique interne devenant une habitude, une sorte de poche horaire qui relèverais du gri-gri créatif. Comme on dit qu’il y a ceux du matin ou ceux du soir.


Budapest est une ville enchanteresse. Elle m’a fait penser à Prague avec en plus un fleuve de 400 mètres de large. (La Vltava est-elle si large ?!). Ça aère. Et puis notre formule était idéale. Bien sûr, le séjour s’est finalement limité au seul dimanche et lundi de Pentecôte (on s’en souviendra d’autant plus). Le récit sera donc aussi court et ciselé. Un seul regret (mais pour deux jours, peut-on en avoir !?) de ne pas être allé au Bains Gellert pour une soirée. En cette saison, les bains fermaient à 19 heures. On cherche déjà un créneau dans le planning de Céci pour la prochaine escapade…


La chaleur est devenue étouffante. On n’est bien que le matin, tôt (raison de plus pour les écrits), et seulement à l’ombre partout ailleurs.
Donc je lis. Je viens de finir le tome 3 de FOG, et ne sais si je vais poursuivre avec du "sérieux" ou prendre une fiction. Peut-être le Cendrars. Ce qui me laissera encore dans le récit de voyage d’un autre.

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20 Juin

Claude de chez Sauveur , dont je ne savais pas même le nom, est mort. Je le note seulement aujourd’hui, mais j’ai appris la nouvelle par sa femme lorsque j’étais à Budapest, ce dimanche de Pentecôte. Elle m’envoie un long message, disant qu’il pensait souvent à moi dans ses conversations, qu’il m’aimait beaucoup. On n’avait plus eu l’occasion de se revoir après un certain vendredi de la fin janvier de l’an passé. Sa main tremblait déjà beaucoup quand il levait son verre de bière. Je pense que par pudeur il s’était isolé. Ses cancers l’ont donc rattrapé. Il ne sera jamais retourné dans ce Québec dont il parlait comme le meilleur de ce qu’il avait vécu. Il avait habité Château-Chalon en face de la maison de La Fontaine. C’est ce qu’il disait.

Je pense que si j’avais écrit une épitaphe sur son tombeau, c’eût été vieille canaille , lui, le soi-disant anar . Pour le voir sourire.

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Depuis des abysses de souvenirs : sur la route du retour des plages de Restinga (Maroc), j’appris par la radio, dans la voiture de ma tante Angela, que le pape Roncalli, Jean XXIII, venait de mourir (1963).

Il y a quelques semaines, Y. se souviendra peut-être que la première image qui apparut sur l’écran à Villeneuve de Berg, après notre périple au Palais Idéal, fut celle de Léon XIV.

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Oui, la chaleur est intenable. L’ombre il faut, comme dirait Céline. Les touristes on en souffre moins parce qu’ici, ce sont les mois où ils ne sont pas là qu’on les remarque. Un peu octobre et novembre. Sinon, c’est bariolé toute l’année. Et puis il y a les faux touristes auxquels on ne s’habitue pas non plus. De plus en plus pittoresques. Les permanents.
La formule de l’univers, je l’avais déjà. J’en ai même plusieurs que je ressortirais bientôt. Je m’impressionne moi-même. Oui, 3,14, c’est décevant, mais j’ai renoncé à mémoriser les 50 premiers chiffres. Ce qui m’intéresse c’est la formule avec des grands V, des chiffres comme provocation, le zéro qui manque tomber dans le creux du V, tout ça est bien intimidant. J’ai des formules pour l’infini, je te les communiquerais lorsque j’aurais mis la main dessus (l’infini).
J’ai renoncé à poursuivre l’Ethique de Spinoza. Sa mise en équation géométrique m’occasionne un refus devant l’obstacle. J’ai cinq années de philo derrière moi sans être venu à bout de l’Ethique. J’ai fait l’impasse. J’ai lu des ouvrages qui en sont venu à bout. Par contre, je te conseille le Traité Théologico-politique qui se lit comme un roman ou presque. Une merveille. Je l’avais déjà lu en 75 ou 76, et j’y reviens ces jours-ci. Le plus beau des Spinoza. Le décortiqué des saintes écritures au prisme de l’interprétation rationnelle. Comme toujours chez Spi. On remarquera qu’on a comme ça des échanges quinquennaux sur Spinoza. Ça prouve bien que nos échanges sont exigeant. Le pire livre de philo (avec Heidegger, hors concours), c’est la Phénoménologie de l’Esprit, surtout dans la dernière partie "le savoir absolu". C’est presque une provocation de type Breton pré manifeste du Surréalisme. Je me souviens que Rosset m’avait dit un jour : "quand on a un peu d’intelligence, on peut lire Kant, quand on est normalement intelligent, on ne saisit rien du savoir absolu…". J’ai fait un mémoire de cinquième année sur "Hegel et la musique". Je me suis relu cinquante années après. Pareil, je ne me suis pas reconnu. Ça déteint de lire Hegel. Il fait des émules. D’ailleurs il y a cinquante ans je devenais difficile à comprendre à l’oral des tables de conversations, les bistros etc. Fais-moi plaisir, "passe dans une librairie, lis un passage du savoir absolu, et dis-moi si tu as cette impression commune qu’ont tous ceux qui ont dû s’y frotter. (Promets-moi !)
Pour la voiture, j’ai une petite C1. Depuis dix ans, c’est ma Ferrari parce qu’elle est rouge. Le vendeur m’a fait un rabais parce que personne n’en voulait. Depuis on en voit partout des C1 rouge. J’admire ta patience de mettre les mains dans la mécanique, fut-ce pour changer une ampoule. Lorsque j’ai un problème (avec les C1 il n’y en a pas), je vais chez Citroën. Pour les révisions que je ne manque pas. Elle a maintenant 120 000 km (mi-chemin ou presque de la lune) et les voyants se mettent au rouge pour un manque d’huile. Donc, tous les six mois on lui met sa dose.
Donc, à part le Spinoza, je te conseille le trimestriel d’Onfray (Front Populaire) sur les
colonisations . C’est dommage que tu te sois laissé influencé au point de ne plus le lire. Il est très proche du réel quand d’autres sont dans l’idéologie Beaucoup de gens de gauche reconnaissent la qualité de ses écrits. D’ailleurs lui-même se dit de gauche. Dans le paysage médiatique c’est préférable, mais je crois qu’il est sincère. Il parle souvent de "sa gauche à lui".
Budapest reste encore à finir. J’ai ce trouble de la page blanche pour les récits, c’est indéniable. Pas pour d’autres genres. Bien que dans le carnet, mes réponses à tes messages représentent un taux important de l’ensemble. Peut-être que dans les années qui viennent la tournure sera encore différente.

Sur le guéridon en attente: "Le mage du Kremlin", il paraît que tout le monde lit ça.
« Gomorra » qui attend toujours le feu vert de la tour de contrôle
« Le frérisme et ses réseaux » de Bergeaut-Blacker que ses contempteurs ou ceux qui simulent de l’ignorer, disent fachiste, que j’avais déjà entamé, mais dans l’édition de poche il y a un additif. (Il y en aura surement encore).
Restons au frais.

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25 Juin

A Bernard :

  Pour Hegel, je te demandais simplement de trouver trois quatre lignes pour que tu mesures l’ampleur de la chose…

Une indigestion, pire un empoisonnement, ça ne m’est pas arrivé depuis l’adolescence. Moi je m’empoisonne à petites doses, je pratique en homéopathose.
Mais déjà, s’appeler « chez Léon », ça fait gros; même de Vélizy.
Enfin, tu sembles remis, tu te soucies de la marche du monde, c’est que ça va.

