Voyages, US

Etats-Unis Ouest

 

Août 2000

 

Dimanche 6 Août

Départ tôt ce matin, vol 287 British Airways, destination San Francisco avec une escale interminable de trois heures à Londres. Un très beau duty free, beaux magasins de parfums, de produits de luxe en général, et d’une présence indienne et pakistanaise très importante. Voisinage assez incongru d’un Mc Do et d’un resto de luxe de produits de la mer : symbole d’un monde développé à l’extrême. Embarquement vers 12h20 et départ prévu à 13h10 heure locale, retardé pour un problème technique (1h20 d’attente). Dix jours après la tragédie du Concorde, on ne rêvait pas meilleure angoisse. Enfin départ à 14h30. Vol interminable, puisque nous sommes rattrapés par la lumière du soleil durant tout le temps du trajet (11h en tout).

Température de 20° à San Francisco, aéroport complexe, très animé. Toujours beaucoup de présences asiatiques ; cette fois-ci c’est la Chine et le Japon, beaucoup de latinos également.

La ville est sous une brume épaisse de larges rubans, gris et blancs, donnant une première impression vaguement triste. Les nuages avancent à la vitesse d’un cheval au galop en changeant de couleur sous l’effet des quelques trouées de soleil.

Un large paravent de hautes constructions formant écran sur la ligne d’horizon : ce sont les grands ensembles de downtown. Une heure de bouchon, depuis l’aéroport, où Marta Lucia, sa mère et les enfants de Pablo, sont venus nous accueillir à Bay Bridge. Encore une bonne heure et nous sommes à Davis, petit camp universitaire isolé, en bordure de Sacramento.

Paysage assez désolé, lisse et plat, maisons de bois. Chez Pablo les lotissements sont rouges bordeaux, en bois légers, le tout paraissant assez précaire. Dînons dans le jardin avant une nuit forcément réparatrice, après vingt-quatre heures complètes de voyage.

 Lundi 7 Août

Beau temps, réveil tôt, petite promenade à pied le long d’un chemin balisé ; des centaines de pêchers avec leurs fruits abandonnés au sol, des tonnes de fruits à perte de vue……C’est plus rentable que de les ramasser ….Visite en fin de matinée du centre de Davis où nous faisons quelques achats. Je bois une excellente bouteille de rouge californien, acheté par Pablo dans une propriété. Ce sera peut-être le meilleur vin du séjour. Le vin suivant, acheté en grande surface, est bien entendu, d’un autre tonneau.

14 heures. Départ pour Sacramento sous une lumière d’une densité à couper au couteau.

 Vieille ville de Sacramento qui se limite à quelques enfilades de maisons sous arcades de bois de style très western. Beaucoup de magasins de bonbons, des maisons sur pilotis, quelques navires à roues sur le fleuve. Puis la Sacramento moderne, son Capitole ; je fais quelques clichés de très sobres buildings commerciaux et administratifs, de style, soit contemporain, soit 1930.

La lumière, depuis hier soir, ne nous quitte pas, et rend chaque paysage, chaque embrassée de l’environnement, d’un grand relief. 

Mardi 8 Août

Réveil tôt. Hélène ne veux pas nous accompagner à destination de San Francisco. Céci et moi, partons donc seuls. Nous utilisons le Pontiac van.

Une chape de brume nous saisit, avant Napa, et couvre toute la ville, une fois parvenus par Market Street, et sert de décor, à ce qui sera notre premier vrai contact avec San Francisco.

