Voyages, Columbia

Colombia

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"Ce voyage l’avez-vous fait?
Avec moi?“

(Prélude à un récit exhaustif)

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REPERES

 

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Ecrire sur la Colombie est un défi, une gageure. De fait la Colombie ce n’est pas le Pérou. Ce n’est pas même la Bolivie. Mais nous verrons que ce peut-être autant et plus encore.

Aujourd’hui nous défions quiconque de dénicher l’agence de voyage proposant un séjour véritable dans ce pays. Dans le meilleur des cas vous aurez la possibilité de transiter par Bogota voire Laetitia, dernier gros village en bordure de l’immensité amazonienne. Mais les destinations principales resteront toujours dans les catalogues les sites touristiques et culturels de l’ancien empire inca.

Globalement, de l’Equateur au Chili du Nord

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Au nord de l’Equateur, vierge de tout vestige incasique, une barrière invisible et d’autant plus hermétique se dresse, tenace, maintenant jalousement une originalité colombienne au plan des multiples foyers culturels, de la diversité des paysages, des richesses naturelles, et de l’implantation de classes moyennes dans la population, ce qui est loin d’être le cas du Pérou et de la Bolivie, infiniment plus pauvres et géographiquement bien moins généreusement dotés.

La Colombie semble donc faire bande à part dans le concert des pays d’Amérique du Sud.

Et pourtant il n’en a pas toujours été ainsi.

Le vœu le plus cher du visionnaire Simon Bolivar fut de fédérer ce qui sera la Nouvelle Grenade, comprenant une alliance avec le Venezuela et le Panama d’avant le Canal.

En 1911, par exigence des Etats-Unis, Panama est définitivement détaché de la Colombie. Brisant l’effort majeur, le rêve d’unité bolivarienne.

 Situation de solitude donc. Horizon 2011, cent ans de solitude.

 Nous n’allons jamais d’un point du globe, quel qu’il soit, à destination de la Colombie. Ce pays se révèle seulement si la grâce du hasard vous ouvre à lui, si une rencontre décisive vous y mène.

 Mis à part quelques attachés de presse, une poignée de diplomate, quelques cavaliers d’industrie et une infime proportion de marginaux, d’aventuriers venant s’y perdre, il n’est guère de présence étrangère d’importance en regard de l’attirance qu’exerce le Brésil, l’Argentine, et évidemment les anciens sols incas.

Solitude de la Colombie

Du plus loin que remonte ma mémoire, ce pays semble une création récente.

 

Alors qu’enfant mes lectures de Tintin me parlaient avec précision -le rêve complétant le tout- des adorateurs du soleil aztèque, de folles cavalcades au pied de Macchu Picchu, mais de Colombie, pas même une aléatoire et improbable place sur une carte géographique.

La seule fois que je fis une tentative d’identification sur une mappemonde muette je confondis avec le Paraguay.

Le hasard me prit par la main un certain soir d’été au début des années quatre vingt.

/wp-content/uploads/2021/02/Vcolumbia-image006.jpgJ’avais trente ans. Je devais rencontrer ce soir-là celle qui depuis est devenue mon épouse.

Venue parfaire son français à l’université de Nice, je lui adressais timidement la parole à une terrasse de café et ne tardai pas à l’inviter nager le lendemain.

J’appris que Cécilia venait de Colombie. De Pereira précisément.

Je devais entendre le nom de cette ville bien souvent durant les années qui ont suivi. Je connaîtrai /wp-content/uploads/2021/02/Vcolumbia-image008.jpgun jour non seulement Pereira, ville de la Cordillère centrale où réside l’essentiel de la famille, mais pénètrerai au cœur vivant du pays, non pas en touriste mais avec Alfonso, Fabio et les multiples ramifications amicales qui ont su tisser pour moi dans la jungle urbaine et la nature souvent hostile des contrées traversées, une connaissance globale mais honnête du pays.

Comme pour Colomb plusieurs levées eurent lieu.

Dans mon cas, ce furent les millésimes 1990 -1993 – 1996. A chaque fois en décembre. Tout le mois de décembre.

En 1993 le pays a failli ne pas nous rendre, nous sommes restés bien plus que prévu…

Une centaine de jours donc en trois expéditions.