Ce que j’en pense : l’Iran dit à qui veut l’entendre qu’elle déteste Israël et par-delà, l’Occident. Depuis quarante ans, elle le répète sans complexe aucun. Généreusement. Il fallait bien qu’avec cette chaleur, ils prennent une beigne.
L’affaire est loin d’être terminée si ils n’ont pas été détruit en matière de nucléaire. Rien n’est encore sûr. On le saura bientôt. Ce qui m’étonnera toujours, bien que sur un autre plan, c’est la réaction silencieuse, lorsqu’elle n’est pas en faveur du régime des mollahs, de la gente féministe. Je me suis laissé dire que la haine des féministes ne se répand que sur les mâles blancs de plus de cinquante ans. Hors de ce champs qui est somme toute facile à gérer pour une bourgeoise, l’arrivée de mœurs musulmanes ne provoque chez elles aucune espèce de réaction.
Toujours dans le schéma des évènements actuels, ce qui change la donne, c’est le retour de la force. C’est tout bête, mais ce n’est pas avec le droit, fût-il international, que s’exerce le pouvoir. On l’avait un peu oublié. Toujours cet universalisme de droit… La redistribution géopolitique de ces dernières années vient confirmer ce qu’Huntington avait dit des civilisations et des nouveaux visages impériaux s’émancipant du tronc commun occidental. On a voulu faire un conglomérat européen, maastrichtien qui n’a aucun pouvoir, aucune force, où tout est normé, administré, obligations et interdictions, et je le répète, où les allemands (et les polonais) achètent par milliards de l’armement américain. Comme les mollahs pour la haine sioniste, les allemands savent sans complexes parler de l’Europe à leur façon. Ils ont mis une impératrice allemande à la tête de nos 27 pays, et se couvrent en réclamant plus encore de protection américaine. Alors, l’Europe oui, mais l’Europe des Nations. Des nations souveraines. Avec des alliances de circonstances à deux ou trois lorsqu’un problème surgit chez deux ou trois des plus concernés etc. L’Europe souveraine pays par pays. On voit aujourd’hui qu’une Europe marchande et simplement économique ça ne fonctionne pas. Remarque qu’on est les seuls à vouloir depuis Schumann et Monnet engendrer un frankestein continental. Les chinois rigolent, et même les petites puissances qui continuent à penser que
mieux vaut seul que mal accompagné.. . Remarque encore que certaines élites communistes continuent de penser que si le communisme est tombé c’est parce qu’on en avait pas fait suffisamment. Ça ne fait plus rire.
Quant à s’armer plus, augmenter le budget militaire oui. Mais avec la dette de 3400 milliards, la banque de Karlsrhüe va nous mettre le crédit sur la dette à l’étranglement. On ne pourra pas monter le budget armement au-delà de 2% ; Les allemands, bons élèves, n’ont pas de telles dettes. C’est la raison pour laquelle ils obtempèrent lorsque Trump fait les gros yeux (5% d’augmentation de budget demande-t-il) (et leur vend des avions à hauteur de 50 milliards -qui ne vont pas chez Dassault…) De l’autre côté, on n’a pas de budget 2026, et on n’a plus d’influence diplomatique. Plus de Boualem Sansal. Il avait pris cinq ans, il en a dix maintenant. Que fait la France ? Je le répète à longueur de courrier : on veut montrer les muscles en Russie/Ukraine et on n’est pas capable d’empêcher l’émiettement des territoires perdus de la République. Ni d’empêcher les couteaux dans les rues.

Politique du bœuf et de la grenouille.
Dire qu’il va falloir attendre deux ans. La démocratie, c’est le gouvernement par la majorité. Lorsque tu es battu, la moindre des choses, la moindre des élégances, c’est de s’en aller. Parfois la grandeur n’est pas où l’on croit.
Je termine fébrilement le récit de Budapest.
Nous serons dans les Alpilles pour le 14 juillet. Avec les enfants…     

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Je sais maintenant ce que c’est. Le rock électrifié respire la sublimation érotique de la violence. C’est la Maserati de la puissance. Sans moteur, sans société industrielle, pas de rock : la basse vrombissante, les percus comme les pistons des huit cylindres, ni plus ni moins.

Quoi que l’élégance feutrée du huit cylindre Maserati…

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Depuis quand chercherait-on à rendre plus haut survol de la pensée que celle du « Discours sur l’Histoire universelle » de Bossuet.

De la racine à la sépulture de l’essence du monde.

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4 Juillet

A Alain Jacquot :

– dans sa messagerie –

… Sociando-Malet, oui ! Il ne faut pas résister ! 

Tu ne m’empêcheras pas de bien aimer Jean-Louis Luzignant que j’avais vu pour la première fois à l’Ecole Notre-Dame (en 79). Je venais à une de ses séances pilote qu’il dirigeait sur la clarinette de X… Et, partant, je me suis présenté. On a fait un bout de chemin vers là où il habitait. On s’est arrêté à une boucherie. Il m’a dit : « bien sûr tu déjeunes avec nous ». On a parlé longtemps après le repas. Sa femme avait des bras très long, impressionnants. Je ne sais comment est venue une sympathie entre nous… Je n’avais rien demandé. Je ne savais même pas qu’il était la foudre et « l’harmonie » du conservatoire. Il m’a apprécié peut-être quand j’ai dit « Madame Vannier était la maîtresse de Claude Debussy ». Qui d’autre que moi le savait ?

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9 juillet

Après trois semaines de canicules, le soir on peut commencer de laisser la baie vitrée ouverte à quelque filet d’air.

Sur la messagerie de Bernard, quelques réflexions « inappropriée » sur l’Europe des comptables et des commissionnaires :

« … le seul qui a eu une attitude conforme à son rang, c’est Erdogan. Il y a quelques années. N’admettant pas « l’impératrice » à la table des négociateurs, il proposa le canapé à Madame von der Leyen à côté, mais en marge des chefs d’Etats européens. Elle a bien sûr protesté. Il lui a répondu qu’elle n’était responsable d’aucun Etat, ni d’aucune autorité représentative des peuples européens.

Des fois, ces ottomans ne disent pas que des conneries…

Il y a quelques mois, pendant qu’on inaugurait la réouverture de Notre-Dame, la seule absente, avec François le pape, était von der Leyen qui négociait dans notre dos le Mercosur dont la France avait dit qu’on ne nous la ferait pas…

Macron s’adressant aujourd’hui à la Chambre des Lords, en anglais. Peut-on faire plus cabot davosien. Shocking. Même les anglais ont senti ce mauvais goût, cette suffisance élyséenne. Macron a la fluidité des affaires davosienne, pas celle de la diplomatie littéraire.

Il est incapable de défendre notre langue qui, d’ailleurs, depuis le Brexit,  aurait dû naturellement s’imposer au sein de « la communauté ». C’eut été une belle occasion de l’affirmer à Londres.

Tu seras bientôt au Kosovo !? C’est impressionnant. Je ne sais pas même où c’est dans la Yougoslavie d’avant.

BHL peut savoir. Il a fait dernièrement un film intitulé sobrement « Notre Guerre ». Après « Bosnia », on ne peut faire meilleur observateur.  Ses films font en moyenne six cent spectateurs payant. J’en conclue que ces chefs d’œuvre sont subventionnés par nous.

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A Bernard :

« Novarina disait les milliards de définitions de Dieu

dans les lieux d’aisance qui nous occupent

je n’en ai pas trouvées une qui eût bandé la clarté de la mort »


C’est écrit en juillet 17. J’ai relu ça hier, j’ai trouvé que même écrit dans le monde d’avant, ce n’est pas trop vieilli. Seulement 7, 8 ans. De temps à autre, je m’en vais voir le vieillissement lyrique de ma poésie.

Je sais que tu n’aimes pas les religions. Il ne s’agit pas d’ailleurs de les aimer. C’est un mouvement spirituel qui porte chaque civilisation. Elles naissent d’ailleurs toutes d’une démarche paradoxalement irrationnelle. Sinon, ça se saurait, on aurait adopté le rationalisme comme religion. Quoiqu’en Occident certains le font. Je suis malgré tout étonné que tu mettes (dans un précédent courrier) sur un même plan le christianisme et l’islam. Il faut dire que les bouffeurs de curé ont laissé une hérédité telle depuis lesdites Lumières… Ce sont d’ailleurs les plus décidés à éradiquer toute forme de transcendance qui aujourd’hui prépare en douceur la venue de l’islam conquérant.
J’ai remarqué qu’inconsciemment, toi-même disais …" quand on aura pendu le pape et les mollahs." : d’abord le pape ai-je remarqué. Ce n’est qu’inconscient.


Peut-être que Maria devrait faire connaissance avec Dan (elle m’insupporte tant maintenant que je ne réponds plus à ses bêtises de sms, ses conseils à deux balles etc.) question yoga. Il n’y a rien de tel pour me faire fuir que de me brancher yoga. Mais certainement que je suis béotien. Ou pas l’esprit torturé à mort : la philo m’a suffi.