North Beach est un peu dépenaillée à Broadway Avenue qui croise Colombus Avenue où nous garons à cinquante mètres de City Lights Books, sans le savoir. Petite pluie fine. Vesuvio Café face à la librairie et entre les deux, l’impasse Kerouac aux murs de fresques mexicaines. Peut-être Lawrence Ferlinghetti est-il dans son antre, enjambant des piles de livres de poche. Il serait très âgé. Plus loin, l’immeuble Coppola avec, en perspective, le Colombus pyramidal. Montée jusqu’à Coït Tower, puis plongeons dans Chinatown, prodigieusement animée évidemment, colorée même sous le gris tenace de la fin de matinée. Beaucoup de magasins d’antiquaires. Déjeunons dans un resto japonais, pourquoi pas, où les plats défilent sur un anneau circulaire et où l’on a plus qu’à se servir de délicats petits sushis. Le service est plus cher que prévu, mais s’efface devant le sourire et la voix si douce de la jeune japonaise officiant comme un parfum sur tout le périmètre. Qui m’a pris pour un allemand, auf widersen.

Vers 13h, le voile plombé de brume s’efface doucement, progressivement, comme le jour de l’arrivée, laissant de multiples variations de vert bleu, de jaunes qui défilent suivant la trouée de lumière qui s’extrait des nuages.

Nous filons vers le Golden Gate, timidement découvert, puis vers Lombard St où nous trouvons, à la deuxième tentative, un bon hôtel, Capri Motel, sur Greenwich St, à deux pas de Fisherman’s Warf. Nous dînons à la nuit tombée encore dans un asiatique. Entre temps nous avions un verre de Napa Valley au Coppola’s où la lumière insolente est revenue, et le même chemin dans Chinatown, avec plus de charme encore. Belles échappées sur Nobhill avec les Cable car, les taxis jaunes.

Le vent froid du soir et la brume de la nuit promettent une matinée couverte pour demain. Nous dormons d’un seul trait jusqu’à 5h 30.

Mercredi 9 Août

Avec un ciel à peine moins chargé que la veille, je me rends dans le calme du matin dans les environs, à travers Green, Filbert, Union, où de belles maisons entourent notre hôtel. Partons ensuite vers Haight-Ashbury où le rêve est décidément bien brisé trente ans après. Rues négligées, façades décaties. Pourtant quelques belles écailles subsistent au travers de certains commerces, de certains murs où la couleur semble porter les énergies des années 60, 67-69. Au bord d’un trottoir, les vestiges d’un message qu’un touriste européen laisse comme une prière, appelant aux nouvelles de Jerry Garcia, mort en 95, à 53 ans…et qui vécut par-là. Prenons un petit déjeuner dans un bar qui dut être bien vivant il y a trente ans. Bacon et œufs frits, pain beurre, patates, un festin… la serveuse paraissait être la petite fille de Janis Joplin.  Sur ces deux avenues mythiques, ce sont surtout les visages et les corps rompus des fantômes déambulant qui m’ont le plus fait sentir la fin (depuis bien longtemps…) de ce qui naquit par là quand j’avais quinze ans. Restent de très belles demeures victoriennes dans les rues et les avenues entourant ce carrefour-croisement d’Histoire, ce qui laisse bien entendre que ce mouvement hippie partit d’un creuset bourgeois en mal d’idéal. Mais au hasard, les noms des rues vibrent de la présence hantée encore des différents groupes, des nombreux acteurs de cette époque.

Montée éclair à quelques encablures de là, à Twin Peaks d’où la vue complète sur San Francisco est encore contrariée par trop de brume. Contournons Buena Vista et les belles victoriennes pour une extraordinaire traversée de Mission, très vaste, plus vaste que je ne l’imaginais. La présence latine est ici comme je l’ai connue en Colombie, les odeurs, les couleurs, seuls les murs ne dansent, pas et encore. Mission Dolores, le cœur même de la ville, base de l’œuvre du Saint Franciscain à l’origine du nom actuel de la ville. Après Yerba Buena…Les murs dansent, en effet. Les peintures murales et les graffitis dans les ruelles ajoutent à la symphonie hispanique. En quelques avenues, nous avons traversé le Brésil, le Guatemala, le Paraguay etc.