Aéroport Santa Fé de Bogota, le 7 décembre dans la lumière glauque d’une fin de matinée, le vol Avianca se pose après onze heures de route nocturne. Les dernières secousses de la masse mobile du 747 se font de moins en moins perceptibles et les applaudissements d’usage retentissent dans le long fuseau feutré du Boeing qui ne tarde plus à s’immobiliser, terminant sa course au pied de la tour de contrôle.

Décalage horaire et vêtements froissés.

Nous sommes rendus à l’air libre, terriblement maussade, humide de l’immense plateau où s’étend maintenant la tentaculaire Bogota.

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A plus de 2600 mètres d’altitude, les quatre saisons traversent plusieurs fois la mégapole, rendant instable et imperceptible la simple notion d’humeur.

Ma première impression en sol sud américain sera, encore une fois, comme dix neuf ans auparavant aux Indes, d’ordre olfactif.

Il ne peut en être autrement tant s’installe avec prégnance dans l’atmosphère l’odeur, et dans la bouche, comme le goût de l’essence. D’une acrilité tout autre que celle rencontrée dans nos pays, non pas dans le degré et l’intensité polluante, mais dans sa nature même ; d’une saturation presque grisante. J’ai cru un instant à quelque émanation venue de la végétation voisine, gorgée d’humidité.

Cécilia n’avait pas revu son père Don Julio depuis une dizaine d’années.

Don Julio est le premier homme que je rencontre aux yeux en amande, bleus agates cerclés de jaune.

Les yeux du chaman.

Julio attendait le retour de la fille prodigue depuis cinq heures ce matin là.

Sans aucune effusion apparente, seulement un abrazo muy fuerte.

La force du chaman.

/wp-content/uploads/2021/02/Vcolumbia-image012.jpgBogota est une ville poisseuse, grouillante, ensevelie d’une bruine glacée en fin d’après-midi. Ses couleurs dominantes seraient le jaune, l’ocre pâle sur les gris lancinants d’une ville sans cesse grandissante, ville qui n’a jamais paru être jeune.

La lèpre des murs, les écailles des affiches sur l’ovale de la place des courses de toros ajoutent au mortel ennui de ces fins d’après midi de dimanche.

 

Mais Bogota est aussi une ville lumière, puisque grouillante. De la corniche Nord encore plus en altitude, la Casa Brava ; sorte de maison de bambou, d’où la ville a une ampleur et une typologie géographique semblable à Los Angeles dans le scintillement du début de la nuit.

On nous servit des tapas et une bouteille de vin du Chili « sangre de toro », puis deux heures plus tard une seconde bouteille de sangre de toro pour patienter, mais jamais ne furent servis les plats commandés.

Redescendant vers le ventre grouillant de Bogota je me souviens qu’il manquait quelques tuyaux de bambou à la Casa Brava.

Minuit passé. Restaurant branché, chez « Jorge Villamil », bonbonnière à Bambuco, salsa et autres musiques dansantes, sur un espace où plus aucun mètre carré n’est négligeable à cette heure tardive mais toujours explosive.

Deux heures plus loin je fais connaissance avec le maître de céans, Jorge, aussi connu en Colombie que Charles /wp-content/uploads/2021/02/Vcolumbia-image014.jpgTrenet dans le monde, qui se désespère que ses chansons à texte finissent aujourd’hui sur les pistes de danses.

Ne parlant pas l’espagnol ni lui le français nous nous mîmes rapidement d’accord deux heures durant sur « Tristan », « Pélléas et Mélisande » une bouteille d’aguardiente aidant…

Le sangre de toro encore dans les veines, la magie des noms propres, des mots communs à nos deux langues firent qu’au petit jour nous étions dans la plus exceptionnelle compréhension mutuelle, et ce, pour le restant de la vie.

Je garde encore aujourd’hui dans un pot une petite boîte d’allumettes de chez Jorge Villamil.

Le monastère de Montserrat, lieu de pèlerinage majeur pour tout colombien, surplombe agressivement la ville de plus de cinq cent mètres.

Le plus périlleux ne fut pas, lors de notre ascension, le fourmillement momentané dans les jambes dû à l’absence d’oxygène, ni le poussif téléphérique, mais la R10 de Maria Elsy, notre amie et guide qui n’eut plus de frein au sommet d’une avenue de type San Francisco. Nous étions sept dans la Renault…

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Mais la nuit du 7 décembre est aussi avec le huit, la dédicace à la Vierge et donne lieu à une effervescence dans toutes les villes et villages. Nuits de pétarades, de lumières et d’agitations Des effigies de la Vierge sont déposées aux fenêtres et aux portes des maisons. C’est la nuit de l’alumbrado – nuit de l’illumination – où chaque demeure, de la plus humble, aux plus luxueuses, éclaire d’une série de bougies, de lanternes chinoises et de multiples pavois, les entrées, les fenêtres et les jardins.