Figure toi que je suis dans une querelle sans fond avec une de mes anciennes amies devenue Juge il y a une dizaine d’années. Elle a commencé à Bobigny et je crois que ça laisse des traces. Bref, le fond de l’affaire est bien sûr le laxisme dans les affaires de petite et moyenne délinquances. C’est fou ce que les juges sous couvert d’impuissance et de laxisme se retranchent derrière le droit (et à quoi d’autres en effet…). Auquel ils font dire ce qu’ils veulent. (cf les propositions de lois retoquées par les seules instances qui dirigent le pays : le Conseil Constitutionnel, le Conseil d’Etat, et la CDH -et la CEDH quand on en a besoin. Toujours en contradiction avec la volonté populaire.

Nous partons ce samedi jusqu’au 14 au soir. On rentrera tard. C’est la première fois qu’on voyage avec les deux petits enfants. Et W. quitte sa mère pour la première fois. Donc, 3 jours c’est bien pour une première.
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11 juillet

A Bernard :

cette lourde pierre qui pourrait dans ma poche être la lune

Je ne crois décidemment pas que la question des religions s’évacue aussi vite que tu le dis. Cette phrase : " l’humanité m’agace par sa naïveté, et cette crédulité à croire dès qu’on lui promet etc.;…" C’est la pichenette idéale. Oserai-je dire. Le réel est pourtant aveuglément là, récurrent : une force qui transcende le rationnel. Spinoza est arrivé à un moment où l’humanité avait besoin de sortir de son adolescence. Nous étions à quelque cinquante ans du début des Lumières. Le monde a commencé à devenir bien dans ses contours, bien dessiné, on le voyait dans ses moindres recoins. Le monde était devenu moderne, il était enfin maîtrisé, ou presque.
Quid d’aujourd’hui ? Le doute est revenu avec la relativité des vérités, (définition nouvelle de l’âme, le freudisme etc.) comme avec celle d’Einstein et ceux qui déjà la remette en doute. Revenues même les dimensions de l’univers dont on dit qu’il est infini mais on lui admet des contours !) etc. Je deviens bien ennuyeux, mais je ne crois pas à la pichenette rationaliste qui consiste à dire voilà je mesure, je pèse et je compte, le compte est juste ce que je vois et basta. Ça fait penser justement à la lunette astronomique qui ne voit que ce que le verre de visée donne à voir. Vérité relative d’un temps… N’étant pas un rationaliste intégral, je demeure sceptique.

D’autre part, je sais que toutes les religions ont eu une crise d’identité menant à la violence y compris le christianisme. Mais ce n’était pas dans son essence-même. Le problème avec l’islam c’est qu’il en est encore à étendre son champ naturel d’expression :
conquérante un jour, conquérante toujours. Les occidentaux ne l’ont pas encore compris. Comme tu dis, pour eux "ça passera"…

Je jalouserais certainement le festival de cornemuse si c’était la musique d’un groupe rencontré à Cahors qui jouait magnifiquement les branles et autres danses du Quercy. Musique modale autant que tonale. J’ai parlé un peu à un des deux musiciens (ils jouaient alternativement cornemuse flûte, accordéon, violon et voix). Le duo avait un nom abracadabrantesque ("duo Ventastic" -complètement anti commercial) mais n’avait encore jamais enregistré. Il avait une maquette prête pour une maison de disque. Rien encore sur Amazon. C’est de la vraie musique traditionnelle (et ils m’ont même ému) dans ce qu’elle a de moins folklorique (on a bien ri quand je leur ai parlé de ce qui se produit ici en pays nissart)….
Mais en Bulgarie, il y a aussi les fameuses "voix bulgares" qui se sont peut-être un peu démodées, mais qui, au pays, sont toujours vivante. Accompagnés par quelqu’un du pays, vous devriez rencontrer des ensembles sur votre chemin.

On est donc partis demain à la fraîcheur pour Saint Rémy.

lire Spinoza comme un trèfle de géométrie

garder une éthique

comme une substance au fond des bois – avril 17-

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PROVENCE    

(12/14 Juillet)

J’avais prévenu les enfants qu’à Arles il y avait une maison tellement biscornue qu’on irait la visiter.

Regarde Y. ! on la voit tout là-haut !

Elle apparut de loin dans le paysage comme autant de miroirs et de lamelles métalliques surplombant, d’où nous étions, les toits rouges provençaux aux abords du Rhône.

Comme une anomalie.

Mais elle est en train de tomber !  C’est en effet la réaction la plus sensée et la plus naturelle qu’un enfant de dix ans peut avoir à première vue de cette création de Franck Gehry.

Située à l’orée de la ville historique, elle donne l’impression de se désolidariser de l’ensemble homogène du vieil Arles. Et pour cause, il s’agit d’une œuvre architecturale achevée en 2021 et signifierait plutôt une manière de sentinelle symbolique avant qu’on ne pénètre dans la ville romaine. Une fois au pied de l’édifice on a du mal à imaginer qu’elle nous toise depuis une hauteur équivalente à dix étages d’immeuble. Nous n’avons pas su non plus ce que signifiait son nom : Luma. Ce serait un complexe conçu afin d’accueillir des performances d’artistes, des expositions de peintures, de photos, et de bien d’autres activités liées au monde de l’art, mais pas seulement, dont l’orientation serait peu ou prou liée aux Droits de l’Homme, à l’Europe et ses valeurs, ainsi semble-t-il qu’à tout un consensus idéologique fédérateur de progrès qui nous a heureusement échappé lors de notre passage.  L’originalité d’un tel édifice suffit à faire rêver par ses seules qualités plastiques et l’audace des matériaux utilisés.

Les enfants ont évidemment immédiatement remarqué, dès l’entrée, le double serpentin métallique entrecroisé, partant du dernier étage et venant en un vertigineux toboggan échouer au pied des départs des visites guidées.

Tout est ici éclat de métal et abstraction de formes, contrastes entre les spirales et les séries rythmiques de lames d’acier, mais rien de près ou de loin qui évoquerait un quelconque élément de la nature, si ce n’était, à l’extérieur, une simulation évocatrice de fenêtres géantes et disproportionnées, masquant par leurs dimensions surajoutées, la véritable hauteur de l’ensemble de l’immeuble.

Les enfants ne cessent de grimper au dernier étage et entament leur quatrième, peut-être cinquième parcours dans le boyau dévalant en douceur, et dans un tourbillon de spirales, l’équivalent de dix étages.

Les nappes de nuages dans le ciel partiellement couvert donnent maintenant à l’acier de multiples nuances de tonalités froides.

Et puis une voix, puis deux, improvisent tout en dissonances dans les couloirs et le vaste hall d’accueil. Deux voix de femmes, parfaitement synchronisées. Ce sont des bribes de phrases musicales, d’un langage proche de ce qu’aurait pu composer Luciano Berio, quelque chose de ludique et souple, d’un lyrique léger, onomatopéique et interjectif, et parfaitement en phase avec l’éclat métallique des masses d’architectures fragmentées. Je me prends à accompagner ces guirlandes sonores, prenant au vol une note longue à l’unisson avec l’une des deux chanteuses, sous le regard tout à la fois encourageant et étonné de l’une d’elle, ravie de trouver du public coopérant.

Les tours de toboggan auraient pu ne plus finir. Depuis le plateau entourant un des flancs de l’édifice, on a maintenant une vue plongeante sur une vaste mosaïque abstraite de couleurs vives et un jardin depuis lequel la vue sur l’édifice embrasse la totalité des angles de celui-ci. Avec ses fausses fenêtres closes qui virent du bleu ciel au bleu d’acier avec les reflets changeant des nuages qui se mirent sur les lames de métal.

Depuis l’édifice Gehry jusqu’à l’entrée du vieil Arles, il n’y a guère plus de trois cent mètres. Une allée de platanes avec, tout le long, une exposition agressive d’images placardées sur des palissades, sur la situation en Biélorussie avec des visages en très gros plans, des arbres abattus en une anarchie de déboisements, la maladie mentale et l’enfermement, jusqu’à nous présenter une vieille femme de pied en cap, absolument nue. Outre qu’on ne comprend pas toujours la signification et la finalité de ce déballage de misère politique, était-ce une bonne idée de nous recevoir à l’orée de ces petites rues qui signifient l’arrivée dans la vieille ville ?