Nous achevons par la colline de Bernal Heights, mamelon de maisons hautes en couleurs, calme sur la tumultueuse Avenue San José.

Sud de Mission, remontons par Franklin Av. avec un salut à City Hall et l’Opéra de San Francisco, un dernier coup d’œil à Union St avant de rentrer à l’hôtel, après sept heures de furieuses courses au travers de la ville.

Bonne fatigue et premiers verres de vins rouges.

Dînons à l’Entrecôte, dont nous avons aperçu de très loin, les stores aux couleurs tricolores. Resto français donc, ça s’imposait. Excellent moment. Le cuisinier est venu nous parler, en fin de dîner. Il avait quitté Juan les Pins il y a très longtemps…

Jeudi 10 Août

Dernier réveil au Motel Capri. Céci passe vers 9h à la manucure de Union St. Je monte à Lombard, la rue en serpentin. Puis retournons au bistrot de Haight. Ensuite Golden Gate Park et le superbe Musée des Arts Asiatiques, le jardin du thé japonais, puis Alamo Square avec les sept maisons victoriennes sur fond de downtown. Puis Castro, encore beaucoup de victoriennes restaurées, c’est le quartier gay, c’était au début du XX° le quartier ouvrier. Sur l’avenue principale, un cinéma à la façade style 1930, le mieux conservé du pays.

Passage à Japan Town dont nous ne verrons que le centre commercial avec de belles boutiques, des objets d’art, des kimonos à des prix de folie, et une multitude de restaurants. Autant la ville chinoise est grouillante, autant la japonaise est géométrique et dépouillée. Les femmes japonaises portent le kimono avec beaucoup de naturel. Retour à Lombard’s sous un grand soleil ; regardons monter et descendre les Cable Cars ; au loin Alcatraz.

Rentrons à Davis vers 18h

Vendredi 11 Août

Sur la route de Napa Valley, grande déception ; des villes informelles, frappées de gigantisme industriel et commercial ; tout est impersonnel. La route du vin débute par une enfilade de hangars soigneusement entretenus qui paraît abriter une armée de fonctionnaires parqués entre les multiples et larges rues à angles droits qui composent ce sinistre paysage où se fait le vin de Californie.

L’après-midi je vais à la piscine avec Hélène, l’eau y est vraiment chaude ; puis en fin d’après-midi, départ avec tous, pour Monterrey. Malheureusement nous sommes vendredi et la circulation n’est pas fluide. Nous arrivons dans la station balnéaire à la limite de la nuit. Avons quelques chaleurs avant de trouver un motel à prix exorbitant (ce qui laisse regretter de ne pas avoir passé deux ou trois jours de plus à San Francisco). L’ambiance est loin d’être sereine avec la famille de Marta Lucia. Nous mangeons le fameux T Bone.

Samedi 12 Août

De grosses brumes désespérantes se révèlent moins hostiles qu’en apparence ; le voile se lève au cours de la matinée. Rue de la Sardine (Canery Row), célèbre par Steinbeck. Constructions en pilotis, puis longeons la route sinueuse du littoral, avec ses immenses pins jusqu’à Carmel. Luxueuse station, lieu privilégié de maisons modestes en pain d’épices à la Hansel et Gretel, et aux demeures cossus pour richissime californien. Nous arrivons sur une placette dégagée où a lieu un mariage ; c’est la Mission de Carmel. Magnifique construction de pierres ocre et jaune, de type hispanique (on se croirait déjà au Mexique). Petite fontaine, couloir sous arcade qui abrite une école catholique, fleurs odorantes, bougainvilliers. Un havre de paix au cœur d’un luxe pour week-end paisible. Le cœur de la ville est totalement abrité, ombragé d’arbres touffus. Du surplomb des falaises se jetant sur la Pacifique, on peut entendre les ébats vifs des otaries sur les rochers. La mer est noire.