Dans les rues il n’est pas rare de voir des familles rivaliser, d’un barrio à l’autre, dans la confection de montgolfière, libérant ainsi dans la nuit sereine une myriade de lanternes chargées de vœux mobiles tapissant le ciel, avant de disparaître dans le mystère virginal.

Décembre fête donc d’abord la Mère avant l’universelle consécration de la naissance du Fils.

Sans aucun dolorisme dans ces manifestations, le mois est d’autant plus chargé que la semaine suivante voit l’ouverture du Reinado, concours de Miss Colombie où les vingt deux finalistes, représentant chacune des régions du pays, sont soumises durant la quinzaine, à des marathons dignes de la médiatisation hystérique de nos lauréats de la Star’Ac.

L’élue devient, un temps du moins, la vraie reine de Colombie, et d’une certaine manière, du monde entier.

En couverture de tous les magazines, aussi bien des très sérieux périodiques politiques, des quotidiens que de la presse people.

La Colombie a un besoin charnel d’identification.

Carolina Gomez, Miss 1990 est encore présente dans mon souvenir.

Décembre est donc marqué de manière toute symbolique par le sacré de la Vierge et de la Nativité autant que par les très profanes ouvertures des concours de beauté et de la saison tauromachique à Cali et à Medellin, l’ensemble tendant parfois à s’interpénétrer dans un maelström frénétique.

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Si je me souviens avoir rapporté dans la malle aux portraits la luxuriante Carolina, un portrait aujourd’hui m’est d’autant plus cher que Don Julio n’est plus parmi nous.

C’est celui réunissant pour notre arrivée à Pereira les membres de la famille : ma mère, Cecilia, Hélène, Dona Elena, Helenita ma belle sœur, Don Julio, Fabio et ses enfants, sa Femme, puis Pablo, sa femme et ses enfants.

La rareté de ce cliché, somme toute banale pour une boîte à chaussure ou un album, tient au fait que, seule la photographie, avec peut-être la peinture et le cinéma, peut réunir des êtres encore vivants et des êtres manquants.

Dans le cas précis de ce portrait de famille, les vivants se reconnaîtront.

Pablo est parti en Californie sans jamais revenir depuis ce jour-là (Ceci et moi l’y retrouveront à San Francisco dix ans plus tard) et si Don Julio a doublé tout le monde /wp-content/uploads/2021/02/Vcolumbia-image020.jpgdans le ciel des chamans, Julio mon exact contemporain, disparu accidentellement en 83, ne sera jamais sur la photo.

Quant à Alfonso, le petit dernier, absent également du cliché, il naviguait sur sa « mula » quelque part sur les routes près de Cartagena de Indias.

Le Reinado battait son plein. A Cartagena, à Cali la fiesta se prendio.

Pereira, Place Simon Bolivar, l’immense statue conquérante et en diagonale triomphante signée Bettencourt, les kiosques de billets de loterie, les vendeurs de glaces pilées, les cireurs de chaussures, les cireurs de glaces pilées, les vendeurs de chaussures usées, les crieurs de loteries, les estropiés exhibés et toujours le goût profond de la terre humide, l’essence sur les lèvres.

Hélène est montée sur un cheval de bois, sa robe imprimée à fleurs, les cheveux dénoués, souriante et belle, coiffée d’un chapeau traditionnel, son sixième anniversaire approchait ; le photographe ambulant a déclenché.

Pour ivresse du voyage ici le chivas n’est pas un whisky, mais un moyen de transport. Un bus interurbain et un bus inter rural gorgé jusqu’à la limite de ses pores extérieurs, tant en matériau humain qu’animal. Il n’est pas rare de voir une jeune femme s’asseoir sur les genoux d’un passager si la place venait à manquer…

De petite taille, sans fenêtre, mais sur son pourtour toujours pourvu de couleurs de l’avenir radieux auquel chacun est sûr d’accéder faisant le premier pas sur le marchepied. 