Sur la gauche, le forum, les deux colonnes romaines et les cyprès qui dépassent de leur hauteur les ruines antiques. De l’autre côté, les murs ocres des maisons basses aux jardinières posées aux fenêtres, les commerces de bouche et les magasins de fanfreluches. A droite en contrebas, les arènes. On parvient assez vite au cœur même d’Arles, sur la Place de la République avec Sainte Trophime à main gauche et l’obélisque dont Y. dira qu’Obélix en aurait fait son affaire facilement.

La façade de l’église a visiblement été nettoyée depuis notre dernier passage. Comme toutes les pierres restaurées, elles présentent toujours une tonalité uniformément couleur de sable, brun clair ou pain d’épice, et d’une manière générale, d’une matité neutre et trop visiblement apprêtée, comme si en enlevant les marques du temps, on ôtait également le poids de spiritualité de ces Christs, ces apôtres et de tous ces anges qui défilent aux frises de la façade.

Je remarque pour la première fois, à un emplacement discret, à un angle du tympan, la pesée des âmes qui ne dépareillerait pas au sommet de la sculpture de ce temps-là, puis d’une autre main, d’un autre style, mais avec autant de ferveur, le baptême du Christ à la colombe.

La Place des Lices est un autre cœur de la ville. A quelques pas de la Place de la République, c’est le marché du samedi. A l’heure un peu tardive du déjeuner, les étalages de fruits et légumes, les énormes pains de restaurant et les sacs en jute d’épices rares sont encore là.

Nous avions l’habitude, à chaque passage ici, de diner ou de déjeuner au Wauxhall, grande et belle brasserie parmi toutes celles de cette large avenue. Après l’avoir cherchée en vain, on apprend que cette brasserie a définitivement fermé pour devenir la brasserie Bellini, avec ses tagliate de bœuf, ses rizottos ainsi que la suite habituelle de la cuisine italienne. Il n’était pas nécessaire de longer bien longtemps l’avenue pour s’apercevoir que, d’une manière générale, les restos italiens sont aujourd’hui majoritaires dans ce centre névralgique d’Arles !

Après avoir lu « Gomorra » dernièrement, je n’ai pu m’empêcher de faire un certain rapprochement.

C’est en remontant vers le forum qu’on trouve finalement l’Escalinadou , dont l’enseigne présentait un mufle et des cornes bien aiguisées, tout à fait conforme à ce que nous attendions pour déjeuner.

C’est en effet avec la gargantuesque marmite de terre cuite bien épaisse de daube de taureau qu’on marque la pose de midi.

En redescendant vers les arènes, et plus bas vers le Rhône, on découvre un autre quartier du vieil Arles, regorgeant de ruelles. Certaines noyées sous des rangées d’arbres composant des arches confuses dont les branches se rejoignent comme par trop plein de croissance, puis des terrasses animées et de la turbulence jusqu’à la saturation. Fermant les yeux j’imagine les terrasses et les entrées de bistro virant en des couleurs vives, hallucinantes. Peut-être trouverait-on ici la fameuse terrasse de café, peinte par van Gogh de nuit, avec ses jaunes et ses bleus lumineux.

Parvenus sous les rangées de platanes, les quais s’étirent jusqu’à l’horizon où le Rhône à cet endroit s’écoule paisiblement, à la grande surprise de Y. qui m’entend pourtant depuis notre séjour en Ardèche parler de ce « fleuve au débit large et puissant » .

Saint Rémy, que nous atteignons en fin de journée, est aussi grouillant dès l’abord des larges boucles enserrant le centre-ville. Nous y étions passé en Mars d’il y a quelques années où l’on pouvait, depuis notre table en terrasse, entendre les éclats de conversations à plusieurs tablées de distance.

Le lotissement où nous logerons est en dehors du centre, sur une route étroite, enfoui dans un amas arboré et quasiment invisible depuis la route si on n’y avait vu discrètement indiqué au portail, « la Balancelle ». Notre appartement est au fond d’un chemin caillouteux, et c’est dans un crépuscule jaune qui disparaitra bientôt dans un silence absolu qu’on aurait pu croire entendre le scintillement des étoiles comme des boules de cristal.

La tentation de la piscine de la Balancelle est grande, et les enfants aimeraient s’ébattre dès le réveil. Mais le temps nous est compté.

C’est tout en haut d’une des échappées hors du centre de la ville, en légère montée, qu’on parvient, au bout de la ligne droite, au dégagement où se situent les Antiques. C’est d’ailleurs sur cette légère montée, l’Avenue Durand Maillane, devenant ensuite Avenue Vincent van Gogh, que l’on trouve à rythme régulier, des petits disques de bronze, identiques aux rondelles du même métal des passages cloutés indiquant sur chacun d’eux, comme une mémorisation de petit Poucet, l’inscription Vincent , jusqu’à la bifurcation menant à l’asile où s’achevèrent les jours du peintre.

Sur la gauche Glanum, et en avant-poste, en prélude à la cité romaine, l’arc de triomphe et le mausolée. Les ombres sont encore étirées et le ciel est muet dans sa soie bleue de matin plein de silence. Un lieu rare. La voie Domitienne, comme une borne de mémoire à chacun de nos passages à Saint Rémy.

– Vous voyez les enfants, nous sommes ici à l’entrée d’un ancien village romain, et la route sur laquelle on se trouve est une route qui part des Alpes au Nord, et qui descend jusque vers la mer.

J’explique aussi que l’arc municipal matérialise la limite de l’espace urbain de Glanum et commémore la gloire de Rome et le triste sort de ceux qui se sont opposés à sa tutelle. Privé de ses parties hautes, il a été élevé à l’entrée de la ville dans les années 10/25 après J.C. Il mesure actuellement huit mètres de hauteur sur un schéma très proche de celui d’Orange. A côté, le Mausolée est un des monuments funéraires les mieux conservés du monde romain. Haut de dix-sept mètres, il s’élevait à l’entrée de la nécropole de Glanum. Il fut édifié par un des descendants d’un notable local qui s’était engagé dans les armées de César et s’y était illustré.

Nous faisons quelques clichés avant de poursuivre un peu plus bas, sur le site de Saint Paul de Mausole préludant par une allée bordée de part et d’autre d’oliviers centenaires, qui n’est autre que le cadre où Van Gogh a travaillé à la toute fin de sa vie. On peut, pour s’en convaincre, admirer les reproductions de ses œuvres de la toute dernière période, allant du « bon samaritain » jusqu’à l’entrée, face à la billetterie, « la nuit étoilée », matérialisées sur des panneaux face à des paysages qui furent certainement ceux qu’avaient le peintre à proximité de l’entrée et autour du monastère. On perçoit bien dans les lointains certaines courbes des petites Alpilles derrière Glanum sous l’angle que le peintre avait choisi. Certains oliviers paraissent avoir aussi conservé leurs courbures et leur physionomie de ce temps-là.

On pénètre ensuite dans ce site de santé mentale perpétuant depuis le onzième siècle l’accueil des plus démunis et de ceux souffrant de troubles mentaux. Van Gogh y est resté de Mai 1889 à Mai 1890.

C’est la première fois, bien qu’étant venu à Saint Rémy bien souvent, que nous décidons, de bifurquer sur la gauche, de faire le chemin vers l’asile. Peut-être une certaine appréhension, un recul devant un lieu de tristesse et de douleur, d’une grisaille imaginée, nous avait, jusqu’à présent empêché de nous y rendre. C’est avec Y. et W., paradoxalement, devant le charme du chemin aux oliviers, que nous avons ce matin décidé d’y pénétrer.

Les dix-neuf reproductions de paysages sont les suivantes, dont on peut tenter de retrouver le point de vue réel depuis lequel Vincent a travaillé :

La Méridiennne d’après Millet, l’autoportrait, les Paveurs, La Nuit Etoilée, le Champ de blé vert avec cyprès, Route au cyprès avec une étoile, Amandiers en Fleurs, Cyprès avec deux femmes, le Ravin des Peiroulets, Champ de coquelicots, Champ de blé avec cyprès, Cueilleuse d’olives, le Faucheur, Pins sur un ciel du soir, Les Alpilles aux oliviers, Oliveraie, Pairie dans les montagnes, Hôpital Saint-Paul à Saint Rémy, les Iris.

Un peu avant la chapelle, une superbe statue de pied en cap, représentant « le voleur de tournesols », dû à l’artiste Gabriel Sterk.

La chapelle Saint Paul est en activité religieuse depuis plus de mille ans dans sa simplicité la plus romane, sobre et sans apprêts, silencieuse.