Retour à Monterrey, les brumes sont dissipées complètement depuis que nous sommes entrés à Carmel. Beaucoup de maisons de couleurs, la plage est très blanche, des adolescents sont réfugiés sous les pilotis avec leur secrets…Déjeunons de calmars en milieu d’après-midi. C’est la ville de Steinbeck, et tout y fait référence, c’est aussi la ville du Festival 1967, Otis Redding, Hendrix, les Who…. Retour vers Davis.

Dimanche 13 Août

Premier dimanche complet ici. San Francisco très calme le matin. De belles maisons toujours, sur Pacific Heights, Nob Hill, cossu. Puis le Palace of Fine Arts et le musée de peinture (Legion of Honor), tout au Nord de Golden Gate Park, dominant le pont. Magnifique paysage ; Le musée regorge de Rodin, de peintures françaises du 17° au XX° ; une expo temporaire sur Wayne Thibaut. Lumière d’après-midi extraordinaire. Mangeons à Japantown (chez Mifune) puis promenade sur Fisherman’s Wharf, et retour à Davis où Pablo est revenu du Turkestan chinois. Belle soirée avec lui autour de la table du jardin, mais nous nous couchons tôt, ivres de soleil.

Lundi 14 Août

Allons à l’aéroport de Sacramento rendre le Pontiac Montana que nous échangeons contre une belle Buick bordeaux métallisée. Céci et moi, en direction du Nord de San Francisco. Sausalito, avec ses houseboats multicolores, abrite une population hybride et calme, voire marginale de luxe. Les allées flottantes sont abondement fleuries. Nous passons là une bonne heure à capter la lumière intense. Plus au nord encore, nous longeons l’Highway 1 qui correspond exactement à la faille de San Andrea, qui coupe cette zone dangereuse de californie en deux. Un jour… Bien entendu, rien sur la route, ne laisse supposer une telle anomalie géologique ; un simple fossé. Nous traversons la belle forêt de Muir Wood où règnent d’impérieux séquoias centenaires, voire millénaires. Cette forêt ne reçoit évidemment que peu de lumière. La route qui nous mène ensuite vers la Côte Pacifique, est longue et sinueuse, la limitation de vitesse ajoutant à la longueur des déplacements. Stinson Beach est une révélation, après des dizaines de kilomètres dans l’ombre des forêts, nous respirons l’air du bord de mer sur une large plage de surfeurs, avec quelques courageux baigneurs. Le petit village côtier a des airs de fête avec ses restaurants et ses petites boutiques où l’on trouve de tout. Nous résistons à la tentation d’une petite chambre à 80 dollars, dans des bungalows bleus enguirlandés de bougainvilliers géants. Dommage… Poursuivons plus au nord, où la nature est beaucoup moins hospitalière, les villages et les hameaux de plus en plus distants. Après une belle errance de quelques heures, nous arrivons aux premières lueurs du soir à Novato, où, en bordure d’autoroute, nous accueille un Day Inn Motel de bon confort, ce qui atténue notre regret de Stinson Beach, et nous délassons devant un repas asiatique (Mongol), avant une belle nuit réparatrice.

Mardi 15 Aout

Route encore un peu plus au Nord, seulement pour le village insolite, désolé, discret mais aujourd’hui ensoleillé de Bodega Bay, célèbre pour avoir eu l’honneur d’être le cadre choisi des fameux « Oiseaux » d’Hitchcock. Ici tout le monde semble encore vivre de ce souvenir ; on entend même certains commerçants se risquant à quelques imitations de cris lugubres. Et chose étrange, les oiseaux de mer, mouettes, cormorans et autres goélands paraissent donner à leur cri un petit rien qui donne le frisson. Nous avons même aperçu dans le parking du petit port, un énorme albatros mort, toutes ailes déployées…Plus loin du pont de Bodega Bay, c’est simplement Bodega, encore plus minuscule, mais où se trouve un panneau de bois légèrement piqué par le sel marin, indiquant le nom du village, et la maison de la maîtresse d’école ainsi que l’église, donnant , sans que rien n’ai changé depuis, un charme du temps qui a passé.