/wp-content/uploads/2021/02/Vcolumbia-image022.jpgPereira est un bocage urbain. Durant la quinzaine de Noël les églises sont lumineusement investies. La crèche dans son ensemble prend orgueilleusement une dimension sur proportionnée

Des femmes à même le sol, les bras en croix prient.

Des Jésus de stuc et de plâtre vous regardent d’un œil éteint, les portes claquent et les vendeurs d’objets pieux vous suivent jusqu’à l’entrée de l’église.

Un incessant va et vient de fidèles s’installe en milieu d’après-midi et l’on aperçoit fréquemment de vieux hommes sortir du bistrot, aller prier, découvrir les fastes de la crèche nouvellement exposée et revenir après deux ou trois mortifications, en sens inverse, vers le café où les attendent les compères du billard.

« Mais enfin Helenita, Don Julio, toute cette violence, ces situations surréalistes dans le pays ne seraient pas, si dans l’âme colombienne il n’y avait ne serait-ce que trente pour cent de rationalité au lieu de ces incantations quasi africaines dans les comportements ! »

Hélenita qui avait fait des études de médecine sembla déplorer en effet un si pesant handicap.

Julio ne prononça d’abord pas de paroles mais son sourire avait l’ombre du silence chamanique dans son cercle jaune, puis il acquiesça :

« _ Nous sommes fatalistes, la violence est en nous »

Le regard chaman fixa le mien et sans l’ombre d’un doute je compris toute la soucieuse pensée : trente pour cent de raison dans l’âme colombienne, oui bien sûr, mais peut-être que quinze ou vingt suffiraient non ?

La Colombie à sang pour sang

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L’impact des chansons et des musiques populaires produit des effets sur l’irrationnel inconscient telle la force de tambours africains dont la rythmique répétitive se donne pour finalité une léthargie hypnotique dépassant la maîtrise subjective des phénomènes naturels.

Ainsi, par la puissance élémentaire de certaines rythmiques, les paroles même de chansons caraïbes trouvent ici un écho collectif tout à fait inattendu :

La très célèbre chanson vallenata « la medallita » met en scène une toute petite fille dont le lien avec sa mère disparue est une petite médaille.

Cette médaille vient à se perdre et la petite fille se désespère.

Dans toute la Colombie les gens vont réellement chercher la petite médaille. Hommes et femmes, jeunes ou vieux, dans les villes ou les campagnes, sur les chemins, au pied des arbres, au bord des routes.

Où est la medallita dispensatrice de lien avec l’au-delà ?

On croit l’avoir trouvé mais ce n’est pas elle. Des mois durant des foules en délire chercheront la medallita au bord des sources, sur le Cauca, le Magdalena, dans leur propre maison.

Mieux encore, certains croient avoir vu l’endroit en songe. Ce n’est pas le mirage de l’Eldorado, c’est le grondement tumultueux d’une âme collective ne trouvant pas le repos.

/wp-content/uploads/2021/02/Vcolumbia-image026.jpgLe chaos cessa le jour où la medallita fut enfin retrouvée.

Elle était dans une nouvelle chanson qui décrit comment la petite fille fut rendue à son sourire et à la paix retrouvée.

Un grand soulagement s’ensuivit dans les campagnes et en peu de temps les villes délaissèrent leur langueur et reprirent leurs activités habituelles.

Pouvoir incantatoire des mots, des rythmes.

Le livre d’histoire de la Colombie le plus malléable à compulser et à consulter est son patrimoine musical itinérant qui fonctionne comme une mémoire sensible à l’évènement plus qu’à l’explication de phénomènes scientifiques déductibles.

Ainsi le 5 septembre 1993 l’équipe nationale de football de Colombie inflige à Buenos-Aires un cinglant 5 à zéro à son homologue d’Argentine, ennemie héréditaire. Une chanson s’ensuivra qui deviendra une véritable chanson de geste où tous les détails de l’humiliation subie par l’adversaire seront décrits pour l’éternité et où chaque membre de l’épopée colombienne sera hissé au rang de véritable héros.

Le nom de la chanson : le Maradonazo –le meurtre de Maradona- (où il y a de la psychanalyse dans l’air …)

Moins drôle, quelque mois plus tard, après une Coupe du monde catastrophique, ces mêmes héros redevenaient de simples objets de mépris et l’un d’entre eux fut même assassiné au sortir d’une discothèque, rendu responsable de la défaite nationale.

Mais les chansons demeurent.

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