Avant de parvenir à l’étage de l’asile, on traverse plusieurs salles, dont la cuisine et son impressionnant fourneau qui fut le cadre du tournage du film « Camille Claudel » avec Juliette Binoche, film dans lequel bon nombre de résidents, patients et personnels de l’hospice, ont tourné.

Après l’escalier menant à l’étage, on croise, outre la chambre de la mère supérieure, celle du Docteur Schweitzer, placé ici dans un camps d’internés au début de la Première guerre mondiale. Durant un temps le pavillon des hommes avait été transformé en camps de prisonniers.

Traversant des couloirs, on trouve ça et là, des tableaux à la manière de…, des portraits de van Gogh, des répliques et des copies de tableaux célèbres peints par des artistes demeurés anonymes ou dont les signatures ne disent rien à personne.

L’impatience mène vite aux chambres occupés par Vincent. Grâce à son frère Théo, Vincent en occupa une et le Docteur Peyron en mis deux autres à disposition, une pour peindre, l’autre pour stocker ses tableaux.

Les enfants évidemment restent assez indifférents à tout ce fatras de tableaux, de miroirs et d’articles de journaux placardés aux murs, d’objets qui ne représentent rien pour eux, mais devant la chambre principale, j’ai remarqué un léger arrêt, un silence soudain dans l’encadrement de la porte. Comme si le tableau le plus célèbre représentant sa chambre était connu quelque part dans leur conscience, comme s’ils l’avaient déjà vu dans le fond d’une mémoire antérieure. Ou peut-être était-ce un léger silence, l’équivalent d’un soupir musical que j’aurais pris pour le début d’une contemplation. C’est cette impression que je préfère conserver de ce qu’aurait pu percevoir mes petits-enfants.

Mais il est vrai que lorsqu’on pénètre dans la chambre principale avec sa chaise près de la fenêtre, le misérable lit aux armatures métalliques, le mur nu et jauni, le rideau et la cuvette, le carrelage, chacun de ces objets humbles et familiers, aussi immobiles qu’une réalité muette, disposés de toute éternité dans l’ordre qui était le leur lorsqu’il peignit ses tableaux, on a la très nette impression, comme Alice au travers du miroir, de pénétrer dans le film de la vie du peintre.

A ma grande surprise, les quelques photos que je pris depuis l’angle que choisit van Gogh, restituent également les tonalités des tableaux, un peu comme si l’équilibre des formes et la lumière issue de la fenêtre avait contribué en suivant le modèle avec application, à retrouver le chemin créatif du peintre.

D’une fenêtre, entre les deux étages, on accède aux « champs van Gogh ». Au champ clos qui le fascinait et le bouleversait. Qu’il avait peint à quatorze reprises, de sa chambre ou du champ. On y distingue très nettement aussi le mur d’enceinte, le cabanon et trois restanques comme si je faisais à mon tour le même cheminement contemplatif au cœur des fleurs, des champs de blés, des bourrelets de terres grasses et des arbres fruitiers.

A l’entrée du champs van Gogh, avant d’y pénétrer, dans l’ancienne salle capitulaire devenue une galerie d’exposition, siège un magnifique ensemble de « fous », et un peu plus loin, le bronze de Zadkine, « la lettre à Théo ».

Le cloitre, au promenoir des XI et XII° siècle, vue des fenêtres du haut, présente un beau carré irisé de plantes et de fleurs ; des mauves et des jaunes, ensevelies dans une densité généreuses d’espèces de toutes sortes, qu’on y retrouve encore tel quel le décor naturel que van Gogh avait sous les yeux.

Nous empruntons de nouveau la majestueuse allée jalonnée des diverses reproductions et des cyprès flambant de toute leur hauteur qui semblent faire la haie d’honneur.

Dans le champ aux oliviers, des grappes d’enfants plantés, chapeau sur la tête, dans le décor où notre héros pourrait, de là où il se trouve, guider leur main, s’exécutent avec application à peindre à la manière de…

C’est à quelques kilomètres après Saint Rémy qu’on voit apparaître les ruines du château des Baux. Perché sur la lame de couteau grise et austère de sa pierre, ils se dresse, masquant encore le village de tout son flanc.

L’enthousiasme est perceptible dans le véhicule, lorsque j’indique aux enfants le drapeau rouge minuscule qui flotte au sommet des murailles.

– Ceux qui ne souffrent de vertige pourront admirer le paysage depuis le haut de la forteresse.

Y. est déçu, qui croyait grimper aux murailles le plus naturellement qui soit, comme un alpiniste.

A main droite, c’est le Val d’Enfer, ses murailles de pierre qui longent le serpentin de route menant aux Carrière de Lumière, et plus loin, Maillane. A main gauche on pénètre dans les Baux. Après l’esplanade de Gaulle, encore large, et la Place Pompidou (décidemment on ne quitte jamais la République, même dans les lieux les plus reculés de France), c’est la rue montante, Rue Porte Mage où on nous sert « A la Reine Jeanne », un vin blanc bien frais à cette heure où le soleil est déjà bien haut.

Puis c’est la Grand rue Frédéric Mistral et la Galerie Calderon où nous pénétrons, guidés par cette intuition d’y trouver ce que promettent les œuvres exposées en devanture. On y voit en effet de merveilleuses peintures de Aléos, artiste grec aux ors et rouges brutaux et vifs, notamment un superbe Agamemnon comme celui de la fameuse porte de Mycènes, immédiatement reconnaissable à son visage de douleur. Puis des personnages hiératiques tout en vertical dans des roues de feux ainsi qu’une série de paysages abstraits que le galeriste nous fait découvrir successivement en faisant glisser d’immenses panneaux coulissant.

Comme le monde est petit, Christian Calderon, au fil de la conversation, dit bien connaître les sculptures infernales de Marc Petit que nous avions découvert l’an passé à Cahors. Dans une salle du bas, il nous fait admirer de merveilleux vases de verres soufflés de bleus émeraudes mêlés de blanc, des jaunes et des rouges qui s’harmonisent en vagues subtiles, nacrées et intemporelles.

Puis une rareté, un fossile minéral autour duquel un artiste a taillé, grosse comme le poing, une représentation de la reine de Saba. Mais peut-être était-ce Cléopâtre…

Puis c’est l’Hôtel de Manville qui abrite la Mairie. Bel hôtel cossu de type Renaissance, une des plus belles architectures du village édifiée vers 1570 par une riche famille protestante. Et un peu plus haut, en plein cœur géographique du village, un vestige de fenêtre Renaissance, comme planté dans le décor, à ciel ouvert, portant l’inscription calviniste « Post Tenebras Lux » (après les ténèbres, la lumière).

Après la rue Neuve, la Rue des Fours légèrement descendante, mène à l’hôtel Yves Brayer, anciennement Hôtel Porcelet. Cette demeure du XVI° siècle présente une façade aux élégantes fenêtres à meneaux. La chapelle des Pénitents blancs accueille dans un décor monothématique, des fresques de scènes bucoliques de bergers, une nativité sur les murs de gauche, et diverses scènes de troupeaux et de joueurs de flûte.

Face au musée, un peu en surplomb, entourée de cyprès, l’Eglise Saint Vincent. Un édifice du XII° roman, caractéristiques des constructions baussenques par sa partie méridionale à moitié troglodytique. Les vitraux modernes de Max Ingrand furent offerts par le Prince Rainier III de Monaco en 1962.

Depuis la petite Place le long des balcons de pierre, la vue s’étend largement vers la route d’Arles dans le creux du vallon, et plus encore, à l’arrière-plan, la route de Baumanière.

Remontant vers la rue du Château, la Place des Béguines, au flanc de la rue du Trencat, s’ouvre la chapelle Saint Blaise. Elevée au XII° siècle, par la corporation des tisserands et des cardeurs de laine, solitaire, elle paraît déjà se fondre, en fond de village, à l’esplanade du château.

Cette esplanade est en fait un plateau aride et lunaire où seul un immense cyprès sur le devant de la scène regarde telle une vigie, le Quartier du Désert tout en contrebas.

Trois moulins à vent fonctionnaient auparavant sur la proue de l’éperon rocheux. Celui qui subsiste encore porte la date de 1652 au-dessus de la porte.

An pied du château, une immense machine à catapulte fait face à un faux cheval de plomb et un faux cavalier de métal les bras tendus vers l’immense plaine où, dans les lointains apparaissent les Alpilles.