Revenons un peu plus au Sud, vers le fameux Point Reyes, longeons une lagune couleur Pacifique, c’est à dire hostile, bleuâtre avec un éternel vent glacé, ridant la surface des eaux. Dernier village accueillant de Point Reyes Station avant la route désespérément  battue par les vents, d’une terre grise et chauve où rien ne semble pousser. En bordure quelques fermes disant qu’elles sont âgées, du temps des pionniers (1856 ? 1859 ?). Rien ici ne ressemble à la Californie de carte postale. C’est plutôt un bout du monde silencieux et aride. Parvenus à Point Reyes, dans les eaux sombres et horriblement profondes du Pacifique, des criques et des escarpements d’une grande beauté, mais lointaine, vus du sommet des falaises, abritant la vie des otaries dont on aperçoit les ébats et les petits cris qui se perdent dans la furie des vents. Nous redescendons tranquillement pour un dernier salut à San francisco, et longeons à quelques pas du Golden Gate, vers les maisons à pilotis de Sausalito pour quelques derniers clichés. Retour à Davis vers 19h.

Mercredi 16 Août

Transition, donc repos du matin. Hélène, les enfants et Marta Lucia partent vers Marina World pour la journée. Pour le départ tant attendu vers l’Ouest ne serons finalement que trois. Céci, Pablo et moi. La route est longue. Pour éviter la chaleur du désert de Mojave il était judicieux de partir cet après-midi, vers 17h. Nous roulons jusqu’à Bakersfield où nous trouvons un motel très bon marché mais correct. Fatigue. Nuit peu reposante, peut-être due à la tension d’attaquer dès demain le premier canyon…

Jeudi 17 Août

Le désert de Mojave est effacé, sans dégâts; habituellement même la clim n’y résiste pas. Enfin, la chaleur a pu atteindre 35, 37°.

Visite de Calico Ghost Town, village de western reconstitué, avec animations sur le thème du règlement de compte à O K Coral… Nous sommes à Las Vegas vers 13h. Conforme à ce que j’attendais. Une sorte de Babylone se caricaturant, une Sodome et Gomorrhe, une Ninive moderne, un troisième degré d’une Amérique se perdant dans ses fantasmes. Quelques surprises pourtant : lorsqu’on y reste une heure ou deux, il paraît impossible de résister à ses chants des sirènes, le jeu. Céci va miser quelque cent dollars, pendant que Pablo et moi longeons l’immense boulevard qui traverse la ville. Puis visite de l’indescriptible Caesar ’s Palace, univers où se côtoient les machines à sous, les tables de jeux, Pierre Cardin, Zeus, et César  bien sûr, d’antiques fantômes de la mythologie grecque ou pharaonique, dans d’improbables reproductions, mais de très certain marbre de tonalités très variées. L’extraordinaire climatisation des lieux semble  nous plonger dans une oasis à cette heure de la journée. Comble de la contradiction, cette image de quelques pratiquants bouddhistes (mais n’est-ce pas un leurre de plus ?), priant, les yeux fermés, des objets de culte, leur autel installé contre le mur titanesque du Palace.

Nous rejoignons Céci qui a gagné 12 dollar et poursuivons vers plus de pureté, en direction du très attendu Zion Park, premier rendez-vous avec l’Ouest de légende. Imposante citadelle rouge, rose et blanche, massive et majestueuse, plus belle que dans la description livresque. Notre havre de cette nuit est dans un village à quelques centaines de mètres de l’entrée du Parc : Stringdale, où nous passons, sur une terrasse à peine rafraîchie, une soirée agréable, les yeux accablés de couleurs et de lumière.