Nos chemins s’arrêtent ici, la fatigue et le vertige pour certains, nous empêcheront de tenter l’escalade sur les remparts du château.

Là, c’est la lumière et le paysage caractéristique de van Gogh. Même s’il n’a pas planté de chevalet dans les parages, la couleur dominante de jaune, la couleur de la paille mêlée au cyprès noirs, austères, majestueux et vibrant, est immédiatement reconnaissable. Tout le paysage au pied du château dessine un parfait tableau de cultures de vignes, en carrés, en rectangles, de champs diversement cultivés, d’alignements de cyprès drus et sévères, de chemins disparaissant et d’oliviers, faisant de tout l’espace ainsi dressé jusqu’aux montagnes basses, un tapis ordonné d’une parfaite harmonie quintessentielle de la Provence.

Y. et W. regardent flotter de loin, depuis l’autre flanc du château, le petit drapeau rouge qui paraît d’ici bien inaccessible.

Revenus par l’esplanade de Gaulle, après un grand escalier métallique, on rejoint subitement la sortie du village. Un grand virage, large, puis on se trouve sur le chemin du Val d’Enfer. Un bien terrible nom. Peut-être parce que de chaque côté de la chaussée nous sommes toisés par de hautes murailles de pierres lisses, grises et bleues. Lorsque deux d’entre elles se font face, je fais entendre aux enfants, d’une voix grave, comme au creux d’une vallée, l’écho qui ne manque pas de me répondre. Ils sont ravis.

Le chemin est tortueux, le soleil est maintenant à son plus haut. Mais les carrières de lumières ne sont pas bien loin.

Il s’agit d’une immense faille troglodytique, creusée profondément dans la pierre. Destinée à devenir la plus belle des salles d’exposition de peintures par rétroprojections d’images renvoyant une thématique picturale. Nous y étions venus déjà pour la peinture hollandaise il y a quelques années, pour Chagall aussi.

Cette année c’est Monet. Et Monet sied merveilleusement bien à ce spectacle renvoyant le kaléidoscope de ses œuvres.

L’entrée dans l’immense volume nous projette dans une pénombre profonde, les images jaillissant contre les parois de pierre. Il faudra un certain temps pour distinguer les grappes de visiteurs qui se surexposent elles-mêmes en ombres chinoises sur les peintures reçues sur les larges blocs de pierre taillée dont des pans entiers forment des angles démesurément saillants. Ce sont donc de très hauts cubes soutenant une voûte plate sous laquelle se déroule ce théâtre d’exposition. Le spectacle dure peut-être quarante, cinquante minutes. Pour Monet, la bande-son propose malheureusement peu de Debussy, le « Clair de lune » adapté en version orchestre, puis « l’après-midi d’un faune » et la « Pavane pour une infante défunte » de Ravel, sinon, défilent un patchwork musical assez hétéroclite allant jusqu’à un certain manque d’imagination.

Les enfants sont vite perdus mais se prennent vite à jouer avec leurs ombres sur les parois.

C’est tout le catalogue Monet qui s’égrène : « Impression, soleil levant », la période normande avec Giverny, les falaises d’Etretat, les pavois du 14 Juillet, puis les nymphéas, la période londonienne, et Rouen, les peupliers mélancoliques et les éblouissements de la cathédrale, les jardins et les jeux de plein air, les japonaiseries, les jeux d’enfants, Venise.

Admiration et contemplation grand format.

A la sortie, côté élevé de la falaise, de ce côté où les dames vont faire pipi, je photographie ma petite fille devant l’immense porte taillée faisant une profonde saillie cubique, où apparaissent les énormes blocs au cordeau sur une quinzaine de mètres de haut, qu’on croirait l’érection d’un temple égyptien imaginaire.

A Saint Rémy, c’est une atmosphère de liesse qui nous accueille. On sent nettement une effervescence de veille de quatorze Juillet. Les boulevards Victor Hugo, Mirabeau, Gambetta et celui de Marceau qui font une boucle entourant le cœur historique de la ville sont étonnamment ceinturés. Le long des trottoirs, des barrières très hautes, aux barres épaisses comme des manches de pioche, mais aussi étonnamment espacées qu’on pourrait tout de même y passer au travers. Je comprends assez rapidement pourquoi : ce soir, il y aura lâcher de taureaux avec parade dans les rues de la ville. Ces barrières protègeraient vraisemblablement des dangers, comme elles permettraient aussi de pouvoir se déplacer en les traversant, comme l’homme de Marcel Aymé.

Le soleil est encore haut, bien que dans les rues du centre-ville les ombres des fontaines et des platanes, sur la place Favier et sur celle de la place Pélissier, dessinent de magnifiques contrastes avec les tumultes colorés de la fête foraine qui a envahi la rue Carnot.

Les enfants sont tout à leur joie devant les multiples stands de tirs. Y. n’arrête pas d’armer une carabine comme s’il avait pratiqué depuis toujours le tir aux pigeons, et W. se fond avec les roses et les jaunes des poupées qui font envie derrière leur vitrine.

Le syndicat d’initiative nous avait laissé auparavant un petit carnet d’un parcours découverte où de multiples énigmes se présentaient aux enfants afin de découvrir, en œuvrant au cœur de la ville, les monuments ou les hauts faits de Saint Rémy. C’est ainsi qu’on se trouve maintenant devant le Musée Esrine, élégant hôtel particulier au fond d’une cour, consacré à la peinture moderne et contemporaine, mais aussi Centre d’Interprétation van Gogh. Devant la lassitude qui commence à se faire sentir dans les petites jambes, nous allons plutôt vers les lieux plus ludiques où point très nettement dans l’atmosphère l’impatience des réjouissances de ce soir. Du côté de l’avenue Fauconnet et du boulevard Marceau, sur la très large terrasse du Café du commerce, le blanc bien frappé à l’heure idéale est un bienfait, venu deux fois plutôt qu’une.

La nuit n’est pas encore totalement tombée que les allées sur les boulevards ceinturant Saint Rémy sont déjà saturées. Sur la terrasse du café du commerce et des autres bistros au bord de la rue, des curieux sont fébrilement juchés sur des tables. La foule est au rendez-vous, compacte, et même compressée à certains endroits, aux virages stratégiques. Les lampions commencent à s’allumer. C’est un peu de Camargue qui monte jusqu’à nous. Un air de roseaux, d’étangs et de flamands roses, un goût de toril.

J’exagère, j’ai trop longtemps fermé les yeux, l’espace d’un instant j’étais avec les gardians.

Près de nous, des gens du pays, des vieux saints rémois, le verbe haut, la parole de circonstance. Comme eux, je ne me cantonne pas derrière les barrières, mais conserve une liberté de mouvement sur une partie de la chaussée. Prêt à voir les chevaux du plus loin de l’avenue Fauconnet. Prêt à capturer avec mon portable la première rangée de cavaliers. Peut-être verrais-je un furieux noir, un taureau de leur manade.

L’un d’eux, le plus âgé me dit : « le lâcher de taureau va de pair avec l’arène. Ici tout est codifié. Historiquement c’est le moment où l’éleveur à cheval accompagnait ses taureaux aux arènes en traversant les villages Dans le sens du pâturage aux arènes, on appelle ça une abrivado . Dans l’autre sens, des arênes aux près, c’est une bandido. Au passage du village, les enfants en profitaient pour se mesurer aux taureaux, généralement en leur tirant la queue.

Aujourd’hui, ils ne traversent plus complètement les villages, mais une portion, protégée par des barrières. Les cavaliers encadrent le taureau pour le diriger droit devant et l’accompagner dans les virages. Aux extrémité sont posté des camions à bétail ouverts pour les réceptionner.

Il y a souvent des morts par imprudence. Ce n’est pas forcément par encornement parce que les bêtes ont les cornes enveloppées de fourreaux de cuir épais, mais par contact avec l’animal. Imaginez, un taureau lancé à plus de trente à l’heure, au moindre contact frontal, c’est aussi dangereux qu’un choc avec un véhicule à la même allure, peut-être pire ! »

Et puis soudain, un grondement de foule, sourd. Avant la clameur. Puis la danse frénétique des sabots sur l’asphalte comme des castagnettes dissonantes aux rythmes aléatoire qu’on entend déjà de loin, le torse et le cou des chevaux tendus comme ceux des Delacroix dans ses fantasias marocaines. 