Vendredi 18 Août

L’heure a changé. Nous perdons une heure dans l’Utah. Donc au réveil le soleil est déjà haut vers 8 h, mais Zion nous offre l’autre face de sa majesté, ses blancs et ses ocres délicats, ses végétaux stylisés. Ses mamelons coniques et ses dégradés de tonalités aux harmonies mille fois recommencées. Passés Zion, Red Rocks, nous voici proche d’un des hauts lieux du voyage, Bryce Canyon. Après une approche un peu stressante, puisque j’attends beaucoup de cette rencontre, attente qui date peut-être de Messiaen, donc de 1989, le choc est à mesure , sinon à la démesure du site… Je croyais visiter un amphithéâtre sur un espace unique, et quelle fut ma surprise, de lire sur les cartes données à l’entrée du Canyon, de découvrir une bonne douzaine de terrasses, de renfoncements et d’amphithéâtres, souvent à pic, et plus extraordinaires les uns que les autres. Les couleurs dès Sunrise Point, insaisissables, magiques, échappant à l’analyse. Comme l’avait si souvent dit Messiaen, des rouges roses orangés, mauves et jaunes et autres verts de toutes les nuances qui défient le spectre habituel des couleurs enregistrées par l’œil. Comme il concevait un rapport adéquat entre les sons et les couleurs dans ce que nous nommons la synesthésie. Inspiration Point nous donne aujourd’hui le lieu le plus ensoleillé ; la pluie, la grêle même, nous tombera dessus, mais rien ne résistera à la magie majestueuse, gothique de Sunset Point vers 16h. Si un accord, un jour, a pu symboliser l’alliance entre Dieu et la création avant la présence de l’homme, c’est peut-être à Bryce Canyon. Sortis de tant de sortilèges vers 16h30, malgré les quatre saisons défilant dans le ciel en quelques heures, nous décidons de poursuivre vers Arches, longtemps exclu de notre projet initial; ce sera le point le plus au nord de notre périple. Un court salut à Petrified Forest, qui aurait mérité mieux, et dont nous n’apercevons que le début du parcours. Nous nous acheminons vers Torrey, petit hameau où vécurent les Indiens jusqu’au début du siècle, à l’orée du Capitol Reef National Park. Motel agréable. Même les yeux fermés ce soir, les rouges orangés, les roses vanilles, les Couleurs de la Cité Céleste ne décolleront pas de nos paupières…

Samedi 19 Août

Tôt le matin, le vent souffle fort ; de notre petit motel western, l’air est pur, le ciel largement dégagé. Capitol Reef n’est qu’esquissé. Puis des falaises jaunes vanilles, rougeâtres… bien sûr, après Bryce, nous sommes devenus difficiles. Donc je réalise quelques clichés dans le genre études abstraites…Et comme nous paraissons bien en avance sur nos prévisions solaires, notre chemin nous mène vers Arches en début d’après-midi. Resto mexicain à Moab. Le site des grandes arches est sauvage, comme toutes les Rocheuses, ici de pierres rouges monolithiques, où l’imagination lit dans la pierre, des pharaons, des fantômes (three gossips) ou tout autres fantasmagories bien connues dans l’exercice de la lecture « sur pierre ». Monumentales arches (celle du Nord, celle du Sud : les deux Jumelles), l’arche de Skyline, Fiery Furnace… tout cela dans l’attente du joyau, Delicate Arch. La conjugaison des nuages fait un moment craindre que nous n’atteignons jamais cette arche, un peu la raison essentielle de notre périple sur le versant nord de l’Utah. Nous tentons une marche rapide jusqu’à View Point. Hélas nous sommes séparés d’une encablure fatale d’un bon kilomètre. Averse sur le paysage, intense pluie bouchant tout l’horizon. Mais comme toujours dans ces régions où la violence des précipitations est de courtes durées, nous décidons la montée vers Delicate à 17h. Montée de difficulté moyenne, effort intense mais lumière maximale à mesure que nous progressons. Indescriptible arrivée, où, sans prévenir, à main droite, apparaît, sur un cirque très large, comme en un écrin, l’Arche majeure. Elle lave de toute fatigue, de tous les doutes. Pablo est heureux d’avoir découvert des pierres fossilisées pour Pablo Andrès. L’Arche. Enfin  la délicate vue dans sa proximité immédiate, à portée de toucher. Bien sûr, 17 ou 18 clichés rien que pour être certain de ne pas trop l’étreindre. Je suis souvent au bord du vertige, la merveille est en bordure de précipice. Descente vers le parking par une lumière douce, l’intensité de l’effort largement compensée par la vision de ce qui a précédé…