En première ligne, une rangée de trois gardians chapeautés de noir tenant fermement les rênes de chevaux blancs et gris, nerveux et agités de tout leur torse, puis une traînée de gardians enfouis vers l’arrière comme les anonymes d’un peloton. Et tout au milieu, comme aveugle, une masse noire à peine perceptible tant elle est canalisée par l’énergie des chevaux, qu’on aperçoit à peine, au dernier moment, l’inconscient vêtu de rouge qui avait réussi à s’agripper à une corne, et finira lourdement traîné le long des balustrades.

La scène se passe à la vitesse de l’éclair, entre le moment où je les vis arriver, campé au centre de la chaussée, l’appareil photo à la main et le moment où ils disparurent après le virage à droite du boulevard Marceau. Les quelques-uns parmi nous qui se risquèrent à rester au centre de la chaussée eurent juste le temps de cadrer la scène et de se jeter derrière les barrières de protection.

Mais vous êtes fou, savez-vous qu’il y a chaque année des accidents. C’était la voix d’une dame, certainement connaisseuse et saint-rémoise, flanquée de ce qui devait être sa sœur.

Je me suis sentis lui répondre sans penser qu’elles eussent pu s’offusquer :

Oui l’odeur des crottins qu’on respire de près est épouvantable. Comme une résultante de la peur…  

C’était effectivement, au milieu de la chaussée, un élément sensible et des plus naturels que je n’avais pas envisagé dans la noblesse toute antique d’un telle solennité. 

Puis ce fut en sens inverse, et cette fois en plein virage, face au café du commerce en totale hystérie, la bandido , le chemin de retour, avec le taureau à peine plus lent cette fois, et les mufles des chevaux hennissant dont le cou semblait vouloir s’extraire de la pression des gardians en un ballet frénétique de vie et de mort.

Il en restera de merveilleuses images.

Et dire qu’on voudrait nous interdire ce qui remonte à la nuit des temps. Au culte de Mithra. C’était le vieux monsieur qui n’avait guère quitté l’endroit où je l’avais laissé en début de soirée.

14 Juillet… Les enfants se prélassent plus longtemps ce matin. L’eau de la piscine est presque froide. Ils n’en n’ont cure.

Je contemple une dernière fois, derrière le muret de « la balancelle », ces herbes jaunes ébouriffées, déjà mangées de soleil bas, et les hauts cyprès fins comme des couteaux vers le ciel encadrant une masure solitaire.

Partout où se pose le regard, c’est la signature de van Gogh.

Lorsque l’on séjourne près d’Arles ou de Saint Rémy, il y est rare qu’on ne se rende sur ce petit mamelon qui symbolise à lui seul l’âme provençale où se situe la chapelle sainte Sixte d’Eygalières. La dernière fois, c’était en Juin 17, il y avait un mariage avec tout le cérémonial, la carriole et l’attelage, les robes longues, les chapeaux, les voilettes, les bouquets, et un cyprès au flanc nord de l’édifice qui prolongeait loin déjà son ombre vers le couchant. Il a aujourd’hui disparu.

Plus qu’une chapelle, elle incarne le décor pastoral du pays. Il n’est pas rare d’y rencontrer le berger et ses brebis. Rien ne manque à ce décor plus que provençal.

Ce matin, lorsque l’on gare le véhicule au pied de la petite colline, on voit que nous sommes précédés par un véhicule venu de Suisse.

Le décor est aujourd’hui méconnaissable. La végétation est quasi africaine, jaunie jusqu’à la saturation qu’on y sent sans même fouler l’herbe aux pieds, les ronces et la brûlure sur les arbres. Certains sont morts, pétrifiés, comme des moignons crispés. Au loin les Alpilles, et entre la chapelles et ces montagnes le paysage eut pu être ce matin un paysage de Tanzanie.

–  Oui, nous avons fait un détour pour voir la chapelle… Nos Suisses étaient assis sur le banc de pierre dans le large auvent qui abrite surement les brebis en temps d’orage.

 –   On dirait même que la restauration récente s’est fondue avec le jauni des herbes de l’été… Le cyprès a dû être abattu. Il était sur le flanc gauche… La restauration a aussi eu la main lourde, la pierre était plus grise, on y voyait les joints entre les moellons de pierre…on s’est contenté de lisser une couche rudimentaire. On a même l’impression que ce jaunâtre se fond aujourd’hui avec la sécheresse.

W. m’avait suivi sur ces herbes calcinées. J’ai dû la prendre dans les bras un instant pour lui éviter les écorchures.

Des trois sœurs provençales, Silvacane est la moins immédiatement identifiables des abbayes cisterciennes. Sénanque est souvent associée à ses champs de lavandes et ses croix noirs de tombes d’abbés à son chevet, Le Thoronet, connue pour son dépouillement absolu (mais n’est-ce pas le principe même de la réaction de Cîteaux à la flamboyance clunisienne ?) et son miracle de résonnance acoustique, que Silvacane qui était, il y a encore quelques années, entourée de coquelicots à la belle saison. Depuis, on a enclos l’édifice, et il est même difficile de percevoir derrière un mur d’enceinte, le chevet et le clocher avec un recul suffisant à la contemplation.

Le cloître est le plus dépouillé des trois provençales qu’il paraît abandonné suivant les saisons.

Il n’est rien de plus signifiant la paix de l’âme que les galeries d’enceinte de ces cloitres aux teintes légèrement jaunes que seules les ombres accompagnent dans leurs infinies nuances.

Silvacane, seule, présente au chœur une voûte utilisant déjà le principe de la croisée ogivale.

Les deux enfants, par je ne sais quel instinct, se tiennent maintenant assis côte à côte sur une des rangées de la nef, que je ne résiste pas à émettre, derrière eux, un son prolongé et grave (peut-être un A ou une quelconque voyelle), bien timbré, que tout le vaisseau de pierre se mit à me répondre en écho. Peut-être pas aussi sensible que celui du Thoronet mais suffisamment pour qu’ils fussent   tellement surpris et ravis que ce ne fut plus que des A ou des O de leurs petites voix dans toutes les parties de l’abbaye avant de nous retrouver hors de la nef.

La Roque d’Anthéron est aujourd’hui déserte, il est à peine plus de treize heures. Le village semble étiré en longueur sans aucune âme qui vive. Les pianistes ne sont pas encore là. Le festival ne commence que la semaine prochaine. On voit un panneau communal indiquant une sorte de vallon, loin de la route traversant, indiquant le lieu des festivités.

Dans tout ce silence c’est sous les gros platanes de la longue avenue que nous trouvons le seul endroit ouvert aujourd’hui. On y fait étonnamment une excellente cuisine sri lankaise.

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15 Juillet

« Pour être libre il faut être craint. Pour être craint, il faut être puissant » . C’est dans le discours du 14 Juillet du président M.

On peut en conclure :

1) Retour de la force. Qui l’eut cru. (Plus rien de l’euphorique mondialisation « heureuse » par l’administration du Marché et de la guerre à jamais abolie !?)

2) Quid de la crainte, de la puissance devant l’Algérie ?

C’est pourtant simple. Pour être libre, il faut être souverain. Maastricht nous en a détourné.

Comment imaginer une liberté par procuration, un transfert de souveraineté à une commission de fonctionnaire européens, qui plus est à forte influence germanique sans considération particulière pour nos intérêts vitaux ?

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17 Juillet

A Bernard :

Il n’y a rien, c’est justement là que nous divergerons, parce que rien est encore quelque chose à prouver (que dis-je : à imaginer). Dans mon précédent courrier j’écrivais « je mesure, je pèse et je compte, le compte est juste et basta… » Pourquoi toujours continuer à mesurer, peser, compter puisque nous savons que l’infini ne permettra pas de connaître ce que les dunes du Pilat contiennent dans chacun d’un des grains de sables : des milliards de milliards d’autres illimités.
Descartes avait défini la finalité de la science comme de l’inconnu à connaître. Alors libre à la rationalité de naviguer dans cette fuite en avant héroïque et somme toute nécessaire puisqu’il n’y a rien d’autre à faire que d’avancer à l’aveugle, à tâtons pour constater comme Hawkins après de brillantes démonstrations, qu’il n’y a rien d’autre que poussière. Tout ça n’arrive pas à nourrir une conscience humaine. Celle-ci vit à l’échelle de la vie humaine, fugitive, imprévisible et infiniment courte. Un clignement d’œil. Les civilisations ont toutes posé la question : qu’y a-t-il après cette vie qui est la seule et unique « dimension » qu’on connaisse. Toutes ont instauré un "système" de croyance, je veux dire par là, d’espérance. Chez moi cette espérance réside dans le fait que nous vivons dans l’illusion que ce qui parvient à notre conscience est une sorte de parenthèse, un quasi sommeil depuis lequel la mort serait un nouveau réveil. La définition de Calderon, tu la connais (
la vie est un songe etc.) est ce vers quoi je me sens le plus proche.
Ça fait longtemps que je ne crois pas à la religion, pas plus à celle qui a vu se développer notre civilisation qu’à aucune autre. Ce n’est pas une raison pour ne pas les distinguer et les mettre toutes sur le même plan. Dans mon dernier courrier, je mettais en garde contre cet islam qui frappe à nos portes. Pas seulement à la tête de pont qu’on nomme islamisme, mais à l’islam silencieux qui ne s’exprime d’ailleurs pas beaucoup lorsqu’il s’agit de condamner les violences. Et cet islam des silencieux avance, grandit de jour en jour. Se voile de pied en cap, impose peu à peu une hallalisation des mœurs (conséquemment une femme du premier quart du XXI° siècle ne peut désormais sortir passée une certaine heure, les profs d’Histoire/géo se censurent devant les menaces et les dénis.). La femme occidentale voit son champ de liberté réduit dans certaines zones devenues dangereuses. C’est l’état dans lequel se trouve notre Occident.
Le danger est que cette religion n’est pas apaisée comme le christianisme qui a derrière lui son champ d’influence définitivement délimité. L’islam n’aura de cesse qu’une fois intégralement répandu sur la planète. C’est le défi qui nous attend : attendre que le nombre devienne submersion, ou prendre les mesures politiques qui s’imposent.
L’aveuglement occidental (européen) est total. Si on écrit ce que je viens d’écrire, à gauche on répondra par l’inévitable mantra absolu : racisme.

Voilà un sombre constat. Nous n’en sommes pas moins revenu de Saint Rémy ravi d’avoir partagé trois jours avec les enfants. Tu auras le récit en fin de mois. Mais je ne me presse pas, tu seras certainement vers l’est à la croisée de Juillet/août

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21 Juillet

La fonction crée l’orgasme

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22 Juillet

A Bernard :

Comme tu le dis avec ironie, nous passons de bonnes vacances, souvent courtes, mais fréquentes. Une manière de se sentir souvent sur le départ. A tel point que je ne sais plus quelle est la prochaine destination. J’avais coché 4 jours sur Prague, mais rien n’est moins sûr. Peut-être du côté de St Emilion, Bordeaux, l’estuaire avec retour par Sarlat, Dordogne, etc. Le classique du Sud -Ouest.

Quelle drôle d’idée de tenir 3 h pour une doc chinoise sur le travail des jeunes en atelier ! Je suppose que c’est une suggestion Télérama. Mais dans ce périodique, ils envoient des spécialistes cinéma qui sont payés pour aller voir en éclaireur tel ou tel film. J’avoue, je ne leur ferais pas confiance les yeux fermés.

Beaubourg ferme ? Je trouve, pour l’avoir vu la dernière fois en 2019, que le vaisseau a peut-être besoin d’un coup de chantier, mais le concept architectural me semble avoir aussi vieilli. Dans vingt ans on pensera, à défaut de patine, que ce qui avait été un coup d’audace, est un vieux machin. C’est le problème avec les avant-garde. Mais la Place Stravinsky est encore bien vivante.
Je suppose que les sous-sols ircamien seront épargnés ?

J’en ai fini avec les mécanismes de la camorra. C’était très édifiant et j’ai cru en avoir vu une illustration, pas plus tard que durant notre séjour en Provence. On avait une petite habitude d’aller diner ou déjeuner à chaque passage dans cette ville, au Wauxhall, place des Lices, la grande avenue où sont tous les troquets près du marché, et les grandes brasseries. Ce Wauxhall avait une belle réputation depuis plus d’un siècle. Eh bien, nous n’avons plus trouvé le Wauxhall, mais en lieu et place, le grand café Bellini, où à la place de la gardiane de taureau, ou de la daube du même, on sert des
tagliate de bœuf à l’italienne, des rizottos et des glaces à l’italienne (cette drôlesse de manie dans les restos italiens de préciser qu’il s’agit d’une préparation à l’italienne. A quand le cassoulet à leur manière…). Mais le Bellini n’est pas seul, ses voisins le sont aussi.
On a tout de même trouvé un endroit encore arlésien avec la marmite de daube de taureau un peu à l’écart des grandes consommations.

Tu auras bientôt, mais je ne me presse pas, puisque tu seras vers l’Est à la fin du mois, le carnet avec le récit autour du 14 Juillet et notre visite à Saint Paul de Mausole (van Gogh).


Quand je parlais du volume qu’avait pris le carnet depuis 2012 et ses 2800 pages, ce n’était pas dans l’intention de l’éditer (c’est effectivement un écrit en marge, impubliable, une sorte de complément à ma poésie), mais pour mesurer un volume que je ne pensais pas si grand en moins de quinze années. Par contre mon travail poétique, je le revendique, n’est pas mesurable, en quelque dimension que ce soit.

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25 Juillet

J’ouvre « la Modification » de Butor. La première page que je lis presque entièrement. Puis quelques lignes d’autres pages, au hasard. Tout ceci a puissamment vieilli.

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26 Juillet

Passage à Vintimille avec Kamel. La ville est magnifique. J’avais toujours pensé que ce n’était qu’une ville frontière. Le marché regorge de fruits et légumes. Celles qui tiennent les étalages semblent englouties derrière leurs pommes et leurs cerises noires grosses comme des balles de ping pong. On y trouve même des poires en plein été…

On prend un verre de rouge sur une terrasse pleine à craquer. C’est aussi plein soleil.

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6 Août

A Bernard :

Je reçois ce courrier de Monique Ariello que je te fais parvenir tel quel :

Bonjour Louis,
je croyais être en perdition au salon des arts d’Embrun et je découvre aux murs les travaux gravés poétiques de Marija Stojnic, autre graveuse ! et me vient l’idée de la contacter pour un projet commun pour la prochaine fête de l’estampe 2026.
Et me vient aussi l’idée de lui proposer une illustration de tes poèmes et en particulier les « cahiers de pathologies pittoresques » qui se trouvent sur ton blog que je regarde avec assez d’assiduité et donc cher Louis:

· serais-tu d’accord pour une illustration à deux de ce long poème sublime?

· serais-tu d’accord pour qu’en échange nous te donnions un tirage chacune de chacune de nos illustrations? sachant que l’on fera une faible numérotation?

· il nous vient des idées comme une bande/son en lecture du poème?

· peut-être te vient-il d’autres idées?

· on pourrait peut-être te faire un espace dans l’expo pour tes photos poèmes ? etc…

· pour la date autour du 26 mai 2026 comme obligé par la fédération de l’estampe pour cette fête sachant qu’on pourrait reproposé l’exposition au mois d’août 2026 avec plus de passage.


Voilà, voilà je te laisse réfléchir sur tout cela tranquillement,
en attendant, bon dimanche à ta femme et à toi,
bises
Monique


J’ai répondu déjà pour ce qui concerne l’utilisation de mes textes. Pour le reste il peut y avoir des perspectives d’expo

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(…)

Elle m’envoie un second courrier. Je pense qu’elle va souvent au bout de ses projets.
Elle ne savait qui était Nuria …

«
J’ai commencé à lire ces textes car je les ai imprimés et emportés à l’expo et dans les moments creux et il y en a dans cette chapelle perdue, j’y réfléchis… Que de références littéraires, musicales, mythologiques ! C’est une foison d’images qui se bousculent dans ma tête, des bateaux sur l’Euphrate aux chanteuses contralto que j’essaierais bien d’écouter.

Pour Nuria ? La ville espagnole ? Ou autre ?

Je réfléchis aussi au médium, ce sera certainement sur métal.

Enfin, c’est un beau projet, ça va m’occuper de longs mois à venir loin des tempêtes du monde ! »


– Nuria , c’est la fille aînée d’Arnold Schönberg, le compositeur.
Elle était très belle. Il y a très peu de photos d’elle très jeune.
Je te remercie de porter attention à mes textes. Sincèrement –

Louis


Voilà, c’était le courriers de l’été des auditeurs…

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