Le soir, plus au sud, en plein pays mormon, pas de vin pour fêter l’événement, du moins le vin est caché, hors des commerces, des supermarchés. La route nous mène de Moab à Monticello (Utah), nous dévoile des nuages au couchant de toute beauté (j’ai pensé à des dessins effilochés de roses, de bleus à la manière des pastels de Boucher). Puis l’orage, et toujours des pastels de grandes intensités. La route rectiligne ; personne à croiser.

Dînons à « Lamplight », resto mormon où nous retrouvons le XIX° siècle à son début, les barbes des autochtones, le lait fraise pour les dames, et aussi du vin… Dernière nuit dans ce bel Utah.

Dimanche 20 Août

La journée du Monument Valley nous assure la sérénité d’un ciel clément, et pour tout dire, la complicité de ces choux-fleurs qui sont les compléments indispensables à toute vraie photographie de grands espaces. Route 163 traversant le très large territoire Navajo, une interminable ligne droite (un grand classique à l’approche de Monument), où comme sur un écran de cinéma se dresse le légendaire panorama des hautes cheminées de grès rouges. Devant nous, au point « culminant » pour photographier, s’arrête une petite camionnette d’où sortent précipitamment une meute de très jeunes filles s’accroupissant toutes les unes à côté des autres pour immortaliser le fameux paysage western. Depuis le Visitor center nous parcourons tout le territoire autorisé (Totem Pole étant interdit, sauf à en être initiés pour quelques dollars de plus par les Navajos) du Monument Valley, avec ses failles, ses gigantesques falaises, puis le « John Ford’s view Point, plus panoramique encore qu’en cinémascope. Le circuit nous mène bien vite dans la zone Arizona où les frontières avec l’Utah ne sont évidemment guère visibles. Pierres monumentales, défis de l’horizontal et du vertical, des ciels intenses aux choux-fleurs comme lors des premiers moments du monde. Ombre au tableau, mais là nous revenons à l’humain : un chien aux yeux oranges dont nous tairons le supplice que les Navajos lui infligèrent (probablement pour dérogation aux lois d’ici, ou tout simplement pour un vol de nourriture…) Donc, le seul site inapprochable, (aujourd’hui à contre-jour, le Totem Pole). Pour le reste, la sensation d’une infinie liberté d’espace. Un peu plus loin, et ne pouvant décrocher mes yeux de l’objectif, apparaît, plus monumental encore que dans la légende, le plan continu de « Stage Coach », d’où ne manque que le mouvement que je retrouve mentalement, la sensation de long, immense étirement horizontal de la piste naguère foulée par la diligence, et un jeune John Wayne de 1939, rythmé par les majestueuses cheminées de grès et les mesas pyramydales. Nous déjeunons au resto de Goulding, le promoteur de ce site grandiose, découvert par lui en 1924, resto nommé bien sûr « Stage Coach » où tout le personnel est Navajo. Le chili con carne y est délicieux, le Bordeaux, Champagne et autres vins y sont sans alcool, et de la baie vitrée, peut-être le plus beau panorama, la plus démesurée horizontale qu’on puisse concevoir dans le cadre d’un restaurant.

Fin d’après-midi dans l’orangé de la pierre. Nous franchissons l’Arizona (un panneau recto-verso, en plein désert nous apprend cette vérité abstraite) et rejoignons, au jour tombant, Grand Canyon dont on n’apercevra que les derniers feux d’un soleil déjà incapable d’éclairer les gouffres des failles immenses.

Motel confortable dans les sous-bois du Grand Canyon Village, trop fréquenté, immensément médiatisé.

Lundi 21 Août

Vers 6h 30 la lumière balaie tout jugement devant, il faut bien en convenir, ce qui doit être un des plus beaux et des plus changeants spectacles de lumière solaire au fil du continuum temporel. L’histoire de la terre américaine, en ses strates successives, de millions d’années en millions d’années y est inscrite sensiblement comme en une chair qui rend, par des nuances et des colorations d’époques, à des rythmes lents ou longs, cet insaisissable mystère lumineux dans son armature de géologie. Nous pourrions, un peu comme Monet avec la Cathédrale de Rouen, faire déclencher un appareil photo toutes les quinze ou vingt minutes, afin d’appréhender les multiples variations de la lumière sur un même plan du canyon. Là, le Colorado, coule depuis toujours. L’Homme est absent. Après tous ces rêves vécus dans la réalité du voyage, nous voici vers le déclinant, l’achèvement de ce film défilant comme en accéléré (nous sommes partis sur les routes que le 16 au soir !). San Francisco même semble bien loin, comme revenu du temps des beaux jours de Haight… Donc nous reprenons la longue route 66, la mythique, traversant les USA de part en part, l’Arizona sans ses cactus, puisqu’on ne les voit qu’au sud, vers Prescott et le Mexique… le désert de Mojave en sens inverse, cette fois traversé au couchant, un peu comme notre voyage qui prend un coup de crépuscule.

Soir à Bakersfield, Motel 6.

Mardi 22 Août

Levés un peu plus tard que d’habitude, remontée tranquille vers la Californie, via le Nevada ; passons le long de la base Edwards avec ses vieux engins de conquête spatiale, et vers midi , pénétrons dans Yosemite Park, rendez-vous très fréquenté des escaladeurs, et des ours qui menacent. La paroi d’Half Dome y est impressionnante… Les paysages ont bien sûr baissé d’intensité, les conifères, les pins, la pierre grise nous ramènent à des réalités proches de notre Europe. Comme ces noirs et blancs immaculés du Dome, et de la lune qui l’accompagne, des cascades (cette année la sécheresse nous empêche de les voir), des classiques de la photo d’Anselm Adams. De beaux chênes aussi qui nous rapprochent de nos montagnes. Trois heures plus tard nous pénétrons dans Davis.

Mercredi 23 Août

Nous nous levons tard. Magasins de sport dans la matinée et piscine l’après-midi. Visite de l’Université où travaille Pablo. Je me souviens que la dernière symphonie de Darius Milhaud s’intitulait « symphonie Agricole » et que c’était une commande de cette même Université de Davis. Faisons connaissance de Pablo Ortiz, musicien contemporain (il y a un Département électro-acoustique à l’Université).

Les deux derniers jours, nous fréquentons, près de la maison, un resto bar, « The Graduate », avec des écrans géants, des sports diffusés sans arrêts dans tous les coins du lieu. Allons à Vacaville, usine Nike, Adidas, pour faire plaisir à Hélène. Dernier soir dans une Pizza de Davis. Marta Elena, Greg, Juliana partent le lendemain pour un rafting quelque part. Le matin du départ, Marta ne laisse qu’un mot d’au revoir sur l’ardoise de la cuisine.

Pablo nous conduit à l’aéroport le samedi vers 11h. Le voyage en 747 sera meilleur qu’à l’aller, et cela sent la fin.

Nice, à travers le hublot. Nous longeons la Baie des Anges le dimanche 27 ; il est 15h30.